Arrivé jeudi matin, j'ai commencé par "Anarchism and Marxism", débat organisé par Karakök Autonome (une orga turque présente en Suisse et Turquie) et Gün Zileli, un écrivain anar. Et je dois avouer que ça m'a laissé perplexe. Déjà, premier problème : le titre de la conférence est présenté en anglais... mais la conférence est en allemand et en turc (une traduction française a été proposée plus tard mais j'ai préféré continuer sur l'allemand). Mon turc étant d'un très bas niveau, et mon allemand n'étant pas magnifique, je dois avouer ne pas avoir tout compris mais parlons de l'essentiel.
Le premier débat introduit parlait de la différence entre anarchistes et marxistes quand au lien qu'ils tissent avec la nature. Ils disaient en gros que les marxistes voient la nature comme n'existant qu'à travers la vision que l'humain en porte, tandis que, selon eux, les anarchistes disent que la nature à son existence propre, subjective. Déjà là ça a fait débat, pas mal (et j'en fais partie) ne comprenaient pas comment la nature pouvait se concevoir elle-même. Et y avait aussi des prises de position sur le fait que Marx et anarchisme ne sont en rien contradictoires ( ).
Ensuite, ça a été le tour de l'écrivain, et là du grand n'importe quoi. Pour lui, l'idée de révolution est totalement finie, il faut maintenant s'organiser en petits groupes ruraux et vaquer à la production pour le seul petit groupe et tout le tralala. Ca a provoqué un taulé dans la salle et les germanophones se moquaient pas mal de ce projet d'"Ekodorf" (écovillage). Ils ont aussi pointés le non-sens de ce projet au niveau écologique (parce que multiplication des lieux de production pour quelques produits seulement, risque de mise en concurrence, etc.), y préférant une planification économique.
Enfin, et je ne sais pas par quel tour de passe-passe, les animateurs du débat ont fini par expliquer que, pour eux, il fallait maintenant créer une organisation mondiale, au-delà des frontières nationales, qui rassemblent tous les anarchistes mais aussi les marxistes révolutionnaires (il a donné une explication de comment différencier marxistes orthodoxes de révolutionnaires selon lui mais j'ai pas compris) au-delà des divisions pour enfin vaincre.
Je suis ressorti de là assez déçu par les positions des camarades turcs. En tout cas ce n'est pas à eux que je m'adresserai en premier en allant en Turquie. Truc insolite aussi : on était très peu de francophone et j'ai rapidement discuté avec un autre pendant une pause. Il s'agissait d'un mao qui a fait 68 qui m'a avoué traîner dans les milieux anars "parce que ce sont les seuls qui parlent encore de faire la révolution". En plus il lit Bihr.
Le deuxième débat que j'ai suivi a eu lieu vendredi matin. Il s'agissait d'un débat sur "les luttes de libération nationale" organisé par l'OCL. Ayant pris des notes, je peux vous retranscrire le contenu de l'intervention de l'organisateur du débat.
On peut distinguer 3 périodes quant à la question nationale :
- La première date du XIXe siècle. Elle correspond à la montée des nationalités avec l'industrialisation. Ces événements sont considérés par Bakounine. La domination était alors exercée par des empires et non pas par des Etats-nations.
- La deuxième est au XXe siècle. C'est la période de l'expansion qui débouche sur les luttes de libération nationale des peuples dominés. Le mouvement ouvrier prend position. Il y a division entre ceux qui les rejettent par peur de la création d'un nouvel Etat et ceux qui considèrent que ça permet de mener une attaque contre l'impérialisme de son propre pays. Chez les premiers, on retrouve en sous-main l'idée que notre société occidentale est supérieure et qu'il faut passer par elle pour aller vers la Révolution.
- Dans une 3ème partie, il y a la question coloniale mais aussi des luttes de réappropriation territoriales avec les peuples sans Etat (l'exemple phare étant les indigènes en Amérique du Sud par exemple). Les luttes contre les Grands Travaux peuvent aussi être considérées comme des luttes de réappropriation territoriale. Les luttes régionalistes y entrent aussi. (sur ce passage, je ne suis pas sûr d'avoir tout bien retranscrit, notamment sur la question coloniale)
Quelques questions se posent à nous quant à notre participation à ces mouvements :
- Que faire après ? Il faut poser l'idée de la réorganisation de la production, réintroduire l'idée de la finalité de la production en dehors des intérêts du marché, ces idées étant plus compréhensibles dans ce contexte. Il s'agit également de combattre l'intégration dans les institutions.
- Ces luttes s'expriment à un moment de développement des forces productives où une bourgeoisie monte. Il faut donc trouver des éléments permettant l'expression autonome des classes dominées.
- Qui détermine en quoi on se reconnaît ? Il faut combattre pour que le lien d'appartenance s'acquiert, que ce soit par la lutte, par la langue, etc. et pas qu'il soit donné (race, sang, etc.)
