De l'utilisation de la violence contre la violence d'Etat

Re: Non au barage de Testet! (81)

Messagede digger » 15 Nov 2014, 11:39

Je pense qu'il faut dépasser le seul aspect de la "violence" pour traiter d'un tel sujet, le sujet étant des formes d'opposition face au pouvoir. La confrontation directe avec les forces de police a été très limitée dans l'histoire qui nous intéresse ici, Sivens et son cadre élargi, l'opposition aux grands projets inutiles. (Combien d'heures d'affrontements directs pour combien d'années de lutte, combien de mois à construire, à cultiver, à discuter ?)

A NDDL, c'est l'opération César qui a mis le feu aux poudres à l'automne 1992, violences à l'initiative du pouvoir. A Sivens, c'était des forces de l'ordre déployées alors qu'il n'y avait rien à protéger. Dans les deux cas, ces interventions sont justifiés aux yeux des autorités par la légalité. Les deux projets ont fait l'objet de procédures administratives et judiciaires qui ont abouti pour Sivens à l'ouverture des travaux et pour NDDL, à des procédures complémentaires de recours, tactique employée par une composante du mouvement d'opposition.

Je ne reviendrai pas sur ces procédures et leur objectivité. La question qui se pose aux mouvements d'opposition à de tels projets, et aux mouvements radicaux en général, est la position face à des décisions et des actes "légaux" de la part du pouvoir.

Autrement dit, lorsque tous les recours "légaux" auront été épuisés dans le cas de NDDL, faut-il ou non respecter la "légalité" et abandonner le terrain aux bulldozers? On n'est plus ici dans la théorie.
La question est importante parce que la question du pouvoir est étroitement liée à la question de la légalité sur laquelle il se fonde, en théorie. Contester la légalité c'est contester le pouvoir et vis versa.

La question ne peut pas être abordée, comme Ian le fait en terme de "sécurisation" des manifs. Elle doit l'être en termes politiques clairs qui dépasse ce seul aspect pratique, outre le fait que "sécuriser" une manif est impossible, sans parler de la démarche politique qu'elle sous-tend. S'agit-il d'épauler les "forces de l'ordre" et se démarquer des "éléments violents et incontrôlés"? Ou bien cela consiste-t 'il à coordonner différentes formes d'actions selon les lieux et les moments? Ces formes d'actions sont elles considérées comme antagonistes ou complémentaires et selon quels critères ? Là est je crois la réelle question politique.

La question s'est posée pratiquement à NDDL entre composantes du mouvement sur place. La dynamique de la lutte a permis de dépasser la (fausse vraie) question de savoir qui est prêt ou non à quoi. La manif du 22 février en a été un autre exemple. La frontières entre "radicaux" et "légalistes" n'est pas si clairement délimitée qu'on le pense quelquefois et devant - dans - une situation concrète les prises de positions sont parfois surprenantes. Des "légalistes" remettent en question la légalité et des "radicaux" s'inquiètent de la radicalisation.

De la même manière "la "répression policière" ou les "violences policières" ne sont pas les causes mais les symptômes du problème. Se focaliser sur cette question, c'est se détourner du vrai problème. Et il est assez paradoxale de voir que ce sont les milieux radicaux qui mettent ces questions en avant, comme si c'était une découverte, alors que "l'opinion publique", elle, commence à s'intéresser à la question fondamentale des modalités de prises de décision en démocratie, aux questions de représentativité, etc... Malheureusement, il semble que le seul à l'avoir compris, c'est le FN.

Ce sont beaucoup de questions posées qui méritent davantage qu'un seul débat étroit sur "la violence".
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Non au barage de Testet! (81)

Messagede Béatrice » 15 Nov 2014, 17:52

J'ai lu les différentes interventions et je n'ai à aucun moment lu une réflexion d'un point de vue libertaire portant sur le rapport de force en présence sur le sujet
allant au-delà des sempiternelles incantations qui ne sauraient immanquablement déroger aux règles intangibles ( sur fonds baptismaux ) de l'anarchisme, portées
par les ancêtres théoriciens.
Des appels de petits groupes autonomes se font jour ci et là qui appellent à mobilisation en réaction aux violences policières, mais en absence d'argumentation
qui vaille en force de perspective pour le mouvement libertaire.
Les violences policières s'exercent aussi sur les travailleurs qui veulent sauver leur emploi et leur outil de travail viewtopic.php?f=72&t=10522#p179991 ( autres ZAD, mais d'une certaine façon ZAD aussi par les temps qui courent ! )

"ZAD partout !"

Que vaut une vitrine brisée, pneus crevés, voitures incendiées par réaction de rage contre le système lors d'une manif ? : pas mal de voix de plus pour l'idéologie
dominante actuelle et l'extrême-droite avec une vraisemblable marginalisation...
Suicide collectif ?
Des morts de plus ( pour que dalle et pourquoi ? )

S'agissant du rapport de force en présence :
le puissant lobby FNSEA mobilise ses troupes aujourd'hui ( qui aura assurément gain de cause ) :


Sivens : les pro-barrage manifestent contre les «Zadistes» à Albi


Après le rassemblement des partisans de la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, vendredi à Nantes, un millier de manifestants, agriculteurs et élus, ont commencé à se rassembler samedi en début d'après-midi à Albi, à l'appel notamment de la FNSEA, pour exiger le maintien du projet de barrage de Sivens (Tarn) et exprimer leur «ras-le-bol» des «Zadistes».

http://www.leparisien.fr/midi-pyrenees/ ... 46%2Cd.ZWU
Modifié en dernier par Béatrice le 15 Nov 2014, 21:49, modifié 2 fois.
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Re: Non au barage de Testet! (81)

Messagede Béatrice » 15 Nov 2014, 21:38

En rapport direct avec mon post précédent relatif au rapport de force en présence :

Marseille. Agressions policières (vendredi 14 novembre 2014)
Témoignage

Je me dirigeais ce soir, à 18 heures 30 vers le Palais Longchamp où était annoncé un rassemblement en mémoire de Rémy Fraisse. Arrivée aux grilles du Palais, un écriteau signalait de se rendre aux Réformés. Là personne. Je descends le Boulevard Longchamp et je me dirige vers la Canebière. Arrivée au kiosque à musique, je vois des jeunes qui sautent par-dessus la grille et des CRS en bas qui les chassent. Certains se sauvent, il en reste 5 ou 6. Un policier plaque brutalement un jeune homme aux cheveux logs contre le mur du kiosque, je m’approche et apostrophe les CRS. De quel droit brutalise-t-il ce garçon ?

