Critique des médias


Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 05 Nov 2012, 21:19

Tiens, en v'là une belle dans la hiérarchie de l'information :


L’ouragan Sandy a-t-il dévasté France 2 ?

par Henri Maler, le 5 novembre 2012

Rarement les médias (ou du moins certains d’entre eux) ont été, de tous côtés, aussi contestés que pour leur traitement de l’ouragan Sandy et de ses effets dévastateurs : pour la disproportion outrancière (et proprement scandaleuse) entre les informations fournies sur les États-Unis et celles dont ont chichement bénéficié les autre pays. Trop, c’est trop quand c’est à ce point flagrant.

Ce fut en particulier le cas dans les médias audiovisuels qui bénéficient de la plus large audience. En choisissant ici de conforter les impressions par des observations précises des JT de France 2, nous n’entendons pas exonérer tous les autres médias (et certainement pas TF1). Sur France 2, donc…

- Vendredi 26 octobre. Premier titre annoncé : « L’arrivée brutale de l’hiver dans le Var »
.

Et 32’30 environ plus tard, après deux sujets sur les USA (« Pourquoi Barak Obama vote avant le jour des élections », « Se soigner au supermarché : un moyen de payer moins cher »), on apprend, images à l’appui, que l’ouragan est « en route vers les États-Unis » et que des mesures préventives ont été prises. Et en une phrase, mais sans images : « l’Ouragan Sandy a déjà fait 28 morts sur son passage, notamment en Haïti ». C’est tout ? C’est tout.

- Samedi 27 octobre. Aucun titre n’annonce des informations sur l’ouragan. Les sujets se succèdent : intempéries dans le Var, météo, fait divers, congrès du PS, jusqu’au moment où, après « un mot sur la grève à Air France » et quelques images sur la « Grogne sociale en Italie » (les grognons grognent encore…), intervient, 14’40 après le début du journal, cette transition : « À l’étranger toujours ». À l’étranger, quoi donc ? « Aux États-Unis, la côte est en état d’alerte » face à « l’énorme ouragan ». Fugitivement, le présentateur précise : « Dans les Caraïbes, il a déjà fait 24 morts ». Le « sujet » lui-même porte sur les mesures préventives prises aux USA et sur la trajectoire de l’ouragan.

Pourtant, au cœur de ce « sujet » d’1 mn 15, quelques phrases, prononcées à grande vitesse (20 secondes), informent, images à l’appui : « Juste en face, dans l’Atlantique, dans l’archipel des Bahamas, Sandy est déjà passé. Voici les résultats : ravages des vents et montée de l’océan. Mais rien de dramatique, comme ici à Cuba. C’est à Santiago que les destructions ont été les plus impressionnantes. Bilan : 11 morts. Pire encore : en Haïti un pont a même été emporté. La subite montée des eaux a causé la mort de 26 personnes, dont des enfants. » C’est tout ? C’est tout. Il est temps en effet de passer au sujet suivant : l’impact possible de l’ouragan sur le scrutin présidentiel, en direct avec Maryse Burgot, depuis les USA ? Un direct suivi d’un « sujet » sur le « microciblage électoral » ; durée ? 2 mn 55.


- Dimanche 28 octobre. Parmi les titres du JT : « New-York en alerte Ouragan ». 18’45 après de début du journal, 3 mn (un « sujet » et un « direct) sont consacrées aux précautions prises face à l’imminence de l’arrivée de l’ouragan. Rien sur les dévastations dans les autres pays.

- Lundi 29 octobre. Première annonce : « L’Amérique en alerte ouragan |…] La tempête devrait frapper dans les heures qui viennent », avec ce titre à l’image :

1 mn 05 d’annonce des titres et « Direction d’abord les États-Unis » ; pour 7 mn d’informations et de reportages : « Les dernières images », « Les dernières informations : l’ouragan Sandy s’approche de New-York », « Arrivée imminente de l’ouragan Sandy dans le New-Jersey », « New-York et Washington retiennent leur souffle » ». Puis, plateau : « Ouragan Sandy : pourquoi fait-il si peur ? ». Rien sur les conséquences de l’ouragan dans les autres pays.

- Mardi 30 octobre. Premier titre annoncé : « La côte est-américaine dévastée ». Plus de 10 mn 30 seront consacrées aux conséquences du passage de l’ouragan.

Et rien sur les conséquences de l’ouragan dans les autres pays.

- Mercredi 31 octobre. Premier titre annoncé : « L’affaire Zyed et Bouna rebondit ». Or « l’affaire », ce n’est pas eux, mais le rôle de la police. On se demande dès lors s’il n’aurait été plus décent de dire : « Les suites judiciaires de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré », au lieu de les désigner familièrement (et affectueusement) par leurs prénoms… Deuxième titre annoncé : « Quel bilan aux États-Unis ? » 7mn 08 après le début du journal, il est temps de l’apprendre : en deux reportages et un « direct » d’une durée totale de 7 mn. Premier reportage (2 mn 40 environ) : « L’ampleur des dégâts », suivi de l’image pittoresque d’un journaliste surpris par les flots, mais heureusement indemne. Et il est temps de passer au second reportage : « Le calme des New-yorkais ». Et sur les autres pays ? Rien.

- Jeudi 1er novembre. Le JT n’est pas disponible sur le site de France 2

- Vendredi 2 novembre. Le toujours souriant Laurent Delahousse annonce les titres du journal et introduit, 8’50 après le début du journal et avant de revenir sur la campagne électorale aux États-Unis, un reportage centré sur la pénurie d’essence, la vente de matériel de camping et tous les désagréments de la vie à Manhattan (1 mn20 environ). Et sur les autres pays ? Toujours rien.

Bilan

Du samedi 27 octobre au vendredi 2 novembre (sans compter le jeudi 1er novembre et les annonces des titres des JT) environ (comptage approximatif) 30 mn ont été consacrés à l’arrivée puis aux effets de l’ouragan aux États-Unis. Et 20 secondes environ à ses effets dans les autres pays.

Quand soudain…

- Samedi 3 novembre. Le toujours souriant Laurent Delahousse annonce : « Voici le titre du journal de ce samedi » (en 1mn 30). Et, subitement :

« Avant de revenir sur ces titres, un cri d’alarme ce soir, le cri des oubliés de l’ouragan Sandy. Quelques heures avant de toucher les côtes américaines, la tempête a fait des ravages sur l’île d’Haïti. Mais la situation n’a pas fait l’objet de la même couverture médiatique. Pourtant un drame de plus est en train de se jouer pour cette population déjà meurtrie. Elle est désormais menacée par le manque de nourriture »

Cette présentation très indirectement et très allusivement autocritique valut aux téléspectateurs de bénéficier d’un reportage correctement informé (malgré sa brièveté : 1 mn 30 environ) sur « Les victimes oubliées de Sandy » : les 50 morts recensés, les maisons, les routes, les hôpitaux détruits, le million d’habitants menacés par le manque de nourriture, l’agriculture sinistrée, le développement du choléra, etc.

Mais les questions demeurent.

Les « victimes oubliées », mais par qui ? Pourquoi se borner à déplorer vaguement la couverture médiatique sans dire un mot de la couverture effectuée par France 2 ? Par timidité ?

Les « victimes oubliées », mais pourquoi ?
À cela plusieurs explications possibles qui peuvent se combiner. D’abord puisque depuis le 11 septembre 2001, selon leurs dires, « Nous sommes tous américains », ou plus exactement états-uniens, rien de ce qui arrive dans ce pays ne doit nous rester étranger. Quant aux autres pays, c’est selon… Ensuite, et par conséquent, la couverture de l’élection présidentielle aux États-Unis focalise l’attention des responsables des rédactions et justifie à leurs yeux la multiplication des envoyés spéciaux : de quoi faciliter la couverture de l’ouragan dévastateur. Enfin, tout dépend de l’abondance des images, de préférence spectaculaires. Et pour ça les États-Unis sont mieux lotis que Cuba ou Haïti. « Dis-moi ce que l’on trouve dans les banques d’images et où sont les caméras, je te dirai ce qui mérite qu’on en parle. »

Que peuvent contre tout cela, qui produit machinalement de redoutables effets, des bilans critiques qui, quand ils existent, sont aussi maigres que celui de France 2 ?

Henri Maler

Source : http://www.acrimed.org/
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Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 17 Déc 2012, 15:11

Le chœur des chroniqueurs économiques des ondes
par Mathias Reymond, le 13 décembre 2012
Entonné par quelques chroniqueurs semblables et interchangeables, le sermon matinal à la gloire du marché ne connaît pas de frontières sur les ondes. Au sortir du lit ou encore sous la couette, à l’écoute de France Inter ou d’Europe 1, de RTL ou de RMC, dès qu’il est question d’économie, l’auditeur a toujours droit à la même sonnerie de réveil.


