De l’information et de la lecture de l’information

De l’information et de la lecture de l’information

Messagede digger » 30 Déc 2011, 12:38

J’ai pratiquement arrêté la lecture d’ouvrages théoriques. Il ne se passe pas grand chose de neuf dans le domaine. Je ne m’en sers plus que comme ressource ponctuelle pour comprendre ou resituer une information dans son contexte.

Ce qui attire davantage mon intérêt c’est ce qui se passe et ce qui se dit ici où là. Et généralement, mes centres d’intérêt sont inversement proportionnels à la couverture médiatique qu’ils engendrent.
Si nous sommes si souvent surpris par des évènements que nous n’avons pas vu venir, c’est que nous n’avons pas su, la plupart du temps, en lire les prémisses dans le flot continu d’informations, ou de désinformation.

Et, au contraire, les prévisions visionnaires, telles les annonces de fins du monde, tombent généralement à plat.

Il est bien sûr impossible, même à plein temps, de suivre les évènements dans toutes les parties du monde. Celle ou celui qui s’essaierait à cet exercice n’en serait d’ailleurs pas mieux informéE. Il/elle croulerait sous une masse d’informations impossibles à décrypter. Le problème n’est pas la collecte des informations, mais leur lecture. Il existe ainsi des machines aux grandes oreilles capables d’intercepter et d’enregistrer une masse considérable d’informations circulant sur internet. Le problème, c’est que le traitement de cette information nécessite une masse toute aussi considérable de personnes pour sa lecture, même si un premier tri est effectué à partir de mots clefs de provenances, ou d’autres critères.

Je préfère, pour cette raison, suivre un événement dans sa durée et essayer d’en comprendre les origines, la nature et ses perspectives, au risque d’apparaitre comme faisant une fixation sur un sujet qui peut être considéré par beaucoup comme secondaire ou sans intérêt. Mais mon intérêt n’est pas du au fait que je pense que l’évènement en question va bouleverser l’état du monde ou d’un pays – je ne suis pas devin – mais au fait qu’il révèle un certain nombre d’informations sur des formes de pensées ou d’actions nouvelles, ou de nouvelles formes d’expressions d’idées plus anciennes, remises au goût du jour suite à une prise de conscience dans certaines couches sociales.

Mon laboratoire préféré est les Etats-Unis. Non pas qu’il s’y passe obligatoirement des choses plus intéressantes qu’ailleurs, ou que la société américaines est plus révélatrice de certains phénomènes que d’autres, mais tout simplement parce que je suis plus familier avec l’histoire et la culture américaines, par intérêt personnel, que disons la culture africaine ou d’Europe de l’Est. Et que suite à des recherches personnelles, j’ai créé quelques liens vers qui je peux me retourner pour avoir leur opinion sur un sujet préçis.

Lorsque le mouvement des occupations est né aux Etats-Unis, je ne savais trop quoi en penser. C’est Devra, une amie américaine qui m’a donné la clef en premier. Pas pas une longue analyse, juste quelque chose du genre : "n’oublie pas que pour l’américain moyen, manifester sur un trottoir était hier encore un acte inimaginable.". Il se passait bien "quelque chose".
Inversement quand le mouvement contre la réforme des retraites est apparu à l’automne dernier, mes antennes se sont aussi déployées et j’ai dit aux amis américains qu’il se passait "quelque chose" en France. J’ai fait un flop terrible. Et ils avaient raison mais je n’avais pas le recul du jugement, plus acteur qu’observateur.

Il se passe partout des évènements qui influeront ou non sur l’évolution du monde. Je sais ce qui se passe en Egypte ou en Russie, mais je suis incapable de décrypter l’information, autrement qu’intuitivement ou "idéologiquement". C’est une "bonne chose" que les égyptiens se soient révoltés contre Moubarak hier et contre l’armée aujourd’hui. C’est une "bonne chose" que les russes se révoltent contre Poutine. Et puis après ? C’était aussi une bonne chose que les iraniens se révoltent contre le Shah. Il se passe "quelque chose" mais quoi ?

