La Poste, chronique d’une mort annoncée
Le 23 septembre 2008, nous étions déjà dans la rue pour dire non au projet de privatisation de Bailly-Sarko sorti « subrepticement » pendant l’été 2008. Cette journée de grève avait marqué les esprits par son caractère exceptionnellement massif (50 % de grévistes, alors que les journées de grève confédérales sont suivies par à peine 30 % des agents).
Malheureusement elle n’aura en aucune manière fait reculer le gouvernement et la direction de La Poste dans leur volonté d’exécuter ce projet funeste pour le service public.
Les aléas économiques n’ont fait que reporter, de quelques mois, sa mise en oeuvre.
La grève du 22 septembre 2009 de La Poste, à l’aube du passage devant les « parlementeurs », a été suivi par près de 40 % des salariés, une mobilisation certes en diminution mais toujours assez forte « historiquement » parlant. Elle dénote tout du moins pour une bonne partie du personnel d’une volonté de refuser la transformation de La Poste en SA et l’ouverture du capital, qui ne manqueront pas de précéder la privatisation à court terme de l’opérateur public postal.
Un projet mûrement préparé
C’est l’Acte unique européen adopté en 1986, sous la présidence de Mitterrand avec Fabius comme Premier sinistre, qui engagea la libéralisation des services postaux, comme le rappelait le Canard enchaîné du 23 septembre. Et tous les gouvernements qui ont suivi, et ce quelle que soit leur couleur politique, ont contribué à la sape du service public postal.
Les personnels déjà présents au début des années quatre-vingt-dix au moment du changement de statut des PTT (sous Quilès) transformant La Poste et France Télécom en établissement public à intérêt commercial avaient bien raison de se méfier, mettant en doute la parole de l’État (de droite comme de gauche) sur sa volonté réelle de vouloir conserver un service public des Postes et Télécommunications réellement accessible à tous les usagers, sans considération de situation
sociale ou de lieu de résidence. Malgré des imperfections dues à la lourdeur bureaucratique des sociétés gérées par l’État, le service rendu au public était de qualité, souvent grâce à l’implication permanente des agents à la base (système D).
Depuis ces années-là, les changements de statut de La Poste ont été nombreux, entraînant à chaque fois des bouleversements organisationnels dont les agents ont eu à subir les frais: suppressions d’emplois (plus de 40000
depuis 1990), flexibilité et précarité accrues, pression permanente (gestion par le stress et management à la « marche ou crève »), et ce avec une qualité de service qui baissait pour l’individu lambda, seule l’entreprise, élevée au rang de véritable Veau d’or, obtient grâce aux yeux des dirigeants. Bien entendu, dans le même temps, la qualité des emplois (et donc des salaires) était revue à la baisse (bien loin est le dernier concours de fonctionnaire) et La Poste se moquait du droit du travail comme de l’an mil (voir les nombreux jugements où elle fut prise en défaut).
Malheureusement, comme à France Télécom, la réponse des salariés à ces multiples attaques contre le service public et ses
agents fut trop souvent de faible ampleur et ils se montraient trop souvent repliés sur des réflexes individualistes de sauver sa peau. Et les organisations syndicales ont souvent fait le dos rond, accompagnant ainsi les changements
orchestrés espérant attraper au passage quelques miettes de respectabilité intéressée.
Il est à craindre que, si nous n’arrivons pas à leur faire abandonner ce projet de privatisation, le personnel de La Poste n’ait à subir les mêmes conséquences que le personnel de France Télécom, avec les drames que l’on connaît: mobilité forcée, management par le stress encore exacerbé, suppression d’emplois en masse, voire même licenciement de salariés
comme de fonctionnaires puisque les derniers textes législatifs votés le permettent.
À qui revient le droit de gérer le service public ?
