Anarchisme et justice

Re: Anarchisme et justice

Messagede willio » 23 Nov 2008, 00:00

D'accord avec Léo sur le viol.

Ken le surveillant a écrit:Le vol est présenté comme délit dû a de salaires trop peu élevés. N'existe-t-il pas une frange de la société se moquant des valeurs du travail et préférant le vol (parfois avec violence) ou la vente de produits stupéfiants?

Le vol a t-il encore un sens quand tout est gratuit, quand tout est à tou-te-s, ou du moins quand chacun-e peut satisfaire confortablement (mais raisonnablement) ses besoins ?
willio
 

Re: Anarchisme et justice

Messagede Ken le surveillant » 23 Nov 2008, 13:50

"De même, la révolution n'abolira pas "miraculeusement" les logiques patriarcales. Ce sont sur ces représentations genrées que se développent les logiques qui sous tendent les agressions sexuelles"objéification des femmes, appropriation des corps, dictat du désir masculin, construction d'un rapport à la sexualité fondé sur la "légitimité " patriarcale de la satisfaction masculine immédiate"


Pour moi, on ne peut résumer les crimes sexuels qu'à une image de "femme objet devant se donner à l'homme". Des cas de dérives résultent aussi de pathologies et ce côté de la chose n'est même pas effleuré. Cette analyse pourrait même nous ramener à "L'homme nait bon, c'est la société qui le corrompt". Hors, pour moi, l'homme ne nait pas forcément bon.


Le vol a t-il encore un sens quand tout est gratuit, quand tout est à tou-te-s, ou du moins quand chacun-e peut satisfaire confortablement (mais raisonnablement) ses besoins ?


Evidemment, si tout était gratuit... Mais ce n'est pas le cas et celà ne l'a jamais été. Tout objet/service a une valeur, pas uniquement en terme de monnaie mais aussi en terme de pénibilité, rareté... L'autosuffisance peut être approchée mais il faudra toujours dépendre d'autres pour y arriver. Des échanges seront donc nécessaires. Ne dit-on d'ailleurs pas qu'on ne peut à la fois être au four et au moulin?

Et puis mon raisonnable est-il le tien?
Ken le surveillant
 

Re: Anarchisme et justice

Messagede willio » 23 Nov 2008, 14:10

Ken le surveillant a écrit: Hors, pour moi, l'homme ne nait pas forcément bon.


Le viol est génétique ?


ken a écrit:
Le vol a t-il encore un sens quand tout est gratuit, quand tout est à tou-te-s, ou du moins quand chacun-e peut satisfaire confortablement (mais raisonnablement) ses besoins ?


Evidemment, si tout était gratuit... Mais ce n'est pas le cas et celà ne l'a jamais été. Tout objet/service a une valeur, pas uniquement en terme de monnaie mais aussi en terme de pénibilité, rareté... L'autosuffisance peut être approchée mais il faudra toujours dépendre d'autres pour y arriver. Des échanges seront donc nécessaires. Ne dit-on d'ailleurs pas qu'on ne peut à la fois être au four et au moulin?

Quand tu échanges tu supposes que la propriété privée existe. Or ce n'est pas une fatalité... Si le cout en travail devient négligeable par rapport aux biens/services produits peut-être pourra t-on se passer de cet esprit individualiste bourgeois et de correspondance travail/biens.

Et puis mon raisonnable est-il le tien?

Nos besoins sont sûrement différent mais on doit pouvoir s'entendre sur un raisonnable commun, soit par une moyenne soit par la définition d'une limite supérieure. Celles ci sont d'ailleurs liées à la production collective (pas individuelle).
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Re: Anarchisme et justice

Messagede Pïérô » 23 Nov 2008, 14:39

Ken à raison de soulever la question de la nature humaine, car bien souvent dès que l'on aborde le sujet du projet de société libertaire, nous nous trouvons confrontés à cette question. Et trop souvent des anars s'appuient sur une nature humaine angélique qui fait que nous ne travaillons pas assez sur le sujet. Or la question de la nature humaine est bien plus complexe, comme l'être humain est complexe. Je ne crois pas en une nature humaine bonne ou mauvaise, mais je pense qu'il est important d'offrir un cadre d'organisation et de fonctionnement, et de règles collectives discutées et adoptées, sans lequel toute vie collective ne pourrait s'envisager.

Sur cette question sensible par exemple, il est vrai que nous nous trouvons confrontés à des questions de coercition et de protection du collectif et de chacun(e) de ses membres, et que la question de l'enfermement peut se poser, à défaut d'autre solution. On peut penser aussi aux médicaments et à la "camisolle chimique" (en mal ou en bien d'ailleurs dans certains cas). Si l'on prend le cas du type schyso qui dernièrement à planté un passant au hasard, je ne trouve pas d'autre réponse en terme d'immédiateté que l'enfermement, pour commencer ou recommencer un travail auprès de la personne concernée, et pour protèger la collectivité. La question plus générale des crimes, en fonction de nos valeurs, de notre éthique, voire de notre morale, et de la réponse, des réponses de la collectivité doivent s'envisager. A ce titre je trouve que le texte de Berckman est très intéressant et peut servir à poser des jallons à la construction nécessaire de notre idée du monde pour demain et servir à donner des éléments au débat présent.