On me répond « contrôle d’identité » Je me mets à côté de ce jeune et de 2 jeunes filles interpellées elles aussi, alors qu’elles prenaient un café à la terrasse du bar d’à côté. Je demande à ce qu’on me contrôle moi aussi, il n’y a pas de raison de s’en prendre toujours aux jeunes. Les policiers ne se le font pas dire de fois, prennent mes papiers et fouillent mon sac.

Je leur demande de quel droit ils nous contrôlent. « Parce que nous faisons, disent-ils, partie de la manifestation (ils ne disent pas laquelle) et que nous n’avons pas d’autorisation de la préfecture. Je dis « ce n’est pas une manifestation mais un rassemblement et dans ce cas, nous n’avons pas à demander d’autorisation. »

Le ton monte. Les Crs se montrent hargneux et veulent embarquer au commissariat deux jeunes qui n’ont pas de papier. Je leur dis qu’ils n’ont pas le droit de les embarquer, qu’ils ont déjà montré de quoi ils étaient capables, leur rappelant la mort de Rémy, un jeune de 21 ans. Ils me répondent que c’est la loi, qu’ils obéissent aux ordres. Je m’oppose. Un d’entre eux me dit que c’est leur déontologie. Celui la, il a retenu les « gros mots » qu’on lui a appris.

Ils sont plus d’une vingtaine, nous sommes 7. Sur les trottoirs, je le verrais en repartant, il y a une file impressionnante de véhicules de police.

Il fait nuit, leurs gyrophares soulignent leur présence, l’ambiance inquiétante, la peur qu’ils veulent faire régner sur les passants.

Excédée, j’essaie d’appeler mon mari au téléphone. Il me dit que le même scénario a eu lieu 30 minutes plus tôt devant le Palais Longchamp, sauf qu’il y avait encore plus de présence policière, une cinquantaine de CRS. Il me dit qu’il vient me rejoindre avec deux copains. Je reste vigilante, les tentatives des flics pour impressionner les jeunes n’arrêtent pas. Ils menacent d’emmener ceux qui n’ont pas leurs papiers au commissariat : il est interdit de sortir sans papier dans la rue, disent-ils. Ils bousculent encore les jeunes. Je crie qu’il est aussi interdit qu’ils nous touchent. Ils s’en prennent à moi, me disant que je les énerve et me poussant pour me faire partir. Je veux rester pour voir ce qui se passe. Il me dise de me taire, de me calmer, sinon… et il me bouscule, hargneux.

A ce moment mon mari arrive avec les 2 copains et demande, choqué ce qui se passe. Il se fait très vite contrôler avec la même brutalité. Il parle de police du peuple ; les CRS sont furibonds et lui répondent qu’ils ne sont pas là pour parler de politique. Les flics nous cernent de plus en plus près mon mari et moi et nous poussent violemment pour nous faire partir. J’en pousse un moi aussi, ça le met en rage, mon mari me fait signe de m’arrêter car ça sent le grabuge. Il vaut mieux ne pas les énerver plus. Je leur dis qu’à leur place j’aurais honte de faire ce métier. Ils répondent furieux qu’ils ne font qu’obéir aux ordres. Nous nous mettons à l’écart. J’appelle les journalistes que je connais, la rédaction de la Marseillaise me répond. L’AFP me dit que n’assistant pas à la scène car pas avertis, ils ne feront pas d’article à partir du texte que je me propose d’écrire. C’est – me disent-ils- ma parole contre celle de CRS. Je raccroche écoeurèe.

En repartant, je vois tous les véhicules de police garées sur les allées Gambetta. Une quinzaine. Il y avait donc encore plus de policiers prêts à intervenir.

Nous étions 7 jeunes et moi en face d’eux ! Ce serait ridicule si on pouvait en rire. Malheureusement, la situation à Marseille devient chaque jour plus tendue, les contrôles et les fouilles sur n’importe quel prétexte, la population jeune visée directement, jusqu’où ça va aller ? Chaque jour on se dit qu’on est au pied du mur, que ce système ne peut plus durer. On constate qu’on est en état de guerre, que la démocratie recule chaque jour et que la dictature s’installe.

Témoignage de Viviane Sanchez-Delanaud
Marseille 1er arr.
Militante politique et droits de l’homme.


http://www.millebabords.org/spip.php?article26998
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Re: Non au barage de Testet! (81)

Messagede digger » 16 Nov 2014, 11:40

La perspective "libertaire" - même si beaucoup n'y emploieraient pas ce mot - est claire à NDDL tout comme l'est le fragile équilibre d'être d'accord pour ne pas être d'accord sur tout. C'est la force du mouvement et sans doute un des ses principaux enseignements. C'est pourquoi le pouvoir a toujours échoué dans ses tentatives de divisions.
Une perspective plus large? Je ne pense pas que ce soit dans la nature d'un tel mouvement de concevoir un programme, d'abord parce qu'il est composite, fait d'individus et d'organisations diverses qui suivent chacun-e leur propre agenda.
Le jeu de l'extrême-droite? Tout comme la violence policière n'a pas besoin de manifestations violentes pour se manifester, le FN n'a pas besoin de vitrines brisées. Et, encore une fois, se focaliser sur quelques vitrines cassées, c'est occulter 99% de la réalité.
La marginalisation ? Ce n'est pas un danger, c'est une réalité. Mais je suis d'accord avec toi si ton idée est de dire qu'il ne faut pas en faire une fin en soi.
Les luttes ouvrières? En quoi est-ce antagoniste ? Même si à NDDL est confronté au problème puisqu'un angle d'attaque est le chantage à l'emploi, qui a servi de prétexte à une manif du BTP pour le commencement des travaux.
Le rapport de forces ? A mon avis, c'est la lutte elle-même qui le détermine. Si on attend qu'il soit favorable, alors il n'y a pas de luttes possibles. A NDDL en novembre 2012, il était défavorable. La lutte l'a fait basculer. En 2015, qu'en sera t-il? C'est le terrain qui le dira. On en connaît les grandes lignes, les forces et les faiblesses de chaque côté. A Sivens, je ne sais pas.
Pour être totalement clair, et j'arrêterai là, j'ai choisi un bord où on trouve des syndicalistes de la Conf côte à côte avec quelques enturbannés, qui, outre la bêche et le marteau, manipulent aussi quelques engins détonants, parce qu'il est probable que comme par le passé, nous aurons besoin de tous ces outils. (le tracteur a montré aussi des utilisations très diverses). Après, chacun-e peut en penser ce qu'il veut, c'est la meilleure réponse que j'ai trouvé face à une situation donnée un moment donné.
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Messagede Pïérô » 16 Nov 2014, 18:19

