Le Parti du travail - Emile POUGET

Le Parti du travail - Emile POUGET

Messagede Pti'Mat » 21 Aoû 2012, 14:21

Voilà un texte qui garde toute son actualité aujourd'hui pour une stratégie révolutionnaire:


(Pour Emile POUGET, le "Parti du Travail" représente la confédération syndicale de classe -la CGT pour l’époque-).


Sa Définition

Le PARTI DU TRAVAIL porte en lui-même sa définition : il est le groupement des travailleurs en un bloc homogène ; il est l’organisation autonome de la classe ouvrière en un agrégat ayant pour assises le terrain économique, il est, par origines, par son essence, réfractaire à toute compromission avec les éléments bourgeois.

A la base (cellule du Parti du Travail) est le syndicat, et c’est par la mise en contact des syndicats entre eux, c’est par la solidarisation que se révèle, se manifeste et agit le Parti du Travail. Le syndicat s’affilie, d’un côté , à sa Fédération nationale corporative ; de l’autre, à son Union départementale. A leur tour, les organismes fédératifs de ces deux catégories se fédèrent entre eux, et leur cohésion constitue le groupement unificateur des forces et des intérêts ouvriers : la Confédération Générale du Travail. Ce fédéralisme, aux cercles concentriques, se pénétrant l’un l’autre, est un merveilleux amplificateurs de la puissance ouvrière ; et les unités composantes se renforcent mutuellement et la force particulière de chacune est accrue de l’appui de toutes les autres. Le syndicat, isolé, ne disposant que de ses ressources et de sa vigueur, n’aurait qu’une action restreinte : tandis que, du fait de son affiliation au Parti du Travail, il se trouve jouir de la force considérable que lui communique, par répercussion, cet organisme solidarisé. Cette force énorme (incommensurable, parce qu’elle est sans cesse grandissante) est la conséquence du groupement sur le terrain économique. Il n’y a que sur cette base que se puisse réaliser un organisme aussi vigoureux et n’ayant rien à redouter de l’immixtion d’aucun élément désagrégateur. En effet, la trame de ce groupement étant l’intérêt de classe du prolétariat, toute atténuation de sa force revendicatrice et révolutionnaire est vaine et toute tentative de déviation est d’avance frappée de stérilité.

Le Parti du Travail est un parti d’intérêts. Il ignore les opinions des individus qui le constituent ; il ne connait et ne coordonne que les intérêts (tant matériels que moraux et intellectuels) de la classe ouvrière. Ses rangs sont ouverts à tous les exploités, sans distinction d’opinions politiques ou religieuses. Oui, le Parti du Travail ignore les opinions, qu’elles qu’elles soient, en revanche, il pourchasse l’exploitation humaine sous quelque forme qu’elle se manifeste. Un travailleur qui aura des conceptions philosophiques ou politiques baroques (qui croira en Dieu quelconque ou en l’Etat) aura sa place à côté de ses camarades, au sein de ce parti. Mais ce qu’on y condamne, en ce parti, c’est l’exploitation des idées théologiques, politiques ou philosophiques : ce qu’on y réprouve, c’est l’intervention du prêtre ou du politicien qui l’un et l’autre, vivent de spéculation sur les croyances. Dans ce parti, tous les exploités y ont leur place, malgré que beaucoup de ceux-ci (dans la société actuelle où tout n’est qu’absurdités et crimes) soient obligés de s’atteler à des besognes inutiles ou même nuisibles. L’ouvrier de manufactures d’armes, le constructeur de navires de guerre etc... font un travail nuisible ; ils sont doublement victimes de la mauvaise organisation sociale, puisque outre qu’ils sont exploités, ils ont le désavantage de concourir à une oeuvre malfaisante. Cependant leur place est tout indiquée dans la Parti du Travail. Au contraire, l’être nuisible par sa fonction personnelle (tel le mouchard) est mis au ban. Celui-là est un parasite de l’ordre le plus répugnant : issu de la classe ouvrière, il s’est avili aux plus immondes besognes ; par conséquent, il n’a sa place qu’au sein de la bourgeoisie.

