« Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

« Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

Messagede stratos » 11 Mar 2013, 22:29

Franck Poupeau a publié récemment Les mésaventures de la critique aux éditions Raisons d’agir, dont il s’occupe depuis le milieu des années 2000. Ce livre porte un regard sans complaisance sur les écueils d’une militance anticapitaliste qu’il considère actuellement peu en prise, trop souvent, avec le monde social et peu à même, en conséquence, de le transformer. Proche de Bourdieu dans les années 1990 alors qu’il était encore en thèse de sociologie, Franck Poupeau exprime par ailleurs un intérêt pour les luttes syndicales dans une perspective anticapitaliste et une critique des logiques de délégation politique qui ne pouvaient qu’intéresser AutreFutur.
Cet entretien fait le point sur ses préoccupations, dont une caractéristique est de ne pas hésiter à trancher avec l’air du temps.


À lire sur le site d'autrefutur, et c'est la http://www.autrefutur.net/Pourquoi-est-ce-que-les-gens-ne-se

bah, c'est un peu ce qu'on constate dans le milieu, mais faut s'y interesser, parceque le combat est rude non et qu'il faut y voir clair quant meme.
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Re: « Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

Messagede Nyark nyark » 14 Mar 2013, 00:10

Indépendamment de l'ouvrage (que je n'ai pas encore lu, mais commandé pour ma bib), il y a plusieurs pistes, dont certaines me viennent à l'esprit immédiatement, sans avoir à réfléchir plus que ça (choses entendues récemment dans mon entourage professionnel par exemple) :

- Très grosse mobilisation lors de la lutte contre la réforme des retraites et "tout ça pour ça" comme on dit. "Tout ça", c'est-à-dire des journées de grève, des quantités de manifs, une mobilisation qui ne s'est jamais démentie. Et, au bout du compte, un échec total. Une énorme dépense d'énergie, un espoir réel de faire reculer le pouvoir comme cela avait été le cas pour le CPE en 2006, suivis d'un abattement à la mesure de l'espoir suscité.

- Toutes les mobilisations de ces dernières années (décennies ?) ont été des mobilisations "contre". Depuis quand n'avons-nous plus défilé "pour" ? Pour des revendications positives, un changement de société. N'avons-nous donc rien à proposer ? Y a-t-il donc une telle absence de perspective ?
Un changement de société, un vrai, en profondeur, une révolution en somme ?
Les seules manifs "pour" ont été celles concernant le mariage gay et là, la mobilisation a eu lieu (même s'il y aurait beaucoup à dire là-dessus, mais je développerai éventuellement).

- Précarisation de plus en plus grande des salariés : difficile de faire une ou plusieurs journées de grève quand on a peur de perdre son boulot. Même sans cette crainte, on y réfléchit à deux fois avant de perdre une journée de salaire. Je vois autour de moi beaucoup de gens qui préfèrent poser une journée ou une demi-journée de congé pour aller manifester plutôt que de voir leur salaire amputé, même de 50 €. Actuellement c'est souvent le désespoir de ceux et celles qui n'ont plus rien à perdre qui fait bouger les gens dans des luttes collectives : inutile de donner des exemples, tout le monde ici les connaît.

Et, de façon plus générale, en-dehors de "nos milieux" (ce que je traduis par les milieux militants, tu me diras si j'interprète mal) : déception (une fois de plus) après l'arrivée de la "gauche" au pouvoir, et résignation : si elle ne fait pas mieux, c'est qu'on ne peut vraiment pas. La preuve : ailleurs c'est pire, faut bien la payer cette foutue dette ! Faire des efforts, être "courageux" ! Et c'est ce qu'on nous matraque toute la journée, tous les soirs, sur toutes les chaînes (ou presque), sur toutes les radios, etc. Alors, autant essayer de s'en sortir par soi-même puisque les actions collectives ont montré leur inefficacité.

Tout cela sera à développer bien sûr, c'est juste une esquisse de réponse...
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Re: « Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

Messagede L . Chopo » 17 Mar 2013, 15:08

La lecture de l'interview de Franck Poupeau, qui met le doigt sur quelques points fondamentaux, m’a inspiré quelques remarques personnelles que je livre ici, dans le seul but de « participer à une réflexion » sur les éléments de la lutte collective que nous tentons de construire.( voir le Nota en bas de cette contribution)

Si nous sommes un certain nombre à vouloir participer à un changement radical de société, il est fondamental d’avoir également un regard lucide et autocritique sur nos engagements et nos pratiques afin de prétendre à une certaine efficacité dans la (les/nos) lutte(s).

