La publication récente du texte d’André Dréan à propos de certains « communisateurs », et de la théorie de la « communisation » en général, a suscité des réactions agacées de la part de camarades qui le jugent inutilement et « réductivement » polémique.
D’autres lectrices et lecteurs se sont plaints d’être contraint(e)s de prendre en marche une polémique théorique dont on ne leur fournit pas les tenants et aboutissants. Sans prétendre pouvoir atteindre cet objectif (il faut pour cela, entre autres, suivre les liens indiqués dans les textes[1]), il m’a semblé utile de publier ici deux textes qui datent de 2012 — ce que j’avais négligé de faire à l’époque : le premier est celui d’une brochure du même André Dréan, le second une réponse que Lola lui avait adressée. Elle y a ajouté un court commentaire introductif.
Les allusions faites — par l’un et l’autre — à l’un de mes textes renvoient à «“Communisation” : l’impensable projet » (sur ce blogue).
RÉFLEXIONS SUR LA COMMUNISATION (août 2012)
À l’occasion de la sortie de la revue Sic
La pensée ne cessera pas plus que la sensation. Mais le pouvoir des pensées et des idées, la domination des doctrines, la souveraineté de l’esprit, bref, la hiérarchie durera aussi longtemps qu’il y aura des doctrinaires : théologiens, philosophes, hommes d’État, philistins, maîtres d’école, pères de famille (…). Aussi longtemps qu’ils auront la parole.
Max Stirner
Je viens de prendre connaissance des remarques de Claude Guillon sur la communisation, disponibles sur le Web, et je partage l’esprit de sa démarche. En effet, depuis quelques années, nous assistons à la constitution du milieu du même nom qui, pour l’essentiel, recycle et vulgarise les thèmes favoris de la revue Théorie communiste. Sic, la nouvelle publication éditée en plusieurs langues, destinée à prendre le relais de Meeting, est aujourd’hui le principal vecteur du recyclage et de la vulgarisation en question et rencontre quelques succès, en France et à l’étranger, y compris, à l’occasion, au sein de tendances libertaires.
Concernant les articles de la publication, je ne rentre pas dans les détails et je cherche plutôt à dégager la perspective générale qui pose problème et qui transparaît en filigrane entre les lignes, sans nier les particularités des positions des rédacteurs et encore moins celles de toutes les personnes qui en partagent, à des degrés divers, les conceptions. Il me semble nécessaire d’intervenir ainsi pour éviter les polémiques oiseuses, sans faire silence sur ce qui est important. Il y a, en particulier en France à l’heure actuelle, des discussions sur le thème de la communisation qui ne relèvent pas que d’effets de mode, parfois sur fond de réunions et de séances d’étude du Livre I du Capital, l’œuvre du maître présentée comme majeure et presque indépassable dans le domaine de la critique du capital par les aficionados de Sic. Évidemment, à condition d’accepter sans sourciller les présupposés scientistes de Marx, résumés sans mystère dans les préfaces et les postfaces du Capital, il est facile d’être impressionné par la rigueur du discours dès les premiers chapitres. Lesquels donnent l’impression de procurer enfin le fil d’Ariane indispensable pour sortir du labyrinthe dans lequel nous errons aujourd’hui. D’autant que le seul passé que les gestionnaires du temps effacent, jour après jour, des mémoires, c’est celui qui leur rappelle trop des périodes où leur pouvoir fut ébranlé, voire mis en péril. En ce sens, il n’est pas ridicule à chercher à connaître des doctrines présentées, à tord ou à raison, comme utiles pour affiner notre compréhension du présent et pour combattre le monde de la domination. Mais dans l’engouement relatif pour Sic, il y a plus que de la curiosité et la recherche de repères. Sans chercher des explications faciles, je pense qu’il y a aussi des causes presque psychologiques à cela. Ainsi, aux milieux activistes qui commencent à entrevoir les limites de leur agitation et qui sont fatigués de tourner dans leur cage d’écureuil, la revue procure le kit de survie qui donne des apparences de cohérence et d’approche globale à leur propre activité. Elle est sortie pour répondre à de tels besoins. De plus, le côté pédagogique d’articles phares comme Qu’est-ce que la communisation ? rend moins indigeste l’absorption de la préparation, alors qu’il faut de bonnes doses d’héroïsme, voire de masochisme, pour supporter la logomachie et le verbiage de Théorie communiste. Bien entendu, les amateurs de Sic et d’autres membres des cercles de dégustation du Capital supportent mal la critique car le milieu communisateur, comme tous les autres milieux à prétention révolutionnaire, est marqué par la quête d’identité et d’autovalorisation de groupe. À notre époque où l’organisation en réseaux informels tend à supplanter celle en parti formel, l’esprit de parti antédiluvien est plus difficile à cerner. Mais il explique bien des crispations envers des individus qui préfèrent la recherche aventureuse et dangereuse du « gai savoir » aux tentatives balisées de recyclage des doctrines embaumées.