Trouvé ça là : http://danactu-resistance.over-blog.com ... lence.html
C'est d'un évêque catholique brésilien, et ce n'est pas mon habitude de citer ce genre de référence, mais cela m'a semblé à propos dans ce débat

Image

Je disais plus haut
Pïérô a écrit: Et quelque chose qui me parait important, alors que le débat, faux-débat dans lequel voudraient nous enfermer les tenant d'un ordre établi qu'il ne faudrait pas déranger, se place encore entre violence et non violence, pseudo démocratie et terrorisme, les "terroristes" étant celles et ceux qui se placent sur le même terrain d'une violence pour moi légitime du côté de la révolte, c'est justement l'angle d'attaque politique. La culture d'une forme de radicalité qui passe par déguisements et radicalité du verbe, en plus de mise en scène aussi spectaculaires que parfois à contre-sens, ne doit pas passer à côté de cette question de fond, et qui n'est pas que de forme. C'est ce système qui est violent, et cela passe par une forme de terrorisme d'Etat. Notre révolte est légitime contre cette minorité d'exploiteurs et d'accapareurs et il est bien question de déranger l'ordre établi. Les "verts" n'ont pas envie de déranger grand chose, mais il est important justement de ne pas cultiver que mise en scène mais bien de porter à travers nos luttes multiformes du contenu et du sens si l'on veut que notre objectif révolutionnaire soit partagé par le plus grand nombre.

Je pense que luco s'emporte et pédale là à contre sens en rejoignant l'idéologie dominante dans la manière dont il pose les choses, alors que cette question repose sur des choix à la fois stratégique et tactiques qui peuvent être interrogés et débattus. Il y a d'ailleurs des axes de réflexion qui s'entremêlent ici comme le souligne digger. La diversité n'empêche pas la quête de sens et il y a là un réel enjeu au niveau collectif. Je ne suis pas rebuté par l'exercice de la violence, je l'ai pratiqué de la même manière il y a un temps, et les critiques ne sont pas nouvelles, elles étaient les mêmes à cette époque dite de "l'autonomie" après 68. De ce côté je pense que la critique sous l'angle de l'avant-gardisme me parait plus appropriée que celles qui repose sur des considérations qui renverraient dos à dos oppressé en révolte et oppresseur. Dans ce que dépeint digger à travers son expérience de la lutte de NDDL, il y a du sens collectif dans lequel la diversité s'inscrit, est accéptée, et se montre même efficace. Ce n'est pas toujours le cas, et il y a aussi des endroits ou moments où la tactique de l'affrontement direct mène à des désastres, en terme de répression, comme en terme politique au regard de cet enjeu du sens. Là je comprend luco et charlelem dans une critique d'un avant-gardisme déconnecté des réalités, et voire même du sens, tel que je le pense et que l'on peut partager.
Il y a là matière à débats, et il est possible en reprenant les diverses interventions ici de créer un topic spécifique pour se faire, en "théorie" ou "débats de société", par exemple
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Non au barage de Testet! (81)

Messagede Ian » 17 Nov 2014, 01:45

digger a écrit:La question ne peut pas être abordée, comme Ian le fait en terme de "sécurisation" des manifs.
Elle ne peut l'être uniquement sur ce terrain, mais il faut bel et bien l'aborder en terme de sécurisation des manifs : si à chaque manif il y a 50 interpellations arbitraires et 50 blessés (et c'est aujourd'hui la logique du gouvernement), ça risque vite de poser souci.
Parce que l'objectif est bel et bien de construire des mouvements de masse, pas juste de compter sur une minorité marginale pour s'affronter au gouvernement et plus généralement au capitalisme. En clair si tout le monde a peur d'aller aux manifs en raison de la répression et des violences policières, ce sera vite un très gros problème.

Pour le reste, je suis d'accord avec l'essentiel de ce que tu dis, même si le débat légalisme ou pas n'a pas grand chose à voir avec le débat violence/non-violence (nombre d'actions non-violentes sont illégales - mais légitimes, c'est même la grande majorité des actions illégales).
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Pïérô » 17 Nov 2014, 19:12

En tout cas il y a là côté défensif et côté “offensif” que l’on peut traiter différemment au regard de la question violence et des enjeux politiques. L’autodéfence est on va dire plus présentable, et c’est effectivement un domaine à développer collectivement. De ce point de vue les affrontements sur les ZAD sont déterminés par les offensives policières, et évidemment cette forme d’image passe mieux, et la résistance est gagnante, et pas seulement que sur le plan symbolique. Transformer une manif en manif “baskets” à quelques-uns, pèter des vitrines et se fondre dans la masse, masse qui recevra de plein fouet la repression, cela doit reposer sur autre chose qu’une volonté avant-gardiste bien souvent inopérante en terme d’insurrection généralisée, mais pleinement gagnante pour le pouvoir autoritaire qui légitime là bien souvent sa violence. La reflexion sur l’opportunité d’être offensif ou pas à tel ou tel moment ou tel ou tel endroit doit l’emporter sur la mise en scène. Dans tout les cas je pense que la question doit se gérer le plus collectivement possible, pour ne pas opérer de césure nette entre les différentes manières de gérer la résistance et l’affrontement avec les forces répressives d’Etat et avec l’Etat.
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 19 Nov 2014, 09:02

J'ai juste deux remarques sur le titre et le terme de violence. La première, c'est que nous parlons ici de bris de vitres et autres mobiliers urbains et d'affrontements directs avec la police autrement qu'au fusil à pompe ou à la kalachnikov. Nous ne parlons pas de lutte armée.
La seconde, c'est que je pense qu'il est indispensable de dépasser la simple question de la "violence", pour appréhender un phénomène plus large, composé d'éléments hétéroclites, politiques et socio-culturels et des fins et moyens qui ne s'inscrivent pas, ou qu'en partie, dans une tradition du mouvement ouvrier historique. Sur ce point, je ne pense pas que la question puisse être abordée autrement que dans un climat passionnel aujourd'hui et je ne reviendrai pas sur ce terrain là dans le cadre du forum.
Sur le problème pratique des manifestations soulevées par Ian, il y a énormément de choses qui ont été écrites sur le sujet dans le cadre du mouvement Occupy où la question s'est posée un peu partout, avec la même manipulation médiatique et de certains courants politiques. Cela allait de l'opposition totale à la défense de ce mode d'action, en passant par le "oui, mais pas n'importe comment". Certains groupes à Oakland s'étaient constituées en "autodéfense" des lieux occupés et lors de manifs annoncées comme "tout public" et pacifiques. A côté de cela, d'autres manifs étaient déclarées "militant", appliquant la diversité des tactiques. (Notre militant à nous se traduirait par "activist" et le "militant" américain par...rien. C'est un-e manifestant-e entraîné-e et équipé-é pour la confrontation directe avec la police.)
Cela avait été mis en place devant l'échec de la sécurisation des manifs dont parle Ian. Ce qui ce passait, c'était que le S.O ne pouvait empêcher l'infiltration des "militants" , et que non seulement il y avait affrontements avec la police, mais aussi entre S.O et "militants". Jusqu'à , comme je l'ai dit, livrer des "militants" à la police. D'où ma perplexité devant la sécurisation, tout en reconnaissant la réalité du problème.
Un collectif américain avait eu une position, qui pourrait être en ce moment la mienne, et qui revenait à dire "Plutôt que de nous traiter de tous les noms, faites autrement et mieux que nous et nous en serons heureux"
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Ian » 19 Nov 2014, 23:10

