antispécisme / veganisme

Re: antispécisme / veganisme

Messagede Cramazouk » 07 Fév 2011, 18:57

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Re: antispécisme / veganisme

Messagede skum » 12 Fév 2011, 00:51

Bien zak.

(Un petit dernier tour et puis je m'en vais, si il y avait possibilité de désactiver mon compte :wink: )

MANUEL DE CONVERSATION POUR UN DEBAT SUR LE VEGETARISME SUR LES FORUMS

Au cours de mes tribulations sur internet, j’ai observé que les débats relatifs au végétarisme ou à la protection animale se ressemblent tous. J’ai donc pris de mon temps pour vous livrer une synthèse de ce qui va se passer au cours de la conversation. Il n'y a aucun jugement de ma part, je ne cautionne pas tous les propos, c'est seulement que c'est comme ça que ça se passe.

Une personne va lancer un débat sur le végétarisme (ou la protection animale), peu importe que cette personne soit pour ou contre, et peu importe le contenu du premier message.

Un végétarien va intervenir pour dire qu’en effet, il est végétarien, et qu’il se porte bien.

Un non-végétarien va dire qu’il est ridicule d’être végétarien, puisque l’homme a toujours mangé de la viande.

Le végétarien va lui dire que l’ancienneté d’une tradition n’est pas gage de sa moralité, et qu’en effet, on a toujours pratiqué le meurtre, l’excision, et la discrimination.

Le non-végétarien va lui dire qu’il est choquant de comparer le meurtre et la viande, puisque dans un cas, on tue, mais que dans l’autre cas, euh, eh bien, on tue aussi, mais c’est qu’un animal.

Le végétarien va dire qu’à certaines époques, on tuait des gens, parce que ce n’étaient que des noirs.

Le non-végétarien va s’énerver car la comparaison entre l’animal humain et l’animal non humain est un tabou qu’il est dangereux de briser.

Un intervenant poste une photo de viande crue.

Divers forumers lui signalent gentiment que ça ne fait pas avancer le shmilblick.

Un non-végétarien va dire que de toute façon, les hommes préhistoriques mangeaient de la viande, et que donc, on doit en manger. Le végétarien va lui suggérer de s’habiller en peau de bête brute, de vivre dans une grotte et de tirer sa femelle par les cheveux puisque c’est ainsi que les hommes préhistoriques faisaient
(existe aussi en version: je mange de la viande parce que les lions mangent les gazelles).

Un non végétarien rappelle que l'homme est un omnivore. Le végétarien lui dit que ça ne dispense pas de faire des choix puisque l'homme peut s'adapter à un régime végétarien, et ajoute que bien que le non-végétarien ait des jambes, il a quand même une voiture ou un vélo et qu'il n'est pas si attaché que ça à son état de nature finalement.

Le non-végétarien dit alors que l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire. Un végétarien lui demande si ce sont les hommes qui mangent les lions ou plutôt le contraire, et dit que quand bien même les hommes seraient en haut de la chaîne alimentaire, ça ne justifierait pas l'horreur de la condition animale aujourd'hui.

Le non-végétarien va dire que de toute façon, il faut manger des protéines, un végétarien va lui expliquer qu’on trouve des protéines ailleurs que dans la viande, et surtout dans les céréales et légumineuses.

Le non-végétarien va demander une source.
Le végétarien la lui donne sous forme de lien.
Le non-végétarien conteste la fiabilité de la source.
Le végétarien lui donne une dizaine d’autres sources.
Le non-végétarien conteste la fiabilité de toutes les autres sources.
Le végétarien demande au non-végétarien de lui fournir une source prouvant qu’il est impossible de manger équilibre en étant végétarien.
Le non-végétarien ne peut pas la fournir mais précise que sa belle-sœur était secrétaire dans un cabinet de diététique et qu’il sait de quoi il parle.

Un autre non-végétarien trouve que la source est trop longue à lire et donne un de ses arguments dont la réponse est dans la source qu'il n'a pas voulu lire.

Un non végétarien dit que la preuve que les végétariens ont des carences, c'est que tous les végétariens qu'il connait ont un teint très blancs et sont fatigués. Un végétarien lui demande combien de végétariens il connait exactement, où il les a rencontrés, et s'il y a moyen de les contacter. Le non végétarien disparait de la conversation.

Un non-végétarien signale aux végétariens que les carottes crient quand on les coupe.

Les végétariens lui font un cours accéléré de biologie des systèmes nerveux, et lui suggèrent de devenir végétarien s’il se soucie vraiment de la souffrance des plantes, puisqu’il faut en effet beaucoup de plantes pour nourrir la viande qu’il mange.

Le non-végétarien dit que les végétariens essaient de le convertir.

Les végétariens disent qu’en effet , il serait bon que l’on mange globalement moins de viande, la production de celle-ci étant extrêmement polluante et affamant les pays les plus pauvres.
Le non-végétarien demande une source.
Le végétarien la lui donne sous forme de lien.
Le non-végétarien conteste la fiabilité de la source.
Le végétarien lui donne une dizaine d’autres sources.
Le non-végétarien conteste la fiabilité de toutes les autres sources.
Le végétarien demande au non-végétarien de lui fournir une source prouvant que la production de viande n’est pas néfaste pour l’environnement.
Le non-végétarien ne peut pas la fournir mais précise que son beau-frère est chauffeur au ministère de l’environnement et qu’il sait de quoi il parle.

Un non-végétarien croit le végétarien mais dit que ce problème est un problème de production, que c'est l'industrie qui est mauvaise, mais que ce n'est pas sa faute à lui si il y a un problème dans la production. Un végétarien lui explique le système de l'offre et de la demande.
Un non-végétarien va dire que de toute façon, la vie d’un animal ne vaudra jamais celle d’un homme.
Un groupe de végétariens se lance dans une réflexion philosophique sur la valeur de la vie et laisse les non-végétariens en plan.

Un anti-végétarien débarque et dit que les végétariens ont tous des carences.
Un végétarien le renvoie gentiment à la première page au moment ou la conversation parle de nutrition.

Un non-végétarien se demande ce que feraient les végétariens s'ils étaient dans le désert avec seulement une tranche de jambon.