Ces questions liées au projet de société sont ultra importantes car ce sont des questions auquelles nous sommes confrontés souvent, sans avoir de réelle réponse, ou en disant "on verra à ce moment là" puisque l'on pense que le projet de société et son application doivent être discuté et partagé par le plus grand nombre, ce qui est juste aussi. Mais sans avoir besoin de créer un modèle ou une recette de cuisine toute faite à appliquer, il est important d'offrir quelques réponses et jallons. C'est aussi je crois pour çà que l'anarchisme a du mal encore à agrèger. Par exemple les marxistes léninistes au sens large vont avoir des réponses d'autant plus "développées" qu'ils pensent dans le même cadre qu'aujourd'hui, et apportent quelquefois des réponses identiques à ceci près que les fonctions seront exercées par d'autres, ces autres représentant les intérêts réels du peuple bien sûr...Nous, nous nous plaçons dans un autre champ et celà doit nous obliger à élaborer d'avantage...
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Re: Anarchisme et justice

Messagede Ken le surveillant » 23 Nov 2008, 16:57

Merci qierrot, je pensais ne pas m'être bien fait comprendre. :lol:

Le viol n'est pas "génétique" dans son sens large. Certains sont organisés (par ex. les"tournantes") tandis que d'autres sont les fruits de "détraqués". La maladie mentale existe et n'a pas forcément l'air d'être prise en compte. Et dans le cas de celle-ci, que faire d'une personne suivie pendant des années mais dont les résultats ne semblent pas suffisants pour le assurer le bien-être de la communauté?

Concernant la propriété privée, je voulais juste expliquer que tout produire seul n'est pas possible. Je ne peux pas récolter des légumes et me tricoter un pull. Je ne vois un les biens comme privés mais comme "m'appartenant le temps de leur production en vue de combler le besoin d'un autre". Il m'est possible d'exercer quelques tâches bien différents (plomberie, repassage, jardinage...) mais pourrais-je subvenir aux besoins de ma famille et, plus largement, de ma communauté seul?

La propriété privée est notre quotidien, à nous d'installer progressivement d'autres moyens de subsister avec notre entourage tout en gardant un oeil sur les réactions de l'Etat.

D'accord avec toi (Willio) pour créer une limite de consommation supérieure (ou moyenne) car, dans notre société actuelle, nous ne sommes plus habitués à rationaliser notre consommation mais bien à exagérer au détriment des plus démunis.
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Re: Anarchisme et justice

Messagede etre humain » 27 Nov 2008, 13:18

Les prisons sont je pense à fermer.Elles ne sont pas adaptées au minimum qu'un étre humain puisse exiger.Vivre à trois ou quatre dans une cellule de 8 metre carré est intolerable,comment un étre humain peu trouver un équilibre psycologique dans de tel condition.Je pense que la solution serait d'envoyé toutes les personnes ayant commis des actes hodieux(viols,assasinat,acte de barbarie,pédophile) dans une ile ,une petite charge explosifs pourait étre implanté juste a coté de leur coeur et ce declancherait a distance en cas de non respect de la zone affecté sur l'ile.Pour les autres personnes ayant commis des actes moins graves,des travaux d'intérets généraux pourraient étre imposés,la durée serait en fonction de la gravité de leurs actes.
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Re: Anarchisme et justice

Messagede babouche » 27 Nov 2008, 19:28

Dans lesq cas de viol, on peut quand même souvent constater que les agresseurs ont été eux-même victimes de sévices, donc je suis d' accord pour dire que c' est un acquis ainsi qu' une maladie psychologique.

Toutefois ne vous méprenez pas, je ne dis pas que les violeurs ne sont au fond que de pauvres victimes. Je suis une femme (enfin, une fille) et quand j' entends parler d' affaires de viols, la seule chose que j' ai envie de faire, c' est de castrer puis d' égorger les connards qui commettent ces actes. :gun:
Tout en sachant que ce n'est pas vraiment la solution....

Ouaip, sujet épineux. :gratte:
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Re: Anarchisme et justice

Messagede Pïérô » 27 Nov 2008, 19:46

Houla, déjà le truc de l'île avec l'explosif à côté du coeur...çà fait frémir, mais là c'est carrément "l'éradication" du gus avec le problème... :lol:

je met ici le texte de Berckman auquel on nous renvoie sur le FMR, pour en discuter, car il est interessant dans l'approche, tiré donc d'ici, http://revolution.celeonet.fr/index.php ... c=8429&hl= , où on pourra aussi retourner pour la suite de ce débat engagé là bas.

Je me permets de me joindre à la discussion. Je ne suis pas entièrement d'accords avec la façon dont tu amène les choses, contout, même si je pense que nous nous retrouvons sur le fond (sans surprise . Tu dis que tu es contre des institutions judiciaires dans une société libertaire. Pourtant peu après, tu réponds à la question "qui prends les décisions ?" : "une justice autogérée localement", ce qui me semble contradictoire.
Il s'agit bel et bien d'une institution judiciaire (c'est à dire d'un outil de décision). Ce qui a mon avis diffère fondamentalement entre la logique étatiste et la logique libertaire, c'est le caractère permanent pour l'une, délimité dans le temps pour l'autre de cette institution. c'est la question de la spécialisation :faut il ou non un corps judiciaire permanent, c'est à dire un corps dont c'est le métier. L'existence d'un corps permanent pose tout simplement le problème :
1/ du non contrôle de ce corps par sa permanence même
2/ des logiques de défenses des intérêts du corps et des individus qui le compose passant avant les intérêts "supérieurs" de la justice en tant que valeur indissociablement lié, pour les libertaire, à la notion d'égalité sociale et économique.