Au delà des constats et de l’historique, en fin d'entretien, à la question : "En quoi cette conjoncture te parait-elle problématique et quels en sont les enjeux importants ?", ses réponses, sans fioriture ni complaisance, (nous) ramènent à quelques fondamentaux.
… les gauches critiques et radicales se réfugient dans des pis-aller. On va dans des associations pour les immigrés : c’est très bien, il faut le faire, mais c’est pas avec ça qu’on va mobiliser plus largement. On fait des petites communautés utopiques, c’est très bien aussi, mais c’est pas ça qui va mobiliser plus largement puisque ces petites communautés n’existent que par opposition avec le reste.


Derrière cette réponse, ce sont bien les essentiels : « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons qui sont remis au premier plan. Réfléchir sur les motivations de son/ses engagement(s) devrait être aussi un acte militant à part entière. Sans cette réflexion et les analyses post actions nécessaires, la « fuite en avant » aveugle peut nous faire passer au large de nos objectifs et laisser alors sur le bas coté ceux avec qui nous désirons/voulons lutter.
À titre d’exemple, en tant qu’anarcho-syndicalistes, quelle « posture » devons-nous adopter face à des travailleurs non politisés qui viennent à notre rencontre ou auxquels nous nous adressons ? Si certains sont croyants, voire culturellement sexistes, alors selon quelle(s) grille(s) devons nous répondre à ces situations ?
Deux grandes attitudes peuvent alors se présenter. Soit « on » leur explique qu’il faut déjà être anarcho-syndicaliste (ou y être sensible) et anti sexistes pour lutter ensemble et bien entendu « sans dieu ni maitre », qu'ils doivent adhérer à ces postulats ou "aller voir ailleurs", soit, dans un premier temps "on" « compose » avec ces points, en recentrant sur le travail à faire ensemble et au contact du réel, puis "on" les amène aux pratiques pour, ensemble, œuvrer à un projet vers lequel nous tendons tous…

Au delà du « théorique », de l’évidence, voire de l’anecdotique de cet exemple, ceci est bien lié à « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons, et à quel est notre « implication » dans cette quête vers une autre société collective ? Avons-nous, nous autres militants, les « bonnes grilles » dans lesquelles les « autres » doivent se conformer ou devons nous, au risque d’être parfois heurtés ou choqués, « composer avec » pour faire en sorte que changent les choses. Il n’y a bien entendu pas UNE seule et unique réponse, la réalité est bien plus complexe dès lors qu’on referme les codex, mais éviter d’y réfléchir et d’y travailler peut conduire à l’idéalisme et à ces postures « confortables » de ceux qui « savent » et qui, comme dans n’importe think tank se réfugient dans des « pis-aller », de "petites communautés utopiques" ou des "TAZ" dans lesquels, des « militants-philosophes » ne font qu'interpréter le monde de différentes manières (à grands coups de manifestes ponctués par des « Contre ») alors qu’il s'agit objectivement de le transformer (en y contre proposant des « Pour »).
Alors, à la périphérie de ces « paradis artificiels et hermétiques, « les gens qui ne se mobilisent pas », mais avec qui nous sommes censés vouloir/devoir collaborer, trop occupés à gérer leur quotidien, n’auront aucune raison d’en forcer l’entrée, constatant qu’ils n’ont rien à y faire. Et ce ne sont pas les grandes manifs, les opérations plus ou moins spectaculaires, les incantations rassembleuses, les slogans à l’adresse des « travailleurs » ou les symboliques « prolétaristes » qui inverseront la tendance. Comme Marx qui écrivait à son père " ... Peu à peu j’abandonnai l’idéalisme et j’en vins à chercher l’idée dans la réalité même.", nous devons remettre en cause nos idéaux à la lumière de la réalité, sans oublier de nous questionner au passage sur ce qui nous conduit à militer…

En fin d’entretien, Poupeau lance un autre pavé dans la marre :
… il faut mener une réflexion globale, se demander comment créer du global à partir du particulier. Par contre, ce qui est difficilement supportable et qui nuit à ces luttes c’est la bonne conscience qui va avec tout ça.