Le Parti du Travail se différencie donc de tous les autres partis par cette raison primordiale, c’est que, groupant ceux qui travaillent contre ceux qui vivent d’exploitation humaine, il coordonne des intérêts et non des opinions. Aussi, fatalement, y a-t-il en son sein unité de vues. Il peut y avoir (et il y a !) parmi les éléments qui le composent des tendances plus ou moins modérées, plus ou moins révolutionnaires ; mais ces divergences de détail n’infirment pas et ne dissolvent pas l’unité syndicaliste qui résulte de l’identité des intérêts. Cette puissance d’absorption des divergences individuelles, sous le rayonnement de l’accord qui découle forcément de la communauté d’intérêts, donne au Parti du Travail une supériorité de vitalité et d’action et le met à l’abri des tares qui atteignent les partis politiques. Dans tous les partis (hormis celui du travail), l’objectif dominant est la « politique » et côte à côte s’y amalgament, suivant la similitude des opinions, des hommes dont les intérêts sont divergent des exploiteurs et des exploités s’y retrouve. C’est la caractéristique de tous les partis démocratiques. Tous sont un méli-mélo incohérent d’hommes dont les intérêts sont en opposition. Cette anomalie n’est pas particulière aux partis démocrates bourgeois, elle est aussi la tare des partis socialistes, qui une fois engagés sur la pente glissante du parlementarisme, en arrivent à dépouiller les caractères spécifiques du socialisme et à n’être plus que des partis démocratiques, d’allure simplement plus accentuée. De plus en plus nombreuses sont les conversions au socialisme de capitalistes, de patrons etc... qui accommodent on ne peut mieux leur existence parasitaire avec l’étalage de leurs convictions. Un des motifs qui attirent ces recrues, venues du camp ennemi, c’est la déviation vers le parlementarisme. La théorie de la conquête des Pouvoirs publics ayant, sinon complètement éliminé, du moins rejeté à l’arrière-plan les préoccupations révolutionnaires, les appétits se sont éveillés. Et ces transfuges de la bourgeoisie ont escompté les profits de s’afficher socialistes, et ils ont caressé l’espoir d’acquérir ainsi une situation prépondérante. Si bien qu’il en est qui se découvrent « socialistes » comme d’autres se font avocats ou marchand d’alcool. C’est considéré comme une carrière.

Le Parti du Travail n’a pas à redouter ces dangers. Par cela seul que sa base constitutive est l’intérêt de classe du prolétariat, que son action se manifeste dans le plan économique, il est impossible à des individualités de s’appuyer sur lui, ou de se réclamer de lu, pour la satisfaction d’ambitions personnelles. La contradiction est formelle et irréductible. En effet, l’assouvissement d’ambitions personnelles ne pouvant se réaliser que dans le domaine de la « politique », cex qui tentent de semblables manœuvres et poursuivent, au sein du Parti du travail, un but particulier et égoïste n’arrivent qu’à un résultat : s’éliminer du bloc ouvrier. Il se constate le même phénomène que lorsqu’un ouvrier devient patron : malgré que ce « parvenu » puisse rester animé de bonnes intentions et conserver ses aspirations révolutionnaire, il s’élimine normalement des groupements corporatifs, ses intérêts sont devenu différents. Il en est pareillement du « parvenu » en politique : il cesse vite de militer dans les syndicats et, le plus souvent, une fois arrivé à ses fins, hissé à une situation désirée, il s’élimine volontairement et cesse de militer au sein de l’organisation économique. Or, si les déviations individuelles sont incompatibles avec la constitution organique du Parti du Travail, à plus forte raison est-il hors de toute hypothèse qu’il subisse, dans son ensemble, une déviation qui ne serait rien moins que sa propre négation. Par cela seul que sa base constitutive est l’intérêt de classe du prolétariat, il ne peut, à aucun moment, et d’aucune façon, servir à satisfaire des ambitions. Il ne peut devenir un parti de politiciens. Outre que ce serait tomber dans les errements du passé, qui ont épuisé la classe ouvrière en luttes stériles pour ceux à qui elle a consenti faire al courte échelle. Cette déviation globale équivaudrait à l’affirmation que le prolétariat, délaissant la proie pour l’ombre, dédaignerait de conquérir des améliorations économiques et sociales, pour s’absorber entièrement dans la pourchasses des illusions politiques. Donc, comme il est inconcevable que la classe ouvrière puisse délaisser ses intérêts, il est inconcevable aussi que le Parti du Travail puisse se muer en un parti démocratique.

