Autogestion : théories, pratiques et critiques

Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede sebiseb » 11 Mai 2013, 20:04

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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede Ulfo25 » 04 Juin 2013, 16:08

J'ai retrouvé des vieux textes de Geneviève Petiot sur l'Autogestion pendant ma recherche sur l'Affaire Lip. Ils datent des années 80 environ mais ça peut aider à voir l'évolution du débat théorique autour de la notion d'anarchisme. Accessible sur Persée. Je vous donne quelques titres à retrouver.

Y a-t-il un nous autogestionnaire ? / D'autogestion en autonomie, où en est le « socialisme démocratique » ? / Autogestion : discours politique et vulgarisation.
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede altersocial » 10 Juin 2013, 17:45

L’autogestion est-elle communiste ? Le communisme est-il le contraire ou la condition d’une autogestion généralisée ? Où se situent les différences et de quelle nature sont-elles ? par Gilbert Dalgalian

Avant d’aborder le fond des questions, il importe de déblayer les gravats de l’histoire et de dénoncer une falsification historique. Car tout est plus compliqué lorsque médias et historiens utilisent un même terme – communisme – pour désigner le système stalinien et post-stalinien qui n’avait rien à voir avec le communisme. Le régime né de la révolution d’Octobre 1917 était-il voué à cette dérive bureaucratique ? Quelle aurait pu être une alternative viable à cette dérive ? L’autogestion socialiste ?

Sans cette démocratie radicale la dérive bureaucratique devint une pente irréversible. La faute initiale fut bel et bien la sous-estimation du contrepoids démocratique indispensable et son corollaire : le substitutisme d’une avant-garde à toute régulation démocratique par le peuple. On commence par le substitutisme et on finit par l’usurpation de tout le pouvoir par un seul.

L’alternative autogestionnaire L’autogestion – économique et politique – c’est d’abord la prise en compte du danger substitutiste : il est partout présent, aujourd’hui encore sous la forme de la « démocratie représentative ». Celle-ci désormais, sous la pression de la finance et de la religion du tout-libéral, est totalement vidée de son contenu. Ce détournement complet de la « démocratie représentative » oblige à la redéfinir pour ce qu’elle est devenue aujourd’hui : l’organisation minutieuse de la démission citoyenne généralisée. Qu’on ne s’étonne plus des taux d’abstention en progression vertigineuse à toutes les élections !


L’autogestion généralisée – même si sa construction reste à inventer – sera le contraire de cette démission : l’élu devra écouter ses électeurs et non plus l’inverse ; le mandat sera impératif et révocable ; il y aura une rotation obligatoire à tous les postes de responsabilité ; les droits des minorités seront respectés ; la place des femmes sera totalement garantie. Le consensus sera privilégié à tous les niveaux.

Cet ensemble de mesures et de garde-fous vise à renforcer la démocratie sous toutes ses formes, à commencer par les entreprises et les services. Ici l’autogestion sera à la fois interne et externe, c’est-à-dire qu’elle prendra en compte non seulement les choix des salariés, mais aussi ceux des consommateurs ou utilisateurs et de la société dans son ensemble.

Pour ce faire, les grands moyens de production et les services publics ne seront plus la propriété privée de quiconque – actionnaires et/ou multinationales – pris dans l’engrenage de la compétition et de la concentration par des impératifs de rendements financiers ; ils ne seront pas non plus nationalisés et par là soumis à une bureaucratie d’État. Ils seront socialisés, c’est-à-dire qu’ils seront la propriété collective d’une coopérative ou d’un pouvoir local ou régional et gérés par – et au profit de – toutes les parties/catégories/couches concernées.

L’État autogéré aura joué son rôle en réduisant le périmètre de la propriété privée et celui de l’économie capitaliste, au bénéfice d’une économie sociale durable et d’intérêt général. Nous retrouvons là les principes d’une société communiste selon Marx, augmentés et nourris de l’expérience catastrophique, criminelle et suicidaire, des États totalitaires du xxe siècle. Ceux-ci ont tous proliféré sur le principe de « substitution d’une avant-garde auto-proclamée » à l’expression démocratique de la société toute entière.

À ce jour, le communisme n’a existé nulle part sinon comme projet et les expériences qui s’en réclamaient obligent à le redéfinir. Sa redéfinition conduit à redéfinir la démocratie même, car elle non plus n’a été réalisée nulle part comme pouvoir du peuple : ses prémisses font qu’elle se situe encore dans sa « préhistoire ». L’autogestion est son aboutissement. Elle seule peut réaliser une société socialiste.

Gilbert Dalgalian (les Alternatifs)

Cet article est disponible dans le numéro 5 de Trait d'union, bulletin commun aux Alternatifs, la Gauche Anticapitaliste, la Gauche Unitaire, Convergences et Alternative, République et socialisme, la FASE
http://www.alternatifs.org/spip/IMG/pdf ... union5.pdf
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede Pïérô » 15 Juin 2013, 23:53

J'ai du mal à voir où il veut en venir.
Montrer que les alternatifs sont en capacité de porter des contenus, et en l'occurrence des contenus qui font écho avec ceux portés par les anarchistes révolutionnaires et communistes libertaires, ou faire avaler la couleuvre d'un "Etat autogéré" en brassant ce qui serait alors de la novlangue ?

En tout cas l'analyse sur la révolution russe n'est pas partagée, et correspond à celle servie en général par les trotskistes en “dérive bureaucratique”, alors que les anarchistes, communistes-libertaires, et certains marxistes révolutionnaires, sont sur une dimension capitalisme d’Etat et dans une analyse où notamment les velléités communistes ont été écrasées par le parti autoproclamé en seul représentant de la classe ouvrière et des exploités en une construction qui s’est montrée contre-révolutionnaire, avant même l'accession au pouvoir de Staline.
Alors au nom de l'autogestion, et malgré les éléments énoncés et partagés, avec cette expression à mon sens contradictoire d'Etat, même "autogéré", j'ai quand même l'impression de lire une tambouille qui sert encore un plat social-démocrate. :wink:
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede bipbip » 25 Juin 2013, 23:59

26 juin : solidarité internationale avec la lutte des ouvriers de Vio.Me ! (Grèce)

Journée internationale de solidarité avec les travailleurs de Vio.Me, Thessalonique, Grèce.

La lutte des travailleurs de Vio.Me a maintenant quelques années, et son histoire nous parle de l’avenir.

C’est l’histoire d’une usine abandonnée par le patronat, d’une usine oubliée par l’État et le gouvernement, d’une usine ignorée par le syndicalisme bureaucratique. C’est l’histoire d’une usine comme tant d’autres, dont les salariés ont été mis à la porte dans ce contexte désastreux que les dirigeants nomment « restructuration économique » et que nous appelons crise globale du capitalisme, effondrement. C’est une histoire de ravages et de destructions, comme tant d’autres histoires autour de nous.

Mais surtout, c’est l’histoire de cette partie de la classe ouvrière qui refuse de baisser les bras. C’est l’histoire de travailleurs qui se dirigent eux-mêmes, par la démocratie directe, dans un syndicat de base mu par une conscience de classe, structuré par la recherche de l’intérêt collectif et la souveraineté de l’assemblée générale. C’est l’histoire de la reprise en autogestion de l’usine Vio.Me, qui place au-dessus de tout la nécessité d’un travail et d’une existence dignes. Une communauté de lutte dans laquelle les problèmes du quotidien trouvent des solutions collectives. La recherche de pistes nouvelles.

Pour cette raison, la lutte des travailleurs de Vio.Me a suscité la solidarité de milliers de personnes, travailleurs et chômeurs, au quatre coins du globe. C’est pourquoi, aussi, durant l’année qui vient de s’écouler, des dizaines d’événements de soutien à cette lutte ont eu lieu, de Melbourne à Tokyo, de Washington à Berlin. C’est pourquoi, encore, dans de nombreuses villes grecques, petites ou grandes, syndicats de base, collectifs, centres sociaux et initiatives locales font preuve de solidarité au quotidien, de mille manières. Et pour la même raison, les dirigeants, l’État et le patronat craignent la lutte de Vio.Me et s’y opposent par tous les moyens possibles.