Un non végétarien va dire qu’on ferait mieux de s’occuper des enfants qui crèvent de faim plutôt que des conditions de vie des poulets en batterie.
Un végétarien lui explique par a+b que le végétarisme est une façon efficace de lutter contre la faim dans le monde.
Le non-végétarien s’énerve, culpabilise, et demande une source (voir ci-dessus).

Un intervenant lance le débat sur l'antispécisme. Rapidement, le point Godwin est franchi.

Un intervenant dit que lui, il a déjà mangé du cheval, que c'était très bon, que s'il le pouvait il mangerait du rat, et que rien ne vaut une bonne entrecôte bien saignante.
Un végétarien lui demande s’il ne trouve pas que la gourmandise pèse peu face aux problèmes environnementaux crées par la consommation de viande.
Le non végétarien dit que de toute façon, le végétarien n’est pas parfait (recycle t-il ses déchets ? roule t-il en voiture ? et d'ailleurs que fait-il devant son ordinateur, là? ) et qu’il n’a pas de leçon à lui donner, et que de toute façon, on leur interdit tout, fumer, boire, et maintenant la viande ? ah non c’est pas possible.

Un intervenant corrige les fautes d’orthographe de tous les autres.
Un intervenant opposé engueule celui qui corrige les fautes d'orthographe.
Un opposant à l'opposé corrige les fautes d'orthographe de l'opposé.

Un troll met en relation végétarisme et anorexie, et il sait de quoi il parle, car sa cousine, qui est végétarienne (elle ne mange que du blanc de poulet) a fini par devenir anorexique.


Un intervenant dit que c’est bien joli, mais qu’il faut de la viande pour être fort, d’ailleurs, regardez les sportifs, ils ne sont pas végétariens.
Un végétarien lui fournit une liste des plus grands champions végétariens et végétaliens.


Un non-végétarien dit que lui, de toute façon, il n’est pas concerné, puisqu’il consomme exclusivement la viande de la ferme de sa mamie sur laquelle il habite (la ferme, pas la mamie).
Le végétarien lui dit que si à chaque fois qu'on lui avait dit ça c'était vrai, il n'y aurait pas de rayon viande au supermarché.
Le non végétarien lui dit que peut-être, mais lui, c'est vrai.

Un non-végétarien dit que de toute façon, il est trop pauvre pour être végétarien. Le végétarien lui rappelle que c’est la viande qui coûte cher.

Un non végétarien explique qu’Hitler était végétarien. Un végétarien dément à grand renfort de liens historiques chiants qu’on ne lira pas, et explique qu’en revanche, Einstein et Léonard de Vinci étaient biens végétariens.
Débat sur le QI d’Einstein, et ses théories simplistes probablement dues à son végétarisme.

Un végétarien hypersensible débarque et dit que c’est dégueulasse et monstrueux de faire subir des tortures aux animaux pour le simple plaisir alimentaire. Levée de boucliers des non-végétariens qui tiennent enfin leur preuve que les végétariens sont des extrémistes, et démenti gêné de la plupart des végétariens du forum qui disent comprendre les réactions des deux côtés.

Un intervenant dit que tout ça lui a donné faim et que d'ailleurs il est en train de manger un steak, là, derrière son ordinateur.

Un pesco-végétarien arrive et se fait engueuler par les deux parties, parce qu’il mange du poisson et se dit végétarien ou parce qu’il ne mange pas de viande. Un intervenant dit qu’effectivement, les végétariens mangent du poisson, alors que les végétaliens (qui eux sont vraiment des extrémistes) n’en mangent pas. Un végétarien et wikipédia remettent les points sur les « i ».

Un non-végétarien va dire que le soja est mauvais pour la santé et l’environnement, un végétarien va lui dire que s’il a des craintes de ce côté-là, il peut arrêter de manger de la viande, puisque les animaux sont souvent nourris au soja qui a poussé sur ce qui fut la forêt amazonienne.

Un végétarien va dire que le végétarisme est une forme de décroissance alimentaire.
Un intervenant va demander ce qu’est la décroissance.
Un non végétarien va dire que c’est pas écolo de manger du tofu importé d’Asie. Le végétarien va lui apprendre qu’on produit du tofu en France, et demande au non-végétarien s’il mange de l’agneau de Nouvelle-Zélande, du bœuf du Chili, du café, et des bananes.

Un vegan vaporeux et poétique poste une phrase que personne ne comprend.

Un non végétarien insinue un manque d’activité sexuelle chez les végétariennes. Une végétarienne lui fait le coup de la B12, ce qui fait rire les autres végétariens mais pas les non-végétariens puisqu’ils ne savent pas ce qu’est la B12, ni le « coup de la B12 ».

Un non végétarien s’indigne du fait que les végétariens se croient toujours plus intelligents. Entrant dans son jeu, un végétarien lui poste plusieurs articles relatant les liens entre végétarisme et QI.
Le non-végétarien va dire que de toute façon, pour les végétariens, ils ne sont que des bouffeurs de cadavre. Le végétarien va lui demander s’il mange directement la viande sur le dos de l’animal vivant, et lui dit que dans le cas contraire, en effet, il mange bien du cadavre.

Un non-végétarien comprend le coup de la B12 et essaie de brancher une végétalienne.

Un intervenant poste une photo de viande crue. Tout le monde lui signale qu’on leur a déjà fait le coup.
Un végétarien poste Earthlings. Un non-végétarien prétend que la vidéo est truquée. Tout le monde culpabilise et s’énerve.

Un modo intervient pour dire à tout le monde de se calmer.

N’ayant pas lu le début de la conversation, un non-végétarien rappelle que les salades souffrent quand on les arrache. Les MP des végétariens explosent car ils avaient tous parié sur le prochain qui ferait le coup du cri de la carotte. Les végétariens se foutent quand même un peu de la gueule du crieur de carottes sur le forum, mais celui-ci ne comprend pas le truc et croit avoir cloué le bec aux bouffeurs de carottes.

Un non-végétarien dit que de toute façon, la bouffe végétarienne est dégueulasse. Un végétarien poste un lien vers son blog de cuisine. La moitié des lecteurs du forum se fait un plat végétarien le soir même.

Deux types floodent sur des recettes de cuisine pendant trois pages.

