Tunisie, Algérie, Égypte, Libye,… LA GRANDE FRUSTRATION

Tunisie, Algérie, Égypte, Libye,… LA GRANDE FRUSTRATION

Messagede fabou » 06 Mar 2011, 23:44

Texte de Patrick Mignard, sur le site de l'En Dehors

LA GRANDE FRUSTRATION

Tunisie, Algérie, Égypte, Libye,… depuis des semaines, devant son poste de télévision, quel manifestant français ne s’est pas senti, à la fois enthousiaste, mais aussi un peu frustré, devant la détermination et l’illusion de l’efficacité de ces manifestations ?

Les médias, toujours en manque de sensations commercialement monnayables, en rajoutent – moments « historiques », « révolutions »,…. Tout dans les superlatifs ! Bref, de quoi donner le tournis aux modestes et impuissants manifestants que nous sommes.

LA VISION MEDIATIQUE DE L’HISTOIRE

Pour les médias, il faut de la violence, du sang, du cul… à défaut de cela ils se contentent de l’émotion et du sensationnel… Et l’émotion et le sensationnel, ils sont passés maîtres dans l’art de leur fabrication.

L’usage du superlatif dans toute les descriptions est donc de rigueur et aide à la mise en condition du téléspectateur, ce qui est d’autant plus important que les plages publicitaires, qui coupent les différents reportages à la mode, se multiplient et voient leurs tarifs s’envoler. Le sens des affaires ne perd pas ses droits… même, et surtout, quand l’Histoire s’accélère. L’Histoire « marchandisée »,… il fallait le faire,… nos médias s’y emploient avec talent.

La puissance de l’image dépasse le cadre de l’esthétique pour devenir du politique. Qui n’a pas vu en surimpression dans les images venant des pays en effervescence, au choix, qui la Prise de la Bastille, la Prise du Palais d’Hiver, voire la Chute du Mur de Berlin ?…

L’Histoire qui se fait,… avec la télé en continu,… c’est comme si on y était ! D’ailleurs n’y est-on pas ?... Mis à part que, lorsqu’on éteint son poste, on se retrouve « gros Jean comme devant »,… aussi con qu’avant, avec ses problèmes… Alors on se met à rêver,… rêver de faire comme là-bas, un peu comme on dit « Le couscous comme là-bas ! ». Oui mais,… on est ici !

Les soit disantes « révolutions » en Tunisie, en Égypte, en Libye,… font ressurgir les vieux fantasmes de toutes celles et tous ceux qui veulent vivre « leur » révolution. On avait connu ça à l’époque de la décolonisation et du castrisme,… Et voilà qu’aujourd’hui, celles et ceux qui, dans leur jeunesse, avaient connu ça, reprennent l’espoir de voir une révolution en France avant de mourir.

LE MYTHE REPUBLICAIN

Qui n’a pas inconsciemment, et même consciemment, comparé les grandes manifs tunisiennes, égyptiennes,… aux grandes manifestations que nous avons connu cet hiver contre la réforme des retraites ? On pouvait même entendre, dans certains milieux, et en tendant bien l’oreille : « Mais qu’est ce que l’on attend ? »

Tous ces régimes du Moyen Orient qui voient leurs bases ébranlées par une révolte populaire sont, pour la plupart, des « républiques » - Égypte, Tunisie, Algérie, Libye.

Il est de notoriété publique que derrière le terme de République on peut mettre tout et n’importe quoi,… et les classes dirigeantes – partout dans le monde - ne se sont pas gênées. Ces régimes « républicains » sont ainsi remis en question, ébranlés par la violence populaire.

Pourtant chez nous, rien ne se passe, ou pas grand-chose,… et même mieux, nos régimes, en Europe, après avoir collaboré honteusement avec ces régimes, les laissent tomber (après quelques hésitations il est vrai !), et vont même montrer la voix aux « révolutionnaires » : le peuple désire la Liberté.

Il y aurait donc des bonnes « républiques » comme chez nous et des « mauvaises ».

Les « républiques/monarchies républicaines occidentales » n’ont pas l’air de paniquer concernant le vent de révolte qui souffle sur les pays arabes, sinon le risque de déstabilisation qui perturberait les « affaires ». Mais il n’y a pas que ça dans cette attitude, il y a aussi un message politique que l’on peut résumer de la manière suivante : ces peuples opprimés par des dictatures « républicaines » (on le reconnait enfin !) aspirent à un changement, à une démocratie – explicitement et implicitement sous entendu, comme la nôtre.

Pourquoi tant d’assurance ? Pour ne raison simple : le système politique donne l’illusion du fonctionnement démocratique.

Le système électoral est une extraordinaire machine à désamorcer les conflits, à en faire de simples questions techniques qui,… à l’extrême trouvent leurs solutions dans l’élection.