digger a écrit:Ce qui ce passait, c'était que le S.O ne pouvait empêcher l'infiltration des "militants" , et que non seulement il y avait affrontements avec la police, mais aussi entre S.O et "militants".
Non mais là il y a effectivement un problème politique sur le rôle donné au SO. Le SO doit être là pour protéger de la police, pas pour diviser le mouvement et se transformer lui-même en "police" interne au mouvement.
Mais prendre en compte les violences policières, ce n'est pas juste une question de SO, c'est aussi de manière générale avoir des réflexes un peu plus collectifs et un peu moins individuels face aux diverses provocations et violences policières.
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 24 Nov 2014, 11:11

J'essaierai de poster quelques réflexions sur le sujet sous forme de traductions et/ou de liens sur cette question qui pourront servir de support à la discussion. Il ne s'agit pas de "convaincre" quiconque de quoi que ce soit mais de partager des réflexions qui ont eu cours afin d'être peut-être un peu mieux "équipé-es" pour dépasser le réflexe lorsque de telles situations se produisent et que l'on est pris "à chaud" dans un tourbillon politico-médiatique.
Je suis tout à fait conscient que cette question repose aussi sur un positionnement politique et des stratégies et objectifs. Elle n'est pas centrale dans la vision d'une construction d'un mouvement de masse, elle peut l'être dans une lutte locale comme NDDL. L'important n'est pas tant l'objectif et la stratégie, que la cohérence de la pensée et de l'action (et de la critique). En cela, la responsabilité de l'absence de débat constructif est largement partagée.
La question du collectif posé par Ian est évidemment pertinente, à moins de considérer qu'une poignée de militant-es - organisé-es ou non - vont réussir à renverser le capitalisme. Mais que nous le veuillons ou non - un-e militant-e radical-e fait partie (malheureusement) d'une avant-garde au sens premier, et non léniniste, du terme, parce qu'il/elle croit possible une autre organisation politique, économique et sociale, ce qui n'est pas le cas d'une vaste majorité. Il ne s'agit pas d'imposer cette vision à la majorité mais de l'y rallier. Nous savons aussi que les visions radicales se heurtent souvent à celles de la majorité, y compris celles des classes sociales qu'elles voudraient avoir à leurs côtés.
Si l'on considère une évolution possible de la lutte contre l'aéroport, alors nous aurons le paradoxe de voir des militant-es radicaux affronter des ouvrier-es sur le chantier. Qui donnera un sens à cela?
C'est un des enjeux aujourd'hui que d'empêcher cette situation de se produire, même si je n'ai pas entendu cet argument, peut-être parce que personne ne veut penser aux suites.
Le problème c'est que à travers toute question c'est la pelote entière qui se déroule. Mais c'est aussi une question de cohérence. La critique mutuelle, c'est avant tout aider à chercher, et à surmonter, ces points d'incohérence qui se présentent inévitablement, à un moment ou à un autre, entre la théorie et les pratiques ou les objectifs et les moyens.
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L'illégitimité de la Violence, la Violence de la légitimité

Messagede digger » 26 Nov 2014, 12:45

Texte original The Illegitimacy of Violence, the Violence of Legitimacy
http://www.crimethinc.com/texts/recentfeatures/violence.php

Qu'est-ce que la violence? Qui va la définir? A t-elle une place dans la poursuite de la libération? Ces très anciennes questions sont revenues au-devant de la scène durant le mouvement Occupy. Mais cette discussion n'ont jamais lieu sur le terrain. Alors que certains "déligitimisent" la violence, le langage de la légitimité ouvrent la voie aux autorités pour l'employer

Pendant le sommet de la Zone de Libre-échange des Amériques de 2001 à Québec, un journal a mentionné que la violence s'était déclenchée après que des manifestantes aient commencé à retourner des grenades lacrymogènes dans les rangs de la police anti-émeute. 1 Lorsque les autorités sont considérées comme ayant le monopole de l'usage légitime de la force, la "violence" est souvent utilisée pour signifier l'usage illégitime de la force—tout ce qui s'oppose ou échappe à leur contrôle. Cela transforme le terme en un signifiant flottant puisqu'il signifie aussi "dommages ou menace qui viole le consentement.”

Ce qui est rendu encore plus compliqué par la manière dont notre société est fondée sur et imprégnée par les dommages ou les menaces qui violent le consentement. En ce sens, n'est-il pas violent de vivre sur un territoire colonisé, de détruire des écosystèmes du fait de nos consommations quotidiennes ou de bénéficier de rapports de forces économiques obtenus sous la menace des fusils? N'est-il pas violent pour des gardes armés de protéger de la nourriture et de la terre, autrefois des biens communs partagés par tous, de ceux qui en ont besoin?Est-il plus violent de résister à la police qui expulse des gens de leur logement plutôt que de rester dans son coin lorsqu'on les rend sans-abris? Est-i plus violent de retourner des grenades lacrymogènes dans les rangs de la police que de dénoncer ceux qui le font comme “violent,” laissant ainsi le champ libre à la police de faire pire encore?2

Dans cette situation, il n'y a pas de place pour la non-violence — ce que nous pouvons espérer de mieux c'est la négation des dommages et des menaces avancés par les partisans d'une violence du haut vers le bas. Et lorsque tant de gens sont investis des privilèges que leur accordent cette violence, il est naïf de croire que nous pourrions nous défendre, nous et les autres non-privilégiés, sans violer les volontés d'au moins quelques banquiers et propriétaires terriens. Alors, plutôt que de se demander si une action est violente, nous ferions mieux de nous demander simplement : gomme t-elle les disparités de pouvoir ou les renforce t-elle?

C'est la question anarchiste fondamentale. Nous pouvons nous la poser dans chaque situation; Toutes les questions suivantes, au sujet des valeurs, des tactiques et de la stratégie en découlent. Lorsque la question peut être formulée ainsi, pourquoi quelqu'un voudrait-il la ramener à une dichotomie entre violence et non-violence?