Croyant bien faire, un non-végétarien dit que "chacun mange ce qu'il veut", que lui il laisse les végétariens manger leurs carottes, alors que les végétariens le laissent manger sa viande s'il vous plait.
Un peu démoralisés, les végétariens reprennent tous les argments déjà édictés, disent que non, manger de la viande n'est pas un choix "personnel", puisque ça implique l'animal qui n'a pas le choix de mourir ou pas, les gens qui crèvent de faim parce qu'on leur pique leur bouffe pour nourrir notre bétail, les générations futures dont ou pourrit l'environnement, que chaque jour dans le monde, à cause en partie de notre consommation, 800 millions de personnes ne mangent pas "ce qu'elles veulent", et que ça autorise à faire de la promotion pour le végétarisme.

A court d’arguments, le non-végétarien va dire que les végétariens ne font rien qu’à faire du prosélytisme et de la propagande, et que pour eux c’est de l’intolérance extrémiste. Un végétarien va expliquer qu’il ne s’agit pas de propagande mais d’information, et que chacun est libre d’en tirer les conséquences, et que l’extrémisme ne se trouve pas du côté des végétariens mais du fanatisme de l’industrie de la viande qui tue des milliards d’animaux et pollue à tout va en affamant les pays pauvres.


Bonus: un végétarien poste ce texte. Les végétariens se marrent et trouvent que "c'est très vrai". Un non végétarien dit que c'est très mal écrit, et que c'est méprisant envers les non végétariens qui passent une fois de plus pour des cons.

A 18h, les employés rentrent chez eux, le débat se tasse.
Et, tel l’ampoule, six mois plus tard, un couillon répond au post initial sans relire la conversation et relance tout le truc.



Ce manuel est à compléter progressivement en fonction de l’imagination des deux parties. Il est libre de droit pour une utilisation sur un forum internet. Merci à tous les intervenants végétariens et non-végétariens qui m’ont permis de le rédiger. Dans le même style: ICI

Un petit aperçu du reste du blog:

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Bye.
skum
 

Re: antispécisme / veganisme

Messagede raspoutine » 12 Fév 2011, 01:46

Zak Blayde a écrit:Image

franchement je chie sur la gueule des curées entispeciste, je ne lis pas toutes vannes ayant trait la fellation comme sexiste ou homophobe !
mais ce dessin me donne envie de vomir !

et au fait je trouve pas trés utile de faire un topic qui mélange l'entispecisme et les vegans, c'est pas tout a fait pareil !
les forums : c'est vraiment de la merde !
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Re: antispécisme / veganisme

Messagede bipbip » 06 Mar 2014, 15:34

Anarchisme et Antispécisme

Par la présente déclaration, nous affirmons que l'antispécisme (que nous définirons plus en détail ci-après) n'est pas une simple éthique individuelle mais une idéologie étrangère à l'anarchisme, et que les deux idéologies, bien qu'utilisant des concepts et un vocabulaire parfois similaires, leur donnent un contenu radicalement différent qui en font deux idéologies contradictoires et incompatibles.

Nous souhaitons préciser en préambule que cette position que nous développons ne se fonde ni sur une méconnaissance de ce qu'est l'antispécisme (ou en quelque sorte des préjugés basés sur des « on-dits »), ni sur la méconnaissance des divers courants qui composent l'antispécisme. Le débat autour de ces questions n'est pas nouveau dans le mouvement libertaire – ainsi Lyon a été notamment l'un des centres théoriques du mouvement antispéciste lors de son développement en France dans les années 90, à travers la revue Les Cahiers Antispécistes Lyonnais, renommés depuis Cahiers Antispécistes et nos militantEs ont pu non seulement avoir accès directement à la littérature antispéciste, mais aussi aux discours de leurs principaux théoricienNEs en France. Nous avons pu également observer l'évolution et l'adaptation de ces discours, à mesure des réactions que ceux-ci provoquaient dans le mouvement libertaire, qu'il s'agisse de réactions positives ou négatives. Enfin, nous avons eu accès aux ouvrages théoriques de base du courant antispéciste, qu'il s'agisse des textes de Tom Reagan, de Peter Singer ou de Charles Patterson. Nous appuierons donc notre argumentaire sur ce corpus qui nous semble le plus représentatif du courant antispéciste, puisqu'il comprend en particulier des textes de ses fondateurs.

Quelques définitions

Nous réaffirmons que nous faisons la distinction entre végétarisme, végétalisme ou véganisme et antispécisme. Les deux premiers sont des pratiques alimentaires / de consommation, qui peuvent reposer soit sur des fondements religieux, mystiques, soit sur des fondements éthiques, moraux, ou écologiques, ou bien encore des considérations diététiques et sanitaires.

L'antispécisme, quant à lui, est une idéologie, c'est à dire « un ensemble de concepts articulés entre eux de manière cohérente, (...) un ensemble d'idées, de motivations, d'aspirations, de valeurs, une structure ou un système de concepts qui a un lien direct avec l'action ». En ce sens, s'il existe des courants différents au sein de cette idéologie, il est possible néanmoins de distinguer les idées, valeurs, aspirations et donc une structure de concepts communs à l'idéologie antispéciste au delà de ses sous-courants.

Enfin, si le véganisme / végétalisme est la conséquence logique de l'antispécisme, il ne s'y réduit pas, en ce sens qu'il existe de nombreux véganNEs / végétalienNEs qui ne le sont pas.

Pratiques alimentaires / de consommation

Le végétarisme consiste à refuser de manger de la chair animale, qu'il s'agisse de viande ou de poisson. Le végétalisme consiste à refuser de manger non seulement de la chair animale, mais aussi de produits dérivés des animaux. Le véganisme quant à lui, consiste à refuser tout consommation de chair animale, de produits dérivés des animaux, que ce soit pour un usage alimentaire ou non alimentaire (unE végan refusera par exemple d'acheter des vêtements en cuir, etc...) Le courant libertaire a connu historiquement des pratiquantes et pratiquants du végétarisme comme végétalisme.

L'antispécisme

Le terme antispécisme définie une idéologie apparue dans les années 1970, fondée sur le refus du spécisme, défini de la manière suivante :

« Le spécisme est à l'espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte (ou de moins prendre en compte) les intérêts de certains au bénéfice d'autres, en prétextant des différences réelles ou imaginaires mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu'elles sont censées justifier.