Sa Nécessité

Le Parti du Travail est une émanation directe de la société capitaliste ; il est le mode d’agrégation des forces prolétariennes, auquel la classe ouvrière aboutit logiquement dès qu’elle prend conscience de ses intérêts. La société actuelle est un composé de deux classes dont les intérêts sont en opposition : la classe ouvrière et la classe bourgeoise : par conséquent, il est naturel que chacune d’elles se condense à son pôle social (les travailleurs à l’un, les exploiteurs au pôle social opposé). La condensation de la classe ouvrière constitue le Parti du Travail ; il est donc le groupement adéquat à la forme d’exploitation et c’est pourquoi il se révèle spontanément et sans qu’une idée préconçue préside à sa coordination. Il est superflu de s’attarder à démontrer l’existence, au sein de la société, de deux classes sociales antagonistes qui, loin de tendre à se fondre dans un ensemble homogène, ne font qu’accentuer leur discordance. C’est une vérité d’une évidence si patente qu’il est inutile de s’y appesantir. Cet antagonisme irréductible est la conséquence de l’accaparement, par la classe dominante, de toutes les forces vives de la société : instruments de travail, propriété, richesses de toutes sortes. D’où il s’ensuit que la classe inférieure est obligée, pour vivre, de se soumettre aux conditions que lui imposent les accapareurs. Cet asservissement au capitaliste du prolétaire qui, en échange de sa force de travail, reçoit un salaire notablement inférieur à la valeur du travail produit par lui, salarié, la bourgeoisie le proclame comme phénomène naturel. Elle va même jusqu’à affirmer le salariat immuable, sans être autrement troublée dans ses affirmations par la successive disparition de l’esclavage et du servage qui devrait la mettre en garde contre l’absurdité de prétendre que la propriété (dans la forme qu’elle le détient) fasse seule exception aux lois de la vie, qui sont mouvement et transformation. Cependant, tout en affirmant que les salariés, en tant que classe, sont voués à l’exploitation éternelle, elle trouve habile de les leurrer de la chimère d’une émancipation individuelle en faisant luire aux yeux de ses victimes la possibilité de s’évader du salariat et de prendre rang dans la classe capitaliste.

Outre que ces espoirs ont, pour la bourgeoisie, le mérite de faire prendre en patience leur mauvais sort par les exploités, ils neutralisent ou tout au moins ralentissent l’éclosion de la conscience de classe du prolétariat. L’éducation et l’instruction dont sont gratifiées les jeunes générations n’ont pas d’autre but ; elles sont soumises à une méthode d’émasculation intellectuelle, fondée sur le ressassement des préjugés et assaisonnée de prêches sur la résignation et aussi d’incitation à un égoïsme féroce. On explique que, dans la société actuelle, chacun a le lit qu’il se fait et la place qu’il mérite ; qu’il s’agit pour « parvenir » d’être travailleur, probe, sobre, intelligent, etc. Ce qu’on ne dit pas, mais qui est sous-entendu, c’est qu’à ces « qualités » il faut en ajouter une autre : il faut être dénué de scrupules et jouer des coudes, sans se préoccuper de ses semblables. La vie, au point de vue bourgeois, est un combat continuel, engagé entre les humains ; la société est un champ clos où chacun a, en tous, des ennemis. Dévoyé par ces sophismes, le prolétaire rêve d’abord d’une évasion individuelle du salariat. Puisque le travail mène à tout et que, avec de l’ordre et de la persévérance, on s’enrichit, il s’enrichira ! La richesse n’est d’ailleurs, à ses yeux, que l’indépendance et la liberté conquises, le bien-être assuré. Hélas ! Il lui faut abandonner ses rêves. La réalité l’étreint et il doit s’avouer qu’il est matériellement impossible aux travailleurs d’acquérir l’aisance désirée. Pour s’émanciper individuellement, il lui faudrait posséder ses instruments de travail et les moyens de les mettre en œuvre.