Le discours de la violence et de la non-violence est tentant surtout parce qu'il offre un terrain facile pour se réclamer de valeurs morales les plus hautes. Cela le rend séduisant à la fois pour critiquer l'état et pour entrer en compétition avec d'autres militants pour des questions d'influence. Mais dans une société hiérarchique, parvenir au plus haut niveau renforce souvent la hiérarchie elle-même.

La légitimité est une des reconnaissances qui sont distribuées inégalement dans notre société et à travers lesquelles les injustices sont entretenues. Définir des individus ou des actions comme violent-es est une façon de les exclure du débat légitime et de les réduire au silence. Cela rejoint et renforce d'autre formes de marginalisation : un individu blanc respectable peut agir de manière qui sera considérée comme"non-violente" alors que la même action provenant d'une personne défavorisée de couleur sera considérée comme violente. Dans une société d'inégalité la définition de la “violence” n’est pas plus neutre que le reste.
Définir les individus ou les actions comme violent-es a aussi comme effet immédiat de justifier l'usage de la force contre eux. Cela a été une une étape essentielle dans pratiquement chaque campagne visant des communautés de couleur, des mouvements de contestation et autres présentant les aspects sombres du capitalisme. Si vous avez participé à suffisamment de mobilisations, vous savez qu'il est souvent possible d'anticiper exactement le degré de violence qu'utilisera la police contre une manifestation grâce à la manière dont est présentée l'histoire par les informations le soir précédent. Sous cet angle, les présentateurs et même les organisateurs rivaux peuvent contribuer au maintien de l'ordre aux côtés de la police, en déterminant qui constituent les cibles légitimes de la manière où ils racontent l'histoire.

A l'occasion du premier anniversaire du soulèvement égyptien, les militaires avaient levé l'état d'urgence, — "excepté dans des cas impliquant des voyous". Le soulèvement populaire de 2011 avait obligé les autorités à légitimer des formes de résistances qui était auparavant jugées inacceptables, avec Obama définissant comme "non-violent" un soulèvement où des milliers de personnes avaient affronté la police et incendié un commissariat. Afin de re-légitimiser l'appareil légal de la dictature, il était nécessaire de créer une nouvelle distinction entre "voyous" violents et le reste de la population. Néanmoins, le contenu de cette distinction n'a jamais été exprimée clairement. En pratique, le "voyou" est simplement le terme qui désigne l'individu visé par la l'état d'urgence . Du point de vue des autorités, l'usage de la violence en elle-même suffit parfaitement à désigner ses victimes comme violentes — c'est à dire comme des cibles légitimes.

Donc, lorsqu'une partie importante de la population s'engage dans la résistance, les autorités doivent la redéfinir comme non-violente, même si elle a été considérée auparavant comme violente. Sinon, la dichotomie entre violence et légitimité pourrait disparaître— et sans cette dichotomie, il serait beaucoup plus difficile de justifier l'usage de la force contre ceux qui menace le status quo. De la même manière, plus nous cédons du terrain en permettant aux autorité des qualifier quelque chose ou quelqu'un de violent, plus elles élargiront cette catégorie et plus grands seront les risques auxquels nous devront faire face. Une conséquence des quelques décennies passées de désobéissance civile présentée comme non-violente est que certain considèrent comme violent le simple fait d'élever la voix ; cela permet de dépeindre ceux qui prennent la moindre précaution pour se protéger contre les violences policières comme des voyous violents.

“Les individus qui se tiennent les bras et résistent activement, constituent un acte de violence …se tenir par le bras dans une chaîne humaine alors qu'on a reçu l'ordre de se disperser n'est pas une forme non-violente de protestation .” - Margo Bennett, capitaine de la police cité dans The San Francisco Chronicle, justifiant l'usage de la force contre les étudiants à l'Université de Californie de Berkeley

Les outils des maîtres: Délégitimation, déformation et division

La répression violente n'est qu'un aspect d'une stratégie sur deux fronts pour réprimer les mouvements sociaux. Pour que cette répression réussisse, les mouvements doivent être divisés en légitime et illégitime, et le premier poussé à désavouer le second - avec généralement, en retour, des privilèges ou des concessions 3. Nous pouvons voir ce processus à l’œuvre dans les efforts de journalistes comme Chris Hedges et Rebecca Solnit pour diaboliser des rivaux dans le mouvement Occupy. 4

L'année dernière, dans son article Throwing Out the Master’s Tools and Building a Better House: Thoughts on the Importance of Nonviolence in the Occupy Revolution, 5 Rebecca Solnit a amalgamé les arguments moraux et stratégiques contre la “violence,” biaisant les enjeux avec une sorte d'exception américaine : les Zapatistes peuvent être armés de fusils et les rebelles égyptiens incendier des bâtiments, mais ne permettons à personne de brûler une poubelle aux États-Unis. A la base, son argument était que seul le "pouvoir populaire" pouvait obtenir des transformations sociales révolutionnaires - et que la "pouvoir populaire" est nécessairement non-violent.

Solnit devrait savoir que la définition de la violence n'est pas neutres: dans son article “The Myth of Seattle Violence,” elle racontait son combat sans succès pour que le New York Times arrête de qualifier les manifestations contre le sommet de l'OMC de Seattle en 1999 de “violentes.” En mettant constamment en avant la violence comme élément central, Solnit renforce l'efficacité d'une des outils qui sera inévitablement utilisé contre les manifestants - elle y compris - du moment où cela servira les intérêts du pouvoir.

Solnit réserve une agressivité particulière envers ceux qui soutiennent la diversité des tactiques, comme moyen d'éviter la division des mouvements. Plusieurs paragraphes de “Throwing Out the Master’s Tools” étaient consacrés à la dénonciation du pamphlet de CrimethInc. “Dear Occupiers6 : Solnit déclarait qu'il était “une harangue pour justifier la violence,” “un machisme creux saupoudré d'insultes,” et s'abaissait à des attaques personnelles concernant l'auteur qu'elle admettait ne pas connaître.

Comme chacun peut le vérifier, la plus grande partie de “Dear Occupiers” se contente de passer en revue les problèmes systémiques du capitalisme; la défense de la diversité des tactiques est limitée à deux paragraphes secondaires. Pourquoi une journaliste, récompensée par un award, qualifie t-elle cela de harangue pour justifier la violence?

