La lecture de l'interview de Franck Poupeau, qui met le doigt sur quelques points fondamentaux, m’a inspiré quelques remarques personnelles que je livre ici, dans le seul but de « participer à une réflexion » sur les éléments de la lutte collective que nous tentons de construire.(
voir le Nota en bas de cette contribution)
Si nous sommes un certain nombre à vouloir participer à un changement radical de société, il est fondamental d’avoir également un regard lucide et autocritique sur nos engagements et nos pratiques afin de prétendre à une certaine efficacité dans la (les/nos) lutte(s).
Au delà des constats et de l’historique, en fin d'entretien, à la question : "
En quoi cette conjoncture te parait-elle problématique et quels en sont les enjeux importants ?", ses réponses, sans fioriture ni complaisance, (nous) ramènent à quelques fondamentaux.
… les gauches critiques et radicales se réfugient dans des pis-aller. On va dans des associations pour les immigrés : c’est très bien, il faut le faire, mais c’est pas avec ça qu’on va mobiliser plus largement. On fait des petites communautés utopiques, c’est très bien aussi, mais c’est pas ça qui va mobiliser plus largement puisque ces petites communautés n’existent que par opposition avec le reste.
Derrière cette réponse, ce sont bien les essentiels : « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons qui sont remis au premier plan. Réfléchir sur les motivations de son/ses engagement(s) devrait être aussi un acte militant à part entière. Sans cette réflexion et les analyses post actions nécessaires, la « fuite en avant » aveugle peut nous faire passer au large de nos objectifs et laisser alors sur le bas coté ceux avec qui nous désirons/voulons lutter.
À titre d’exemple, en tant qu’anarcho-syndicalistes, quelle « posture » devons-nous adopter face à des travailleurs non politisés qui viennent à notre rencontre ou auxquels nous nous adressons ? Si certains sont croyants, voire culturellement sexistes, alors selon quelle(s) grille(s) devons nous répondre à ces situations ?
Deux grandes attitudes peuvent alors se présenter. Soit « on » leur explique qu’il faut déjà être anarcho-syndicaliste (ou y être sensible) et anti sexistes pour lutter ensemble et bien entendu « sans dieu ni maitre », qu'ils doivent adhérer à ces postulats ou "aller voir ailleurs", soit, dans un premier temps "on" « compose » avec ces points, en recentrant sur le travail à faire ensemble et au contact du réel, puis "on" les amène aux pratiques pour, ensemble, œuvrer à un projet vers lequel nous tendons tous…
Au delà du « théorique », de l’évidence, voire de l’anecdotique de cet exemple, ceci est bien lié à « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons, et à quel est notre « implication » dans cette quête vers une autre société collective ? Avons-nous, nous autres militants, les « bonnes grilles » dans lesquelles les « autres » doivent se conformer ou devons nous, au risque d’être parfois heurtés ou choqués, « composer avec » pour faire en sorte que changent les choses. Il n’y a bien entendu pas UNE seule et unique réponse, la réalité est bien plus complexe dès lors qu’on referme les codex, mais éviter d’y réfléchir et d’y travailler peut conduire à l’idéalisme et à ces postures « confortables » de ceux qui « savent » et qui, comme dans n’importe think tank se réfugient dans des « pis-aller », de "petites communautés utopiques" ou des "TAZ" dans lesquels, des « militants-philosophes » ne font qu'interpréter le monde de différentes manières (à grands coups de manifestes ponctués par des « Contre ») alors qu’il s'agit objectivement de le transformer (en y contre proposant des « Pour »).
Alors, à la périphérie de ces « paradis artificiels et hermétiques, « les gens qui ne se mobilisent pas », mais avec qui nous sommes censés vouloir/devoir collaborer, trop occupés à gérer leur quotidien, n’auront aucune raison d’en forcer l’entrée, constatant qu’ils n’ont rien à y faire. Et ce ne sont pas les grandes manifs, les opérations plus ou moins spectaculaires, les incantations rassembleuses, les slogans à l’adresse des « travailleurs » ou les symboliques « prolétaristes » qui inverseront la tendance. Comme Marx qui écrivait à son père "
... Peu à peu j’abandonnai l’idéalisme et j’en vins à chercher l’idée dans la réalité même.", nous devons remettre en cause nos idéaux à la lumière de la réalité, sans oublier de nous questionner au passage sur ce qui nous conduit à militer…
En fin d’entretien, Poupeau lance un autre pavé dans la marre :
… il faut mener une réflexion globale, se demander comment créer du global à partir du particulier. Par contre, ce qui est difficilement supportable et qui nuit à ces luttes c’est la bonne conscience qui va avec tout ça.
Déjà, dans les années 70, alors que les mobilisations étaient conséquentes, l’utra-gauche, dans ses envolées rhétoriciennes, lançait un aphorisme qui reste actuel : «Les gauchistes ont leurs prolos, comme les dames patronnesses du 19è siècle avaient leurs pauvres ».
Au delà de la formule, cet aphorisme qui vient en écho aux « pourquoi », « pour quoi », « contre qui » ou « comment » nous luttons doit également nous faire réfléchir sur notre rapport au militantisme, considéré sous un angle culturel et moral (20 siècles de culture judéo-chrétienne ont laissé leurs traces jusque dans nos milieux), mais également, et de manière personnelle, sur notre règlement (ou arrangement) Œdipien.
Nota. Ce post n’est qu’une réflexion inspirée par la lecture de l’interview de Popeau. Il n’y a là aucun « message subliminal ou de second degré» et je ne relèverai donc pas les éventuelles réactions visant à ramener un quelconque "débat" sur ces bases.
L.Chopo
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