Le service public, pour être vraiment égalitaire et efficace, devrait être géré par les personnes qui en sont bénéficiaires (ce qui serait normal puisque ce sont elles qui auront défini les besoins à satisfaire par ce service public), ainsi que par ses employés (normal aussi, puisqu’ils ont les compétences nécessaires pour le faire fonctionner). En tout cas, il n’appartient
ni à la nation (notion abstraite sans réalité réelle mis à part ce qu’elle nous fait payer de diverse manière en son nom), ni à
l’État (entité chargée de maintenir la cohésion sociale au profit des plus puissants, au besoin à coups de matraque) de gérer un bien utile à tous, ni à la classe des nantis, qui ne rêvent que d’accroître leurs richesses, déjà considérables.
Une riposte à la mesure de l’attaque
Il n’est plus place désormais ni à l’atermoiement ni aux manoeuvres obscures. La réponse doit être massive et réunir ensemble les usagers et les salariés afin de faire reculer les rapaces qui nous gouvernent! Et cela ne peut se réduire à une nouvelle journée d’action suivie d’une consultation nationale. Le passé récent nous rappelle amplement que le capitalisme et l’État n’ont cure de telles manifestations.
La démonstration en est éclatante avec l’exemple du CPE: seule la lutte paie et peut empêcher ces sinistres projets d’aboutir.
Philippe Postier, affranchi, Groupe La Sociale de Rennes
in le Monde libertaire # 1566
le communiqué qu'à sortie la CGA.
Mobilisons nous contre la privatisation de La Poste Pas de cadeaux pour le capital !
Le gouvernement a décidé de privatiser la Poste à l'automne, en la transformant en société anonyme. Que les dividendes des actions soient destinés à des propriétaires publics dans un premier temps, privés demain, ne change rien sur le fond. La logique d'une société en action est de dégager le plus de profits possible pour distribuer des dividendes attractifs aux actionnaires.
Cela signifierait forcement une dégradation majeure des conditions de travail pour les travailleuses et les travailleurs de la Poste, comme une intensification des cadences, plus de pression à la vente et au chiffre d'affaire, mais aussi, de nouvelles suppressions d'emplois.
Cette dégradation toucherait également les usagers, particulièrement les plus pauvres, avec la fermeture des bureaux non rentables en zone rurale et dans les quartiers populaires, la marchandisation de services encore rendus gratuitement et l'augmentation du prix de tous les services payants.
Comme pour chacun des services publics, la privatisation de la Poste serait une nouvelle victoire pour les patrons. Cela serait un nouveau secteur d'activité livré à leur rapacité, des perspectives d'exploitation et de bénéfices qui s'ouvrent encore devant eux. Ce serait une défaite pour nous, car ces bénéfices seront fait sur le dos des travailleurs et des classes populaires. Cela ferait également reculer l'idée que les intérêts collectifs et les choix de sociétés nous appartiennent, en faisant le jeu d'une minorité d'actionnaires qui déciderait.
La lutte contre la privatisation nous concernent toutes et tous. A nous tous d'appuyer les grèves de postier-es, d'élargir les manifestations pour imposer aujourd'hui à l'État l'abandon du projet de loi de privatisation. Soutenir les postiers aujourd'hui et lutter avec eux, c'est défendre nos intérêts immédiats face à ceux d'une minorité de patrons et de dirigeants, c'est défendre nos intérêts de classe pour contrer ce nouveau recul social orchestré par le gouvernement.
En plus de répondre au mauvais coup que représente la privatisation, si nous voulons défendre durablement nos intérêts, nous ne devons pas nous satisfaire de la gestion des services publics par l'État. Loin d'être le garant de l'égalité, il est la force organisatrice des inégalités au service du capitalisme. C'est l'État qui est à l'initiative de la rentabilisation à marche forcée de la Poste, pourtant acquise par la suppression de 50 000 emplois depuis 2002 et par la fermeture de plusieurs centaines de bureaux de proximité. C'est lui qui organise le glissement vers le marché, de l'ensemble des activités vitales pour la société, santé, éducation, énergie, culture, communication. C'est lui organise pour les classes dirigeantes, économique et politique, le hold-up social sur le dos de la population.