C'est justement ce qui fait que l'Etat et ses fonction régaliennes, police justice armée, ne peuvent être des instruments neutres tout simplement parce qu'elles reposent sur des individus de chair avec leurs intérêt bien matériels, individuels, économiques, politiques et sociaux, et parce qu'elles correspondent à des intérêts qui n'ont rien à voir avec de quelconque valeur.
Ca c'est pour la phase "critique de l'institution judiciaire permanente -étatique- actuelle".
si on y ajoute les critiques des bases sociales de la criminalité :
Economiques pour le vol
Patriarcales (politico-socio-économique) pour les agressions sexuelles et les viols

On peut dès lors effectivement dire qu'on ne peut combattre la criminalité -ou déviance- qu'en s'attaquant à ses racines : capitalisme, patriarcat, mais aussi étatisme.

Dans une société ou le vol est permanent et légal (la plus-value apropriée), dans une société dont les valeurs sont la domination des femmes par les hommes et leur exploitation économique, sexuelle, sociale, la lutte contre ces phénomène nécessite
1/ de raisonner hors des critères de la légalité : ce qui est légal n'est pas forcément juste. Ce qui est illégal n'est pas forcémment injuste. toute société est basé sur un droit formel, qui lui même est basé sur un droit positif (principes liées à des valeurs et à un consensus social)
2/ De saisir que combattre les logiques de domination et d'exploitation dont les viols et les meurtres sont des éléments passe par l'abolition des systèmes sociaux qui les alimentent
3/ De remmettre en cause la lecture étatiste d'un certain nombre de fait qualifiés comme "crimes" ou "délits" : de quoi parle t'on ? aujourd'hui il est "légal" d'assassiner des gens sous prétexte de "guerre" ou de "pacification" ou de "maintien de l'ordre". Est-ce juste ? Aujourd'hui il est "légal" de voler quotidiennement le fruit de leur travail au travailleurs-euses, de détourner l'argent public. Il ne l'est pas de voler de quoi manger dans un magasin.
Une lecture libertaire serait d'analyser les phénomène en terme de domination : l'acte est il facteur de domination ou s'oppose t'il à une logique de domination. Un même fait (je ne parle pas ici pour les viols, que je traiterais à part) peut avoir une signification bien différence selon les protagonistes qu'il met en jeu.
Ex : le vol : Qui vole ? qui est volé ? si celui qui vole est un travailleur sous payé, et celui volé est un patron qui s'engraisse sur le boulot des prolo, peut on parler de vol ou de restitution.
le meurtre : l'acte d'une femme qui tue son mari qui la bat en se défendant n'a pas la même signification qu'un mari qui tue sa femme dans un cadre de violence conjuguale. Dans un cas, c'est une logique de défense, dans l'autre une logique de domination.

Si on remet en cause les base sociales, et qu'on aboutit à une situation égalitaire au niveau économique et social (société communiste libertaire), on ne supprime pas les déviances mais
1/ On les réduit de fait en supprimant les bases sociales qui la sous tendent
2/ Elles changent de sens : quand la société assure à toutes et tous la possibilité de vivre de manière égale et digne (selon le principe "de chacun selon sa capacité, à chacun selon ses besoins", le vol ne peut plus être lu comme un acte de survie, mais à l'instar du capitalisme, comme l'apropriation du travail d'autrui. et la société doit se défendre comme elle se défend contre tout exploiteur.
De même, la révolution n'abolira pas "miraculeusement" les logiques patriarcales. Ce sont sur ces représentations genrées que se développent les logiques qui sous tendent les agressions sexuelles"objéification des femmes, apropriation des corps, dictat du désir masculin, construction d'un rapport à la sexualité fondé sur la "légitimité " patriarcale de la satisfaction masculine immédiate". Ce sont ces logiques qu'il faut combattre, parce qu'il y a un lien direct entre les représentation liées à la sexualité (représentation guérrière, négation de l'humanité des femmes par les processus d'objeification) et les logiques de domination et d'agression sexuelles, entre les processus psychologiques et sociaux de la violence-domination (dénigrement, images des femmes liées à la soumission, harcèlement, insulte) et leur aboutissment physique (coups, crimes "passionnels"(sic) en fait possessionnels-patriarcaux).
c'est une lutte qu'il nous faut mener dès maintenant et poursuivre dans toute société, et elle implique une remise en cause y compris des représentations et pratiques personnelles.

A côté de ce travail à l'échelle individuelle et sociale, si nous refusons l'enfermement (facteur de récidive et échec patent pour ce qui est de la liquidation des processus de violence et de domination) il y a quatre choses indispensable (et c'est là, surtout, que je trouve que tu fait l'impasse sur cet aspect, contout)
1/ Une souvent négligée dans les milieux anticarcéraux et libertaire et pourtant fondamentale : la protection des victimes. c'est à mon avis une des première choses à s'assurer, dans les cas de viol, d'intimidation, de violences physiques ou de meurtre. Y renoncer c'est admettre que la victime soit celle qui parte, parce que la coexistence du bourreau et de la victime dans le même espace est impossible. Un choix est à faire. Ne pas protéger la victime et lui garantir que son espace est sur, et qu'elle s'y trouvera à l'abris de son agresseur, c'est entériner la situation de domination.
2/ Protéger le corps social : celui-ci doit se défendre contre toute tentative de lui imposer des logiques de domination et de contrainte. Se défendre contre une contrainte ou une domination n'est pas contraindre, sauf à équivaloir dominant et dominé, et donc par exemple, à dire que le résistant qui tue un nazi fait un acte équivalent que le nazi qui tue un résistant.
Cela signifie mandater des personnes pour garantir l'éloignement de l'auteur de la violence. Cet éloignement n'est pas enfermement mais suppose une forme de "contrainte" pour l'agresseur, qui est la garantie pour la victime et le corps social de ne pas être "contraint" par l'agresseur. c'est ce qui différencie la conception de la liberté par les libertaires et celle des libéraux : notre liberté n'est pas celle du renard dans le poulailler, ce n'est pas un idéal égoiste (au sens libéral) hors du temps.
3/ Penser à la dimension "réparation". Se soucier de la victime c'est envisager tous les moyens de lui reconnaitre son statut, mais aussi de l'aider à le dépasser. C'est donc réfléchir aux possibilités, quand elles existent, de demander à l'auteur de "réparer" le tort commis.
4/ Penser l'accompagnement de l'auteur et la possibilité d'une "deuxième chance" pour celui-ci, avec des conditions différentes selon la gravité du crime , et dans un lieu autre que celui de la ou des victimes.

