Les anarchistes et la décroissance

Les anarchistes et la décroissance

Messagede vroum » 23 Juil 2008, 12:12

Voici deux textes récents concernant une stratégie anarchiste pour la décroissance, le premier est issu des travaux du 9e congrès de l'Internationale des Fédérations anarchistes (IFA) qui a réuni à Carrare en Italie les 4, 5 et 6 juillet 2008 près de 200 anarchistes d'une quinzaine de déléguations, le second est une motion du dernier et 65e congrès de la Fédération anarchiste qui s'est réuni les 10, 11 et 12 mai au Villard dans la Creuse :

En 2008, le constat d'une crise environnementale globale est désormais largement partagé.

Le système capitaliste organise le consensus autour du développement durable et propose de fausses solutions technologiques.

Face à cette crise globale, des résistances s'organisent au sein des populations, qui ont recours à l'action directe.

Investis dans ces luttes, les anarchistes tendent à les replacer dans un contexte plus global : la crise actuelle met en cause le dogme de la croissance et le productivisme qui l'accompagne.

Une croissance infinie dans un monde fini étant impossible, la décroissance est inévitable.

En système capitaliste, celle-ci serait mise en oeuvre de manière autoritaire, nous conduisant vers l'écofascisme.

Pour les anarchistes, la décroissance ne signifie nullement empêcher les populations qui souffrent de sortir de la misère.

Pour les anarchistes, le concept de décroissance ne saurait se limiter à un niveau individuel, les choix de chacun étant déterminés en amont par l'Etat au service du capital.

Cette décroissance passe par un changement radical, une double révolution, sociale et écologique.

Elle passe par l'expropriation des moyens de production et la répartition des richesses.

Pour que la révolution soit effective, il est nécessaire que chacun puisse participer à la vie collective, ce qui passe par la réduction du temps de travail.

L'autolimitation de l'activité humaine dans la limite des capacités de la planète ne pourra résulter que des individus eux-mêmes, s'autogérant et se fédérant librement entre eux : c'est justement le projet de société libertaire !

IFA


En 2008, le constat d’une crise environnementale globale (épuisement des ressources, effet de serre, déforestation, dégradation de la biodiversité...) est désormais largement partagé.

Partout, la réponse des tenants du système capitaliste consiste à désamorcer la contestation en organisant le consensus autour de fausses solutions. En France, cette stratégie s’est traduite par l’organisation d’un Grenelle de l’Environnement. Les solutions proposées visent avant tout à offrir de nouveaux débouchés au complexe industriel. La fuite en avant technologique aboutit à des aberrations, comme les agrocarburants, dont le développement entre directement en concurrence avec la production alimentaire et accélère la déforestation.

Face aux ravages causés par le développement durable... du système capitaliste, les populations en sont réduites en France à contester la baisse de leur pouvoir d’achat tandis que dans plusieurs pays éclatent des émeutes de la faim.

Le système connaît aujourd’hui un basculement. Si aucun gouvernement ne le reconnaît encore, ce sont bien les limites physiques de la planète qui sont largement dépassées : nous savons que, désormais, le coût du pétrole ne baissera plus.

Le discours dominant s’enferre dans une attitude schizophrène : poursuivre la logique productiviste en accélérant la croissance (rapport Attali) tout en culpabilisant les individus par rapport à leur consommation (discours de Nicolas Hulot). Le démantèlement des services publics participe en ce sens à la disparition de toute gestion collective en limitant ses prestations aux seuls individus solvables.

Insister sur les solutions technologiques et entretenir l’illusion d’une croissance propre permet à la classe dirigeante d’éviter le niveau politique, notamment les questions explosives de la répartition et de la redéfinition des richesses. En effet, le capitalisme, qui tire profit du gaspillage des ressources, est condamné à la croissance.

Sur une planète peuplée de neuf milliards d’individus en 2050, il n’y aura pas d’avenir durable, sans un ralentissement du cycle production-consommation. La seule perspective est une forte réduction de la sphère marchande et donc une diminution du temps de travail (travailler moins pour vivre mieux), bénéfique tant pour l’individu que pour la société : développement du relationnel, usage optimal, social et économe des biens et des services produits.

La relocalisation de l’activité économique doit permettre de renforcer l’autonomie des individus. Toutefois, il faut se garder de toute tentation autarcique de repli sur soi : aucun îlot écologiste ne pouvant survivre dans un océan capitaliste, l’objectif reste l’élimination du système capitaliste.

Contrairement au projet réformiste de décroissance soutenable, nous réaffirmons qu’il est parfaitement illusoire de s’en remettre à l’Etat, alors que celui-ci depuis toujours concentre les moyens et oriente la production au service des multinationales (subventions, infrastructures, recherche et développement, crédits de formation, privatisations, externalisation des coûts, prise en charge des pertes financières, etc.).

La participation d’écologistes dans les institutions montre que les étapes vers l’accession au pouvoir sont jalonnées de tous les renoncements et de toutes les trahisons.

L’autolimitation de l’activité humaine tenant compte des capacités de la planète ne peut résulter que des individus eux-mêmes, s’autogérant et se fédérant entre eux : c’est justement le projet de société libertaire !

La croissance est vitale pour le capitalisme, la décroissance lui est mortelle.

Un certain nombre de pratiques alternatives existent dans la société actuelle, préfigurant un autre futur. Mais aucune autre société ne sera possible tant que ne sera pas mis fin à l’exploitation capitaliste.

Aujourd’hui, les pays riches se satisfont de pseudo-progrès en matière d’environnement alors qu’ils tirent leur niveau de consommation insoutenable de l’exploitation des pays du Sud.

Désormais, nous savons que la décroissance est inévitable, et l’humanité se trouve face à un choix décisif, l’organiser ou la subir : écologie sociale ou barbarie !

Ne pas rompre définitivement avec la croissance, c’est condamner les populations à un avenir proche dans lequel les classes dirigeantes imposeront des restrictions toujours plus sévères au prix d’un contrôle social toujours plus fort et de populations livrées à toutes les guerres et à toutes les pénuries.

A l’opposé, la Fédération anarchiste est porteuse d’un projet qui permet aux individus de gérer la société eux-mêmes : une révolution sociale, écologique et libertaire !

Fédération anarchiste
vroum
 

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede Sins We Can't Absolve » 25 Juil 2008, 18:33

Le développement durable est une bêtise : c'est comme si un capitaine voyant l'iceberg se profiler disait aux machinistes de ralentir (dixit Serge Latouche, en substance).

C'est sûr que la croissance est une connerie, il suffit de regarder un petit peu le mythe du 3% de croissance : cela signifie qu'en 20 ans (grosso modo, m'emmerdez pas avec les calculs), la population double purement et simplement sa consommation :!: :!: :!:

On ne peut qu'aller dans le mur, même si nos déchets sont recyclés et que les voitures ont des bonus écologiques...
Sins We Can't Absolve
 

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede Diggers » 28 Juil 2008, 05:13

Je remarque que certaines orgas anarchistes se rattachent à la " décroissance ", sans préalablement avoir construit une nouvelle critique de l'économie. On renvoit sagement à des idées libertaires des années 60-70 (qui ont une analyse très marqué ne n'oublions pas d'imposer l'autogestion de toujours l'économie, grâce notamment à l'automatisation du processus de production, créant l'adondance : d'où la soit disant nécessaire " réduction du temps de travail ", qui est tout sauf une critique du travail-marchandise. Encore une fois certains anarchistes en défendant même au travers d'une " réduction", le travail-marchandise où l'on se vend, sont profondément pro-capitalistes - et c'est pas seulement ici de la provocation). C'est dommage.

De plus je crois que aujourd'hui se réclamer d'une décroissance (économique ou de la consommation) est une énorme contradiction pour les anarchistes, il ne suffit pas de renvoyer une compréhension du mot " décroissance " au slogan : " Decroissance économique et décroissance de l'Etat ". Comme l'ont bien montré René Riesel et Jaime Semprun dans Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, une décroissance nécessite la croissance énorme des moyens instrumentaux des Etats.

En rester au constat écologique en effet totalement dramatique, pour se rattacher à la décroissance, juste en disant bien que cela ne vas pas sans une décroissance de l'Etat, ne suffit pas. Il faut engager d'autres débats sur cette idée.

1) la décroissance

Un certain nombre de personnes se sont retrouvées autour de ce mot, pour critiquer en acte la croissance. La critique porte sur les limites matérielles de notre façon de vivre, elle s'appuie sur l'écologie comme source de légitimité et d'explication du monde. Quant aux actes, ils relèvent à la fois d'une autolimitation de ce que l'on achète (consommation) et du « faire soi-même ». Il y a d'ailleurs un glissement de sens entre consommation (ce que l'on achète) et la consommation en général, c'est-à-dire la culture matérielle des personnes qui inclue la sphère non-économique, vernaculaire, domestique. Ce glissement de sens a son pendant avec le travail, où l'on confond le travail comme activité réalisée en échange d'argent, et les activités en général.

Reste qu'avec la recherche d'une autre culture matérielle, on sent bien que les personnes souhaitent à la fois être plus responsables et plus libres. Malheureusement à mon sens, ces valeurs de responsabilité et de liberté sont souvent remplacées par l'énonciation d'une nécessité qu'il y aurait à « décroitre », qui bien-sûr se formule aujourd’hui aisément à partir des arguments écologiques. Pour avancer la décroissance comme choix politique plutôt que comme nécessité technique, il y a sans doute une recherche à faire, mais elle est plus compliquée que l'utilisation de chiffres (sur la déplétion du pétrole ou les émissions de CO2).