Pour une réelle égalité et pour la satisfaction des besoins de tous, nous devons promouvoir une gestion collective non-étatique des services publics. Pour rompre avec les inégalités, à la Poste, comme dans tous les domaines de la société, nous militons pour que les travailleurs et les usagers gèrent directement la production des biens et services ainsi que leur répartition égalitaire.
Quelle Poste voulons-nous?
La votation citoyenne du 3 octobre est un succès, des centaines de milliers de personnes partout en France se sont prononcés sur l'avenir de la Poste. En Seine-Saint-Denis, près de 68000 personnes ont voté. A une écrasante majorité, le projet de privatisation du gouvernement est désavoué (97% de Non dans le 93). Alternative libertaire s'est impliquée sans état d'âme dans cette initiative.
Mais pour autant, le statu quo ne nous satisfait pas. Nous ne sommes pas pour l'immobilisme. La Poste est déjà largement engagée dans un processus de gestion capitaliste. Pour sa direction, le seul indicateur de qualité qui vaille est celui de la rentabilité financière. Il est incontestable que le niveau de service rendu aux usagers et aux usagères se dégrade et n'est pas satisfaisant: délai d'acheminement du courrier, coût des envois, attente aux guichets. L'organisation actuelle de la Poste ne permet pas de répondre aux besoins.
Mais le projet gouvernement de privatisation détériorera encore les choses. C. Estrosi peut bien jurer qu'il ne s'agit pas d'une privatisation, toutes les personnes qui s'intéressent à la question savent qu'il ment et qu'il ne connaît strictement rien au dossier, ne maitrisant même pas les concepts économiques de base en jeu!
Il est délirant de vouloir transformer la Poste en société privée, objet de toutes les spéculations financières de la part d'investisseurs sans scrupule, au moment même où le système capitaliste montre avec la crise actuelle qu'il ne fonctionne pas, qu'il est facteur d'insécurité sociale généralisée et que la "loi du marché" est une superstition sans fondement logique ou économique. Vouloir soumettre un service public à la roulette russe boursière est irresponsable. Prétendre que c'est indispensable à son développement est mensonger. Si la Poste est privatisée, combien de temps avant que sa direction et ses actionnaires ne viennent pleurnicher auprès de l'Etat pour être renfloués, comme l'ont fait les banques et l'automobile? Si le projet gouvernemental aboutit, la direction de la Poste n'aura plus qu'une obsession: satisfaire ses actionnaires en leur versant les plus gros dividendes possibles. Pour cela, il faudra dégager des profits à très court terme. Très concrètement, ça implique:
- des suppressions de postes massives, donc une dégradation du service aux usagers et usagères; un des enjeux du changement de statut est de pouvoir licencier les salariés et salariées de la Poste.
- une augmentation des tarifs. Non seulement le prix des envois augmentera fortement, en prenant le prétexte de la "concurrence", mais il faut s'attendre à devoir payer pour simplement avoir le droit de recevoir du courrier. De la même manière que pour le téléphone, on paye ses communications et un abonnement simplement pour avoir une ligne permettant d'être appelé, on peut être s'attendre à devoir payer un "abonnement" pour recevoir du courrier.
- la priorité aux entreprises, au détriment des particuliers. pour la Poste, d'un point de vue financier, les particuliers ne sont pas rentables. La Poste "privée" se concentrera sur les entreprises, qu'elle fait déjà payer pour recevoir le courrier dans un délai décent. Les moyens concentrés sur les entreprises manqueront pour satisfaire les particuliers. Nous sommes prêts à parier que, rapidement, nous ne recevrons plus le courrier que tous les 2 ou 3 jours... à moins de payer un "abonnement spécial".