Pour moi la société libertaire est fondée sur la libre association, donc le contrat entre productrices et producteurs. L'association productive suppose le respect de règle commune, dont la plus fondamentale est le refus de toute domination. Ces contrats sont la source d'un droit libertaire (comme l'a bien montré notre camarade Gandini, dans un certain nombre d'article écrits dans le monde libertaire il y a quelques années)
Le non respect de ses règles romp l'association?

A mon avis, l'institution judiciaire temporaire ne peut être composée de personnes vivant sur les lieux de l'acte ou liées aux protagonistes. Sinon on se retrouve dans des logiques d'intérêt et de contrôle social dignes des plus caricaturals logiques de village ou de panoptyques à la Foucault.
Il faut donc mandater les personnes.
Reste la logique du droit. Je pense que s'il faut le rendre accessible au plus grand nombre, il doit y avoir possibilités pour différents points de vue et interprètations de s'exprimer, ce qui suppose un approfondissement de cette connaissance. Donc la formation de "techniciens du droit". Ce qui est fondamental, c'est que le processus décisionnels ne soient pas en leurs mains mais qu'ils n'aient voix au chapitre qu'à titre d'expert, avec la possibilité pour la "défense"


Pour ce qui est de ta deuxième question : Pour moi comme je l'ai dit précédemment, la liberté n'est pas un idéal hors du temps. La condition de l'association productive est de participer au processus de production, en fonction de ses moyens (on ne demandera pas par exemple à un travailleurs handicapé le même type de travail qu'un travailleur valide, sauf si le premier le souhaite). Une société doit garantir à tous et toutes la possibilité d'un épanouissement artistique, culturel, donc du temps libre. Mais une société communiste libertaire refuse que les un-e-s profitent du travail des autres (ça c'est justement le principe du capitalisme). Donc pour que la liberté des uns ne soient pas la négation de celle des autres, tout le monde doit travailler pour bénéficier du produit du travail commun, mais aussi pour rendre la création artitistique et poétique accessible à chacun, par une réduction massive du temps de travail et par une réorganisation de l'économie au service des besoins réels (ce qui suppose la suppression des métiers inutiles liées à la société capitaliste et aux logiques consumméristes liées au capitalisme).
Pour l'abolition du salariat dont, mais pour le partage égal du temps et de la pénibilité du travail, comme du produit du travail.

Voilà, je sais pas si j'ai été très clair...
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Re: Anarchisme et justice

Messagede Pïérô » 09 Avr 2014, 01:36

Régulation collective des comportements anti-sociaux

La question de la déviance par rapport à ce que l’on peut imaginer être les règles collectives d’une société anarchiste et les comportements anti-sociaux, mettant en danger les autres membres de la société, peuvent sembler être des points d’achoppement pour tout projet de société anti-autoritaire. Une société anarchiste ne sera-t-elle pas contrainte d’appliquer un principe autoritaire si elle veut pouvoir se maintenir et préserver par exemple l’intégrité physique de ses membres ?

Le premier point qu’il semble nécessaire de souligner, c’est qu’il ne s’agit certainement pas de concevoir les pratiques anarchistes comment le produit de principes transcendants et absolus ayant un caractère divin. Ce sont plutôt des hypothèses décidées et expérimentées collectivement. Elles sont donc amenées à pouvoir changer tant dans les moyens mis en œuvre que dans leurs buts, en fonction des conséquences pratiques qu’elles produisent.

Si l’on peut supposer que la forme de l’organisation sociale peut diminuer nettement ce que l’on qualifie actuellement de criminalité, soit en faisant disparaître l’inégalité sociale, soit en faisant disparaître certaines qualifications juridiques (par exemple on peut supposer que la notion de « délit de racolage passif » n’a aucun sens dans une société anarchiste), il est sans doutes excessif de supposer que tout comportements anti-sociaux impliquant une dangerosité pour autrui disparaîtra totalement. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont inscrits au moins à titre résiduels dans une nature universelle des êtres humains, mais il existe également une plasticité épigénétique propre à chaque individu, une histoire singulière individuelle, des circonstances particulières, sur lesquels il n’est pas possible de faire une science générale et qui peuvent induire certains comportements.

