Critique de l'altermondialisme : l'exemple d'ATTAC

Critique de l'altermondialisme : l'exemple d'ATTAC

Messagede Flo » 23 Aoû 2012, 00:42

Le Manifeste altermondialiste d’Attac, une réponse keynésienne au capitalisme « néolibéral »

Cinq ans après sa publi­ca­tion aux éditions Mille et Une Nuits, le Manifeste alter­mon­dia­liste reste actuel si l’on considère la cam­pa­gne élec­to­rale de cette année menée par les can­di­dats de gauche. La plu­part, voire tous, ont déf­endu le prin­cipe d’inter­ven­tion de l’État pour redres­ser la société et l’éco­nomie capi­ta­lis­tes. Un prin­cipe que par­tage l’asso­cia­tion Attac, qui avait mis­sionné un comité de réd­action pour publier l’ouvrage dont il est ques­tion ici.

L’exposé qui suit se veut une lec­ture cri­ti­que de ce Manifeste, qui, der­rière une rhé­to­rique pseudo radi­cale, cache une idéo­logie régu­lati­onn­iste du capi­ta­lisme. Son inten­tion prin­ci­pale consiste à pro­mou­voir une éco­nomie à dimen­sion humaine et une poli­ti­que huma­niste, sans remet­tre en ques­tion l’éco­nomie capi­ta­liste. Le prin­ci­pal du texte pro­pose un ensem­ble de mesu­res qu’un gou­ver­ne­ment devrait pren­dre, avec quel­ques brefs para­gra­phes de contex­tua­li­sa­tions, expli­ca­tions...

D’emblée, Attac (Association pour la Taxation des Transactions finan­cières pour l’Aide aux Citoyens) prés­ente son Manifeste alter­mon­dia­liste, publié à la veille des élections pré­sid­enti­elles de 2007, comme un mani­feste citoyen­niste. Un qua­li­fi­ca­tif qui dém­ontre son degré d’éloig­nement de toute velléité de bou­le­ver­se­ment socio-éco­no­mique.

Ce court opus­cule est un hymne à la gloire de cet État-Providence dont les gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs depuis plus de trente ans n’ont pas cessé de réd­uire les actions en faveur des famil­les, des aînés, des tra­vailleurs, des chômeurs... Un hymne à la gloire d’un État-Providence qui ne demande qu’à expri­mer sa véri­table nature : son conser­va­tisme, son libé­ral­isme...

Un « impé­ratif de civi­li­sa­tion » dans le flou

Sans aucu­ne­ment expri­mer clai­re­ment cette idée, et en toute inno­cence, les réd­acteurs sem­blent vou­loir remet­tre au goût du jour les mira­ges que la Révolution franç­aise a laissé entre-aper­ce­voir à ceux qui y ont cru et ceux qui y croient encore. En vérité, ce chan­ge­ment de régime a seu­le­ment été un moyen pour la bour­geoi­sie capi­ta­liste, au pou­voir crois­sant, de favo­ri­ser l’appa­ri­tion des rap­ports de forces que nous connais­sons actuel­le­ment et qu’aucune réf­orme alter­mon­dia­liste ne pourra véri­tab­lement modi­fier. Même si Attac prétend déf­endre un « impé­ratif de civi­li­sa­tion », comme la révo­lution en France avait sus­cité des aspi­ra­tions révo­luti­onn­aires dans les bour­geoi­sies europé­ennes. Sans mentir, nous pour­rions extra­po­ler et considérer qu’Attac ne cher­che qu’à pour­sui­vre la Révolution franç­aise dans son essence bour­geoise, ainsi que les Communards d’obédi­ence répub­lic­aine ou blan­quiste l’avaient espéré en 1871.

Entre van­tar­dise (en ce qui concerne sa dém­arche lors du Traité de Constitution europé­enne) et fausse modes­tie (lors­que les auteurs qua­li­fient l’asso­cia­tion d’organe d’« édu­cation popu­laire » et non d’orga­ni­sa­tion poli­ti­que), Attac prés­ente ses pro­po­si­tions comme une alter­na­tive au « néoli­bér­alisme », dont elle se garde de donner une défi­nition, comme si son idéo­logie devait être une évid­ence. Il ne semble pas s’agir d’une for­mule euphém­is­tique ou hyper­bo­li­que (ça dépend du point de vue, bien sûr) pour qua­li­fier le capi­ta­lisme, auquel la référ­ence n’appa­raît qu’une ou deux fois, uni­que­ment dans l’intro­duc­tion. Pour ainsi dire, ce simple fait nous inter­roge quant au projet de société d’Attac, à son « impé­ratif de civi­li­sa­tion ». Sur le fond, il est pro­ba­ble qu’on puisse com­pren­dre, voire admet­tre la per­ti­nence de nom­breu­ses cri­ti­ques et pro­po­si­tions for­mulées dans ce livre... à la seule condi­tion de par­ta­ger son désir de main­te­nir le capi­ta­lisme en vie. En vérité, Attac s’oppose idéo­lo­giq­uement au néoli­bér­alisme dans le cadre du capi­ta­lisme. Rester sous ce modèle éco­no­mique ou en sortir, la ques­tion est ignorée.

Le Manifeste d’Attac se garde bien de remet­tre en cause les rap­ports sociaux, les rap­ports de pro­duc­tion et de consom­ma­tion, les idéo­logies, les mora­les... que nous connais­sons aujourd’hui. Cet ouvrage au caractère indu­bi­ta­ble­ment réf­orm­iste res­sem­ble sur­tout à un pro­gramme élec­toral, où l’on déc­ouvre sur­tout que le néoli­bér­alisme n’est rien d’autre qu’« une nou­velle ère » du capi­ta­lisme, son côté obscur. Rien de très clair, en effet.

Cette for­mule nous convainc qu’Attac ne s’atta­que pas à la racine du « mal », pré­férant sans doute faire espérer que le capi­ta­lisme puisse porter en lui un projet éman­ci­pateur et huma­niste (son côté angé­lique ?). Au néoli­bér­alisme, les réd­acteurs du Manifeste n’oppo­sent rien que des mesu­res. Attac se veut cons­truc­tive, à l’inverse du sem­blant de défi­nition qu’elle donne au néoli­bér­alisme : un « projet de des­truc­tion systé­ma­tique de toutes les limi­tes, poli­ti­ques, socia­les et éco­no­miques de l’acti­vité du capi­tal ». Mais que veut cons­truire Attac ? Ou bien réparer ?

En réalité, l’asso­cia­tion alter­mon­dia­liste sou­haite seu­le­ment impo­ser des « limi­tes, poli­ti­ques, socia­les et éco­no­miques [à] l’acti­vité du capi­tal ». Sa voca­tion se résu­merait éventu­el­lement à une for­mule sortie de la bouche de Nicolas Sarkozy (l’ex-pré­sident - de droite ! - de la République franç­aise) : « mora­li­ser le capi­ta­lisme ».

Mais quelle morale ? Le Manifeste l’induit en fili­grane. A titre d’exem­ple, il s’api­toie sur les Petites et Moyennes Entreprises, qui en vérité ne sont pas plus un gage de mora­lité que les gran­des entre­pri­ses, les « mul­ti­na­tio­na­les ». Les condi­tions sala­ria­les dans les unes comme dans les autres sont sen­si­ble­ment ana­lo­gues : il s’agit du même type d’exploi­ta­tion, des mêmes rap­ports hiér­arc­hiques. La seule différ­ence : la taille des struc­tu­res res­pec­ti­ves. Comme si une entre­prise « à taille humaine » était sus­cep­ti­ble de ne pas repro­duire les mécan­ismes d’alié­nation, d’oppres­sion... que l’on ren­contre dans les gran­des sociétés.

Autre bana­lité : les rap­ports inter­na­tio­naux seraient, selon toute vrai­sem­blance, dominés par les États-Unis. Attac se livre à une atta­que en règle contre le modèle éta­sunien, n’évitant aucune systé­ma­ti­sation de ses repro­ches, cri­ti­ques, accu­sa­tions. Ils seraient la patrie du capi­ta­lisme, comme l’URSS avait été, pour les lénin­istes et nombre de leurs détr­acteurs, la patrie du socia­lisme. Cela revient à oublier que le capi­ta­lisme est né en Europe : d’abord au Royaume-Uni, s’est ensuite étendu à l’Europe, puis au monde entier. Depuis lors, le capi­ta­lisme n’a jamais dis­paru de la sur­face du globe, sous quel­que forme que ce soit : qu’il s’agisse de libé­ral­isme, de régu­lati­onn­isme (et/ou capi­ta­lisme d’État)...

