De l'utilisation de la violence contre la violence d'Etat

Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Pïérô » 03 Déc 2014, 14:46

L'appel à " Manif offensive " produit par certains, évidemment anonymes, s'est transformé en une vraie Bérézina pour tout le monde. On peut penser à raison que les bris de vitrines (et la super "radicalité" du cassage d'abribus) ne sont pas forcément la cause essentielle de la répression policière, mais cela sert de prétexte. Et là la bataille était déjà perdue, politiquement parlant. En plus "l'offensive" réelle annoncée n'a pas eu lieu car ses partisans se sont débinés très tôt. En tout cas là on a un exemple d'un procédé très avant gardiste qui n'est absolument pas en respect de la diversité des tactiques car il s'agit d'amener l'ensemble de la manif en situation de confrontation directe, et de course à pieds, et dès le début. Je suis d'accord avec digger sur objectif et fin de manif si l'objectif offensif, et politiquement, serait de s'approcher le plus près possible du lieu où se tient le congrès du FN. L'affrontement avec les flics serait déterminé alors par cet objectif s'ils barrent le passage, et avec les seuls-es volontaires. C'est ce qui s'est passé à Tours lors du congrès et de la manif de 2011. Pour cette manif de Lyon, il y a matière à interroger et critiquer ce type d'activité sportive, car elle s'est montrée particulièrement improductive et a participé à ce qu'on peut appeler un échec général.


Une approche critique sur un blog revendiqué "autonomes" * :

LYON : VICTOIRE DE TOUTES LES RÉPRESSIONS

A Lyon, ce 29 novembre 2014, environ 4000 personnes se sont rassemblées pour manifester contre le Congrès du Front National qui se tenait au même moment à un autre quartier de la ville. Comme l’atteste le compte-rendu sur Rebellyon, « Les nombreux appels avaient donné le ton et si la mobilisation appelée par les habituels « partis et syndicats de gôche » ciblait uniquement le FN et son congrès, l’opposition du jour couvrait un champ quelque peu plus large : celui du racisme (d’Etat) et de la violence policière (lesquels s’exercent régulièrement de façon conjointe). Quel intérêt d’ailleurs de s’opposer uniquement à un FN bunkerisé à la tête d’Or protégé par la police, et que médias et politiques ont déjà rendu « acceptable » en reprenant et appliquant ses idées racistes et réactionnaires. »

Si certains se galvanisent d’une « émeute » qui a surtout brillé de sa brièveté et de son étouffement, la plupart des comptes-rendus semblent s’accorder sur l’efficacité de la répression, tant policière que médiatique, tant du Service d’Ordre syndical que du discours politique. Nous oserons, de manière sans doute provocatrice, tenter une auto-critique plus sévère, afin d’essayer de comprendre en quoi finalement il n’y a pas d’autre constat à établir que celui de notre échec, de notre défaite voire de notre impuissance.

A Lyon, ce jour-là, nous avons commis la plus lourde des fautes : nous avons été prévisibles.

Tous nos ennemis nous attendaient, et ont eu raison de nous. Sur les quelques milliers de personnes rassemblées, environ 500 autonomes se sont regroupé-e-s en queue de cortège, répondant à l’appel pour une manifestation offensive. Notre échec est celui de ne pas avoir anticipé l’avant et l’après manif, nous contentant d’espérer nous retrouver en nombre au point de rendez-vous établi afin d’y concentrer un rapport de force optimal. Or, c’est essentiellement dans cet avant et cet après que nous avons constater notre incapacité à nous coordonner et à nous organiser, dans le chacun-pour-soi des groupes affinitaires isolés. Ce n’est pas au moment où la manif démarre et des saccages de quelques vitrines de banques qu’il faut faire attention les uns aux autres, ainsi que dans une confrontation hasardeuse aux flics, c’est bien avant et bien après.

