Concernant "Les Communards", "Basta", et la tentation électorale...
Chers compagnons,
Nous avons bien été informé-e-s de votre volonté d'apporter le soutien des communistes libertaires à la liste « Basta » pour les élections municipales de Metz.
Nous partageons avec vous les constats sur le bilan municipal, le pouvoir en place, et de nombreuses références. Il nous semble important, puisque nous nous revendiquons du même courant politique, d'expliquer notre désaccord suite à votre initiative.
La crise, la volonté d'être audible, ne justifient pas tout.
L'appel à la constitution d'un groupe, « Les Communards », en vue des élections municipales messines, fait le pari de l'« inflexion tactique contextuelle » pour changer la donne. Il interroge sur la possibilité d'être entendu à une échelle de masse et il est vrai qu'en période électorale, lors de grands mouvements sociaux, l'attention politique est plus élevée. La réponse proposée est-elle toutefois la bonne ? Laisser croire que, pour faire bouger les choses, il faut être élu municipal ?
Bien entendu autour de nous des groupes politiques, des militants, avec lesquels nous nous efforçons d'agir, pensent que l'élection républicaine est une nécessité pour être reconnus, pour peser. Il nous semble que c'est une erreur : selon nous, le système électoral a une logique contraire à la démocratie directe et à l'autogestion.
Nous sommes tous d'accord sur la difficulté actuelle à obtenir des victoires par les luttes, dans tous les domaines: syndicalisme, féminisme, antifascisme, antiracisme, anticapitalisme, écologie politique... Vous mettez en accusation, à juste titre, le social-libéralisme et sa représentation au pouvoir. Le PS et ses alliés participent à tout ce que nous combattons, sont responsables de tout ce que nous dénonçons. A tel point qu'un retour de la droite aux affaires n'est plus présenté comme problématique, ce qui en dit long, notamment dans l'appel des « Communards », sur l'absence de choix réel proposé par le système. Cela se retrouve à un niveau local.
Faut-il pour autant, à partir de cette rupture consommée, du souhait de se faire les représentants d'une « conflictualité sociale dans les urnes », soutenir une démarche en contradiction avec les références libertaires revendiquées ?
Selon nous, non, surtout que l'espoir d'accentuer la perte de confiance des classes populaires en la représentation politique actuelle n'a pas besoin de la présence électorale des libertaires. L'abstention est un choix déjà largement utilisé, pour des raisons diverses, même si elle ne conduit pas à la mise en place de contre-pouvoirs.
Il n'est pas non plus nécessaire de prétendre que le pays ou la commune se trouve face aux mêmes choix qu'à l'époque de l'Allemagne nazie où de l'Italie fasciste, pour appeler aux urnes. Ce serait entrer dans la justification d'un vote utile. Nous ne sous-estimons pas l'extrême droite française, européenne, mais il n'est pas juste de tracer un parallèle strict entre des contextes politiques bien différents. Vous le savez, le capitalisme ne se sent plus menacé par la révolution russe et ses conséquences.
Il y a Commune et commune.
Partant de la nécessité de participer aux élections municipales, de l'agonie des classes populaires, l'appel des « Communards » n'efface pas le fait que l'élection est envisagée par de nombreux révolutionnaires, des partisans de la transformation sociale, comme une solution de rechange pour une plus grande médiatisation, un support, un moyen pour atteindre une union ponctuelle de la gauche, une représentation politique du mouvement social, le fameux débouché pour les luttes, même très minoritaires.
L'autonomie des mouvements syndicaux et sociaux devrait être mis en veille le temps du vote, il faudrait attendre que la messe soit dite. Les autres méthodes deviendraient régulièrement inopérantes alors qu'entre deux élections elles sont promues. Une campagne sur des propositions politiques collectives sans présenter de liste semble alors impossible. Ce qui revient à admettre qu'on ne représente pas grand monde dans l'espoir que les médias et les bulletins de vote inverseront la courbe. C'est mettre de côté ceux pour qui on est censé se présenter et ignorer la nature du vote proposé, la manière dont il est utilisé.
Nous agissons pour faire advenir des pratiques d'autogestion et de démocratie directe, la réappropriation de nos choix, de nos vies, nous défendons l'autonomie politique dans toutes les luttes, contre une médiation institutionnelle qui reproduit le système qu'elle défend: le capitalisme. La démocratie directe nie la prétention de quelque groupe que ce soit à diriger la collectivité.
Dans la pratique nous faisons aussi des compromis dans des actions politiques unitaires et il n'est jamais facile de trouver le bon équilibre selon le résultat recherché. L'appel va au-delà et défend à la fois la voie électorale et la nécessité de rompre avec cette logique. Par un détour est notamment invoquée la spécificité municipale, une élection dite à part dans le système de domination politique parce que proche de nous. Cette interprétation est injuste.