Or, la production moderne, formidablement industrialisée, exige des mises de fonds si considérables qu’il serait fou à un ouvrier de songer à économiser sur sa paye le pécule nécessaire à l’acquisition d’une usine. Cette opération ne peut se mener à bien qu’en « économisant », non pas sur la paye d’un seul et unique ouvrier mais sur le salaire de dizaines et de centaines d’entre eux. Or il est bien évident que celui qui se livre à cet écrémage d’une part de travail, sur une collectivité d’ouvriers, n’est pas qu’un ouvrier, il est un exploiteur, et la fortune qu’il acquiert est le produit du vol de ses semblables. Certes, il arrive que des prolétaires émergent de leur classe ; grâce à des circonstances exceptionnellement favorables, des individualités puissantes, sans scrupules sur le choix des procédés, parviennent à se faufiler dans la bourgeoisie. Il en est même qui, d’ouvriers à leur origine (un Carnegie, un Rockfeller, etc.) sont devenus des rois de l’Or. Ces parvenus, la bourgeoisie les a fait siens. Elle les accueille avec d’autant plus de plaisir que, en lui infusant un sang nouveau, ils consolident ses privilèges ; d’autre part, elle les exhibe, en guise d’arguments péremptoires, pour démontrer qu’il est facile aux ouvriers « économes » de s’embourgeoiser. Il serait naïf, aux travailleurs, de se laisser affrioler par cette amorce et de satisfaire à l’espoir de pareilles chances. Ce serait se bercer de la même chanson que les bergères de la légende rêvant qu’un prince charme allait venir les demander en mariage. Et puis, après ?... Quand bien même il serait exact que les mieux doués du prolétariat peuvent s’élever à la fortune, la situation de la masse n’en serait pas modifiée : les travailleurs continueraient à trimer pour leurs exploiteurs, à pâtir matériellement et moralement, sans autre perspective que de se reposer dans la tombe. Donc, l’évasion individuelle du salariat, qui d’ailleurs implique pour les parvenus la nécessité d’exploiter leurs frères de classe, n’est pas un remède au mal social qui afflige le prolétariat. Ces « évasions » ne peuvent se manifester que sur un plan restreint et elles impliquent uniquement des modifications de situations individuelles, n’influant en rien sur le sort de l’ensemble des travailleurs qui continuent à besogner au profit des maîtres et des dirigeants. Au surplus, quand bien même serait plus considérable le nombre de ceux qui parviennent à une aisance relative, voire même à la richesse, que n’en disparaîtrait pas pour cela l’antagonisme qui oppose la classe productrice à la classe parasitaire. Tant que les rapports sociaux resteront ce qu’ils sont (rapport de patron à salarié, de dirigeant à dirigé), le problème se posera et la lutte de classe sera un phénomène inéluctable. A supposer même que les gémissements des foules écrasées et broyées sur le champs de bataille social parvinssent à troubler la quiétude des satisfaits et que ceux-ci, par esprit charitable ou par roublardise, condescendissent à assurer la vie matérielle aux exploités, la fusion des classes ne serait pas pacifiée grâce à ce remède.

On l’a dit souvent : « l’homme ne pas que de pain ! » C’est pourquoi la Question sociale n’est pas qu’un problème matériel. Il ne nous suffit pas, pour être heureux et satisfaits, d’avoir la « croûte » assurée, nous voulons aussi être libérés de toutes les entraves et de toutes les dominations ; nous voulons êtres libres, ne dépendre de personnes et n’avoir avec nos semblables que des rapports d’égalité, malgré la diversité des capacités, du savoir et des fonctions. Il s’agit donc de modifier la structure de la société, de sorte qu’il n’y ait plus qu’une catégorie possible, qu’une classe : celle des producteurs. Cette transformation essentielle n’est réalisable que sur une base communiste, le communisme seul pouvant assurer à chaque être humain sa complète autonomie et la plénitude d’épanouissement individuel.

