de alcibiade » 22 Fév 2013, 18:06
Mardi soir 8 janvier, à 20h45, ne manquez pas, sur France 3, Le Grand Georges, un film de François Marthouret. Moment trop ignoré de la mémoire française, l’histoire de vie qu’il nous remémore est de celles qui, par leur modeste grandeur, sauvent l’espérance pour demain.
C’est l’histoire d’un héros intensément tragique, premier maquisard de France et, pour ce fait même, mauvaise conscience brûlan...te pour tous ceux qui, en 1940, accompagnèrent l’abaissement national, entre petits calculs et grandes hontes. Il se nommait Georges Guingouin (1913-2005), était instituteur de métier et communiste d’engagement, et il fut l’initiateur, le chef et l’âme du plus grand maquis de la Résistance, celui du Limousin. Guingouin dit « Lou Grand », le seul civil que j’aie jamais appelé avec déférence « Mon colonel »…
Compagnon de la Libération, ce libérateur de Limoges en sera brièvement maire de 1945 à 1947, avant d’être détrôné par l’ancien maire socialiste d’avant-guerre qui, en 1940, avait voté les pleins pouvoirs à Pétain. Tandis que les notables qui avaient accepté la collaboration prenaient leur revanche sur le résistant du premier jour, la direction du PCF lâchait sans ménagement le militant au franc parler qui avait critiqué son attentisme militaire de 1940-1941, puis son attentisme social de 1945-1946.
Déchu, Guingouin allait alors connaître une épreuve terrible, dans une inversion des rôles à perdre tout repère : arrêté en 1953 pour des crimes supposément commis par des maquisards incontrôlés, ce héros de la Résistance se retrouvera face à des gendarmes, à des policiers et à des juges qui avaient servi, sans mot dire voire avec zèle, le régime de Vichy. Humilié, calomnié, battu à mort par ses geôliers, oublié de presque tous sauf de ses proches camarades, il obtiendra un non-lieu six ans plus tard, en 1959, l’avocat général allant jusqu’à prendre sa défense en s’étonnant que des poursuites aient pu être engagées.
C’est cette histoire que raconte le film de François Marthouret, écrit par Patrick Rotman et produit par Michel Rotman. Celle d’un victorieux vaincu ou d’un vaincu victorieux, comme l’on voudra, c’est-à-dire d’un homme dont le ressort n’était pas de l’ordre du pouvoir mais de celui de l’idéal. L’un de ces imprudents qui, devant l’événement, ses défis et ses paris, choisissent d’inventer le chemin inconnu que leur dicte leur conscience plutôt que d’arpenter les routes trop fréquentées des calculs, des renoncements et des carrières.
Dans une lettre à l’auteur de Ces chefs de Maquis qui gênaient, l’un des rares livres qui s’est efforcé de retracer son calvaire, Georges Guingouin constatait sans amertume et avec stoïcisme cette défaite qui grandissait ses victoires : « La philosophie de l’Histoire m’a appris que les précurseurs ont toujours tort et que les guerres de libération nationales, menées exclusivement par des volontaires, sont les plus cruelles qu’aient à subir les nations. Le sacrifice de leurs meilleurs fils atteint irrémédiablement la fibre morale des peuples et, l’épreuve passée, c’est le temps des habiles et la revanche de ceux qui manquèrent de courage. Le temps de la décadence morale succède au temps où l’homme s’élève face à l’événement. »
La bonne action de Marthouret et des frères Rotman souligne les longs et lourds silences du cinéma et de la télévision françaises sur ces histoires de vie qui dérangent les idéologies consensuelles d’une histoire officielle, antiquaire et muséale, figée dans le refus de regarder en face tout passé qui bousculerait le présent. Dans d’autres nations, notamment les Etats-Unis qui ont fait du cinéma leur roman national, l’extraordinaire saga de Guingouin aurait déjà donné lieu à des dizaines de récits, films et séries. Cet oubli est enfin réparé, fût-ce dans les limites financières d’une fiction télévisée, avec un souci de rigueur et d’honnêteté que le réalisateur, éminent comédien lui-même, explique fort bien dans la vidéo ci-dessous, venue du Limousin où le film fut tourné.