Avant, car nous avons manqué la capacité à déjouer le quadrillage policier hermétique de la place Jean Macé, des contrôles-fouilles systématiques et des arrestations préventives. Avant, car nous n’avons pas su localiser nos premiers ennemis qui étaient les leaders auto-proclamés de l’appel social-démocrate et leurs services d’ordre, où sur leur prétentieux camion-scène ils n’ont eu de cesse de répéter au micro leur respect de l’Ordre public, de la pacification, de la neutralisation politique pro-démocratie, voire entre les lignes à la délation, et à la collaboration avec les grands médias. Il fallait leur prendre leur micro de force, appeler à la solidarité contre le dispositif militaro-policier, appeler à empêcher physiquement et collectivement les contrôles et les fouilles qui continuaient au même moment tout autour de la place. Nous sommes restés impuissants et passifs, pressentant déjà notre incapacité à constituer un quelconque réel rapport de force consistant.

Par ailleurs, nous nous sommes trop rapidement coupés et isolés du cortège social-démocrate qui n’espérait que cela. Nous nous sommes attardés sur le pont de la Guillotière, prenant le risque d’être bloqués des deux côtés. D’ailleurs, c’est ce qui explique la nasse policière qui s’en est suivie sur une partie du cortège libertaire (et NPA). Il aurait été intéressant de nous infiltrer de manière diffuse sur tout le long du cortège majoritaire pour nous permettre une marge de manœuvre plus large et déjouer toutes les répressions, notamment en incitant le gros de la manif à se solidariser. Idem, d’emblée notre défaite à ne pouvoir tenir un contre-discours à celui officiel des leaders auto-proclamés, pour appuyer la nécessité de se solidariser vers la nécessaire portée offensive à assumer collectivement. Au lieu de cela, la portée offensive fut très rapidement avortée par l’efficacité des multiples techniques répressives.

Trop rapidement, nous avons été contraints de nous exfiltrer vers le centre-ville, à se faire balader par les flics dans des courses-poursuite et chasses à l’homme sans trop savoir où aller, face à la collaboration généralisée des ciotyens-consommateurs du samedi après-midi. Pas de lâchage de tracts, pas d’objectifs pré-établis et réalisables, pas d’action-éclair coordonnée, à peine une gestion à la hâte pour contenir l’impitoyable marteau policier qui nous écrase contre l’enclume sociale-démocrate. Notre défaite, car nous avons été défaits. Notre impuissance, car nous avons su nous rendre prévisibles. Notre échec, car nous avons été vaincus.

Notre priorité doit être là : la question de l’organisation et de l’anticipation techniques.

Après, car l’éclatement du bloc en centre-ville n’a pu être empêché. Car la police a toujours une longueur d’avance sur nous, l’hélicoptère a permis cette « vue aérienne » de nos déplacements. Cette « vue aérienne » qui nous fait tant défaut, pour nous-mêmes être capables de déjouer les déplacements policiers.

Notre force aurait pu être celle de ressurgir ailleurs, en différé, faire durer le désordre, de ne pas se laisser encadrer ni neutraliser. Ceci est moins difficile qu’il n’y paraît : dès le début, faire tourner le mot de se retrouver dans deux heures à un autre point de rendez-vous difficile à quadriller pour la police. De se retrouver et se dissoudre à plusieurs reprises, comme technique d’harcèlement du dispositif préventif de toutes leurs polices. Avec un système de communication directe pour garder la capacité d’initiative, de nous donner les moyens de nous adapter à leurs dispositifs pour les prendre à revers.

Nous assumons le caractère provocateur d’un tel propos, qui nous semble cependant nécessaire, afin de faire évoluer nos moyens d’action face aux changements des techniques répressives dont nous avons pu constater l’efficacité depuis le meurtre de Rémi Fraisse et la révolte qui a suivi.