Pour la même raison, peut-être, que celle pour laquelle elle se joint aux autorités pour délégitimer la violence même lorsque cela les aide à délégitimer ses propres efforts: l'influence de Solnit dans les mouvements sociaux et ses privilèges dans la société capitaliste sont ancrés dans la distinction entre légitime et illégitime. Si les mouvements sociaux cessent d'être gérés du haut vers le bas—si ils arrêtent de s'auto-discipliner —les Hedges et Solnit du monde entier se retrouveront sans travail au sens propre comme au sens figuré. Cela expliquerait pourquoi ils perçoivent comme leurs pires ennemis ceux qui mettent en garde contre la division des mouvements entre factions légitimes et illégitimes.

Il est difficile d'imaginer Solnit décrivant “Dear Occupiers” de la manière dont elle l'a fait si elle s'était attendue à ce que ses lecteurs lisent le pamphlet. Étant donné son audience, c'est un pari peu risqué — Solnit est souvent publié dans les médias bourgeois alors que les publications de CrimethInc. sont seulement distribués via des réseaux à la base; en tout cas, elle n'a pas inséré un lien. Chris Hedges avait pris des libertés semblables dans son célèbre “The Cancer in Occupy,” une litanie de généralisations outrancières au sujet du "black bloc anarchiste". Il semble que le but ultime des deux journalistes soit de réduire au silence : Pourquoi voudriez-vous écouter ce que ces gens ont à dire? Ce sont des voyous violents.

Le titre de l'article de Solnit est une référence au texte influent de Audre Lorde, “The Master’s Tools Will Never Dismantle the Master’s House.” 7 Le texte de Lorde n'était pas une approbation de la non-violence ; même Derrick Jensen, que Hedges cite d'un air approbateur, a dénoncé le mauvais emploi de cette citation. Il suffit de rappeler ici que l'outil des dominants le plus puissant n'est pas la violence, mais la délégitimation et la division — comme Lorde l'a souligné dans son texte. Pour défendre nos mouvements contre ceci, elle nous a dit:

“La différence ne doit pas être seulement tolérée, mais considérée comme une somme de polarités nécessaires entre lesquelles notre créativité peut s'enclencher… C'est seulement au sein de cette interdépendance de forces, reconnues et égales, que peut naître la capacité à rechercher de nouvelles manières d'être au monde, ainsi que le courage et la persévérance d'agir là où il n'existe pas de normes.”

Si nous voulons survivre, il faut:

“…apprendre à rester seul-e, impopulaire et parfois honni-e, et faire cause commune avec celles et ceux identifié-es comme exclu-es des structures afin de définir et de chercher un monde où nous pouvons tous nous épanouir… apprendre à accepter nos différences et à les transformer en forces.Parce que les outils des maîtres ne détruiront jamais la maison des maîtres-.”

Il est particulièrement indécent de la part de Solnit de citer l'argument de Lorde en dehors de son contexte dans un but de délégitimation et de division. Mais peut-être ne faut-il pas être surpris lorsque des journalistes libéraux à succès rabaissent de pauvres gens anonymes : ils doivent défendre leurs intérêts de classe, ou sinon de risquer de devenir comme nous. Car les mécanismes qui élèvent des individus à des positions influentes au sein des hiérarchies militantes et médiatiques libérales ne sont pas neutres non plus; ils récompensent la docilité, souvent codifiée comme "non-violence", rendant invisibles ceux dont les efforts menacent réellement le capitalisme et la hiérarchie.

Le leurre de la légitimité

Lorsque nous voulons être pris au sérieux, il est tentant d'affirmer une légitimité de toutes les manières possibles. Mais si nous ne voulons pas renforcer les hiérarchies dans notre société, nous devons être attentifs à ne pas valider des formes de légitimité qui les perpétuent.

Il est facile de reconnaître comment cela fonctionne dans certaines situations : lorsque nous jugeons des individus par rapport à leurs diplômes universitaires, par exemple, cela privilégie le savoir abstrait par rapport à l'expérience vécue, en mettant en avant ceux qui sont reconnus par le milieu universitaire et en marginalisant tous les autres. Dans d'autres cas, cela se passe de manière plus subtile. Nous mettons en avant notre statut d'organisateurs militant, insinuant ainsi que ceux qui manquent de temps ou de compétences pour de telles tâches sont moins qualifiés pour prendre la parole. Nous revendiquons une crédibilité comme militants du coin de longue date,enlevant la légitimité à tous ceux qui ne le sont pas - y compris des immigrés obligés de s'installer dans nos quartiers parce que leurs communautés ont été détruites par des processus dont nous sommes à l'origine. Nous justifions nos luttes sur la base de nos rôles au sein de la société capitaliste — comme étudiants, ouvriers, contribuables, citoyens — en ne réalisant pas combien il est plus difficile de le faire pour les chômeurs, sans-abris et autres exclus.

Nous sommes souvent surpris par l'effet boomerang qui en résulte. Mes politiciens discréditent nos camarades avec le vocabulaire que nous avons nous- mêmes popularisé: “Ce ne sont pas des militants, ce sont des marginaux sans domicile fixe qui se prétendent militants.” “Nous ne ciblons pas les communautés de couleur, nous les protégeons des activités criminelles.” Mais nous préparons nous-mêmes le terrain en utilisant un langage qui rend la légitimité conditionnelle.

Lorsque nous soulignons que nos mouvements sont et doivent être non-violents, nous faisons la même chose. Cela crée l'AUTRE qui est exclu de la légitimité que nous avons gagné pour nous-mêmes, c'est à dire, clairement, une cible légitime pour la violence 8. Quiconque qui libère leurs camarades des mains de la police plutôt que d'attendre passivement d'être arrêté—quiconque qui fabrique un bouclier pour se protéger des balles en caoutchouc plutôt que d'abandonner les rues à la police— quiconque qui est accusé d'agression sur un policier après avoir été agressé par lui : tous ces malheureux sont jetés aux loups comme violents, les fruits pourris. Ceux qui doivent masquer leurs visages même lors d'actions légales à cause de leur emploi précaire ou leur statut d'immigré sont dénoncés comme cancer, trahis pour quelques miettes de légitimité en retour de la part du pouvoir. Nous, Bons Citoyens, pouvons nous permettre d'être totalement transparents; nous ne commettrons jamais un délit ni n'hébergerons un délinquant potentiel dans nos milieux.

Et la violence faite Autre ouvre la voie à la violence envers l'Autre. Ceux qui en supportent les pires conséquences ne sont pas les enfants gâtés de la classe moyenne cloués devant des jeux guerriers sur internet mais les mêmes qui se trouvent toujours du mauvais coté des lignes de séparation du capitalisme : les pauvres, les marginalisés, ceux qui n'ont pas de référence ni d'institutions pour les soutenir, pas d'avantages à jouer le jeu politique pipé en faveur des autorités et peut-être aussi de quelques militants de la jet-set.