Aujourd’hui, quatre mois après la réouverture de l’usine Vio.Me par les travailleurs sous le régime de l’autogestion et du contrôle ouvrier, l’État et le gouvernement s’efforcent de faire obstacle à son fonctionnement. Depuis quatre mois, le gouvernement tente d’étrangler financièrement la lutte, en refusant aux travailleurs, qui n’ont pas été payés depuis deux ans, l’allocation exceptionnelle de chômage qui est concédée dans nombre de cas similaires. Mais les travailleurs et leur syndicat ne comptent pas céder à ce chantage économique.

Nous appelons tous les travailleurs et travailleuses conscient(e)s de l’attaque menée par les possédants contre nos vies et nos moyens d’existence, tous les chômeurs et chômeuses qui voient dans l’autogestion de la production une issue à la misère et la pauvreté, tous les syndicats, collectifs et lieux de lutte, à s’engager pour soutenir les ouvriers de Vio.Me..

Ce mercredi 26 juin, les travailleurs de Vio.Me appellent à une journée de solidarité internationale. Ils distribueront leurs produits fabriqués sous contrôle ouvrier à l’occasion d’une action à Thessalonique. Ils appellent l’ensemble de la société à les rejoindre en organisant des événements et des actions de solidarité en Grèce et partout ailleurs Nous exigeons que cessent les entraves à une reprise totale de l’usine Vio.Me en autogestion et sous contrôle ouvrier ! Nous exigeons la légalisation immédiate de son fonctionnement ! La production aux producteurs et les usines aux ouvriers ! Autogestion ouvrière et démocratie directe à la base !

Que ce soit l’occupation des locaux de la télévision publique grecque ERT, les grèves des travailleurs de toute la Grèce ou le soulèvement héroïque de nos frères, travailleurs et chômeurs de Turquie, nous faisons tous partie d’un même mouvement qui lutte pour la reprise en mains de nos vies ! Ensemble nous vaincrons !

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http://www.viome.org/ http://biom-metal.blogspot.gr/

Et il existe un petit film, réalisé pour raconter les débuts du redémarrage. Elle dure vingt minutes. Malheureusement, il n’existe pas encore de sous-titres en français :

http://vimeo.com/67236882#at=0
http://paris.indymedia.org/spip.php?article13799


vidéo
Vio.Me : Self-Organization in Greece




Sur le blog La Commune de l'UCL Montréal
Vio.Me, une expérience d'autogestion ouvrière à découvrir en Grèce et à faire connaître partout
http://nefacmtl.blogspot.fr/2013/06/vio ... stion.html
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede Pïérô » 11 Juil 2013, 23:36

Ambiance Bois,
Un groupe de personnes qui mutualisent leur travail (une scierie), leurs revenus, leurs moyens pour travailler et vivre en autogestion dans la Creuse depuis 25 ans. Ils ont participés à la Foire à l’Autogestion au débat "Monter une entreprise autogérée" :
Présentation sur Autre Futur.net : http://www.autrefutur.net/Ambiance-Bois ... nture-d-un
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede altersocial » 04 Oct 2013, 11:19

Ca aussi ça peut encore faire débat :gratte: :

Autogestion et substitutisme : retour sur quelques fondamentaux

Les rapports entre l’avant-garde politique et le prolétariat sont depuis longtemps au cœur du débat du mouvement socialiste.

Cette réflexion gravite toujours autour de trois questions : le rôle du parti, ses limites, et surtout, à quel point l’avant-garde peut-elle se SUBSTITUER aux masses ? La seule stratégie démocratique, c’est celle de l’autogestion généralisée, « l’auto-activité politique » de larges masses, ainsi que Trotski en était convaincu dès 1904. Cent dix ans après, c’est encore plus évident.

Les réponses « de fait » à ces questions ont été diverses – et ont connu des succès divers – selon les époques et les contextes historiques. Elles ne furent pas tranchées de la même façon ni en 1871 par la Commune de Paris, ni par les divers partis socialistes européens jusque la révolution Russe, ni par les Soviets, ceux de 1905 et ceux de 1917, et ni par les Bolcheviks qui en « prirent » la direction dès 1918 … et de fait se substituèrent à eux.

Pas non plus de la même façon par Lénine dans les Thèses d’avril (avril 1917), dans « L’État et la révolution » et dans la politique suivie par Lénine, Trotski et les bolcheviks au cours des années 1918 à 1924.

Une avant-garde qui ne se substitue pas aux masses

En réalité si les réponses ont évolué, y compris chez un même dirigeant politique au fil des circonstances, c’est que la réflexion théorique elle-même n’était pas arrivée à une clarification définitive. La controverse, parfois très polémique, entre Lénine et Trotski dans la période 1903-1904 en est la première illustration spectaculaire, où Lénine impose le parti d’avant-garde comme direction unique de la révolution (Que faire ?), tandis que Trotski lui oppose une avant-garde qui ne se substitue pas aux masses (Nos tâches politiques).

Cette controverse est d’autant plus spectaculaire, vue de façon rétrospective, qu’au moment des choix cruciaux d’avril – mai 1917, Lénine imposera au parti bolchevik avec « Les Thèses d’avril » une ligne « trotskiste » de « tout le pouvoir aux Soviets » et que simultanément Trotski rejoindra le parti bolchevik, désormais reconnu par lui comme l’avant-garde décisive. Leur position sur le degré de substitution avait changé sous la pression des événements.

Pourtant, si ce rapprochement fut rendu nécessaire par l’imminence du torrent révolutionnaire, la divergence sur le degré de substitution n’en fut pas surmontée pour autant.

En profondeur, la question restait ouverte et ne pourra être tranchée qu’après lorsque toutes les conséquences négatives de la dérive substitutiste seront tirées, hélas dans ses pires formes, celles du stalinisme contre-révolutionnaire.

Il est intéressant aujourd’hui, où des milliers de militants ont compris la nécessité d’un processus révolutionnaire par une conquête autogestionnaire du pouvoir, de retrouver dans un texte ancien de Léon Trotski les premières intuitions des dangers de la substitution. Ceci dit la critique du substitutisme ne peut conduire à prôner le réformisme qui n’est finalement qu’une autre forme de substitutisme.

>>> lire la suite


La suite sur le site, je vous ai dispensé de la repro' de la photo de Trotski et Lénine :mrgreen:
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede Vieille Chouette » 08 Oct 2013, 10:53

Un petit exposé sur le sujet en ligne, suite à une réunion publique qui avait lieue samedi :

http://al-moselle.over-blog.com/sur-la- ... 0-commercy
Je sais que les asiles et les prisons de ce pays, sont le dépôt des inclassés, des nouveaux enragés, je sais qu'faut se courber et toujours rester muer, se plier, s'laisser bouffer, et en redemander... (Kyma - Les grands vides pleins)
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[Vidéo] Les restaurants populaires autogérés de Lima

Messagede altersocial » 28 Oct 2013, 19:14

Les restaurants populaires autogérés de Lima

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A Lima, depuis plus de trente ans, les femmes s’organisent contre la pauvreté. Les restaurants populaires autogérés leur permettent d’économiser, mais aussi de se rassembler. Une initiative pertinente pour se débrouiller par elle-même face aux nécessités.

:arrow:voir la vidéo
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede bipbip » 08 Déc 2013, 11:42

D’Istanbul à Thessalonique: Occupation, Autogestion, Production
KAZOVA : LA LIBERTÉ SE TISSE MAILLE PAR MAILLE

« … Ils et elles sont ceux et celles qui créent à partir de rien, ils et elles sont les travailleurs et travailleuses de Kazova, ils et elles sont de vraies divinités. Ils et elles nous ont enseigné la résistance maille par maille ».
– Un travailleur sous-contractuel de la municipalité de Beşiktaş, Rıdvan Çalışkan.

Ils et elles sont les travailleurs et travailleuses de Kazova, résistant depuis le 31 janvier et maintenant, produisant tout en résistant. Ils et elles sont ceux et celles qui tentent de changer le monde et leur vie, qui a totalement changé depuis qu’ils et elles ont été mis en congé pour une semaine le 31 janvier.

