Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Messagede Pïérô » 03 Aoû 2012, 14:12

Vers une Théorie libertaire du Pouvoir, en deux partie, sur le blog du collectif Emma Goldman de l'UCL (Union Communiste Libertaire) au Saguenay

« Le texte suivant, faisant partie de la série « Vers une Théorie libertaire du Pouvoir », est traduit par nos soins pour les questions théoriques fort intéressantes qu’il pose. Bien que figure généralement sur ce blogue des articles avec un niveau de langage volontairement plus accessible, ce texte a un niveau plus soutenu et est susceptible de heurter certaines idées-faites sur l’anarchisme – plus particulièrement sur la notion du pouvoir. La réflexion critique étant importante, cette série de textes vise à participer à la construction d’une analyse sociale libertaire, chose nécessaire pour un mouvement cohérent avec le changement social recherché. »


Vers une Théorie libertaire du Pouvoir – 1ère Partie


Ibáñez et le Pouvoir politique libertaire

par Felipe Corrêa

« Vers une Théorie Libertaire du Pouvoir » est une série de comptes-rendus élaborés à partir de livres ou d’articles par des auteur-e-s du camp libertaire traitant du pouvoir. Son objectif est de présenter une littérature contemporaine des auteur-e-s qui traitent du thème en question et d’apporter des éléments à l’élaboration d’une théorie libertaire du pouvoir, qui pourrait servir à l’élaboration d’une méthode d’analyse de la réalité et des stratégies à partir d’une base libertaire, que les individus et les organisations pourront s’approprier. Publié originalement en portugais sur le site Estratégia e Análise.

Dans le premier article de la série, je vais utiliser l’article « Pour un Pouvoir Politique Libertaire » (“Por um Poder Político Libertário”) de Tomás Ibáñez [*]. Dans ce dernier – un court article qui ne dépasse pas quelques pages – l’auteur se positionne de façon critique par rapport à l’approche libertaire. L’article de Ibáñez fut écrit originalement en tant que contribution pour le séminaire « Le Pouvoir et sa Négation » (“O Poder e sua Negação”), promue par le CIRA et le CSL Pinelli, en Juin 1983. Jusqu’à ce moment, pour l’auteur, l’anarchisme était « attaché à la rigidité des concepts et propositions créé-e-s, pour la plupart, durant les 18ième et 19ième siècles ». Et, pour lui, traiter de la question du pouvoir en profondeur serait une innovation pertinente dans le camp théorique de l’anarchisme.

LE PROBLÈME SÉMANTIQUE AVEC LA QUESTION DU POUVOIR

Déjà, à cette époque, Ibáñez identifiait que « la polysémie [un mot qui a plus d’un sens] du terme « pouvoir » et l’étendu de son spectre sémantique constitue les conditions pour un dialogue de sourd ». Pour lui, dans la question du pouvoir, les discours se chevauchent et ne s’articulent pas entre eux. Et cela survient parce qu’« ils traitent d’objets profondément différents, dans la confusion induite par le recours à un autre terme courant : le pouvoir ».

Et ainsi, le besoin identifié pour que « nous redéfinissions le terme « pouvoir », avant que nous entreprenions la discussion sur le sujet ». Sans un tel effort, l’auteur ne croyait pas qu’il serait possible d’arriver avec une définition objective et « aseptique » du mot « pouvoir », étant donné que c’est faire usage d’un « terme politique chargé de sens, toujours analysé d’une position politique précise, et duquel il n’est pas possible d’avoir une définition « neutre » ».

LE POUVOIR À PARTIR D’UNE DÉFINITION TRIPLE

Le premier élément pour élaborer une définition du pouvoir est que, d’une perspective libertaire, celui-ci ne peut pas seulement être considéré de manière négative: « en terme de négation/déni, exclusion, refus, opposition, contradiction ». Pour Ibáñez, le pouvoir peut être définit à partir de 3 interprétations : 1) en tant que capacité, 2) en tant qu’asymétrie dans les rapports de pouvoir, et 3) en tant que structures et mécanismes de régulation et de contrôle. Voyons, selon l’auteur lui-même, comment le pouvoir est défini dans chacune de ces interprétations.

1. Le Pouvoir comme capacité
« Dans l’un de ses sens, le plus général et le premier diachroniquement, le terme « pouvoir » est utilisé comme un équivalent de l’expression « capacité de », c'est-à-dire comme un synonyme pour tous les effets qu’un-e agent-e donné-e, animé-e ou non, peut produire de façon directe ou indirecte. Il est intéressant que, depuis le début, le pouvoir est défini en termes relationnels, dans la mesure où, pour qu’un élément puisse produire ou inhiber un effet, il est nécessaire que s’établisse une interaction. »

Pensé dans ce sens, le pouvoir pourrait être conçu comme « avoir le pouvoir de » ou « avoir le pouvoir pour », une capacité de réalisation ou une force potentielle qui pourrait être appliquée dans un rapport social. Ceci place les rapports de pouvoir comme des prémisses de cette définition du pouvoir. À savoir, l’interaction entre les agents sociaux.

2. Le Pouvoir comme une asymétrie dans les rapports de pouvoir
« Dans le second sens du terme, le « pouvoir » réfère à un certain type de rapport entre les agents sociaux, et nous sommes maintenant habitué-e-s de le caractériser comme une capacité asymétrique ou inégale que possèdent les agents à produire des effets dans l’autre pôle d’un rapport donné. »

Bien qu’encore ancrée dans le pouvoir comme capacité, cette autre définition nous permet de réfléchir aux asymétries des différentes forces sociales rencontrées dans un rapport social particulier. Ces forces, toujours asymétriques et inégales, lorsqu’elles entrent en interaction/en rapport, forgent des effets sur un ou plusieurs pôles, comme chacun d’eux détient une force distincte et, par conséquent, une capacité distincte. De nouveau, elle comprend le pouvoir comme un rapport de pouvoir entre des agents sociaux, dont chacun d’eux a une capacité distincte de produire des effets sur les autres.

3. Le Pouvoir comme des structures et mécanismes de régulation et de contrôle
« Dans un troisième sens, le terme « pouvoir » réfère aux structures macro-sociales et aux mécanismes macro-sociaux de régulation ou de contrôle social. Dans ce sens, il est question d’« instruments » ou d’« appareils » de pouvoir, de « centres » ou de « structures » de pouvoir, etc… »

Conçu ainsi, le pouvoir constituerait le « système » d’une société donnée, en ce qui a trait aux structures et mécanismes de régulation et de contrôle. Ce serait l’ensemble de règles d’une société donnée, ce qui implique autant la prise de décisions pour sa constitution et pour définir son contrôle, que son application effective du contrôle. Une structuration de la société qui rend nécessaires les instances délibératives et exécutives.

QUELLES SONT LES POSSIBILITÉS D’UNE SOCIÉTÉ SANS POUVOIR ?

En partant de ces 3 interprétations, il peut être affirmé que « de parler d’une société « sans pouvoir » constitue une aberration. Soit nous nous positionnons du point de vue du pouvoir comme capacité (signifiant que nous aurions une société qui ne pourrait rien faire?), soit nous nous positionnons de celui des rapports asymétriques (signifiant des interactions sociales sans effets asymétriques?), ou soit nous nous positionnons du point de vue du pouvoir comme des mécanismes et structures de régulation macro-sociales (signifiant un système dont les éléments ne seraient pas « forcés » par un ensemble de rapport qui définissent exactement ce système lui-même?) ».

Il n’y a pas de société sans agents sociaux détenant une capacité, et il n’y a pas de société où tous les rapports sociaux sont symétriques – ce qui veut dire, une société dans laquelle tous les agents sociaux ont la même capacité à produire des effets sur les autres, dans toutes les relations – ou sans structures et mécanismes de régulation et de contrôle social. Ceci nous permet de se mettre d’accord avec Ibáñez sur l’absurdité, en tenant compte des définitions présentées par l’auteur, de parler de société sans pouvoir, de lutte contre le pouvoir, de fin ou de destruction du pouvoir.

Ibáñez croit que « les rapports de pouvoir sont inhéremment lié au fait social lui-même, elles lui sont inhérentes, les imprègnent, y sont comprises, à l’instant même où elles émanent de lui ». Lorsque l’on traite quelque aspect qui soit du soi-disant contexte social, il peut être affirmé qu’il existe des interactions entre divers éléments qui constituent un système donné. Selon l’auteur, par ailleurs, « il y a inévitablement certains effets du pouvoir entre les éléments du système ». C’est-à-dire que le pouvoir imprègne d’un côté les rapports entre les éléments et de l’autre les rapports entre le système et les éléments.

