Samedi 07 Novembre 2009
SOCIAL. La moitié des conducteurs était en grève hier pour dénoncer le système des bus de substitutionGrève des bus à Bordeaux : la grosse colère des « sub »
Devant le local qui abrite la réunion du CHSCT, les conducteurs grévistes affichent une gravité qui témoigne de leurs préoccupations. (PHOTO CLAUDE PETIT)
En ce vendredi matin, un groupe de conducteurs d'autobus stationne devant le bâtiment du dépôt de Lescure, où se réunit le CHSCT (1) extraordinaire de Keolis. Les visages sont graves et la tension palpable. Un gréviste interpelle vigoureusement un agent de maîtrise. Ce conflit n'est pas comme les autres, car il y a eu mort d'homme.
Jacques Berlureau, 55 ans, a été victime d'une crise cardiaque fatale juste après avoir garé son bus de substitution aux Quinconces, après une panne intervenue sur la ligne C du tram.
Aidé par les passagers
Deux heures plus tôt, il avait croisé un collègue de la ligne 9 qui, comme lui, était susceptible ce jour-là d'intervenir en cas de pépin. Son témoignage (anonyme) prend d'autant plus de poids que ce « réserviste de sub » (expression interne aux conducteurs) a été sollicité quasiment en même temps et sur le même parcours que Jacques Berlureau, prélevé quant à lui sur la ligne 31 : « Quand j'ai été appelé par radio, il m'a fallu demander à tous mes passagers de descendre, afin que je me rende tout de suite au Grand Parc, car le tram est prioritaire. Allez déjà faire comprendre ça. À la station de tram, j'ai trouvé des gens énervés qui m'ont signifié qu'ils débauchaient et voulaient rentrer au plus vite chez eux.
« Ne pouvant emprunter la ligne du tram, je me suis lancé à travers le quartier du Grand Parc, que je ne connais pas avec mon bus articulé. On m'avait dit ce que j'avais à faire mais manque de chance, une avenue que je devais emprunter (Ndlr, le cours de Luze) était barrée par des travaux. Alors, je suis parti dans des rues, guidé par des passagers qui connaissaient les lieux. Mais il est arrivé un moment où je ne pouvais plus passer. Il était hors de question pour moi d'abîmer le bus et les voitures en stationnement. Des passagers sont descendus pour me guider dans mes manoeuvres.
« Finalement, je me suis retrouvé dans la rue David-Johnston et après, je connaissais, j'étais sauvé. Bien entendu, pendant ce parcours, on ne ramasse personne sur la ligne, bien trop préoccupé qu'on est à chercher son chemin et à essayer de passer avec le bahut. Je peux vous dire que j'étais mal, lâché ainsi dans la nature. Moi, encore, je suis jeune, je suis solide, mais je comprends qu'un gars plus âgé craque dans ces conditions. Quand je suis arrivé aux Quinconces, une cliente a dit à mon chef qu'il ne fallait pas qu'il m'engueule, que j'avais fait le maximum. Heureusement, les usagers ont été super avec moi. J'étais parti à 18 h 2 et je me suis retrouvé à 19 h 30 à la gare, sur ma ligne normale. »
Ce mercredi-là, cinq interventions de substitutions ont été commandées. Jacques Berlureau et son collègue savaient en prenant leur service qu'ils étaient susceptibles d'être appelés à tout moment : « Quand le tram a eu des problèmes avec l'alimentation par le sol, il y avait une équipe réservée spécialement pour intervenir pendant les pannes, mais cela a été abandonné », rappelle le délégué CGT Alain Thomas. Après discussion avec la direction, un système comparable devrait être installé à titre transitoire (lire ci-contre).
Pour lui, le décès de Jacques Berlureau « a été la goutte qui fait déborder le vase, car il y a un moment que les chauffeurs se plaignent de ces substitutions qui interviennent pratiquement tous les jours ». Le délégué syndical se refuse néanmoins à associer directement l'accident cardiaque du chauffeur à ce système palliatif : « Mais si on ne peut pas dire que cela a causé sa mort, on ne peut pas non plus affirmer que cela n'est intervenu en rien. Il y a quelques années, on avait une visite médicale tous les ans où on examinait à la fois les yeux, les oreilles, le coeur et que maintenant, cette visite s'effectue tous les deux ou trois ans, ce n'est pas assez. »
Le nouveau réseau inquiète
Reste que ce mouvement spontané est aussi alimenté par les inquiétudes des chauffeurs sur le nouveau réseau prévu pour février : « Moi, je sais que ma ligne 9 ne bougera pas. Mais c'est l'une des rares et beaucoup n'ont aucune idée d'où ils vont échouer », glisse le conducteur anonyme cité plus haut.
Beaucoup d'entre eux se sont retrouvés hier après-midi aux obsèques de leur collègue. Il faudra sans doute un peu de temps avant que l'émotion ne retombe.
(1) Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Auteur : HERVÉ MATHURIN
h.mathurin@sudouest.com