Ils et elles se sont fait dire qu’ils et elles allaient se faire voler leurs salaires impayés et leurs heures supplémentaires lors de leur retour de congé. Toutefois, lors du retour au travail, l’avocat de la compagnie les attendait dans l’usine. Les patrons Ümit Somuncu et Umut Somuncu étaient partis en douce depuis longtemps, emportant 100 000 chandails, 40 tonnes de fil et toutes les machines dispendieuses mais légères. Ils ont arraché les moteurs et les fiches des machines qu’ils ne pouvaient emporter avec eux et ont inversé les circuits, rendant les machines inutilisables. Durant la semaine de congé, 3 jours d’absence consécutifs furent inscrits dans les rapports officiels pour tous les travailleurs et toutes les travailleuses et tous et toutes furent licencié-e-s sans compensation. Les travailleurs et travailleuses de Kazova firent face à un dilemme ce jour là. Ils et elles retournèrent à la maison. Toutefois, ce n’était pas la fin, mais un nouveau départ dans la vie de chacun d’eux et chacune d’elles.

« Nous ne sommes plus comme nous étions le 31 janvier. Le 31 janvier, nous étions désespéré-e-s, inconscients, inconscientes, ignorantes et ignorants. Ainsi, nous ne faisions confiance à personne et nous étions effrayé-e-s. Donc, nous étions opprimé-e-s. Mais maintenant, nous avons appris et nous continuons d’apprendre. Notre enseignante est la résistance. La résistance nous a enseigné et nous enseigne encore », affirme Bülent Ünal, travailleur de l’usine Kazova. Il ajoute : « Au départ, nous étions timides et gêné-e-s. Nous ne pouvions scander de slogans, nous ne pouvions tenir de bannières. Nous avons appris. Nous nous rassemblions sur la Place Şişli toutes les semaines et nous marchions à l’usine. Mais, par cette action, nous ne parvenions pas à faire entendre nos voix. Nous avons appris que certains biens avaient été volés de l’usine alors que nous faisions encore des marches les mercredis. Cette fois-ci, les voleurs étaient les gestionnaires de l’usine. Le 28 avril, nous avons monté nos tentes devant l’usine. Depuis lors, notre résistance est devenue une tente de résistance ».

Après avoir monté leurs tentes de résistance en avril, ils et elles ont empêché les machines, le fil et les chandails de se faire voler. Pendant ce temps, les patrons ont été au bureau du Procureur pour porter plainte contre les travailleurs et travailleuses de Kazova pour un prétendu vol. Par la suite, les cassettes des caméras de sécurité des usines proches furent aussi examinées et il fut révélé que les voleurs étaient bel et bien les propres hommes des patrons. Néanmoins, aucune accusation ne fut portée envers ces hommes, mais des enquêtes furent menées sur les travailleurs et travailleuses.

Malgré cela, ils et elles ne lâchèrent pas, firent davantage d’actions, joignirent des actions de solidarité avec d’autres travailleurs et travailleuses licencié-e-s, reçurent des coups de matraque, s’étouffèrent avec les gaz des policiers et continuèrent de résister.

Et ils et elles décidèrent de se préparer pour saisir les machines inutiles de l’usine pour leurs salaires impayés. Le 30 janvier, ils et elles occupèrent l’usine et saisirent les machines et les biens à l’intérieur. Ils et elles reprirent ce que les patrons leur avaient volé, ce qui était déjà à eux et elles.

Quand ils et elles tentèrent de s’emparer d’une partie des sommes qui leur étaient dues en vendant ces machines, la police les en empêcha et envoya 4 personnes en détention. Par la suite, 8 travailleurs et travailleuses se sont enfermé-e-s dans l’usine et ont commencé une grève de la faim. En parlant de cette période, Bülent Ünal, l’un des travailleurs, a ainsi décrit la situation : « les patrons volant notre travail et emportant les machines n’était pas un crime, mais nous qui tentions d’avoir une fraction des sommes qui nous étaient dues en était un. […] La police est venue à l’usine à la demande des patrons Ümit Somuncu et Umut Somuncu. Une fois de plus, nous avons été accusé-e-s. Personne n’a dit quoique ce soit aux patrons ».

Tout en poursuivant la grève de la faim, ils et elles ont continué à faire croître la résistance. Ils et elles étaient en solidarité avec d’autres résistances. Ils et elles ont appris la solidarité dans la résistance.

Yaşar Gülay, un des travailleurs de l’usine Kazova, en parlant des difficultés auxquelles ils et elles ont fait face durant cette période, ajoute : « nous savons tout autant que nous allons devoir faire face à encore plus de problèmes. Problèmes économiques, police, nous allons faire face à un tas de problèmes. Mais nous pensons que nous pouvons résoudre chacun d’eux. Parce que nous ne sommes pas seul-e-s. Parce que nous avons changé les revendications de notre résistance. Nos revendications ne sont pas limitées aux sommes qui nous sont dues. Il s’agit d’une résistance d’honneur. Il s’agit d’un petit exemple de la guerre entre l’establishment et le peuple. Et nous sommes ensemble avec notre peuple dans cette guerre. Nous ne sommes pas seul-e-s et nous ne le serons pas ».

Les travailleurs et travailleuses de Kazova ont redémarré les machines avec lesquelles ils et elles produisaient depuis des années, pour la première fois, pour eux et elles-mêmes, le 31 août. Et depuis, ils et elles produisent pour eux et elles-mêmes. D’un côté, ils et elles poursuivent leur résistance sur le devant de l’usine. De l’autre, ils et elles tissent leurs chandails avec le feu de leur résistance.

Quand ils et elles ont occupé l’usine, ils et elles ont commencé par compléter les chandails à moitié produits. Avec les sommes obtenues en vendant ceux-ci dans les forums, ils et elles ont réparé les machines que les patrons avaient volontairement cassé. Ils et elles ont rendu fonctionnelles 3 machines à tisser et continuent de produire. Dans les mots de Bülent Ünal : « maintenant nous produisons nous-mêmes sur ces machines. Nous produisons sans patron au-dessus de nous. Nous allons effectivement continuer de produire. Nous ne voulons plus d’un patron au-dessus de nous qui vole notre travail. Maintenant, nous posséderons notre propre travail ».

Ils et elles sont déterminé-e-s à ne pas laisser passer les patrons parasites et kleptomanes. Maintenant, ils et elles sont en lutte non pas pour le salaire et les compensations, mais pour leur futur. Ils et elles veulent les machines que les patrons leur ont volé, et leur poursuite contre les patrons est encore devant les tribunaux. Si elles et ils gagnent leur cause, ils et elles planifient prendre les machines et continuer de produire librement dans leurs propres ateliers de travail.

Alors qu’ils et elles arpentent le chemin de la coopérativisation étape par étape, faisant fonctionner leurs machines avec le pouvoir de produire en résistant et de résister en produisant, sachant qu’ils et elles ne sont pas seul-e-s, avec le pouvoir d’être organisé-e-s. Ils et elles font fonctionner leurs machines pour le pain, la justice et la liberté. Et ils et elles tissent maille par maille un monde sans patron avec leurs chandails.


VIO. ME.: RÉSISTER EN TISSANT LA SOLIDARITÉ

« Autant ceux et celles qui pétrissent le pain, et sont sans pain, c’est nous;
Autant ceux et celles qui extraient le charbon, et gèlent au frète, c’est nous;
Nous sommes ceux et celles qui n’ont rien, mais qui prendrons le monde dans leurs mains. »

– Tasos Livaditis

Ces lignes proviennent d’une déclaration faite par les travailleurs et travailleuses de Vio.Me. qui ont occupé leur usine en février dernier et qui ont redémarré leurs machines pour eux et elles-mêmes. Sur les côtes autour de la mer Égée, les occupations ont commencé dans des langues différentes, mais avec les mêmes sentiments. Pour le pain, pour la justice, pour la liberté…

En mai 2011, après que les patrons aient disparu avec la chute des taux de profit de la compagnie en raison de la crise économique, les travailleurs et travailleuses de Vio.Me. ont commencé leur vigile devant l’usine. Les travailleurs et travailleuses qui ne recevaient pas leur salaire et compensations alors qu’ils et elles travaillaient ne pouvaient pas obtenir leur chômage parce que les patrons avaient disparu sans fermer formellement l’usine. Toutefois, les produits (pour 400 000 euros de valeur) étaient toujours dans l’usine et cette vigile était leur seule protection contre le vol. Alors ils et elles n’ont pas fait confiance à la Filkeram Johnson Union qui affirmait que les sommes qui leur étaient dues leur seraient versées quand ils et elles mettraient fin à leur vigile devant l’usine. À la place, ils et elles ont eu confiance en eux et elles-mêmes et leur organisation, et leur vigile a continué pour des mois.