En décembre 1999, Serge Halimi rédigeait un article paru dans Le Monde diplomatique et disponible ici même – « Lancinante petite musique des chroniques économiques » – dans lequel il était question du discours uniforme diffusé sur les ondes radiophoniques. Les éditorialistes économiques de l’époque – Jean-Marc Sylvestre pour France Inter, Nicolas Beytout pour RTL ou Jacques Barraux pour Radio Classique – partageaient à peu près les mêmes opinions et vantaient de concert ou à tour de rôle (selon l’heure de diffusion) les atouts du marché et de la mondialisation. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Croit-on…
« La France est droguée à la dépense publique »

Les radios se ressemblent... Les 14 et 15 novembre, les chroniqueurs économiques des radios généralistes se sont donnés le mot après le discours très libéral de François Hollande : pour eux, c’est un premier pas, mais ce n’est pas assez ! Ainsi, Christian Menanteau, sur RTL (le 15 novembre), revient sur l’annonce faite par le chef de l’État de réduire de 12 milliards d’euros par an les dépenses publiques pendant cinq années : « Ça peut vous paraître dérisoire, puisque ça ne fait qu’1 % de ces fameux 1 100 milliards de dépenses publiques annuelles. En réalité, c’est un Himalaya, tout simplement parce que la France est droguée à la dépense publique. Nous en sommes les champions d’Europe, et toute notre organisation économique et sociale est régie par le toujours plus. »

Plus aimable, Nicolas Doze, sur RMC (le 14 novembre), encourage le Président : « Moi, aujourd’hui, je lui mets 16/20, à François Hollande. » Alors qu’Axel de Tarlé, sur Europe 1, applaudit froidement : « On assiste au tournant social-libéral qu’on a connu en Europe du Nord. […] Côté mesures, on reste sur notre faim. On ne sait pas comment on va baisser la dépense publique. Maintenant que ce virage social-libéral est pris, il faut lui donner de la puissance. Accélérer. » Mais Tarlé sait reconnaître la vraie valeur des choses, et il se rattrape dans Le Journal du dimanche (le 18 novembre) : « Plutôt que de soutenir le consommateur et la demande, il faut soutenir les producteurs, c’est le socialisme de “l’offre” [sic]. Le virage “social-libéral” est pris, reste maintenant à prendre de la vitesse. La tâche est historique : il faut sauver la France, l’euro, l’Europe. Bonne chance, monsieur le Président. » Même soutien sur France info, quelques semaines plus tôt, avec Emmanuel Cugny : « On a vraiment envie de dire ce matin au Premier ministre : allez-y, monsieur Ayrault, foncez, c’est maintenant ou jamais. » (le 6 novembre).

À entendre les petites allocutions matinales des chroniqueurs économiques, il est urgent de réduire massivement les dépenses publiques. Dominique Seux (le 22 novembre) explique que « si la croissance reste faible, et comme le bouton “Impôts” est enfoncé au maximum, c’est du côté des 1 200 milliards de dépenses qu’il faudra regarder. » On a compris.

« C’est la Grèce qui nous attend. »

Les radios se ressemblent... et les matinées aussi. Le 20 novembre, les mêmes chroniqueurs s’émeuvent collectivement de la dégradation de la note de la France par l’agence Moody’s. Les commentaires sont identiques, et les conclusions, interchangeables. Pour Tarlé, sur Europe 1, la perte du triple A est « une sanction de vingt ans de dérives. […] On comprend le message : la France doit maintenant agir, libérer son économie, c’est tout ce qu’on rabâche depuis des années sur la souplesse, le coût du travail. Maintenant, il faut y aller franchement, sinon c’est la Grèce qui nous attend. »

Sur France Inter, Seux ne dit pas autre chose : « La décision de Moody’s va obliger la France à bouger, à s’adapter. Sont pointées la perte de compétitivité de notre économie, les rigidités du marché du travail et des biens et services, la situation budgétaire et, c’est le plus important, notre incapacité à tenir nos promesses dans la durée, à nous réformer. » Et d’ajouter : « Le gouvernement commence à agir, Moody’s le dit, mais, on le sait, on le dit, on voit bien que le plan de compétitivité de la semaine dernière ne peut être qu’un début, pas une fin. »

Et dans un langage moins châtié, Menanteau, sur RTL, se laisse aller : « si nous ne voulons pas descendre d’un étage supplémentaire – puisque nous sommes encore sous revue négative – il va falloir entrer dans le dur, être plus sérieux, accélérer les réformes et les compléter avec plus de rigueur. L’addition, dites-vous, est à venir. » Le ton est péremptoire, et les chroniqueurs l’affirment avec aplomb : le salut de la France ne viendra qu’avec plus de « compétitivité ». C’est Menanteau qui le dit : « la compétitivité, c’est la clé. Et les rigidités, aussi, du marché du travail. » (RTL, le 20 novembre)

Mais la compétitivité n’est pas la seule clé pour ouvrir la porte du paradis libéral. En effet, le chroniqueur de RTL suggère de s’attaquer au code du travail, car « il est devenu tellement complexe et éloigné des réalités économiques qu’il exclut de facto tous ceux qui veulent y entrer. » (le 29 novembre). Pour lui, l’idéal est à chercher du côté des montagnes helvètes : « Le code du travail, c’est 3 400 pages en mouvement perpétuel. En Suisse, où 250 000 Français travaillent – et, je crois, dans de bonnes conditions –, le code du travail fait 75 pages. » De là à dire que le paradis se trouve sur les sommets des Alpes...

Enfin, si l’Allemagne est toujours un inaccessible modèle, ils vouent aussi une admiration sans limites à Mario Monti et à ses méthodes : « Sa façon d’agir, explique Seux, est un modèle du genre, réformer sans asphyxier. Disparue l’image rigide qu’il avait quand il était commissaire à la Concurrence à Bruxelles. Mario Monti a lancé deux réformes-clés : celle des retraites et celle du marché du travail. » (France Inter, le 27 novembre)

En bref et pour résumer la pensée matinale des journalistes économiques – il suffit de citer Menanteau, sur RTL –, « il y a des emplois non pourvus sur le marché du travail français. Il y a plusieurs verrous : la faible compétitivité globale de l’économie française, l’inefficacité de nos dépenses publiques, mais surtout, surtout, l’état de notre marché du travail, qui marche sur la tête. Nous avons le pire indice de flexibilité d’emploi des grands pays de l’OCDE. » (29 novembre)
***

Dominique Seux, Axel de Tarlé, Christian Menanteau, Nicolas Doze et consorts ont le droit de penser ce qu’ils pensent, et même de le dire. Le problème – toujours le même –, c’est qu’ils pensent la même chose et qu’ils le disent un peu partout. Seux intervient dans Les Echos et sur France Inter, et les journalistes des Echos se retrouvent tous les matins sur Radio Classique. Tarlé, que l’on entend sur Europe 1, collabore aussi à d’autres médias de Lagardère (Paris Match et Le Journal du dimanche) et il anime également une émission sur France 5 (« C à dire ?! »). Chroniqueur sur RMC, Doze est présent sur BFMTV et BFM Business. Etc. Cette omniprésence de la pensée libérale laisse peu d’espace à des points de vue hétérodoxes, d’autant que les invités économiques des matinales demeurent toujours les mêmes (voir nos articles précédents à ce sujet, notamment le dernier en date, « Ces économistes qui monopolisent (toujours) les débats »).

Tous, éditorialistes appointés et experts cooptés, ont alors beau jeu de prôner la rigueur permanente et de vanter aux auditeurs les bienfaits de la saignée austéritaire qu’on leur inflige. Ils bénéficient du même type de privilège que les marchés financiers dont ils redoutent tant les oukases, et dont ils se font les porte-parole dévoués face aux peuples rétifs et aux gouvernements trop peu diligents à leur goût : une irresponsabilité à peu près totale ! Quelles que soient leurs erreurs de jugement et d’analyse, sans cesse réitérées – et, surtout, quelles que soient les conséquences sociales et politiques de leurs préconisations : anémie démocratique ou paupérisation généralisée en Europe –, ils continuent de jouir de la même immunité médiatique.


http://www.acrimed.org/article3956.html
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Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 02 Jan 2013, 13:26

Arrêt sur images 02/01/2013 à 09h48
Rue89, Perdriel, et l’indépendance
Arretsurimages.net"
Daniel Schneidermann | Fondateur d'@rrêt sur images

On pourrait mieux commencer l’année. Parmi toutes sortes de mauvaises nouvelles plus bruyantes, en voici une : Rue89 quitte le syndicat de la presse en ligne, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil). Pas de gaité de cœur : les fondateurs du site y sont contraints et forcés, par le patron du Nouvel Obs, et actionnaire à 100% du site, Claude Perdriel.

Le cofondateur de Rue89, Pierre Haski, est venu l’annoncer fin décembre à ses confrères du syndicat (dont Arrêt sur images est membre fondateur). Le détonateur ? Même si Haski ne le dit pas officiellement, c’est le manifeste du Spiil, publié à l’automne dernier et qui, parmi d’autres propositions, appelle à la fin, en trois ans, des actuelles aides publiques directes à la presse.