Pour éviter les fausses polémiques, je tiens d’entrée de jeu à préciser ceci : je ne reproche pas aux animateurs de Sic de reposer les problèmes relatifs à la transformation subversive de la société du capital, dans des conditions qui ne sont pas identiques à celles qui présidèrent à la venue au monde de la société bourgeoise, grosso modo à l’époque de la sortie du Manifeste communiste. Par plus que de tenter de comprendre la période de l’histoire que nous subissons, marquée, sous nos latitudes, par le recul de l’État providence, la dislocation de la communauté de classe prolétarienne, etc. Je leur reproche au contraire de ne pas le faire en profondeur et de reprendre à leur compte, pour justifier leur prétention à jouer le rôle de novateurs dans la critique, l’une des affirmations les plus autoritaires du Manifeste, à savoir : « Les conceptions théoriques des communistes (…) ne sont que l’expression générale des conditions réelles de la lutte de classe existante, du mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. » En d’autres termes, toutes les interprétations critiques qui n’entrent pas dans le cadre objectiviste ainsi défini sont considérées, en dernière analyse, comme des représentations partielles sans valeur globale, voire comme des lubies subjectivistes.
Il est certain que des conceptions générales peuvent devenir des carcans lorsque les individus qui les ont exprimées sous forme de théorie ne tiennent pas compte des évolutions et des modifications, parfois profondes, que connaît la société du capital. Et lorsque qu’ils font preuve de cécité face aux avancées réelles, en particulier pratiques, portées par les oppositions, et plus encore par les insurrections qui tendent à la remettre en cause. Les minorités révolutionnaires furent parfois surprises, désorientées, voire hostiles aux révolutions qu’elles appelaient de leurs vœux lorsque les damnés de la Terre, jusqu’alors assoupis dans leur majorité, créaient des situations et empruntaient des chemins qui n’étaient pas prévus au programme. Pourtant, il arrive que des projections, des aspirations, etc., bref ce que l’on nomme des utopies, bien que marquées par l’époque au cours de laquelle elles furent avancées, contiennent des idées que nous pouvons reprendre et partager aujourd’hui, pour enrichir nos propres rêves. Le dédain affiché par Marx pour les utopistes est pour le moins ambigu car, au-delà de la nécessaire prise de distance envers leurs plans futuristes plus ou moins fumeux, il propose de penser, non plus avec des pieds ailés, mais avec des semelles de plomb, au nom de la rupture avec l’idéologie spéculative qui dominait encore le monde de la philosophie, bien plus que celui de la science en formation issue des Lumières. Pourtant, la conception marxiste de l’histoire reste marquée par l’hégélianisme. Pour l’essentiel, les forces productives y jouent le rôle attribué par Hegel à la raison et Marx y amalgame le réductionnisme à prétention universelle des sciences de l’époque, plus tard appelé scientisme. C’est pourquoi il anticipe lui aussi dans le Manifeste, mais à la façon des scientistes, lorsqu’il reprend à son compte les utopies technocratiques aussi discutables que celles de Saint-Simon : « Proclamation de l’harmonie sociale et transformation de l’État en simple administration de la production. » En réalité, lorsque Marx envoie en bloc l’utopisme dans la poubelle de l’histoire sous prétexte que « le développement de l’antagonisme de classe qui va de pair avec celui de l’industrie » le rendrait obsolète, il pense en héritier de la conception progressiste et évolutionniste de l’histoire des idées qui est celle des Lumières, reprise et développée via la dialectique par Hegel. Ce qui l’amène, à la suite du philosophe d’Iéna, à croire que la pensée, dans l’histoire, progresse du simple au complexe, de l’apparence à l’essence, etc., pour finalement à aboutir aux représentations les plus globales possibles et indépassables pour l’essentiel. La boucle est bouclée. Jusqu’alors, il y avait de l’histoire dans les idées. Désormais, il n’y en a plus. La pensée humaine culmine dans le système qui, bientôt, sera appelé le marxisme. Bien plus tard, le maître a brocardé des disciples bornés. D’où la boutade, reprise par les héritiers : « La seule chose que je sais, c’est que je ne suis pas marxiste, moi. » Mais Marx fut, quoi qu’il en dise, le premier marxiste. Sinon, il n’aurait même pas tenter de postuler l’existence de lois universelles de l’évolution des sociétés, à commercer par celle, aberrante, relative à la prétendue contradiction entre les forces productives et les relations de production. Là, il n’imagina même pas qu’il était en train d’extrapoler de façon abusive à partir de la situation qui était celle des premiers pas de l’industrialisation du monde, en Europe. Certes, Marx a formulé des critiques contre la société bourgeoise à laquelle il était confronté. Par contre, l’idéologie du progrès propre aux Lumières qu’il partage va permettre d’asseoir le monopole du marxisme en gestation comme science incontestée de la révolution communiste. D’où la formulation de programmes marxistes, dont le Manifeste est la première et la plus emblématique manifestation.