Exemple en France : la classe politique est entrain de nous mitonner une élection présidentielle où les candidats sont nommés de fait par les bureaucraties des partis politiques, où le bon peuple est soumis à un véritablement bombardement médiatique à propos des candidats, et dont on sait que, quel que soit l’élu,… rien ne changera.

La différence entre des pays comme la France et ces « républiques dictatoriales », c’est que ici, les apparences sont sauves, l’illusion est parfaite. Dans ces conditions, même l’utilisation de la force donne l’illusion de l’équité, de la justesse et du bon droit.

Certes, les marges de manœuvres des politiciens sont beaucoup moins importantes dans ces « républiques démocratiques » que dans les « républiques dictatoriales », mais cela ne les empêche pas de bénéficier de privilèges exorbitants et de se livrer à des petites et grandes affaires,… même parfois avec les « dictatures. Des exemples, des noms ?

Sans parler du « milieu des affaires » qui ne change pas d’un iota.

Ce que perdent les politiciens en marges de manœuvres pour leurs affaires, ils le gagnent en stabilité du régime. Le calcul n’est pas stupide.

LE MYTHE REVOLUTIONNAIRE

Alors,… révolution ?

Bien sûr que non. Juste une révolte populaire contre la dictature, pour la Liberté de communiquer, de circuler. Révolte juste, honorable, légitime,… Une révolte positive, permettant sûrement de mieux vivre,…mais finalement une simple révolte.

Le résultat ? On peut le prévoir sans crainte d’erreur,… dans le meilleur des cas la reprise du même système avec quelques variantes. Les faits les plus scandaleux gommés, une liberté d’expression, la mis en place d’une classe politique classique, avec quelques anciens collabos reconvertis à la « démocratie », une corruption et népotisme « acceptables » (comme chez nous), un système de partis qui va s’autonomiser et gérer les contradictions sociales à coup de propagande officielle, de réformes plus ou moins rapides, plus ou moins conjoncturelles et d’élections orientées. Mais rien de fondamental, rien sur les inégalités, la répartition des richesses, l’intégration sociale,…

Tout cela n’est pas nouveau. Nous avons vu ça en Russie, en Roumanie,… bref dans les anciens pays de l’Est qui, miraculeusement sont devenus fréquentables et dont on peut voir l’évolution catastrophique et leur intégration dans le système marchand mondialisé.

Les révoltes passent, les politiciens deviennent interchangeables, la propagande politique parle de valeurs, de droits de l’homme,… mais les problèmes, les vrais, demeurent.

Un processus révolutionnaire c’est le remplacement d’un système de rapports sociaux, par un autre type de rapports sociaux, et ce changement est fondé sur des valeurs, des structures alternatives, assumées collectivement, permettant d’assurer la transition. Or, de tout cela, rien du tout dans les révoltes des pays arabes. L’évolution manipulée par des bureaucrates (dont beaucoup de l’ancien régime) de la « révolution » tunisienne et égyptienne, en dit long sur ce qui se construit politiquement et socialement dans ces pays.

Le bon peuple va pouvoir dépasser sa frustration dans les discours lénifiants des politiciens qui préparent, activement en France, et dans les autres pays européens, les prochaines échéances électorales.

Citoyenne, citoyen, ne descend pas dans la rue, la vérité va t’arriver par la télévision et ta voix sera exprimée dans le vote par lequel on va t’expliquer que tu peux construire ton avenir. Tu l’as cru jusqu’à présent… et tu vas continuer à le croire.

« La dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ! »

Patrick Mignard.
Avatar de l’utilisateur-trice
fabou
 
Messages: 582
Enregistré le: 12 Oct 2008, 18:12
Localisation: Millau

Re: Tunisie, Algérie, Égypte, Libye,… LA GRANDE FRUSTRATION

Messagede Pïérô » 07 Mar 2011, 03:28

Mignard fait sa leçon de la semaine sur le fait que les médias parlent à tort de révolution là où il ne verrait que révolte limitée à une recherche de démocratie dans le cadre de la démocratie bourgeoise, avec quelque chose que je partage mais qui me gène aussi beaucoup sous un autre angle parce qu'il enterre toute capacité au dépassement et toute dynamique révolutionnaire à des mouvement qui pourtant portent en leur sein des véléités pour une transformation sociale réelle. Du coup je reprends le texte de nemo3637, mis dans la rubrique "international", parce que ce n'est pas le même angle de vue :


Du Tout-Monde, de l’Afrique, pour revenir en Martinique.