En pratique, le spécisme est l'idéologie qui justifie et impose l'exploitation et l'utilisation des animaux par les humains de manières qui ne seraient pas acceptées si les victimes étaient humaines.

Les animaux sont élevés et abattus pour nous fournir de la viande; ils sont pêchés pour notre consommation ; ils sont utilisés comme modèles biologiques pour nos intérêts scientifiques ; ils sont chassés pour notre plaisir sportif.

La lutte contre ces pratiques et contre l'idéologie qui les soutient est la tâche que se donne le mouvement de libération animale. »1

L'antispécisme refuse donc toute distinction éthique / morale entre « animaux humains et non humains » et toute différences en terme de droits et de traitement. Il affirme « l'égalité animale » entendue comme l'égalité en droits entre « animaux humains et non humains » Dans cette perspective, il revendique la « libération animale » définie comme la fin de toute « exploitation animale » et de toute « domination humaine » sur les animaux. Par exploitation animale les antispécistes entendent l'élevage et la domestication, soit pour utiliser les animaux comme matière première alimentaire ou industrielle, comme source de plaisir / loisir (corrida, etc...) soit pour utiliser le « travail »animal (animaux de traits par exemple).

L'antispécisme équivaut le fait de tuer des animaux pour produire de la viande à un « meurtre », manger de la viande à « manger du cadavre ». Les conséquences théoriques de cette affirmation de base ont conduit certains théoriciens antispécistes à comparer l'industrie de la viande aux génocides juif et rom. Nous y reviendrons. 2

Une partie significative du courant antispéciste, particulièrement la partie se réclamant proche ou partie prenante du mouvement libertaire, considère le « spécisme » comme le « rapport de domination » initial sur lequel tous les autres « rapports de dominations » s'appuient : qu'il s'agisse du racisme et de l'antisémitisme, du patriarcat, et du capitalisme. Ils y voient à minima une 4ème oppression à ajouter à la théorie des 3 oppressions (classe, race, sexe), ou même l'oppression structurante, qui a ensuite expliqué ou favorisé l'émergence des oppressions entre « animaux humains ».

Notre anarchisme

Au risque de paraître longUEs, nous pensons important de revenir sur notre définition de l'anarchisme, afin de faire apparaître plus clairement les raisons qui nous poussent à affirmer la contradiction entre antispécisme et anarchisme.

L'anarchisme tel que nous le concevons s'inscrit dans la continuité du mouvement ouvrier socialiste, et plus précisément de la tendance anti-autoritaire de l'Association Internationale des Travailleurs. Cette précision est importante, en ce sens que si elle reconnaît l'existence de mouvements et révoltes anti-autoritaires dans l'histoire humaine avant cette période, tout comme l'existence de courants idéologiques libertaires, elle situe l'anarchisme comme un courant idéologique ancré dans l'histoire, et non comme une tendance philosophique universellement présente dans l'histoire humaine fondée sur le seul refus de principe de la domination.

Cela ne revient pas à nier les apports des différents de courants de pensée ayant une dimension anti-autoritaire dans l'émergence de l'idéologie anarchiste, mais à restituer la spécificité de cette dernière, en tant qu'idéologie matérialiste issue des Lumières, fondée sur la synthétisation des acquis d'un mouvement d'émancipation ouvrière, et incorporant les acquis d'autres mouvements d'émancipation humaine également nés des Lumières tels l'antiracisme, l'anticolonialisme et le féminisme.

L'anarchisme est un courant matérialiste, en ce sens qu'il refuse toute séparation entre idée et matière, et affirme que rien n'est extérieur à la matière. En ce sens également qu'il n'est pas seulement un mouvement rationaliste (tel d'autres mouvements philosophiques issus des Lumières comme le libéralisme et le marxisme), mais qu'il inscrit son approche éthique, politique, économique et sociale sur l'analyse des rapports sociaux concrets et historiques. Ainsi, ses idées ne sont donc pas des concepts abstraits plaqués sur la réalité, mais des concepts forgés en relation avec les rapports sociaux qui caractérisent la société humaine.

Les concepts de liberté, d'égalité, de droits, mais aussi de domination, d'exploitation et d'oppression ne sont ainsi pas pensés comme des concepts abstraits et subjectifs, mais comme des concepts liés aux rapports sociaux, à la réalité matérielle de l'agencement des relations humaines.

« L'homme a perdu, au cours de son cheminement évolutif d'« hominisation », les déterminations instinctuelles et leur a substitué des déterminations culturelles, c'est-à-dire des normes, règles, codes de communication et d'interaction. C'est dans cette substitution justement que se situe la liberté humaine spécifique à son plus haut niveau : l'autodétermination. En fait, les déterminations culturelles ne sont pas données à l'homme (par dieu ou par la nature), c'est l'homme qui se les donne. Les normes ne sont pas un simple reflet de nécessités naturelles.

[...] La production des normes est donc l'opération centrale, fondement de la société humaine, elle est production de socialité et pour cela même d'« humanité », puisque l'homme n'existe pas en tant qu'homme sinon comme produit culturel, c'est-à-dire comme produit social »3

La centralité du discours anarchiste porte ainsi clairement sur le pouvoir, entendu comme la capacité de produire des normes (au sens neutre de règles d'interaction sociale, politiques et économique) et de les appliquer. Il est ainsi évident que les anarchistes recherchent une situation de « pouvoir égal pour toutEs » : c'est-à-dire lorsque cette fonction régulatrice des rapports sociaux que constitue le pouvoir est exercée par la collectivité sur elle-même et n'est pas accaparée par une partie (minoritaire) de la société (classe dominante, caste,...). C'est donc en ce sens qu'il convient de comprendre l'opposition anarchiste à toute forme de système (étatique, économique, racial, patriarcal...) qui organise une dissymétrie (inégalité) d'accès au pouvoir.