Aussi c'est la critique de la technoscience, des techniques industrielles, qui a permis quoique marginalement de développer une version non écologiste de la décroissance. Cela peut conduire à refuser les éoliennes industrielles par exemple, même si leur bilan carbone est bon, parce qu'il s'agit d'un appareillage qui maintiendra les personnes dans la dépendance. Il s'agit là simplement de faire ressentir que l'argumentation écologique est à double tranchant : d'un côté, elle permet éventuellement de rendre acceptable d'autres cultures matérielles, d'autres formes de vie plus libres, mais de l'autre il s'agit d'une argumentation sur des phénomènes que l'on ne peut généralement pas appréhender en première personne. Il me semble ainsi que, si les pollutions et les dégradations sont possibles, c'est parce que le plus souvent elles ne sont pas le fruit d'une décision personnelle, mais plutôt de chaînes de délégation. La production d'énoncés scientifiques fait partie de ces chaînes, dans l’immense majorité des disciplines pratiquant le réductionnisme de laboratoire, et exportant ce réductionnisme dans le monde de tous les jours.
Dès lors, l'écologie est nécessairement ambigüe sur le plan de la liberté, alors que la décroissance (comme lieu de discussion) laisse la possibilité de s'émanciper de l'argumentation écologique pour défendre ou expérimenter d'autres formes sociales, d'autres techniques, conformes à des valeurs de liberté.

2) la sortie de l'économie

Si on suit la présentation précédente, on est alors amené à présenter la décroissance, non pas (seulement) comme une nécessité écologique, mais aussi comme une volonté de se libérer de l'économie, quand bien même des échanges économiques pourraient être réputées écologiques. Par exemple, la rémunération de tâches domestiques ne posera pas de problème aux écologistes, sauf si cela occasionne des déplacements supplémentaires. On pourrait alors avoir une croissance économique « propre », dans l'invention de nouveaux services marchands.
Au contraire, on peut estimer que la défense de l'environnement n'est pas dissociable d'une reprise en main par les personnes de leur vie quotidienne, de leur subsistance, et de la recherche de formes sociales compatibles avec cela. Si on poursuit ce but, alors l'achat de matières, produits ou services est fondamentalement handicapant, puisque l'argent qu'il faudra obtenir devra être gagné en échange d'activités le plus souvent étrangères à cette vie quotidienne. C'est pourquoi on peut parler de sortir de l'économie comme un prolongement de l'idée de décroissance.

Le problème que pose la croissance n'est donc pas seulement de l'ordre de la justice (répartition des ressources) et de la durabilité (reproduction des ressources). L'économie devenue excessivement banale elle-même fait écran à une réappropriation de nos vies. Suite aux émeutes actuelles de la faim, on n'est plus capable de s'étonner que pour manger il faut payer, au lieu de participer à la production des aliments que l'on mange. On n'imagine plus partager les ressources autrement qu'en distribuant l'argent permettant d'en prendre possession. On ne s'étonne plus de ce que signifie s'activer en échange d'argent (travail), ou faire s'activer une série d'inconnus par de l'argent (consommation). La liberté de prendre possession par l'argent se paie quelque part ailleurs par l'obligation de s'asservir à l'argent.
A ce titre l'argent ne fait que généraliser le problème que pose l'échange : l'échange comme interaction entre deux individus est toujours possible, mais l'équivalence entre les termes de ce qu'ils échangent est toujours fausse. Si l'échange est possible sur la base de ce non-sens, c'est que les interactions d'échange s'adossent à des institutions (ou à des rituels) qui permettent de prolonger l'interaction au delà de l'échange ponctuel : les échangistes sont quittes l'un avec l'autre, mais chacun d'eux ne l'est pas avec le reste des autres échangistes. L'économie est donc plus que la somme des échanges économiques ; c'est une institution. Et probablement l’institution qui rend possible la plupart des autres…

Deun, mai 2008, sur site de L'En-Dehors et bulletin Sortir de l'économie http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/
Diggers
 

La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede Diggers » 28 Juil 2008, 05:19

Extraits de 2 chapitres de René Riesel et Jaime Semprun, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, éditions Encyclopédie des nuisances, 2008.

Si l’on s’en tenait à la formule de Nougé (« l’intelligence doit avoir un mordant. Elle attaque un problème »), on serait tenté de n’accorder qu’une intelligence fort médiocre à Latouche, principal penseur de la « décroissance », cette idéologie qui se donne pour une critique radicale du développement économique et de ses sous-produits « durables ». Il fait montre en effet d’un talent bien professoral, confinant parfois au génie, pour affadir tout ce qu’il touche et faire de n’importe quelle vérité critique, en la traduisant en novlangue décroissante, une platitude insipide et bien-pensante. Il ne faudrait pas cependant lui attribuer tout le mérite d’une fadeur doucereusement édifiante qui est surtout le résultat d’une sorte de politique : celle par laquelle la gauche de l’expertise cherche à mobiliser des troupes en rassemblant tous ceux qui veulent croire qu’on pourrait « sortir du développement » (c’est-à-dire du capitalisme) tout en y restant. Ce n’est donc pas en tant qu’œuvre personnelle que nous évaluerons les écrits de Latouche (à cet égard, le génie de la langue est plus cruel que n’importe quel jugement : sa prose lui rend justice). Qu’une telle eau tiède, sur laquelle surnagent tous les clichés du citoyennisme écocompatible, puisse passer pour porteuse d’une quelconque subversion - fut-elle « cognitive » -, voilà qui donne seulement la mesure du conformisme ambiant. En revanche, pour ce qui nous intéresse ici, Latouche est parfait : il sait magistralement flatter la bonne conscience et entretenir les illusions du petit personnel qui s’affaire déjà à « tisser du lien social », et qui se voit accédant bientôt à l’encadrement dans l’administration du désastre. C’est ce qu’il appelle lui-même, en tête de son dernier bréviaire (Petit Traité de la décroissance sereine, 2007), fournir « un outil de travail utile pour tout responsable associatif ou politique engagé, en particulier dans le local ou le régional ».

Le programme de la décroissance, tel que Latouche le propose donc au citoyennisme décomposé comme à l’écologisme en quête de recomposition, n’est pas sans évoquer celui tracé en 1995 par l’Américain Rifkin, dans son livre La Fin du travail. Il s’agissait déjà « d’annoncer la transition vers une société post-marchande et post-salariale » par le développement de ce que Rifkin nomme le « tiers secteur » (c’est-à-dire en gros ce qu’on appelle en France « mouvement associatif » ou « économie sociale »), et pour ce faire de lancer un « mouvement social de masse », « susceptible d’excercer une forte pression à la fois sur le secteur privé et sur les pouvoirs publics », « pour obtenir le transfert d’une partie des énormes bénéfices de la nouvelle économie de l’information dans la création de capital social et la reconstruction de la société civile ». Mais chez les décroissants, on compte plutôt sur les dures nécessités de la crise écologique et énergétique, dont on se propose de faire autant de vertus, pour exercer « une forte pression » sur les industriels et les Etats. En attendant, les militants de la décroissance doivent prêcher par l’exemple, se montrer pédagogiquement économes, en avant-garde du rationnement baptisé « simplicité volontaire ».

Précisément parce que les décroissants se présentent comme porteurs de la volonté la plus déterminée de « sortir du développement », c’est chez eux que se mesurent le mieux à la fois la profondeur du regret d’avoir à le faire (renversé en autoflagellation et en commandements vertueux) et l’enfermement durable dans les catégories de l’argumentation « scientifique ». Le fatum thermodynamique soulage heureusement du choix de l’itinéraire à emprunter : c’est la « loi de l’entropie » qui impose comme seule « alternative » la voie de la décroissance. Avec cet œuf de Colomb, pondu par leur « grand économiste » Georgescu-Roegen, les décroissants sont sûrs de tenir l’argument imparable qui ne peut que convaincre industriels et décideurs de bonne foi. A défaut de quoi, les conséquences, prévisibles et calculables, sauront les contraindre à faire les choix qui s’imposent (comme dit Cochet, dont Latouche aime à citer le livre Pétrole apocalypse : « A cent dollars le baril de pétrole, on change de civilisation. »).

Qualifier la société de thermo-industrielle permet aussi de négliger tout ce qui d’ores et déjà s’y produit en matière de coercitions et d’embrigadement, sans contribuer, ou si peu, à l’épuisement des ressources énergétiques. On passe d’autant plus volontiers là-dessus qu’on y trempe soi-même, à l’Education nationale ou ailleurs. Attribuer tous nos maux au caractère « thermo-industriel » de cette société est donc assez confortable, en même temps qu’assez simpliste pour combler les appétits critiques des niais et des crétins arrivistes, déchets ultimes de l’écologisme et du « mouvement associatif », qui font la base de la décroissance. C’est le souci de ne pas brusquer cette base avec des vérités trop rudes, de lui faire miroiter une transition en douceur vers « l’ivresse joyeuse de l’austérité partagée » et le « paradis de la décroissance conviviale » qui amène Latouche, lequel n’est tout de même pas si bête, à de telles pauvretés volontaires, prudences de tournée électorale ou d’encyclique pontificale : « Il est de plus en plus probable qu’au-delà d’un certain seuil, la croissance du PNB se traduise par une diminution du bien-être » ; ou encore, après s’être aventuré jusqu’à imputer au « système marchand » la désolation du monde : « Tout cela confirme les doutes que nous avions émis sur l’écocompatibilité du capitalisme et d’une société de décroissance. » (Le Pari de la décroissance, 2006)