Autrefois, avant que la grande industrie n’ait éliminée l’artisan de son petit atelier, ne l’ait exproprié de son instrument de travail, l’ouvrier pouvait entrevoir la possibilité de se créer une existence rude, mais indépendante. Aujourd’hui, d’ans l’industrie, ce rêve n’est qu’exceptionnellement réalisable. Dans les campagnes, encore, le paysan peut espérer se faire, sur un lopin de terre, une vie relativement libre. Cependant, cette libération tend à devenir de plus en plus difficile ( et qui plus est souvent très précaire), à cause de l’accaparement des terres par les riches, de l’accroissement des impôts, de la rapacité des intermédiaires. Et puis, de quelles angoissent est accompagnée la libération du paysan ! Constamment, il a l’appréhension du percepteur, du prêteur d’argent, et il mène une existence sans joie, écrasante d’uniformité, trimant comme un bœuf de labour. Cette autonomie du paysan et de l’artisan, d’ailleurs conquise au prix de rudes efforts, est une émancipation d’autant plus illusoire que tous deux restent sous la dépendance du capitalisme et que leurs gains sont modiques, en comparaison de la somme de labeur qu’ils s’imposent. Ils sont des hybrides de la société, qui ne peuvent se classer exactement ni dans la bourgeoisie, ni dans le salariat ; ils sont une survivance de l’artisannerie et de la paysannerie ; malgré que leur classification soit imprécise, leurs intérêts sont identiques à ceux de la classe ouvrières. Actuellement, cependant, on ne peut les critiquer de préférer leur sort à celui du salarié ; non seulement, ils doivent se dire que leur condition de vie est un vestige du passé et qu’il est de leur intérêt d’aider à la transformation sociale qui se prépare ; ils ont en effet fort à gagner à ne pas opposer de résistance à la Révolution, mais, au contraire, à participer à son triomphe et à s’adapter aux modes nouveaux de production et de répartition.

Ainsi, il s’avère combien il est illusoire le leurre d’émancipation individuelle que préconise la bourgeoisie ; des divers modes d’évasions personnelle du salariat qui s’offrent en hypothèses, aucun n’est susceptible de généralisation et, par conséquent, ne peut être accepté par l’ensemble des travailleurs comme un remède à leur triste sort, puisque aucun n’est apte à assurer, pour tous, une vie libre et aisée. Donc, si ce leurre d’émergement individuel hors du salariat a été par la bourgeoisie, c’est qu’elle y a vu un dérivatif pour empêcher la classe ouvrière de s’élever à sa conscience de classe. En éveillant les appétits, en surexcitant les convoitises égoïstes, elle a escompté entretenir indéfiniment au sein du prolétariat l’intestine discorde, de manière que, chacun ne songeant qu’à jouer des coudes, la préoccupation unique soit de se hisser sur le dos des camarades, et que soit réfréné l’esprit de révolte et stérilisées les naturelles tendances à la solidarité. Mais l’être humain ne pouvait se plier fatidiquement à l’esclavage perpétuel : les germes de discorde et de haine dont, pour sa sécurité, la bourgeoisie attendait la floraison au cœur du Peuple sont une ivraie dont le pullulement ne peut étouffer sans fin le développement des instincts de sociabilité, car l’accord pour la vie est, pour la perpétuation de la société humaine, autrement primordial que la féroce « lutte pour l’existence » chère aux exploiteurs.

Par conséquent, malgré les sophismes et les mensonges dont on le saturait, il était fatal que le prolétariat parvienne à prendre conscience de ses intérêts de classe, d’autant que la plus faible lueur d’un raisonnement, même incertain, devait l’amener à constater que le mal social n’est pas inéluctable. Pourquoi les flagrantes et révoltantes inégalités ? Pourquoi des miséreux manquent-ils de la pitance quotidienne, alors que certains ne savent comment gaspiller leur superflu ? Pourquoi des hommes, pour un travail infernal, ne reçoivent-ils qu’un salaire insuffisant, alors que des parasites regorgent de bien-être et de luxe ? Pourquoi cela ? La production, tant agricole qu’industrielle, est-elle insuffisante pour parer aux besoins de tous ? Non pas ! Tout homme qui s’emploie à une besogne utile produit, au cours de la période de validité de sa vie, plus qu’il n’est nécessaire pour faire face largement à sa consommation (nourriture, vêtement, habitat, etc.) ; en cette période il produit, en outre, assez pour rembourser à la communauté les avances qu’elle a faites pour l’élever jusqu’à l’âge viril et il produit suffisamment aussi pour s’assurer à lui-même de quoi vivre, alors que, la vieillesse venue, il ne pourra plus travailler.