De concevoir une société sans moyen de pouvoir, de croire en la possibilité de l’existence d’une « société sans rapports sociaux, sans règles sociales et sans processus de décisions sociaux » - ce serait concevoir l’« impensable ».

UNE CONCEPTION LIBERTAIRE DU POUVOIR

De tels arguments permettent cette affirmation qu’« il existe une conception libertaire du pouvoir, et qu’il est faux que celle-ci a à constituer une négation/un déni du pouvoir ». Refuser ce fait impliquerait nécessairement une difficulté autant en termes d’analyse de la réalité, qu’en termes de conception d’une stratégie. « Tant que cela ne sera pas pleinement assumé par la pensée libertaire », insiste Ibáñez, « elle ne sera pas capable d’initier des analyses et actions qui lui permettront d’avoir une force dans la réalité sociale ».

Et ce qu’il soutient fait du sens si nous observons l’histoire de l’anarchisme ou même ce qui a été nommé le « camp libertaire » précédemment. Pour aller plus loin que les assertions sémantiques – qui très souvent ont accordé/accordent au mot « pouvoir » un sens directement lié à l’État – il semble clair que la « pensée libertaire » n’a jamais nié la capacité des agents sociaux, les asymétries dans les rapports de pouvoir ou les structures et mécanismes de régulation et de contrôle.

Un exemple qui est significativement courant dans la tradition libertaire. Considérant les rapports asymétriques entre les classes dans la société capitaliste et, se basant sur l’idée de la capacité de la classe ouvrière, les libertaires cherchent à promouvoir une révolution sociale dans laquelle la force de la classe dominante est renversée et dans laquelle est établi un système de régulation et de contrôle basé sur l’autogestion et le fédéralisme. Même avec cet exemple général, il peut être affirmé que si la classe dominante est retirée de ses conditions de domination et donne place à une structure libertaire, même dans la société future, ce rapport de pouvoir entre la classe dominante séparée de la domination et de la classe ouvrière constitue un rapport asymétrique.

En ce sens, il est possible d’assumer qu’en fait, historiquement, il y a une conception libertaire du pouvoir qui – même si elle n’a pas été discutée dans une profondeur suffisante et a été compliquée par une série de facteurs – contient des éléments pertinents à amener à ce débat qui a maintenant cours.

LA DOMINATION COMME UN TYPE DE POUVOIR

Quand les libertaires réalisent un discours contre le pouvoir, affirme Ibáñez, elles et ils utilisent le « terme « pouvoir » pour en fait faire allusion à un « certain type de rapport de pouvoir », qui est, de façon très concrète, un type de pouvoir qui est rencontré dans les « rapports de domination », dans les « structures de domination », dans les « appareils de domination » ou dans les « instruments de domination », etc… (que ces rapports soient de nature coercitive, manipulatoire ou autre) ». Ainsi, selon lui, la domination est un type de rapport de pouvoir, mais nous ne pouvons pas définir la domination comme le pouvoir puisque les deux constituent des catégories distinctes. Selon l’auteur, nous ne pouvons pas englober dans les rapports de domination « les rapports qui associent la liberté de l’individu à celle des groupes ». Ce qui veut dire que l’on ne peut pas incorporer les rapports libertaires dans la catégorie de ceux de domination. Mais cela semble quelque peu évident. Ce qui n’est pas évident, en fait, c’est que quand nous assimilons le pouvoir à la domination, nous assumons que le pouvoir est contraire à la liberté; une affirmation avec laquelle l’auteur est en désaccord. « La liberté et le pouvoir ne sont pas réellement situé-e-s en fonction d’un rapport d’opposition simple ». Et : « le pouvoir et la liberté se trouvent donc dans un rapport inextricablement complexe d’antagonisme/possibilité ». Ainsi conçu, le pouvoir pourrait être contradictoire à la liberté, mais pourrait également potentialiser sa réalisation. Ce serait, en fait, le type de pouvoir qui déterminerait ce rapport avec la liberté.

Par conséquent, Ibáñez croit que « les libertaires sont situé-e-s, en réalité, contre les systèmes basés sur des rapports de domination (dans le sens stricte). « À bas le pouvoir! » est une formule qui devrait disparaître du lexique anarchiste et être remplacée par « À bas les rapports de domination! ». Mais, sur ce point, il est nécessaire de tenter de définir les conditions qui rendent une telle société possible ».

CONTRE LA DOMINATION ET POUR UN POUVOIR POLITIQUE LIBERTAIRE

Il peut être affirmé, à partir de cet argument structurel, que « les libertaires ne sont pas contre le pouvoir, mais contre une certaine sorte de pouvoir », et que dans leurs stratégies elles et ils cherchent à être « des constructrices et constructeurs d’une sorte de pouvoir, qu’il nous convient actuellement (et est juste) de nommer « pouvoir libertaire », ou, plus précisément : « pouvoir politique libertaire » ». Cela signifierait d’assumer que les libertaires défendent un modèle opérant (libertaire) d’instruments, appareils et rapports de pouvoir.

* Tomás Ibáñez. « Pour un Pouvoir Politique Libertaire : considérations épistémologiques et stratégiques autour d’un concept ». Article originalement publié en 1983 dans le magazine italien Volontà. Pour les citations, j’ai utilisé une traduction en portugais par Miguel Serras Pereira, faite pour une publication portugaise des années 1980. Cet article est également dans le recueil appelé Actualidad del Anarquismo, publié par Aarres Books (Buenos Aires) en 2007. [Note de traduction : les citations ont ainsi été traduites du portugais à l’anglais au français et non directement de l’italien, ce qui peut avoir amené quelques légères discordances.]

Traduction du Blogue du Collectif Emma Goldman


Commentaire des éditeurs du site Estratégia e Análise


Felipe Corrêa est un travailleur intellectuel qui incarne bien le sens du terme. Il travaille comme éditeur, est un militant, étudie comme professionnel et dédit sa vie à la propagation et l’implantation des idées qui amèneront les majorités à amplifier et préserver leurs droits dans leur plus plein épanouissement. Ce site reçoit les textes de Felipe avec une très grande satisfaction – en fait, une satisfaction immesurable – parce que nous comprenons l’importance de ces mots, rejoignant notre vocation de diffusion scientifique, des sciences humaines produites dans le but de nous libérer des sombres maux de la domination du monde qui usurpent la volonté et castrent le potentiel de pleine réalisation. Ainsi, nous sommes revenu-e-s à l’un de nos buts permanents, la popularisation d’un haut niveau de débat politique découlant de la matrice de la pensée libertaire.

http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2011/06 ... uvoir.html
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Messagede Pïérô » 03 Aoû 2012, 14:34

Vers une Théorie libertaire du Pouvoir – 2e Partie


Bertolo et le Pouvoir comme fonction sociale de régulation

par Felipe Corrêa


« Vers une Théorie Libertaire du Pouvoir » est une série de compte-rendu de livres ou d’articles par des auteur-e-s du camp libertaire qui traitent du pouvoir. Son objectif est de présenter une littérature contemporaine des auteur-e-s traitant du thème en question et de contribuer par des éléments à l’élaboration d’une théorie libertaire du pouvoir, qui pourrait contribuer à l’élaboration d’une méthode d’analyse de la région et des stratégies sur une base libertaire, pour être utilisée par des individus et des organisations. Publié originalement en portugais sur le site Estratégia e Análise.


1ère partie : Ibáñez et le Pouvoir Politique Libertaire

Dans ce second article de la série, j’utiliserai l’article « Pouvoir, Autorité, Domination » [*] par Amedeu Bertolo. Les principales contributions de l’auteur seront présentées schématiquement.


DISCUSSIONS SUR LES QUESTIONS DU POUVOIR, DE L’AUTORITÉ ET DE LA DOMINATION

Selon l’auteur, « la coutume, non seulement en milieu académique, est de démarrer un essai de définitions sémantiques par : 1) un point de vue étymologique et/ou 2) un point de vue historique ». Toutefois, pour lui, aucune de ces approches sont vraiment de mises pour cette discussion qu’il tente de réaliser. Selon ses dires, l’étymologie des trois termes est d’origine distante, en termes de temps, ce qui pourrait même permettre de réaliser un exercice d’« archéologie linguistique ». Au-delà de ça, pour lui, les trois termes ont une signification originale très similaire. Le pouvoir, par exemple, « est dérivé du latin ‘polis’ (patron, propriétaire) »; « la domination est dérivé de ‘dominus’ (maître du ménage, chef de la famille); l’autorité, en contraste, provient du latin ‘auctor’, dont la signification originale est quelqu’un qui fait croire, qui ajoute quelque chose » [1].

