Cela suite aux debats ouverts sur Che Guevara et sur le post de Pia (minoritaires, et alors)...
Il existe en général dans la théorie marxiste deux conception de l'avant-garde :
_ chez les marxistes de tendances conseilliste, l'avant-garde est constituée par la partie du prolétariat la plus consciente d'elle même, donc de ses intérêts de classes, et par là la plus active : elle ne se confond pas avec un parti formel (au sens que nous donnons à ce mot aujourd'hui), mais à un ensemble de prolétaires (non nécessairement organisé formellement ou au sein de la même organisation) qui "prennent partie" (selon l'acception du mot "parti" au XIXème qui ne désignait pas nécessairement une organisation formelle mais un positionnement idéologique).
Cette conception est minoritaire chez les courants se réclamant du marxismes (car la plupart sont socio-démocrates ou léninistes)
_ Chez les marxistes de tendances léninistes ou socio-démocrates, l'avant garde est constituée par le parti révolutionnaire, qui du fait de son usage de la méthode "scientifique" (sic) dégagent les "intérêts historiques" du prolétariat, selon la méthode dialectique matérialiste. C'est donc le parti qui est le dépositaire de la conscience de classe (pour soi), amené au prolétariat de l'extérieur (par les intellectuels marxistes), car la position de la plupart des prolétaires en système capitaliste ne leur permet pas de libérer du temps suffisant pour l'analyse théorique et stratégique (position de Kautsky et de Lénine).
Dans cette conception donc, le parti révolutionnaire est l'avant-garde (éclairée par les soins de la méthode "scientifique" (sic) marxiste) du prolétariat, et ses dirigeant (du fait de l'usage de la méthode scientifique du marxisme), dépositaire de la conscience de classe "pour soi" -le prolétariat n'ayant que la conscience de classe "en soi"- ceux qui expriment les intérêts historiques du prolétariat...
Dans cette acception le parti est ici une organisation formelle hiérarchique, reposant sur les principe du "centralisme démocratique", telle qu'on la connait aujourd'hui (dans les organisations léninistes, maoistes, trotskystes, sociales-démocrates)...
Le second point de vue débouche logiquement sur une vision substitutiste dans laquelle c'est le parti -parce que dépositaire de la conscience de classe- qui agit pour et au nom du prolétariat.
Le premier point de vue, même s'il semble à priori moins directement substitutiste, pose également problème, puisqu'il suppose l'existence "d'intérêts historiques du prolétariat" extérieure aux prolétaires concrets, réellement existants, ce qui renvoit en quelque sorte à l'idée d'une "mission historique du prolétariat" que seuls certains prolétaires seraient amenées à exprimer : soit spontanément (pour les conseillistes les plus spontanéistes), soit par la maitrise des méthodes "scientifique" (sic) du marxisme.
On retrouve ainsi ici aussi une facette idéaliste du marxisme, qui conçoit la classe ouvrière comme un concept et non comme l'ensemble des prolétaires bréels et concrets à un moment historique donné. Dans cette acception, peut importe finalement l'action et l'intérêt de ces prolétaires telles qu'ils l'entendent, leurs aspirations, puisque la conscience de leurs intérêts supposés "réels" "de classe" leur est extérieur, leur vient non de leur pratique quotidienne leur expérience vécue, mais de la théorie "scientifique". C'est donc l'analyse "scientifique" intellectuelle qui détermine à un moment donnée quels prolétaires se trouvent à l'avant-garde.
Le principal problème c'est que donc dans les deux cas c'est la classe intellectuelle qui est dépositaire de la conscience en soit du prolétariat, du simple fait que celle-ci émerge d'une analyse "scientifique" dont la plupart des exégètes sur le plan théorique sont des intellectuels :
Autre aspect critique de la conception "conseilliste" de l'avant-garde, elle ne peut être composé que d'ouvriers puisque elle correspond à l'idée que la classe ouvrière est la classe révolutionnaires : les autres travailleurs et travailleuses (paysan-ne-s, employé-e-s) sont de facto écarté-e-s de cette "avant-garde" en acte, puisqu'ils ne font pas partie de la "classe révolutionnaire" (en soi)
_ Les minorités agissantes : elle sont composé des travailleurs et des travailleuses qui agissent dans les luttes, immédiates, réformistes, révolutionnaires . Tous les travailleurs et les travailleuses n'agissent pas (la situation de classe ne produisant pas mécaniquement l'entrée dans la lutte), ou du moins pas tout le temps. Toutes et tous ne partagent pas les mêmes manières d'agir, la même représentation de leurs intérêts, la même conception de la manière d'en finir avec leur situation d'exploité-e-s. Certaines et certains pensent qu'une révolution est nécessaire, d'autre que le système politique et sociale capitaliste et étatique est aménageable dans le sens de leur intérêts, par la voie réformiste.