Car, même si la plupart des décroissants ont jugé prématuré ou maladroit de créer formellement un « Parti de la décroissance », et préférable de « peser dans le débat », il y a bien là une sorte de parti qui ne dit pas son nom, avec sa hiérarchie informelle, ses militants de base, ses intellectuels et experts, ses dirigeants et fins politiques. Tout cela baigne dans les vertueuses conventions d’un citoyennisme qu’on se garde de choquer par quelque outrance critique : il faut surtout ne froisser personne au Monde diplomatique, ménager la gauche, le parlementarisme (« Le rejet radical de la ‘‘ démocratie ’’ représentative a quelque chose d’excessif », ibid.), et plus généralement le progressisme en se gardant de jamais paraître passéiste, technophobe, réactionnaire. La « transition » vers la « sortie du développement » doit donc rester assez vague pour ne pas interdire les combinaisons et les arrangements de ce que l’on dénonce rituellement sous le nom de « politique politicienne » : « Les compromis possibles sur les moyens de la transition ne doivent pas faire perdre de vue les objectifs sur lesquels on ne peut transiger. » (Petit traité de la décroissance sereine, 2007.) Ces objectifs sont psalmodiés par Latouche dans un style digne de l’école des cadres du Parti : « Rappelons ces huit objectifs interdépendants susceptibles d’enclencher un cercle vertueux de décroissance, sereine, conviviale et soutenable : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler. » (Ibid.) Quant à réutiliser et recycler, Latouche donne sans attendre l’exemple en rabâchant et ressassant d’un livre à l’autre les mêmes vœux pieux, statistiques, indices, références, exemples et citations. Tournant en rond dans son « cercle vertueux », il cherche cependant à innover et a ainsi enrichi son catalogue de deux « R » (reconceptualiser et relocaliser) depuis l’époque où le fier projet de « défaire le développement, refaire le monde » s’élaborait sous l’égide de l’Unesco (cf. Survivre au développement, 2004). On comprend dès lors assez mal l’absence d’un neuvième commandement, (se) réapproprier, désormais récuré de tout relent révolutionnaire (l’antique « Exproprions les expropriateurs ! ») ; ainsi décontaminé, il va pourtant comme un gant fait main à l’expéditive entreprise de récupération à laquelle se livrent les décroissants pour se bricoler, vite fait, une galerie d’ancêtres présentables (où figure maintenant « une tradition anarchiste au sein du marxisme, réactualisée par l’Ecole de Francfort, le conseillisme et le situationnisme », Petit traité...).

Selon Latouche, le « pari de la décroissance (...) consiste à penser que l’attrait de l’utopie conviviale combiné au poids des contraintes au changement est susceptible de favoriser une ‘‘ décolonisation de l’imaginaire ’’ et de susciter suffisamment de ‘‘ comportement vertueux ’’ en faveur d’une solution raisonnable : la démocratie écologique » (Le Pari de la décroissance). Si, en fait de « contraintes au changement », on voit bien à quoi peuvent servir les décroissants - à relayer par leurs appels à l’autodiscipline la propagande pour le rationnement, afin que, par exemple, l’agriculture industrielle ne manque pas d’eau pour l’irrigation -, on discerne en revanche assez mal quel attrait pourrait exercer une « utopie » dont le « programme quasi électoral » fait une place au bonheur et au plaisir en proposant d’ « impulser la ‘‘ production ’’ de biens relationnels ». Certes on se méfierait de trop lyriques envolées sur les lendemains qui décroissent. On n’y est guère exposé lorsque ces besogneux, coiffés de leur bonnet de nuit, exposent avec un entrain d’animateur socioculturel leurs promesses de « joie de vivre » et de sérénité conviviale. Leurs pitoyables tentatives de mettre un peu de fantaisie dans leur austérité sont aussi inspirées que celles de Besset chantant les beautés du surréalisme à la manière d’un sous-préfet inaugurant une médiathèque René-Char à Lamotte-Beuvron. Le bonheur semble une idée si neuve pour ces gens, l’idée qu’ils s’en font paraît tellement conforme aux joies promises par un festin macrobiotique, qu’on ne peut que supposer qu’ils se font eux-mêmes mourir d’ennui ou que quelque casseur de pub leur en a fait la remarque. Ils s’emploient désormais, notamment dans leur revue « théorique » Entropia, à montrer qu’ils raffolent de l’art et de la poésie. On voit déjà l’affichette et les flyers (« Dimanche après-midi à la Maison des associations de Moulins-sur-Allier, de 15h30 à 17 heures, le club des poètes locaux et l’association des sculpteurs bretons se livreront à une amusante performance, suivie d’un goûter bio »).

L’idéologie de la décroissance est née dans le milieu des experts, parmi ceux qui, au nom du réalisme, voulaient inclure dans une comptabilité « bioéconomique » ces « coûts réels pour la société » qu’entraîne la destruction de la nature. Elle conserve de cette origine la marque ineffaçable : en dépit de tous les verbiages convenus sur le « réenchantement du monde », l’ambition reste, à la façon de n’importe quel technocrate à la Lester Brown, « d’internatiser les coûts pour parvenir à une meilleure gestion de la biosphère ». Le rationnement volontaire est prôné à la base, pour l’exemplarité, mais on en appelle au sommet à des mesures étatiques : redéploiement de la fiscalité (« taxes environnementales »), des subventions, des normes. Si l’on se risque parfois à faire profession d’anticapitalisme - dans la plus parfaite incohérence avec des propositions comme celle d’un « revenu minimum garanti », par exemple - on ne s’aventure jamais à se déclarer anti-étatiste. La vague teinte libertaire n’est là que pour ménager une partie du public, donner une touche de gauchisme très consensuel et « antitotalitaire ». Ainsi l’alternative irréelle entre « écofascisme » et « écodémocratie » sert surtout à ne rien dire de la réorganisation bureaucratique en cours, à laquelle on participe sereinement en militant déjà pour l’embrigadement consenti, la sursocialisation, la mise aux normes, la pacification des conflits. Car la peur qu’exprime ce rêve puéril d’une « transition » sans combat est, bien plus que celle de la catastrophe dont on agite la menace pour amener les décideurs à résipiscence, celle des désordres où liberté et vérité pourraient prendre corps, cesser d’être des questions académiques. Et c’est donc très logiquement que cette décroissance de la conscience finit par trouver son bonheur dans le monde virtuel, où l’on peut sans se sentir coupable voyager « avec un impact très limité sur l’environnement » (Entropia, n°3, automne 2007) ; à condition toutefois d’oublier qu’en 2007, selon une étude récente, « le secteur des technologies de l’information, au niveau mondial, a autant contribué au changement climatique que le transport aérien » (Le Monde, 13-14 avril 2008).

Chapitre XXV

Aussi éloigné de toute outrance Latouche sache-t-il se montrer dans l’accomplissement de son « devoir d’iconoclastie », la décroissance n’en a pas moins ses révisionnistes, qui l’invitent à oser paraître ce qu’elle est et à remiser une fois pour toutes un accoutrement subversif qui lui va si mal : « Une première proposition pour consolider l’idée d’une décroissance pacifique serait un renoncement clair et sans équivoque à l’objectif révolutionnaire. Casser, détruire ou renverser le monde industriel me semble non seulement une lubie dangereuse, mais un appel caché à la violence, tout comme l’était la volonté de supprimer les classes sociales dans la théorie marxiste. » (Alexandre Genko, « La décroissance, une utopie sans danger ? », Entropia n°4, printemps 2008.) Même un Besset, pourtant porte-plume de Hulot et défenseur du « Grenelle de l’environnement » comme « premier pas dans une démarche de transition vers la mutation écologique, sociale et culturelle de la société », a du mal après cela à surenchérir de modération : « Face à l’ampleur et à la complexité de la tâche, ce ne sont certainement pas les projections verbeuses ou les catéchismes révolutionnaires qui s’avèreront d’un grand secours. (...) On a beau habiller la décroissance d’adjectifs sympathiques - conviviale, équitable, heureuse -, l’affaire ne se présente pas avec le sourire (...) les transitions vont être redoutables, les arrachements douloureux. » (Ibid.) Ces vertes remontrances disent à leur façon assez bien en quoi les recommandations décroissantes ne constituent d’aucune façon un programme dont il y aurait lieu de discuter le contenu, et quelle est la partition imposée sur laquelle elles essaient de jouer leur petite musique (decrescendo cantabile), en guise d’accompagnement de fin de vie pour une époque de la société industrielle : un « nouvel art de consommer » dans les ruines de l’abondance marchande [1].

L’image que se faisait de lui-même ce que l’on appelait naguère le « monde libre » n’avait en fait guère varié depuis Yalta : ce conformisme démocratique, bardé de ses certitudes, de ses marchandises et de ses technologies désirables, avait certes été brièvement ébranlé par des troubles révolutionnaires autour de 1968, mais la « chute du mur » avait semblé lui assurer une sorte d’éternité (in avait expéditivement parlé de « fin de l’histoire »), et l’on croyait pouvoir se féliciter de ce que les cousins pauvres veuillent accéder à leur tour et au plus vite à semblables délices. Il a cependant fallu par la suite commencer à s’inquiéter du nombre des cousins, surtout des plus lointains, et à se demander s’ils faisaient vraiment partie de la famille, quand ils se sont mis à accroître inconsidérablement leur « empreinte carbone ». Ce dont tout le monde s’alarme désormais, ce n’est plus seulement du scénario classique de surpopulation, où, en dépit des gains de productivité, les ressources alimentaires s’avèreraient insuffisantes à pourvoir aux besoins des surnuméraires, mais d’une configuration inédite dans laquelle, à population constante, la menace provient d’un trop-plein de modernes vivant de façon moderne : « Si les Chinois ou les Indiens doivent vivre comme nous... » Face à ce « réel catastrophique », les panacées technologiques que l’ont fait encore miroiter (fusion nucléaire, transgénèse humaine, colonisation des océans, exode spatial vers d’autres planètes) n’ont guère l’allure d’utopies radieuses, sauf pour quelques illuminés, mais plutôt de palliatifs qui viendraient de toute façon beaucoup trop tard. Il reste donc à prêcher « âpres renoncements » et « arrachements douloureux » à des populations qui vont devoir « descendre de plusieurs degrés dans l’échelle de l’alimentation, des déplacements, des productions, des modes de vie » (Besset) ; et, vis-à-vis des nouvelles puissances industrielles, à revenir au protectionnisme au nom de la lutte contre le « dumping écologique », en attendant qu’émerge là aussi une relève plus consciente des « coûts environnementaux » et des mesures à prendre (réorientation qu’incarne en Chine le désormais ministre Pan Yue).

