Sortir de la pure négativité (entre autres)

Sortir de la pure négativité (entre autres)

Messagede hocus » 10 Sep 2010, 22:50

Un entretien très important avec un mec de marseille. En deux partie :

Alèssi Dell’Umbria (part.I) : "Le discours idéologique républicain a anesthésié toute culture de la révolte" http://www.article11.info/spip/spip.php?article889

Alèssi Dell’Umbria (Part. II) : "Patience, ils sont tous en train de se tirer une balle dans le pied"

Il aborde beaucoup de sujet important, essentiels. Bon boulot aussi de la part du mec qui pose les questions.

Un petit extrait (la fin de l'entretien)

Il y a aussi autre chose. À savoir qu’une grande partie des jeunes actuellement les plus remuants dans les banlieues, en tout cas autour de Paris, viennent d’Afrique occidentale. Une région du monde où existent encore de fortes pratiques communautaires. Certains ont déjà théorisé là-dessus : à savoir que, contrairement aux discours économistes des thuriféraires occidentaux du développement, qui ne voient en Afrique que catastrophe, les Africains de l’Ouest conserveraient une certaine capacité de rebondir du fait de la persistance de liens et de traditions communautaires, qui leur permettent de bricoler des formes d’entraide et de solidarité dans des pays pourtant sinistrés. Je ne veux pas me lancer trop là-dessus ici, parce que c’est un autre débat, mais… Dans quelle mesure, certaines de ces pratiques, qui ne sont pas si étrangères que ça à des jeunes nés en France de parents maliens, sénégalais ou camerounais, ne pourraient pas être développées ici ? Voilà une question qui vaudrait la peine d’être posée. Face à la désintégration sociale, face à la dépendance – le chômage, qui frappe les banlieusards pauvres en priorité, est d’abord dépendance pure au salariat – , le seul discours tenu jusqu’ici a été de dire « Créons nos propres entreprises », ce qui a été un peu le discours de Public Enemy aux USA voici vingt ans. Développer un capitalisme de banlieue, en somme. Mais la réussite sociale par l’entreprise individuelle, c’est comme le deal : beaucoup d’appelés et peu d’élus. Elle ne fait que perpétuer la « guerre de tous contre tous ». Alors que dans une autre optique, il serait possible – et il y a dans les banlieues des gens qui auraient assez de charisme et de volonté pour cela – d’inaugurer des formes de coopération communautaire, quelque chose qui irait bien au-delà du registre associatif, cantonné à l’inessentiel. Et l’essentiel, c’est ça : comment on construit des médiations entre l’individu et les autres ? Comment la satisfaction des besoins élémentaires devient un moyen de communication ?

Contrairement à ce que fantasment les autonomes et les anars insurrectionnalistes, on ne peut vivre dans la pure négativité. On ne vient pas à bout d’un monde par opposition, mais par contradiction. Il faut pénétrer la force de l’ennemi. Et où se trouve-t-elle ? Dans la capacité infinie de médiation. Et cette capacité, seuls l’État et l’argent la possèdent. Il s’agit de se la réapproprier.
Les gars de Villiers l’ont dit, quand ils sont venus ici : fuck les partis politiques et non à la logique de délégation. C’est un point à partir duquel beaucoup de choses deviennent possibles. Parce qu’élection, délégation et représentation ont pour effet d’enlever aux gens leur capacité à construire leurs propres médiations. Dans les banlieues, l’énergie est vite dissipée : prison, drogues dures, découragement, et chacun sa mère, tout cela finit par arriver. Ceux qui survivent le doivent à eux-mêmes, et ils finissent dans des logiques aussi individuelles que les Français moyens. J’en connais des exemples par dizaines.

Ceci dit, ce serait une tâche énorme. Et qui reste entièrement à imaginer. Aujourd’hui, ceux qui veulent sortir de la négativité pure, vouée à se consumer en elle-même, se dirigent surtout vers l’associatif, qui donne l’impression de construire, de créer du « lien social »… Mais l’associatif n’est pas encore le commun. Dans les associations, que se passe-t-il ? Un tout petit noyau de passionnés porte l’activité en avant, et les autres restent en demande par rapport à ça, attendent passivement que les meneurs redistribuent. Je le sais, j’ai fait cette expérience à la Plaine Sans Frontières voici dix ans. Et même l’objet de l’activité associative est le plus souvent quelque chose d’inessentiel.
Bref, il faut construire des pratiques qui obligent. Comme les tontines africaines, qui sont des questions de vie et de mort pour ceux qui s’y engagent. L’ « associatif » – et ce n’est pas un hasard s’il est souvent étroitement lié au « culturel » – fonctionne beaucoup trop comme un supplément d’âme après les heures de travail ou de chômage ! Là, je parle de pratiques qui remplaceraient le travail salarié ou la micro-entreprise individuelle, qui permettraient de développer des formes de coopération inédites. Et on pourrait s’inspirer un peu de l’Afrique, s’en nourrir – le contraire de l’attitude du degauche culpabilisé par l’histoire de la colonisation, mais toujours partant pour apporter son « progrès » aux « sous-développés ». Il y a beaucoup à apprendre de certaines formes de vie africaines. Un gros travail théorique et pratique à faire en ce sens serait de nature à encourager des expériences d’auto-organisation ici-même, en banlieue et ailleurs. Et peut-être même que de telles expériences ouvriraient enfin des perspectives inattendues…

Pour terminer… Il y a eu des tirs contre une patrouille d’UTEQ, à Villiers-le-Bel, il y a quelques semaines. C’est sans aucun doute très enivrant de faire le snipper sur les UTEQ, mais les lendemains de cuite peuvent prendre l’allure d’une très méchante gueule de bois si, un jour ou l’autre, un flic se prend une balle dans la tête –ou un passant, une balle perdue. Parce que là, ça ne sera pas chaud, ça sera brûlant. Je n’ai de leçons à donner à personne, et surtout pas aux minots d’une cité de banlieue qui ont toutes les raisons d’en avoir après les flics. Mais il y a eu un précédent en 1991 à Mantes-la-Jolie, dans la Zup du Val-Fourré suite à des émeutes - un flic tué accidentellement lors d’une course-poursuite, ses collègues se sont vengés en flinguant un des jeunes les plus repérés de la cité, Youssef Khaïf, et ce en tout impunité (le flic qui l’a tué a été acquitté aux Assises dix ans après, lors même que Khaïf a été tué d’une balle dans la nuque alors qu’il était désarmé). Si la révolte dans les banlieues finit par se réduire à l’affrontement entre une bande et la police, alors celle-ci finira fatalement par avoir le dernier mot. Je n’en dis pas plus, j’ai assez parlé pour aujourd’hui. Merci à vous de m’avoir donné cette occasion de le faire !
hocus
 
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