Ce système d’aides publiques est opaque et à bout de souffle. Il maintient les médias traditionnels dans la sujétion du politique. On pourrait parfaitement décider de le supprimer, et peut-être même que la presse, le dos au mur, acculée à regagner l’adhésion de ses lecteurs, s’en porterait finalement mieux.

Mais si on le conserve, si l’Etat considère de son devoir de continuer à subventionner la presse, il faut à l’évidence le revoir, pour le re-diriger vers l’innovation, plutôt que vers la préservation des rentes. Mais cette vérité, exprimée par le Spiil, est insupportable aux dirigeants du groupe Perdriel qui, par cette mesure de rétorsion, espèrent sans doute affaiblir le jeune syndicat.

Effet d’image

En tordant le bras des fondateurs de Rue89, Perdriel affiche une souveraine indifférence à l’égard de la spécificité, au sein de son groupe, de la « ’sensibilité internet ». Etrange démarche, d’ailleurs, qui consiste, de la part de cet actionnaire, à torpiller la crédibilité du site qu’il a racheté.

Car nos amis et confrères de Rue89 (qui, chaque matin, reprennent ce billet) pourront bien assurer, comme lors du rachat du site par Perdriel en janvier dernier, que cela ne change rien à leurs valeurs, l’effet d’image de cet alignement forcé sera désastreux.

Rue89, en 2007, avait assis sa renommée en se démarquant spectaculairement des médias traditionnels (par la révélation de la censure, dans Le JDD, d’un article révélant que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté à la présidentielle). Les mêmes médias traditionnels lui rappellent aujourd’hui qu’au fond, dans l’âme d’un journal, l’actionnariat continue de compter au moins autant que le support.
Vieilles habitudes d’information

Plus de cinq ans après la création de nouveaux médias internet indépendants, il faut bien constater qu’un seul mode de financement garantit l’indépendance totale : l’achat ou l’abonnement par les internautes, lecteurs, spectateurs, et eux seuls, au détriment de tout financement publicitaire et de toute subvention directe – le vieux modèle Canard enchainé, en somme.

C’est la voie empruntée, avec quelques autres, par Arrêt sur images. Cette voie est escarpée, exigeante, et, comme le montrent par exemple les difficultés actuelles du site local Dijonscope, bien moins évidente que nous pouvions l’espérer au départ, tant les vieilles habitudes d’information ont la vie dure. Mais c’est la seule.

En passant, et pour faire la nique aux mauvaises nouvelles, un grand merci à nos abonnés pour leur fidélité toujours renouvelée. Et tous nos vœux pour une belle et indépendante année 2013.


http://www.rue89.com/2013/01/02/rue89-p ... nce-238257
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Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 10 Jan 2013, 12:56

09h15 le neuf-quinze
Pas de Porte à vendre

400 000 euros. C'est la somme que vient de refuser Didier Porte, notre Didier Porte, pour une campagne publicitaire de Peugeot. Il s'agissait (c'est lui qui le raconte, et dans Le Monde, rien que ça (1)) d'être "la voix de Peugeot", dans les pubs radio, tout au long de l'année. La proposition de départ était plus modeste: 340 000. Mais comme l'indique Didier, cette proposition était une base de négociation.

400 000 euros, 20 000 euros l'heure de travail, 50 euros le poil de barbe, cela met la valeur marchande de Didier quasiment à celle d'un demi Dany Boon (2) (le point de comparaison étant le cachet de Dany Boon pour quelques minutes dans le dernier Astérix). Pas mal, pour un type qui n'est même pas Chti, a été viré de presque partout, et n'a trouvé refuge que sur Mediapart et chez nous -ainsi que sur RTL, il est vrai. Re-visionnez toutes les chroniques de Didier (3), et songez que vous dégustez un produit de luxe (et qui se bonifiera avec le temps). Et dire que nous vous proposons cette chronique chaque semaine (ou presque, hum, le produit de luxe prend beaucoup de vacances) pour un tarif d'abonnement dérisoire !

La question qui s'impose à mon esprit mal placé est: mais pourquoi cette firme automobile est-elle allée chercher Didier Porte, alors que le marché est encombré de gagmen, de sketcheurs, de chroniqueurs, de comédiens plus ou moins rigolos, qui se baladent du plateau de Drucker à celui de Ruquier, sans parler des footballeurs, des tennismen ou des coureurs automobiles, et qui auraient accepté à toutes jambes ? Pourquoi lui ? Qu'est-ce que Peugeot (outre son immense talent bien entendu) est prêt à payer si cher en achetant la "marque" Didier Porte ? Peugeot vise-t-il le segment des automobilistes bougons et crypto-gauchistes, seuls susceptibles désormais d'acheter gaulois, et de résister à la concurrence coréenne ? Ou, plus simplement, Peugeot, qui peut se payer tout le monde, rêve-t-il d'acheter la seule substance, la seule valeur qui ne soit pas à vendre: l'intégrité ?

Sans réponse évidente à cette question torturante, savourons, pour une fois, le plaisir d'être cueillis au réveil par une bonne nouvelle. Comme le rappelle ces jours-ci le fameux manifeste de la revue XXI (4), qui déchaine toute la profession (et sera le sujet de notre émission de la semaine), le bras d'honneur, le franc et joyeux bras d'honneur, est une réponse parfaitement possible à l'emprise de la pub. Et peut-être bien la seule.
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[Coluche bras d'honneur]

(1) http://abonnes.lemonde.fr/idees/article ... _3232.html

(2) http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5494

(3) http://www.arretsurimages.net/chroniqueur.php?id=21

(4) http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5502

Daniel Schneidermann
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Messagede Nyark nyark » 25 Mar 2013, 13:47

« Unes » trash et bâclées pour concurrence effrénée

par Blaise Magnin, le 20 mars 2013

Alors que la presse quotidienne voit son lectorat décliner inexorablement, la presse hebdomadaire parvient tant bien que mal à maintenir ses ventes [1]. Mais à quel prix… Les trois principaux titres, L’Express, Le Nouvel Observateur et Le Point se livrent ainsi en « Une » à une surenchère permanente et à un racolage on ne peut plus actif pour damer le pion du « buzz » et de la polémique aux concurrents. Comme nous l’avions montré ici-même, l’islam et les musulmans fournissent une matière inépuisable pour des couv’ à sensation. Et puisque les frasques sexuelles des célébrités ne sont désormais plus cantonnées à la presse à scandale, les contrecoups de l’affaire DSK n’en finissent pas de « monter en Une » des titres dont les directeurs se défendent pourtant de toute dérive « putassière ». Mais c’est plus largement l’ensemble de l’actualité qui, retraitée dans une logique purement commerciale, est à même de fournir des « Unes » accrocheuses à coups de « révélations », de « scandales », de pseudo « enquêtes » et d’improbables « marronniers »… Passage en revue des dix dernières semaines.

1. Affaire DSK suite : le voyeurisme littéraire


Pour « annoncer la couleur » dès le début de l’année, L’Express avait consacré son premier numéro de 2013 à une énième resucée de l’affaire DSK. Autant exploiter jusqu’au bout un filon si fertile…
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C’est cependant Le Nouvel Observateur qui relance réellement l’affaire en choisissant de publier, sous couvert de littérature, les bonnes feuilles du livre désormais célèbre de Marcela Iacub portant sur la relation qu’elle a entretenue avec DSK, et surtout de porter en « Une » l’annonce d’un récit « explosif »…
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Le probablement modeste surcroît de ventes enregistré ayant ravi la hiérarchie, l’Obs récidivait 15 jours plus tard en prétextant un exercice de réflexivité et de déontologie journalistiques – malgré un encart… judiciaire couvrant la moitié de la couverture !
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L’Express, qui avait si bien commencé l’année ne pouvait rester passif plus longtemps. La même semaine, Christophe Barbier qui avait pourtant écrit et expliqué que jamais L’Express n’aurait publié les bonnes feuilles, et encore moins fait sa « Une » sur le livre de Marcela Iacub, opta donc pour cette couverture qui ajoute au suivisme et au voyeurisme, le sexisme et la confusion… Il s’en expliquera devant sa rédaction qui avait protesté officiellement en arguant sans doute, comme lors d’une précédente polémique autour d’une « Une » évoquant « les vrais coûts de l’immigration », du fait que le « buzz négatif » est… du « buzz » quand même ! Voilà qui promet pour les années à venir.
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2. Scandales et révélations

Dans cette fuite en avant commerciale, la mise en forme de l’information est primordiale et une « Une » ne se conçoit pas sans la promesse de « révélations » ou de « scandales ». Quelles que soient la teneur des informations divulguées et la qualité des enquêtes ayant permis de les obtenir, la similarité du procédé est frappante qui consiste à titrer sur une phrase « choc » prétendant révéler une quelconque « vérité » cachée… Et ce, quel que soit le sujet : l’argent public, la fiscalité, les élites politico-économiques, l’armée, l’industrie agro-alimentaire ou la santé publique.
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3. Des êtres d’exception

Le travers historiographique qui consiste à réduire l’histoire à la vie des « grands hommes » a un équivalent journalistique : celui de rabattre l’actualité sur les faits et gestes de ses vedettes du moment. Si cette personnalisation de l’information (en particulier politique) l’appauvrit considérablement et focalise l’attention médiatique sur quelques grandes figures institutionnelles, elle se prête particulièrement bien à l’élaboration de « Unes ».