En ce sens, le mépris pour l’utopisme qui transparaît dans Sic, associé au refus du programmatisme, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le programmatisme est l’une des conséquences, aujourd’hui indéfendables, qui découle de la conception marxiste de l’histoire et de la révolution. Sans plus. La dialectique de Hegel, reprise par Marx, repose sur la distinction spéculative entre la forme et le contenu. Elle donne l’impression de tenir compte du devenir des choses et des êtres alors qu’elle cherche à dégager ce qui constituerait l’esprit du monde, lequel en animerait les diverses manifestations profanes. D’où l’importance accordée par Marx à définir des lois de l’évolution de la société, l’économie y prenant la place souveraine attribuée par Hegel à l’esprit. Bien qu’il considère, au niveau de la forme, les catégories qu’il analyse comme des données de l’histoire, susceptibles d’apparaître, d’évoluer, de disparaître, etc. en fonction des époques, bref comme des phénomènes passagers et conditionnés, il n’en fait pas moins, au niveau du contenu, des substances inconditionnées et inhérentes à l’humain en général. Il en va ainsi de la première d’entre elles, le travail, censé constituer l’essence de l’activité et des relations humaines, alors qu’elle a aussi sa généalogie, son histoire, etc. Dans l’œuvre de Marx, comme le signale Castoriadis dans Les carrefours du labyrinthe, le travail est ramené, au-delà des dimensions concrètes d’activités créatrices d’objets à la catégorie naturalisée de travail abstrait présenté comme « simple dépense de force humaine », source présumée de la valeur. La revue accepte cet axiome de base et ne remet pas en cause le rôle du maître comme métaphysicien, en particulier comme métaphysicien du travail, donc de la valeur. Lorsque l’un des rédacteurs, celui qui a rédigé Crise et communisation, fait montre d’un déterminisme outrancier, que n’aurait pas renier Marx et qui outrepasse celui accepté dans la revue, concernant les relations entre la crise financière et les potentialités révolutionnaires qu’elle est censée stimuler, il est rappelé à l’ordre. Pas plus. Car l’adaptation de la doctrine marxiste aux conditions incontournables de l’époque n’est pas synonyme de remise en cause des axiomes qui en constituent le cœur. Le champ de la critique est donc extensible, mais pas question de scier la branche vermoulue sur laquelle la revue est perchée et de provoquer la chute de l’édifice.