Défendre la prise de parole du plus grand nombre, aller contre la démocratie représentative, arbitrage entre partis et légitimation de leur pouvoir par l'élection, ne peut se confondre avec le fait de se présenter à des élections municipales. La commune a également pour objectif la conservation du pouvoir. Prétendre qu'il serait possible d'y imposer des méthodes libertaires relève de l’impasse, accordant indûment un statut exceptionnel au scrutin local.
Rappelons que les règles principales ne sont pas fixées par la commune mais par la représentation nationale. Les élus sont sélectionnés par un scrutin majoritaire, la dose de proportionnelle est présente mais le but est bien de renforcer le bipartisme, de permettre une fausse alternance que nous refusons entre les 2 principales équipes de gestion de l'ordre capitaliste établi : le PS, l'UMP.
La règle fixe l’inégalité des candidats par l'argent (et nul doute que cette "aventure" sera pour vous onéreuse, de même qu'elle coûtera du temps et de l'énergie qui ne sera plus consacré ailleurs), tout est fait pour que rien ne change et de nombreux habitants de la commune n'ont pas accès au choix.
Les élections municipales comme les autres sont censitaires, bourgeoises et défendent une hiérarchie en place. Elles le sont d’autant plus que l’échelon communal est aujourd’hui inextricablement inscrit dans de multiples regroupements intercommunaux, qui, eux, ne s’embarrassent pas de paravents démocratiques et se résument à un club d’élus auto-désignés, à l’opposé de ce que serait une mutualisation entre communes fédérées. Entraînant clientélisme, pantouflage, arrangements entre tendances des partis élus, c’est un échelon du contrôle bourgeois qui tire des élections municipales une légitimité démocratique très discutable.
La volonté de changer les règles du jeu est en contradiction profonde avec la participation aux municipales, il en est de même de la rupture avec l'exercice individuel du pouvoir sans contrôle ni révocabilité des mandats. L’État, la commune, restent des structures pyramidales, des corps centraux du capitalisme pour en gérer les mécanismes, la spoliation. Le système parlementaire fait des citoyens des électeurs passifs et incapables. Il s'agit d'une délégation pour les intérêts essentiels des classes possédantes.
L'appel des « Communards » ne parvient pas à contourner cet obstacle. La promesse d'une très hypothétique victoire, de nombreuses revendications justes mais inapplicables dans ce cadre, si elles peuvent rassembler, n'en sont pas moins illusoires. A cela on ne peut répondre seulement par l'accusation a priori de sectarisme ou d'utilisation de certitudes convenues. Le capitalisme et ses institutions restent inconciliables avec la démocratie, telle que nous la concevons.
Reprendre là où nous avions commencé.
Le seul débouché pour les luttes est dans la victoire de celles-ci, c'est en leur sein que doit se construire un projet de transformation sociale, hors de la médiation institutionnelle bourgeoise.
La démocratie parlementaire reste un compromis minimum entre les intérêts des classes dominantes et les aspirations portées par tous les autres.
L'idée que nous pourrions obtenir ainsi ce que nous n'avons pas eu aujourd'hui doit être combattue. L'idée d'une lutte par procuration doit être refusée notamment parce que le projet défendu ne peut être réalisé qu'en allant contre le minimum démocratique installé, avec l'appui d'une forte mobilisation sociale. Invoquer le municipalisme libertaire c'est faire sien ce préalable : une large implantation dans les quartiers et un soutien incontournable qui permettrait d'envisager la prise de la municipalité. A Tarnac par exemple, c'est une population fédérée autour de l'épicerie qui permet de faire et d'envisager bien des choses.
La démarche de l'appel inverse les priorités. Comme vous nous sommes les témoins du net recul des mobilisations, de la récupération électorale, du manque de volonté de la part de partenaires dans l'attente du verdict des urnes. Le constat nous l'avons fait ensemble lors de la mise en avant d'un possible front social et anticapitaliste et nous pensons toujours que c'est une solution politique viable. C'est en parlant d'une seule voix avec ce qui nous rassemble dans le camp anticapitaliste que nous pourrons devenir audible et briser l'hégémonie néfaste du Front de Gauche sur le mouvement social. Nous n'écartons pas la difficulté et nous sommes convaincus que nous devons ensemble porter des projets politiques radicalement émancipateurs, travailler les "utopies" : bourse du travail, centre social, luttes communes et pratiques libertaires... Nous avons toujours essayé de construire des solidarités réelles au-delà des expériences que nous contestons. Pour ces raisons nous restons disponibles pour chercher des solutions politiques communes, avancer sur ce qui nous rassemble, autour de notre principal point commun: travailler à une alternative libertaire et communiste au capitalisme.
AL Alsace -Moselle