Délégitimer seulement la violence ne peut pas y mettre fin. Les disparités sociales ne pourraient pas être maintenues sans elle, et les désespérés répondront toujours en passant à l'action, spécialement lorsqu'ils auront le sentiment d'être abandonnés à leur sort. Mais ce genre de délégitimation peut créer un fossé entre eux et les moralement irréprochables, l' “irrationnel” et le rationnel, le violent et le social. Nous en avons vu les conséquences lors des émeutes britanniques en août 2011, lorsque de nombreux exclus, désespérant d'améliorer leur sort par des moyens légitimes, se sont risqués dans une guerre privée contre la propriété, la police et le reste de la société. Quelques-uns d'entre eux avaient essayé auparavant de participer à des mouvements populaires, 9 où ils furent stigmatisés comme hooligans; sans surprise, leur rébellion à pris un tour anti-social, avec, pour conséquence, cinq morts et un isolement aggravé par rapport aux autres secteurs de la population.

La responsabilité de cette tragédie ne reposent pas seulement sur les rebelles eux-mêmes, ni sur ceux qui leur ont imposé les injustices qu'ils subissent, mais aussi sur les militants qui les ont stigmatisés plutôt que accueillis dans un mouvement qui aurait canalisé leur colère. Si il n'y a pas de lien entre ceux qui veulent transformer la société et ceux qui souffrent le plus, aucune cause commune entre ceux qui espèrent et les enragés, alors les premiers désavoueront les seconds, et les seconds seront écrasés, en même temps que tout espoir de changement réel. Aucune tentative d'en finir avec les hiérarchies ne peut réussir en excluant les exclus, les Autres.

Quelle serait le fondement de notre légitimité alors, si ce n'est notre engagement envers la légalité, la non-violence ou toute autre norme qui laisse nos camarades en plan? Comment expliquons-nous ce que nous faisons et pourquoi nous nous sentons devoir le faire? Nous devons concevoir et faire circuler une notion de légitimité qui n'est pas contrôlée par nos gouvernants et qui ne crée pas les Autres.

En tant que anarchistes, nous considérons que nos désirs et notre bien-être et ceux de nos semblables constituent les seuls fondements sérieux de nos actions. Plutôt que de les classer en catégories violentes ou non-violentes, nous nous focalisons sur le fait de savoir si elles étendent ou restreignent notre liberté. Plutôt que d'insister sur le fait que nous sommes non-violents, nous mettons l'accent sur la nécessité de mettre fin à la violence inhérente à la loi du haut vers le bas. cela peut contrarier ceux habitués à chercher le dialogue avec les puissants mais c'est inévitable pour ceux qui veulent réellement abolir leurs pouvoirs.

Conclusion: Retour à la stratégie

Comment mettons-nous fin à la violence de la loi du haut vers le bas? Les partisans de la non-violence élaborent leurs arguments en termes stratégiques aussi bien que moraux: la violence aliène les masses, nous empêchant de construire le "pouvoir populaire" dont nous avons besoin pour gagner.10

Il y a un noyau de vérité au cœur de cela. Si la violence est comprise comme usage illégitime de la force leurs arguments peut être résumé comme une tautologie : l'action délégitimée est impopulaire.
Ceux qui tiennent pour acquis la légitimité de la société capitaliste sont susceptibles de considérer comme violentes toutes initiatives concrètes pour abolir ses disparités. Le défi auquel nous sommes confronté alors est de légitimer des formes concrètes de résistance: pas sur des critères de non-violence mais de libération, de satisfaction de besoins et de désirs réels.

Ce n'est pas un sujet facile. Même lorsque nous croyons passionnément en ce que nous faisons, si cela n'est pas majoritairement reconnu comme légitime, nous avons tendance à tergiverser lorsque on nous demande de nous expliquer. Si seulement nous pouvions rester dans les limites qui nous sont prescrites au sein de ce système tout en le renversant! Le mouvement Occupy a été caractérisé par des tentatives pour ne faire que cela - des citoyens insistant sur leur droit à occuper des parcs publics en se fondant sur d'obscurs failles juridiques, formulant des justifications tortueuses qui n'ont pas plus convaincu les observateurs que les autorités. Les gens veulent supprimer les injustices autour d'eux, mais dans une société hautement régulée et contrôlée, ils se sentent autorisés à ne faire que bien peu de choses.

Solnit avait peut-être raison de souligner le fait que la non-violence fut essentielle pour le succès initial de Occupy Wall Street 11: les gens veulent des assurances sur le fait qu'ils ne vont pas devoir quitter leurs zones de confort et que ce qu'ils font est compris par tous les autres. Mais il arrive souvent que les pré-conditions d'un mouvement deviennent des limites à dépasser 12 : Occupy Oakland est resté dynamique après que d'autres occupations aient disparu parce qu'il avait adopté une diversité des tactiques, et non malgré cela. De la même manière, si nous voulons vraiment transformer notre société, nous ne pouvons pas rester éternellement dans les limites étroites de ce que les autorités considèrent comme légitimes : nous devons élargir l'éventail de ce que les gens se sentent autorisés à faire.

Légitimer la résistance, élargir ce qui est acceptable, ne va pas être populaire au début—cela ne l'est jamais, précisément en raison de la tautologie mentionnée plus haut. cela demande des efforts considérables pour faire passer le discours : en réagissant calmement face à l'indignation, en mettant en avant humblement nos propres critères de légitimité.

Penser, ou non, que ce défi en vaut la peine dépend de nos objectifs à long terme. Comme David Graeber l'a souligné, 13 des conflits quant aux objectifs se cachent souvent sous la forme de désaccords stratégiques ou moraux. Faire de la non-violence le principe central de notre mouvement a un sens si notre objectif à long terme n'est pas de remettre en cause la structure fondamentale de notre société mais de construire un mouvement de masse qui peut se réclamer de la légitimité telle que définie par le pouvoir 14- c'est à dire en se préparant à maintenir lui-même l'ordre en son sein. Mais si nous voulons réellement transformer notre société, nous devons transformer notre discours sur la légitimité et pas seulement nous positionner confortablement dans celle-ci, telle qu'elle est conçue actuellement. Si nous nous focalisons uniquement sur ce dernier point, le terrain se dérobera toujours sous nos pieds et nous nous rendrons compte que beaucoup de ceux avec qui nous devons faire cause commune ne pourrons jamais nous rejoindre.
Il est important d'avoir des débats stratégiques : se démarquer du discours non-violent ne signifie pas considérer chaque vitrine brisée comme une bonne idée. Mais des personnes dogmatiques qui insistent sur le fait que tout ce que nous faisons, qui se démarque de leurs objectifs et de leurs principes - pour ne pas dire leur intérêts de classe - n'a pas de sens, empêchent ce débat. Il n'est pas non plus d'un grand intérêt stratégique de se focaliser sur la délégitimation des uns par rapport aux autres plutôt que de se coordonner pour agir ensemble lorsque nous sommes sur un même terrain. C'est exactement le sens de la diversité des tactiques :construire un mouvement qui fait une place à tous , tout en n'en laissant aucune à la domination et à la loi du silence — un "pouvoir populaire" qui peut à la fois s'étendre et s'intensifier.