De la dés­hu­ma­ni­sation du monde que dén­once Attac, les capi­ta­lis­mes européens sont tout aussi res­pon­sa­bles que leur rival-allié éta­sunien. Sans doute diffèrent-ils en fonc­tion de leurs modèles sociaux, issus de leur propre his­toire ; il n’empêche que les capi­ta­lis­mes, quel­les que soient leurs cadres natio­naux, fonc­tion­nent de la même manière : oppo­si­tion entre tra­vail et capi­tal à tra­vers le sala­riat ; l’éco­nomie régie par les « lois » du marché ; pro­duc­ti­visme... Le capi­ta­lisme règne sur toute la sur­face du globe : de la Chine au Brésil, de l’Inde et du Pakistan à l’Afrique du Sud...

Le Manifeste se com­pose de trois cha­pi­tres expo­sant le des­sein, for­mulé par ses auteurs, de « scier les sept piliers du néoli­bér­alisme » : le pre­mier sur le désir d’« en finir avec toutes les domi­na­tions » ; le deuxième, « faire de l’Europe un pôle alter­na­tif » ; et le troi­sième, la « démoc­ratie : les affai­res de tous sous le contrôle de tous ».

Le point commun à ces trois cha­pi­tres ? Ils nous révèlent com­ment Attac conçoit la gou­ver­nance et le fonc­tion­ne­ment éco­no­mique. Ce seront, après l’abat­tage des « sept piliers du néoli­bér­alisme », les deux axes que nous ten­te­rons de dével­opper, de façon aussi syn­thé­tique que pos­si­ble.

« Scier les sept piliers du néoli­bér­alisme » ou com­ment lais­ser les raci­nes de l’arbre abattu

Coupez un arbre. S’il n’était pas tout à fait mort, il est pro­ba­ble que de sa souche reparte une pousse, aidée ou non par une main experte. Attac, elle, a choisi une métap­hore rocheuse, s’ima­gi­nant que la pierre ne fleu­rit pas. Il n’empêche qu’avec tous les moyens tech­ni­ques dont il dis­pose, l’humain sait par­fai­te­ment empi­ler les pier­res d’une ruine pour res­tau­rer d’anciens monu­ments.

Plaisanterie à part : en affir­mant, de façon fan­tai­siste, vou­loir « scier les sept piliers du néoli­bér­alisme », les auteurs du Manifeste alter­mon­dia­liste espèrent sim­ple­ment uti­li­ser des armes du capi­ta­lisme contre les néo-libéraux. Les réd­acteurs espèrent que les mar­chés, régulés par l’Etat, fonc­tion­nent en par­faite har­mo­nie avec les besoins des popu­la­tions. L’éco­nomie serait au ser­vice des tra­vailleurs autant que des patrons, les uns libres d’exploi­ter « humai­ne­ment » les autres afin de pro­duire des biens et ser­vi­ces ren­ta­bles, tout aussi com­pa­ti­bles avec l’éthique alter­mon­dia­liste. L’essor pro­gres­sif de l’éco­nomie verte est une illus­tra­tion par­faite de cette volonté d’allier marché et qua­lité, éco­nomie capi­ta­liste et morale alter­mon­dia­liste. Pour bou­cler la boucle, il faut aux alter­mon­dia­lis­tes que ces sec­teurs éco­no­miques trou­vent des consom­ma­teurs. Ainsi faut-il créer des besoins en adéq­uation avec l’idéal citoyen­niste (éco­lo­giq­uement, socia­le­ment, éco­no­miq­uement, etc.). Les acteurs éco­no­miques jouent par­fai­te­ment leur jeu ici, mais l’asso­cia­tion Attac, lorsqu’elle inter­vient dans des réunions, dans des mani­fes­ta­tions, crée elle-même ces besoins. Lorsqu’il existe des ras­sem­ble­ments asso­cia­tifs, ses ani­ma­teurs n’hésitent pas à faire l’éloge des AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), de la nour­ri­ture bio, du dével­op­pement dura­ble, du com­merce équi­table...

Prônant une série de réf­ormes, Attac jette les bases d’une future contre-réf­orme, parce qu’elle ne s’est pas atta­quée aux fon­de­ments du système éco­no­mique actuel. Le Manifeste s’en prend à la dimen­sion idéo­lo­gique du néoli­bér­alisme, non à ce qui l’engen­dre, lui permet de main­te­nir son assise sur le monde. Ainsi les auteurs de cet opus­cule nég­ligent tota­le­ment que, se main­te­nant par ailleurs dans le cadre répub­licain et en admet­tant que leurs pro­po­si­tions aient un écho poli­ti­que dans la super­struc­ture du capi­ta­lisme français, ils ris­quent de voir, un jour, leurs pro­po­si­tions réd­uites à néant.

Le pre­mier pilier que dén­once le Manifeste concerne le libre éch­ange et la libre cir­cu­la­tion des capi­taux. Tout en pra­ti­quant la confu­sion entre État et société, les réd­acteurs s’offus­quent de ce que les États ne sont pas en capa­cité de « définir des poli­ti­ques éco­no­miques auto­no­mes rép­ondant aux aspi­ra­tions des citoyens ». De la sorte, ils igno­rent la nature des liens entre capi­tal et États, dont la proxi­mité n’est plus à dém­ontrer depuis plus de deux siècles. Les hommes poli­ti­ques sont évid­emment sen­si­bles aux aspi­ra­tions de cer­tains patrons, qu’ils soient de droite comme de gauche. Et vice versa.

L’appa­reil éta­tique, l’his­toire n’a jamais cessé de le prou­ver, n’est pas une entité neutre. Attac croit pou­voir col­ma­ter à coups de rus­ti­nes la bau­dru­che éta­tique-pro­vi­den­tielle. Même drapé des habits pseudo-« socia­lis­tes », tout en per­met­tant que les démunis jouis­sent de quel­ques-uns de ses fruits (RMI, RSA...), l’État et la classe capi­ta­lis­tes ont permis : à de nou­vel­les clas­ses de s’acca­pa­rer les pou­voirs poli­ti­ques, juri­di­ques, sociaux et éco­no­miques ; l’ascen­sion sociale d’une partie de la classe ouvrière franç­aise au dét­riment des tra­vailleurs immi­grés. Malheureusement, il est à crain­dre que le modèle éta­tique déf­endu par les réd­acteurs du Manifeste suive un chemin sem­bla­ble. D’abord, parce que la diplo­ma­tie n’a jamais permis qu’un État sorte du cadre du capi­ta­lisme, tel qu’en tém­oignent de nom­breu­ses révo­lutions (URSS, Chine...) forcées de réint­rod­uire l’éco­nomie de marché, du fait de sa mon­dia­li­sa­tion.

Les réd­acteurs dén­oncent ensuite le deuxième pilier, sous le titre « La nature comme rés­ervoir inép­ui­sable et comme dépotoir ». Ainsi soulèvent-ils la ques­tion de l’éco­logie ou, plus exac­te­ment, de l’envi­ron­ne­men­ta­lisme. La pro­blé­ma­tique de la pol­lu­tion semble avoir retenu leur atten­tion, notam­ment lorsqu’elle touche les pays les plus pau­vres, qui, pour cer­tains, ser­vent de déch­et­terie et/ou de mine à ciel ouvert aux pays riches.