Si l’on admet l’existence possible de comportements qui puissent être dangereux pour les autres membres de la société émanent d’autres membres de celle-ci, cela pose donc la question de savoir comment traiter ces situations. Le problème n’est pas en soi le fait que des individus puissent avoir des comportements asociaux, mais il s’agit plutôt du cas où ceux-ci présentent un réel danger pour d’autres membres de la société. De ce fait, y-a-t-il un droit dans la société anarchiste, et plus particulièrement un droit dit « pénal » ? Par qui peuvent être prises les décisions et selon quelles règles ? Quelles peuvent être les orientations de ce droit et ses pratiques ?

Je n’ai pas la prétention dans un texte aussi court répondre dans le détail à ces questions, mais j’espère pouvoir apporté quelques pistes de réponses. La première partie de ce texte sera consacrée à l’exposition des principes généraux, tandis que la seconde partie s’attachera à effectuer des focus sur des principes qui pourraient être ceux qui orientent le droit anarchiste.


I – Présentation générale d’une alternative judiciaire anarchiste

1 - L’existence d’un droit anarchiste

Il me semble tout à fait légitime et non contradictoire de supposer l’existence d’un droit anarchiste. A vrai dire, l’œuvre de Proudhon, qui fut le premier à qualifier positivement son système politique d’anarchie, est une œuvre fortement juridique[1]. De même, si les anarchistes ont des mandatés sur mandats impératifs[2], voire sur mandat semi-impératif avec contrôle a posteriori[3], cela constitue bien du droit que ces pratiques soient écrites ou non-écrites, c’est-à-dire des coutumes[4].

Le problème est plutôt celui de savoir de quelles institutions et de droit les anarchistes peuvent disposer pour résoudre ce type de problèmes. A vrai dire, depuis que les organisations anarchistes existent, ceux-ci ont été confrontés à la question de la violation de leurs règles collectives et ont donc bien dû y faire face.

Sans entrer dans la diversité des solutions concrètes qui ont pu être adoptées, il peut sembler cohérent de dire que tout comme les prises de décisions concernant les questions sociales et politiques impliquent directement les citoyens eux-mêmes, dans la société anarchiste, elles les impliquent également quand il s’agit des questions que l’on qualifient actuellement de pénales. Dans les organisations anarchistes, c’est en fait collectivement et sur des bases de démocratie directe que se gèrent la question des transgressions des règles collectives. A vrai dire, sur ce point la démocratie directe athénienne avait déjà établi des éléments intéressants en la matière (dont certains sont encore appliqués pour une part aujourd’hui) comme celui du tirage au sort des citoyens devant participer au jugement parmi une liste de volontaire. Il est à noter que certains systèmes judiciaires – comme le système américain – peuvent reconnaître à la défense le droit discrétionnaire de récuser des jurés.

Outre le caractère de démocratie directe que semble supposer la conception anarchiste du droit, il me semble qu’elle doit également inclure des procédures permettant de garantir les droits de l’individu accusé. De ce point de vue, depuis l’Habeas Corpus, les systèmes juridiques des démocraties représentatives libérales ont connu des évolutions, voire des améliorations. Mais certainement que l’un des aspects qui reste les plus problématiques, c’est le caractère inégalitaire économiquement des systèmes judiciaires existant où la capacité à payer les services d’avocats nombreux et rodés constitue un avantage non-négligeable. Cette dimension est donc un point que l’égalité sociale prônée par le communisme libertaire devrait pouvoir améliorer.

Mais il n’en reste pas moins que les éléments évoqués ne peuvent à eux seuls suffire à définir le caractère du système judiciaire « pénal » anarchiste. Il peut d’ailleurs sembler intéressant de proposer un autre terme car la notion de « pénal » renvoie aux peines sanctionnant des délits, or c’est justement ce type d’orientation que le droit anarchiste ne devrait certainement pas adopter. La notion de droit « social » aurait pu convenir si elle ne désignait pas, dans la société actuelle, le droit du travail, de la sécurité sociale et de la mutualité.

2 - L’expérimentation d’un autre type de droit

S’il ne s’agit pas d’imaginer que la société anarchiste sera une société sans droit, il semble légitime de penser qu’elle sera en revanche une société dont le droit expérimentera un autre rapport aux comportements anti-sociaux qui présentent un caractère de dangerosité pour les autres membres de la société. Imaginer que la société anarchiste ne possède pas des institutions lui permettant de réguler ce type de situations, c’est s’exposer aux risques de vengeances interpersonnelles, aux pratiques de lynchages collectifs qui ne valent guère mieux et sont même pires que les institutions de la démocratie bourgeoise.

Les principes qui semblent les plus opposés à un droit anarchiste sont ceux qui sont orientés vers les notions de punitions, sanctions, châtiments, répression, prison… En revanche, d’autres principes du droit ne semblent pas antinomiques avec les valeurs d’une société anarchiste : la protection des victimes, la réparation, la protection de la vie sociale, la prévention… En effet, si les anarchistes « communistes libertaires » sont libertaires et donc attachés aux droits des individus, ils sont également communistes et donc soucieux de la vie sociale collective et croient donc aux pratiques d’entraide et de solidarité. C’est donc à une équilibration, certes difficile et fragile, que doit tendre une société anarchiste entre ces deux dimensions qui peuvent être parfois antinomiques. Il ne peut pas s’agir d’une société où règne la loi du plus fort.

Il est certain que l’une des dimensions les plus importantes constitue la place que la société anarchiste peut accorder à la socialisation de l’enfant et au fait de favoriser des comportements de coopération et de solidarité. L’éducation et la prévention sont certainement une dimension importante.