Ainsi l'exploitation, comprise au sens anarchiste, ne se réduit pas au sentiment d'être exploitéE, mais se définit comme un rapport social caractérisé par l'appropriation du travail et des bénéfices du travail, notamment par l'intermédiaire de la plus-value réalisée au moyen de la propriété privé et de l'échange marchand au profit d'une minorité (la bourgeoisie). La domination n'est pas non plus un sentiment, mais une dissymétrie de pouvoir entre individus et/ou groupes d'individus, organisée par les rapports sociaux, économiques, culturels. L'oppression n'est enfin pas non plus un sentiment (un dominant peut avoir le sentiment d'être opprimé, cela n'en fait pas une réalité objective), mais l'effet négatif concret de la dissymétrie de pouvoir qui résulte du rapport ou des rapports de domination. L'égalité n'est pas un concept abstrait fondé sur les « droits », mais un rapport social, politique et économique, caractérisé par une relation fondée sur une symétrie de pouvoir, c'est à dire l'égale capacité des êtres humains à exercer leur capacité politique, ce qui signifie que la liberté de l'unE ne peut se faire au détriment de l'autre.

La liberté n'est ainsi pas définie dans l'anarchisme de manière essentiellement négative : contrairement à l'idéologie libérale, il ne s'agit pas pour un individu de jouir « d'une absence de contrainte » abstraite, posant l'individu contre la société et plaçant la liberté individuelle au dessus de la société, et donc des autres individus. Il ne s'agit pas pour l'individu d'exercer un pouvoir illimité, indépendamment des conditions matérielles de sa réalisation et de ses conséquences sur les autres êtres humains. Comme l'indique Bakounine,

« La liberté individuelle n'est point, selon eux [les libéraux], une création, un produit historique de la société. Ils prétendent qu'elle est antérieure à toute société, et que tout homme l'apporte en naissant, avec son âme immortelle, comme un don divin. D'où il résulte que l'homme est quelque chose, qu'il n'est même complètement lui-même, un être entier et en quelque sorte absolu qu'en dehors de la société. Étant libre lui-même antérieurement et en dehors de la société, il forme nécessairement cette dernière par un acte volontaire et par une sorte de contrat soit instinctif ou tacite, soit réfléchi et formel. En un mot, dans cette théorie, ce ne sont pas les individus qui sont créés par la société, ce sont eux au contraire qui la créent, poussés par quelque nécessité extérieure, telles que le travail et la guerre.

On voit que, dans cette théorie, la société proprement dite n'existe pas; la société humaine naturelle, le point de départ réel de toute humaine civilisation, le seul milieu dans lequel puisse réellement naître et se développer la personnalité et la liberté des hommes lui est parfaitement inconnue. »4

A l'inverse de cette conception, l'anarchisme définit la liberté comme un produit social, situé non pas au début mais à la fin de l'histoire humaine :

« Parti de l'état de gorille, l'homme n'arrive que très difficilement à la conscience de son humanité et à la réalisation de sa liberté. D'abord il ne peut avoir ni cette conscience, ni cette liberté; il naît bête féroce et esclave, et il ne s'humanise et ne s'émancipe progressivement qu'au sein de la société qui est nécessairement antérieure à la naissance de sa pensée, de sa parole et de sa volonté; et il ne peut le faire que par les efforts collectifs de tous les membres passés et présents de cette société qui est par conséquent la base et le point de départ naturel de son humaine existence. Il en résulte que l'homme ne réalise sa liberté individuelle ou bien sa personnalité qu'en se complétant de tous les individus qui l'entourent, et seulement grâce au travail et à la puissance collective de la société, en dehors de laquelle, de toutes les bêtes féroces qui existent sur la terre, il resterait, sans doute toujours la plus stupide et la plus misérable. Dans le système des matérialistes qui est le seul naturel et logique, la société loin d'amoindrir et de limiter, crée au contraire la liberté des individus humains. Elle est la racine, l'arbre et la liberté est son fruit. Par conséquent, à chaque époque, l'homme doit chercher sa liberté non au début, mais à la fin de l'histoire, et l'on peut dire que l'émancipation réelle et complète de chaque individu humain est le vrai, le grand but, la fin suprême de l'histoire. »5

Ou

« La définition matérialiste, réaliste et collectiviste de la liberté tout opposée à celle des idéalistes, est celle-ci : L'homme ne devient homme et n'arrive tant à la conscience qu'à la réalisation de son humanité que dans la société et seulement par l'action collective de la société tout entière; il ne s'émancipe du joug de la nature extérieure que par le travail collectif ou social qui seul est capable de transformer la surface de la terre en un séjour favorable aux développements de l'humanité; et sans cette émancipation matérielle il ne peut y avoir d'émancipation intellectuelle et morale pour personne. Il ne peut s'émanciper du joug de sa propre nature, c'est-à-dire il ne peut subordonner les instincts et les mouvements de son propre corps à la direction de son esprit de plus en plus développé, que par l'éducation et par l'instruction; mais l'une et l'autre sont des choses éminemment, exclusivement sociales; car en dehors de la société l'homme serait resté éternellement une bête sauvage ou un saint, ce qui signifie à peu près la même chose. Enfin l'homme isolé ne peut avoir la conscience de sa liberté. Être libre, pour l'homme, signifie être reconnu et considéré et traité comme tel par un autre homme, par tous les hommes qui l'entourent. La liberté n'est donc point un fait d'isolement, mais de réflexion mutuelle, non d'exclusion mais au contraire de liaison, la liberté de tout individu n'étant autre chose que la réflexion de son humanité ou de son droit humain dans la conscience de tous les hommes libres, ses frères, ses égaux.

Je ne puis me dire et me sentir libre seulement qu'en présence et vis-à-vis d'autres hommes. En présence d'un animal d'une espèce inférieure, je ne suis ni libre, ni homme, parce que cet animal est incapable de concevoir et par conséquent aussi de reconnaître mon humanité. Je ne suis humain et libre moi-même qu'autant que je reconnais la liberté et l'humanité de tous les hommes qui m'entourent. Ce n'est qu'en respectant leur caractère humain que je respecte le mien propre. Un anthropophage qui mange son prisonnier, en le traitant de bête sauvage, n'est pas un homme mais une bête. Un maître d'esclaves n'est pas un homme, mais un maître. Ignorant l'humanité de ses esclaves, il ignore sa propre humanité. Toute la société antique nous en fournit une preuve : les Grecs, les Romains ne se sentaient pas libres comme hommes, ils ne se considéraient pas comme tels de par le droit humain; ils se croyaient des privilégiés comme Grecs, comme Romains, seulement au sein de leur propre patrie, tant qu'elle restait indépendante, inconquise et conquérant au contraire les autres pays, par la protection spéciale de leurs Dieux nationaux, et ils ne s'étonnaient point, ni ne croyaient avoir le droit et le devoir de se révolter, lorsque, vaincus, ils tombaient eux-mêmes dans l'esclavage. »6

Les racines libérales de l'idéologie antispéciste

A partir des définitions précitées, nous souhaitons donc étayer notre affirmation. L'antispécisme s'inscrit dans une vision libérale de la liberté, de l'égalité, du droit et de l'individu. Le libéralisme ici, revoit au courant philosophique rationaliste issu des Lumières, qui pose la liberté humaine comme « naturelle » (et non comme le résultat de la vie en société), intrinsèque à l'individu conçu comme atome indépendant de la société et des conditions sociales. Ce courant philosophique considère la liberté à l'échelle individuelle, comme absence de contrainte de la part de la société, et la postule donc comme « infinie » indépendamment des conditions de sa réalisation.