Ils et elles ont commencé à résister de cette façon et dans les rencontres réalisées, ils et elles ont décidé de refaire fonctionner l’usine sous forme de coopérative. Et ils et elles ont tout préparé, étape par étape; quand ils et elles n’avaient rien, de prendre tout de leurs mains…

Producteurs et productrice de matériaux de construction, les travailleurs et travailleuses de l’usine Vio.Me. ont épargné sur leurs allocations de chômage et ont appelé les travailleurs, travailleuses, chômeurs et chômeuses à la solidarité pour acheter les dispendieux matériaux bruts nécessaires pour redémarrer la production.

Parallèlement, ils et elles devaient légaliser la coopérative puisque la législation de l’État ne laissait pas les travailleurs et travailleuses partir une coopérative d’eux et elles-mêmes. Et la seule façon de faire cela fut de se rassembler, d’accroître la solidarité et de s’organiser.

Les travailleurs et travailleuses de Vio.Me. ont participé à de nombreuses résistances et conférences. Ils et elles ont parlé de leur lutte partout où ils et elles ont été. Ils et elles ont tissé la résistance de concert avec plusieurs groupes, syndicats et individus solidaires. À Thessalonique et Athènes, des Initiatives de Solidarité avec Vio.Me. se sont créées. Et un convoi, passant par Volos et Patras, fut réalisé en Grèce. Ce convoi préparé pour la solidarité avec les travailleurs et travailleuses de Vio.Me. fut joint par des personnes de partout en Grèce, et des milliers de personnes ont marché en direction du Ministère du Travail en compagnie des travailleurs et travailleuses de Vio.Me. qui présentaient le projet de coopérative qu’ils et elles avaient préparé si méticuleusement dans leurs réunions dont le processus décisionnel reposait sur la démocratie directe. Après les rencontres, les travailleurs et travailleuses se firent annoncer que la réponse prendrait deux semaines. Ainsi, ils et elles sont retourné-e-s à Thessalonique.

Mais le ministère n’a jamais répondu. Et ils et elles ont déclaré que l’occupation de l’usine continuerait encore, tout comme depuis le début, en s’appuyant sur eux et elles-mêmes et leur pouvoir organisé. Le 12 février 2013, ils et elles ont occupé l’usine avec tous ceux et toutes celles qui étaient venu-e-s en solidarité et ont démarré les machines de l’autogestion. Ils et elles ont aussi redémarré les machines qu’ils et elles avaient fait fonctionner durant des années pour les patrons, pour la première fois, pour eux et elles-mêmes. Et aujourd’hui, ils et elles les font encore fonctionner.

Les travailleurs et travailleuses ont fait face à différentes pressions et blocages de l’État durant leur résistance et, à ce jour, ils et elles sont confronté-e-s à la pression de l’État au sujet des factures d’électricité que les patrons n’ont pas payé. En dépit de tout, les travailleurs et travailleuses de Vio.Me., et tous ceux et toutes celles qui sont solidaires avec eux et elles, continuent de résister.

Et ils et elles savent que leur lutte est d’une importance capitale, non seulement parce qu’elle questionne la position parasitaire des patrons, mais aussi parce qu’elle apporte la solution la plus réaliste aux fermetures d’usines et au chômage étant donné que « la méthode de lutte est la méthode pour créer un monde sans patron, c’est-à-dire que les travailleurs et travailleuses s’emparent des moyens de production ».

Puis, ils et elles savent que : « la lutte d’un seul syndicat n’est pas suffisante pour libérer le peuple des chaînes du capitalisme et mettre fin à cette crise. La lutte de ce syndicat devrait être la lutte de tous les travailleurs, de toutes les travailleuses et de tous les syndicats ouvriers ».

Les travailleurs et travailleuses de Vio.Me. continuent de résister depuis 2011, tissant la solidarité, portant leur lutte, et depuis le mois de février dernier, résistant en produisant. De partout dans le monde, de l’Argentine, du Chili, du Mexique, d’Allemagne, de Serbie, de Turquie, d’Égypte, leurs camarades saluent leur lutte. Ils et elles savent qu’ils et elles ne sont pas seul-e-s. Ils et elles continuent de produire, de résister et savent que : « les travailleurs et travailleuses de Viomihaniki Metalleutiki ne peuvent changer le monde par eux et elles-mêmes. Mais si elles et ils sont abandonné-e-s à leur sort, rien ne changera. Cette lutte est la lutte de tous les travailleurs, travailleuses et sans-emplois. C’est la lutte pour tous et toutes. Nous allons la gagner! ».

CRÉER LA RÉALITÉ DE DEMAIN

Alors qu’autant les travailleurs et travailleuses de l’usine Kazova que ceux et celles de Vio.Me. marchent sur le même chemin de l’autogestion à la coopérativisation, la réalité de demain prend forme sous nos yeux. Comme Bakounine l’a dit, ils et elles « ne créent pas seulement des idées, mais la réalité du futur ». En occupant, en résistant et en produisant, ils et elles construisent des rapports sans exploitation ici et maintenant, en commençant aujourd’hui, étape par étape, avec endurance, maille par maille, ils et elles créent un monde sans patron.

De l’autre côté, ces travailleurs et travailleuses en autogestion détruisent les fondements de, non seulement les rapports sociaux au sein des usines, mais aussi de tous les rapports de dominants-dominés, d’exploiteurs-exploités. Rejetant les conventions de la société et créant des fissures dans les rapports de domination et d’hiérarchie qui étaient véhiculés comme indispensables. À partir d’aujourd’hui, créant le modèle d’une autre société, une société émancipatrice qui prend ses propres décisions et produit des solutions pratiques aux problèmes.

Ils et elles, les travailleurs et travailleuses sans patron, sont en train de planter les graines de la liberté dans les fissures qu’ils et elles ont ouvert dans le capitalisme, les font croître avec la fertilité de la solidarité, la lumière de l’autogestion et les font verdir en réalisant leurs rêves ensemble. Alors que ces graines, poussant dans les craques du capitalisme, enfoncent leurs racines de plus en plus profondément, les travailleurs et travailleuses attaquent ce système d’exploitation et créent un monde nouveau sans patron dès aujourd’hui.


Özlem Arkun


Vous pouvez retrouver la version originale de ce texte dans le journal Meydan Gazetesi.

* Traduction du Blogue du Collectif Emma Goldman (Saguenay) - http://ucl-saguenay.blogspot.ca/

Related Link: http://meydangazetesi.org/gundem/2013/1 ... se...rkun/

http://www.anarkismo.net/article/26438
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede bipbip » 15 Déc 2013, 15:32

En Grèce, l’État s’effondre, les quartiers s’organisent

mercredi 4 décembre 2013, par Z revue itinérante

Depuis 2008, de nouvelles formes d’organisation fleurissent au cœur des villes. Des habitants se réunissent à partir de leur lieu de vie pour tenter de reprendre en main la question de leurs conditions d’existence.

Orestis, Athénien francophone installé en France depuis peu, revient sur l’émergence du mouvement des assemblées de quartier.

D’où vient le mouvement des assemblées de quartier ?

Orestis : Je dois préciser que ce mouvement est très varié, qu’il est passé par plusieurs étapes et qu’il pourrait être raconté de mille façons différentes. L’idée des assemblées de quartier s’est répandue massivement après décembre 2008. La mort d’Alexis [1], ainsi que les semaines de révolte, d’affrontements et d’occupations qui ont suivi, puis l’agression à l’acide de la travailleuse du métro Konstantina Kuneva [2] sont des événements qui ont vraiment secoué la société.