Or, si l’existence de chacun n’est pas assurée, tant pour le présent que pour l’avenir, du fait de cette intensité de production personnelle, c’est que cette richesse n’est pas utilisée à garantir la vie à ses ayants-droit naturels, c’est qu’elle est détournée de sa destination sociale par la classe capitaliste et canalisée à son principal profit. Que le niveau de production, tant agricole qu’industrielle, soit assez élevé pour qu’il puisse être fait face aux besoin de tous, c’est ce qui est désormais hors de toute contestation. Au point de vue industriel, la possibilité de production est, grâce à l’énorme perfectionnement de l’outillage, à peu près indéfinie ; c’est tellement vrai que, malgré la prudence des industriels qui s’efforcent chacun de limiter la production de « leurs » ouvriers aux demandes du marché commercial, la pléthore se manifeste souvent, sous forme de crises de surproduction. Les plus durement atteints, en ces circonstances, sont les travailleurs : ils subissent la douloureuse répercussion de ces crises, car, pour rétablir l’équilibre, les exploiteurs n’entrevoient d’autre solution que de ralentir la production, ce qui intensifie le chômage et crée, pour la classe ouvrière, davantage de misère. Au point de vue agricole, le tableau est aussi sombre : on ne cultive pas pour avoir des récoltes prodigieuses et créer ainsi de la nourriture en abondance ; on cultive en espoir d’une vente rémunératrice. Or, comme les prix de vente baissent les années de grande récolte et qu’alors, au contraire, la main-d’œuvre a tendance à enchérir, les cultivateurs préfèrent à une récolte prodigieuse une récolte passable, car celle-ci est d’un écoulement plus facile et plus avantageux.

Voilà donc la situation générale : l’abondance des produits de toute sorte est plus redoutée que désirée et il y a tendance à les raréfier, afin de les vendre plus cher. Les besoins de la masse humaine n’entrent jamais en ligne de compte dans les soucis des capitalistes qui président à la production ; on a le spectacle monstrueux de populations entières manquant du strict nécessaire, et trop souvent mourant littéralement de faim, alors qu’il y a, en suffisance, de quoi les alimenter, les vêtir, les loger.

Une iniquité aussi criante condamne, sans qu’il soit besoin de plus amples justifications, l’organisation sociale qui l’engendre. Il est de toute nécessité de bouleverser ce système de répartition monstrueuse qui attribue presque tout à une minorité dirigeante, exploiteuse et parasitaire et peu, ou rien, à la majorité, créatrice de richesses. Or, étant donné le degré de développement industriel et scientifique, cette solution n’apparaîtrait réalisable que grâce à une transformation essentielle : au régiment d’exploitation qui met en commun les forces humaines, pour les faire produire au profit de l’accapareur des forces naturelles et des instruments de travail, il faut substituer un régime de solidarité mettant en commun les forces naturelles et les instruments de travail, pour les faire produire au bénéfice de tous. Cette transformation est une inéluctable fatalité et l’heure de sa réalisation se rapproche au fur et à mesure que la classe ouvrière prend mieux en conscience de ses intérêts de classe. Mais cette œuvre de réorganisation sociale ne peut s’élaborer et se mener à bien que dans un milieu indemne de toute contamination bourgeoise. Cette fonction matrice de la société nouvelle est donc dévolue légitimement au Parti du Travail, le seul organisme qui, en vertu de sa constitution même, élimine de son sein toutes les scories sociales.