Les « contraintes du présent » que se plaît à seriner le réalisme des experts sont exclusivement celles qu’imposent le maintien et la généralisation planétaire d’un mode de vie industriel condamné. Qu’elles ne s’exercent qu’à l’intérieur d’un système des besoins dont le démantèlement permettrait de retrouver, sous les complications démentes de la société administrée et de son appareillage technologique, les problèmes vitaux que la liberté peut seule poser et résoudre, et que ces retrouvailles avec des contraintes matérielles affrontées sans intermédiaires puissent être, en elles-mêmes, tout de suite, une émancipation, voilà des idées que personne ne se risque à défendre franchement et nettement, parmi tous ceux qui nous entretiennent des immenses périls créés par notre entrée dans l’anthropocène. Quand quelqu’un se hasarde à évoquer timidement quelque chose dans ce sens, que peut-être ce ne serait par un renoncement bien douloureux que de se priver des commodités de la vie industrielle, mais au contraire un immense soulagement et une sensation de revivre enfin, il s’empresse en général de faire machine arrière, conscient qu’il sera taxé de terrorisme anti-démocratique, voire de totalitarisme ou d’écofascisme, s’il mène ses raisonnements à leur terme ; de là cette profusion d’ouvrages où quelques remarques pertinentes sont noyées dans un océan de considérations lénifiantes. Il n’y a presque plus personne pour concevoir la défense de ses idées, non comme une banale stratégie de conquête de l’opinion sur le modèle du lobbying, mais comme un engagement dans un conflit historique où l’on se bat sans chercher d’autre appui qu’un « pacte offensif et défensif avec la vérité », selon le mot d’un intellectuel hongrois en 1956. Ainsi on ne peut qu’être atterré par l’unification des points de vue, l’absence de toute pensée indépendante et de toute voix réellement discordante. Si l’on considère l’histoire moderne, ne serait-ce que celle du siècle dernier, on est pris de vertige à constater d’une part la variété et l’audace de tant de positions, d’hypothèses et d’avis contradictoires, quels qu’ils aient été, et d’autre part ce à quoi tout cela est maintenant réduit. Au lavage de cerveau auquel se sont livrés sur eux-mêmes tant de protagonistes toujours vivants répondent au mieux des travaux historiques parfois judicieux, mais qui semblent relever plutôt de la paléontologie ou des sciences naturelles, tant ceux qui les mènent paraissent loin d’imaginer que les éléments qu’ils mettent au jour pourraient avoir quelque usage critique aujourd’hui.

Le goût de la conformité vertueuse, la haine et la peur panique de l’histoire, sinon comme caricature univoque et fléchée, ont atteint un point tel qu’à côté de ce qu’est aujourd’hui un citoyenniste, avec ses indignations calibrées et labellisées, son hypocrisie de curé, sa lâcheté devant tout conflit direct, n’importe quel intellectuel de gauche des années cinquante ou soixante passerait presque pour un farouche libertaire débordant de combativité, de fantaisie et d’humour. A observer une telle normalisation des esprits, on en arriverait à l’action d’une police de la pensée. En fait l’adhésion au consensus est le produit spontané du sentiment d’impuissance, de l’anxiété qu’il entraîne, et du besoin de rechercher la protection de la collectivité organisée par un surcroît d’abandon à la société totale. La mise en doute de n’importe laquelle des certitudes démocratiquement validées par l’assentiment général - les bienfaits de la culture par Internet ou ceux de la médecine de pointe - pourrait laisser soupçonner une déviation par rapport à la ligne de l’orthodoxie admise, peut-être même une pensée indépendante, voir un jugement portant sur la totalité de la vie aliénée. Et qui est-on pour se le permettre ? Tout cela n’est pas sas rappeler d’assez près la maxime de la soumission militante, perinde ac cadaver, ainsi que l’avait formulée Trotski : « Le Parti a toujours raison. » Mais alors que dans les sociétés bureaucratiques totalitaires la contrainte était ressentie comme telle par les masses, et que c’était un redoutable privilège des militants et des apparatchiks de devoir croire à la fiction d’un choix possible - pour ou contre la patrie socialiste, la classe ouvrière, le Parti -, c’est-à-dire d’avoir à mettre constamment à l’épreuve une orthodoxie jamais assurée, ce privilège est maintenant démocratisé, quoique avec moins d’intensité dramatique : pas question de s’opposer au bien de la société, ou à ce qu’elle y déclare nécessaire. C’est un devoir civique que d’être en bonne santé, culturellement à jour, connecté, etc. Les impératifs écologiques sont l’ultime argument sans réplique. Qui ne s’opposerait à la pédophilie, certes, mais surtout qui s’opposerait au maintien de l’organisation sociale qui permettra de sauver l’humanité, la planète et la biosphère ? Il y a là comme une aubaine pour un caractère « citoyen » déjà bien trempé et répandu.

En France, il est notable que la que la soumission apeurée prend une forme particulièrement pesante, quasi pathologique ; mais il n’est pas besoin pour l’expliquer de recourir à la psychologie des peuples : c’est tout simplement qu’ici le conformisme doit en quelque sorte travailler double pour s’affermir dans ses certitudes. Car il lui faut censurer le démenti que leur a infligé par avance, il y a déjà quarante ans, la critique de la société moderne et de son « systèmes d’illusions » que portait la tentative révolutionnaire de Mai 1968, et qu’elle a fait fugitivement accéder à la conscience collective, en l’inscrivant dans l’éphémère espace public qu’avait créé son existence sauvage. Un rival décroissant de Latouche, qui s’affirme plus nettement « républicain » et « démocrate », c’est-à-dire étatiste et électoraliste, redoute ainsi que des « thèses et des pratiques extrémistes, maximalistes » viennent renforcer dans la jeunesse des travers qui lui seraient propres, « comme la haine de l’institution ou le rejet en bloc de la société » (Vincent Cheynet, Le Choc de la décroissance, 2008)

René Riesel et Jaime Semprun. (avril 2008)


[1] « C’est donc au moment où la fuite en avant de la société industrielle la mène irréversiblement à l’effondrement qu’on a choisi de privilégier l’échange d’arguties sur le contrôle - scientifique ou, peut-être, citoyen - sur les mérites de l’expertise publique de cet effondrement ou sur les précautions à prendre pour le rendre supportable. Comment y voir autre chose qu’une controverse sur les usages ou les manières de table qu’on aurait décidé de mener sur le radeau de la Méduse ? » (René Riesel, « Communiqué » du 9 février 2001 à Montpellier, Aveux complets des véritables mobiles..., 2001.)
Diggers
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede Harfang » 28 Juil 2008, 07:22

Texte intéressant. Excessif, mais c'est la forme de communication qui veux ça. Il serait dommage d'enterrer l'ensemble du concept et de ceux qui le pratiquent.
Harfang
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede angularsound » 28 Juil 2008, 13:59

Je comprend pas. Il me semble que le mec est totalement à côté de la plaque. On dirait une croisade de fonctionnaire d'un conglomérat industriel public contre la prise de conscience écologique et l'anarchie.

Harfang, que veux-tu dire par "forme de communication", c'est un texte ironique ? J'ai du louper un wagon ...
angularsound
 

Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede willio » 28 Juil 2008, 15:19

Je ne crois pas que la décroissance soit dissociée par les anarchistes d'une critique de l'économie et de l'organisation sociale dans son ensemble.
Il ne faut pas prendre le mot décroissance au pied de la lettre, mais voir ce qu'il implique dans le contexte de l'idée anarchiste. Il est plus une critique du système actuel (et notamment du développement durable) qu'un véritable projet cohérent en lui même et autonome.
willio
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede Harfang » 28 Juil 2008, 15:20

Ce texte emploi une forme pamphlétaire qui caricature et exagère. Sur le fond, leur point de vue est assez pertinent, mais il est non nuancé, on trouve la même critique d'ailleurs, sous une forme plus incisive dans " l'insurection qui vient."
En fait, c'est trés bien de relever et dénoncer les incohérences et les déviations du concept de la décroissance mais ils vont trop loin, en ce sens qu'ils jettent le bébé avecv l'eau du bain, car sur le fond le "moins consommer, moins produire" et, je trouve tout à fait logique si l'on rejette une société au consumérisme aussi dévorant que son matérialisme.
Harfang
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede Sins We Can't Absolve » 28 Juil 2008, 16:02

Harfang a écrit:Texte intéressant. Excessif, mais c'est la forme de communication qui veux ça. Il serait dommage d'enterrer l'ensemble du concept et de ceux qui le pratiquent.

Entièrement d'accord là-dessus. Latouche le disait lui-même : la décroissance n'est récupérable par aucune idéologie (ça inclue donc l'anarchisme). Il faudrait que les anarchistes arrêtent de vouloir toujours jouer aux marginaux, surtout si c'est pour s'en plaindre après. La décroissance balaye toutes les tendances politiques non propres au système actuelle (ça veut dire que la droiche et la gaute ne sont pas touchées ; même l'ED en est, avec Benoist). Ce qui rejoint ce propos :
angularsound a écrit:Je comprend pas. Il me semble que le mec est totalement à côté de la plaque. On dirait une croisade de fonctionnaire d'un conglomérat industriel public contre la prise de conscience écologique et l'anarchie.