Les grandes caractéristiques de cette révolte sont d’une part l’absence de revendications et de demande de réformes, et, d’autre part, son caractère décentralisé dans tous les quartiers d’Athènes d’abord, puis à travers tout le pays ensuite. Après décembre 2008, la dynamique des actions et des affrontements dans les centres-villes est arrivée à une limite et s’est déplacée dans les quartiers. Avec les assemblées, l’idée de départ était de se doter d’espaces pour se retrouver, sans avoir en tête quelque chose de très concret, mais avec plutôt l’envie de chercher collectivement. C’était une façon de prolonger les liens qui se sont créés pendant la révolte. Beaucoup d’assemblées se sont formées à ce moment-là, mais depuis seules quatre d’entre elles fonctionnent encore en continu. Les autres réapparaissent quand le mouvement social se réveille, comme aujourd’hui ou en 2011 — il y en avait alors une quarantaine à Athènes.

Est-ce que tu peux nous présenter l’assemblée à laquelle tu participes ?

L’assemblée des habitants de Vyronas, Kasariani, Pagrati (VKP) est implantée dans des quartiers historiquement très populaires : l’un d’entre eux était même le quartier rouge d’Athènes pendant la Résistance, le quartier que les nazis n’ont jamais pu conquérir. Cette tradition a été cassée au fil des années du fait de l’embourgeoisement des habitants, mais aussi parce que l’État y a implanté une caserne de CRS. Aujourd’hui, ces trois quartiers sont assez mixtes, mais en général ce sont des coins plutôt aisés.

À VKP, il y avait déjà des assemblées avant 2008, formées autour de luttes concernant les espaces publics. La première s’était tenue en opposition au projet de construction d’un théâtre en plein milieu d’un parc. En plus du bétonnage que ça impliquait, alors qu’Athènes est une des villes qui compte le moins d’espaces verts en Europe, les habitants savaient que le théâtre serait loué à des privés et que le prix des places y serait exorbitant. Grâce à leur mobilisation, le projet ne s’est pas fait et l’assemblée continue, aujourd’hui encore, à organiser des activités pour des enfants, des tournois de basket et un café à prix libre dans le parc tous les premiers dimanches du mois. Ils interviennent également de manière très active dans la vie du quartier, avec la distribution de textes militants notamment dans les écoles, des fêtes populaires avec des migrants, ou encore avec des actions de solidarité envers les personnes détenues après les manifestations pendant les grèves générales. Une autre lutte a rassemblé beaucoup de monde : l’opposition au projet de tunnel et de carrefours autoroutiers qui allait détruire une partie de la montagne Ymyttos, un des derniers grands espaces verts de la ville situé à l’est du centre-ville. Il y a eu beaucoup de manifestations autour de la montagne, des blocages du périphérique et des actions aux péages, qui ont encore une fois permis l’abandon du projet. À VKP, les gens avaient donc déjà des connexions entre eux sur ces bases-là.

Puis, lors des révoltes de décembre 2008, ils ont occupé un centre municipal pour les jeunes pendant quelques jours et ont rapidement appelé à une assemblée. Après avoir organisé des assemblées toutes les semaines dans les trois quartiers, ils ont décidé de louer un local. Aujourd’hui, on est une trentaine à participer, ce chiffre est à peu près stable depuis le début.

Quel genre d’actions organisez-vous aujourd’hui ?

Nous menons deux grands types d’action : d’un côté, nous défendre contre les attaques du système et, de l’autre, élaborer des pistes et des formes de vie qui nous semblent désirables. Par exemple, en 2010, il y a eu un premier effort de coordination avec d’autres assemblées et collectifs libertaires qui interviennent dans la vie de leurs quartiers autour de la lutte contre l’augmentation du prix du ticket dans les transports publics. On se coordonnait de manière à ce que, le même jour, chaque assemblée organise des rassemblements dans les stations de métro et de bus. On distribuait des tracts, on sabotait des machines à composter et on proposait des autoréductions pour remettre en cause le discours consistant à dire que le transport public est une marchandise qui doit être rentable. On a essayé d’entrer en contact avec les travailleurs des transports publics, mais c’était difficile. Les gens d’Aube dorée — le parti néonazi — sont assez influents dans les syndicats de conducteurs de bus.

Puis on a participé à toutes les grèves générales depuis 2010, qui ont été sévèrement réprimées. Pendant l’une d’entre elles en particulier, les flics ont attaqué le cortège des assemblées de quartier. Une personne a été envoyée aux urgences dans le coma et a failli mourir ; d’autres ont été très grièvement blessées. Ce sont des moments qui nous ont beaucoup rassemblés, ça a aussi consolidé notre détermination. On bloquait les supermarchés et les centres commerciaux de notre quartier pour faire de cette grève une vraie grève, pour que personne ne consomme. On a aussi essayé d’encercler le Parlement pendant que les députés votaient le deuxième cycle des mesures d’austérité. Les assemblées de quartier ont joué un rôle important dans cette mobilisation.

Par ailleurs, on essaie d’avoir une présence permanente dans le quartier, en organisant des manifestations, mais aussi une cuisine collective et la culture d’un jardin squatté pour viser à une autosuffisance alimentaire. On tient aussi un marché au troc une fois par mois sur différentes places. Nous avons également un local où nous organisons diverses activités, des projections, des discussions et mettons à disposition une bibliothèque du quartier.

Toutes ces actions et ces pratiques cherchent à casser l’individualisme et le pessimisme qui sont présents partout en Grèce avec la crise, de lutter contre le cannibalisme social que l’État promeut indirectement comme une solution à la crise. À travers ces pratiques, on cherche à favoriser le développement de relations reposant sur l’égalité et la solidarité. Le quartier est un espace très fertile pour ça, d’autant plus qu’à Athènes il y a encore des endroits assez mixtes socialement, ce qui permet de créer des liens improbables.

Comment pensez-vous la question de la subsistance alimentaire ?

Cette question s’est posée dès qu’on a commencé à organiser des cuisines collectives. On est entré en contact avec d’autres assemblées qui avaient des préoccupations similaires, puis, dans le même temps, un très grand espace a été squatté dans un quartier voisin : une villa avec de la terre cultivable. On a décidé d’appeler à la création d’une nouvelle assemblée qui se concentrerait sur cette question. C’est elle qui cultive maintenant une partie de ce terrain dans l’idée d’alimenter les cuisines collectives des quatre quartiers réunis autour de ce projet. On est loin d’avoir une autonomie alimentaire, mais c’est une première réponse. Cela dit, le squat où se trouve notre potager risque l’expulsion. Les expulsions de lieux occupés comme à Villa Amalias et à Skaramaga se multiplient à Athènes depuis début 2013.

On nous a beaucoup parlé de la polarisation de la société grecque, est-ce que vous la ressentez dans votre assemblée ?

Certaines personnes viennent avec l’idée qu’il y a trop d’immigrés dans nos quartiers et qu’il faut faire quelque chose. C’est le risque à prendre quand tu participes à des mouvements ouverts. Parfois aussi, tu peux tomber sur des réactions sexistes pendant les actions. Le seul moyen de contrer ça, c’est d’en parler de manière collective. La plupart du temps les gens comprennent ou, s’ils ne comprennent pas, ils se sentent vite mis à l’écart et partent. Par contre, dans une autre assemblée de quartier qui lutte contre les antennes téléphoniques, deux fascistes sont venus sans déclarer leur appartenance à Aube dorée. On l’a su parce que c’est un petit quartier où tout le monde se connaît. La seule chose à faire a été de leur dire qu’ils n’étaient pas les bienvenus.

Avez-vous souvent affaire à Aube dorée ?

Après son entrée au Parlement, et grâce aux financements qui vont avec, Aube dorée a ouvert des bureaux dans tout le pays. À chaque fois qu’ils inaugurent une nouvelle antenne, il y a des contre-rassemblements qui débouchent souvent sur des affrontements avec la police. Sans la protection de celle-ci, ils ne pourraient jamais affirmer leur présence dans les quartiers. Heureusement, pour le moment, ils n’ont que deux commissions de quartier vraiment actives à Athènes. Dans des quartiers populaires comme ceux de l’ouest, près du port du Pirée, ils exercent une certaine influence. Là-bas, des assemblées de quartier les ont affrontés ouvertement. Dans notre quartier, il n’y a ni présence fasciste ni chasse aux migrants, mais c’est en partie grâce à notre implantation et notre présence en continu. D’après moi, la lutte antifasciste consiste plus à mettre en avant tes propres structures et le monde que tu proposes — qui est dans son essence foncièrement antifasciste — qu’à les dénoncer par des discours et à les combattre dans la rue.