Par conséquent, la condensation de la classe ouvrière en un bloc distinct de tous les partis, ayant une tactique propre et des moyens d’actions adéquats, n’est pas un phénomène éphémère ; i lest une nécessité inhérente au milieu actuel, car ce n’est que dans un tel parti (qui implique l’homogénéité parfaite, l’identité absolue des intérêts) qu’il y a pour elle groupement normal. Partout ailleurs, dans tout autre groupement, peuvent infiltrer des éléments de la classe possédante, l’ambition des individus peut y avoir une répercussion néfaste. C’est pourquoi aucun n’a et ne peut avoir l’unité de vues, d’action et de but qu’a, automatiquement, le parti de classe du prolétariat ; c’est pourquoi aussi nul n’est aussi nettement qualifié, d’expropriation et de réorganisation sociales.

SON BUT

Le Parti du Travail est le parti de l’avenir. Dans la société harmonique dont l’aurore pointe, il n’y aura de place que pour le Travail ; les parasites de tous ordres en seront fatalement éliminés. Il est donc naturel que le Parti du Travail, qui est le creuset où s’élaborent les combinaisons sociales des demains espérés, se constitue en dehors de tous les partis existants. C’est d’autant plus normal qu’il se distingue d’eux non seulement par sa forme de cohésion, mais aussi par le but qu’il poursuit et par les méthodes d’action qu’il préconise et pratique. Tandis que tous les autres partis ont pour objectif le maintien ou le déplacement du personnel gouvernemental, qu’ils escomptent être ou devoir être favorable à leurs appétits, à leurs ambitions ou simplement à leur coterie, le Parti du Travail néglige cette besogne extérieur et toute de façade et poursuit la transformation intime et extérieure des éléments sociaux ; il travaille à modifier les mentalités, les formes de groupement, les rapports économiques. Le but qu’il poursuit est l’émancipation intégrale des travailleurs. En faisant sienne la formule de l’Association Internationale des Travailleurs, dont il est l’héritier logique, il pose pour inéluctable que cette émancipation sera l’œuvre propre de la classe ouvrière, sans immixtion d’éléments extérieurs ou hétérogènes. Il est évident que, pour n’être pas illusoire, cette émancipation devra impliquer l’élimination de la classe bourgeoise et la destruction complète de ses privilèges. C’est à dire que le Parti du Travail poursuit la transformation radicale du régime social. L’examen des phénomènes économiques démontre que cette transformation devra s’accomplir par la neutralisation de la propriété individuelle et l’efflorescence d’un régime communiste, afin que soient distribués aux rapport actuels entre individus, qui sont ceux de salarié à capitaliste, de dirigé à dirigeant, des rapports d’égalité et de liberté.

Il n’y aura, en effet, intégralité d’émancipation que si disparaissent les exploiteurs et les dirigeants et si table rase est faite de toutes les institutions capitalistes et étatistes. Une telle besogne ne peut être menée à bien pacifiquement, et encore moins légalement ! L’Histoire nous apprend que jamais, les privilégiés n’ont sacrifié leurs privilèges sans y être contraints et forcés par leurs victimes révoltées. Il est improbable que la bourgeoisie ait une exceptionnelle grandeur d’âme et abdique de bon gré... Il sera nécessaire de recourir à la force, qui comme l’a dit Karl Marx, est « l’accoucheuse des sociétés ». Donc le Parti du Travail est un parti de Révolution. Seulement, il ne considère pas la Révolution comme un cataclysme futur, qu’il faille espérer patiemment du jeu fatal des évènements. Cette attente, en pose hiérarchique, de la catastrophe finale ne serait que la transposition et la continuation, dans un plan matérialiste, des vieux rêves millénaires.

La Révolution est une œuvre de tous les instants, d’aujourd’hui comme de demain : elle est une action continuelle, une bataille de tous les jours, sans trêve ni répit, contre les forces d’oppression et d’exploitation. Est révolté et fait acte de révolutionnaire celui qui, n’admet tant pas la légitimité de la société actuelle, travaille à sa ruine. C’est à cette incessante besogne de Révolution que sont attelés les travailleurs, au sein de leurs syndicats. Ils se considèrent comme étant en insurrection permanente contre la société capitaliste et ils réchauffent et développent en elle-même l’embryon d’une société où le Travail sera Tout. Cependant, malgré cette attitude constamment subversive, ils subissent les exigences du régime bourgeois ; mais tout en se pliant aux nécessités de l’heure présente, ils ne s’adaptent pas aux formes du légalisme et ne le consacrent pas de leur acquiescement, même quand il s’affuble d’oripeaux réformateurs. Leurs efforts révolutionnaires tendent à conquérir sur la bourgeoisie des améliorations parcellaires, qu’ils ne tiennent jamais pour définitives. Aussi, qu’elle que soit l’amélioration qu’ils arrachent, pour si importante qu’elle puisse paraître, ils la proclament toujours insuffisante et, dès qu’ils s’en reconnaissent la force, ils s’empressent d’exiger davantage.