C'est une querelle de clochers.... une de plus...
Sins We Can't Absolve
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede RickRoll » 28 Juil 2008, 17:28

Heu...

Il y a des partisans de la décroissance qui sont anti-capitalistes et remettent en cause les rapports de domination dans la société capitaliste...

Par exemple André Gorz, ou il y a très longtemps Paul Lafargue.
Oui parce que la décroissance ce ne sont pas seulement des préoccupations écolos, c'est aussi une remise en cause des rapports de production et de la répartition des richesses produites.
RickRoll
 

Re: La décroissance ? C'est la soumission durable !

Messagede Nico37 » 26 Juil 2009, 21:47

Pour ceux que ça intéresse, voici un manifeste assez bien foutu qui explicite le "projet de société" des objecteurs de croissance (ici du québec).
Beaucoup moins simpliste que certains veulent bien en dire. Beaucoup "solidaire" (quoique réformiste, non révolutionnaire, non communiste/anticapitaliste). Et qui a le mérite de mettre en perspective un "horizon" désirable vers lequel se diriger à moyen terme (et donc articuler des revendications, des luttes...).

http://www.decroissance.qc.ca/manifeste.html
http://www.decroissance.qc.ca/documents/manifeste.pdf

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À vous qui vous préoccupez de l'avenir des prochaines générations.

Nous vivons dans un monde en crise. « Lucides » ou « Solidaires », tous s’entendent là-dessus. Mais les solutions proposées, qu’elles soient néolibérales ou progressistes, restent dans le paradigme du développement et de la croissance économique, alors même qu’il s’agit là d’une cause majeure de bien des problèmes.
Dans la foulée du mouvement européen de la décroissance économique soutenable(1), nous invitons les citoyens et citoyennes du Québec à poser un regard d’ensemble sur le système actuel, en particulier sur les problèmes écologiques et sociaux.
La « décroissance » est une interpellation à la « croissance économique », expression qui donne une connotation vivante et positive à des phénomènes destructeurs des écosystèmes et du tissu social. Le développement économique productiviste accroît l’écart entre les riches et les pauvres tandis que l’augmentation de la production de « richesse » ne signifie pas l’amélioration générale de la condition humaine. La croissance des entreprises ne les empêche pas de couper des postes pour augmenter leurs bénéfices, réduisant à néant l’argument pro-croissance de la création d’emplois. Par ailleurs, la production toujours augmentée de biens de consommation gruge les ressources qui constituent notre capital écologique et engendre de la pollution et des déchets à la tonne. Les guerres, déversements de pétrole ou carambolages automobiles sont des exemples d’événements qui élèvent le produit intérieur brut, indicateur dont on se sert pour évaluer la santé des nations. Cette analyse des activités humaines donne un portrait inexact de la réalité. Comme beaucoup d’autres avant nous, nous affirmons que l’économie doit cesser de dicter les décisions de tout ordre et redevenir un moyen au service des êtres humains.
La décroissance n’est pas une idéologie simpliste et moralisatrice mais un appel à la réflexion fondé sur un fait incontestable : sur une planète limitée, la croissance illimitée, objectif de tous nos gouvernements, est une impossibilité. Elle conduit à des déséquilibres de plus en plus dangereux.

Quatre crises intimement liées
Crise écologique, d’abord. Inutile de rappeler que depuis l’industrialisation, les êtres humains ont fait disparaître des milliers d’espèces, pollué l’air, l’eau et le sol, décimé des forêts, produit assez de gaz à effet de serre pour modifier le climat, faire fondre les glaciers et élever le niveau des mers, le tout avec des conséquences incontrôlables. La population mondiale consomme comme si nous avions une planète et demie. Si les six milliards d’habitants de la planète pouvaient se permettre le mode de vie que les pays industrialisés font miroiter à travers le monde, c’est de six planètes dont nous aurions besoin(2).
Crise sociale, encore. Malgré toutes les promesses de l’idéologie de croissance, la sous-alimentation et l’insécurité alimentaire compromettent la santé de millions de personnes, dans le tiers-monde et dans les pays industrialisés, incluant le Québec. Au même moment, les maladies liées à l’american way of life et à sa pollution font leurs ravages : asthme, cancer, allergies, obésité, maladies cardio-vasculaires, problèmes de santé mentale, etc. Des milliers de personnes vivent des épisodes d’épuisement professionnel pour avoir trop travaillé tandis que des milliers d'autres personnes sont exclues du marché du travail et soumises à l’opprobre.
Crise du sens, toujours. Le stress et le sentiment de vide provoquent dépressions et suicides. Entraînés dans le tourbillon du productivisme et du consumérisme, nous n’avons pas le temps de réaliser que notre liberté se limite à celle de choisir parmi des produits et à s'identifier à des marques de commerce. Le sens véritable de la vie, qui est quête en soi, est évacué du programme. Continuellement occupés, agités, divertis, nous n'avons plus la possibilité de réfléchir alors même que nous consommons biens, services, ainsi que nos relations. Les liens humains prennent place dans un système où le réflexe cultivé est de chercher notre plus grand profit, au détriment de toute solidarité. Branchés sur des médias de masse qui procurent une illusion de présence, nous constatons avec impuissance notre difficulté d’être, tout simplement, avec nos semblables.
Crise politique, enfin. Les citoyens désabusés ne font pas confiance aux politiciens. Rien de surprenant, quand les multinationales imposent leurs règles avec la complicité des gouvernements en place. De grandes institutions non élues, telles l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, prennent des décisions qui affectent la vie de peuples entiers n’ayant pas leur mot à dire. Les contestations sont réprimées par la force policière, quand ce n’est législative et judiciaire(3). Mais qu’est-ce donc qui légitime le fait que les intérêts financiers des entreprises pèsent plus lourd que les droits des peuples?
Nous, « objecteurs de croissance », déplorons les ravages provoqués par l'idéologie de la croissance et toutes les conditions qui la déterminent.

Culs-de-sac
À tous ceux qui portent l’étendard du développement durable, nous voulons souligner les dangers insidieux de cette approche la plupart du temps bien intentionnée, mais souvent récupérée par les relations publiques des grandes entreprises. L’expression « développement durable », issue du rapport de la commission Brundtland en 1987, présuppose la possibilité du respect de l’environnement dans un contexte de croissance économique et propose de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. En faisant de la croissance une nécessité, le développement durable abandonne toute tentative sérieuse d’éliminer les activités économiques nuisibles. En voulant répondre candidement aux besoins du présent, le développement durable évite de les remettre en question. La satisfaction de nos « besoins » de mobilité, de confort et de télécommunications prépare aux générations futures un legs de pollution, de catastrophes climatiques et de déchets, entre autres.
Une compagnie qui recycle son papier peut se réclamer du développement durable, tout en exportant sur des milliers de kilomètres des objets jetables qui quelques semaines plus tard se retrouveront dans un dépotoir. Le mouvement de la consommation responsable réussit lui aussi à convaincre une partie de la population de consommer des produits équitables, locaux, sans pesticides, biologiques, éco-énergétiques... Petits pas dans le bon sens? Prise de conscience? Nous souhaitons le croire. Mais la possibilité de faire des « achats éthiques » évite de poser la question de la nécessaire réduction de la consommation (seul moyen direct de réduire la pollution, les émissions de gaz à effets de serre, la production de déchets). De la même manière, un effet rebond a été constaté avec les technologies éco-énergétiques : puisque la machine consomme moins, les consommateurs ont tendance à l’utiliser davantage ou à allouer l’argent économisé à d’autres biens de consommation, avec pour conséquence une augmentation globale des ressources matérielles ou énergétiques utilisées.
Qu’en est-il de cette autre avenue réconfortante à première vue, celle de croire que la technologie apportera des solutions aux préoccupations écologiques? Voiture électrique, décontamination, organismes génétiquement modifiés, biogaz et éthanol, etc. Malheureusement, ces « solutions » ne sont pas sans conséquences. Produire de l’éthanol, par exemple, exige qu’on consacre beaucoup de terres agricoles à la monoculture de maïs, dévastant ainsi la biodiversité et entraînant une utilisation intensive de pesticides et d’engrais chimiques qui appauvrissent le sol et polluent les eaux. Nous vivons dans un monde qui valorise systématiquement le progrès et l’innovation technologique sans considérer l’ensemble de leurs conséquences, oubliant que c’est cette même foi qui a engendré les catastrophes écologiques que la technologie prétend aujourd’hui solutionner. Ainsi, une technologie médicale de pointe, impensable en dehors du cadre d’une société industrialisée, permet de soigner des cancers… dus à la pollution engendrée par l’industrialisation.
Voyons un peu comment l’idéologie du progrès, qui va de pair avec celle de la croissance, cause plus de tort qu’elle ne peut en réparer.
D’abord, la frénésie de l’innovation raccourcit le cycle de vie des objets, dont l’obsolescence est planifiée. Celui qui souhaite faire réparer un appareil doit agir avec conviction pour renoncer à l’attrait du nouveau modèle et pour trouver, quand cela est encore possible, les pièces et le réparateur qualifié. Par exemple, acheter un nouveau grille-pain coûte moins cher que de faire réparer celui qu’on a déjà. Rapidement, les objets se retrouvent dans les dépotoirs, après avoir participé à l’exploitation des personnes qui les fabriquent, au gaspillage des ressources, à la consommation d’énergie et à la production de pollution. Ces phénomènes se trouvent légitimés par l’impératif de la croissance, même si l’exploitation des ressources naturelles engendre des conflits meurtriers et que la gestion des déchets coûte des sommes astronomiques. Cette idéologie, en posant comme légitime, sensée et nécessaire l’accumulation de richesses, justifie tous les moyens de faire de l’argent et de croître : marchandisation de l’eau, exploitation des enfants, guerres pour le pétrole - et marketing artificieux.
Nous vivons malgré nous dans l’ignorance du réseau de dépendance impliqué par l’utilisation de la technologie. Pour que nous utilisions un grille-pain, il a fallu l’usine, le système de transport, le réseau et les centrales électriques. Les appareils technologiques n’existent pas seuls, ils impliquent toute une organisation sous-jacente. On prétend qu’Internet et les ordinateurs réduisent l’utilisation de papier, mais tout reste branché sur l'imprimante et on oublie aussi que de tels moyens de communication ne sont possibles que dans une société industrialisée qui a déjà impliqué un immense gaspillage et continue de dilapider les ressources (forestières entre autres), ne serait-ce que dans l’emballage des pièces qui se baladent d’un bout à l’autre de la planète. Et on occulte les tonnes d’ordinateurs désuets qui ne sont rien de moins que des déchets toxiques. De même, on nous présente l’automobile comme la liberté de se déplacer, le plaisir de conduire, le symbole de la réussite. Mais ce mode de transport implique des kilomètres d’asphalte, la pollution, l’enlaidissement des paysages, le bruit, l’urbanisme qui isole les différents secteurs de la vie, les guerres pour le pétrole, sans compter les milliers de morts d’accidents.
Par ailleurs, nous devenons complètement dépendants de la technologie, incapables de fonctionner sans elle, incapables pour la plupart de comprendre comment elle fonctionne et de la réparer quand ses appareils se brisent. Les innovations technologiques exigent de grands investissements financiers, pour la recherche, le développement et la production. Leur confier la sauvegarde de l’environnement signifie au bout du compte l’abandon entre les mains des détenteurs de capitaux et des grandes compagnies de la possibilité des populations de prendre en main les défis de la vie commune.
Nous nommons « outils » ces machines, mais il importe de réaliser qu’il ne s’agit pas d’objets neutres que nous pouvons utiliser comme bon nous semble ou selon nos principes. Leur usage nous inscrit dans un vaste système de contraintes, et plus encore il nous transforme, modifiant notre rapport au temps, à l’espace, aux autres êtres humains. La technologie métamorphose notre vision du monde et nos principes mêmes.
Entendons-nous bien : la décroissance n’est pas le désir d’un impossible retour au passé. Elle se veut un choix lucide des inventions. La décroissance, c’est cesser de croire que ce qui est nouveau est meilleur : un tri doit être fait dans ce que la technologie nous offre. Pour nous, certaines inventions devront être abandonnées totalement, par exemple l’énergie nucléaire et la bombe atomique. D’autres, tels l’avion ou divers types de transport motorisé, devront voir leur utilisation sérieusement réduite. En somme, les techniques ayant pour effet de mobiliser toujours plus de ressources devront être abandonnées. Cela ne veut pas dire que tout progrès technique doit être oublié. Pensons aux techniques de pointe en agriculture biologique qui nous font découvrir de nouveaux avantages au compagnonnage végétal. Nous accueillerons les inventions, les techniques qui aideront l’humanité à vivre plus simplement.