Bien que leur cons­tat ne souf­fre aucune dis­cus­sion, il en va autre­ment de la manière dont ils posent le pro­blème. Leur rai­son­ne­ment, prin­ci­pa­le­ment juri­di­que, vise à définir la nature et ses rés­ervoirs de matière pre­mière comme « biens publics mon­diaux ». Si le patri­moine natu­rel était ainsi mon­dia­le­ment reconnu comme tel, ce serait une avancée dans le combat pour la pro­tec­tion de l’envi­ron­ne­ment, de la flore et de la faune. Néanmoins, ceci n’empêche pas que nos rela­tions à la nature ne se trans­for­me­ront pas radi­ca­le­ment si nous ne bou­le­ver­sons pas les rap­ports sociaux, les rap­ports de pro­duc­tion capi­ta­lis­tes. Abolir la « mar­chan­di­sa­tion » de la planète ne devrait pas avoir d’autre syno­nyme que l’anni­hi­la­tion du capi­ta­lisme. Évoquer la loi, la jus­tice pour modi­fier cette rela­tion reste un pis-aller. Hélas, décréter que la nature et ses fruits sont des « biens publics mon­diaux » ne révo­luti­on­nera pas l’équi­libre éco­lo­gique mon­dial. D’un point de vue éthique, la dém­arche est loua­ble, elle permet de sen­si­bi­li­ser les popu­la­tions à la pro­tec­tion de notre planète ; mais cela ne remet pas en cause le droit des entre­pri­ses à pol­luer (qui s’achète par des taxes, etc.).

Sur le plan pra­ti­que, l’homme moderne ne devrait plus considérer la nature comme un objet extérieur à lui ; depuis l’appa­ri­tion des pre­miers homi­nidés, il est intégré dans la nature, qu’il le veuille ou non, et doit garder présent à l’esprit qu’en la pol­luant il pollue sa propre vie et celle de ses héritiers. Ainsi semble-t-il per­ti­nent de citer cette phrase de Babeuf et Maréchal dans le Manifeste des Égaux : « Plus de pro­priété indi­vi­duelle des terres, la terre n’est à per­sonne. Nous réc­lamons, nous vou­lons la jouis­sance com­mu­nale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde. »

Troisième pilier : « La mise sous tutelle de la démoc­ratie. » En sciant ce pilier, Attac pér­en­nise le prin­cipe élec­toral et de la délé­gation de pou­voir, tout en l’amé­nageant en fonc­tion d’une exi­gence de ce que nous pour­rions appe­ler la régu­lation citoyenne. Sur le plan des rap­ports de force, il s’agit d’une forme de paix sociale où patrons et ouvriers seraient poli­ti­que­ment et idéo­lo­giq­uement égaux, où les uns et les autres seraient aussi libres de per­met­tre aux pre­miers d’exer­cer leur domi­na­tion sociale et éco­no­mique sur les seconds. Cette notion nous paraît aussi illu­soire que cette néc­essité affirmée de mettre « en place de nou­vel­les formes de par­ti­ci­pa­tion popu­laire com­plétant les formes clas­si­ques de représ­en­tation, par une for­ma­tion à la citoyen­neté dans le système édu­catif et par des mesu­res garan­tis­sant le droit d’être informé et le droit d’infor­mer ». En France, par exem­ple, de nom­breu­ses muni­ci­pa­lités majo­ri­tai­re­ment « socia­lis­tes » ont mis en pra­ti­que l’idée de démoc­ratie par­ti­ci­pa­tive, tant vantée par Ségolène Royal durant la cam­pa­gne élec­to­rale de 2007, en pro­po­sant régul­ièrement des réunions publi­ques dans les quar­tiers lors­que des chan­tiers y sont pro­grammés ; géné­ra­lement, les conseils muni­ci­paux ont déjà délibéré sur ces pro­jets, ce qui ren­force la légi­ti­mation de la voix des représ­entants du peuple, non du peuple lui-même.

Les auteurs du Manifeste, dans leur soif d’inno­ver, accèdent au désir des conser­va­teurs : on fait par­ti­ci­per le peuple, mais on garde les ins­ti­tu­tions. Attac veut sim­ple­ment les révo­luti­onner, leur refaire la façade en les amé­nageant un tant soit peu, his­toire, sur­tout, de ne dépl­aire à per­sonne. Cette démoc­ratie par­ti­ci­pa­tive aurait éga­lement des visées péda­go­giques, qui trou­ve­raient éga­lement une mani­fes­ta­tion dans le système édu­catif ; alors qu’elle a rué dans les bran­cards lors­que Sarkozy et ses sous-minis­tres pro­po­saient de réha­bi­liter l’ins­truc­tion civi­que, Attac ne défend pas moins les mêmes posi­tions fina­le­ment. À moins que la « for­ma­tion à la citoyen­neté dans le système édu­catif » couvre un sens qui nous aurait échappé.

Après une bonne suée avec les trois pre­miers piliers, le Manifeste s’atta­que aux « poli­ti­ques publi­ques au ser­vice des pro­priét­aires du capi­tal ». Leur ana­lyse concer­nant le déman­tèlement des ser­vi­ces publics ne souf­fre évid­emment aucune contra­dic­tion. D’une cer­taine façon, il pré­disait ce que vit actuel­le­ment le prolé­tariat grec depuis plus de deux ans. Quant aux remèdes, leur ori­gi­na­lité est extrê­mement décev­ante. Une fois encore, l’État devrait venir à la res­cousse. Les ser­vi­ces publics qu’il aura aban­donnés devront être « dép­ri­vatisés », sans oublier le rôle régu­lateur que pour­raient jouer les « citoyens » s’ils l’« esti­ment néc­ess­aire ». Dans le même ordre d’idée, l’action­naire (cin­quième pilier) devra par­ta­ger le capi­tal avec les « tra­vailleurs » et les « pou­voirs publics ».

Avec les sixième et sep­tième piliers, Attac pèche par antiamé­ri­can­isme pri­maire, dénonçant les méfaits de l’Oncle Sam sur le plan géo­po­li­tique tout en oubliant que les poli­ti­ques inter­ven­tion­nis­tes ne sont pas le seul fait des États-Unis ; n’est-ce pas encore la France qui prit l’ini­tia­tive de donner un coup de main aux rebel­les libyens contre le colo­nel Kadhafi. Ils se trou­vent dans la ligne de mire pour leur impér­ial­isme cultu­rel et lin­guis­ti­que, auquel il fau­drait remédier par l’affir­ma­tion d’autres impér­ial­ismes, à tra­vers la fran­co­pho­nie, l’his­pa­no­pho­nie, la ger­ma­no­pho­nie, la luso­pho­nie, etc. Guérir le mal par le mal, en quel­que sorte. Et pour­quoi ne pas s’appuyer sur des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­na­les telles que l’ONU ? Les réd­acteurs du Manifeste ne sont pas à une aber­ra­tion près.

Néo-keynés­ian­isme, néo-conser­va­tisme de gauche

En vou­lant « Promouvoir un nou­veau sens à donner au tra­vail et à la consom­ma­tion », Attac invite à réor­ga­niser le capi­ta­lisme. Le pre­mier cha­pi­tre, inti­tulé « en finir avec toutes les domi­na­tions », mél­ange divers thèmes dont celui de l’éco­nomie. Ainsi l’asso­cia­tion alter­mon­dia­liste désire agir sur l’emploi, la pro­tec­tion sociale et le ser­vice public. Elle invo­que le droit de tous à ce trip­ty­que, fon­da­men­tal chez les néo-keynésiens, puis­que chacun des éléments agit sur les autres et est ainsi sup­posé créer de la richesse, c’est-à-dire des biens et des ser­vi­ces.

Ceci devient embar­ras­sant pour leur « théorie » de la « mar­chan­di­sa­tion » des ser­vi­ces publics. En toute mau­vaise foi, ils pour­sui­vent leurs lar­moie­ments sans ana­ly­ser le contenu de leur pro­po­si­tion et en igno­rant les prin­ci­pes mêmes fixés par le théo­ricien qui les ins­pire, en l’occur­rence John Maynard Keynes (1883-1946). Grossièrement, pour lutter contre le chômage, selon lui, l’État devait inter­ve­nir auprès des entre­pri­ses afin de per­met­tre, sur le marché, qu’une demande cor­res­ponde à une offre. Contrairement aux libéraux, Keynes pro­mou­vait le main­tien des salai­res (voire leur aug­men­ta­tion) afin que les tra­vailleurs conti­nuent d’avoir un pou­voir d’achat décent. En outre, « la relance de la demande doit être impulsée par une aug­men­ta­tion des dép­enses publi­ques ou une baisse des taux d’intérêts (pour favo­ri­ser l’inves­tis­se­ment » (1) .Ceci est, en résumé, ce que sou­hai­tait réa­liser Jean-Luc Mélenchon s’il accédait à la pré­sid­ence. Mais aussi l’actuel pré­sident François Hollande.