Il semble en outre légitime que le droit anarchiste privilégie autant que possible la protection de la victime quand cela est possible, par exemple par l’éloignement de l’agresseur. La réparation, si elle nécessite des soins physiques ou psychologiques, a un coût en temps de travail pour la collectivité, qui peut passer par la réalisation d’un travail à caractère social de la part de l’agresseur… Ainsi, par exemple certaines associations dans le cas d’agressions homophobes proposent non pas que l’agresseur fasse de la prison, mais plutôt qu’il effectue un travail dans une association de lutte contre l’homophobie afin de changer son regard sur cette question… En ce qui concerne l’éloignement, celui-ci est pratiqué par exemple dans le cas des conjoints qui se montrent violents à l’égard de leurs compagnes. De même, on a oublié que l’ostracisme dans la Grèce antique était une décision prise collectivement par les citoyens à l’égard d’individus dont le pouvoir au sein de la société risquait de les rendre dangereux pour les institutions démocratiques, c’est ainsi en particulier qu’Alcibiade se trouva éloigné de la société athénienne.


3 - Différentes formes de transgression des règles collectives

Si l’on prend les cas des transgressions présentant un caractère social problématique que le mode d’organisation anarchiste n’aura pas fait disparaître, il faut certainement là aussi en distinguer deux formes.

On peut avoir commis une transgression dont on reconnaît le caractère problématique parce que chacun peut se mettre en colère ou que nous n’agissons pas toujours de manière raisonnable comme lorsqu’un individu prend le volant après avoir bu ou lorsque nous commettons un excès de vitesse… Dans ce cas-là, l’individu peut accepter d’effectuer volontairement un travail à caractère social. Il peut d’autant plus l’accepter qu’il sait que le type d’acte qu’il a commis le conduit à subir une certaine opprobre sociale et que le fait d’accepter d’effectuer ce travail le réintègre pleinement dans la collectivité.

Les cas les plus délicats seraient ceux d’une personne qui manifestement refuse d’effectuer une réparation sociale du coût de ses actes, et même dont ses actes l’expose à un vindicte collective. Il ne faut pas en effet se leurrer : laisser sans réguler collectivement le problème d’une personne qui est ressentie comme un danger par les autres membres de la collectivité, c’est s’exposer à ce qu’elles règlent le problème elles-mêmes de manière violente et définitive.

Historiquement, des solutions ont pu être appliquées à de telles situations consistant à bannir les individus en question dans un lieu isolé, telle une île. De ce point de vue, il n’y a certainement pas de solution parfaite. Tout serait effectivement simple si nous étions des êtres parfaits, mais cela n’est certainement pas le cas… Il faut donc essayer de trouver les moins mauvaises solutions le plus en accord avec nos valeurs anarchistes.

Il est certainement un aspect sur lequel il semble important d’insister, c’est sur ce que l’on qualifie de risque de récidive. Il faut certainement rapporter cette notion de récidive dans le cas d’un acte anti-social dangereux au nombre de fois où cet acte est commis par des individus qui ne repasseront pas à l’acte. La notion de récidive substantialise l’individu. Il ne s’agit pas de nier que certaines personnes repasseront à l’acte, mais nombre d’entre elles ne le feront pas et nous ne disposons pas de moyens de prévoir de manière absolument certaine cette récidive.


II – Focus sur des principes applicables dans un droit « pénal » anarchiste

Il me paraît important dans une seconde partie de revenir sur ce qui pourrait constituer les grandes orientations d’un droit anarchiste face aux transgressions sociales effectuées par un individu qui met en danger autrui. Le droit actuel en la matière repose entre autres sur des éléments tels que la crainte de la sanction. Sanction dont la forme a évolué dans nos sociétés du châtiment corporel vers l’emprisonnement. Pourtant, il existe également dans notre droit actuel nombre d’éléments qui pourraient être repris et accentués dans une société anarchiste. Il serait en effet naïf de croire que les anarchistes vont trouver des solutions miracles au problème de la criminalité auxquelles personne n’aurait jamais pensé et qui n’auraient jamais été expérimentées nul part et qui fonctionneraient. De ce fait, le droit « pénal » anarchiste ne constitue pas une utopie, mais un choix vers des orientations déjà présentes dans nos dispositifs judiciaires actuels au détriment d’autres qui mettent l’accent sur la répression et la sanction. Il s’agit d’une part de prendre une distance avec la peine comme châtiment moral et d’autre part avec la thèse que les règles de la vie sociale ne puissent être maintenues que par la violence et la crainte.

1 – La prévention des transgressions

Concernant la prévention des transgressions sociales, le système éducatif a un rôle très important à jouer, certainement bien plus que ce n’est le cas aujourd’hui. En effet, plusieurs visions des fonctions du système scolaire s’affrontent dans notre société : transmission de connaissances, préparation à la vie professionnelle, formation à la citoyenneté, à la vie sociale, épanouissement de l’enfant… Les anarchistes ont souvent accordé une place importante au fait que l’école devait être le lieu où les enfants se socialisaient à des rapports de coopération non-autoritaires avec autrui. Le pédagogue John Dewey avait une formule qui résume assez bien cette fonction de l’école : « l’éducation est un processus de vie, et non une préparation à la vie ». De fait, le système éducatif a donc un rôle primordial à jouer dans la socialisation de l’enfant à des pratiques de solidarité avec autrui, mais également pour l’aider à être capable de comprendre rationnellement que les règles sociales ne sont pas des normes transcendantes, qui s’imposent à lui comme des obligations religieuses, mais des conditions de possibilité de toute vie en société.