Avec François Hollande, d’abord, qui réussit le tour de force d’apparaître en quelques semaines comme celui dont dépendrait tout à la fois le devenir des retraites, de la fiscalité, du mariage gay, ou de la guerre contre « l’islamisme ».
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Dans un style un rien laudateur et hagiographique, comme avec Le Point, ou plus sobre, avec L’Express qui promet en passant de dévoiler quelques « secrets », ce sont encore les états d’âme d’un seul qui sont présentés comme faisant « l’évènement ».
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Et comme L’Express tient à faire une place à « la culture » dans sa ligne éditoriale, la sortie du « livre-confession » de Johnny est l’occasion rêvée d’en faire la promotion et de consacrer à « l’icône » une couverture que ses millions de fans ne pourront ignorer…
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4. Marronniers variés

Lorsque les sujets « dignes » de figurer en « Une » viennent à manquer, heureusement la presse magazine dispose de sujets récurrents qui permettent de « dépanner ». En un peu plus de deux mois, ont déjà été passés en revue l’immobilier, une variante du palmarès des grandes écoles, ou des meilleurs lycées, et deux versions de la même « question de société » : les octogénaires qui ont l’air « jeunes » et les enfants qui tyrannisent les adultes.
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5. Hors catégorie

Pour finir, la palme de la « “Une” identitaire » est attribuée au Point, qui ne craint pas l’anachronisme en titrant sur le caractère « querelleur et vantard » d’un peuple de l’antiquité, ou en prétendant faire le point sur les dettes que nous aurions à l’égard de « nos ancêtres les Gaulois ». Une couv’ qui prend tout son sens lorsqu’on se remémore celle que Le Point consacrait en novembre dernier à « Cet islam sans gêne »…
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Notes

[1] Selon l’OJD, la « diffusion payée » de la presse « news » est en légère baisse depuis 2008, tout en se maintenant à des niveaux nettement supérieurs à la période 2001-2004.


http://www.acrimed.org/article4027.html

Tiens, c'est drôle, ils ont oublié les francs-maçons :lool:
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Re: médias

Messagede Pïérô » 01 Juil 2013, 00:35

Comment les médias cachent les raisons des grèves

Grève à la SNCF, grève de l’information sur ses motifs : le train-train
http://www.acrimed.org/article4095.html
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 09 Sep 2013, 10:31

09h15 le neuf-quinze
PV : une grève "populaire"
Qu'importe si ce lundi s'annonce pluvieux sur une grande moitié Est : France Inter a le sourire. Car ce lundi est jour de grève, mais pas n'importe laquelle : une grève des PV, lancée par le syndicat de police Alliance, pour protester contre la loi Taubira (1). Vous vous demandez de quel droit des policiers s'expriment publiquement contre un projet de loi appelé à être voté (à une date d'ailleurs encore indéterminée) par les parlementaires ? Pas France Inter, qui ne retient qu'une chose : cette grève va être "populaire".


La grève des PV, c'est la grève sympa, cool, complice, "en attendant la grève des péagistes, ou celle des inspecteurs des impôts" plaisante l'intervieweuse matinale Clara Dupont-Monod, qui a invité le chef du syndicat Alliance à dire tout le mal qu'il pense de la loi Taubira. C'est vrai ! Vive la grève des PV, qui va inciter les automobilistes à se garer sur les passages piétons, sur les places handicapés, sur les trottoirs, et à obstruer le passage des poussettes. Vive la grève des PV, la grève sympa qui va les inciter à prendre leur voiture dans les villes, plutôt que les transports en commun ou le vélo. Le PV, comme l'impôt, chacun le sait, ne sont qu'une invention diabolique visant à empoisonner les populations innocentes. Vive la grève des impôts, donc, qui pourrait vider un peu plus les caisses de l'Etat (cet Etat qui, soit dit en passant, paie les cachets de Clara Dupont-Monod).

Nul ne saurait imaginer un seul instant que Clara Dupont--Monod, journaliste présumée intelligente et éclairée puisqu'elle vient de l'hebdomadaire Marianne, adhère profondément à la niaiserie de son éloge de la grève des PV. Mais alors, pourquoi bêtifier ainsi ? Risquons une hypothèse : chargée d'une interview matinale sur France Inter, Dupont-Monod a intégré un cahier des charges implicite et inconscient (2), qui lui impose de se placer à la portée de "l'auditeur moyen". Et comment l'inconscient dupontmonesque se figure-t-il l'auditeur moyen ? Très simple : comme une sorte d'auditeur téléphonique de RMC et RTL (où elle a aussi officié (3)), mais avec un hypocrite bémol de convenance (on est quand même sur le service public). L'auditeur moyen de France Inter ne proteste pas bruyamment contre les PV, mais se contente de se réjouir intérieurement les jours de grève. Qu'il puisse être autre chose qu'un automobiliste grugeur est hors de son espace des possibles.
Image
grève PV

Certains clients de courrier électronique bloquent l'accès direct aux liens. Aussi, vous trouverez ci dessous et en clair l'ensemble des adresses web de ce présent message :

(1) http://www.arretsurimages.net/chronique ... ere-id6088

(2) http://www.arretsurimages.net/emissions ... ent-id6089

(3) http://fr.wikipedia.org/wiki/Clara_Dupont-Monod

Daniel Schneidermann
La religion est la forme la plus achevée du mépris (Raoul Vaneigem)
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Re: Critique des médias

Messagede atheus2 » 09 Sep 2013, 21:10

Je viens de lire les post sur ce sujet. La critique des médias c'est assez simple en fait : à qui appartiennent les médias ? à des industriels, des banquiers, etc... et pour le service public, il suffit de voir que c'est le président qui nomme le directeur, lui-même élu grâce à ses réseaux, ce qui lui permet de placer ses "amis" et contacts à ce genre de post clés.
TF1 et LCI -> Bouygues (industriel)
FR2 -> copie TF1 sur le fond
Canal+ et I-télé -> Vivendi (Commercial)
M6 / W9 et Cie -> BERTELSMANN (industrie des médias)

On peut faire le même constat pour la radio, les journaux : tous sont détenus par des grands groupes (Laguardère, Vivendi, Bouygues, Dassault, c a d des industriel/marchands d'arme ou Rothschild, c'est à dire des banquiers, par exemple le journal libération)

Une fois qu'on a dit ça, tout est dit. Les grands actionnaires et banquiers qui possèdent les médias utilisent ce pouvoir pour promouvoir leurs intérêts et ceux de leur réseaux, quoi de plus normal ? Une seule chose à faire : éteignez votre télé, à part certains documentaire, tout est à jeter. Les journaux sont déjà morts et la radio l'est déjà en grande partie. Reste internet, là faut faire le tri, c'est pas facile mais souvent plus instructif que les médias officiels.
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Re: Critique des médias

Messagede Roro » 09 Sep 2013, 21:49

Texte écrit pour un public plus large que juste anar. Vous étonnez donc pas de certaines phrases.

A propos du mot "complexe"...

"Vous savez, la Syrie, c'est un dossier complexe". "Vous savez, le coût du travail, les retraites, ce sont des dossiers complexes".

Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand on me dit que quelque chose est "complexe", j'ai la désagréable sensation que soit on me ment, soit on me prend pour un idiot, voire les deux en même temps. Et je n'aime pas du tout ça.

Généralement, quand on nous dit qu'un dossier est complexe, c'est une manière polie de dire "circulez, y a rien à voir". Pourtant, si le dossier est complexe, il ne doit pas être très difficile de nous expliquer, avec des mots simples, de quoi il retourne exactement. Et ce ne sont pas les supports qui manquent : journaux papier ou en ligne, sites webs, télévisions, émissions de radio.... D'ailleurs, il m'avait semblé que le boulot de certaines personne, celui des journalistes, par exemple, étaient de nous informer. Avec le mot "complexe", c'est très facile de nous informer. Tellement facile que je me demande à quoi peuvent bien encore servir les écoles de journalisme.

"Le gouvernement prévoit une réforme des retraites, qui est un sujet complexe". J'attends donc la suite que va nous révéler le ou la journaliste sur la complexité du dossier. Mais dans 99% des cas, quand le ou la journaliste a dit le mot "complexe", la phrase "on ne va donc pas rentrer dans les détails" arrive très vite. Et pourquoi donc on ne rentrerait pas dans les détails ? Nous serions donc suffisamment intelligents pour allumer nos postes de télé, acheter des journaux, mais bien trop bêtes pour comprendre cette "complexité" supposée ?