De cette façon, Keynes esti­mait pos­si­ble de remet­tre l’éco­nomie capi­ta­liste, l’éco­nomie de marché, sur les rails après une pér­iode de crise, assu­rant tou­te­fois son lec­teur atten­tif que de telles mesu­res ne pou­vaient qu’être tem­po­rai­res. « Si Keynes ne croit pas au caractère autoré­gu­lateur du marché, il ne condamne pas pour autant l’éco­nomie de marché. […] Il est impor­tant, enfin, de garder à l’esprit que les prin­ci­paux rai­son­ne­ments keynésiens ne s’appli­quent qu’à des situa­tions par­ti­cu­lières, se mani­fes­tant sur une courte pér­iode […] », sou­li­gnent Jean-Yves Capul et Olivier Garnier, dans leur Dictionnaire d’éco­nomie et de scien­ces socia­les (2), ce qui nous laisse entre­voir deux pos­si­bi­lités.

Premièrement, si la poli­ti­que pré­conisée par les alter­mon­dia­lis­tes se concré­tise sur une pér­iode de long terme, celle-ci engen­drera de nou­vel­les crises, bien plus fortes et plus graves. L’his­toire a dém­ontré que la mét­hode keynési­enne pou­vait sus­ci­ter l’infla­tion, parce que le mou­ve­ment des reve­nus, s’il ne reste pas stable, ne peut qu’aug­men­ter si l’on suit cette logi­que. Par une méca­nique par­ti­cu­lière, l’aug­men­ta­tion des salai­res génère l’aug­men­ta­tion des prix, puis­que les patrons rép­er­cutent la hausse des uns sur les autres, afin de main­te­nir leur taux de profit.

Deuxièmement, la tra­duc­tion poli­ti­que du régu­lati­onn­isme pour­rait être le retour à la libé­ration de l’éco­nomie de marché, les pri­va­ti­sa­tions et la des­truc­tion des acquis sociaux mon­nayés par les tra­vailleurs contre de meilleu­res per­for­man­ces de leur force de tra­vail.

En somme, la vision alter­mon­dia­liste de l’éco­nomie mène à l’impasse, parce qu’elle ne s’ins­crit pas hors du cadre du capi­ta­lisme. La lutte éco­no­mico-poli­ti­que entre néokeynésiens et néolibéraux, c’est le yin et le yang du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste. Ce qui est fait doit être défait pour que l’éco­nomie de marché sub­siste. C’est ce qui se pas­sait en France sous la pré­sid­ence sar­ko­zyste, durant laquelle une bonne part des mesu­res keynési­ennes d’après-guerre ont été dét­ricotées. Nous pou­vons remon­ter ainsi jusqu’aux années De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac. Rappelons, entre autres, les atta­ques de Chirac contre les retrai­tes en 2002-2003, les pri­va­ti­sa­tions d’entre­pri­ses publi­ques sous Mitterrand (TF1, Renault...), etc.

Ainsi en vient-on à une deuxième cons­ta­ta­tion : en plus de ne pas être anti­ca­pi­ta­liste, le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste pro­pose une vision sociale conser­va­trice. De même que les cen­tra­les syn­di­ca­les, ATTAC s’accro­che aux acquis arra­chés lors des luttes socia­les antéri­eures (congés payés, sécurité sociale...). Les éventu­elles reven­di­ca­tions nova­tri­ces sont ainsi sou­vent noyées dans un flot continu de pleur­ni­che­ries liées aux atta­ques nom­breu­ses du capi­tal contre les citoyens.

Si, par ailleurs, ATTAC suggère la création d’un revenu garanti (qui sup­pose notam­ment la pér­en­ni­sation d’une hiér­arc­hi­sation sociale), l’asso­cia­tion poli­ti­que se posi­tionne for­te­ment pour que des mesu­res pro­tec­tion­nis­tes soient prises, que l’on peut ana­ly­ser comme une appro­che natio­na­liste de l’éco­nomie.

Revenons au revenu mini­mum garanti : cette mesure est au pre­mier abord une pro­po­si­tion ori­gi­nale qui per­met­trait à tout un chacun, même ne tra­vaillant pas, d’avoir un revenu lui per­met­tant de sub­ve­nir à ses besoins et ceux de ses pro­ches.

Le prin­cipe remonte à L’Utopie de Thomas More (1478-1535). S’adres­sant à l’archevêque de Canterbury, le voya­geur Raphaël déc­lare par sous-entendu : « On décrète contre le voleur des peines dures et ter­ri­bles alors qu’on ferait mieux de lui cher­cher des moyens de vivre, afin que per­sonne ne soit dans la cruelle néc­essité de voler d’abord et ensuite d’être pendu. (3) » D’après Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght, « c’est à un ami de More, Johannes Ludovicus Vives (1492-1540), huma­niste d’ori­gine juive cata­lane et pro­fes­seur à Louvain, que l’on doit le pre­mier plan détaillé et soi­gneu­se­ment argu­menté de revenu mini­mum garanti » (4) . Pour Vives, comme pour More, il s’agis­sait de mettre en place une « assis­tance publi­que » afin que les pau­vres puis­sent vivre et faire vivre leurs famil­les, afin qu’ils ne soient plus obligés de voler ni de men­dier.

Aujourd’hui, ce retour à des prin­ci­pes hérités du vieil huma­nisme dém­ontre, d’abord, l’inca­pa­cité d’ATTAC et de ses spéc­ial­istes à sortir de la morale judéo-chréti­enne dont la cha­rité représ­ente un des fon­de­ments. En outre, les alter­mon­dia­lis­tes refu­sent de penser l’abo­li­tion de la mar­chan­dise dans tous ses sens : autant les biens et les ser­vi­ces que la force de tra­vail. Ce revenu mini­mum garanti sup­pose tou­jours qu’il faille avoir recours, sans ce pis-aller, sans cette allo­ca­tion uni­ver­selle, au tra­vail sala­rié pour consom­mer, pour s’assu­rer une vie déc­ente.

Ajoutons à cela une mesure qui en dit long : dans sa mesure 16, ATTAC pro­pose que l’écart entre actions et salai­res soient réd­uites. Aussi prompte soit-elle à dén­oncer les action­nai­res et le capi­tal finan­cier, ATTAC ne tient pas par­ti­cu­liè­rement à leur abo­li­tion de fait.

Au contraire, les alter­mon­dia­lis­tes suggèrent même une nou­velle forme d’exploi­ta­tion : le com­merce équi­table, grâce auquel de petits exploi­tants agri­co­les et arti­sa­naux seront libres de se faire exploi­ter et d’exploi­ter leur main-d’œuvre au profit de coopé­ra­tives, dans le cadre d’une éco­nomie soi-disant soli­daire. Ainsi les réd­acteurs en vien­nent-ils, par exem­ple, à déf­endre que les pays en dével­op­pement impo­sent des droits de doua­nes, fidèles à leur idée du pro­tec­tion­nisme, inversé cette fois.

Quelles sont réel­lement les impli­ca­tions de ce désir pro­tec­tion­niste ?

Dans un pre­mier temps, en réd­uisant les flux mar­chands, ce type de poli­ti­que réduit les liens entre éco­nomies de pays différents. D’une part, les patrons n’entrent plus en contact les uns avec les autres, mais, d’autre part, les tra­vailleurs du monde non plus. Schématiquement (parce que ceci est plus com­plexe), ATTAC ren­drait impos­si­ble, dans une cer­taine mesure, la fédé­ration des tra­vailleurs au niveau mon­dial. Mettant de cette façon un frein à la lutte de clas­ses, ATTAC, et plus lar­ge­ment la gauche, permet au capi­ta­lisme d’obte­nir un répit : en l’amé­nageant, en don­nant de menus avan­ta­ges aux clas­ses exploitées et en tour­nant l’hos­ti­lité de classe des uns et des autres au profit de l’hos­ti­lité natio­nale sur la plan éco­no­mique - cela peut d’ailleurs aller plus loin, si l’on se sou­vient (un exem­ple au hasard) des propos xénop­hobes de la « socia­liste » Edith Cresson (5) au sujet des Japonais. Lorsque la gauche tient les rênes du pou­voir, les luttes socia­les sont moins fréqu­entes et moins vio­len­tes, sauf quel­ques excep­tions ; d’où la néc­essité de ne pas céder aux sirènes régu­lati­onn­istes.