1. So-called ‘Violence’ in the Global North Alterglobalization Movement http://www.trabal.org/texts/stvio_socmovestud.pdf
2. NDT C'est une des arguments de David Graeber en réponse à Chris Hedge. Selon lui, stigmatiser une catégorie de manifestant-es, c'est les exposer à une violence accrue des forces de l'ordre, voire des manifestant-es "pacifistes" UC cops' use of batons on Occupy camp questioned
http://www.sfgate.com/news/article/UC-cops-use-of-batons-on-Occupy-camp-questioned-2323415.php#ixzz1dQT8J9cb
3. NDT Cette stratégie a été particulièrement claire tout au long de la lutte de Notre Dame des Landes et une des plus grandes réussites du mouvement est de l'avoir mis en échec.
4. NDT Chris Hedges a dénoncé les black blocs dans un article intitulé "Le cancer de Occupy " http://www.truthdig.com/report/item/the_cancer_of_occupy_20120206ce qui a été l'objet d'une réponse de David Graeber https://nplusonemag.com/online-only/online-only/concerning-the-violent-peace-police/
5. http://www.commondreams.org/views/2011/11/14/throwing-out-masters-tools-and-building-better-house-thoughts-importance
6. http://www.crimethinc.com/blog/2011/10/07/dear-occupiers-a-letter-from-anarchists/
7. http://collectiveliberation.org/wp-content/uploads/2013/01/Lorde_The_Masters_Tools.pdf
NDT Audre Lorde 1934 – 1992 Féministe radicale, militante pour les droits civiques. Elle a écrit de nombreux recueils de poèmes
Sur le sujet, voir aussi The Master's Tools Wisdom of Audre Lorde http://www.micahmwhite.com/on-the-masters-tools/
8. A Notre Dame des Landes, le travail a été fait par Susan George et Aurélie Trouvé, respectivement présidente d’honneur et coprésidente d’Attac dans un article pour Le Monde du 06.12.2012 intitulé
Notre-Dame-des-Landes, un creuset pour les mouvements citoyens http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/12/06/un-creuset-pour-les-mouvements-citoyens_1800633_3232.html
Les deux représentantes d'Attac y affirment notamment que "Aujourd'hui comme hier, les opposants pratiquent toutes les variétés de résistance, toujours non-violente.", ceci quelques jours après la résistance acharnée contre l'opération César. Ou encore "Les opposants dans leur diversité ont multiplié les formes de contestation mais sont toujours restés intransigeants sur le fait que la lutte contre ce projet doit être non-violente.", ce qui est une pure invention. Mais la frontière entre légitime et illégitime avait été tracée. Heureusement sans conséquence, grâce notamment à la vigilance et à la maturité militante exprimée notamment dans une réponse "Contre l’aéroport mais pacifistes que ça !" http://zad.nadir.org/spip.php?article861
9. Le mouvement étudiant de novembre-décembre 2010
10. NDT Ici est certainement un point faible de l'analyse qui n'évite pas le piège de l'opposition violence/non-violence et qui affaiblit la notion de diversité des tactiques. L'action directe non-violente peut être tout autant illégitime et un-e militant-e non-violent-e peut accepter la diversité des tactiques, voire passer de l'une à l'autre. Ni la "violence", ni la "non-violence", ne peuvent s'attribuer, ou être considérer, hors contexte, comme "préférable", "plus efficace" et encore moins "seul moyen" d'action. Elles sont l'objet l'une et l'autre, du même traitement par les autorités lorsqu'elles deviennent une menace. C'est cette dernière, et non le moyen en lui-même, qui décide du degré de répression.
11. NDT Occupy ne fut pas que cela. Il en va de même pour la lutte contre l'aéroport de NDDL qui a mené, et qui mène toujours, un combat juridique au plan national et international. Même si il n'est pas suffisant en lui-même, ce combat s'est révélé utile, [parce que] mené de front avec les autres formes de luttes.
12. NDT David Graeber, qui avait été un des initiateurs de la stratégie non-violente de Occupy a été aussi le principal défenseur de la diversité des tactiques. voir note 4
13. The Shock of Victory http://theanarchistlibrary.org/library/david-graeber-the-shock-of-victory
14. L'auteur-e retombe ici dans le piège légitime /illégitime en associant non-violence et légitimité. Voir note 10
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 28 Nov 2014, 06:43

Un article intéressant sur le site d'ACRIMED, sur la déligitimation de la "violence", ici syndicale lors du conflit Goodyear
L’interrogatoire d’un syndicaliste par Marc-Olivier Fogiel
http://www.acrimed.org/article4008.html
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede Blackwater » 30 Nov 2014, 23:24

En tout cas, pour la manif anti-FN d'hier à Lyon, les autonomes violents portent autant que les flics la responsabilité de l'échec total (la dissolution au bout de quelques centaines de mètres) de cette manifestation.
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 01 Déc 2014, 10:55

Je n'ai pas d'info particulière sur ce qui s'est passé à Lyon. Et plus généralement, je ne défends pas une position d'affrontement direct systématique avec la police. Elle peut être parfois gratuite et contre-productive. Pourquoi à Lyon, par exemple, ces affrontements ont-ils eu lieu au début de la manif, l'empêchant de se dérouler comme tu le dis, et non en fin de manif, face, par exemple à des policiers protégeant un rassemblement FN ? Les deux formes d'action y aurait trouvé leur compte.
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Re: De l'utilisation de la violence contre la violence d'Eta

Messagede digger » 01 Déc 2014, 11:09

J'ai lu après le communiqué de A.L. Ils sont plus compréhensifs que moi. Je suis un partisan de la diversité des tactiques mais chacune doit respecter l'autre et la prendre en compte. Si il y a derrière l'idée , que l'une est "meilleure" que l'autre, ou si l'une perturbe l'autre, ce n'est plus de la diversité mais de la concurrence souvent avec des arrières-pensées stériles de boutiques.
Ceci dit, d'après le communiqué de A.L, il n'est pas certain que "autonomes" ou pas, la manif aurait pu se dérouler sans incidents. La police se fiche bien que tu sois "autonome", ou militant de AL ou de la CNT. Pour elle, c'est de la même "racaille".
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