Que la peur change de camp.

http://reseauxcla.wordpress.com/2014/12 ... pressions/


* Je pense d'ailleurs que l'appellation "autonome" serait à interroger rapportée à ce qui caractérisait une frange de l'autonomie de la fin des annés 70, car celle-ci se réferait à l'autonomie ouvrière, la lutte des classes, et une dimension plutôt absente chez ces spécimens que j'appellerais plutôt "khmers noirs" (je vise aussi là plus largement que la seule CLA, et la couleur peut être différente pour la version "Mao" de cette galaxie). Ce texte, outre la dimension critique montre d'ailleurs, au delà d'un côté un peu ridicule d'un petit état major se la pétant guérilla urbaine de mon point de vue à la seule hauteur d'un jeu en bac à sable, l'état d'esprit partagé par une partie de cette mouvance : mépris et avant-gardisme.

et PS : il s'agit bien d'une critique d'un versant militaro et parfois triste spectacle de l'insurectionnalisme, mais il y a dans cette mouvance aussi des militant-es qui font du boulot réel et a saluer sur le terrain du soutien aux sans papiers, des luttes logement, etc... et évidemment sur les ZADs dans un contexte différent.
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 22:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Ian » 03 Déc 2014, 22:28

Il est clair que sur la manif de Lyon, les totos n'ont pas attendu de provocation des flics pour casser de manière assez maladroite et mal ciblée des vitrines, abribus, etc.

Il est clair aussi que les flics avaient d'autres objectifs que de s'en prendre aux totos au vu du déploiement policier pour bloquer le cortège du NPA, et avec lui tous les militants AL, CNT ou Solidaires qui étaient encore à l'arrière de la manif. Ceci alors que les flics savaient pertinemment que plus aucun toto ne se trouvait encore à l'arrière à ce moment là (ils étaient tous largement devant depuis un moment).

Sinon pour le point de vue des totos (se revendiquant "bloc anarchiste"), un bilan critique : http://fr.contrainfo.espiv.net/2014/12/ ... re-a-lyon/
Avatar de l’utilisateur-trice
Ian
 
Messages: 389
Enregistré le: 13 Déc 2009, 14:43

Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 05 Déc 2014, 10:11

Les deux approches critiques postées sont parlantes. La première est superficielle, ne s'attacha qu'à la technique de l'affrontement et est une négation de la diversité des tactiques. Un commentaire (pas de moi)
il faut qu’il y ait un respect de la diversité des tactiques.Ce qui a été fait à Lyon est contre productif ... C’est l’action de coucou, pas d’autonomes


La seconde soulève des points intéressants
nous avons été politiquement mauvais-es...si le seul rapport que nous avons avec les autres composantes de la manifestation est celui de les effrayer et de n’absolument pas les prendre en considération le résultat que nous obtenons équivaut à donner des grands coups de latte dans le travail politique qui été réalisé jusqu’ici pour que l’opposition violence/non-violence s’effrite


Bien trop souvent, les manifestation sont instrumentalisées, en vue de l'application d'une stratégie, qui remplace l'objectif et devient finalité. Si la stratégie peut-être valable, elle ne peut l'être que de manière explicite dans un but explicite. D'abord pour faire tomber l'accusation du "casser pour casser", qui est dans l'intérêt des partisans eux-mêmes de cette forme d'action. Si on se fiche de ce que pense tous les autres (j'ai raison, ils ont tort), alors on est effectivement dans une démarche avant-gardiste, sur laquelle nous sommes d'accord je pense.

Comme le dit la critique, et comme je l'ai dit, on n'est plus dans une démarche de diversité des tactiques, mais dans la confrontation des tactiques. Personne n'a rien à y gagner, sinon la confusion et la division, qui ne servent que le statu quo.

Le premier travail revient a ceux-celles là mêmes qui considèrent nécessaires ce genre de forme d'action. A eux/elles de la replacer dans un contexte et une analyse cohérente et pertinente d'abord vis à vis d'eux/elles mêmes et ensuite vis à vis des autres composants d'un mouvement (à définir) partageant les mêmes objectifs (à définir) .
Dit clairement, "bloc anarchiste", pourquoi pas, je ne suis pas très A.O.C, mais l'anarchisme, quel que soit le qualificatif qu'on peut lui donner, ne se résume pas à la confrontation directe avec la police et la destruction de biens. Et si la faiblesse de l'organisation est soulignée, l'analyse de cette faiblesse ne peut pas s'arrêter à, ni même commencer par, une faiblesse "opérationnelle" dans la rue.
Encore une fois, la stratégie remplace l'objectif, et elle le dessert.