Soit les journalistes n'ont eux-même pas compris le sujet "complexe" dont ils parlent, ce qui est quelque peu inquiétant pour des gens sensés nous tenir informé; soit, plus grave, ils connaissent parfaitement le dossier en question mais ne veulent pas nous dire de quoi il retourne exactement.

Pour des gens (les journalistes, mais aussi les politiques, et plus encore les "experts" en ceci ou en cela) sensés nous informer, voire nous représenter, afin que nous, "citoyens" et "citoyennes" soyons éclairés et puissions juger en connaissance de cause, il y a comme un problème à nous dire que ceci ou cela est "complexe". Soit on nous ment volontairement, et auquel cas on peut se demander quel crédit on peut avoir envers cette clique. Soit on nous considère trop bêtes pour comprendre (comprenez : si on nous disait de quoi il retourne, on serait sans doute moins chauds pour accepter certaines réformes). Seulement, dans l'option n°2, il y a comme un problème : si les "citoyens" doivent voter en conscience et de manière éclairée pour leurs "représentants", si on ne leur dit pas tout, on peut se demander quelle est alors la légitimité des élus. Car cette légitimité est sensée, justement, reposée sur la possibilité de choisir en conscience et en connaissance de cause. Si des choses sont cachées, cela n'implique-t-il pas qu'il y a une forme de bidonnage du système électif ?

Un certain Cornelius Castoriadis a expliqué que, dans la démocratie antique athénienne, était considéré comme citoyen les personnes "capable d'être gouvernées et aptes à gouverner". L'un ne pouvait aller sans l'autre. Sommes-nous aptes à gouverner au jour d'aujourd'hui ? Peut-on gérer des problèmes "complexes" alors même que ces problèmes sont volontairement cachés ? Là est toute la question. Et c'est là aussi que se pose la question de savoir s'il convient de croire ce qu'on nous dit et d'élire nos élus. Ou bien s'il ne conviendrait pas mieux de chercher de nouveaux canaux d'informations et d'agir plutôt que de laisser des gens nous mentir et nous prendre pour des idiots tout juste bons à travailler sans rechigner, à consommer et à payer des impôts.
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Re: Critique des médias

Messagede atheus2 » 09 Sep 2013, 22:02

Soit les journalistes n'ont eux-même pas compris le sujet "complexe" dont ils parlent, ce qui est quelque peu inquiétant pour des gens sensés nous tenir informé; soit, plus grave, ils connaissent parfaitement le dossier en question mais ne veulent pas nous dire de quoi il retourne exactement.


Les journalistes sont les leches-c*l du pouvoir, c'est des gens déjà d'une qui n'ont pas fait d'étude de journalisme, c'est des types sortis de science po ou autre, donc souvent assez homogènes socialement (pour les "grands" journalistes, qui règnent en maître : les alain duhammel, pujadas, chazal, etc...) qui eux sont clairement complices et font partie prenante du système et des réseaux mafieux qui tiennent la société en laisse. Ensuite il y a les journalistes de base, qui font le boulot, et comme ils sont sous-payés et subissent de grandes pressions : soit ils ouvrent leur gueule et giclent, soit ils se la ferment et gardent leur boulot, ce qui réduit drastiquement leur esprit critique en temps de crise, parce que faut bien manger hein.

Ce qu'il y a de bien avec internet c'est que la caste journaleuse est descendue de son piédestal, peu de gens font confiance aux médias, le taux d'abstention aux élections est d'ailleurs plutôt un bon signe, car cela signifie que beaucoup de gens refusent le jeu médiatico-politique qui est de toute façon mort et condamné. Aujourd'hui tout se joue sur internet, et ça reste très libre encore aujourd'hui, on verra bien comment ça évolue.
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Re: Critique des médias

Messagede SchwàrzLucks » 09 Sep 2013, 22:52

Parce que les écoles de journalisme ne sont pas homogènes socialement peut-être ??? La "grosse culture générale" y est également prépondérante que je sache.
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Re: Critique des médias

Messagede Pïérô » 21 Sep 2013, 11:45

Dans Article 11
À ce train-là...

C’était il y a deux mois, en plein été. Suite au déraillement d’un train circulant entre Paris et Limoges, la France découvrait avec horreur que des détrousseurs de cadavres sévissaient aux portes de sa capitale. L’événement fut disséqué, commenté à toutes les sauces, discuté jusqu’à plus soif. Avant de se dégonfler comme une baudruche. Trop tard : le mal était fait.

Cette chronique a été publiée dans le numéro 13 de la version papier d’Article11, imprimé fin juillet 2013.

Il y a des faits divers qui ne le sont plus. Qui accèdent à une autre dimension. Fantasmés, idéologisés, manipulés, ils deviennent révélateurs de l’esprit du temps. La réalité des faits perd alors toute importance : pendant un temps, une forme de folie collective, à la fois médiatique et politique, anéantit toute prudence ou barrière morale. La peur et la haine se donnent à voir sans faux-semblants, ressorts mis à nu.

Peu importe qu’un brin de raison l’emporte finalement. Les images et discours énoncés à cette occasion ont été mâchés et digérés par la fantasmagorie collective. Le mal est fait.

*

Le récent emballement médiatique autour de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en vaut illustration parfaite. Faut-il rappeler de quoi il s’agit ? Le déraillement du Paris-Limoges, le 12 juillet. Six morts, onze blessés graves, émotion générale. Mais plutôt que de se pencher sur les causes de l’accident1, question d’autant plus légitime que n’y sont sans doute pas étrangers les coups de butoir portés ces dernières années à l’idée de service public, le débat collectif s’est focalisé sur le plus détestable des paravents. Un « groupe de jeunes » aurait profité du drame « pour dépouiller les victimes et notamment les premiers cadavres », assène quelques heures après le déraillement une responsable d’Alliance, syndicat à la fois policier et très marqué à droite (c’est dire s’il faut lui faire confiance...). Publiée sur le site d’Europe1, l’affirmation est reprise partout. S’ensuivent frissons d’horreur, protestations indignées et délires racistes. La mise en avant du prétendu « pillage » occulte totalement la catastrophe ferroviaire.

Savoir si deux téléphones ont, ou non, été volés dans la cohue, fût-ce à des cadavres, n’a aucun intérêt. Tenons-nous en à ce qu’écrit Le Canard Enchaîné2 : « En fait, il s’est agi d’incidents mineurs, une embrouille entre des jeunes et des secouristes, et un vol de portable sur un médecin du SAMU. » Voilà pour le « pillage »... Par contre, comprendre comment une information, dont tout indique dès le départ qu’elle relève du mensonge le plus flagrant, peut déclencher un tel délire collectif se révèle largement plus intéressant.

À la manœuvre, pas de surprise : on retrouve les boutefeux de la droite et de l’extrême-droite. Dans les médias comme sur le net, ils se jettent littéralement sur le témoignage de la responsable d’Alliance. Ils le poussent, le font leur : pour eux, qui ne cessent de se radicaliser depuis l’élection du pourtant falot Hollande, c’est comme un cadeau du ciel. Sus aux « jeunes de banlieue », à « l’immigration », à « l’ensauvagement de la France »3. Le discours n’a rien de neuf : c’est celui que l’extrême-droite martèle depuis trente ans. Sauf qu’ici, c’est tout un spectre politique qui le reprend (grosso-modo, ceux qui se situent à la droite du PS).

Les mots prononcés dans les heures et jours suivants s’appuient sur un triple implicite. D’abord : il y aurait vraiment eu des « jeunes de banlieue » pour « détrousser des cadavres », quand bien même autorités, témoins et services de secours affirment le contraire. Ceux qui auraient volé les morts sont alors ravalés au rang d’animaux ou de « barbares » : il s’agit de leur dénier toute humanité. Kosciusko-Morizet parle de « vautours », un député socialiste de « sombres crétins inhumains », le délégué général de l’UMP, Ciotti, de « nouveaux barbares », l’éditorialiste du Figaro, Rioufol, de « barbares » tout court et un chroniqueur d’Atlantico d’« hyènes et de chacals ». Cette déshumanisation permet de passer à l’étape suivante : il y a « eux » et « nous », « eux » contre « nous ». En somme, une guerre de civilisation. Sur le site du Point, un chroniqueur affirme ainsi que « les barbares sont non pas à nos portes, mais dans la cité (si j’ose dire) depuis une trentaine d’années. […] Si rien n’est fait, […] nous aurons la guerre civile, ce qui est déjà un peu le cas ». De même pour le blogueur Autheuil, très lu à droite et jusqu’alors tenant d’un (relatif) humanisme. En un billet titré « Les barbares sont à nos portes », il écrit : « Ils sont présents sur notre territoire, à moins de 30 minutes de RER du centre de Paris, et nombreux. Potentiellement, ils représentent un danger s’ils se décident à descendre en nombre sur le centre-ville, de manière un peu organisée. S’ils le font, ce ne sera certainement pas pour aider les vieilles dames à traverser... »

De la guerre à l’écroulement final, il n’y a qu’un pas. Autant que la haine de l’autre, c’est la peur de la chute que hurlent tous ces gens. Dans un pays qui perd ses apparats de puissance économique et politique, ils se rassurent de la plus basique des manières : s’en prendre aux faibles et dominés. S’y mêle un dernier élément, de l’ordre de l’ultime tabou autant que du fantasme collectif – l’atteinte au cadavre4. C’est le ressort final qui emporte toutes les barrières, donne un tour presque biblique à un simple récit crapuleux. C’est lui, surtout, qui assure une telle publicité à l’information mensongère. Le racisme et la bêtise s’appuient sur une réaction viscérale, emportant toute raison. Danger : ce Limoges-Paris va vraiment à un train d’enfer.