Ces luttes, constamment renouvelées, qui sont harcèlement incessant des exploiteurs, outre qu’elles sapent et désagrègent les institutions capitalistes, ou qu’elles aguerrissent et fortifient la classe ouvrière, ont un autre avantage. C’est cette attitude de permanente insurrection contre l’adaptation définitive aux conditions actuelles qui marque le caractère révolutionnaire du Parti du Travail. On se trompe quand on suppose que la violence est toujours la caractéristique d’une acte révolutionnaire ; un tel acte peut aussi se manifester sous des apparences fort modérées et n’ayant rien de la brutalité démolisseuse que nos adversaires donnent comme le signe essentiel du révolutionnarisme. Il ne faut pas oublier, en effet, que, dans la plupart des circonstances, l’acte en soi n’a aucun caractère défini ; celui-ci ne lui est donné que par l’analyse des mobiles qui l’ont incité. C’est pourquoi les mêmes actes peuvent, selon les cas, être déclarés bons ou mauvais, justes ou injustes, révolutionnaires ou réformistes. Exemple : tuer un homme au coin d’un boulevard est un crime ; en tuer par l’opération de la guillotine est, au point de vue bourgeois, un acte de justice ; tuer un despote est un acte glorifié par certains, honni par d’autres... Et cependant, en fait, ces divers actes sont identiques ; suppression d’une vie humaine !

Donc, par déduction, le révolutionnaires de la classe ouvrière peut se manifester par des actes très anodins, de même que son esprit réformiste pourrait se souligner par des actes excessivement violents. C’est d’ailleurs ce qui constate aux Etat-Unis : les grèves y sont souvent marquées par des actes de violence (exécution de renégats, attentats à la dynamite, etc...), qui ne sont pas le signe d’un état d’âme révolutionnaire, car le résultat visé par ces grévistes se limite à des améliorations qui ne portent pas atteinte au principe d’exploitation : la société actuelle leur paraît supportable et ils ne songent pas à supprimer le salariat. Par conséquent, ce qui spécifie le caractère révolutionnaire du Parti du Travail, c’est que, sans jamais négliger de batailler pour l’obtention d’une amélioration de détail, il poursuit la transformation de la société capitaliste en une société harmonique. Les améliorations, conquises au jour, ne sont donc que des étapes, sur la route de l’émancipation humaine ; le bénéfice immédiat et matériel qu’elles procurent se double d’un avantage moral considérable : elles renforcent l’ardeur de la classe ouvrière, exaltent son désir de mieux-être et l’excitent à exiger des modifications plus accentuées. Seulement, la plus dangereuse des illusion serait de limiter l’action syndicale à l’obtention de ces améliorations parcellaires ; ce serait s’enliser dans un réformisme morbide. Pour si importantes que puissent être ces conquêtes, elles sont insuffisantes : elles ne sont que des expropriations partielles des privilèges de la bourgeoisie ; par conséquent, elles modifient pas les rapports du Travail et du Capital. Pour si superbes qu’on imagine ces améliorations, elles laissent le travailleur sous le régime du salariat ; il n’en continue pas moins à être sous la dépendance du Maître ! Or c’est la libération complète qu’il faut à la classe ouvrière : c’est l’expropriation générale de la bourgeoisie. Cet acte décisif, couronnement des luttes antérieures, implique la ruine totale des privilèges, et, si des conflits précédents ont pu revêtir une allure pacifique, il est impossible de supposer que ce choc suprême se produise sans conflagration révolutionnaire.
"Il n'y a pas un domaine de l'activité humaine où la classe ouvrière ne se suffise pas"
Le pouvoir au syndicat, le contrôle aux travailleurs-euses !

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