Deuxièmement, et en conséqu­ence, la nature éventu­el­lement pro­tec­tion­niste de l’éco­nomie aurait un impact néf­aste sur les men­ta­lités. Se protéger de l’éco­nomie d’un pays voisin revient pres­que à poser le pays voisin comme un adver­saire, un ennemi. Les tra­vailleurs français, par exem­ple, considé­reraient leurs voi­sins alle­mands, belges, suis­ses ou ita­liens comme des adver­sai­res. Ainsi le « pro­dui­sons français » n’a pas d’autre effet que de sures­ti­mer l’éco­nomie franç­aise, prét­en­dument de meilleure qua­lité, et de flat­ter le chau­vi­nisme des uns et des autres.

Les alter­mon­dia­lis­tes rét­orq­ueront que des pro­duits locaux seraient, primo, plus aisément contrô­lables par les consom­ma­teurs. Ce qui nous semble par­ti­cu­liè­rement hypo­crite, sachant la ten­dance des asso­cia­tions loca­les à déléguer le contrôle à des spéc­ial­istes. Secundo, les alter­mon­dia­lis­tes argu­men­te­ront, en s’appuyant sur l’exem­ple, ima­gi­naire ou non, de l’impor­ta­tion de viande ovine en pro­ve­nance de Nouvelle-Zélande, qu’une consom­ma­tion chau­vine réd­uira le récha­uf­fement cli­ma­ti­que. Il est vrai que cela semble logi­que, mais le capi­ta­lisme n’a pas la répu­tation d’un système éco-logi­que en soi.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que cer­tains ont for­mulé de donner prio­ri­tai­re­ment du tra­vail aux natio­naux plutôt qu’aux « immi­grés » (un terme qui, chez cer­tains, qua­li­fie même par­fois des per­son­nes de natio­na­lité franç­aise !). Par exem­ple, le fait que des mili­tants d’extrême droite dével­oppent ce genre de dis­cours dans des orga­ni­sa­tions syn­di­ca­les est aussi évo­cateur qu’inquiétant. L’on pour­rait ima­gi­ner que ce dis­cours puisse être repris dans d’autres orga­ni­sa­tions poli­ti­ques, asso­cia­ti­ves, etc. L’his­toire, y com­pris la plus réc­ente, a dém­ontré que des per­son­nes ordi­nai­re­ment à « gauche » pou­vaient être attirées par les sirènes de la xénop­hobie.

Résurrection de l’État-Providence

Le recours à l’État ne se can­tonne pas qu’à l’éco­nomie. Sur le plan de la diplo­ma­tie, Attac suggère de « faire de l’Europe un pôle alter­na­tif », afin de rééq­ui­librer les rap­ports avec les États-Unis sur la scène géo­po­li­tique inter­na­tio­nale. Ainsi les alter­mon­dia­lis­tes se fabri­quent-ils l’image d’une Europe représ­entant un contre-pou­voir à l’impér­ial­isme éta­sunien ; une image sus­cep­ti­ble d’atténuer, en outre, le poids diplo­ma­ti­que de cer­tains Etats européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) qui l’écl­ipsent géné­ra­lement.

En ce qui concerne les affai­res euro-europé­ennes, à l’inverse, les Etats devraient, selon les auteurs du Manifeste, briser le « carcan ins­ti­tu­tion­nel ». Évide­mment, l’idée met en appétit. Sauf que cette pro­po­si­tion signi­fie­rait plutôt opérer un petit lif­ting des ins­ti­tu­tions europé­ennes. La preuve dans le texte : « En s’appuyant sur des mobi­li­sa­tions popu­lai­res dans son pays et dans les autres, [l’Etat] peut uti­li­ser les ins­ti­tu­tions exis­tan­tes comme autant de tri­bu­nes, et les procé­dures comme autant de moyens d’action. »

D’abord, si l’on pèse l’expli­cite et l’impli­cite, cette cita­tion révèle que les ins­ti­tu­tions ne sont pas brisées. Ensuite, au contraire de ce que sou­haite Attac dans le champ diplo­ma­ti­que (l’effa­ce­ment des Etats face à l’Union europé­enne), les réd­acteurs esti­ment néc­ess­aire qu’un Etat puisse s’oppo­ser à des décisions prises par l’UE. « Il peut, s’il en a la volonté et le cou­rage poli­ti­ques, blo­quer de très nom­breu­ses décisions néf­astes. » C’est ce que fit De Gaulle, par exem­ple, en appli­quant la poli­ti­que dite « de la chaise vide ». Cela avait fra­gi­lisé la Communauté europé­enne, mais aussi les rela­tions de la France avec ses par­te­nai­res. Il n’est pas ques­tion, ici, de déf­endre l’Union europé­enne, mais de dén­oncer la mani­pu­la­tion natio­na­liste à tra­vers cette volonté de prés­erver un État fort. Une illu­sion de plus qui ne serait pro­fi­ta­ble à per­sonne. Si, ces der­niers temps, la Grèce avait réagi ainsi face aux exi­gen­ces franco-alle­man­des, sans doute aurait-elle fra­gi­lisé ses rela­tions avec l’UE, d’autant plus qu’elle se trou­vait en posi­tion de fai­blesse, inca­pa­ble de pou­voir exiger quoi que ce soit. Imaginons les conséqu­ences néf­astes pour les clas­ses popu­lai­res grec­ques : il est évident que la crise se serait aggravée, une éco­nomie autar­ci­que étant de toute évid­ence vouée à la sclé­rose ou à l’iné­vi­table ouver­ture ; sup­po­sons la sortie éventu­elle de la zone euro, le prolé­tariat hellène n’y aurait peut-être pas été gagnant sur toute la ligne : le retour au drachme ne se serait pas opéré sans souf­fran­ces.

Entre autres sug­ges­tions, les alter­mon­dia­lis­tes comp­tent briser les ins­ti­tu­tions europé­ennes en les démoc­ra­tisant, en étendant l’ini­tia­tive lég­is­la­tive de la Commission europé­enne au Parlement européen, aux gou­ver­ne­ments natio­naux, aux par­le­ments et aux citoyens. En résumé : faire fonc­tion­ner les ins­ti­tu­tions europé­ennes et natio­na­les. Ils élar­giraient par ailleurs le droit de pétition.

Non seu­le­ment Attac ne bri­se­rait jamais le fameux « carcan ins­ti­tu­tion­nel », mais - iro­ni­que­ment ? - elle émet l’idée de siéger au FMI (Fonds monét­aire inter­na­tio­nal) et à la Banque mon­diale. N’est-ce pas une drôle de façon de com­bat­tre les ins­ti­tu­tions qu’habi­tuel­le­ment elle dén­once ? Sans doute pou­vons-nous y déceler les rémin­isc­ences entris­tes de diri­geants au passé trots­kyste...

Dans le troi­sième cha­pi­tre, les auteurs du Manifeste alter­mon­dia­liste se font les chan­tres de la démoc­ratie par­ti­ci­pa­tive, désireux de « reconquérir les espa­ces perdus par la démoc­ratie au profit de la sphère finan­cière ». Une nou­velle fois, ces fins ana­lys­tes ne peu­vent pas s’empêcher de penser le système éco­no­mique comme un système exclu­si­ve­ment finan­cier, comme si le tra­vail et le capi­tal tech­ni­que (moyens de pro­duc­tion) ne représ­entent qu’une baga­telle. À moins que leur objec­tif se limite à reve­nir à des rap­ports de pro­duc­tions, des mét­hodes d’alié­nation du tra­vail plus tra­di­tion­nels ? plus... moraux ? plus... humains ?