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1 On ne manquera pas de faire le parallèle avec l’affaire dite de Tarnac. Ce que la justice présentait alors comme une volonté de « bloquer les flux » (un simple crochet posé sur un caténaire, qui a ralenti le passage des trains pendant une heure) avait donné lieu à un incroyable remue-ménage médiatique, politique et (surtout) policier. Quand les flux sont réellement bloqués, par contre, et que six personnes perdent la vie, ces mêmes médias, politiciens et policiers semblent avoir pour seul souci de savoir si des vols ont été commis après l’accident.

2 Édition du 17 juillet.

3 Il faut noter la récente multiplication des occurrences de ce terme à l’extrême-droite. D’abord lancé par Laurent Obertone, auteur de La France Orange mécanique, ouvrage qui lie immigration et délinquance, il a été repris voilà quelques mois par Marine Le Pen, qui l’utilise depuis à toutes les sauces.

4 Il y a un évident parallèle à dresser avec « l’affaire papy Voise », manipulation médiatique et politique qui s’est produite deux jours avant le scrutin présidentiel du 21 avril 2002. Sur tous les écrans, le visage tuméfié d’un vieil homme, dont on nous disait qu’il avait été agressé par deux individus masqués l’ayant roué de coups avant de mettre le feu à sa maison (l’histoire n’a finalement jamais été tirée au clair). Là aussi, le fait divers renvoyait à un tabou ancestral : l’atteinte à la vieillesse et à l’absolue vulnérabilité.

http://www.article11.info/?A-ce-train-la
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Critique des médias

Messagede bipbip » 29 Sep 2013, 18:03

journalistes, écologie et capitalisme

Les journalistes, l’écologie et le capitalisme

On ne peut pas comprendre le traitement journalistique des enjeux environnementaux dans les médias généralistes sans interroger le rapport de la plupart des journalistes au capitalisme. Qu’il s’agisse de problèmes qualifiés de « globaux », comme les dérèglements climatiques ou l’appauvrissement de la biodiversité, ou bien de dégradations davantage « spatialisées », comme une marée noire, tous sont appréhendés par les journalistes selon des modalités qui ne questionnent pas la compatibilité des logiques capitalistes avec ce qu’implique la protection des écosystèmes.

Pourtant, l’idée selon laquelle l’accumulation illimitée du capital sur une planète aux ressources naturelles limitées est un principe non seulement amoral mais irrationnel. Cette idée semble même faire l’unanimité, des écologistes les plus radicaux (on pense ici à André Gorz) aux défenseurs de l’environnement les plus disposés à jouer le jeu capitaliste (par exemple Yann Arthus-Bertrand ou Nicolas Hulot).

On pourrait ainsi s’attendre à ce que les journalistes en charge de l’actualité environnementale entreprennent ne serait-ce que d’interroger le caractère plausible d’un capitalisme qui serait respectueux des environnements naturels. S’il arrive à certains d’entre eux, nous le verrons, de ne pas prendre pour acquise la capacité affichée du marché à di-gérer les questions environnementales, l’immense majorité des journalistes amenés à traiter d’environnement adhère à la doxa du « capitalisme vert ».

Illustrations faussement neutres et célébrations du « green business »

L’écriture journalistique suppose, dans les médias généralistes, de raconter des histoires pour illustrer l’actualité et les questions de société qu’elle soulève. Les journalistes entendent ainsi rendre « concernants » et concrets ces problèmes afin d’intéresser un public le plus large et diversifié possible. En matière d’environnement, ces cadrages qui font la part belle à l’intime, à l’empathie, aux images fortes et aux beaux récits, se traduisent bien souvent par des reportages ou des articles qui parlent des conséquences des prédations environnementales.

S’ajustant aux logiques du champ journalistique – dont on sait qu’il est depuis une trentaine d’années sous l’emprise de puissantes logiques commerciales – les journalistes racontent la perturbation des écosystèmes, le désarroi de certaines espèces animales face aux transformations de leurs milieux naturels, ou, plus rarement, les impacts de ces pollutions sur l’homme, sa santé et ses activités économiques. Nos analyses sur le traitement médiatique des enjeux climatiques en France ont ainsi montré que plus les journalistes parlent du problème climatique, plus ils parlent de ses conséquences au détriment de ses causes et solutions [1]

Cette tendance à illustrer les problèmes plutôt qu’à les expliquer n’est pas neutre, contrairement aux apparences. En écartant des discussions légitimes les motifs des nuisances environnementales, les journalistes les inscrivent dans l’ordre du fatal, de la catastrophe ou de l’accidentel et n’inclinent donc pas à penser ces dégradations comme le résultat des modes de production orientés vers la maximisation des profits.

Quand ils évoquent des responsables, les journalistes stigmatisent généralement quelques industriels – parfois jugés inconscients et irresponsables – ou renvoient à cette catégorie anonyme et insaisissable : « les activités humaines ». En se situant tantôt au niveau du cas particulier (i.e. le mouton noir industriel présenté comme l’exception devant confirmer la règle de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises), tantôt au niveau de l’universel, les journalistes évacuent du champ du pensable environnemental la question des relations entre la mécanique capitaliste et la détérioration des écosystèmes.

Ils peuvent alors s’engouffrer dans la célébration du « green business » (pour reprendre l’intitulé de l’émission « écolo » de BFM TV). Dans le droit fil du succès de l’expression « développement durable » consacrée il y a vingt ans lors du sommet de Rio, c’est depuis quelques années au tour des labels « croissance verte » ou « économie verte » de faire florès auprès des professionnels de l’information. Ces derniers annoncent, expliquent, parfois discutent et généralement banalisent les mécanismes de marché censés régler – bien souvent à grand renfort de géo-ingénierie ou autres « ingénieries écologiques » [2] – les problèmes environnementaux.

N’ayant pas forcément conscience qu’ils légitiment de la sorte la mise sous tutelle économique des politiques environnementales, les journalistes relatent les discussions d’experts dont les petits désaccords sur les modes de taxation, les bourses de quotas ou les crédits fiscaux, masquent l’ampleur de leur accord, tacite mais fondamental, sur ce mouvement d’intégration de la contrainte environnementale au logiciel néolibéral.

Mais si la grande majorité des journalistes n’estime pas utile de questionner la compatibilité des rationalités marchandes avec l’écologie, c’est également parce qu’il va de soi pour eux que le capitalisme ne peut être remis en cause au nom de l’environnement.

Une adhésion réflexe à l’idéologie dominante

La force de cet impensé tient avant tout aux liens viscéraux que les journalistes, comme un grand nombre de responsables politiques et d’intellectuels, nouent avec l’idéologie de l’accumulation illimitée du capital et des profits. Profondément enfouis dans leur for intérieur, les principes capitalistes (rentabilité, rapidité, concurrence, compétitivité, flexibilité, responsabilité individuelle, présentisme ou encore consensus, fluidité, factualité et « neutralité ») leur apparaissent comme légitimes et incontournables.

Cette adhésion irréfléchie au cadre capitaliste se perçoit bien dans la conception que les journalistes ont de ceux qui valorisent d’autres modes de développement et d’organisation des sociétés que celui structuré autour des piliers du capitalisme (dont, soit dit en passant, la forme néolibérale est sans doute la plus aboutie).

Rares, ces reportages ou articles présentent généralement l’alternative écologique sur le registre de l’exotisme ou de l’expérience originale et sympathique. Ainsi, le 17 septembre 2007 sur France 2, David Pujadas annonce un reportage visant non pas à présenter les arguments et motivations politiques de ces « militants de l’environnement (qui) poussent leur conviction jusqu’au bout », mais à se demander s’il s’agit d’une « nouvelle utopie ou (d’une) tendance profonde », la réponse étant contenue dans la question.