En lien à cet usage historique des termes, Bertolo identifie qu’ils ont de multiples utilités et peuvent, dans plusieurs cas, être substitués l’un pour l’autre. Et dans ce cas, toujours selon lui, une analyse historique pourrait aussi ne pas résoudre les problèmes posés. Pour lui, « en rapport aux définitions de l’autorité et du pouvoir, elles ont tout pour tous le monde », ce qui le motive à chercher quelques définitions qui seront maintenant reproduites.

Définitions du pouvoir

« ‘Le pouvoir est a) une capacité ou une faculté naturelle à agir […] ; b) une faculté générale ou morale, un droit de faire quelque chose; c) une autorité, spécialement dans le sens concret, le corps constitué pour l’exercer, le gouvernement’ (Lalande, 1971). ‘Le pouvoir est la participation dans les prises de décision’ et ‘une décision est une ligne de conduite qui porte de sévères sanctions’ (Lasswell et Kaplan, 1969). Le pouvoir est le ‘droit d’être en charge’ (Ferrero, 1981). ‘Nous appelons pouvoir la capacité d’une classe sociale à réaliser ses intérêts objectifs spécifiques’ (Poulantzas, 1972). ‘Le pouvoir est l’habilité à établir et exécuter des décisions, même lorsque d’autres s’y opposent’ (Mills, 1970). Le pouvoir ‘est un corps permanent auquel nous sommes accoutumé-e-s à obéir, qui a des moyens matériels pour nous y obliger et cela, grâce à l’estime qu’une personne a de sa force, à l’estime de son droit de commander, qui est dans sa légitimité et dans l’espoir de sa bienveillance’ (Jouvenel, 1947). Par le pouvoir, quelqu’un doit comprendre ‘tous les moyens par lesquels quelqu’un peut persuader la volonté des autres hommes’ (Mousnier, 1971). Vous pouvez définir le pouvoir comme la ‘capacité de réaliser des désirs’ (Russell, 1967). ‘Par le pouvoir quelqu’un doit comprendre […] la possibilité pour des mandats spécifiques (ou tout mandat) d’être obéis par une partie d’un groupe donné d’homme’ (Weber, 1980). ‘Le pouvoir est une communication régulée par un code’ (Luhman, 1979). »

Définitions de l’autorité

« L’Autorité est ‘tout pouvoir exercé sur un humain ou un groupe de personne par un autre humain ou groupe’ (Abbagnano, 1964). ‘L’autorité est un rapport entre inégaux’ (Sennet, 1981). ‘L’autorité est une façon de définir et interpréter les différences de force’ (Sennet, ibid.) ‘L’autorité est une quête pour la stabilité et la sécurité de la force des autres’ (Sennet, ibid.). L’autorité est une ‘dépendance acceptée’ (Horkheimer, sans date). ‘L’autorité est la supériorité (psychologique) ou l’ascendance personnelle […] et le droit (sociologique) de décider et/ou commander’ (Lalande, 1971). ‘L’essence de l’autorité […] est de donner à un être humain cette sécurité et cette reconnaissance dans les décisions qui correspondent logiquement à un axiome effectif et supra-individuel ou à une déduction’ (Simmel, 1978). ‘L’autorité est la possession prévue et légitime du pouvoir’ (Lasswell et Kaplan, 1969). »

Définitions de la domination

Différemment des définitions larges du pouvoir et de l’autorité, l’auteur note que, en ce qui a trait à la domination, il y a un plus grand consensus autour du concept : « le mot domination est pratiquement seulement utilisé dans le sens du pouvoir imposé ad altri (par la loi ou par les faits) à la volonté d’une personne, avec des instruments de coercition physique ou mental ». Le terme domination, et ses adjectifs et verbes corrélant, est moins « multifonctionnel que l’autorité et le pouvoir. C’est peut-être à cause de la charge émotive négative répandue existant dans son usage actuel ». Mais encore, Bertolo met en évidence trois cas dans lesquels la domination est utilisée dans un sens « neutre » : Simmel (1978), « pour qui la domination est une catégorie universelle de l’interaction sociale, de laquelle le pouvoir est une forme particulière »; Dahrendorf (1970), « qui propose une définition de la domination comme ‘la possession de l’autorité, c'est-à-dire comme un droit de promouvoir des ordres autoritaires »; Lasswell et Kaplan (1969), qui considèrent que « la domination est un modèle effectif de pouvoir (mais utilisent le terme anglais ‘rule’, et non pas ‘domination’, qui pourrait être traduit différemment) ». [2]

Comme il peut facilement être noté des définitions plus haut, le champ sémantique pose certainement des difficultés dans le débat. Il y a, comme l’auteur l’indique, une question fondamentale qui est soulevée dans ce que vous pourriez appeler une question de forme-contenu, dans laquelle il est impossible d’approfondir la discussion en ne prenant que la forme (le nom de concepts tels que « pouvoir », « autorité », « domination », etc.) sans entrer dans le contenu, historiquement attribué par les auteurs dans la conversation sur les sujets. En ce sens, cela consiste à dépasser les termes – qui correspondent au nom attribué à une « boîte » particulière – et entrer dans les concepts – c'est-à-dire étudier le contenu de la boîte. Un aspect qui éliminerait déjà beaucoup des polémiques générées dans les discussions de l’univers libertaire [3].

Ainsi, comme l’écrit Bertolo, il est « nécessaire de résumer la tentative de définition d’une identification des concepts et contenus, même si, naturellement, cette façon de procéder implique quelques difficultés lexicales que nous tenterons de surmonter ». En réalité, les problèmes identifiés en lien avec la discussion sur le pouvoir n’existent pas seulement dans l’anarchisme : « il peut être réconfortant pour les anarchistes de savoir que même la science officielle n’a pas amené beaucoup de clarté à cet ensemble de « choses » (rapports, comportements, structures sociales, …) qui sont classifiées comme le pouvoir (ou comme l’autorité ou comme la domination) dans le dernier siècle ». Un problème qui, s’il affecte les sciences humaines en général, ne manquerait pas d’affecter l’anarchisme.


L’ANARCHISME ET LA THÉORIE DU POUVOIR

Bertolo identifie un fossé dans les discussions théoriques anarchistes sur le thème du pouvoir. Cela n’impliquerait, selon lui, pas nécessairement « de le détacher, mais au moins de définir clairement un nœud conceptuel extrêmement complexe – et non pas simplement trouver un accord sur les mots – un nœud central dans la pensée anarchiste ».

Paradoxalement, il écrit, « l’anarchisme – qui peut être observé comme la critique la plus radicale de la domination expliquée jusqu’à maintenant, une critique théorique et pratique – n’a pas produit de théorie du pouvoir plus articulée et développée que celle des apologistes de la domination ».

L’auteur croit que « les brillantes intuitions sur le pouvoir qu’avaient les ‘pères’ de l’anarchisme ne furent pas suivies par une réflexion sur leur importance ». Les intuitions qui, suivant cela, ne seraient pas fructueuses aujourd’hui, mais qui, si elles ne sont pas sujettes au débat et à l’approfondissement de la compréhension qu’on en a, courent le risque de « sclérose dans des formules stéréotypées, dans des croyances, dans des tabous, perdant une grande partie de leur utilité en tant qu’hypothèse fondamentale de travail pour l’interprétation et la transformation de la réalité ».

Le besoin d’approfondir le débat sur le pouvoir, par conséquent, serait fondamental dans le camp libertaire pour l’établissement de méthodes adéquates d’analyse et de stratégies capables de porter la transformation sociale. À cet effet, les intuitions que Bertolo a compris être présentes dans les classiques ne seraient pas suffisantes : « Les intuitions sont devenues sclérosées et le manque relatif de précisions terminologiques et conceptuelles, inévitable et peut-être nécessaire dans les premiers développements de la réflexion, devient un obstacle au progrès de la pensée et de l’action, la source d’‘orthodoxies’ injustifiables et, ainsi, d’‘hérésies’ injustifiables, d’immobilité traditionnelle et d’absurdité ‘novatrice’, des discussions sémantiques et d’impuissance sociale. »

Cet écrit de Bertolo tente, comme il le dit lui-même, « modestement et ambitieusement – de proposer quelques définitions qui, selon l’auteur, pourraient rendre le débat entre les anarchistes et les non-anarchistes moins ardu ». Autrement, il croit, un militant ou une militante court le risque de continuer un « dialogue de sourd ». Pour cela, il propose de définir, en terme de forme et de contenu, les notions de pouvoir, autorité et domination : « il est clair que le travail de définition est dirigée pas tellement sur les termes, mais sur les concepts derrière les termes et sur les contenus derrière les concepts ».