L'égalité quant à elle est considérée au strict plan d'une égalité en droit. Le droit est lui considéré comme « naturel », c'est à dire comme un principe métaphysique existant indépendamment de la société, base d'une définition transcendante de la justice. En ce sens le droit « positif », c'est à dire la loi, n'est que la traduction d'un droit « immanent », existant indépendamment de l'histoire et des conditions sociales. Si le mouvement anarchiste a pu se référer à cette question du droit positif de manière tactique dans des luttes émancipatrices, il n'a jamais considéré l'égalité comme se réduisant à l'obtention de droits égaux. La question de l'égalité des capacités politiques, c'est à dire du pouvoir de décision, a toujours été centrale dans le socialisme libertaire, en lien avec celle de l'égalité économique et sociale (égalité d'accès aux ressources, égalité de considération/dignité) comme support de la liberté humaine.

C'est à partir de cette conception libérale de la liberté que l'antispécisme a développé la notion de « libération animale ». Les animaux non humains sont considérés comme des individus dès lors que l'individu est conçu dans la pensée libérale comme indépendant et antérieur à la société (d'où les mythes originels positifs ou négatifs de l'individu « vertueux » chez Rousseau ou « loup pour l'homme » chez Hobbes).

Or la pensée anarchiste, si elle refuse la séparation idéaliste entre êtres humains et animaux – définissant les êtres humains comme des « animaux sociaux », sur la base notamment de la théorie évolutionniste – insiste par ailleurs sur l'entraide intra-espèce comme facteur de l'évolution, puis définit la liberté comme un rapport social, et la société comme somme des relations sociales entre êtres humains.

Les animaux humains et non humains font ils-société ? A cette question, la pensée anarchiste répond par la négative, puisque la société n'est pas définie uniquement par l'existence de relations, ni même de la communication par le biais du langage mais par l'histoire et par le travail et sa dimension collective (une accumulation progressive de savoirs, d'expériences, sa transmission, mais aussi l'entraide intergénérationnelle...) qui permet aux individus de développer leurs capacités depuis leur naissance, passant de la dépendance absolue à leurs semblables à une relative autonomie individuelle qui est le produit du collectif.

« La fonction de créer et recréer continuellement la socialité en inventant, transmettant et modifiant des normes est par définition une fonction collective du genre humain, c'est-à-dire concrètement des groupes et sous-groupes qui le constituent. »7

En ce sens, parler de liberté en ce qui concerne les animaux, en l'absence de rapports sociaux, de société et de construction historique, revient à plaquer un concept abstrait, vidé de tout sens social, de la même manière que le fait n'importe quelLE libéralE.

De la même manière, la notion d'égalité animale, centrale dans l'antispécisme, n'a aucun sens social. L'égalité ainsi définie est réduite à la notion d'égalité en droit, évacuant toute dimension économique et sociale. Là encore on retrouve la dimension philosophique libérale, qui n'aborde la question des inégalité que par le biais de la discrimination, c'est à dire de la différence de traitement, conçue essentiellement hors de tout cadre social, et de toute pensée de système.

Oppressions ou Confusion ?

Revenons ici à la théorie antispéciste des 4 oppressions, selon laquelle le spécisme est comparable au racisme, au sexisme (on notera par ailleurs l'absence fréquente de toute référence à la question de classe, au capitalisme même si certains penseurs post-modernes parlent de « classisme » abordant la question des classes sociales et du capitalisme comme une simple affaire de « discrimination »), et dans certains cas au « classisme ».

Lorsque les antispécistes affirment :

« Le spécisme est à l'espèce ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la race et au sexe : la volonté de ne pas prendre en compte (ou de moins prendre en compte) les intérêts de certains au bénéfice d'autres, en prétextant des différences réelles ou imaginaires mais toujours dépourvues de lien logique avec ce qu'elles sont censées justifier. »

ils et elles proclament deux choses. D'une part (et à l'aide du terme « certains ») l'affirmation d'une individualité atomique des animaux, indépendamment des rapports sociaux ; et d'autre part une définition du racisme et du sexisme comme fruits d'une simple « volonté » individuelle de traitement, en évacuant toute dimension systémique au racisme et au sexisme, c'est à dire en dehors de toute analyse du racisme et du sexisme comme rapports sociaux produits par le patriarcat et le système de domination raciste. Bien loin d'amener une nouvelle dimension à la lutte contre l'oppression, une telle approche a plusieurs effets :
1.
appauvrir fondamentalement les théories et analyses de la domination, de l'oppression et de l'exploitation en les réduisant à une affaire de « volonté » ;

2.
introduire la possibilité d'un relativisme éthique en traçant une équivalence entre la domination, l'exploitation et l'oppression dans l'histoire humaine et les rapports des êtres humains aux autres espèce.


Au cours des premières années de développement de l'antispécisme en France, on a ainsi pu à plusieurs reprises constater les dangers de ce relativisme éthique. Peter Singer, principal promoteur de l'idéologie antispéciste, a ainsi pu sur cette base défendre une logique eugéniste et affirmer dans un entretien du : 01/10/2000 donné à La Recherche :

« Quand un handicap détecté avant la naissance est sévère, on autorise l'avortement : l'embryon, à juste titre, n'est pas encore considéré comme une personne pleine et entière. Mais le nouveau-né peut-il l'être davantage? Je ne le pense pas. On doit donc aussi autoriser de mettre un terme à la vie d'un nouveau-né qu'on découvre, à la naissance ou peu après, porteur d'un fort handicap.