Le fait que la revue brode sur le thème développé par Marx dans l’Idéologie allemande selon lequel « le communisme n’est pas un état, mais le mouvement réel qui abolit l’état de choses actuel », donne l’impression que les communisateurs n’évoluent plus dans l’univers des systèmes verrouillés. C’est la principale raison pour laquelle la revue rencontre des succès chez des activistes : l’apparence de fluidité qu’elle donne des doctrines figées et le refus formel de l’invariance programmatique, en particulier celle héritée de Bordiga, encore plus ou moins défendue par le site Trop Loin. Pourtant, la formule de Marx ne préjuge pas du sens et de l’orientation prise par ledit mouvement d’abolition, ni même de l’idée que les divers partisans du communisme s’en font. Sans même parler des individus qui, pour être partisans de la subversion du monde, ne sont pas, ou plus, communistes. Ce qui est mon cas. Ainsi, dans le même passage de l’Idéologie allemande, Marx affirme, dans l’optique qu’il partage avec la plupart des communistes de l’époque, que « le développement des forces productives est la condition préalable, indispensable car, sans lui, c’est la pénurie qui deviendrait générale et, avec le besoin, c’est aussi la lutte pour le nécessaire qui recommencerait… ». L’idée que la domination est concomitante à la rareté et qu’elle ne peut être éradiquée que lorsque la société procure l’abondance de biens apparaît déjà dans les utopies issues des Lumières. Dans la version de Marx, c’est la classe des prolétaires industriels, celle née à l’époque de la constitution de la société bourgeoise et de la révolution industrielle, qui est capable de faire accéder l’humanité à l’abondance. Car elle constitue à la fois la classe créatrice et négatrice du capital, du moins tel que Marx l’imagine. Les rédacteurs de Sic peinent à remettre en cause le schéma et c’est pourquoi ils épicent leur préparation en donnant quelque tournure mouvementiste à ce qui reste, en grande partie, du doctrinarisme marxiste qui n’avoue plus son nom, gardant l’essentiel et évacuant ce qui est passé à la trappe de l’histoire : le rôle prométhéen attribué aux prolétaires industriels. Mais référence à la doxa oblige, reste le terme flou de prolétaires et même de classes en général, sans contenu précis, comme le remarque Claude Guillon. Ce qui relève de l’ontologie et ne fait pas avancer la critique du moindre pouce. Mais ce qui, par contre, recouvre sous le même vocable des interprétations variables concernant les oppositions et les combats qui, depuis des décennies, ont de moins en moins à voir avec les luttes de classe des prolétaires d’antan. D’où, parfois, le dédain, voire l’hostilité larvée de communisateurs envers des oppositions qui n’entrent pas dans leur schéma préconçu, par exemple celles dirigées contre la technoscience même lorsqu’elles critiquent l’écologie.
Le joli terme de communisation, rabâché à longueur de pages dans la revue, date, à ma connaissance, des années 1970. Dans l’un des textes emblématiques de l’époque Un monde sans argent, le communisme, édité par Les amis de quatre millions de jeunes travailleurs, qui préfigurait les positions de la revue Guerre sociale, de triste mémoire révisionniste, la notion de communisation apparaît de façon récurrente, avec des allusions à peine voilées à l’Idéologie allemande. Sans la moindre critique de la conception réductionniste de l’histoire marxiste, déjà remise en cause depuis des années jusque dans les colonnes de Socialisme ou Barbarie, pour ne parler que des analyses effectuées en France. Aujourd’hui, la référence à la communisation est moins rigide, car il faut bien tenir compte, bon gré, mal gré, à des degrés divers, de l’évolution de la société et de l’État. Elle cache donc des conceptions parfois divergentes sur des questions essentielles. Dans Sic, la position de repli commune consiste à dire que l’idée de période de transition, concomitante à l’État du même nom, est désormais, voire depuis longtemps, contraire à celle de communisation. Celle-ci consisterait à entamer sans attendre, au cours même de la période insurrectionnelle, la destruction du capital et de l’État, via des séries de mesures prises par les premiers concernés eux-mêmes, les prolétaires qui n’interviendraient plus à titre de classe, mais plutôt comme archétype de la disparition de toutes les classes. Ils ne devraient plus tenter de s’ériger en classe dominante, mais entamer leur propre dissolution, sous peine de recréer des instances de représentation qui finiraient, comme toujours, par exercer leur pouvoir sur eux, donc à reformer l’État.