DÉFINITIONS PROPOSÉES

Cherchant un alignement conceptuel, Bertolo suggère des définitions standards pour le pouvoir, l’autorité et la domination.

Pouvoir

« La production et l’application des normes et sanctions définissent la fonction de la régulation sociale, une fonction pour laquelle je propose le terme pouvoir ». L’auteur croit que le pouvoir, définit en ces termes, est relié au concept de Proudhon de force collective, mais aussi avec la définition de Lasswell et Kaplan posée plus tôt : « Le pouvoir est la participation dans le processus de prise de décision » et « une décision est une ligne de conduite qui porte de sévères sanctions ». Il croit que Clastres travaille également avec une définition similaire pour distinguer un « pouvoir non-coercitif », qui ressemblerait à cette définition du pouvoir, et le « pouvoir coercitif », qui est proche de la définition de la domination de l’auteur. Pour Clastres, « le pouvoir politique comme coercition (ou comme relations de commandement-obéissance) n’est pas le modèle de pouvoir véritable, mais simplement un cas particulier ». Il maintient également que « le social n’est pas pensable sans le politique, en d’autres mots, il n’y a pas de société sans pouvoir ».

Dans ce sens, il y a quelques éléments qui devraient être soulignés. Pour Bertolo, le pouvoir est défini autour de la régulation sociale et peut être ou ne pas être coercitif (et ainsi impliquer la domination). Dans ce sens, comme toutes les sociétés ont des systèmes de régulation, il ne pourrait donc pas y avoir de société sans pouvoir, endossant l’affirmation de Clastres.

Identifiant que les auteur-e-s de la littérature sur le sujet utilisent le terme pouvoir pour décrire différentes catégories conceptuelles, l’auteur propose de « retenir ce terme pour définir […] la fonction sociale de régulation, les procès par lesquels une société est régulée, produit des standards, les applique, les fait respecter ». Et en ce sens, définir le pouvoir d’un niveau macro, qui fonctionnerait en termes de gestion sociétale et qui serait liée aux processus de prise de décision.

Autorité

Pour la catégorie de l’autorité, Bertolo défend l’usage suivant : « Je propose, finalement, de nommer autorité les asymétries de compétence qui détermine les asymétries de déterminations réciproques entre les individus et l’influence des asymétries liées aux caractéristiques personnelles. En ce sens, l’autorité serait fondamentalement liée à la capacité d’exécuter correctement une certaine activité et aux influences multiples qui, au niveau personnel, sont ainsi exercées ». Distinguant les rapports personnels et fonctionnels, Bertolo l’inscrit ainsi: « dans le cas des rapports personnels, nous pouvons définir l’asymétrie comme une influence; dans le cas des rapports fonctionnels, nous pouvons définir l’asymétrie comme de l’autorité ».

Domination

« La domination, alors, définit les rapports entre inégaux – inégaux en termes notamment de pouvoir, de liberté – les situations de ‘supraordination’ et de subordination; elle définit les systèmes d’asymétries permanentes entre les différents groupes sociaux. » La domination, en ce sens, impliquerait les inégalités de pouvoir qui définiraient des rapports permanents de commandement/obéissance, de même à l’échelle macro, non entre les individus, mais entre les groupes sociaux (castes, classes, etc.).

Les rapports de domination sont donc basés sur des rapports de commandement/obéissance, « dans lesquels le commandement a pour rôle de réguler le comportement de celui ou celle qui obéit ». Ce rapport de commandement/obéissance, selon Bertolo, ne provient pas de la fonction régulatrice. Il affirme qu’un individu n’obéit (dans le sens général) pas à une norme; pour lui, l’individu respecte une norme.

L’obéissance est connectée à une commande, « c'est-à-dire, à la manière qu’une norme est présentée à l’intérieur d’un système de domination ». Ainsi, la domination serait fondamentalement liée à l’« expropriation de la fonction régulatrice exercée par une minorité », responsable de faire respecter ses lois « au reste de la société » - c'est-à-dire qu’elle serait liée à l’imposition.

Par conséquent, si la « fonction sociale de régulation » d’une société est « exercée seulement par une partie de la société, si le pouvoir est ainsi le monopole d’une couche privilégiée (dominante), ceci engendre une autre catégorie, un ensemble de rapports hiérarchiques de commandement/obéissance que je propose d’appeler domination. » La domination, définie de cette façon, impliquerait la hiérarchie et le monopole du pouvoir.


POUVOIR, AUTORITÉ ET DOMINATION

Définis dans ces termes, Bertolo affirme que le pouvoir et l’autorité seraient des concepts « neutres », c'est-à-dire qu’ils ne sont pas nécessairement bons ou mauvais. L’autorité impliquerait quelque chose d’évident dans la société; les différences dans les compétences entre les individus et les groupes et l’interaction et l’influence mutuelle qui sont exercées entre les divers agents de tout rapport social. C'est-à-dire que c’est une catégorie qui touche la diversité sociale et l’endosse comme inévitable. En lien au pouvoir, l’auteur affirme : « nous définissons le pouvoir de cette façon comme ‘neutre’ et même comme fonction sociale nécessaire, non seulement pour l’existence de la société, de la culture et de l’humain, mais aussi pour l’exercice de cette liberté vue comme un choix entre certaines possibilités, que nous prenons comme point de départ pour notre discours. »

Ce rapport entre pouvoir et liberté nous permet de mieux comprendre les propositions de Bertolo. Pour lui, la liberté est directement liée à la possibilité de choix que chacun et chacune a et donc, « le niveau de participation au procès de régulation » est fondamental « pour la liberté comme auto-détermination, puisque plus l’individu est libre […] plus son accès au pouvoir est grande ». Si le pouvoir est défini autour des fonctions régulatrices d’une société, il est naturel que, plus ces fonctions sont partagées, plus le niveau de liberté dans cette société sera élevé. « Un accès égal au pouvoir pour tous les membres d’une société est ainsi, la condition première et inévitable de la liberté égale pour toutes et tous ». Ce que l’auteur nomme « pouvoir pour tous et toutes », c'est-à-dire une démocratisation généralisée du pouvoir, ou au moins une généralisation des opportunités pour l’accès au pouvoir, serait fondamental pour les processus sociétaux de la liberté, de l’égalité et, pourquoi pas, de la démocratie.

La différenciation entre les concepts de pouvoir et domination est fondamentale pour Bertolo. Le pouvoir, comme nous l’avons vu, impliquerait seulement la régulation sociale. Ce pouvoir peut être plus ou moins partagé dans une société donnée et, quand il est exercé par une minorité dans des rapports hiérarchiques de commandement/obéissance, ce pouvoir peut impliquer la domination. Plus que le pouvoir est collectif, plus grande est la liberté d’une société – et ainsi, il est possible de noter une connexion faite par l’auteur entre la liberté et l’égalité.


CONTRIBUTIONS PHILOSOPHIQUES

L’article de Bertolo contient également plusieurs réflexions philosophiques qui peuvent aider la compréhension du sujet. Plus bas, les principaux points de discussion sont brièvement présentés.

Bertolo souhaite prendre en compte les « déterminants culturels » de l’humain et non les « déterminants naturels » marqués par l’instinct et l’environnement qui, il croit, « ne jouent pas un rôle similaire chez cet étrange animal qu’est l’humain. » Pour lui, « l’humain ne connait pas d’instinct dans le sens strict (c'est-à-dire des réponses précises de comportements génétiquement hérités à des stimuli donnés de l’environnement), mais, au plus, des traces ou résidus d’instinct, qui n’ont que peu ou pas de signifiance sociale. » Par conséquent, il comprend que « pour l’humain, l’‘environnement’ est davantage culturel que naturel », étant donné que « l’environnement des êtres humains est constituée par des rapports avec d’autres humains et que les rapports avec le ‘monde des objets’ passent à travers une médiation symbolique. » Donc, une discussion au sujet du pouvoir doit échapper la poursuite d’instincts naturels humains, qui seraient présents dans une nature humaine donnée.