Par la suite, le texte décrit un mode de fonc­tion­ne­ment poli­ti­que prin­ci­pa­le­ment représ­en­tatif, don­nant l’illu­sion de la démoc­ratie « par­ti­ci­pa­tive ». Par bon­heur, ils ont été suf­fi­sam­ment pudi­ques pour ne pas uti­li­ser le concept de démoc­ratie directe. Aussi séd­uis­antes que soient ces idées, les auteurs n’expli­quent nulle part par quel moyen accéder à cette forme de pou­voir démoc­ra­tique. Cela signi­fie-t-il qu’une démoc­ratie puisse exis­ter sans que le « peuple » par­ti­cipe au pou­voir ? Même si, dans la pra­ti­que, la démoc­ratie bour­geoise est fon­ciè­rement antidé­moc­ra­tique (puis­que seule la classe diri­geante détient le pou­voir et que la classe exploitée n’a pres­que plus de poids poli­ti­que), sup­po­ser, dans la théorie, une « démoc­ratie par­ti­ci­pa­tive » s’annonce aussi redon­dant qu’absurde. Par la même, il devient sin­gu­liè­rement com­pli­qué d’oppo­ser la « démoc­ratie par­ti­ci­pa­tive » à la démoc­ratie bour­geoise (ou néoli­bérale, s’ils pré­fèrent). Les mesu­res aux­quel­les les alter­mon­dia­lis­tes aspi­rent ne sem­blent pas faire table rase du pou­voir capi­ta­liste ; il s’agit au contraire de main­te­nir les ins­ti­tu­tions poli­ti­ques en les adap­tant aux impé­rat­ifs par­ti­ci­pa­tifs. Ainsi ajou­te­raient-ils de nou­vel­les stra­tes dans le fonc­tion­ne­ment poli­ti­que du pays, y com­pris dans le fonc­tion­ne­ment des entre­pri­ses (sans pour autant déb­arr­asser l’éco­nomie des rap­ports mar­chands et sala­riaux).

Un capi­ta­lisme amendé

Le Manifeste alter­mon­dia­liste abonde en pro­po­si­tions fei­gnant la sin­gu­la­rité. Nous en avons extrait les plus signi­fi­ca­ti­ves, celles qui révèlent la nature réf­orm­iste et conser­va­trice d’Attac. A trop vou­loir rompre avec la « mar­chan­di­sa­tion du monde », les réd­acteurs en per­dent leurs concepts, réinv­entant l’éco­nomie et la poli­ti­que au gré de leurs moraux lar­moie­ments. Ce court opus­cule annonce la rés­urr­ection du vieux keynés­ian­isme, contrai­re­ment à ce que le texte insi­nue en accu­mu­lant les déc­lin­aisons de l’adjec­tif « nou­veau ».

La conclu­sion, enfin, ne laisse plus de place au doute : « Il ne s’agit pas de faire "bouillir les mar­mi­tes de l’avenir" en inven­tant de toutes pièces un monde idéal […]. Il s’agit d’explo­rer des voies mul­ti­ples, des ter­rains dis­pa­ra­tes afin de remet­tre fon­da­men­ta­le­ment en cause le modèle néolibéral par un "mou­ve­ment réel qui abolit l’état actuel des choses" », écrivent les réd­acteurs du Manifeste en citant Karl Marx. Grosso modo, il ne s’agit pas, pour Attac, de mode­ler le monde sui­vant un nou­veau mode de pro­duc­tion, mais de cor­ri­ger, adap­ter, amen­der le capi­ta­lisme sui­vant des impé­rat­ifs prét­en­dument démoc­ra­tiques et soli­dai­res. Se refu­sant à abolir l’éco­nomie de marché, les alter­mon­dia­lis­tes demeu­rent dans la logi­que capi­ta­liste, pour ne pas dire libé­rale (une insulte que nous juge­rions par­ti­cu­liè­rement jus­ti­fiée), agrémentée de conser­va­tisme social (ou conser­va­tisme de gauche) et de natio­na­lisme éco­no­mique. Ni plus ni moins, l’alter­mon­dia­lisme n’est qu’un alter­ca­pi­ta­lisme, voire un alter­libé­ral­isme.

Pouvons-nous, alors, considérer que « l’exis­tence du mou­ve­ment alter­mon­dia­liste est une des condi­tions pour que des alter­na­ti­ves puis­sent voir le jour » ? Nous contes­te­ront cette affir­ma­tion pour cette raison : Attac a récupéré dans les pou­bel­les de l’his­toire des recet­tes qui assu­rent seu­le­ment la pér­ennité de l’exploi­ta­tion sala­riale, en main­te­nant les tra­vailleurs dans l’illu­sion d’une pseudo-contes­ta­tion. Il est dif­fi­ci­le­ment pen­sa­ble de conce­voir une solu­tion dans le cadre d’un système dont on prés­erve la plu­part (sinon la tota­lité) de ses mani­fes­ta­tions poli­ti­ques et socia­les. La vision que les alter­mon­dia­lis­tes ont du monde, à tra­vers ses aspects tant éco­no­miques que poli­ti­ques et sociaux, dém­ontre soit leur naïveté soit leur manque d’ambi­tion soit leur incompét­ence dans ces domai­nes, aussi sur­pre­nant que cela puisse paraître, sachant le nombre incal­cu­la­ble de « spéc­ial­istes » au sein de cette modeste asso­cia­tion d’« édu­cation popu­laire ». Cité à deux repri­ses dans la conclu­sion du livret, Marx se retour­ne­rait dans sa tombe...

Post-scrip­tum sur la presse : Les réd­acteurs d’Attac ont gardé le meilleur pour la fin. Le n°105 indi­que ces quel­ques lignes :

« Faire res­pec­ter le droit à l’infor­ma­tion et le droit d’infor­mer, ce qui passe notam­ment par :

- des mesu­res dra­co­nien­nes anti­concen­tra­tion ;

- la sup­pres­sion de la publi­cité dans le finan­ce­ment des radios et télé­visions publi­ques, le manque à gagner étant comblé par des pré­lè­vements sur les recet­tes publi­ci­tai­res des chaînes privées ;

- la dép­ri­va­ti­sation de TF1 par le non-renou­vel­le­ment de sa conces­sion hert­zienne ;

- des aides publi­ques aux chaînes et radios asso­cia­ti­ves ;

- l’inter­dic­tion de la par­ti­ci­pa­tion des entre­pri­ses béné­ficiant des mar­chés publics au capi­tal des chaînes et sta­tions privées ;

- la création d’un statut d’entre­prise de presse à but non lucra­tif. »

En vou­lant réd­uire le phénomène de concen­tra­tion, d’abord, les alter­mon­dia­lis­tes s’atta­quent à l’essence même du capi­tal qui tend, notam­ment en pér­iode de crise (et nul n’ignore l’état de la presse aujourd’hui), à un regrou­pe­ment des entre­pri­ses entre les mains d’un faible nombre de capi­ta­lis­tes. Certaines gros­ses entre­pri­ses récupèrent ainsi le capi­tal laissé à l’aban­don par des patrons en faillite. Lorsque le capi­ta­lisme se por­tera mieux, ce capi­tal, sui­vant la « loi » de l’éco­nomie de marché, se diver­si­fiera, tant sur le plan struc­tu­rel que sur celui de l’offre de pro­duits et de ser­vi­ces.

La sup­pres­sion des publi­cités du ser­vice public et l’impo­si­tion des béné­fices publi­ci­tai­res du privé, ensuite, pour­raient avoir des conséqu­ences que les alter­mon­dia­lis­tes ne pour­raient pas maît­riser. Certains entre­pre­neurs s’exi­le­raient et condui­raient une masse de sala­riés aux portes de Pôle Emploi ; autre­ment, ils pour­raient tenter de créer un mono­pole afin d’affron­ter les conséqu­ences de cette mesure. Le pou­voir serait amené, pour pal­lier le manque de fonds, à aug­men­ter les rede­van­ces des contri­bua­bles, ce qui se rép­er­cu­terait y com­pris sur les petits reve­nus. D’autres scé­narios sont pos­si­bles, comme le fait que les entre­pri­ses publi­ci­tai­res, face à une baisse si subite de leur clientèle, per­draient des parts de marché et, de même, devraient licen­cier. La mesure à laquelle il est fait référ­ence, donc, condui­rait sché­ma­tiq­uement à une restruc­tu­ra­tion et une nou­velle concen­tra­tion dras­ti­que du capi­tal.

