Voici ce que la féministe radicale Andrea Dworkin pensait de la technologie reproductive :
" La technologie reproductive modifie présentement les modalités du contrôle masculin de la reproduction. Le contrôle social des femmes qui se reproduisent – une méthode de contrôle brouillonne et malpropre – est en voie de faire place à un contrôle médical beaucoup plus précis, beaucoup plus proche de l’efficience du modèle du bordel. Cette transition – l’application du modèle du bordel à la reproduction – ne fait que commencer. Un panorama détaillé des nouvelles intrusions technologiques dans la conception, la gestation et la naissance[3] dépasse la portée du présent ouvrage, mais on peut déjà affirmer que la reproduction va devenir le genre de marchandise qu’est aujourd’hui devenu le sexe. L’insémination artificielle, la fécondation in vitro, la sélection du sexe de l’embryon, le génie génétique, le monitoring fœtal, les matrices artificielles qui gardent le fœtus en vie à l’extérieur du corps de la mère, la chirurgie fœtale, les transplantations d’embryons et l’éventuel clonage (certains spécialistes prédisent que le clonage humain deviendra réalité d’ici vingt-cinq ans ; il se réalisera, quelle que soit l’échéance) –, toutes ces intrusions reproductives font de la matrice le domaine du médecin plutôt que celui de la femme ; elles permettent d’extraire, de dissocier la matrice de la femme comme être intégral, tout comme on le fait déjà pour le vagin (ou le sexe). Certaines de ces intrusions rendent la matrice entièrement ou éventuellement superflue ; chacune soumet la reproduction au contrôle des hommes à un degré jusqu’ici inimaginable. L’enjeu ne tient pas à chaque innovation en particulier – à sa moralité ou à son immoralité intrinsèque – mais à son utilisation dans un système où les femmes constituent déjà des marchandises sexuelles et reproductives exploitées, où leur vie est dénuée de valeur quand elle ne sert pas un objectif sexuel ou reproductif. Par exemple, même si les césariennes ont sauvé la vie à des femmes lors de véritables situations d’urgence, les médecins s’en servent aujourd’hui pour s’assurer le contrôle du travail, pour pouvoir taillader le corps des femmes – un délice masculin – et pour contourner le processus naturel de la naissance afin d’accommoder socialement le médecin. Les césariennes servent maintenant à exprimer un mépris masculin endémique envers les femmes. Il en sera ainsi de la technologie reproductive ou d’autres intrusions médicales sophistiquées dans ce domaine. L’idéologie du contrôle masculin de la reproduction restera la même ; la haine des femmes restera la même ; ce qui va changer, ce seront les moyens d’exprimer cette idéologie et cette haine. Ceux-ci remettront aux hommes le contrôle de la conception, de la gestation et de la naissance – en bout de ligne, tout le processus de création de la vie sera entre leurs mains. Ces nouveaux moyens permettront – enfin – aux hommes de vraiment posséder des femmes pour le sexe et des femmes pour la reproduction, toutes contrôlées avec la même précision sadique par des hommes.
Et se produira un nouveau genre d’Holocauste, aussi inimaginable aujourd’hui que ne l’était la version nazie avant son avènement ; une chose dont personne ne croit « l’humanité » capable. La technologie reproductive déjà ou bientôt disponible, liée à des programmes racistes de stérilisation imposée, offrira enfin aux hommes les moyens de créer et de contrôler le genre de femmes qu’ils veulent : le genre de femmes qu’ils ont toujours voulu. Pour paraphraser la Ninotchka d’Ernst Lubitsch justifiant les purges de Staline, il y aura moins de femmes, mais des femmes meilleures. Il y aura des domestiques, des prostituées sexuelles et des prostituées reproductives. Avons-nous la moindre raison de penser que ce futur annoncé n’est pas le reflet de la dévalorisation des femmes aujourd’hui communément acceptée et que nous côtoyons avec une relative complaisance ? Regardons à nouveau ce que l’on a fait et ce que l’on fait encore aux vieilles, aux pensionnaires d’hospices, aux femmes droguées, prostituées, assistées sociales, et à ces bastions de la valeur féminine, les épouses et les mères, dont le viol est protégé par la loi, dont l’agression par leur mari est encouragée socialement et dont l’État convoite aujourd’hui l’utérus."
https://www.facebook.com/notes/martin-d ... 409835595/Un article qui fait écho aux craintes formulées par Andréa Dworkin :
""La femme n’est qu’un ventre ! " - Napoléon
Dans le quotidien montréalais "La Presse", en date du 27 mai 2004, on peut lire avec stupéfaction ceci : "Vif plaidoyer pour le droit d’éliminer les filles dans l’œuf". S’en suit un compte-rendu, écrit par la journaliste Louise Leduc, du Congrès mondial sur la fertilité et la stérilité qui se tient en ce moment à Montréal.
Comment conserver sa sérénité, quand on lit que l’un des membres du comité d’éthique de la Fédération internationale de gynécologie et d’obstétrique, un certain gynécologue égyptien, Gamal Serour, affirme qu’"éliminer la fille dans l’œuf et détruire les embryons femelles, peut être tout à fait éthique", que cette pratique "aiderait les femmes qui, autrement, sont victimes d’immenses pressions sociales quand elles donnent naissance à des filles" et, ainsi, les empêcherait de commettre des infanticides. Et que cette "sélection du sexe des enfants" va, en fait, dans le même sens que ce "contrôle de leur vie reproductive" que les féministes mettent, toujours selon ce docteur, de l’avant pour "s’affranchir de la domination des hommes". Pincez-moi, je rêve.""
http://sisyphe.org/spip.php?article1123Un 3ème texte intéressant sur le sujet :
"En schématisant, trois courants féministes se distinguent autour de la question de la procréation médicalement assistée.