Quant à lui, l’environnement humain est beaucoup plus culturel que naturel; le pouvoir, d’une perspective de régulation sociale, n’est pas issu d’un instinct naturel ou d’une nature humaine spécifique, mais provient d’une culture déterminée forgée dans des rapports sociaux. « L’humain doit produire des normes, mais il peut produire les normes qu’il veut. » Les normes seraient ainsi une opération centrale de la société et leurs contenus ne seraient pas déterminés à priori, mais seraient forgés au milieu d’une réalité qui est à la fois culturelle et sociale.

Cette réalité sociale est forgée par un rapport dialectique entre les individus et la société, un rapport dans lequel les individus, alors qu’ils peuvent aussi déterminer la société, sont davantage déterminés par celle-ci : « l’individu seul est toujours davantage déterminé par la société qu’il ne peut la déterminer. Les humains produisent la société collectivement, mais sont modelés par elle individuellement ».

Ainsi, quelqu’un pourrait affirmer qu’un type de pouvoir qui implique la domination ne devrait pas être analysé par les instincts naturels ou par la nature humaine, mais par leurs rapports, qui impliquent des aspects sociaux et culturels. Bertolo identifie deux types fondamentaux de justification de la domination : « un premier type d’approche est celle qui, passant de la domination au pouvoir, justifie la première par des motifs biopsychologiques (c'est-à-dire des mécanismes psychologiques naturels et innés) : il y a des personnalités naturellement prédisposées à la domination et d’autres naturellement prédisposées à la soumission. » Cette approche repose sur « les éléments structurels les plus attrayants, revenant à dire que la subdivision ‘naturelle’ des humains en deux catégories (les maîtres de nature et les esclaves de nature) produit un effet bénéfique pour les deux et, ultimement, que c’est une admirable ingéniosité de la nature ou de la providence de rendre possibles la société humaine et les avantages dérivés de celle-ci. » « Le deuxième type d’approche est culturel », et ceux et celles qui le défende considèrent les explications naturelles du pouvoir/domination non-fondées. De cette approche, il est considéré que le pouvoir/domination « n’est pas l’effet d’une inégalité préexistante mais, au contraire, est la cause de la première inégalité fondamentale entre les humains ».

Bertolo croit quand même être capable de classifier les approches de la genèse du pouvoir/domination différemment : « celles qui l’assument explicitement ou implicitement, en exposant pareillement l’humain et/ou la société, et celles qui positionnent son apparition à un moment donné de l’histoire. »

Dans sa conception de la domination, l’auteur rejette les approches naturelles, biopsychologiques, proposant à la place une approche culturelle de la domination. Pour lui, les études comme celles de Clastres, comme par exemple son ouvrage La société contre l’État, démontrent qu’il y a une histoire de cultures qui n’ont pas eu de domination, mais seulement de pouvoir. Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, Bertolo identifie l’origine de la domination dans un changement culturel dans la société qui aurait survenu à un moment particulier, quand les humains avaient déjà vécu en société.


ANARCHISME, POUVOIR, AUTORITÉ ET DOMINATION

En partant des définitions proposées par Bertolo, certaines conclusions peuvent être faites. Divisant les asymétries dans les rapports sociaux entre l’autorité (fonctionnelle) et l’influence (personnelle), il peut être affirmé que l’auteur travaille avec 4 catégories clés :

1. Pouvoir : Fonction de régulation sociale, un ensemble de procès dans lequel une société s’autorégule en produisant des normes, en les appliquant, en les faisant respecter.

2. Domination : Fonction de régulation sociale qui est exercée par une partie de la société, le pouvoir étant le monopole d’un secteur (dominant) privilégié et impliquant des rapports hiérarchiques et ceux/celles qui commandent/obéissent.

3. Autorité : Asymétries de compétence qui détermine des asymétries de déterminations réciproques entres les individus.

4. Influence : Asymétries qui existent en raison de caractéristiques personnelles.

Quand l’auteur assume le pouvoir et l’autorité (incluant aussi l’influence) comme des catégories « neutres », il révise l’éthique/moralité anarchiste. Neutre parce que, dans ces termes, l’anarchisme a historiquement été considéré comme étant du camp des rapports sociaux, d’influences, d’autorité et de pouvoir éthiquement et moralement justifiables – en les comprenant, clairement, à partir des catégories définies par Bertolo.

Historiquement, l’anarchisme s’est positionné en opposition à la domination : pour les anarchistes la régulation sociale doit être collectivisée et les propositions d’autogestion, de fédéralisme et de démocratie directe ont toujours recherché ce sens du partage du pouvoir et de son exercice pour le bénéfice de la collectivité.

La société capitaliste et étatiste a toujours été comprise comme une société non seulement de pouvoir, mais de domination, puisque le pouvoir n’y est pas collectivisé et qu’il y est exercé seulement par une minorité – qui a été nommée de diverses façons (la classe dirigeante, la classe capitaliste, la bourgeoisie, etc…) – qui exerce des rapports hiérarchiques et de commandement/obéissance sur la majorité – (qui a été nommée prolétariat, classe opprimée, classe ouvrière, etc…).

En ce sens, la stratégie anarchiste a été conçue dans le but de transformer les rapports de domination en rapports de pouvoir, qui n’auraient aucune hiérarchie ou rapports de commandement/obéissance en eux. Le pouvoir recherché par l’anarchisme doit être collectivisé, socialisé; cela étant la participation au pouvoir – ou au moins l’opportunité de participer, l’ouverture à la population entière – qui devrait décider de ses règles et garantir leur application sur la base de mécanismes réellement démocratiques (démocratie directe), organisée par autogestion et fédéralisme.

* Amedeu Bertolo. « Poder, Autoridad, Dominio: una propuesta de definición ». Un article publié originalement en 1983 dans la revue italienne Volontà. Les citations sont traduites au portugais dans la version espagnole (et subséquemment retraduites en anglais, puis en français), traduite par Heloísa Castellanos, et disponible sur internet [ http://www.anarkismo.net/article/15050 ] et contenue dans le recueil produit par Christian Ferrer, « El Lenguaje Libertario », publié par Libros de Anarres/ Anarres Books de Buenos Aires en 2005.

________________________________________


Note :

1. J’ai eu recours, pour cette traduction, à l’original italien « Potere, autorità, dominio: una proposta di definizione ». En italien, Bertolo écrit : « Potere’ deriva dal latino potis (padrone, possessore), così come ‘dominio’ deriva da dominus (padrone di casa, capofamiglia); ‘autorità’ invece viene dal latino auctor che significava originariamente colui che fa crescere, che accresce. » Un passage quelque peu différent de la traduction espagnole : « Poder deriva del latín ‘polis’ (= patrin, amo) así como Dominación deriva de ‘dominus’ (dueño de casa, jefe de familia); Autoridad, en cambio, proviene del latín ‘auctor’, que en su origen significa el que hace crecer, el que acrecienta. » La version italienne peut être lue à l’adresse http://asperimenti.noblogs.org/files/20 ... ominio.pdf.

2. Bibliographie (en ordre de citation): A. Lalande, Dizionario critico di filosofia, ISEDI, Milán, 1971. / H. D. Lasswell y A. Kaplan, Potere e società, Etas, Milán, 1969. / G. Ferrero, Potere, Sugarco, Milán, 1981. / N. Poulantzas, in Franco Ferrarotti, La sociologia del potere, Laterza, Bari, 1972. / W. Mills, Politica e potere, Bompiani, Milán, 1970. / B. De Jouvenel, Il Potere, Rizzoli, Milán, 1947. / R. Mousnier, Le gerarchie sociali dal 1450 ai nostri giorni, Vita e pensiero, 1971. / B. Russell, Il potere, Feltrinelli, Milán, 1967. / M. Weber, Economía y sociedad, F.C.E., México, 1980. / N. Luhman, Potere e complessità sociale, Il Saggiatore, Milán, 1979. / N. Abbagnano, Dizionario di filosofia, UTET, Turín, 1964. / R. Sennet, La autorità, Bompiani, Milán, 1981. / M. Horkheimer, citado por T. Eschemburg, Dell’autorità, Il Mulino, Bolonia, 1970. / G. Simmel, Il dominio, Bulzoni, Roma, 1978. / R. Dahrendorf, Classi e conflitto de classe nella società industriale, Laterza, Bari, 1970.

