Re: Stratégies syndicales
Posté: 29 Aoû 2017, 00:42
Autonomie du mouvement social: reprendre le débat
Par Théo ROUMIER
Le rapport au « politique » n’est pas vraiment une nouveauté pour les mouvements sociaux. Il n’a en fait pas cessé de les traverser. On assiste aujourd’hui à un retour en force des volontés d’hégémonie qui viennent menacer l’autonomie du mouvement social. En mettant à disposition des réflexions anciennes… mais aussi quelques remarques bien actuelles, il s’agit ici de retrouver le fil de ce débat.
Il semblerait donc qu’il faille reprendre le débat sur l’autonomie du mouvement social. Rien n’est jamais acquis (même nos conquis sociaux d’ailleurs). Pour preuve, un récent article sur l’Université d’été des mouvements sociaux invitée par Attac se faisait ainsi l’écho des « tiraillements » traversant cette association quand aux liens à entretenir avec la France insoumise. Un peu avant dans l’été, à la mi-juillet, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, invitait justement à « réinterroger la Charte d’Amiens », texte adopté par la CGT de 1906, d’inspiration syndicaliste révolutionnaire et qui affirme à la fois l’indépendance du syndicalisme comme sa volonté d’en finir avec le capitalisme. La proposition consistait en quelque sorte à trouver des « adaptations » à cette indépendance. Ce fut l’occasion d’un premier échange avec deux billets publiés sur Mediapart : « Réinterroger la Charte d’Amiens : et pourquoi pas ? » et « La Charte d’Amiens, bible du syndicalisme du 21ème siècle ? ». Beaucoup de choses y étaient déjà dites et je reproduis plus bas une réponse au billet Pierre Khalfa.
Aujourd’hui, parmi nombre de syndicalistes, on peut observer un agacement au sujet de l’initiative prise par la France insoumise d’une manifestation le 23 septembre (il suffit de voir les réactions de Philippe Martinez à ce sujet) quand la CGT et l’Union syndicale Solidaires appelaient déjà à une journée de grève le 12 septembre. Il ne s’agit pas de chercher à se fâcher « à tout prix » avec les nombreuses et nombreux insoumis.es qui sont partie prenante de la contestation aux politiques macroniennes et patronales. Ce serait bien mal inspiré. Mais il est légitime de rappeler l’exigence d’autonomie du mouvement social… et de la défendre.
Ce n’est pas un débat neuf. Il avait d’abord eu lieu, les arguments affutés de part et d’autre tout en étant respectueux, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Il s’appuyait sur la publication de deux appels pour l’autonomie du mouvement social, le premier publié dans Libération à l’été 1998, en ligne ici 3, et un second, que les lectrices et lecteurs pourront consulter en PDF en fin de billet, lancé en octobre 1999 et signé notamment par Pierre Bourdieu (ce qui avait occasionné une réponse de Daniel Bensaïd et Philippe Corcuff 3). On trouvera également ci-dessous deux articles de 1998 se répondant (et qui n’étaient pas disponibles en ligne jusqu’ici) : l’un paru dans l’hebdomadaire Rouge, l’autre dans le mensuel Alternative libertaire (remarquons au passage que ces échanges ont eu lieu dans les colonnes de titres de presse d’organisations politiques. On ne peut que regretter qu’alors des revues émanant des gauches syndicales et qui auraient pu accueillir ces discussions, comme 3Résister ou Collectif 3, aient disparu).
Sur le fond, à la lecture de ces contributions, on pourrait tout à fait reprendre les échanges là où ils en étaient restés.
S’il ne s’agit pas, loin de là, d’abandonner l’autonomie « défensive », qui a pour pivot le refus de l’hégémonie du « politique » sur le « social » (et incarnée par qui, quelle force ou quel parti du reste ? il y aurait là un terrible ferment de division), il est évident que la question restée en jachère est celle d’une autonomie « offensive », qui reprendrait justement ce sillon de la « double besogne, quotidienne et d’avenir » tracé par la Charte d’Amiens pour l’adapter aux coordonnées contemporaines. Il faut sans doute regarder de plus près du côté des coopératives autogérées (pensons à nos camarades de Scop-Ti 3) ; s’intéresser aux engagements associatifs et collectifs retissant les solidarités abîmées dans les villes et les quartiers ; redonner toute leur place aux unions locales syndicales dans l’organisation des contestations, sur le terrain même de l’exploitation et des oppressions ; être attentives et attentifs aux nouveaux espaces de l’action syndicale, notamment parmi les travailleuses et travailleurs « ubérisé.es » ; réfléchir aux droits nouveaux que nous voulons arracher, au travail, dans la vie, et les populariser... bref, reconstruire du politique à partir des légitimités sociales qui sont les nôtres et pas celles, institutionnelles, de nos adversaires. Parce qu’en réalité, il ne s’agit pas tant de prendre le pouvoir que d’en construire un autre.
Mais revenons déjà sur l’actualité de la Charte d’Amiens.