Sortir de la croissance
Ce constat de la situation nous permet d’affirmer que l’idéologie du Progrès, qui conçoit que l’Homme, maître de la nature, avance inéluctablement dans l’amélioration du monde, et celle de la croissance économique, fondée il y a plus de deux cents ans, ne concordent pas du tout avec la réalité du XXIe siècle.
L’idéologie dominante pose la croissance économique comme souhaitable, nécessaire et inévitable. Une loi de la nature, dit-on. Évidemment, tout organisme vivant croît, mais cette croissance se stabilise rapidement. La croissance à l’infini est une construction mentale humaine, pas une fatalité économique.
La pensée dominante invoque de même la nature humaine pour justifier l’« inévitable » recherche du profit à court terme. Notre espèce survit pourtant depuis des millénaires grâce à l’entraide et à la coopération... Nous pensons que la nature humaine ne se limite pas à sa seule fonction économique et possède de multiples facettes. Nous sommes ce que nous cultivons en nous. Nous croyons qu’il est possible de cultiver l’intelligence, la créativité et la bonne volonté des êtres humains à participer à un changement de culture radical valorisant l’être et la communauté.
De toutes les façons, comme la croissance économique repose sur une consommation importante d’énergie fossile, dont la diminution des capacités de production est annoncée pour les prochaines décennies, et qu’il ne sera pas possible de remplacer si aisément, des perturbations importantes du système actuel sont à prévoir. De là l’urgence de repenser les choses au-delà de l’idéologie de la croissance.
Évidemment, dans un système économique tel qu’il est aujourd’hui, croissance négative signifie récession, avec toute les conséquences problématiques dans le quotidien de milliers de personnes qui perdent les moyens financiers de répondre à leurs besoins. Le mouvement de la décroissance ne prône pas la récession. Mais vu l’impossibilité écologique pure et simple de voir se perpétuer la croissance à l’infini, les « objecteurs de croissance » proposent une tentative de sortie du paradigme de la croissance. Il s’agit de préparer, et ce dans un souci de justice sociale, les sociétés aux défis des limites physiques de la biosphère.

Réinventer le vivre ensemble
Détachons-nous des structures existantes et des pseudo-contraintes économiques pour concevoir un projet vraiment humain, un projet vraiment réaliste, celui de vivre en fonction de nos besoins et de nos ressources réelles, en harmonie avec notre environnement. Puisant dans notre expérience de la simplicité volontaire, nous sommes convaincus qu’une société de décroissance, qui reposera sur la prise en charge de leurs besoins par les populations, à petite échelle, entraînera l’amélioration de la qualité de vie en favorisant des environnements sains, la participation du plus grand nombre aux décisions, l’entraide et les échanges humains gratuits, la créativité et les occasions d’épanouissement. À quoi ressemblerait cette société? Comment faire des pas dans cette direction?
Cette réflexion pose de front le défi du vivre ensemble et de la répartition de la richesse. Dans la société que nous envisageons, comme dans toute communauté axée sur la satisfaction des besoins (et non sur la création de désirs matériels renouvelables), l’économie consiste en échanges de biens et de services à petite échelle. Le travail est une occasion de participer à la vie communautaire selon ses talents et habiletés, et non un joug nécessaire pour gagner de quoi consommer. Les entités de production sont de petites tailles et utilisent des machines simples à réparer et économiques d’usage. Par exemple : des métiers à tisser mécaniques actionnés par l’énergie humaine ou animale permettent une production beaucoup plus grande qu’un tissage manuel, sans demander les milliards de capitaux de construction et d’opération d’une manufacture industrielle et sans engendrer de perturbations écologiques. Le temps ne s’achète pas, ce n’est pas de l’argent, c’est un espace où s’épanouir.
Si on prétend que l’industrialisation a permis de produire des objets à moindre coût, c’est qu’on ne comptabilise pas la pollution de l’air, de l’eau et du sol, la maladie physique et mentale des employés de l’industrie, l’exil rural et la gestion des déchets. Dans une société de décroissance, les talents et les habiletés sont consacrés à fabriquer des objets esthétiques et durables. L’attention portée aux objets reflète le respect de la matière et du travail qui y ont été mis : on les entretient et les répare pendant des générations. Les cordonnières, couturiers, rembourreurs, cuisinières, ébénistes, menuisiers et techniciennes réparatrices de tout acabit ont donc pignon sur rue dans les communautés locales où chacun fait ses courses à pied, en vélo, en tricycle ou en tramway, en empruntant d’étroites allées bordées de jardins. Pourquoi ne pas importer le modèle des petits villages européens, évitant ainsi de parcourir des milliers de kilomètres outre-atlantiques en touristes pour les visiter? Échangeons simplement nos recettes plutôt que de faire voyager des cargaisons de biscuits outre-mer.
Une société écologique a un rapport très différent au déplacement. La sécurité alimentaire incite à une production de proximité des aliments de base. Le jardinage, même en ville, en est une composante essentielle. Les entités de production des biens étant de petite taille, elles sont implantées directement au sein des communautés, éliminant ainsi les parcs industriels qui dévastent le paysage et évitant aux personnes de se déplacer sur des dizaines de kilomètres chaque jour pour aller travailler. Le transport des marchandises est également réduit de beaucoup. Les réseaux ferroviaires municipal et national offrent un service rapide et économique, comme c’était le cas avant que les industries du pétrole et de l’automobile ne le démantèlent(4). Dans une société qui laisse du temps libre aux personnes, les transports actifs, à pied ou à vélo, ont une place de choix. Les rues et les boulevards urbains sont convertis en pistes cyclables et en trottoirs bordés de parcs. Puisqu’on engloutit moins de ressources dans la réfection des routes et dans la construction des ponts, celles-ci sont disponibles pour l’entretien du transport ferroviaire et l’installation de couloirs à l’abri du vent et de la neige pour le vélo d’hiver, par exemple. Dans une société favorisant ainsi l’activité physique, la détente, un environnement sain et une alimentation naturelle, la médecine occupe une place beaucoup moins importante. Et nous pourrions continuer longuement à esquisser le portrait d’une société hors-croissance.
Évidemment, une telle société ne sera pas la panacée. Nous aurons plus que jamais à faire face au défi du vivre ensemble. Cette partie apeurée de nous qui cherche la sécurité dans l’accumulation grincera des dents devant la rareté retrouvée et l’effort à fournir. Mais au-delà de la peur du manque et de l’inconfort, ces nouvelles structures changeront nos rapports aux autres et à la nature. En comblant notre besoin d’appartenance à une communauté et à un lieu, elles favoriseront des existences signifiantes.
Il importe de noter que l’application de ces moyens simples et accessibles, qui représentent chez nous une diminution de la consommation (et une augmentation de la qualité de vie!) constituerait dans plusieurs pays du tiers-monde, actuellement affamés par les systèmes de production et de consommation des sociétés dites développées, une augmentation de leur accès aux biens et services, établissant une plus grande justice planétaire, chose écologiquement impossible si nous maintenons notre niveau de vie.