Tu nous as parlé de la première vague d’assemblées nées après décembre 2008. Quelles ont été les autres initiatives de regroupement dans les quartiers ?

En mai 2011, dans le sillage du mouvement des indignés et de l’occupation de la place Syntagma, à Athènes, il y a eu une autre grande vague d’assemblées. Dans notre quartier, des militants d’une partie de la gauche radicale ont appelé à former une autre assemblée à laquelle nous avons voulu participer. Mais il y a vite eu des contradictions fortes entre eux et nous. Quand, de ton côté, tu veux créer un espace de dialogue et qu’en face de toi tu as quelqu’un qui y entre de manière dirigiste et paternaliste, forcément ça provoque des conflits. À cette période, ils ont chapeauté plusieurs assemblées de quartier avec des revendications comme la nationalisation des banques. Les gens qui cherchaient un espace ouvert au débat se sont désintéressés et la dynamique de cette deuxième vague n’a pas duré. Ces assemblées n’ont pas pu ou n’ont pas voulu aller vers des revendications concrètes liées à la santé, à l’éducation ou à la subsistance alimentaire. Bref, ils n’ont pas cherché à promouvoir une autre manière de vivre, loin du système capitaliste qui s’effondre autour de nous. « Faut-il nationaliser les banques ? » n’est pas la bonne question à se poser d’après moi. Une troisième vague d’assemblées a commencé depuis que l’État a couplé le paiement d’une taxe foncière exceptionnelle à la facture d’électricité : les habitants qui n’ont pas de quoi payer cette taxe se voient couper l’électricité. Cette taxe et les tentatives d’y faire face ont pas mal accentué les différences entre les assemblées. Certaines ont accueilli de nombreuses personnes surtout venues pour qu’on ne leur coupe pas l’électricité et qui disaient « On veut que vous nous régliez ce problème-là », le « vous » s’adressant aux gens de l’assemblée qui sont les plus actifs politiquement. Une partie d’entre eux a accepté d’endosser ce rôle. Pour moi, ça revient à abandonner l’organisation horizontale au profit d’une logique de délégation.

Notre assemblée a elle aussi lancé un appel pour s’organiser sur cette question des taxes. Elle est très dynamique et agit de manière assez radicale : il n’y aura pas de coupures dans nos quartiers, que ce soit pour des raisons de taxe impayée ou autre. Pour nous, l’électricité est un bien vital.

L’assemblée est allée faire des interventions dans les bureaux fiscaux. Nous avons contraint l’entreprise de sous-traitance chargée de couper l’électricité à déménager du quartier. Puis, nous sommes aussi allés à l’antenne locale de la compagnie d’électricité pour leur couper le courant. Maintenant, on a mis en place des patrouilles dans le quartier pour empêcher les techniciens de couper l’électricité. En ce moment, c’est une des luttes principales menées par les assemblées avec la lutte antifasciste.

Peux-tu nous parler des mouvements qui vous influencent ?

Le mouvement des assemblées de quartier doit beaucoup à ce qui s’est passé en Argentine. Même s’il n’y a pas de référence directe, l’influence est là. Pendant les premières grèves générales, l’Argentine était très présente dans les esprits, comme par la suite la Tunisie et l’Égypte. Une autre influence importante est celle des mouvements d’autoréduction en Italie dans les années 1970 : les groupes qui s’organisaient pour ne pas payer les loyers, l’électricité ou les transports. Dans notre assemblée en particulier, de nombreuses personnes ont été inspirées par la lutte zapatiste au Mexique et sa quête de l’autonomie. Nous avons participé à des actions de solidarité avec ces luttes dans notre quartier.

Une chose commune à toutes ces sources d’inspiration et qui se retrouve dans les assemblées, c’est la volonté de s’organiser de manière horizontale, sans partis politiques : même s’il y a des militants de partis, ils participent aux assemblées en tant qu’individus, sans leur étiquette. Les bases politiques sont l’autonomie et la volonté de créer des structures en dehors du capitalisme, fondées sur le partage et la solidarité. Dans notre assemblée, il y a des fondements qui se sont mis en place après de très longues discussions. On a cherché à créer un consensus pour trouver une manière d’avancer ensemble.

En Grèce, il y a moins cette croyance dans les institutions, l’idée du contrat social et la représentation politique qu’en France. C’est un terrain fertile pour les idéaux antiautoritaires, tout comme pour les idéaux hyperautoritaires. C’est plus facile ici qu’en France de se retrouver sur des bases communes avec des personnes aux parcours politiques variés. En revanche, le risque de devenir un groupe politique fermé, affinitaire, existe toujours : trouver les moyens d’être toujours ouverts à de nouveaux arrivants, c’est une lutte à mener.

Quel est le bilan que tu tires des quatre années d’existence de ton assemblée ? Et, plus généralement, des assemblées de quartier ?

Pas facile à dire. Depuis la fin de la révolte de 2008-2009, on se retrouve constamment à courir derrière l’actualité. Ce que les assemblées de quartier apportaient de nouveau comme possibilités, c’était justement d’arrêter de se borner à revendiquer les choses qu’on te vole et de mettre en avant le monde auquel on aspire. Mais les obstacles sont nombreux et la répression envers les militants politiques, la montée d’Aube dorée, l’explosion du chômage et les violences répétées contre les immigrés font que tu ne peux pas juste suivre ton programme comme si de rien.

Un des points faibles du mouvement, c’est que les moments de montée en puissance n’ont jamais pu aboutir à des résultats plus concrets. L’assemblée des assemblées de quartier a été un de ces moments. En novembre 2011, toutes les assemblées qui existaient à l’époque se sont réunies : une quarantaine à Athènes, avec quatre cents représentants et une bonne dynamique. Mais elle s’est essoufflée. On n’arrive pas à aboutir à des victoires concrètes et ça crée des déceptions, une sensation de défaite qui est en ce moment très présente en Grèce. Cette sensation vient aussi du fait que les assemblées de quartier ne se présentent pas encore aux gens comme une solution viable pour organiser le quotidien.

La volonté de créer des structures fondées sur l’auto-organisation et l’autonomie pose beaucoup de questions : comment les construire en dépassant les logiques de charité et de philanthropie ? Comment créer ton autonomie dans un environnement où on t’a tout volé, où tu n’es plus capable de produire quoi que ce soit par toi-même, surtout en situation urbaine ? Comment faire pour que les gens participent vraiment ? Quand on organise des cuisines collectives ou du troc, on doit constamment expliquer le fait qu’on n’est pas simplement un service de distribution. Je crois qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante par rapport à ça, il faut surtout avoir de la patience. Ce que je vois, c’est que dans les assemblées qui deviennent très massives, les gens ont tendance à déléguer les tâches et à se faire représenter par un petit nombre ; alors que plus il y a des relations personnelles et des contacts entre les gens, plus le partage est égal. C’est une question de relations. Mais rares sont ceux qui pensent qu’on peut vivre par nous-mêmes, sur la base du consensus et du dialogue, qu’on peut prendre nos vies en main.

J’ai pourtant l’impression que plus l’État et le système économique s’effondrent, plus ce genre de « zones grises » se développent et plus d’autres modes d’organisation et de relations deviennent possibles. C’est en cela que le rôle des assemblées va être crucial. Il ne faut pas seulement garder la braise chaude, il faut aussi faire en sorte que le feu dure longtemps. De nouvelles structures se mettent en place tous les mois en Grèce. De ce point de vue, ce mouvement est sur la bonne voie.

Propos recueillis
par Laure Köylü et Juliette Bulbari.

Entretien extrait du n° 7 de Z,
revue itinérante d’enquête
et de critique sociale,
printemps 2013.
Notes

[1] L’assassinat d’Alexis Grigoropoulos par la police à Athènes le 6 décembre a déclenché les émeutes de décembre 2008.