Cela dit, tout ce que dit Piero est juste. Mais on ne peut pas,dans la vraie vie, éviter qu'une poignée d'individus instrumentalisent ou dénaturent des actions ou des idées. Mais derrière ces cas, il y a autre chose qui mérite un regard critique, plus qu'un rejet systématique.

C'est un des enjeux, entre autres, des luttes d'occupation aujourd'hui, et au-delà une large réflexion sur les buts et les moyens des luttes politiques, y compris ouvrières et paysannes. Cessons de regarder case par case, où se situer et où situer les autres et regardons l'échiquier dans son entier. Tout le monde ne jouera pas les mêmes pions, et on peut discuter des coups, y compris de manière un peu virulente parfois, mais si le but commun est de mettre le roi échec et mat, c'est le principal.
digger
 
Messages: 2149
Enregistré le: 03 Juil 2011, 08:02

Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Alex » 19 Jan 2015, 12:35

J'ai le sentiment que les tactiques offensives reviennent à la mode ces derniers temps, principalement depuis les ZAD (la résistance à l'opération César assurant une pub à la confrontation directe avec les services de l’État) et la mort de Rémi Fraisse, avec parfois des conséquences absurdes : la violence devenant autotélique et la confrontation physique devenant l'échelle de la radicalité pour certain-es (principalement les jeunes d'après mon vécu, d'ailleurs j'en ai aussi fait parti, mea culpa :D ), la pathétique manif "casquée" de Stalingrad qui tourne à la souricière géante...

Je pense la violence nécessaire et légitime. L’État bourgeois est violent, le prolétariat ne pourra le renverser que par une violence quantitativement et qualitativement supérieure. Pourtant, l'usage courant de la violence me pose problème dans nos milieux.

On a d'abord la super-idéalisation du Black Bloc qui devient la forme supra-méga-ultra radicalo-révolutionnaire. Ensuite, la polarisation du débat entre deux vues hyper-étroites, du genre "la violence cey fasciste" VS "ceux qui ne cassent pas sont de faux révolutionnaires", qui musèle le débat. Sans parler d'une avant-garde de "khmers noirs", qui crachent à la gueule des "stalino-maoîstes" mais qui ne voient de salut que dans leurs méthodes d'attaque, quoi qu'il arrive, quel que soit le rapport de force.

Ou placer la frontière entre violence légitime ?
Dans le cadre d'une défense d'un lieu/organisation, comme dans le cas des ZAD ? C'est alors pour moi s'interdire de passer à l'offensive contre l’État, et de rester sur la défensive.
Ou bien dans des manifestations offensives, du style bris de vitrines lors du 1er mai libertaire (qui a fait couler beaucoup d'encre) ou action directe contre les flics et le capital lors de la manif anti-FN ?

L'attrait qu'exerce la violence sur les jeunes militant-es est indéniable, pour moi. Le mouvement social est en plein déclin ; un certain nombre de personnes trouvent plus de sens à balancer un pavé/péter une vitrine, qu'à se faire chier à differ des tracts sous la flotte, à des gens qui, à 90%, n'en ont rien à foutre.
Que faire pour changer cet état de fait ?

Honnêtement, j'ai pas les réponses, j'ai que les questions, mais je juge tout ça assez préoccupant. On risque soit de désarmer le mouvement social (parce que, il faut résister à la répression étatique et à la violence sociale), soit de partir dans un hyper-avant-guardisme et un aventurisme qui nous enterrera.
Avatar de l’utilisateur-trice
Alex
 
Messages: 90
Enregistré le: 03 Jan 2015, 20:21
Localisation: Tours

Précédente

Retourner vers Débats de société

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 10 invités