Pistes pour la transformation
Sommes-nous rêveurs? Peut-être devrions-nous poser autrement la question : sommes-nous plus rêveurs que ceux qui pensent améliorer le bien-être général en soutenant une forte croissance économique?
La société actuelle est fort complexe et nous apparaît comme immuable. Comment seulement envisager que les choses puissent être autrement? Évidemment, il s’agira d’un long cheminement de reprise en main individuelle et collective. La simplicité volontaire individuelle est une démarche essentielle, permettant de libérer du temps pour nous éduquer, lire, réfléchir et expérimenter des manières de faire qui seront centrales dans une société de décroissance : jardinage, démarches de croissance personnelle, techniques artisanales ou de réparation, travail bénévole coopératif, etc. C’est dans un mouvement sur la décroissance économique conviviale, qui est l’expression collective des principes d’équilibre de la simplicité volontaire, que ce mode de vie responsable prend tout son sens.
Une société en transition vers un paradigme autre que celui de la croissance économique favorisera le travail à temps partiel, incitant par ailleurs les individus et les communautés à mettre en œuvre des projets accroissant leur autonomie dans la satisfaction de leurs besoins. Des mesures de ralentissement de la circulation, des stationnements incitatifs, la gratuité du transport en commun, l’aménagement de rues piétonnières et de pistes cyclables sont toutes des actions qui vont dans le sens d’un réapprentissage du transport actif et de la présence au monde. Afin de rétablir l’équilibre dans la répartition des richesses, il serait envisageable de décréter un écart de revenu maximal à l’intérieur d’une même entreprise et des outils fiscaux redistributifs entre les plus riches et les plus pauvres, agissant ainsi contre l’inéquité et diminuant le pouvoir de ceux qui ont le plus d’impact négatif sur la nature, que ce soit par leur haut niveau de consommation ou par leurs investissements qui « font rouler l’économie ».
Évidemment, de nombreuses entreprises dont les activités n’ont d’utilité que dans le cadre d’un système de croissance économique (publicité, objets jetables, produits du pétrole, etc.) n’auront tôt ou tard pas le choix de ralentir puis d’arrêter leur production, bouleversant la situation de l’emploi. De là l’importance de s’éduquer et de se réoutiller vers une plus grande autonomie non marchande.
Les fermetures d’usines, événements dévastateurs dans une petite communauté, peuvent être l’occasion d’envisager autrement l’économie d’une région. En règle générale, on est prêt à investir des millions pour conserver les emplois, sans considérer la pertinence de ce qui est produit ni les conséquences de sa production. Pour la plupart des gens, la consommation et le crédit font partie des « acquis » qu’il ne faut pas remettre en cause, d’autant plus que le système économique actuel n’offre pas vraiment d’autre choix. Nous avons espoir qu’une éducation réaliste aux conséquences de notre niveau de vie, jointe à des expériences d’alternatives de subsistance qui permettent une réelle autonomie des communautés, mènera à des choix qui bénéficieront aux populations touchées en leur redonnant du pouvoir sur leur devenir, tout en préservant l’équilibre écologique.
Nous ne pourrons partager les ressources tant et aussi longtemps que nous respecterons le droit à la richesse et nourrirons des rêves d’opulence. Pour mettre en œuvre une société qui respecte vraiment les êtres et la nature, il est essentiel de réviser nos valeurs et notamment de rejeter l’accumulation et la compétition. Pour maintenir les écosystèmes et la biodiversité, il ne peut y avoir de millionnaires. Concernant la survie de l’espèce humaine, il est essentiel de cultiver le détachement face à l’appât du gain.
Sommes-nous plus rêveurs que ceux qui prétendent que la piscine, le jet privé et les aliments cultivés à l’autre bout du monde sont accessibles à quiconque fait preuve de détermination? Sommes-nous plus rêveurs que ceux qui prétendent encore au bonheur par l’accumulation des richesses et la frénésie du travail? Plus rêveurs que ceux qui croient qu’ils travaillent pour le futur de leurs enfants en constituant des fortunes dans les paradis fiscaux?

À l’image de l’adolescent, l’humanité vit au rythme des excès, grisée par le sentiment de puissance de ses accomplissements. Il est temps de tourner la page sur cette époque d’insouciance et d’acquérir collectivement un peu de maturité. Si nous n’entreprenons pas une réelle recherche d’équilibre fondée sur la reconnaissance et le respect des limites de la Terre, il est à prévoir des bouleversements bien pires que ceux découlant de la transition vers une économie hors du productivisme, qu’il soit capitaliste ou socialiste. La « nécessité » de la croissance économique n’est pas une contrainte absolue, contrairement aux limites physiques de la planète.
Notre position peut sembler déconcertante, mais les valeurs de solidarité qui la sous-tendent sont déjà bien ancrées dans la culture québécoise, où le plaisir de rendre service, la créativité des patenteux et la simplicité de voisinage sont bien connus, même s’ils sont de plus en plus difficiles à exprimer dans un monde où l’idéologie de croissance nous incite à nous méfier des autres – car l’entraide nuit à l’économie!
Le mouvement de la décroissance n’est pas une utopie. Nous croyons qu’il est possible, en commençant aujourd’hui, d’entreprendre de mille façons un virage vers une organisation sociale vraiment soutenable, et conviviale en prime! Et vous?



Les signataires :
Maude Bouchard-Fortier
Léo Brochier
Jean-Marc Brun
Jean-François Cantin
Arthur Lacomme
Jacinthe Laforte
Julien Lamarche
Louis Marion
Serge Mongeau
Marcel Sévigny



Notes :
1 - Voir http://www.decroissance.qc.ca pour une une liste de liens sur la décroissance.
2 - Voir Notre empreinte écologique, Mathis Wackernagel et William Rees, Écosociété, 1999, 216 pages.
3 - Les fameux SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation) : il y a eu au moins trois cas récemment au Québec (Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, Association des gens de l'Île d'Orléans contre le port méthanier à Lévis et À babord). Voir : http://www.taisez-vous.org.
4 - Voir Le livre noir de l’automobile, Richard Bergeron, Hypothèse, 1999, 435 pages.
Nico37
 
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Re: Les anarchistes et la décroissance

Messagede Pïérô » 04 Mai 2017, 21:45

Pulluler, jusqu'où ?

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Pulluler jusqu'où ?

La population mondiale atteignait 1 milliard en 1804, 2 en 1927, 3 en 1960, 4 en 1974, 5 en 1987, 6 en 1999, 7 en 2011. C’est-à-dire qu’après avoir suivi une augmentation extrêmement lente pendant des millénaires, l’effectif humain met 123 ans pour passer de 1 à 2 milliards… et 12 ans pour s’envoler de 6 à 7 milliards ! En 1850, les êtres humains et leur bétail représentaient environ 5 % de la biomasse animale terrestre ; elle est actuellement évaluée à 30 %. Face à une accélération aussi brutale dans laquelle on ne peut voir qu’un processus pathologique, et surtout au regard de ses conséquences, il est temps de s’interroger : après avoir colonisé la majeure partie de la surface terrestre considérée comme un terrain de jeu, quelle réflexion engager sur notre modèle démographique ? Cette préoccupation devrait être celle des anarchistes soucieux de l’émancipation de l’homme… et surtout de la femme ! D'autant que, dans le contexte de mégapoles désormais invivables parce que démesurées, les perspectives d'une « démocratie directe » favorisée par des structures de petite taille, semblent se dissiper.

Un sujet tabou

L'autocensure (ou l'aveuglement) existe même là où on ne s'attendrait pas à la trouver. Dans Oser la décroissance, Guy Jacques écrit : « La question démographique reste le point aveugle de la philosophie politique de la décroissance. Il est vrai que, pour certains, évoquer seulement la question démographique, c'est déjà vouloir exterminer les pauvres ». La question démographique est, depuis (presque) toujours, un sujet tabou, un domaine ignoré, évacué, au mieux une préoccupation secondaire… la croissance et la technologie trouveront bien des solutions. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. La plupart des courants de pensée philosophiques et religieux placent l’homme au centre du monde, au sommet de la pyramide du vivant : d’où le refus de poser des limites aux réalisations humaines. « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là ; ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout ce qui est vivant et qui remue sur la terre » (Genèse, 1, 28) !!

Sur le plan économique, la croissance constitue la référence obligée parce que le capitalisme s’y trouve condamné ; l’augmentation de la population d’une ville, d’un territoire est toujours une bonne nouvelle (performance, dynamisme, volonté de puissance…). Si le capitalisme n’a jamais assez de consommateurs, l’armée n’a jamais assez de chair à canon pour défendre l’identité nationale et galvaniser le patriotisme. Vauban écrivait dans Projet d’une dîme royale : « il est constant que la grandeur des rois se mesure sur le nombre de leurs sujets ». Pression des normes sociales, propagande étatique, aveuglement, vision trop optimiste, attitude négationniste, avantages matériels offerts… beaucoup de facteurs se conjuguent pour maintenir le rythme de croissance démographique. Même pour le PPLD (parti pour la décroissance), « un tel débat ouvre la porte à des politiques eugénistes inquiétantes » !! On comprend que certains écartent la révolution par peur de la violence ! Par ailleurs, la solution à un vieillissement de la population ne peut pas être l’augmentation de la proportion de jeunes, ceux-ci devenus vieux à leur tour réclameraient encore plus de jeunes : une fuite en avant suicidaire.