3. Vous pouvez dire que Proudhon était contre l’autorité et pourriez facilement trouver des passages de ses écrits supportant cette affirmation. Similairement, quelqu’un pourrait dire que Bakounine était contre le pouvoir et pourrait également trouver support à cette affirmation dans ses textes théoriques. Toutefois, les deux affirmations deviennent vides de sens si vous ne dites pas ce que Proudhon voulait dire par autorité et ce que Bakounine voulait dire par pouvoir. En appliquant brièvement une analyse de contenu aux affirmations mises de l’avant, nous pouvons dire que Proudhon, en s’affirmant contre l’autorité, s’est opposé à l’autorité comme aliénation et appropriation de la force collective par un monopole; Bakounine, en s’opposant au pouvoir, s’est positionné contre l’État. Sans approfondir la discussion sur ces termes, le débat sur le pouvoir devient complètement vide de sens.


Traduction à l’anglais : Jonathan Payn (ZACF)
Révision de la version anglaise : Felipe Corrêa
Traduction au français : Blogue du Collectif Emma Goldman

http://ucl-saguenay.blogspot.ca/2012/05 ... uvoir.html
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Messagede bipbip » 13 Aoû 2012, 14:25

Dans le Manifeste pour une Alternative libertaire

Le contre-pouvoir et la rupture révolutionnaire

La révolution libertaire n’est pas une simple révolution politique substituant une équipe dirigeante à une autre, ou transformant les termes de la Constitution. C’est une révolution globale, touchant toutes les formes politiques, culturelles, économiques de la société. C’est pourquoi nous parlons de révolution sociale.

Les conditions de la révolution - ce qui peut conduire un peuple et des peuples sur la voie d’un tel bouleversement - ne sont ni uniquement idéologiques, ni uniquement « objectives ». La révolution n’est pas l’aboutissement mécanique d’un développement des forces productives. Elle n’est pas non plus le pur produit d’un processus idéologique. Elle ne peut survenir qu’au terme d’une dynamique ayant à son cœur les pratiques sociales, les pratiques réelles des masses et des individus, leurs luttes, qui se déploient dans les conditions matérielles de chaque époque, et qui permettent une prise de conscience collective et l’émergence de projets de transformation de la société portés de plus en plus largement.

La révolution sociale est donc préparée par un processus historique où la prise de conscience des individus et des classes sociales est l’élément central, qui s’appuie sur une expérimentation concrète à travers les luttes de classe, les luttes émancipatrices, et leur auto-organisation. Nous nommons contre-pouvoir ce processus. C’est en faisant eux-mêmes l’apprentissage de l’autogestion que les travailleurs poseront les bases d’une société alternative. C’est parce que le capitalisme et l’État apparaîtront comme des cadres trop étroits, étouffant cette montée des aspirations et des pratiques autogestionnaires de la base de la société, que celle-ci s’armera du désir de révolution.

La liberté n’est pas pour nous une fin lointaine autorisant le recours à n’importe quel moyen, mais au contraire et le but et le moyen. C’est une dynamique d’action et de conscientisation que nous proposons, non sous la conduite de dirigeants aveuglément suivis, mais au contraire par l’autogestion de luttes où s’expriment et se réalisent la base et les individus.

Le contre-pouvoir est donc une stratégie politico-sociale de préparation des conditions de la révolution sociale qui s’inscrit dès maintenant dans les combats quotidiens. Elle s’appuie sur les luttes revendicatives en dépassant le cadre imposé par le pouvoir des classes dominantes pour développer des contre-pouvoirs à la base. C’est en se coordonnant et en se fédérant que ces contre-pouvoirs tendront à s’ériger en organisation alternative à l’État.

La rupture révolutionnaire est le produit de tout ce processus, qui peut s’étendre sur de longues années : c’est le renversement des pouvoirs institués, patronaux, étatiques, par le contre-pouvoir, qui devient le pouvoir nouveau. Elle s’appuie sur une dynamique de réappropriations à la base de la vie sociale et de la production, en leur offrant le cadre nécessaire à leur systématisation.

La rupture anticapitaliste est le produit de deux mouvements articulés, indispensables l’un à l’autre. Il n’y a pas rupture révolutionnaire s’il n’y a pas réappropriation des moyens de production par les travailleurs. Et donc la lutte dans les entreprises et plus largement autour des questions du travail et de la production est bien un front prioritaire pour la lutte révolutionnaire. Mais il n’y a pas non plus de rupture sans un second mouvement social qui se développe hors de la production, gagnant de larges pans de la population et touchant tous les rouages de la société. Et donc l’entreprise ne saurait être la seule priorité du combat révolutionnaire.

Le prolétariat - dans la définition large qui est la nôtre - est bien la classe motrice et inspiratrice de la révolution sociale. Mais elle ne sera pas nécessairement la seule classe à mener la révolution. Elle a objectivement intérêt à s’allier à d’autres catégories de la population afin de réaliser un large front anticapitaliste. Il s’en suit que le nouveau pouvoir ne sera pas exclusivement le pouvoir du prolétariat - même s’il y pèse de façon décisive - et encore moins sa dictature, mais le pouvoir d’un groupe social nouveau, produit des nouveaux rapports de production autogestionnaires, s’unifiant dans un statut de citoyen-travailleur participant à la direction socialisée de la production, des études, et de la société.

Ce nouveau pouvoir ne pourra s’étendre immédiatement à l’ensemble de la population où s’exprimeront aussi les adversaires de la nouvelle société. C’est d’ailleurs là une des contradictions majeures de la révolution autogestionnaire dans sa première phase : construire une démocratie incomparable, et devoir combattre une partie de la population regroupée autour des vestiges de l’ordre ancien. Mais la dynamique est celle d’une disparition progressive des différences de classe.

Il y a donc, après la rupture révolutionnaire, une succession de phases de construction, et la première phase est encore marquée par les divisions héritées du capitalisme. Mais dès les premiers jours ce sont des rapports de production collectivistes - communistes au sens authentique - qui tendent à se mettre en place déjà dans les grands moyens de production et c’est aussi sur le mode de l’autogestion que se réorganisent les services publics et les solidarités naguère ébauchés et contrôlés par l’État. Et celui-ci est immédiatement remplacé par une nouvelle forme de centralisation et de décentralisation dialectique : le fédéralisme. Il y a donc succession de transitions où s’approfondit la construction du communisme, mais absence d’une société de transition étatisée intercalée entre capitalisme et communisme et différente de l’un et de l’autre.

Dans tout ce processus révolutionnaire - qui commence par des pratiques quotidiennes de contre-pouvoir - le rôle d’un courant organisé antiautoritaire nous paraît nécessaire. Nous refusons le rôle dirigeant que le léninisme attribue au parti révolutionnaire et qui conduit celui-ci à se substituer aux masses et finalement à imposer un système générateur de bureaucratie. Mais les révolutionnaires ont à jouer un rôle d’animateurs et de guides. Leur propagande entre dans la dynamique de prise de conscience de la population, en proposant une critique radicale du capitalisme et une systématisation du socialisme spontané des travailleurs. Leur action concertée, convergente, organisée, est nécessaire dans les luttes de classe pour aider au développement de l’auto-organisation et à l’émergence de projets alternatifs. Cette intervention volontaire est une des conditions du développement d’un processus qui n’obéit à aucune loi « inéluctable », et où la spontanéité a déjà montré dans l’histoire son extraordinaire valeur mais aussi son incapacité à mener seule le renversement de la société et l’institution d’un socialisme libre. La présence active d’un courant organisé antiautoritaire peut être décisive pour éviter les déviations bureaucratiques : un courant ayant les moyens de se faire entendre massivement par les travailleurs et les jeunes, mais également fortement implanté, formé de nombreux militants actifs dans les mouvements sociaux, en situations d’animateurs écoutés et influents. Nécessité de l’organisation, qui ne doit pas faire oublier que celle-ci peut tomber à son tour dans le dirigisme quelque soit ses prétentions libertaires, et qu’une autovigilance de tous les instants est indispensable, ainsi qu’une autogestion de la structure militante permettant la direction collective de l’organisation par sa base immergée dans la société.
http://www.alternativelibertaire.org/sp ... gestion%20
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Messagede bipbip » 01 Aoû 2014, 10:54

Sur le blog du Collectif Emma Goldman Saguenay, Quebec
Nous republions cet article du Centro de Investigación Libertaria y Educación Popular (en Colombie), traduit par le site Amerikenlutte, pour la carté avec laquelle il expose le concept de pouvoir populaire, l'autogestion généralisée et le projet libertaire.