Ce type de traitement – qui confine ces pratiques et organisations alternatives à des singularités atypiques dépourvues de toute réflexion cohérente et consistante – a pour effet de rendre leur démultiplication impensable. En creux, cela revient à affirmer que le modèle capitaliste est indépassable, d’autant que le jeu se jouerait désormais à l’échelle de la planète.

Cette médiatisation condescendante des alternatives au capitalisme est également un symptôme de la difficulté des professionnels de l’information à élargir l’horizon du pensable au-delà des remparts du capital et de la forteresse des profits. Car la disqualification implicitement contenue dans la façon dont ils dépeignent ces autres modes d’organisation sociale n’est pas intentionnelle. Et c’est en cela qu’elle est d’autant plus solide dans la mesure où elle est le fruit de dispositions solidement arrimées, lesquelles sont de plus en plus souvent renforcées au cours de la formation de ces journalistes.

Ces derniers sont en effet toujours plus nombreux à passer par le lissage des écoles de journalisme où la « culture » qui est valorisée, aussi générale soit-elle, ne s’acoquine que très occasionnellement avec des courants de pensée alternatifs.

Quête de légitimité et subordination aux sources officielles

En matière environnementale, l’univers intellectuel des journalistes est principalement constitué d’ouvrages dits d’expertise. Écrits par des scientifiques ou des ingénieurs, ces textes ne sont pas destinés à expliciter les causes politiques et économiques des problèmes environnementaux. Et lorsqu’ils sont le fait d’économistes, leurs propos et propositions ont plus souvent pour postulat l’irréductibilité du système capitaliste que son possible dépassement par une autre matrice sociale [3].

Le conformisme médiatique ambiant n’est donc pas le fait du seul champ journalistique. Il se façonne avant tout à travers un ensemble de relations au sein duquel l’accès à la dignité suppose de ne pas contester imprudemment un modèle qui permettrait au plus grand nombre d’accéder au confort, au bonheur ou à une espérance de vie plus longue.

Tout se passe en effet comme si le capitalisme était le seul régime capable d’améliorer le bien-être général dont les critères gagneraient d’ailleurs à être explicités dans tous leurs tenants et aboutissants. En effet, ce qui est présenté comme un progrès au service du bonheur de tou-te-s implique parfois le malheur de beaucoup (cf. encore les polémiques récentes à propos des ouvriers bangladais.), peut engendrer des nuisances environnementales à moyen ou long terme pas toujours bien anticipées (que l’on songe ici à l’amiante ou aux antennes relais) et, dans les faits, ne profite bien souvent qu’à une minorité (cf. par exemple les coûts du TGV qui rend ce mode de transport souvent inaccessible pour les membres des classes inférieures voire moyennes). Reste qu’aller contre le sens de ce courant idéologique, c’est – pour un journaliste – prendre le risque de se discréditer tant auprès des sources officielles qu’auprès de ses confrères.

Les sources autorisées faisant toujours autorité, un article ou un reportage sur une actualité environnementale a d’autant plus de chances d’être valorisé au sein d’une rédaction qu’il s’appuie sur des sources officielles – ministère, agences, collectivités ou experts d’État (sur le poids des sources autorisées dans la fabrique de l’information, nous renvoyons aux travaux d’Aeron Davis [4]). Avec les scientifiques, ce sont bien ces acteurs que l’on rencontre le plus souvent dans les productions journalistiques traitant d’environnement. Or il est peu probable qu’un journaliste donnant la parole à un représentant de l’État, lequel (en l’état actuel des choses) est par définition un promoteur du « capitalisme vert », en vienne, dans le même texte, à exposer un point de vue dénonçant les « limythes » de la « croissance verte » ou de « l’ingénierie écologique » pour suggérer de questionner la viabilité environnementale du capitalisme.

Sommés d’entretenir de bonnes relations avec les sources officielles, les journalistes se trouvent cantonnés à ce qui est dicible du point de vue des acteurs dominants. En d’autres termes, ils ne peuvent pas vraiment médiatiser des points de vue que ceux-ci jugeraient inconcevables.

Ces logiques de censures invisibles sont sans doute particulièrement prégnantes en matière d’écologie dans la mesure où la préoccupation environnementale a fait l’objet de stigmates ayant pu freiner sa légitimation. Il y a encore quelques années, le journaliste soucieux d’environnement était associé tantôt au romantique ami des bêtes, tantôt à l’utopiste barbu ayant erré sur les causses du Larzac. Pour gagner en reconnaissance, les journalistes en charge des dossiers environnementaux ont donc dû défaire cette réputation. Pour cela, ils se sont justement appuyés sur ces sources officielles, lesquelles souffraient également d’un manque de crédit symbolique.

Cet anoblissement de l’écologie – qui s’est précipité à la fin des années 1990 – s’est accompagné d’un gommage des critiques politiques découlant des diagnostics annonçant la dégradation profonde et rapide de la planète. Pour devenir médiatique, pour devenir un objet de gouvernement majeur, la cause écologique a ainsi dû abandonner une de ses principales ambitions idéologiques, celle consistant à montrer pourquoi le capitalisme est une réalité insoutenable, une réalité à dépasser, une réalité redevenue utopie.

Des postures journalistiques en voie d’extinction

La mise en conformité de l’écologie avec les cadres de pensée légitimes dans les champs politique et médiatique ne fait toutefois pas consensus au sein des professionnels des médias. Elle est surtout le fait de journalistes qui sont arrivés sur cette spécialité moins par conviction que parce qu’on leur a proposé.

Ces nouveaux entrants dans le journalisme environnemental se révèlent moins sensibles aux enjeux politiques de l’écologie que les journalistes ayant délibérément choisi de couvrir ce domaine, mais plus soucieux qu’eux de faire valoir leur spécialisation. Ce faisant, ils se détournent des sources militantes et donc des conceptions non-marchandes du monde portées par ces acteurs.

Cela n’empêche bien entendu pas ces journalistes de médiatiser, ça et là, des réalités inacceptables du point de vue environnemental. L’article intitulé « La vie gâchée des objets » et publié dans l’édition du 28 octobre 2012 de Libération offre un bon exemple de dénonciation médiatique des dérives du capitalisme. La journaliste s’indigne des principes de l’obsolescence programmée en reprenant notamment des cas étudiés dans le documentaire « Prêt à jeter » [5]. Elle en vient ainsi à plaider pour un retour à un bon sens qui serait désormais en perdition : « Et, soyons fous, pourquoi ne pas concevoir dès le départ des articles durables ? ».

Mais le bon sens écologique ne semble pas, ici comme ailleurs, être en mesure de rivaliser avec le bon sens économique. Plutôt qu’un encouragement à lutter pour imposer ce qui semble aller de soi étant donné l’état de la planète, l’article prend une toute autre position. Son auteure préfère rappeler le lecteur à l’ordre politico-économique des organisations supranationales et des groupes de pression, le tout mâtiné d’une pointe de moralisation à l’égard des excès consuméristes : « Le combat contre l’obsolescence programmée, moteur du redressement productif cher à Montebourg ? Voilà qui serait révolutionnaire. Mais rien ne pourra se faire sans le concours de Bruxelles, où la Commission européenne explore des pistes (comme le chargeur de portable universel) en se heurtant au lobbying des fabricants. Ni sans celui des consommateurs. A quand la fin des adorations nocturnes devant les Apple Stores à chaque nouvel accouchement d’un objet mort-né ? »

La censure n’est jamais totale et les points de vue critiques ne sont pas totalement absents des médias généralistes. Il faut toutefois se méfier de ces coups d’éclat dénonciateurs dont le caractère occasionnel a plus pour effet de désamorcer la critique que d’amorcer une nouvelle vision des rapports entre le capitalisme et la protection de l’environnement. Loin de s’inscrire dans des rubriques pouvant garantir une visibilité régulière aux opinions contestant le cadre capitaliste, les articles et reportages relayant épisodiquement ces visions ont vraisemblablement pour conséquence d’apaiser les mécontentements – en leur offrant de temps à autre une tribune pouvant jouer un rôle cathartique – tout en maintenant, du fait de cette non routinisation, les alternatives aux marges de ce qui est (« sérieusement ») envisageable.

Cette logique du « on ne peut pas ne pas en parler, il faut donc en parler mais pas trop » contribue aux mécanismes d’ « endogénéisation d’une partie de la critique » (Boltanski, Chiapello, 1999, p. 69), qui permettent aux logiques capitalistes d’évoluer sans cesse en contournant, en désarmant, voire en intégrant la contestation.

Face à l’arrivée de journalistes séduits par le « capitalisme vert » ainsi qu’à la folklorisation des alternatives aux logiques marchandes, les postures (i.e. des attitudes régulières) mettant à distance la doxa capitaliste deviennent bien rares dans les médias généralistes. Elles n’ont toutefois pas entièrement disparu. Hervé Kempf, diplômé de l’IEP de Paris dans les années 1980 et co-fondateur en 1989 du mensuel Reporterre, représente aujourd’hui une espèce certes en voie d’extinction dans le champ médiatique mais qui continue d’alimenter la diversité des opinions et le pluralisme de l’information.