De lourdes conséquences

Des incidences d’ordre écologique s’amplifient, bien entendu, qui se traduisent par une pression considérable exercée sur la nature et ses ressources. Grâce à de nombreuses études et modèles mathématiques de prévision, on connaît mieux les interactions systémiques (complexes) entre six variables : espace disponible, pollution, agriculture, ressources naturelles, investissement en capital et population. Désormais, c’est plus de 70 millions d’habitants supplémentaires qu’une planète de plus en plus saccagée doit héberger tous les ans, et selon J. Tainter, les systèmes hyper-complexes ont atteint un niveau de rendements décroissants. Surchasse, surpêche, surpâturage, surexploitation, empoisonnement des sols, accumulation des déchets (et ce n'est pas le tourisme de masse qui contribue le moins à la détérioration de l’environnement : un milliard de touristes ont voyagé dans le monde en 2012). Soixante milliards d'animaux terrestres sont consommés chaque année ainsi que cent milliards d'animaux marins !! On peut en outre craindre des effets de seuil et des risques d’effondrement parce que le processus évolutif n’est pas linéaire. D’autant qu’une inertie démographique fait que, même si nous parvenions aujourd’hui à infléchir sensiblement la courbe de fécondité, ce n’est que vers 2040 que nous percevrions les premiers effets ; beaucoup de temps a été perdu par manque d’anticipation depuis les années 1950 et 1960. Les chances, pour les générations futures, de disposer d’une planète viable, et si possible agréable, s’amenuisent.

Parallèlement, des effets sociaux préjudiciables au bien-être, des pathologies apparaissent depuis plusieurs décennies chez des populations soumises à la logique de l’entassement, à la promiscuité, aux densités urbaines étouffantes, à la « bidonvillisation » du monde, au mode de vie artificiel, à l’encombrement, aux embouteillages, aux files d’attente. On comptait environ 1 habitant pour 3300 ha au Paléolithique, 1 pour 1000 ha au Mésolithique, 1 pour 100 ha au Néolithique, 1 pour 10 ha à l'âge de fer et 1 pour 2 ha à l'époque actuelle ! Par ailleurs, les risques de tension, la multiplication des conflits dans un monde surpeuplé pour l’appropriation d'un espace saturé et de ressources de plus en plus rares ne relèvent pas de la science-fiction mais de la réalité.

Mais c’est sans doute la femme qui potentialise le maximum de souffrances dans ce pullulement. Victimes permanentes des différentes formes de phallocratie, de l’idéologie patriarcale, ce ne sont pas elles, en effet, qui souhaitent de nombreux enfants, mais bien les hommes irresponsables qui les engrossent sous l’impulsion de leurs instincts. On estime à 80 millions chaque année dans le monde le nombre de grossesses non désirées (Th. De Giraud dans Moins nombreux, plus heureux, ouvrage collectif paru aux éditions Sang de la terre). Selon l’UNFPA (Fonds des nations unies pour la population), il existe 220 millions de femmes sur la planète dont les désirs contraceptifs ne sont pas assouvis. Et chacun peut constater que lorsque les femmes ont accès à l’éducation, à la liberté de choix, à l’autonomie financière, à la contraception et à l’avortement, la dénatalité en résulte.

Le combat des néo-malthusiens

C’est dans le contexte d’une « France qui se dépeuple » (« théorie » soutenue par une présentation délibérément alarmiste) que naît le néo-malthusianisme. Malgré son origine anglo-saxonne, c’est en France que ce mouvement trouve les circonstances les plus favorables à son développement. Ses adeptes, anarchistes pour la plupart, insistent sur les privations, les misères qu’engendre l’excès d’enfants dans les classes pauvres, et au contraitre, l’émancipation que favorisent les loisirs, l’éducation, la santé. En dénonçant les motivations profondes de la politique nataliste, et l’adoption de principes bons pour le peuple mais pas pour la bourgeoisie : la France manque d’ouvriers mais pas de patrons ; elle manque de soldats mais pas d’officiers. « Mais les guerres ne viennent que de là, de la misère et du trop-plein de population : c’est la saignée nécessaire à la sérénité des Etats » (H. Fèvre – Revue d’aujourd’hui 1890). « …mieux vaudrait tuer dans l’œuf la misère humaine que de l’élever et de la cultiver avec sollicitude et de la préparer froidement d’avance, avec une tendresse jésuitique, de la future chair à canon ! ».

Parce qu’ils s’opposent à de nombreux intérêts, parce qu’ils heurtent des valeurs conservatrices, les néo-malthusiens rencontrent – globalement de 1890 à 1920 – une opposition farouche, un véritable acharnement de la part d’organisations puissantes et actives, celles notamment des puritains et des « repopulateurs ». Accusation de pornographie, pudeur offensée, doctrine immorale et antisociale… tout est bon pour multiplier les tracasseries administratives, les dénonciations, les perquisitions, les frais de justice, les condamnations, les saisies. Si bien que dans la France des années 1920, on tolère l’action d’organisations royalistes ou racistes, mais l’exposé des thèses malthusiennes est passible de la prison.

Sans qu’il s’agisse d’un mouvement monolithique, le néo-malthusianisme rencontre dans ses luttes, à des moments différents, l’antimilitarisme, le syndicalisme, l’éducation populaire, le végétarisme… Mais c’est sans doute prioritairement la cause des femmes qui trouve le plus grand écho. Contre l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population qui souhaite « que l’enseignement ait désormais, avant tout, pour objectif de préparer les jeunes filles au rôle de mères de famille et de leur donner la vocation de la maternité », les néo-malthusiens rappellent que les femmes sont les principales victimes de l’ignorance, de l’irresponsabilité et de l’hypocrisie, souvent condamnées aux angoisses et aux graves dangers de l’avortement clandestin. La plupart d’entre eux considèrent que dans un couple le choix de l’opportunité d’une nouvelle naissance devrait revenir en priorité à la femme.

Pour une démographie responsable

Curieusement, ceux qui ne tolèrent aucune limite au pullulement de l’humanité évoquent, comme pour se rassurer quand même, une « transition démographique », dont personne d’ailleurs ne cerne clairement les contours ; c’est-à-dire une diminution du taux de croissance. Sauf que, comme le souligne D. Barthès dans Moins nombreux, plus heureux, un taux de 2,1 % appliqué à 3 milliards « produit » moins qu’un taux de 1,2 % appliqué à 7 milliards. En outre, ce ralentissement semble relatif : selon la revue Population et Sociétés de l’INED, l’indice synthétique de fécondité s’est à nouveau élevé dans une bonne partie de l’Europe et en Tunisie. Et les dirigeants chinois viennent d'autoriser la naissance de deux enfants par couple. Il faut savoir par ailleurs que plus de la moitié de la population mondiale a moins de 28 ans. Un peu de sérieux ne nuirait pas !

Une population ne peut croître au-delà des possibilités que lui offre son écosystème. Et c'est ce que montre Pierre Jouventin, naturaliste, membre du CNRS et libertaire, dans son remarquable L'homme, cet animal raté (Ed Libre et Solidaire). Il explique que les chasseurs-cueilleurs, dont nous provenons, étaient étroitement adaptés à leur environnement, ne prélevant que le superflu de la production naturelle. Le passage d'un nomadisme permanent à une vie sédentaire fondée sur l'élevage et l'agriculture va bouleverser la situation : l'homme se détache progressivement de son environnement initial en l'exploitant de plus en plus intensivement. Pendant des millions d'années, une très lente progression démographique constitue la règle. A partir du Néolithique (environ 8000 avant notre ère), l'espèce humaine ne parvient plus à réguler ses effectifs, contrairement à ce que font les espèces animales supérieures. Nous devenons la seule espèce à échapper provisoirement à la régulation des naissances par la limitation des ressources naturelles. La « bombe démographique à retardement » est enclenchée, comme l'a vu plus tard Malthus… mais pas ses détracteurs. Tout se passe comme si l'intelligence était incapable de remplacer l'instinct atrophié, comme si l'homme s'était désadapté de son milieu, inapte à fixer la moindre limite à ses désirs, à sa volonté. Un piège mortel qui se referme aujourd'hui.

Désormais, l'homme est rattrapé par une réalité qu'il avait oublié : les lois de l'écologie s'appliquent à tous les êtres vivants, y compris l'homme. Il n'y a plus de nouveaux territoires à conquérir, la fuite en avant prend fin. La croissance de la population est donc une menace pour l’avenir de l’humanité si elle veut prolonger son aventure. Nous sommes trop nombreux par rapport à la capacité de charge de la planète, et il est hautement improbable que nous atteignions les neuf milliards estimés en 2050. Cette croissance cessera à un moment donné : soit par la réduction volontaire du nombre des naissances, soit par la famine, la maladie, la guerre ou l’effondrement de l’environnement. Plus on repousse l’adoption de mesures douces en faveur de la baisse de la fécondité, plus nous subirons dans un avenir proche des réglementations liberticides.

Il n’a jamais été constaté que l’accroissement du nombre d’humains améliorait la qualité de la vie. C’est parce que l’espèce humaine a proliféré au détriment de toutes les autres espèces animales et végétales, et finalement à ses propres dépens, qu’il faut élaborer collectivement une démographie responsable. Il faut cesser de feindre d’ignorer la finitude du monde : c’est la taille de la population qui doit s’adapter à la planète, et non l’inverse. Au-delà d’une querelle stérile, il faut comprendre que le problème n’est ni le mode de vie seul, ni le nombre d’individus seul, mais la quantité d’individus pratiquant tel ou tel mode de vie. Or si tous les ménages de la planète souhaitaient vivre comme l’ « occidental moyen » (automobile, écran plat, ordinateur, smartphone…), il n’y aurait pas assez de pétrole, d’acier, d’aluminium, de platine pour le permettre. Des anarchistes pourraient-ils tolérer une telle discrimination ?

Jean-Pierre TERTRAIS (groupe la Sociale, Rennes), extrait du Monde libertaire 1787 (avril 2017)

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