Anarchisme et Pouvoir Populaire

“Malgré tout, dans tout le pays on entend un seul cri qui résonne dans les fabriques, les quartiers et les lycées : l’appel à créer, renforcer et multiplier le pouvoir populaire”
Miguel Enríquez

“Organiser les forces du peuple pour réaliser la révolution est la seule fin de ceux qui désirent sincèrement la liberté”
Mikhaïl Bakounine

“Favoriser les organisations populaires de tout type est la conséquence logique de nos idées fondamentales et, pour cela, devrait faire parti intégrale de notre programme”
Errico Malatesta


En principe associer anarchisme et pouvoir, avoir l’audace de les inclure dans le même titre semble être une contradiction irrésoluble ou une plaisanterie de mauvais goût contre tous ceux et celles qui luttent pour la liberté. Ceci, parce que le pouvoir est usuellement synonyme de domination et l’anarchisme sociopolitique, celui qui plaide pour une société sans gouvernement, refuse toute forme d’autorité, toute imposition de la volonté propre sur celle des autres. Cependant, le pouvoir ne doit-il être entendu que comme une imposition autoritaire, comme un “pouvoir sur”? Ne peut-on pas comprendre le pouvoir d’une autre manière, c’est à dire, comme un “pouvoir-faire collectif”, un “pouvoir-construire ensemble”?

Ce sont ceux d’en haut, ceux qui commandent, ceux qui nous ont fait croire que le pouvoir est un “objet” dont eux ont la possession, une “chose” détaillée des relations sociales, un appareil transcendant d’assujettissement. Mais, en revanche, nous, ceux et celles d’en bas, nous concevons le pouvoir d’une autre manière: non pas comme une “chose” mais comme une “relation”, comme un pouvoir social alternatif et libérateur. Ainsi, notre pouvoir est principalement une capacité collective d’imaginer et de créer dans le ici et maintenant une nouvelle société.

Maintenant, pour que ce pouvoir collectif soit populaire, l’agent ne peut être autre que le peuple, ce sujet pluriel qui se définit par la réunion des classes subalternes, des marginaux, des dépossédés, des exclus. Ce peuple n’est pas qu’un, il est multiple, il est une diversité d’aspirations, de formes et de projets de vie, de luttes et de résistances. De plus ce peuple n’est pas défini d’avance, n’est pas le résultat fixe d’une formule économique mais il est toujours en processus de constitution et qu’il ne se reconnaît comme classe subalterne seulement dans le cours de sa propre émancipation

C’est ce peuple pluriel, créé dans la lutte même, qui construit ce pouvoir collectif qui établit de nouvelles relations sociales, qui institue différentes habitudes et coutumes, qui instaure divers modes d’être.

Ainsi, le pouvoir populaire met en marche un nouvel ‘ethos’, une configuration alternative de sens, de significations, de langages, de valeurs, de normes et de structures partagées. En peu de mots, ce pouvoir collectif crée un autre monde possible, un monde différent qui s’affronte à celui que nous connaissons, le monde de la marchandise et de la domination qui engendre misère, exclusion, privilèges, discrimination, mort.

Pour cela le pouvoir populaire est une praxis qui à mesure qu’il transforme les lieux de vie des personnes crée un bloc contre-hégémonique, un bloc qui entre en confrontation directe avec l’ordre régnant. Comme processus, le pouvoir populaire sait que le chemin est long mais il a la chance de créer une nouvelle société avec chaque conquête du peuple.

Le pouvoir populaire est surtout puissance parce qu’il anticipe le monde futur, parce que dans le présent il manifeste ce qui est pour venir. De cette manière, il crée jour après jour des espaces de liberté, de solidarité, d’égalité et d’horizontalité. Cette dernière est très importante, vu qu’il ne sert à rien de construire une société libre en utilisant des moyens oppressifs, hiérarchiques et discriminatoires. La nouvelle société doit se construire, alors, par des moyens horizontaux, participatifs et intégratrice. Mais, de plus, en reconnaissant les différences, en prenant en compte le fait que chaque personne lève sa voix depuis sa perspective particulière.

Or, si le pouvoir populaire n’est pas synonyme de domination mais de création d’une société alternative diverse, horizontale et libre, anarchisme et pouvoir populaire ne vont-ils pas ensemble ? L’anarchisme n’a-t-il pas comme objectif la création d’un nouvel ethos où s’obtienne l’abolition de tout privilège économique, politique, social ? L’anarchisme ne cherche-t-il pas une société libre et égalitaire qui se construise ici et maintenant ?

En effet, l’anarchisme qui veut socialiser les moyens de production veut aussi socialiser le pouvoir et éviter que celui-ci se transforme en privilège de quelques individus. C’est pour cela que ce mouvement construit aussi un pouvoir collectif qui surgit des relations sociales libres et qui se conçoit seulement en horizontalité et diversité. De plus, comme ne se fatiguaient pas de le répéter Malatesta et Bakounine, l’anarchisme doit être bien à l’écoute du peuple, l’anarchisme doit surgir des opprimés, des exploités, des oubliés.

Pour que l’anarchisme le soit, il doit jaillir de la base. C’est d’en bas que se construit la nouvelle société, en évitant le centralisme, le commandement, la bureaucratie. C’est pour cela que l’anarchisme édifie depuis l’horizontalité, depuis l’assemblée, depuis l’action directe. Ce mouvement préfigure dans le présent la société alternative et pour cette raison que l’autogestion libertaire n’est pas plus que l’organisation anticapitaliste et antihiérarchique de la communauté concrète ; c’est la gestion directe que le peuple fait de son économie, de sa politique, de sa culture, de sa vie en commun.

En d’autres mots, l’autogestion anarchiste construit pouvoir populaire en créant des espaces alternatifs de vie collective, des lieux matériels et virtuels qui échappent au contrôle du capitalisme et de l’autorité. Siendo así, associer pouvoir populaire et anarchisme n’est pas une contradiction ni une plaisanterie de mauvais goût mais un défi rebelle, un appel à l’action.

Centro de Investigación Libertaria y Educación Popular (CILEP) - Colombie
25 février 2009.

http://ucl-saguenay.blogspot.fr/2013/10 ... laire.html
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Vers une Théorie libertaire du Pouvoir

Messagede bipbip » 11 Avr 2017, 15:13

Nestor Makhno
Les voies du pouvoir « prolétarien »


Cela fait bien longtemps que l'intelligentsia socialiste d'avant-garde a formulé, de manière plus ou moins achevée, les fins de la lutte historique du prolétariat contre la bourgeoisie et que les prolétaires, adoptant sans aucun correctif cette formulation de l'intelligentsia, sont rentré sous sa direction dans cette lutte. Cela a été un triomphe incontestable pour l'intelligentsia qui donné ainsi pour but de mener le prolétariat à l'émancipation complète par le biais par la destruction du pouvoir et de l'Etat bourgeois, devant faire place à un Etat et un pouvoir "prolétarien".

Bien naturellement, ni l'intelligentsia, ni le prolétariat lui-même n'ont pas épargné leur efforts et connaissances pour démontrer devant la plus grande audience le mal commis par l'Etat bourgeois. Grâce à cela ils ont pu développer et renforcer parmi les masses laborieuses l'idée d'un pouvoir "prolétarien" qui devrait résoudre tous leurs problèmes. Selon cette conception, le prolétariat utiliserait ainsi, à travers son pouvoir et Etat de classe, le seul moyen existant, pour lui et les autres classes, de se libérer de la bourgeoisie et d'instaurer un principe égalitaire et libre dans les relations entre les hommes. Une telle prédestination du pouvoir "prolétarien" nous a toujours semblé, à nous anarchistes, grossièrement erronée. Nos camarades des temps passés se sont constamment insurgés contre cette conception et ont démontré l'égarement déteste lorsque ceux-ci distinguaient le pouvoir "prolétarien" du pouvoir d'Etat en général, en désignant au premier une mission qui lui était profondément étrangère.

Les socialistes étatiques sont pourtant restés fidèle à leur école autoritaire et c'est avec cette acception qu'ils ont appréhendé la Grande Révolution russe, révolution d'une profondeur et ampleur sociales encore inconnue jusque là. Quant à nous, anarchistes, nous nous sommes arraché à leur prédestination du pouvoir "prolétarien". Au cours de cette polémique, nous avons démontré aux étatiste de tout Etat, qu'il soit bourgeois ou prolétarien, ne tend par sa nature même qu'à exploiter l'homme, qu'à détruire en chacun comme en tous toutes les qualités naturelles de l'esprit humain qui poussent à la liberté et à la solidarité qui la fonde. Cela nous a valu, de la part des socialistes étatistes, une haine encore plus grande. Or, l'existence et la pratique du pouvoir prolétarien en Russie ont confirmer et confirment sans cesse la justesse de notre analyse. L'Etat "prolétarien" a mis de plus en plus sa nature à nu et prouvé que son caractère prolétarien était simple fiction, ce que les prolétaires ont pu constater dès les premières années de la révolution, d'autant plus qu'ils ont contribué eux-même à l'installer.