Aux Etats-Unis, je peux comprendre et interpréter l’information à partir de données collectées directement depuis les années 60 et indirectement depuis pratiquement la création du pays, tâche d’autant plus facile que c’est un "jeune" pays. En Afrique, il vous faudra comprendre les relations tribales remontant à des siècles pour commencer à comprendre les équilibres et les rapports de forces politiques à l’intérieur d’un pays.

Voir unE américainE manifester au milieu de la rue démontre une évolution et une situation aussi porteuse de perspectives qu’unE manifestantE françaisE perchéE sur une barricade et jetant un pavé
à la tête d’un CRS. Si l’on ne dispose pas de cette clef de lecture, il ne se passe rien aux Etats-Unis.
Pour les médias européens, mises à part les vagues d’expulsions spectaculaires des campements qui ont fourni quelques images folkloriques, les Etats-Unis mériteront une attention lorsque la campagne électorale aura débutée.

Même pour celles et ceux qui ne font pas confiance aux médias, l’importance de l’évènement est souvent proportionnel à son aspect spectaculaire. Un exemple en est le gazage des étudiantEs à l’Université de Californie Davis. Les images ont fait le tour du monde et ont inspiré des tas de détournements artistiques. Cela montre que l’art situationniste du détournement reste vivant, ce qui a précisément échappé à la plupart des observateurs, notamment jeunes. Pour le reste, cette vidéo d’un fait isolé dans son contexte et sa signification réelle n’a aucune valeur informative directe et n’a en rien modifié le cours des évènements. Elle aurait pu le faire, en déclenchant le signal de la révolte dans les universités américaines qui peinent à adhérer au mouvement social actuel. Et le fait même qu’il n’en a rien été est une source d’information. Mais ce genre d’information "indirecte" ne fera l’objet d’aucune analyse.

C’est le spectacle, qui répond ou non aux normes de notre imagerie révolutionnaire, qui indiquera le degré de "sérieux" des évènements. Pour reprendre mon image, unE manifestantE américainE au milieu de la rue est un non-évènement. Un étudiant gazé sur un campus est un événement.

Je ne vais pas me livrer à un décryptage en règle du mouvement des occupations mais voici un autre exemple parlant. L’opposition aux expulsions de maisons hypothéquées saisies par les banques. Ce sujet est peu ou pas abordé par les médias, à tort. C’est un bouleversement révolutionnaire dans la mentalité de l’américainE moyenNNE. Les expulsions ne sont pas un phénomène nouveau aux Etats-Unis. Ce qui est nouveau, c’est l’état d’esprit qui les entoure. Hier, c’était un acte honteux de se faire expulser. La famille expulsée avait failli aux yeux de la société, incapable de répondre aux critères du mythe du Rêve Américain. La victime était le coupable. La famille, la nuit venue, pour ne pas être vue des voisins, chargeait la voiture, barricadait la maison, et s’évanouissait dans la nature. Le mouvement d’occupation a fait d’une situation honteuse un exemple d’injustice sociale. La victime s’est sentie capable de se présenter comme victime d’un acte de vol. Le coupable était la banque.

Quand la classe exploitée prend conscience que son statut social est du non pas à son incapacité prétendue mais au fait de son exploitation même, alors il y a situation pré-révolutionnaire, sans qu’il y a besoin d’une rhétorique révolutionnaire et de barricades dans les rues.
digger
 
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Re: De l’information et de la lecture de l’information

Messagede indignados » 06 Mai 2012, 22:25

Je te rejoinds dessus Digger

J'ai une méconnaissance, je pense des ouvrages théoriques, n'ayant pas eu le temps de tous les lires

Mais je m'intéresse a la géopolitique, politique et économie ( dans le sens de la gestion de la cité) et j'essaye de faire lien entre connaissances théoriques et les conséquences.

Il ne faut, je pense garder un équilibre entre débat théorique et ouverture d'esprit, pour ne pas s'enfermer.
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