[2] Konstantina Kuneva, secrétaire générale du Syndicat du secteur du nettoyage de la région d’Athènes et militante bien connue pour son engagement contre les patrons, a d’abord reçu de nombreuses menaces liées à son activité syndicale. Le 22 décembre 2008, de l’acide sulfurique lui est jeté au visage, lui causant une perte partielle de la vue et d’importants problèmes respiratoires.

http://www.paroleslibres.lautre.net/spi ... rticle1302
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede altersocial » 21 Déc 2013, 17:05

L’autogestion au-delà des SCOP

Cette reprise en demi-teinte tant annoncée par l’exécutif ne semble pas freiner l’avalanche de mauvaises nouvelles sur le front des entreprises. 6 novembre, Fagor-Brandt, filiale de la coopérative espagnole Fagor Electrodomésticos, déposait le bilan engendrant une incertitude pour les 1900 salariés de l’entreprise. Le 25 novembre, c’était au tour de Mory Ducros : 5200 personnes menacées de perdre leur emploi. Deux événements qui frappent les premiers concernés mais qui donne chair à cette crainte de voir une reprise pauvre en emplois.

A l’inverse des licenciements boursiers dans lesquels un groupe profitable ferme volontairement une usine pour être encore plus rentable, on a ici affaire à des secteurs sinistrés. Fagor-Brandt, c’est l’électroménager. Un secteur en crise dans lesquels les leaders licencient aussi à tour de bras (cf. Electrolux), un secteur en situation de surcapacité. Mory-Ducros, c’est le secteur de la messagerie. C’est une entreprise qui est le résultat d’une fusion, qui ne remonte qu’à un an, entre Ducros express (ex DHL France) et Mory, un transporteur déjà en redressement judiciaire en 2011. La stratégie retenue par l’actionnaire principal, consistait à créer des synergies entre les deux entreprises permettant des économies d’échelle. Elles n’ont pas permis d’annuler le déficit pro forma des deux entreprises de 105 millions en 2010 : il est resté de 65 millions en 2012. Il s’avère très difficile de rentabiliser ce secteur qui a été largement ouvert à la concurrence ces dernières années.

Le ministre du Redressement productif a annoncé mercredi un « plan de résistance économique ». Il s’agirait d’activer un vieux fonds, le FDES (Fonds de développement économique et social) qui existe depuis 1948 et qui serait actuellement doté de 80 millions. Arnaud Montebourg promet de le monter à 380 millions d’euros pour soutenir des entreprises en difficulté comme Fagor Brandt ou Mory Ducros. 380 millions d’euros ? On ne va pas vraiment aller loin avec cela. A moins que l’Etat ne recherche des partenaires capitalistiques avec lesquels il investira conjointement… Qu’est-ce qui nous garantit que les stratégies à venir seront plus payantes que celle du passé ? On peut en douter tant il est difficile de bâtir une stratégie dans un secteur sinistré livré au marché. En attendant, dans le cas de Mory Ducros, on parle de sauver 3000 emplois. Entendons par là que plus de 2000 seront supprimés et que le réinvestissement passe par cette cure d’amaigrissement. Du fait de la fusion, on avait supprimé 600 emplois et des emplois en moins sont aussi de la richesse en moins. Ce n’est pas forcément ce qui rendra l’entreprise rentable.

Il ne s’agit plus de bâtir de nouvelles stratégies capitalistes dans lesquelles l’État serait impliqué. Il s’agit au contraire de se saisir de ces difficultés pour sortir du capitalisme. Nous défendons souvent comme élément partiel de rupture la reprise en coopérative. Dans cette forme d’entreprise, les salariés s’approprient le profit certes, mais subissent aussi les aléas de la gestion de l’entreprise. Dans le cas de Mory-Ducros, répartir une perte actuelle de 65 millions d’euros, signifie amputer chaque salaire annuel net d’environ 8000 euros. Insupportable pour ces travailleurs qui n’ont certainement pas des salaires de ministre. En pourtant la mise en coopérative est sans doute la meilleure voie pour se réapproprier son travail et interdire que demain celui-ci ne soit délocalisé pour raisons financières. Que faire ?

Une solution serait de promouvoir un partage de la valeur ajoutée entre les entreprises. Que les entreprises riches transfèrent aux entreprises pauvres ; qu’une partie de la valeur ajoutée soit répartie en fonction des emplois et non des règles du marché. Si ce qui compte dans les entreprises de capitaux est le profit, à savoir ce qui reste une fois payés les fournisseurs et les salaires. Dans les coopératives de travail, c’est la valeur ajoutée qui prime : ce qui reste, une fois payés les fournisseurs, va intégralement aux travailleurs. C’est cette logique de la valeur ajoutée qu’il convient d’imposer aujourd’hui aux entreprises de capitaux pour permettre qu’éclosent de multiples initiatives. Dans le cas de Mory Ducros, ce sera la possibilité pour les salariés de cette entreprise d’obtenir de l’argent pour leur permettre de reprendre leur entreprise.

Bien sûr, l’activité de messagerie mérite d’être questionnée tant elle est génératrice de pollutions et d’émissions excessives de carbone. Cette urgente reconversion de l’économie ne pourra se faire que dans une société apaisée, une société où toutes et tous auront la possibilité d’avoir un emploi, une société dans laquelle l’écologie ne sera plus l’otage de la question sociale. Tout ceci nous montre que l’autogestion ne se limite en aucun cas à la reprise d’entreprises en coopérative mais constitue un projet politique global dans lequel l’humanité sera maître de son destin et capable d’aborder sereinement les défis qui se pose à elle.
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede Pïérô » 01 Jan 2014, 17:01

Les multiples facettes des coopératives en Argentine aujourd’hui

Bien que cet article ait plus d’un an, la situation en 2013 est presque similaire.
Cette version est légèrement différente de celle publiée dans "Émancipation"


Doc PDF : http://www.fondation-besnard.org/IMG/pd ... atives.pdf

http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article2038
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Re: Autogestion : théories, pratiques et critiques

Messagede leo » 02 Jan 2014, 11:01

France. L’autogestion à la rescousse dans la crise du capital (Fralib, Seafrance, Goodyear)


Cet arti­cle est paru dans Echanges n° 145 (automne 2013).

_____________________

Le 24 juillet, le conseil des minis­tres a dis­cuté et fina­lisé un projet de loi « Economie sociale et soli­daire (ESS) » modi­fiant le statut des scop (sociétés coopé­ra­tives ouvrières de pro­duc­tion) qui, en France définit le cadre juri­di­que des coopé­ra­tives, autre­ment dit la manière dont l’auto­ges­tion doit fonc­tion­ner sous le capi­tal. Ce projet qui devait venir en novem­bre devant le Parlement prévoit notam­ment les moda­lités selon les­quel­les les sala­riés d’une entre­prise pour­ront la repren­dre lors du décès du pro­priét­aire. Il n’est ni utile, ni néc­ess­aire d’entrer dans les détails de ce projet qui ne fait que com­pléter la lég­is­lation déjà exis­tante sur les coopé­ra­tives et favo­ri­ser la création d’une scop dans ces cir­cons­tan­ces pré­cises, d’autant plus qu’il peut être modi­fié lors de son vote.

Les coopé­ra­tives de pro­duc­tion ou de consom­ma­tion, agri­co­les ou indus­triel­les, sont par­fai­te­ment intégrées dans ce monde. Elles ne sont sou­vent qu’un cadre pra­ti­que pour cou­vrir une situa­tion proche de celle de n’importe quelle entre­prise capi­ta­liste et de plus leur impor­tance rela­tive face à la puis­sance des mul­ti­na­tio­na­les les relègue au rang de mar­gi­na­lités éco­no­miques.

Il ne s’agit même plus de cri­ti­que théo­rique de l’auto­ges­tion mais seu­le­ment de considérer ce qu’elles sont réel­lement dans le système capi­ta­liste et le rôle que leur prés­ence peut jouer eu égard à l’ensem­ble du système pro­duc­tif mon­dial. Deux exem­ples extrêmes per­met­tent de situer dans quel sens toute coopé­ra­tive peut ­évoluer.