Le fait que le pouvoir "prolétarien", au cours de sa dégénérescence, ne s'est révélé être qu'un pouvoir d'Etat tout court est devenu indiscutable et l'a amené à ne plus dissimuler savamment son vrai visage. Par sa pratique, il a abondamment prouvé que ses fins et celles de la Grande Révolution russe n'avaient absolument rien de commun. Au cours de toutes ces années d'hypocrisie, il n'a pu soumettre pacifiquement les fins de la révolution russe aux siennes propres et à du affronter tout ceux qui menaçaient de mettre à nu son essence véritable - une plaie immense et purulente sur le corps de la révolution -, dont la lâcheté et la fourberie apportent la mort et la dévastation à tous sans exception, en premier lieu à ceux qui tentent d'être indépendants et d'agir librement.

On peut se demander: comment se fait-il que cela se soit passé ainsi? Selon Marx et Lénine, le pouvoir "prolétarien" ne devait en aucun cas ressembler au pouvoir bourgeois. Une partie de l'avant-garde du prolétariat n'aurait-elle pas sa part de responsabilité dans ce résultat?

De nombreux anarchistes sont enclins à penser que le prolétariat n'y est pour rien, ayant été dupé par la caste des intellectuels socialistes, laquelle aspirerait, au cours d'une série d'événement purement socio-historique et en vertu de la logiques des transformations étatiques inévitables, à remplacer le pouvoir de la bourgeoisie par le sien propre. Ce serait pour cette raison que l'intelligentsia socialiste s'efforcerait de diriger en permanence la lutte du prolétariat contre le monde capitaliste et bourgeois.

A mon avis, cette formulation n'est, ni tout à fait exacte, ni vraiment suffisante. L'expérience révolutionnaire de la Russie nous fournit d'abondantes données objectives à ce sujet. Elle nous montre de façon irréfutable que le prolétariat n'a nullement été homogène au cours de la révolution. Ainsi, le prolétariat urbain, lorsqu'il a participé au renversement dans de nombreuses ville du pouvoir de l'ennemi de classe - la bourgeoisie - , a hésité un moment entre les voies de la révolution de Février et d'Octobre 1917. Ce n'est qu'après un certain temps, à la suite de la victoire militaire d'Octobre sur Février, qu'une partie notable du prolétariat urbain à commencé à fusionné avec une partie de ses frères, les partisans directs des conquêtes d'Octobre. Bientôt, cette partie du prolétariat non seulement à oublier de défendre elle-même ses conquête, mais s'est en plus pressée de rallier le parti bolchevik au pouvoir qui a su flatter immodérément en lui inculquent un goût pour les privilèges politiques, économiques et juridiques de classe. Imbue de ses privilèges de classe, cette partie du prolétariat s'est éprise d'un égal amour pour son "Etat prolétarien de classe". Bien évidemment, le parti social démocrate bolchevik l'a entièrement soutenue et encouragée dans cette évolution, car celle-ci ouvrait devant lui une large arène pour appliquer son programme propre qui consistait à utiliser la lutte révolutionnaire pratique du prolétariat pour se soumettre l'ensemble de celui-ci puis de s'emparer au nom du pouvoir d'Etat, Chemin faisant, pour mieux se singulariser, le parti social démocrate bolchevik s'est transformé en parti "communiste bolchevik", ne se privant aucunement d'user de la démagogie la plus effrontée, ne dédaignant aucun moyen, n'hésitant pas au besoin de voler des programmes d'autres formations politiques; tout ce la dans l'unique but de mieux faire adhérer le prolétariat, auquel il promettait son aide indéfectible, alors qu'en fait il n'avançait que vers son propre but. C'est en cela que ce parti a incarné au mieux les espérances historiques de la caste intellectuelle: replacer au pouvoir la bourgeoisie et exercer ce pouvoir à quelque prix que ce soit. Une partie du prolétariat ne s'est pas opposé à ses vues, bien au contraire, elle s'est reconnue dans ses action et ne s'en est faite la complice.

Cette partie du prolétariat avec pourtant été éduquée durant des générations dans l'idée que le prolétariat ne s'émanciperait de la bourgeoisie que lorsqu'il ne briserait son pouvoir, à détruire son organisation étatique afin d'édifier la sienne propre. Néanmoins, cette partie du prolétariat a aidé le parti bolchevik-communiste à organiser son "pouvoir prolétarien" et à édifier son état de classe.

La voie suivie et les moyens employés n'ont pas tardé à rendre cette partie du prolétariat semblable en tous points à la bourgeoisie renversée, tout aussi impudente et arrogante, ne craignant pas abuser de la violence la plus féroce pour asseoir sa domination sur le peuple et la révolution.

Il va sans dire que cette violence était toute naturelle chez la caste intellectuelle du parti, car elle était préparée durant de longues années à l'utiliser et s'en est grisée. Quand à la masse du prolétariat - l'esclave muet d'hier -, la violence exercée sur ses semblable lui est profondément étrangère. Occupée à édifier son "Etat de classe", une partie du prolétariat a donc été amenée à se comporter, parl'usage de la violence d'une manière répugnante à l'égard de la liberté individuelle, de la liberté de parole et d'expression de quelqu'organisation révolutionnaire que ce soit, à partir du moment où elle divergeait d'avec l'impudence du "pouvoir prolétarien". Cette partie du prolétariat s'est empressée d'occuper, sous la direction du parti bolchevik communiste, les places laissées vacante par les despotes de la bourgeoisie renversée, devenant à son tour une maîtresse tyrannique, n'hésitant pas à user pour cela de la violence la plus horrible, sans aucun discernement, contre tous ceux qui s'opposaient à ses visées. Ce comportement a été en même temps habilement masqué par la "défense de la révolution".

Cette violence a été surtout exercée sur le corps de la révolution russe au profit des intérêts étroit d'une partie du prolétariat et du parti bolchevik-communiste, et au nom de leur domination complète sur toutes les autres classes laborieuses. On ne peut y voir seulement un égarement passager du prolétariat. Encore une fois, nous pouvons constater avec beaucoup de netteté comment tout pouvoir d'Etat manifeste impudemment sa nature, le qualificatif de prolétarien n'y changeant absolument rien.

A mon avis, c'est pour toutes ces raisons que tous les camarades étrangers, qui n'ont pas connu cette expérience, doivent étudier avec soin toutes les étapes de la révolution russe, en particulier le rôle qu'y ont joué la parti bolchevik-communiste et la partie du prolétariat qui l'a suivi. Cela afin de se garder de tomber dans les mêmes erreurs, à la suite de la démagogie éhontée des bolchevik et de leurs partisans, à propos de l'utilité du "pouvoir prolétarien".

Il est également vrai que la lutte actuelle de tous nos camarades contre le mensonge bolchevik dont être menée à l'aide de sérieuses connaissances de ce qu'ils peuvent proposer eux-même aux larges masses à la place de ce "pouvoir prolétarien". Les beaux slogans ne suffisent pas, bien que souvent la masse n'y soit pas indifférente. Cette lutte s'y déroule à partir de situation concrètes et amène à se poser continuellement les questions vitales et pressantes: comment et quels moyens d'actions sociales les masses laborieuses doivent-elles employer pour s'émanciper totalement?

Il convient de répondre à de telles questions le plus directement possible et avec la plus grande clarté. C'est une nécessité essentielle, non seulement pour pouvoir mener une lutte active contre le monde capitaliste et bourgeois, mais aussi pour notre mouvement anarchiste, car c'est d'elle que dépendra l'influence de nos idée sur le début et l'issue de cette lutte. Cela signifie donc que le prolétariat ne doit pas répéter l'erreur commise par ses frère de Russie, c'est a dire de ne pas s'occuper d'organiser un "pouvoir prolétarien", sous la baguette quelconque d'un parti, même dit "prolétarien", mais uniquement d'organiser la satisfaction des besoins de tous et de défendre la révolution contre toutes sortes de pouvoir d'Etat.


https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... roletarien
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05


Retourner vers Débats théoriques

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 3 invités