Mais un tel argument soulève la difficulté de décider à quel moment un nourrisson devient une personne!

C'est en effet le vrai problème! La phrase que vous avez citée reste d'ailleurs valable si vous enlevez le mot handicapé : je ne pense pas que tuer un nouveau-né soit jamais équivalent à tuer une personne. Mais les gens citent cette phrase sans expliquer ce que j'entends par « personne ». Par personne j'entends un être capable de raison et possédant notamment ce sens de son existence dans le temps dont nous avons parlé. Cela étant dit, la question du passage de l'état de nouveau-né à celui de personne demeure. Ce passage est bien évidemment progressif. Mais on peut au moins affirmer que dans le premier mois de son existence, un nouveau-né n'est pas une personne. Un mois me semble donc un délai raisonnable à accorder aux parents pour décider si leur bébé doit continuer à vivre. »

A ce relativisme eugéniste on peut ajouter l'amalgame fait entre le génocide rom et juif et l'élevage industriel. Le principal argument des antispécistes pour justifier ce parallèle consiste à dire que de nombreux et nombreuses auteurEs, et notamment de déportéEs ou enfants de déportéEs, ont effectué ce rapprochement en déclarant que les nazis avaient traités les juifs et juives « comme des animaux », rapprochement qui a amené un certain nombre de juifs et juives à s'investir dans la lutte pour les droits des animaux. Or, et les antispécistes qui font ce rapprochement sont obligéEs de le reconnaître, il ne s'agit de leur part que d'une inversion purement formelle, qui aboutit à donner un sens fondamentalement différent à ce rapprochement.

Ce travestissement de la logique revient à dire que si « les nazis ont traité les juifs comme des animaux », il est tout à fait justifié de dire que la manière de traiter les animaux est équivalente, sur le plan éthique, au génocide juif et rom. Un relativisme éthique qui représente à notre sens un gouffre béant pour la guerre idéologique mené par celles et ceux qui banalisent le génocide. La stratégie révisionniste n'a pas nécessairement besoin de nier totalement le génocide juif et rom, elle peut se satisfaire tout à fait d'en faire un « détail » de l'histoire. C'est ce qui avait par le passé motivé la comparaison entre les bombardements sanguinaires de Dresde par les alliés et le génocide, un thème récurent dans le courant révisionniste. Grâce à la pirouette éthique et logique des antispécistes, le relativisme historique prend une toute autre dimension. Car si depuis que les êtres humains s'alimentent de manière carnée, on assiste à un « éternel Treblinka » dans lequel des milliards d'individus ont trouvé la mort, les génocides arméniens, juifs, roms, tutsi, sont ramenés au rang de détail, et l'impératif éthique créé suppose au mieux de subordonner tout à l'objectif prioritaire de l'arrêt de la consommation de viande carnée, au pire de considérer l'ensemble comme une fatalité sur lequel les êtres humains sont globalement impuissants.

Les antispécistes qui se revendiquent par ailleurs de courants progressistes ou libertaires (il en est qui se revendiquent explicitement du mouvement fasciste, ce qui a d'ailleurs suscité certains problèmes aux « progressistes » 8 ) se récrient bien entendu en disant que pour elles et eux, il s'agit d'un ensemble également condamnable, ou qu'ils et elles ne font que réaffirmer le génocide juif et rom comme étalon de l'horreur absolu en recourant à ce rapprochement. L'enfer est pavé de bonnes intentions...

Le résultat le plus immédiat et évident d'un tel rapprochement rend un service éminent à touTEs celles et ceux qui banalisent le génocide juif. Et ce ne sont pas les quelques cautions juives que brandissent les CAL ou PETA qui changeront la donne et l'effet de masse d'un tel rapprochement. Isaac Bashevis Singer, auteur de la formule « eternal Treblinka » utilisé par les antispécistes qui développent cette thèse, s'inscrit d'ailleurs dans une religiosité mystique anti-matérialiste qui explique la légèreté avec laquelle il opère ces rapprochements.

A l'opposé de cette vision mystique de la Shoah, les courants matérialistes au sein de la communauté juive, ont toujours développé une analyse matérialiste du fascisme, et notamment de l'antisémitisme, à l'opposé d'une telle mystique revisitée du « pêché originel ». Il n'est enfin pas non plus surprenant de constater que l'un des « défenseur des animaux » allemand mis en valeur par Patterson dans son ouvrage, Helmut Kaplan, a donné sans complexe une interview dans le journal d'extrême-droite allemand Fahnenträger pour traiter de ce sujet. Le même Kaplan a déclaré, (cette partie est citée en exergue du texte de Patterson) :

« Un jour, nos petits-enfants nous demanderons : Où étais-tu pendant l'holocauste des animaux. Qu'as-tu fait contre ces crimes terrifiants? Nous ne pourrons pas leur offrir la même excuse une seconde fois que nous ne savions pas. »

Les militantEs antispécistes qui se définissent comme « antifascistes » à l'instar du collectif des Panthères Enragées, sont bien obligéEs de reconnaître la présence fasciste conséquente dans les luttes animalistes, présence qu'ils et elles dénoncent, reconnaissant que ces luttes

« [...] sont gangrenées par la présence de militantEs et groupes racistes, homophobes et fascistes. »

Mais plutôt qu'interroger une idéologie relativiste qui donne un tel boulevard aux fascistes, ils et elles considèrent que

« Cette situation peut avoir plusieurs causes, l'une étant que les luttes sur les questions animales sont complètement délaissées par les militantEs anticapitalistes, anarchistes ou antifascistes, laissant toutes la place à la diffusion de ces idées nauséabondes sans réponse unitaire et puissante. L'autre cause est qu'une large majorité de cette lutte se fait pour la protection animale et non pour la libération animale, cloisonnant ce combat à une lutte à part sans objet politique ni intersectionnalité et acceptant donc sans problème la présence, le soutien, le financement de n'importe qui au motif que tout ne doit être fait et penser que dans le but de protéger les animaux. »

L'affirmation selon laquelle l'approche en terme de libération animale plutôt que de protection animale permettrait de décloisonner ce combat et de créer de l'intersectionnalité permettant de faire face à l'offensive fasciste nous semble totalement erronée : la notion de « libération animale » défendue par les antispécistes, le relativisme éthique que permet leur idéologie n'est non seulement pas un rempart au fait d'accepter sans problème la présence, le soutien, le financement de n'importe qui au motif que tout ne doit être fait et penser que dans le but de protéger les animaux, une telle posture en est au contraire la déclinaison la plus logique. Et le glissement que nous avons pu constater de l'immense majorité des groupes « libertaires » ayant historiquement adopté des positions antispécistes qui les a menés à progressivement réduire leur intervention concrète et leur activité politique au seul terrain animaliste – même quand ils proclament toujours la volonté de s'opposer à « toute forme de discrimination » – ne fait que confirmer la tendance logique qui découle de tels postulats idéologiques.