En ce qui concerne TF1, cette atta­que semble des plus étr­anges. D’un côté, on pose la pér­ennité des chaînes privées (voire mesure pré­céd­ente) et de l’autre on veut sanc­tion­ner une entre­prise en par­ti­cu­lier. Pourquoi ne pas sanc­tion­ner toutes les chaînes privées alors ? Cette mesure nous appa­raît sym­bo­li­que parce que la chaîne avait été publi­que jusque dans les années 80. De toute façon, qu’est-ce que cela chan­ge­rait au contexte méd­ia­tique de la France ? Le contenu de la chaîne ne serait pas pour autant bou­le­versé, hormis quel­ques retou­ches « alter­mon­dia­listo-com­pa­ti­bles » ; les spec­ta­teurs ont besoin de jeux, de spec­ta­cles (y com­pris et sur­tout dans le sens debor­dien). Cette mesure prés­er­vera de toute façon les pré­ro­ga­tives pro­pa­gan­dis­tes de l’État bour­geois.

Enfin, qu’est-ce que cette « entre­prise de presse à but non lucra­tif », ce statut dont Attac pré­co­nise la création ? Là encore, Attac joue à dis­tor­dre les prin­ci­pes de l’éco­nomie de marché, pen­sant que cela va fonc­tion­ner dans ce cadre qu’elle ne remet pas en cause. D’abord, com­ment peut-on penser qu’une entre­prise ne pourra pas avoir de visée lucra­tive ? On s’inter­roge forcément sur le fonc­tion­ne­ment éventuel de ce type d’entre­prise, dont l’objec­tif évident n’est pas de faire de béné­fice ni de profit. Comment alors cette entre­prise paie­rait-elle ses matières pre­mières, les salai­res, ses infra­struc­tu­res, etc. ? Par les impôts ? Attac se garde bien de détailler ses der­nières mesu­res. Au contraire de ce qu’elle prétend dans sa conclu­sion, aucune n’a quoi que ce soit de réal­iste. Du fait qu’ils n’osent pas remet­tre en ques­tion le mode de pro­duc­tion capi­ta­liste et les rap­ports sociaux qui le rég­issent, les alter­mon­dia­lis­tes sont condamnés à répéter ses lita­nies huma­ni­taro-huma­nis­tes et ses recet­tes néo-keynési­ennes ad vitam aeter­nam. Le néo-libé­ral­isme a encore de beaux jours devant lui...

Mathis GOULBERT

Bibliographie :

Attac, Manifeste alter­mon­dia­liste, Construire un monde soli­daire, éco­lo­gique et démoc­ra­tique, édition Mille Et Une Nuits, 113 pages.

Capul J.-Y. T Garnier O., Dictionnaire d’éco­nomie et de scien­ces socia­les,

édition Hatier, coll. Initial, 1996.

Thomas More, L’Utopie, édition GF-Flammarion, tra­duc­tion de Marie

Delcourt, 1987.

Yannick Vanderborght, Philippe Van Parijs, L’allo­ca­tion uni­ver­selle, édition

La Découverte, 2005.

Notes

1. Capul J.-Y. T Garnier O., Dictionnaire d’éco­nomie et de scien­ces socia­les, édition Hatier, coll. Initial, 1996. Voir page 192.

2. Op. cit., page 153.

3. Thomas More, L’Utopie, édition GF-Flammarion, tra­duc­tion de Marie Delcourt, 1987. Voir page 95.

4. Yannick Vanderborght, Philippe Van Parijs, L’allo­ca­tion uni­ver­selle, édition La Découverte, 2005. Voir pages 7 et 8. Les deux auteurs sont cher­cheurs en éthique éco­no­mique et sociale à l’uni­ver­sité catho­li­que de Louvain.

5. Premier minis­tre de François Mitterrand du 15 mai 1991 au 2 avril 1992.

http://www.mondialisme.org/spip.php?article1880
"La société à venir n'a pas d'autre choix que de reprendre et de développer les projets d'autogestion qui ont fondé sur l'autonomie des individus une quête d'harmonie où le bonheur de tous serait solidaire du bonheur de chacun". R. Vaneigem
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Re: Critique de l'altermondialisme : l'exemple d'ATTAC

Messagede niouze » 23 Aoû 2012, 10:05

merci ; j'y ajoute une petite critique du keynesianisme (j'ai psa trouver de post la dessus et trouve que c'est complementaire aux tient ) a l'heure ou certain y voit une solution de rechange (et pas qu'attac )
Qu’est-ce que c’est… Le Keynésianisme ?

C’est quoi le Keynésianisme ? Un truc des années 30 ? La théorie d’un économiste ? Le programme économique du Front de Gauche ? Une tentative de sauver le capitalisme ? Oui tout ça… Et ça mérite d’en comprendre les bases, à une heure ou cette théorie revient en force.

Mais avant tout, un rappel du contexte : La crise de 1929 mit le capitalisme à genoux. Une épidémie de suicides par défenestration chez les traders obligea les badauds new-yorkais à craindre le passage sous les grands buildings bancaires…. Pour des millions de prolétaires, ce fut la faillite totale, le chômage et les expulsions.

Puis, boostée par les commandes de l’Etat, l’industrie de l’armement « relança » le reste de l’économie.

Après une guerre mondiale durant laquelle les gens eurent tout le loisir de s’entretuer suffisamment pour écouler un bon paquet des armes fabriquées, un semblant de « paix » fut restaurée (en réalité, le système capitaliste ne connut désormais qu’un état de guerre de basse intensité permanente…).

Qui c’était, ce Keynes ?

Keynes était un bourgeois anglais super flippé de la crise du capitalisme. Il voyait derrière la crise le spectre de la révolution communiste. Ça ne lui plaisait pas des masses. Les gens risquaient de s’énerver, de piller les boutiques où il faisait ses courses, de s’inviter chez lui pour s’y loger vu que c’était vachement grand et qu’il y avait une meilleure vue sur Londres etc.

Keynes, le MacGyver du capitalisme?

Il fallait donc sortir le capitalisme des crises qui l’agitaient régulièrement, si on voulait qu’il ne soit pas renversé par les prolétaires.

Problème : tout seul, le marché, n’en déplaise aux collègues économistes bourgeois de Keynes, n’arrivait visiblement pas à se réguler.

Les investissements se concentrent sur certains secteurs, et pas ceux qui permettent des profits à long terme (toujours le même discours, encore aujourd’hui) les crises de surproduction sont régulières…

(On vous renvoie là-dessus à la notion crise.)



Commençons par rendre à césar ce qui est à césar : Ce brave Keynes fait partie des premiers économistes bourgeois à ne pas croire en une espèce de fonctionnement magique de l’économie.

Il remet en cause la théorie de la loi des débouchés de J. Say (qui explique que toute marchandise produite trouve forcément un débouché).

Pour Johnny Keynes, la monnaie possède une valeur en soi, elle n’est pas neutre. Ce qui veut dire qu’elle peut servir de réserve de valeur. Qu’on peut stocker du pognon afin de l’utiliser plus tard, comme une épargne, et que dans cette mesure on ne peut pas dire que la monnaie est juste un outil d’échange, car c’est aussi quelque chose qui a une valeur par elle même.

Il dit aussi que les agents économiques ( comprendre: les patrons) anticipent sur les investissements qu’ils vont faire. Ce qui influe directement sur la production ( investir par exemple dans l’appareil productif va développer la production). Et il ajoute que dans certains cas l’ensemble des investissements et donc de la production sont trop bas et ne permet pas le plein emploi, car les patrons préfèrent attendre, garder leur argent, plutôt qu’investir tout de suite.

Cette situation de sous-emploi peut durer voire s’aggraver en cas de crise : le sous-emploi affaibli la consommation qui affaibli à son tour encore plus l’investissement et la production (toujours cette histoire d’anticipation par les patrons, ce qui explique aussi tous ces sondages sur « le moral des patrons », dans les journaux économiques).

Et là on arrive au cœur de la théorie keynésienne. En effet Johnny boy a bien compris une chose : le marché ne peut se sortir seul de cette situation. Il préconise alors l’intervention de l’Etat. Pour sortir du cercle sous emploi/baisse de la consommation décrit plus haut, il pense à deux solutions.

1) D’ abord il s’agit de relancer la consommation en multipliant les dépenses de l’Etat, ce que l’on a appelé la politique des grands travaux. Elle permet de créer des emplois mais aussi de créer des débouchés pour les entreprises. Tout cela a bien entendu pour effet de relancer la consommation.