En tant qu’enseignante, j’ai eu la tristesse d’être confrontée au meurtre par arme blanche d’un de mes élèves sur le parking de l’établissement où j’enseignais et dont un autre de mes élèves a été accusé. Deux éléments m’ont fortement marqués. Le premier, c’est le désarroi des enseignants face à cette situation. La plupart n’osèrent pas en parler avec leurs élèves. La remarque d’une enseignante résumait la situation : « que veux-tu que je leur dise, je ne sais que faire cours ». Le second point réside dans la méconnaissance dont faisait preuve mes élèves, comme bon nombre de personnes, de conseils élémentaires de self-défense : par exemple le fait de penser que posséder une arme personnelle sur soi puisse être un bon moyen de se défendre, alors qu’il existe un certain nombre d’arguments qui conduisent à déconseiller une telle stratégie.

Il me semble par conséquent que le système éducatif actuel est encore loin de jouer son plein rôle dans la prévention de la violence physique et la socialisation aux règles de vie en société. De ce point de vue, les lycées expérimentaux, fonctionnant selon des règles autogestionnaires, semblent pouvoir constituer une meilleure préparation à la vie sociale dans la mesure où il la mette en pratique.

Néanmoins, à l’inverse, il est des formes de prévention dont il est nécessaire de se méfier, ce sont celles qui visent à essayer de dépister chez l’enfant des tendances criminelles qui seraient présentes en germe chez lui. Cette conception de la prévention repose sur le fantasme que la criminalité serait un fait naturel : il y aurait des êtres humains qui en seraient porteurs sous forme d’une pré-disposition. Le second fantasme résiderait dans l’idée que la prévention consisterait à détecter ces tendances avant qu’elles ne se manifestent et à essayer d’inhiber leur développement par un dressage de l’individu.

2 – La protection de la victime

S’il est un point sur lequel on a pu attaquer le discours anti-repressif et anti-carcéral, c’est la tendance qu’il aurait à ne pas prendre en compte le droit légitime des victimes à être protégées. C’est en particulier une demande que l’on trouve présente chez les féministes qui ont réclamé des mesures de protection spécifiques pour les femmes battues ou les défenseurs des droits de l’enfant dans les cas de maltraitance. Ainsi, certaines féministes ont pu reprocher par exemple à Michel Foucault dans son analyse du cas Pierre Rivière d’omettre la dimension misogyne contenu dans le meurtre de sa mère.

Un certain nombre des mesures de protection de la victime portent, comme je l’ai déjà précisé, sur l’éloignement du conjoint – souvent l’époux – maltraitant vis-à-vis de sa femme et/ou de ses enfants. Il faut ainsi rappeler que cela a été un combat pour les femmes de parvenir à faire accepter que l’épouse ne soit pas accusée d’abandon de domicile conjugale lorsqu’elle s’enfuyait et de pouvoir ensuite être réintégrée dans le domicile, tandis que le mari devait le quitter et s’en tenir éloigné. De même, les intérêts de la protection de l’enfant peuvent conduire à ce que le parent maltraitant soit déchu en parti ou totalité de ses droits parentaux et contraint à un éloignement de l’enfant ou à un droit de visite fortement encadré.

Les mesures de protection des victimes avérées ou potentielles – comme dans la crainte d’une récidive en cas de viol par exemple – peuvent prendre des formes diverses en fonction des situations. En effet, un individu peut sembler dangereux pour une personne, pour une catégorie de personnes ou pour n’importe quel individu sans distinction. Il est évident que la catégorie de dangerosité présente en outre des difficultés d’appréciation. Il est donc possible d’appliquer une protection différenciée en fonction des cas : éloignement d’une personne en particulier ou d’une catégorie de personnes, isolement…

La limite des mesures de protection tient au fait qu’elles interviennent une fois que la victime a déjà subi une agression pour éviter qu’elle ne se reproduise, plus rarement dans les cas où elle subie une menace avérée d’agression. Il est en effet difficile de prendre des mesures préventives à l’égard de quelqu’un qui n’a pas encore commis d’agression simplement parce que l’on soupçonne que cela pourrait être le cas.

3 – La réparation de la victime et la réparation sociale

La question de la réparation de la victime pose deux limites. La première est qu’il existe des dommages qui sont irréparables : ils peuvent causer une blessure physique ou une atteinte psychique dont il n’est pas possible de produire une réparation. L’exemple paradigmatique, c’est le décès d’un proche.

Il est intéressant à cet égard de discuter un type de modèle que l’on peut trouver chez certains anarchistes, tels E. Armand[5], qui est le système assurantiel. Armand imagine que dans une société anarchiste individualiste, les conséquences d’un acte dommageable pour autrui sont pris en charge par un système d’assurance auquel a souscrit l’individu. De fait, pour Armand, la compensation financière fourni à l’individu suffit à réparer le tort dont il a été victime. Certes, il y a souvent une confusion entre justice et vengeance, et la sanction ne peut pas plus revenir sur un dommage irréparable, mais il n’en reste pas moins que la compensation financière par exemple peut parfois apparaître davantage comme une injure que comme une réparation symbolique pour la victime. De même, on trouve chez Michel Foucault la thèse que l’amende pourrait se substituer au système carcéral. Cependant, dans le système qui est le notre, l’amende constitue un avantage et presque une autorisation pour les plus riches.

On peut supposer néanmoins que dans une société anarchiste communiste, où la propriété privée a disparu et où un certain nombre de services sont socialisés, la responsabilité de la réparation accordée à la victime en termes de soin physique ou psychologiques incombe à la société dans son ensemble.