On peut ajouter à ce relativisme éthique vis à vis du racisme les mêmes raccourcis éthiques vis à vis de l'esclavage, la domestication des animaux étant allègrement comparée à l'esclavagisme.

Enfin, les mêmes dévoiement ont pu être observés concernant la question du féminisme. Ainsi avons nous pu être confronté localement à un militant antispéciste revendiqué, par ailleurs antifasciste nous affirmant que les fascistes pourraient faire « plus grave que violer une militante » à savoir tuer son chien.

On retrouve également les mêmes brèches idéologiques autour de la question de l'avortement, une partie du mouvement antispéciste, au nom de la « défense de la vie », rejoignant les thèses anti-avortement. Parmi celles et ceux des antispécistes qui se prononcent en faveur du droit à l'avortement, voire mettent en avant leur approche féministe ou pro-féministe, on retrouve néanmoins des ambiguités idéologiques qui ouvrent un boulevard à cette offensive idéologique. Ainsi le collectif des Panthères Enragées, qui se définit comme « Collectif Antispéciste, Antisexiste, Antifasciste pour la Libération Animale », compte dans ses trois points fondamentaux le « refus et combat de la destruction de la terre, de son exploitation criminelle : de sa colonisation jusqu'au de ses ressources naturelles. Défense de toutes ses formes de vie ». La défense de la vie est justement l'un des axes idéologiques centraux des anti-avortements. Si les Panthères Enragées affirment s'opposer aux fascistes et aux anti-avortements, ils leur ouvrent un boulevard idéologique.

De tels discours sont loin d'être anecdotiques, et témoignent de glissements idéologiques. Bien entendu, parmi les personnes qui se revendiquent antispécistes, un certain nombre désapprouvent de tels glissements, mais ils sont la conséquence logique des arguments antispécistes portés jusqu'à leur conséquence ultime.

PartisanNEs de la théorie des trois oppressions : Patriarcat, système de domination Raciste et Capitalisme/Étatisme, nous pensons que la théorie antispéciste, loin de renforcer idéologiquement et pratiquement nos luttes contre cette triple oppression, ne conduit qu'à les saboter en échouant à remettre en cause des rapports sociaux hiérarchiques, de domination et d'exploitation.

Nous rejoignons les propos d'un camarade américain actif dans les mouvements d'émancipation contre la triple oppression lorsqu'il dit :

« L'analogie centrale avec le mouvement des droits civiques et le mouvement des femmes a un effet banalisateur et est ahistorique. Ces deux mouvements sociaux ont été initiés et menés par les membres des groupes dépossédés et exclus eux-mêmes, pas par des hommes ou des blancs généreux-euses agissant pour leur compte. Les deux mouvements ont été construits précisément autour de l'idée de revendiquer et réaffirmer une humanité commune face à une société qui les en avait privé et le leur avait dénié. AucunE activiste des droits civique ou aucune féministe n'a jamais argumenté que « nous sommes aussi des êtres sensibles ». Ils ont argumenté que « Nous sommes aussi pleinement humainE ». La doctrine de la Libération Animale, loin d'étendre cette dynamique humaniste, la sape directement. »9

Le projet communiste libertaire que nous défendons repose sur le contrôle collectif exercé sur la production et la distribution des biens et services nécessaires à la satisfaction des besoins humains, ce qui suppose bien évidemment une réflexion sur les ressources. Les réflexions autour de la surconsommation locale de viande dans les pays occidentaux, liée aux impératifs actuels du système marchand, nous semblent tout à fait légitimes : elles portent sur les conséquences de nos choix de consommation et de production sur les ressources naturelles, notre environnement, c'est à dire les conditions matérielles de notre existence. Les réflexions éthiques qui peuvent fonder une pratique alimentaire individuelle, végétarienne ou végétalienne, nous paraissent également tout à fait légitimes, dès lors qu'elles relèvent d'une éthique individuelle, et non d'un projet sociétaire fondé sur l'imposition d'une norme sociale alimentaire sur les bases d'un relativisme éthique dangereux.

L'approche antispéciste, quand à elle, prend non seulement une dimension collective, mais éminemment politique, et en ce sens, elle repose sur des fondements idéologiques et porte un projet de société qui nous paraient totalement étranger à l'anarchisme.

Coordination des Groupes Anarchistes
Janvier 2014


Annexes disponibles dans le document pdf à télécharger : http://www.c-g-a.org/sites/default/file ... 201401.pdf


1 définition disponible sur le site des Cahiers antispécistes lyonnais, http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article13

2 voir Charles Peatterson, Eternal Treblinka, Calmann Levy 2007, voir également le numéro de mars-avril 2002 de la revue « The Animals' Agenda » portant sur le thème, ou la campagne de PETA « The Holocaust on Your Plate » (cf. http://www.masskilling.com/, qui comporte une exposition itinérante mettant côte à côte des photos de victimes de l'Holocauste et de victimes de l'exploitation animale, ainsi qu'un spot télévisé. Voir également le compte rendu en PJ des discussions autour de la question lors d'un débat récent des Estivales de la Question Animale, http://www.question-animale.org/sites/d ... chwitz.rtf

3 Amedeo Bertolo, Pouvoir, autorité, domination :une proposition de définition

4 Bakounine, Dieu et l'État

5 Ibidem

6 Ibidem

7 Amedeo Bertolo, op. cit.

8 Voir en Annexe le texte d'AIDA adressée aux cahier antispécistes, qui exprimaient leur désaccord avec la présence de militants d'extrême droite dans l'association.

9 Peter Staudenmaier, Communalism, Mars 2003

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