Déjà, dans les années 70, alors que les mobilisations étaient conséquentes, l’utra-gauche, dans ses envolées rhétoriciennes, lançait un aphorisme qui reste actuel : «Les gauchistes ont leurs prolos, comme les dames patronnesses du 19è siècle avaient leurs pauvres ».
Au delà de la formule, cet aphorisme qui vient en écho aux « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons doit également nous faire réfléchir sur notre rapport au militantisme, considéré sous un angle culturel et moral (20 siècles de culture judéo-chrétienne ont laissé leurs traces jusque dans nos milieux), mais également, et de manière personnelle, sur notre règlement (ou arrangement) Œdipien.



Nota. Ce post n’est qu’une réflexion inspirée par la lecture de l’interview de Popeau. Il n’y a là aucun « message subliminal ou de second degré» et je ne relèverai donc pas les éventuelles réactions visant à ramener un quelconque "débat" sur ces bases.

L.Chopo

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Re: « Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

Messagede Kzimir » 20 Mar 2013, 23:34

Sur cette question, je pense qu'il y a plein de trucs à dire.

Déjà, je pense qu'il est faux de dire que les gens ne se mobilisent pas, comme il serait faux de dire que tout le monde est dépolitisé. La vérité, c'est que des mobilisations existent, mais qu'elles ne sont pas sur les bases que nous souhaiterions. On assiste par exemple régulièrement à des manifs de plusieurs millions de personnes, ce qui était rarissime il y a quelques décennies (la manif du 12 février 1934, pourtant restée dans les mémoires comme une grande mobilisation populaire, a comptée moins de manifestants que n'importe quelle grande date sur les retraites par exemple). De plus, on assiste à une politisation de pas mal de gens, mais sur des bases politiques qui ne sont pas les notres (nationalistes, islamistes, etc.).

A partir de là on change de question. Au lieu de se demander "Pourquoi les gens ne se mobilisent pas ?", on peut se demander "Pourquoi ne réussissons nous pas à convaincre ?" et "Dans un contexte ou les révolutionnaires sont ultra-minoritaires, quel doit être leur rôle ?". Ce que répond l'interview, que j'ai lu en vitesse donc j'ai peut être loupé quelque chose, c'est qu'on doit créer des cadres de mobilisations et qu'on doit sortir d'une culture de mobilisation centrée sur les marges du prolétariat.
Sur les cadres, je suis d'accord avec lui, mais une fois que j'ai dit ça je n'ai rien dit. La plupart des anarchistes organisés pensent qu'il est de leur rôle de renforcer leur organisation et leur syndicat, sinon ils n'y seraient pas. La vraie question c'est celle du rôle de ces cadres : Syndicat de classe ? Organisation de témoignage ? Structure d'avant-garde ? Réseau de formation ? Et à cette question, force est d'admettre qu'on a toujours pas trouvé de réponse qui soit convaincante (je vais lire Que faire ? un de ces quatres, tiens).
Quand au truc sur les "pis aller", comme les mobilisations sur les immigrés, je pense à l'inverse de lui qu'on part du particulier pour aller vers le général. On part d'une mobilisation sur les immigrés pour mobiliser contre le capitalisme, et non l'inverse. Les gens ne sont pas convaincus par l'idéal anarchiste, mais par l'expérience de la lutte contre une oppression. Et je ne vois pas en quoi l'oppression subie au travail seraît plus intéressante de ce point de vue là que l'oppression raciste ou sexiste.
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Re: « Pourquoi est-ce que les gens ne se mobilisent pas ? »

Messagede bipbip » 13 Juin 2015, 15:01

La fabrique de l’insurrection ou comment faire gagner un mouvement social

Pour qu’émerge un mouvement de protestation, il faut un changement sur le plan des consciences et des comportements. L’évolution des consciences présente au moins trois aspects distincts. D’abord, « le système » – ou les aspects du système que les gens perçoivent et dont ils font l’expérience – perd de sa légitimité. Un grand nombre d’individus, qui d’ordinaire se plient à l’autorité de leurs gouvernants et reconnaissent la légitimité du cadre institutionnel, en viennent à penser que ces gouvernants et ce cadre sont injustes et mauvais. Ensuite, des personnes qui d’ordinaire sont fatalistes, et pour qui le cadre existant est le seul envisageable, commencent à revendiquer des « droits », et par voie de conséquence exigent un changement. Enfin, les gens acquièrent une conscience nouvelle de leur capacité d’agir ; alors que d’ordinaire ils se considèrent impuissants, ils se mettent à croire qu’ils ont un certain pouvoir de modifier leur sort.

... http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=4831
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