Les rédacteurs laissent entendre que leur critique constitue la nouveauté du siècle. De tels propos prouvent surtout qu’ils surfent sur le vide laissé par des décennies d’amnésie et de révision de l’histoire, organisées par les idéologues de l’État. Donc qu’ils pratiquent la politique de l’offre attractive sur le marché actuel de l’idéologie à prétention révolutionnaire. Or, les anarchistes, en particulier les anarcho-communistes, comme le souligne Claude Guillon, rejettent l’idée même de transition, contre les communistes étatistes d’obédience marxiste, grosso modo depuis les lendemains de la Commune de Paris, qui consomma l’explosion de la Première Internationale ! Au-delà de la question particulière du parlementarisme, l’essentiel de la rupture avec les marxistes porta là-dessus. Marx, d’ailleurs, la présente ainsi dans Les prétendues scissions dans l’Internationale : « Tous les socialistes entendent par anarchie ceci : le but du mouvement prolétaire, l’abolition des classes atteintes, le pouvoir de l’État (…) disparaît et les fonctions gouvernementales se transforment en simples fonctions administratives. Les bakouniniens prennent la chose à rebours et proclament l’anarchie comme moyen de briser la puissance concentrée entre les mains de l’État. ». Marx endosse ici le rôle de chef de file de la tradition socialiste issue de l’école de Saint-Simon, laquelle prétend supprimer l’État en résorbant la politique dans l’économie, contre les libertaires qui, eux, entendent entamer la destruction de l’État, au cours même de l’insurrection, sous peine de laisser subsister ou de reconstituer la société bourgeoise. Il est vrai que des anarchistes, hostiles au communisme autoritaire, reprirent en partie, à la suite de Proudhon, les idées de Saint-Simon. En particulier Rocker présente, dans Nationalisme et culture, Saint-Simon comme « l’individu génial », « qui pensait avec perspicacité que l’humanité aller vers l’époque où l’art de gouverner les hommes serait remplacé par celui d’administrer les choses ». Position que représente l’une des limites de la critique anarchiste traditionnelle de l’État, compris essentiellement comme appareil de coercition placé au-dessus de la société, conception qui deviendra réductrice avec la constitution de l’État social. Ceci dit, l’auteur de Qu’est-ce que la communisation ? pousse le bouchon très loin en affirmant sans rire que l’idée de période de transition fut commune à toutes les tendances issues de la dissolution de l’Internationale, à partir des années 1870, à l’exception de poignées de francs-tireurs. Même Trop Loin rappelle que des anarcho-communistes comme Kropotkine, dans La conquête du pain, étaient hostiles à la notion de transition, en particulier aux mesures du même nom telles que les bons de travail, puisqu’elle impliquait le maintien du pouvoir d’État nécessaire pour qu’elles soient réalisées. Contrairement à la vulgate propagée dans les milieux communisateurs, les anarchistes étaient loin d’être d’incorrigibles révoltés sans cervelle, même si c’est l’image qu’aiment parfois donner d’eux-mêmes les insurrectionnalistes d’aujourd’hui.
Pour le reste, les affirmations selon lesquelles il faut dépasser le monde de la marchandise, de la division du travail, de l’État, etc. sont tirées de l’Idéologie allemande et insuffisantes depuis longtemps. Quant aux raisons pour lesquelles la notion de transition est indéfendable, elles sont peu claires et varient selon les individus. D’aucuns affirment que, à notre époque, les forces productives sont assez développées pour que l’on puisse « sauter » la période de transition, telle qu’elle est présentée par Marx dans la Critique du programme de Gotha. Marx, qui découpait en deux phases l’histoire de la société communiste, reprenait pour la première le slogan de Saint-Simon : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses œuvres », et réservait pour la seconde, celui de Cabet : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. » En d’autres termes, le problème du seuil de développement des forces productives, jamais résolu par Marx parce que l’étalon de mesure destiné à le définir est introuvable, et qui conduisait à formuler de programmes de transition, n’aurait plus de sens. Mais la question des forces productives elles-mêmes, prétendue base indispensable à la réalisation du communisme intégral, reste en suspend. Elle est occultée par celle de la gratuité, dont la généralisation est présentée dans l’éditorial de Sic comme « unification de l’activité humaine ». Or, dans l’optique communiste, la gratuité fut et reste, en règle générale, le synonyme de la satisfaction des besoins sans passer par la médiation du marché. Y compris le marché du travail. Elle ne préjuge donc pas du sens donné aux activités et aux relations que les êtres humains réalisent et tissent, à la fois entre eux et avec le monde qu’ils n’ont pas créé, mais dans lequel ils évoluent et qu’ils transforment.