Les minorités agissantes ne se situent pas en dehors et/ou au dessus des travailleuses et des travailleurs, ce sont celles et ceux des travailleuses et des travailleurs qui prennent des initiatives, non pas au nom des classes travailleuses ou d'une "mission" historique, mais pour elles mêmes, défendre leurs propres intérêts... Parmi ces minorités agissantes, les anarchistes (ou tout du moins les anarchistes-communistes) sont une force de propositions et d'actions qui se rejoignent sur la base de principes, de perspectives et de méthodes antiautoritaires et révolutionnaires : ils et elles n'aspirent pas à dirigier les mouvements de luttes ou la société, mais à défendre des idées et des stratégies concernant l'organisation sociale, ainsi que le changement social, ses méthodes et ses buts.
Cela ne signifie ni attendre d'être majoritaire pour agir, ni agir au nom des autres ou en nom et place d'une classe sociale (non comme concept, mais comme réalité sociale), ni refuser les discussions stratégiques : comment faire pour que les actions entreprises ne s'annulent pas les unes les autres mais au contraire s'enrichissent et se renforce les unes les autres, quelles actions tendent à élargir et developper les luttes ou au contraire à les étouffer, etc...
Le fait de ne pas attendre d'être majoritaire pour agir (agir est une nécessité immédiate) n'est pas contradictoire avec la nécessité d'articuler ces actions avec une autre necessité : celle de diffuser plus largement certaines idées et méthodes, car une révolution sociale n'est possible que si certaines aspirations, idées, méthodes et pratiques cessent précisément d'être minoritaires.
Bref agir ici et maintenant n'empêche pas au moment de choisir les moyens d'actions de réfléchir sur une base très simple : ce type d'action contribue t'il à élargir l'opposition au capitalisme, à l'état et à la domination en général, crée t'il des ponts, ou au contraire des murs, des limites, de l'isolement ?....
Cette préoccupation est la base de l'anarchisme social...
En rab, un petit extrait de l'anarchisme aujourd'hui, sur ce problème...
In "L'anarchisme aujourd'hui"Par ailleurs, les résultats obtenus étant conditionnés par les méthodes employées, nous affirmons que la fin ne justifie pas les moyens mais qu’elle y est contenue. L’avant-gardisme, qui correspond au rôle dirigeant d’une “élite auto-proclamée” sur la “masse”, est contre-révolutionnaire par essence.
Aucune formation idéologique, aucune organisation ne pourra émanciper les individus en leur imposant l’obéissance, en les dirigeant. Cette vision des choses conduit au résultat inverse: elle tue toute liberté, fait naître de nouveaux chefs, pires que les précédents!Notre émancipation ne pourra se faire que par notre propre action, directe, c’est-à-dire sans charger quiconque de nous conduire, de nous guider! Au concept d’avant-garde, nous opposons ceux de “forces d’influences” et de “minorités agissantes”. Selon les contextes, il existe en permanence des individus, des groupes, des organisations qui prennent des initiatives, qui jouent, à un moment donné, des rôles d’instigateurs, de catalyseurs.
C’est dans ce sens que les organisations anarchistes spécifiques sont indispensables à la construction et à la politisation d’un mouvement social révolutionnaire. C’est aux militant(e)s anarchistes de se regrouper pour constituer un pôle d’influence: pour convaincre, pour apporter critiques, analyses et propositions anarchistes, pour défendre les principes d’auto-organisation, pour impulser des luttes sur les bases de la révolution sociale... Mais ces organisations ne peuvent et ne doivent prétendre à l’encadrement ou à la direction de ces mouvements.