- Dans ce contexte intervient souvent la lutte armée. Il faut appuyer des positions visant à ce que la lutte armée soit subordonnée à des décisions populaires.
Petite définition de la culture : elle s'étend de la langue à l'histoire, de l'espace géographique aux habitudes, des religions au mode de vie. Il est possible de ne se reconnaître que dans une partie et l'attachement à une culture n'est pas exclusif, il peut y en avoir plusieurs. Le tout est coupé de contradictions de classe.
Sur le contenu du débat y avait des trucs intéressants et d'autres moins. Personnellement j'ai été nul comme à mon habitude et n'ai même pas parvenu à faire comprendre ce que je voulais dire et j'ai dû dire des conneries (et c'est général à tous les débats où j'ai pu intervenir). D'ailleurs, la question de cette identité, de comment on s'y reconnaît, me paraissait très peu matérialiste, j'avais du mal à comprendre ce qu'ils voulaient dire par là, attachant fortement la question de la "nation" à la langue.
On avait un camarade basque intéressant parce qu'il n'était pas dans de l'abstraction théorique mais parlait de luttes auxquelles il participait vraiment. On a aussi pu se rendre compte qu'effectivement, toutes ces luttes ne sont pas soutenables. Un camarade d'origine arménienne a donné l'exemple de la question arménienne où la lutte des classes avait sa place, et où un travail pouvait être fait, tandis qu'un camarade irlandais a expliqué que, dans leur cas, ça avait été tout le contraire et que la situation du prolétariat irlandais avait connu un énorme recul après la "libération".
Quelqu'un est intervenu pour signifier qu'il trouvait étrange que les libertaires soient à la pointe pour soutenir les combats "loin" (Kanaky, Palestine, Kurdistan, etc.) mais qu'on ne les entende pas quant il s'agit de colonialisme proche (Bretagne, Occitanie, Pays Basque, Alsace, etc.). Ca m'a fait tiquer, parce que, à mon avis, le colonialisme n'est pas une question de domination culturelle/linguistique/de mode de vie/etc. mais aussi et avant tout une question de subordination économique. De ce fait, je ne vois pas comment l'on peut dire que l'Alsace, région riche (oui, je sais, toujours l'Alsace, mais faut bien un exemple que je connaisse ), est colonisée par l'Etat français. Alors bien entendu il y a domination culturelle/linguistique, mais je ne pense pas qu'on puisse parler de colonialisme.
Sinon, beaucoup de positions intermédiaires "faut en soutenir certaines mais pas toutes; faut faire gaffe; etc." et juste un camarade parisien de la FA qui a dit que "ce n'est pas défendable parce que ça mène à l'interclassisme". En soi pourquoi pas, mais il portait un t-shirt "stop Israeli domination on Gaza" ou quelque chose du genre, du coup ça faisait bizarre. Je pense qu'il n'a pas compris que le soutien de libertaires à ces luttes est conditionnel parce qu'il a expliqué qu'il pensait que le Hamas n'était pas défendable par exemple.
Juste un truc où j'ai rien tiqué : une femme s'est mise à parler du pouvoir de la libération sexuelle sur les mouvements de libération nationale et a commencé à sortir plein de trucs bizarres en citant Reich.
J'ai dû louper des trucs mais quelqu'un a enregistré le débat il me semble.
[suite à venir avec CR des autres débats que je présente vaguement ci-dessous...]
-FEKAR, la position du mouvement de libération kurde par rapport aux idées et au mouvement anarchiste. (un monde fou, on a dû squatter les gradins au-dessus du salon du livre. Le gars du PKK (si j'ai bien compris) était assez chiant, il a fait son discours pendant deux heures et au vu de l'intonation on aurait dit un meeting politique)
-Panorama historique de l'anarchisme au Brésil : éducation libertaire, mouvements sociaux, syndicalisme et influences étrangères. (je me suis endormi à moitié, trop crevé, mais j'ai pris des notes je crois)
-Les politiques de santé à l'épreuve des inégalités sociales (je n'ai pu voir que le début, j'ai dû bouger après)
-Tant qu'il, qu'est-ce que l'argent ? (sûrement la meilleure des conférences à laquelle j'ai pu assister, beaucoup de personnes différentes prenaient la parole, y avait du débat. La discussion s'est poursuivie avec quelques un-e-s autour d'un verre, et franchement c'est abusé la culture politique de ouf qu'ont ces types. Par contre je regrette qu'on ait certes discuté sur l'après mais rien du tout sur comment y arriver, quelles méthodes de lutte, etc. Ca fait un peu idéaliste.)
D'ailleurs en règle générale : pourquoi les CSR ou Liberty and Soldarity n'ont pas tenu un stand au salon du livre ? Y avait du conseilliste, de l'AS/SR et d'autres positions (syndicalisme de base exprimé dans une conférence mercredi, malheureusement je n'étais pas présent), mais rien vu de similaire aux positions CSR.