Mais cela conduit alors à poser le problème de la réparation que l’individu qui a commis l’acte criminel doit à la société qui s’est acquitté à sa place de la réparation due à la victime. En effet, si aucune réparation sociale n’est demandée à l’individu auteur de l’acte, cela peut risquer d’apparaitre comme une injustice pour les autres membres de la collectivité qui sont conduits à porter la charge, en termes de temps de travail, des conséquences de son acte. On peut alors se demander si de ce fait, comme dans le cas des systèmes d’échange locaux, l’individu auteur de l’acte de transgression ne serait pas alors tenu de fournir un certain nombre d’heures de travail à la collectivité qui prendraient sur son temps de loisir individuel.

4 – La réintégration de l’auteur de l’acte criminel

La question de la réintégration de l’auteur de l’acte criminel conduit à poser celle de la prévention, mais dans un sens différent de la manière dont elle a été posée au début de cette partie. En effet, initialement, la prévention a été abordée dans le cadre du système scolaire par rapport à un individu qui n’a commis aucun acte grave de transgression sociale et qui se situe plutôt dans une période d’apprentissage de ces règles sociales.

La réintégration se pose dans le cas d’un individu qui a été socialisé et qui malgré cela commet un acte anti-social grave. Cet acte peut être d’autant plus problématique s’il est ressenti par les autres membres de la collectivité comme pouvant leur faire courir à nouveau un risque potentiel.

L’usage de la périphrase « l’auteur de l’acte criminel » et non pas « le criminel » vise ici à prévenir le risque d’essentialisation du criminel. Le fait qu’un individu soit la cause matériel d’une transgression qui nuise à la vie sociale ne signifie pas qu’il soit en lui-même un criminel. Le fait que l’acte ne permet pas de conclure à une nature en soi criminelle de l’individu est ce qui rend possible la réintégration.

La notion de réintégration peut néanmoins être sujette à des ambiguïtés qu’il s’avère nécessaire de lever. En effet, cette notion semble suggérer que l’individu était socialement intégré, puis qu’il a cessé de l’être. Or, tout individu, même auteur d’un acte criminel, est toujours plus ou moins intégré à une vie sociale. Cette notion peut néanmoins avoir un sens proche de retour à la vie sociale dans le cas où la réintégration suivrait une mesure de protection des victimes qui prendrait la forme d’un éloignement ou d’un isolement. En effet, si l’éloignement peut s’avérer nécessaire dans un premier temps, peut se poser le problème de son maintien et alors également celui de savoir comment y mettre fin sans risquer de faire courir un danger aux victimes ou à des victimes potentielles.

Une seconde ambiguïté que cette notion de réintégration doit conduire à lever est celle de la réadaptation. En effet, le danger peut être de chercher à faire de l’individu un être parfaitement adapté à une norme sociale imaginée ou de se proposer de le rééduquer au sens où il s’agirait de reconditionner sa personnalité. En effet, si la vie en société suppose certainement un certain degré d’adaptation, elle n’est pas incompatible non plus avec un certain écart avec les normes habituelles du moment que cet écart ne porte pas atteinte aux autres membres de la société.

La réintégration pose plutôt la question des dispositifs qu’une société peut mettre en place pour sensibiliser l’auteur de l’acte au caractère problématique de son acte et rendre possible son retour dans la vie sociale en évitant à la fois qu’il ne soit victime de formes d’exclusion de la part des autres membres de la société, mais également en parvenant au mieux à éviter de nouvelles atteintes à autrui.

Dans le cas de personnes qui ont par exemple subi des mesures d’éloignement ou d’isolement, visant à protéger leurs anciennes victimes ou des victimes potentielles – comme dans le cas d’un viol –, il est peut être possible d’imaginer des dispositifs de réintégration progressifs comprenant des éléments de réparation sociale, ainsi que des situations de co-présence dans un cadre sécurisé. Il est ainsi possible d’imaginer justement que l’individu en question soit conduit à effectuer un travail d’intérêt général dans une structure se donnant pour objectif d’assurer la réparation des victimes ce qui permet de sensibiliser l’individu aux conséquences de son acte.

Ce type d’expérience existe déjà en partie lorsque par exemple on propose à une personne ayant conduit en état d’ivresse d’effectuer un travail d’intérêt général dans une association d’aide aux personnes victimes d’accident de la route.


Texte d’Irène Pereira, philosophe et sociologue


NOTES

[1] Anne-Sophie Chambost, Pierre Jospeh Proudhon – Pensée juridique d’un anarchiste -, Rennes, PUR, 2004.

[2] Le mandat impératif s’oppose au mandat représentatif. Dans le mandat représentatif qui appartient à la démocratie représentatif, l’élu n’est pas tenu de respecter un programme précis. Dans le cadre du mandat représentatif, il est un délégué et il ne peut aller contre les décisions prises par ses mandants.

[3] Dans ce type de mandat, le délégué doit se soumettre aux décisions de ses mandants, sauf si dans le cadre de la réunion à laquelle il assiste de nouveaux éléments conduisent à modifier sa décision. Dans ce cas, il peut prendre l’initiative de sortir de son mandat. En revanche, sa décision doit être ensuite ratifiée par ses mandants.

[4] Maxime Le Roy, La coutume ouvrière, Éditions CNT-RP, Paris, 2007.

[5] E. Armand, L’initiation anarchiste individualiste, Paris, Editions de l’En dehors, 1923.

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