Le premier est un féminisme libéral, se fondant sur l’idée d’une égalité entre individus libres et dotés de raison, qui met l’accent sur la nécessité de garantir l’autonomie décisionnelle des femmes au nom du droit au respect de l’autodétermination personnelle et de la vie privée. Dans cette perspective, l’accès à la procréation médicalement assistée est le corollaire de l’accès à la contraception et à l’avortement : protéger la liberté positive de devenir mère, fût-ce par le recours à des technologies biomédicales, constitue le versant nécessaire de la reconnaissance de la liberté de ne pas devenir mère, en empêchant ou interrompant une grossesse2. Le deuxième est un féminisme radical, ou social, qui récuse les postulats libéraux du premier : il dénonce l’exploitation du corps des femmes qu’une libéralisation de la procréation médicalement assistée, et a fortiori de la gestation pour autrui, permet. « Le privé étant politique », selon le slogan célèbre, derrière l’argument de l’autonomie personnelle se profilerait un processus d’instrumentalisation des corps féminins, soumis à la conjonction d’une double loi : celle, lucrative, du marché et celle, morale, leur enjoignant d’être mères. Derrière le « droit à l’enfant » se dissimulerait en réalité l’injonction d’être mère, au prix du recours à des technologies dont les risques ne sont pas évalués. Le dernier courant est un féminisme culturel ou relationnel, qui met l’accent sur la spécificité féminine. Se référant aux travaux de Carol Gilligan, il rejette le modèle autonomiste et souligne l’idée d’une interdépendance relationnelle qui définirait la vie des femmes, que traduit l’éthique du care3, et qui se manifesterait de façon symbolique à travers l’expérience de la grossesse. La grossesse et la maternité étant une expérience spéciale, toute réglementation doit prendre en compte et protéger cette spécificité. L’intrusion des technologies dans ce lien naturel est alors présentée comme une menace à la fois pour les femmes et pour la nature4. Or ces différents courants féministes, dont la capacité à influencer le débat politique est inégale, ont des lectures parfois diamétralement opposées sur les questions clivantes que sont la fécondation in vitro et la gestation pour autrui. [...]
Ainsi, le mouvement Finnrage (Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering), réseau féministe international, promeut une lecture critique des techniques d’Amp. Soulignant notamment les risques sanitaires que l’Amp fait peser spécifiquement sur le corps des femmes (hyperstimulation ovarienne, facteur de déséquilibre hormonal et d’augmentation du risque de cancer ovarien ; risque de grossesses multiples), ce courant féministe insiste sur le risque d’exploitation du corps des femmes qui en résulte : pour la femme stérile d’une part, soumise à des interventions médicales intrusives, mais aussi pour la donneuse d’ovocytes, dans un marché de l’offre et de la demande d’ovules extrêmement tendu.
Or, à cet égard, force est de reconnaître que les risques n’ont été que faiblement pris en compte par le législateur français, depuis les premières lois Bioéthique de 1994 jusqu’à celle de 2011, en passant par leur révision de 20047. Les discours féministes n’ont jamais sur ce point pénétré l’enceinte parlementaire8, la raison principale étant que le discours politique sur l’assistance médicale à la procréation a été construit essentiellement autour de la question de l’enfant.[...] Dans ce contexte, nulle place pour une réflexion sur la situation spécifique des femmes, et notamment des donneuses.
À cet égard, l’encadrement juridique de la procréation médicalement assistée avec tiers donneur révèle la faible réception des critiques féministes au sein du Parlement français. Fondé sur les principes d’anonymat, de gratuité et d’incitation au don sur le ton de la solidarité avec les couples infertiles, le don de gamètes – mâles ou femelles – a toujours été encadré de façon formellement égalitaire, en assimilant la situation des donneurs de sperme à celle des donneuses d’ovocytes. Or cet encadrement juridique, qui rend invisible la question spécifique des femmes, a totalement occulté la grande différence existant dans les conditions concrètes de réalisation de ces dons : si le don de sperme est anodin et indolore – voire agréable –, le don d’ovocyte suppose une stimulation hormonale, un prélèvement chirurgical, souvent sous anesthésie, et expose à des risques de cancer et de stérilité future associés à la stimulation ovarienne… Mais cette donnée n’est jamais apparue comme centrale au législateur.
Des occasions se présentaient pourtant dans le débat parlementaire. Ainsi, un des points à l’ordre du jour de la révision Bioéthique de 2011 était justement la question de la pénurie des dons d’ovocytes. Les parlementaires ont alors, de façon très consensuelle, souligné la nécessité d’inciter au don d’ovocytes et d’alléger les contraintes légales existant alors, et notamment une condition : celle pour les donneurs et les donneuses d’avoir déjà enfanté. En outre, une mesure incitative est prévue par la loi : la possibilité, pour les donneurs comme pour les donneuses, de se voir « proposer le recueil et la conservation d’une partie de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue d’une éventuelle réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation » (Code de la santé publique, article 1244-29). Les femmes nullipares sont ainsi invitées à donner leurs gamètes, en se voyant offrir la possibilité d’en conserver certaines en vue d’une éventuelle utilisation personnelle dans l’hypothèse d’une stérilité ultérieure, conséquence malheureuse mais possible du don. Cette façon d’appréhender le corps des femmes comme un vivier d’ovules, et le don d’ovocyte comme un marché qu’il faudrait stimuler, est ici symptomatique de ce que dénoncent certaines féministes : l’assistance médicale à la procréation peut tendre, au nom d’une logique procréative, à une instrumentalisation des femmes. "
https://esprit.presse.fr/article/roman- ... isme-37558