Des anarcho-communistes en eurent l’intuition. Dans Le Révolté de Genève, Cafiero affirme, dès la fin des années 1870 que « la répartition gratuite n’exclut pas le despotisme ». « On peut avoir l’égalité économique, sans avoir la moindre liberté. Certaines communautés religieuses en sont la preuve, puisque la plus complète égalité y existe en même temps que le despotisme. L’égalité, car le chef s’habille du même drap et mange à la même table que les autres ; il ne se distingue d’eux que par le pouvoir de commander qu’il possède. Et les partisans de l’État populaire ? S’ils ne rencontrent pas d’obstacles, je suis sûr qu’ils finiront par réaliser la parfaite égalité, mais, en même temps aussi, le plus parfait despotisme, car, ne l’oublions pas, le despotisme de l’État actuel augmenterait du despotisme économique de tous les capitaux qui passeraient aux mains de l’État, et le tout serait multiplié par toute la centralisation nécessaire à ce nouvel État. Et c’est pour cela que nous, les anarchistes, amis de la liberté, nous nous proposons de les combattre à outrance. » Dans l’histoire réelle, l’idée de gratuité fut donc compatible avec le communisme de caserne. Désormais, grâce à l’extension et à la modernisation des forces productives auxquelles ne pouvait même pas rêver Marx, le capital en est arrivé à intégrer, en partie, là où il est organisé en réseaux, l’idée de gratuité comme l’un des facteurs de maintien de la domination. L’univers du logiciel libre en est l’exemple le plus typique. De tels phénomènes prennent le contre-pied de la doxa sur la valeur, ultime ligne de défense des rédacteurs. En tout cas, dans la mesure où ils chargent la notion de gratuité de plus de sens qu’elle ne peut en avoir, ils risquent de reconduire les conceptions héritées de Saint-Simon, de Comte et enfin de Marx dont Bakounine, dans Dieu et l’État, entama ainsi la critique : « Le gouvernement de la science et des hommes de science, même positivistes, même disciples de l’école du communisme doctrinaire allemand, ne peut être que ridicule, inhumain, oppressif et exploiteur », car, au nom de leurs abstractions mortes, ils auront toujours tendance à traiter les individualités vivantes comme de la chair à expérimentation politique et sociale. Avec les conséquences que les révolutions du passé ont déjà connu : le maintien ou le retour intégral, au lendemain de la poussée insurrectionnelle, de la domination du capital.
Le moins que je puisse dire, c’est que, au-delà de l’accord formel sur le refus de la transition, les réponses divergent et révèlent le côté minimaliste de la revue. Pour les uns, la communisation est synonyme de l’expropriation des expropriateurs à la mode du Capital et la liquidation de l’État est réduite à celle de l’institution de coercition du même nom. Avec, par voie de conséquence, des positions, plus ou moins assumées selon les individus, concernant la planification de la production et de la consommation. En effet, dans la tradition marxiste, le travail, même réduit à la portion congrue par l’automation et l’extension démesurée du machinisme, reste le domaine de la nécessité compressible, mais incontournable, au-delà duquel commence celui de la liberté, grosso modo celui des loisirs et d’activités plus enrichissantes que le labeur, d’autant plus extensible que les forces productives en pleine extension libèrent du temps. Même dans Les Fondements de la critique de l’économie politique, recueil de cahiers d’étude antérieur au Capital et moins rigide que lui, le même découpage du temps demeure. De façon générale, la conception du temps propre au capital apparaît à Marx, à la suite de la science de l’époque, comme la chose la plus naturelle du monde, comme temps universel. Thèse d’ailleurs reprise telle quelle dans l’article de la revue nommé Le moment actuel. Par suite, Marx est conséquent lorsqu’il affirme, en 1868, dans La lettre à Kugelmann, « que la forme sociale de la production sociale ne supprime pas la nécessité de la répartition du travail social en proportions déterminées : c’est la façon dont elle se manifeste qui peut seule être modifiée. Des lois naturelles ne peuvent pas être supprimées de façon absolue. Ce qui peut être transformé, dans des situations historiques, c’est la forme de leur application (…). La forme sous laquelle la répartition proportionnelle du travail se réalise dans l’état social où la connexité du travail apparaît sous la forme d’échange privée de produits individuels du travail, c’est la valeur d’échange. » En d’autres termes, lorsque l’on accepte l’idée que le travail est la substance naturelle de la valeur, la liquidation de celle-ci est assimilée à la liquidation des échanges sur le marché au bénéfice de la planification. Les relations inconscientes et indirectes entre les travailleurs deviendraient alors des relations conscientes et directes par la médiation du plan. Ils domineraient enfin leurs activités et leurs relations au lieu d’être dominés par eux. Dans cette optique, les êtres humains sont devenus des dieux, des démiurges, voire des ingénieurs de l’histoire universelle, capables de maîtriser le monde pour le modeler selon leurs visées, puisqu’ils constituent les seuls sujets, auxquels font face de purs objets. Le communisme serait donc la garantie de la fin de l’aliénation à travers leur capacité à déployer leur puissance illimitée et à surmonter leur humaine finitude. Loin d’être dépassée, l’idéologie de la réification est en réalité poussée à son comble et, là, le marxisme participe à la formulation d’utopies scientistes, que le capital contemporain tente de réaliser jusque dans leurs ultimes conséquences. En effet, aujourd’hui, les administrateurs de la domination croient pouvoir anéantir toutes les déterminations des humains, y compris les déterminations qu’ils ne créent pas par leur propre activité, qui leur sont données, à condition de disposer des instruments adéquats que leur offre la technoscience, en particulier la technobiologie.