2) Mais Johnny boy ne s’arrête pas là. Il préconise aussi des mesures pour relancer l’investissement : il s’agit principalement de simplifier l’accès aux thunes pour les entreprises qui veulent investir, voire de mener une politique pour inciter les entreprises à préférer investir maintenant.

Et oui, le problème avec l ’argent, c’est qu’il faut qu’il tourne pour que l’économie capitaliste fonctionne. Si les gros capitalistes préfèrent le stocker en attendant les jours meilleurs, ça craint pour relancer la machine. Pour ce faire, Keynes propose de faciliter l’accès au crédit, notamment en baissant les taux d’intérêts. Il faut selon lui augmenter massivement la masse de monnaie en circulation, sans craindre l’inflation. C’est tout bénef : si l’inflation augmente, les riches auront moins intérêt à stocker le fric, et à plus investir, quitte même à s’endetter. L’inflation est aussi une manière de baisser les salaires des prolos qui est moins visible sur la fiche de paye, mais qui revient au même : baisser le coût du travail.

Tout celà c’est bien beau et ça a pas mal fonctionné dans les années trente : on parle ici de l’économie de guerre, qui finalement est assez proche du modèle idéal keynésien : forte commande de l’Etat (en armes et infrastructures) endettement important pour conjurer la crise…

Pendant la guerre et juste après, on découvrit qu’un prof de fac, haut fonctionnaire du trésor et capitaliste à ses heures perdues (ou les notre, plutôt) J.M. Keynes, avait écrit plusieurs bouquins, articles de presses, etc. dans lesquels il préconisait en période de crise, une intervention énergique de l’Etat, à base de commandes publiques, d’une politique de grands travaux, etc.

Comme le système capitaliste adore les savants, et autres « individus hors normes », il propulsa Keynes au rang d’idole. On finit même par parler d’économie keynésienne, de période « keynésienne ».



En fait, c’est surtout administrer le système capitaliste sur le modèle de l’économie de guerre permanente, en temps de paix. Et la relance dite keynésienne s’appuie sur une chose : la pratique d’un déficit budgétaire renfloué à terme par l’augmentation des recettes fiscales. En clair, l’Etat s’endette pendant la crise, en espérant qu’en sortant de la crise, il pourra avoir plus de rentrée d’impôts, et donc pourra rembourser : il utilise dès aujourd’hui la richesse créée demain.

Le problème, c’est que l’endettement contracté durant les crises, ne baisse pas durant la reprise. Tout juste arrête-il de se creuser. Bein oui, le système capitaliste peut repousser la baisse du taux de profit, pas l’annuler…

Et il arrive un moment où il faut passer à une méthode plus énervée, pour relancer le taux de profit : Ce sera la restructuration qui commence dans les années 70 (et qui sera le sujet d’une prochaine notion).



Face à la nouvelle crise, qui paraît encore plus grosse qu’en 29, les capitalistes, du moins l’aile gauche se remet à lorgner du côté de Keynes. Le problème, c’est qu’ils ont déjà grappillé tout ce qu’ils pouvaient de ce côté là : le taux d’endettement public des pays capitalistes avancés frôle ou dépasse partout les 100% du PIB, c’est-à-dire plus que toute la richesse créée en un an dans le pays !

Bref, ils ont déjà hypothéqué les richesses futures, et ils commencent à s’inquiéter du remboursement.

En ce moment la pratique du déficit budgétaire est un sport à haut risque …

http://www.tantquil.net/2012/07/26/ques ... esianisme/
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Re: Critique de l'altermondialisme : l'exemple d'ATTAC

Messagede altersocial » 23 Aoû 2012, 13:45

niouze a écrit:merci ; j'y ajoute une petite critique du keynesianisme (j'ai psa trouver de post la dessus et trouve que c'est complementaire aux tient ) a l'heure ou certain y voit une solution de rechange (et pas qu'attac )


A lire également :
Marx et Keynes : Les limites de l’économie mixte de Paul Mattick

La crise de 1929 amena le capitalisme au bord du gouffre. On vit pleuvoir les financiers qui se jetèrent en nombre par les fenêtres des grands buildings new-yorkais. Des millions de gens perdirent leur travail, leur maison, bref, tout. Puis l’économie redémarra, surtout grâce à l’essor des industries d’armements, tirée par les commandes de l’Etat…

Quelques années plus tard, après une guerre mondiale et bien des atrocités, on découvrit qu’un universitaire, Keynes, théorisait depuis un bon moment l’intervention étatique dans l’économie. Comme les capitalistes aiment bien les individus géniaux et autres proclamés « précurseurs », ils s’empressèrent de dire que Keynes en était un, et que la nouvelle économie mixte était une économie « keynésienne ».

Puis arriva la crise à nouveau, dans les années 70. Cette fois ci, les méthodes dites keynésiennes ne donnèrent rien. Le problème comme l’écrivait déjà Mattick, c’est que « les conditions qui rendaient cette solution efficace (étaient) en voie de disparition »

C’est le propos du livre de Mattick : montrer que si le développement de l’industrie de l’armement, « la production pour le gâchis », grâce au commandes publiques, a permis de retarder l’échéance de la crise, elle n’a fait que la repousser dans le temps. Le problème, pour les capitalistes, c’est de faire en sorte que le capital investi soit rentable, qu’il rapporte, sinon, il perd de sa valeur.

Grace aux politiques de relance, la baisse de la rentabilité des investissements a pu être retardée. L’État s’est chargé de commander en masse des produits, pour provoquer de la demande. Mais tout ceci ne peut pas durer : le taux de profit finit par chuter de nouveau.

Pourquoi ? Car répond Mattick, l’Etat est obligé de trouver de quoi financer toutes ces politiques publiques : il doit donc imposer les profits des capitalistes, en plus des prolétaires. Pendant une époque, c’est un mal pour un bien : l’État ponctionne le profit et le réinvestit, l’argent tourne. Mais à mesure que la part de profit nécessaire pour faire tourner la machine augmente, qu’augmente la production inutile, la base sur laquelle le système fonctionne – la production socialement utile, comme la nourriture, les habits ou les logements – se rétrécit, jusqu’à provoquer la crise. Face à cette crise, le capital n’a plus qu’une dernière solution : la fuite en avant de la dette. Pour Keynes, c’est une bonne chose : on emprunte quand on n’a pas d’argent, ça relance la machine, et on rembourse quand la prospérité revient. Le problème, comme le rappelle Mattick, c’est si ça ne marche pas. Or depuis la Deuxième Guerre mondiale, la relance s’est accompagnée d’un accroissement de la dette publique.

Alors, les capitalistes revinrent aux vieilles recettes, un peu dépoussiérées : le néo-libéralisme. En clair, une attaque massive contre le salaire grâce a une mise en compétition de la main d’œuvre à l’échelle mondiale, la montée du chômage, etc. Et pour que les gens puissent quand même consommer alors qu’on les sous-paye, hausse continue de l’endettement privé, qui finit par aboutir à une nouvelle crise, celle que nous traversons.

Aujourd’hui les lecteurs de Keynes cherchent à retrouver un peu de cette magie, qui permettrait de redonner au capitalisme un petit coup de fouet, de quoi survivre une nouvelle fois à la crise.

C’est ce que propose le Front de gauche. Mais plus généralement ce programme est aujourd’hui porté par l’ensemble de la gauche dite radicale lors des élections : une politique de relance par la consommation.

Pas plus que le néolibéralisme, le retour à Keynes ne peut permettre au capital de sortir de cette crise : comme l’expliquait Mattick, ces politiques, si elles ont pu un moment retarder son effondrement, arrivent à leurs limites. Est-ce que ça veut dire qu’il s’effondrera tout seul ? Non, bien sûr. Comme l’écrivait Mattick : « Arrivé à l’apogée de sa puissance, le capitalisme est aussi arrivé au plus haut point de vulnérabilité, il ne débouche nulle part ailleurs que sur la mort. Si faibles que soient les chances de révolte, c’est moins que jamais le moment de renoncer au combat ! »

Nico ( AL Marseille)

Paul Mattick, Marx et Keynes, Les limites de l’économie mixte, Editions Gallimard, 2010, 432 pages, 9,50 euros

http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle4753
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