Des grèves réc­entes en Italie ont révélé que tout le sec­teur logis­ti­que est sous forme de coopé­ra­tives, ce qui permet – un para­doxe quant au prin­cipe même de l’auto­ges­tion – de tour­ner tota­le­ment les lois sur le tra­vail et de garan­tir une exploi­ta­tion maxi­mum de la force de tra­vail. C’est tout simple, les quel­ques diri­geants majo­ri­tai­re­ment pro­priét­aires de la coopé­ra­tive, contrai­gnaient les pos­tu­lants sala­riés à être coopé­rateurs, ce qui les excluait de la condi­tion de sala­rié et des garan­ties et avan­ta­ges sociaux réservées aux sala­riés. Ceci permet une exploi­ta­tion sans limi­tes légales, puisqu’ils s’auto-exploi­tent comme tout « indép­endant ».

Un autre exem­ple est donné par cette coopé­ra­tive que les milieux de l’auto­ges­tion citent sou­vent, l’espa­gnole Mondragon. C’est en fait un conglomérat de sous-trai­tants dis­persé dans le monde, qui n’a rien d’une coopé­ra­tive ; grâce à cette inter­na­tio­na­li­sa­tion, son chif­fre d’affai­res atteint envi­ron le mon­tant du seul budget de publi­cité d’un autre conglomérat inter­na­tio­nal, le chae­bol coréen Samsung. La faillite réc­ente de Fagor Electrodometicos, filiale de Mondragon, illus­tre la domi­na­tion capi­ta­liste sur les acti­vités des coopé­ra­tives.

On pour­rait mul­ti­plier à l’infini toutes les varia­tions capi­ta­lis­tes des coopé­ra­tives de par le monde, la pureté auto­ges­tion­naire étant peut-être seu­le­ment réservée à de très peti­tes scops, et encore dans cer­tains sec­teurs éco­no­miques spé­ci­fiques, celles qui ser­vent de sup­port à l’idéo­logie auto­ges­tion­naire. Cette idéo­logie ignore le fait simple que toute acti­vité éco­no­mique dans un monde capi­ta­liste est contrainte peu ou prou de se plier aux règles de fonc­tion­ne­ment de ce système. Bien que l’on dise que les coopé­ra­tives de toutes sortes regrou­pe­raient près de 10 % de l’acti­vité éco­no­mique en France et 2,4 mil­lions de tra­vailleurs, on ne dit jamais ce qui se cache der­rière ces chif­fres : beau­coup d’entre­pri­ses privées qui n’ont rien ou pres­que rien à voir avec les prin­ci­pes avancés de l’auto­ges­tion ­ou­vrière. On remet au goût du jour la coopé­ra­tive comme solu­tion de survie d’un système qui n’arrive à rés­oudre ses contra­dic­tions que pour tomber dans d’autres contra­dic­tions ; elle ne devrait pour­tant pas appa­raître comme la panacée à la lumière des réc­entes ten­ta­ti­ves de la pro­mou­voir sous le slogan de « reprise de l’entre­prise capi­ta­liste par ses tra­vailleurs ».

Trois exem­ples récents per­met­tent de se faire une idée des dif­fi­cultés que ren­contre l’enga­ge­ment dans cette voie de sau­ve­tage d’une entre­prise en dif­fi­culté ou d’une unité fermée pour cause de stratégie éco­no­mique d’une mul­ti­na­tio­nale.

Fralib à Gemenos près de Marseille. Seule une partie des sala­riés (77) occu­pent l’usine de condi­tion­ne­ment de thé et tisa­nes fermée depuis deux ans par le trust Unilever. Le projet de scop qu’ils vou­draient bien créer sup­pose la reprise d’une marque déposée par Unilever, mais la mul­ti­na­tio­nale refuse abso­lu­ment d’accéder à cette requête, même en sous-trai­tance.

Un des points par­ti­cu­liers de ce projet a été le rachat du ter­rain et des bâtiments de l’usine par la Communauté urbaine qui les met­trait à dis­po­si­tion de la future scop. Cette dis­so­cia­tion du capi­tal fixe et du capi­tal varia­ble va se retrou­ver dans la scop cons­ti­tuée suite à la mise en faillite de Seafrance (1).

Seafrance à Calais. Lors de la liqui­da­tion de Seafrance, entre­prise qui exploi­tait la liai­son Calais-Douvress, ses trois fer­ries ont été rachetés par Eurotunnel, un groupe qui exploite le tunnel sous la Manche, une filiale de fret, Europorte, et, suite à ce rachat, une bran­che de trafic mari­time. Mais cette acti­vité d’arma­teur a pris un caractère très spé­ci­fique : l’exploi­ta­tion des­dits navi­res pour le trafic trans­man­che a été confiée à une scop cons­ti­tuée par les anciens sala­riés de Seafrance sous le nom de MyFerryLink.

Cette scop a prospéré au point qu’en août 2013 elle pre­nait 11 % du trafic trans­man­che et le groupe Eurotunnel pre­nait alors plus de la moitié de ce trafic. C’est là que les choses se sont gâtées pour la scop. La Grande-Bretagne, pays de la libre concur­rence, met en fait des bar­rières à cette concur­rence pour la pro­tec­tion des intérêts du capi­tal bri­tan­ni­que. Une des com­pa­gnies de fer­ries, la plus concernée par cette concur­rence, P & O, et une autre danoise, DFDS Seaways (asso­ciée à l’arma­teur français Louis Dreyfus), ont intenté un procès à Eurotunnel devant la « Competition Commission » bri­tan­ni­que prét­endant que le rachat et l’exploi­ta­tion des navi­res de Seafrance met­trait Eurotunnel en posi­tion de quasi-mono­pole et pour­rait alors impo­ser des prix pré­ju­dic­iables aux uti­li­sa­teurs. Un pre­mier juge­ment leur a donné raison en ordon­nant à Eurotunnel de vendre deux navi­res sur trois sous peine de se voir fermer l’entrée du port de Douvres. C’est une situa­tion cornéli­enne car le juge­ment du tri­bu­nal de com­merce de Paris attri­buant les trois navi­res à Eurotunnel com­por­tait une clause lui inter­di­sant la vente des ­fer­ries.

Le 4 déc­embre, cepen­dant, la cour d’appel bri­tan­ni­que a auto­risé les fer­ries de la scop MyFerryLink à conti­nuer de relier Calais à Douvres. Mais toute l’affaire montre les limi­tes de l’uti­li­sa­tion de la forme coopé­ra­tive qui, dans ce cas, n’est fina­le­ment qu’un orga­nisme de ges­tion (d’auto­ges­tion bien par­ti­cu­lière) de la force de tra­vail pour le compte d’un capi­ta­liste.

Goodyear à Amiens. Une opé­ration du même genre est tentée pour l’usine de pneu­ma­ti­ques Goodyear d’Amiens. Là aussi, une scop repren­drait la fabri­ca­tion des pneus agri­co­les, à condi­tion que Goodyear lui cède ou la marque ou la sous-trai­tance. Bien sûr, comme dans le cas de Fralib, le trust s’y oppose et les choses tour­nent autour de batailles juri­di­ques comme dans le cas antérieur de l’usine Continental près de Compiègne. De toute manière, si cette solu­tion pou­vait se mettre en place, la scop ne serait qu’un maillon dans le giron d’un groupe capi­ta­liste puis­sant qui impo­se­rait l’ensem­ble des fac­teurs éco­no­miques dét­er­minant, au final, les condi­tions de ges­tion de la force de tra­vail. Les décisions des « coopé­rateurs » seraient entiè­rement dét­erminées par des fac­teurs extérieurs aux mains du capi­tal, à l’excep­tion de quel­ques moda­lités sans influence réelle sur les condi­tions d’exploi­ta­tion. Ces exem­ples mon­trent que le sort d’une coopé­ra­tive repre­nant une acti­vité quel­conque et que la réalité quel­que peu fal­la­cieuse d’une telle voie, pré­conisée très timi­de­ment par le projet de loi « Economie sociale et soli­daire », ne sont qu’un replâtrage poli­ti­que face à l’énormité de la crise du capi­tal.

H. S.

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NOTE

(1) Cette dis­so­cia­tion n’est pas rare dans le capi­ta­lisme d’aujourd’hui : par exem­ple pour les che­mins de fer en France, la SNCF a été divisée entre pro­priété et entre­tien des voies au Réseau Ferré de France (RFF) et la nou­velle SNCF, pro­priét­aire des trains et ges­tion­naire du trafic (comme antéri­eu­rement en Grande-Bretagne). Et ce n’est pas un cas isolé.
leo
 
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