Journaliste environnement au Monde depuis 1998, il parvient à exprimer des positions contestant l’impérialisme des hérauts du marché. Si, pour défendre ses opinions, il privilégie la publication d’essais [6], il lui arrive aussi d’exposer ses points de vue dans son journal comme avec cette chronique de l’édition du Monde du 1er mars 2010 intitulée « L’imposture croissanciste ». Hervé Kempf y invite ses lecteurs à douter des discours faisant de la croissance économique l’objectif ultime de toute action politique.

Plus, il en pointe deux mirages pour mieux rappeler l’urgence de ne plus faire passer l’écologie après l’économie : « La croyance dans les bienfaits de la croissance est-elle un dogme ? Je laisse ce point à la sagacité des lecteurs. En tant qu’objecteur de croissance, notons que deux illusions animent les croissancistes (…) Eh oui : on créera plus d’emplois en accordant plus d’importance à l’écologie. Encore faut-il reconnaître la gravité du changement climatique et la crise écologique. »

S’ils pèsent peu numériquement, les journalistes qui comme M. Kempf s’affranchissent de la doxa capitaliste ont en revanche un poids symbolique qui n’est pas négligeable. Par les sources ou références qu’ils mobilisent et donc par l’orientation qu’ils donnent à leurs productions, ces journalistes rappellent que d’autres points de vue existent et méritent d’être considérés avec sérieux. Ils montrent qu’un autre journalisme est possible.

Les faux semblants de l’objectivité journalistique

Cette autre manière de concevoir la production de l’information se caractérise par le souci de ne jamais cesser d’interroger un système de croyances dominant, en l’occurrence le capitalisme. Ce refus de considérer comme définitive cette idéologie relève d’une préoccupation éthique consistant à ne pas se satisfaire du prêt-à-penser déversé par les intellectuels organiques du néolibéralisme. Une telle posture vient ainsi signaler en creux les faux semblants de l’objectivité dont se targuent la plupart des journalistes.

Car peut-on être objectif tout en étant pensé par l’esprit du capitalisme, ou pour le dire autrement, tout en proposant des analyses encastrées dans le dogme de la concurrence libre et non faussée ? De même que pour penser l’État, il faut s’affranchir de la pensée d’État [7], pour comprendre les sociétés capitalistes le plus objectivement possible, ne faut-il pas se défaire des catégories d’analyse et modes de raisonnement capitalistes ?

À bien des égards, ne pas remettre en cause l’esprit du capitalisme, c’est le considérer pour acquis et donc prendre parti en sa faveur. Lorsqu’un journaliste fait valoir, conformément à sa culture professionnelle, son objectivité – parce qu’il croise ses sources, vérifie son information et rend visible des points de vue divergents – il convient donc de lui demander s’il serait prêt à détacher l’actualité de l’arrière-plan capitaliste auquel elle est quasi systématiquement adossée. Si la réponse est négative, il y a tout lieu d’être perplexe quant à son objectivité.

Ce que révèle la médiatisation des enjeux environnementaux, c’est donc surtout la dépendance des professionnels de l’information à la doxa capitaliste. Or cet attachement ne leur permet pas d’aborder objectivement les problèmes qu’ils rendent visibles. S’ils veulent être le « contre-pouvoir » qu’ils prétendent constituer, alors les journalistes ne doivent-ils pas avoir le courage de questionner leurs convictions les plus profondes, celles qui les empêchent de voir que d’autres visions du monde existent en dehors de l’étroit moule capitaliste ? N’est-ce pas à ce prix qu’ils pourront penser autrement les causes des problèmes en général et de la destruction de la nature en particulier ?

Jean-Baptiste Comby


Notes

[1] Jean-Baptiste Comby, « Quand l’environnement devient médiatique. Conditions et effets de l’institutionnalisation d’une spécialité journalistique », Réseaux, décembre 2009, n°157-158, pp.159-190.

[2] Ces « solutions dignes de films de science fiction » et ces « projets un peu fous » (pour reprendre deux expressions des journalistes ayant couvert ce type d’initiatives) correspondent par exemple à l’envoi dans l’espace d’un bouclier composé d’une myriade de petits miroirs capables de réfléchir les rayons du soleil ou à la diffusion de soufre dans l’atmosphère pour blanchir le ciel également dans un but de réverbération solaire (reportage diffusé sur France 2 le 16 octobre 2007). Il s’agit, à chaque fois, de s’en remettre aux miracles du « progrès » technique pour résoudre les problèmes environnementaux sans, donc, avoir à changer de système et de logiques de production.

[3] Un exemple de ces ouvrages pouvant devenir des références pour les journalistes est le livre publié par deux anciens polytechniciens aujourd’hui conseillers du prince : Alain Grandjean, Jean-Marc Jancovici, Le plein, s’il vous plaît. La solution au problème de l’énergie, Le Seuil, Paris, 2006.

[4] Notamment : Aeron Davis, Public Relations Democracy : Public Relations, Politics, and the Mass Media in Britain, Manchester University Press, 2002

[5] Réalisé en 2010 par Cosima Dannoritzer, diffusé sur Arte.

[6] Par exemple : Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète, Paris, Le Seuil, 2007 ; Hervé Kempf, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Paris, Le Seuil, 2009.

[7] P. Bourdieu, Sur l’État, Paris, Seuil, 2012.

http://www.acrimed.org/article4139.html
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Re: Critique des médias

Messagede Nyark nyark » 14 Oct 2013, 13:12

09h15 le neuf-quinze
Laurent Lopez, le diable endimanché

Ne m'appelez pas Madame, appelez-moi Mademoiselle. Elle débute, Clara Dupont-Monod, sur France Inter. Elle ne connait pas encore toutes les impasses, dans l'art d'interviewer ce diable endimanché, qu'est un dirigeant frontiste. Elle ne sait pas que le rappel des dérapages du père, ou les évocations du Mussolini, ça ne marche pas en 2013 avec Laurent Lopez, vainqueur de la cantonale de Brignoles. Pas plus que de lui faire remarquer qu'il est endimanché -en traduction Dupont-Monod, ça donne cette question ingénue : "représentez-vous le FN fréquentable ?" Elle ne sait pas qu'un dirigeant FN est une savonnette, qu'il a réponse à tout, que n'importe quelle paire de gros sabots d'intervieweur est immédiatement re-balancée à son propriétaire. Elle cherche à toute force des trucs, des répliques, des victoires. Et elle laisse passer les points qu'elle pourrait marquer. Elle fait remarquer à Lopez qu'élu éventuellement maire de Brignoles, il sera donc cumulard, mais ne lui demande pas s'il démissionnera alors d'un de ses deux mandats. Elle pose sa voix sur le rôle de la bobo parisienne contre la France profonde, rôle créé sur la même scène par Pascale Clark, mais elle ne maitrise pas encore l'improvisation diabolique. Et ça donne cette réplique à l'autre, qui la bombarde de "Madame". "Pas Madame, Mademoiselle". Alors l'autre endimanché, au téléphone depuis Brignoles : "je veux bien y consentir". Comme le diable est galant homme !

Outre qu'il est galant homme, le diable a un "regard noisette". C'est une consoeur du Monde, Raphaëlle Bacqué, qui le décrivait ainsi, dans un reportage de la semaine dernière. Qu'il est craquant, ce diable, avec son "regard noisette". A la différence de Dupont-Monod, Bacqué, on le sent, n'a pas convoqué devant le candidat les vieux fantômes lepénistes. Elle a, elle, les deux pieds en 2013. Elle est dans le post-lepénisme. Si un jour le FN devait arriver au pouvoir, on sent bien qu'elle continuerait d'effectuer son métier comme avant, d'éclairer les coulisses de l'Enfer, de révéler les petits secrets des diablesses et des diablotins, comme si de rien n'était.

Mais alors, que veux-tu, matinaute ? Comment traiter le sujet, si la diabolisation ne fonctionne pas davantage que la banalisation ? Brandir des gousses d'ail à la face du diable ne te convient pas, pas davantage que de cajoler l'endimanché. Soit. Mais alors ? Alors le matinaute n'a pas de potion magique. Pas d'autre recette que celle-ci : rien n'oblige à traiter d'une cantonale partielle comme s'il s'agissait d'éléctions générales. Rien n'oblige les chaînes d'info continue à tenir la France en haleine à 20 Heures, rien n'oblige les 20 Heures à ouvrir sur une cantonale partielle du Var, ni les radios du lendemain matin à inviter le vainqueur. Rien n'oblige les journalistes parisiens à écarquiller leurs yeux d'amnésiques devant cette stupéfiante nouveauté : on vote FN en PACA. Un traitement moins hystérique de cette zone érogène de la politique française (1) qu'est le lepénisme n'éliminerait certes pas la difficulté. Mais il la cantonnerait.

(1) http://www.arretsurimages.net/dossier.php?id=243

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