- l'allongement des files d'attente, par manque de personnel, et la fermeture de bureaux considérés comme "non rentables". Tous les "petits" bureaux de Poste sont menacés, et tant pis pour les usagers. La direction de la Poste joue sur les mots en prétendant que le nombre de points de contact augmente: il ne s'agit pas de bureau de Poste, mais de sous-traitance à des buralistes, des épiciers, des marchands de journaux. Bonjour la fiabilité et la confidentialité! Déjà, dans certaines zones rurales, les horaires des bureaux de Poste ont été tellement réduits qu'ils sont quasiment inaccessible. La solution proposée par la Poste? Tout déplacer dans un commerce, ou obliger la mairie à sa prendre à sa charge les locaux et les salaires des personnels!
C. Estrosi, le menteur, prétend avec la direction de la Poste pressée de toucher des stock-options que le changement de statut est indispensable au développement de la Poste. Mais quel développement? Le seul développement pour lequel la Poste a besoin de fonds, c'est le développement à l'étranger. Bref, l'argent ne va pas servir à améliorer le service public, mais à jouer les prédateurs financiers ailleurs dans le monde, pour gonfler les dividendes à verser aux nouveaux actionnaires du groupe privatisé!
Quelle Poste voulons-nous?
En premier lieu, traiter le service postal séparément est un non-sens. C'est bien un service public socialisé des communications dont les citoyens et citoyennes ont besoin. La séparation entre la Poste et France Telecom il y a 20 ans était une aberration due à l'idéologie ultra-libérale de la commission européenne et des gouvernements (droite comme "gauche") de l'époque. Elle répondait à des objectifs financiers, mais en aucune manière à des objectifs de satisfaction des besoins des usagers et usagères. Il faut penser le besoin et l'offre de communication globalement, à tout le moins le courrier postal, la téléphonie et Internet. En particulier, la filialisation de certaines activités de la Poste, qui n'est rien d'autre qu'une privatisation rampante, doit être immédiatement interrompue.
La Poste doit également rompre avec la logique financière. Elle doit se concentrer sur la satisfaction des besoins des usagers et des usagères. Le service public postal doit donc être socialisé. Cela signifie qu'il n'a pas vocation a être financé sur la base de ses ventes. La socialisation signifie que toutes les personnes concernées, tous les producteurs de richesses utilisateurs des services de la Poste doivent mettre au pot commun pour assurer le financement et le développement de la Poste. La socialisation implique un débat continu sur les ressources que la collectivité est prête à attribuer à ces services, et sur les services attendus en retour. C'est pourquoi le service socialisé de communication doit être autogéré: les postiers et postières doivent décider, en relation avec les usagers et les usagères. Ca implique évidemment une exigence démocratique autrement plus élevée qu'actuellement. Ce que nous avons ébauché concernant la votation citoyenne sur l'avenir de la Poste, il faudra l'étendre, le renforcer et le renouveler sur toutes les questions stratégiques touchant à ce service public. Il faudra donc mettre en place les moyens d'une vraie information et d'un vrai débat, et d'une consultation la plus large, la plus directe et la plus démocratique possible. C'est le seul moyen pour qu'un service public soit vraiment l'affaire de tous et toutes, au lieu d'être instrumentalisé par les dirigeants à des fins privées ou partisanes.
La Poste a une chance extraordinaire: ses facteurs et factrices, qui sont les seules travailleurs et travailleuses à visiter ainsi autant de personnes quotidiennement. Il faut permettre à ces agents publics de remplir pleinement leur rôle de lien social. Il faut leur laisser le temps et la possibilité de répondre aux besoins, en particulier des personnes isolées, âgées, dépendantes ou malades. La mission de la Poste peut être élargie à ce rôle social de contact de proximité. Mais ça ne peut en aucun cas venir d'une Direction qui ne connaît strictement rien à la réalité du terrain. C'est pourquoi un vrai service public postal est nécessairement un service public autogéré.
Ce ne sont là que quelques pistes. Elles doivent être approfondies collectivement, usagers, usagères, postiers et postières ensemble. Saisissons-nous de l'ébauche de la votation citoyenne pour vraiment réfléchir aux services publics que nous voulons. C'est l'occasion ou jamais.
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