... https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier ... e-le-debat
Par Théo ROUMIER
Le rapport au « politique » n’est pas vraiment une nouveauté pour les mouvements sociaux. Il n’a en fait pas cessé de les traverser. On assiste aujourd’hui à un retour en force des volontés d’hégémonie qui viennent menacer l’autonomie du mouvement social. En mettant à disposition des réflexions anciennes… mais aussi quelques remarques bien actuelles, il s’agit ici de retrouver le fil de ce débat.
Il semblerait donc qu’il faille reprendre le débat sur l’autonomie du mouvement social. Rien n’est jamais acquis (même nos conquis sociaux d’ailleurs). Pour preuve, un récent article sur l’Université d’été des mouvements sociaux invitée par Attac se faisait ainsi l’écho des « tiraillements » traversant cette association quand aux liens à entretenir avec la France insoumise. Un peu avant dans l’été, à la mi-juillet, Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, invitait justement à « réinterroger la Charte d’Amiens », texte adopté par la CGT de 1906, d’inspiration syndicaliste révolutionnaire et qui affirme à la fois l’indépendance du syndicalisme comme sa volonté d’en finir avec le capitalisme. La proposition consistait en quelque sorte à trouver des « adaptations » à cette indépendance. Ce fut l’occasion d’un premier échange avec deux billets publiés sur Mediapart : « Réinterroger la Charte d’Amiens : et pourquoi pas ? » et « La Charte d’Amiens, bible du syndicalisme du 21ème siècle ? ». Beaucoup de choses y étaient déjà dites et je reproduis plus bas une réponse au billet Pierre Khalfa.
Aujourd’hui, parmi nombre de syndicalistes, on peut observer un agacement au sujet de l’initiative prise par la France insoumise d’une manifestation le 23 septembre (il suffit de voir les réactions de Philippe Martinez à ce sujet) quand la CGT et l’Union syndicale Solidaires appelaient déjà à une journée de grève le 12 septembre. Il ne s’agit pas de chercher à se fâcher « à tout prix » avec les nombreuses et nombreux insoumis.es qui sont partie prenante de la contestation aux politiques macroniennes et patronales. Ce serait bien mal inspiré. Mais il est légitime de rappeler l’exigence d’autonomie du mouvement social… et de la défendre.
Ce n’est pas un débat neuf. Il avait d’abord eu lieu, les arguments affutés de part et d’autre tout en étant respectueux, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Il s’appuyait sur la publication de deux appels pour l’autonomie du mouvement social, le premier publié dans Libération à l’été 1998, en ligne ici 3, et un second, que les lectrices et lecteurs pourront consulter en PDF en fin de billet, lancé en octobre 1999 et signé notamment par Pierre Bourdieu (ce qui avait occasionné une réponse de Daniel Bensaïd et Philippe Corcuff 3). On trouvera également ci-dessous deux articles de 1998 se répondant (et qui n’étaient pas disponibles en ligne jusqu’ici) : l’un paru dans l’hebdomadaire Rouge, l’autre dans le mensuel Alternative libertaire (remarquons au passage que ces échanges ont eu lieu dans les colonnes de titres de presse d’organisations politiques. On ne peut que regretter qu’alors des revues émanant des gauches syndicales et qui auraient pu accueillir ces discussions, comme 3Résister ou Collectif 3, aient disparu).
Sur le fond, à la lecture de ces contributions, on pourrait tout à fait reprendre les échanges là où ils en étaient restés.
S’il ne s’agit pas, loin de là, d’abandonner l’autonomie « défensive », qui a pour pivot le refus de l’hégémonie du « politique » sur le « social » (et incarnée par qui, quelle force ou quel parti du reste ? il y aurait là un terrible ferment de division), il est évident que la question restée en jachère est celle d’une autonomie « offensive », qui reprendrait justement ce sillon de la « double besogne, quotidienne et d’avenir » tracé par la Charte d’Amiens pour l’adapter aux coordonnées contemporaines. Il faut sans doute regarder de plus près du côté des coopératives autogérées (pensons à nos camarades de Scop-Ti 3) ; s’intéresser aux engagements associatifs et collectifs retissant les solidarités abîmées dans les villes et les quartiers ; redonner toute leur place aux unions locales syndicales dans l’organisation des contestations, sur le terrain même de l’exploitation et des oppressions ; être attentives et attentifs aux nouveaux espaces de l’action syndicale, notamment parmi les travailleuses et travailleurs « ubérisé.es » ; réfléchir aux droits nouveaux que nous voulons arracher, au travail, dans la vie, et les populariser... bref, reconstruire du politique à partir des légitimités sociales qui sont les nôtres et pas celles, institutionnelles, de nos adversaires. Parce qu’en réalité, il ne s’agit pas tant de prendre le pouvoir que d’en construire un autre.
Mais revenons déjà sur l’actualité de la Charte d’Amiens.
... https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier ... e-le-debat