Les évènements qui bouleversent l’Afrique du nord et certains pays du Golfe surviennent au moment où disparait ce grand penseur de l’universel que fut Edouard Glissant. On retiendra de sa pensée notamment l’émergence des cultures autres que celle de l’Europe. Cette vision de la créolité sou tend une conception de démocratie nouvelle de la société. Ne conviendrait-il pas de relire le « Manifeste des neuf » paru en février 2009 et auquel il a activement participé ? Ce petit opuscule est évoqué par bien peu de gens, même parmi ceux qui l’encense à longueur de colonnes en Martinique.
Que voyons-nous naître ainsi en Afrique ?
Le plus grand mouvement libertaire qui n’ait jamais couvert un tel ensemble de pays. En Occident, même les révolutions de 1848, qui finirent d’ailleurs par échouer, n’atteignirent jamais une telle ampleur.
Aujourd’hui, pays par pays, un vent nouveau balaie toutes les vieilles certitudes et la résignation insidieusement distillée. C’est une attaque frontale, sans concession, qui atteint les oppresseurs, les faux libérateurs qui sont démasqués et se retrouvent mis à nu.
Tous les bergers, tous les majordomes, qui s’étaient érigés en spécialistes de la liberté et du socialisme, se retrouvent bien marris, et, une fois de plus, sur le bord du chemin.
Ne nous disaient-ils pas, de façon intéressée, que la démocratie était « une affaire d’Occidental », que les peuples des autres continents, au nom de leur culture, avaient leur façon de voir, qu’ils s’accommodaient donc, voire qu’ils chérissaient leurs dictateurs ? Que n’a-t-on pas entendu sur ces pères du « socialisme », sur ces guides infaillibles dont les statues ornaient les places de leurs pays où le seul idiome autorisé était la langue de bois !
Du Wisconsin, à la Grèce en passant par la Chine, tout le monde aujourd’hui veut sa place Tahir, comme au Caire !
Quelle meilleure illustration pacifiste, universelle et libertaire du Tout-Monde ?
D’un autre côté un vieux monde fait d’illusions, de fausses rivalités, s’estompe aujourd’hui. Non sans effusion de sang, car les tyrans sont souvent prêts à massacrer leur peuple, devenu si « gênant ».
C’est un mouvement frontal, sans concession qui a fracassé les dictatures. Les peuples ne se sont pas retrouvés cependant dans les opposants qui tentaient de dialoguer avec les maîtres, qui s’adonnaient parfois à des connivences, à des jeux politiciens stériles.
Ces opposants, qu’ont cherchés à nous imposer les grands médias internationaux, n’ont pas été reconnus par les peuples. Et si les élections à venir sont nécessaires, elles ne sont pas à elles seules, une garantie de démocratie et de mieux être pour l’avenir. Ce sont les gens eux-mêmes qui tentent de prendre leurs affaires en main en Tunisie où à Benghazi. Qui fera du pain ? Combien sera t-on payé ? Pourquoi garde t-on ce ministre qui a servi l’ancien régime ? De quoi vivra t-on ? Qui déblayera les rues ? Voilà des questions auxquelles il faut répondre bien avant l’organisation desdites élections. C’est en ce sens aussi que l’on voit naître des pratiques nécessaires de Démocratie Directe.
Mais dans leurs discours, celui d’un habituel mensonge déconcertant, les leaders s’étaient emparés de tous ces principes pour en faire tout autre chose. Ainsi le Fou de Libye, le colonel Kadhafi, si longtemps encensé par nombre de gauchistes, par de soit disant anti colonialistes, et en fin de compte plus que toléré par les Etats-Unis, parlait lui aussi de Démocratie Directe et ce pour mieux oppresser avec sa famille et son clan tout un pays.
Partout une nouvelle organisation politique et sociale est discutée. Et il n’est pas sûr qu’elle fasse le jeu ni des partisans du libéralisme économique ni des dictateurs barbichus à casquette. La question de la Justice sociale est en effet prégnante. Comment les grandes sociétés qui profitaient des salaires de misère, vont-elles pouvoir continuer leur exploitation ? Comment mater ces peuples qui veulent s’organiser réellement eux-mêmes sans intermédiaires ?
En Martinique si la tension sociale n’a pas apparemment atteint un tel paroxysme, le peuple sait lui aussi non seulement donner de la voix mais agir à sa façon. Pas toujours, loin de là, comme le prévoit nos « politiques » bien aimés ( !)
Ici aussi, d’ores et déjà, la prochaine fois, nous savons que nos majordomes sexagénaires, seront balayés par une jeunesse en révolte qui ne se reconnait pas en eux. Question de temps.
Et le Tout Monde, porté par un vent fantasque, réapparait, grande idée venant non pas d’Occident mais d’Afrique cette fois, avec une modernité radicale, fracassant les vieilles rivalités, unissant fraternellement les peuples.
Des divergences, des conflits sont encore à naître, comme dans toute société qui surgit enfin libre. Cela prend la forme de lutte de classes qui sont plutôt porteuses d’espoir de réelle Liberté pour tous, nous le Tout-Monde.


deux angles de vue donc
qu'en pensez vous ? :)
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 22:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps


Retourner vers Débats de société

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 5 invités