La revue hésite à aborder bille en tête de telles questions maudites, car elles révèlent à quel point Marx n’avait pas rompu avec les présupposées des économistes, de la notion de travail à celle de besoin, et à quel point le communisme qu’il appelle de ses vœux ressemble à du capitalisme idéalisé, débarrassé des formes de propriété bourgeoise, plus tard rendues obsolètes par la domination du capital elle-même. Mais les rédacteurs n’ont pas l’intention de rompre avec le Marx métaphysicien de la valeur travail, mise à mal par la modernisation des forces productives, via la science et la technologie, comme il en eut l’intuition, vite refoulée, dans les pages consacrées au machinisme, dans Les Fondements. Reste donc à prétendre, dans la veine du Livre 1 du Capital que les travailleurs associés, dans la mesure où ils auront liquidé le marché, pourront sans instance de planification la réaliser eux-mêmes pour satisfaire leurs besoins. Dans l’optique de Marx, la liquidation des échanges spécifiques au monde du marché est d’ailleurs assimilée à celle des échanges en général, en d’autres termes à l’organisation de la production et de la consommation sans médiation et sans voile. Or, le mythe du troc, prétendue préfiguration du marché dans le Capital repris par Marx aux économistes, ne tient pas la route. Des sociétés « primitives » intégraient des notions d’échange, à travers le symbolisme de la kula par exemple, étrangères au monde du marché et, de façon générale, à celui des besoins. Des médiations, l’humanité en connaît depuis longtemps, à commencer par le langage, et elles ne sont pas toujours synonymes de domination. Par contre, tant que les bases de l’économie ne sont pas dépassées, à commencer la recherche de la satisfaction des besoins, la hiérarchie chargée d’organiser la production et la consommation et de faire respecter le plan est nécessaire. Pour ne pas être reconnue comme telle, elle n’en est que plus puissante.
Nous savons que, dans le marxisme, et même dans nombre de tendances anarchistes, l’abolition du capital était réduite à l’expropriation des expropriateurs, l’industrie n’était pas touchée pour l’essentiel, sinon en termes de propriété, et de suppression de branches peu présentables, comme l’industrie de guerre. Elle devait même encore être plus développée, au lendemain de l’insurrection, pour accéder à l’abondance et dépasser la rareté, bref pour couvrir tous les besoins sans trop peiner au travail, voire pas du tout. Je passe sur la question, annexe ici, de l’opposition entre le centralisme et la décentralisation, et de l’autogestion de l’économie communisée. Par exemple, Cafiero, qui tenta de résumer Le Capital, excluait l’idée de période de transition et de mesures de transition, telles que les bons de travail, car il avait compris qu’elle impliquait le maintien de l’État et de l’obligation de travail. Mais son approche restait industrialiste dans la mesure où il soutenait que, au lendemain de l’insurrection, les conditions pour accéder à l’abondance seraient pour l’essentiel réalisées, ou, au moins, en cours de réalisation. Dans l’article du Révolté déjà cité, il affirme : « Mais on nous demande : le communisme est-il applicable ? Aurions-nous assez de produits pour laisser à chacun le droit d’en prendre à sa volonté, sans réclamer des individus plus de travail qu’ils ne voudront en donner ? Nous répondons : Oui. Certainement, on pourra appliquer ce principe : “De chacun et à chacun suivant sa volonté”, parce que, dans la société future, la production sera si abondante qu’il n’y aura nul besoin de limiter la consommation, ni de réclamer des hommes plus d’ouvrage qu’ils ne pourront ou ne voudront en donner. » Même Déjacque, dans L’Humanisphère, demeure sur le même terrain lorsqu’il avance : « Pourquoi les hommes se battraient-ils pour s’arracher la consommation quand la production, par les forces mécaniques, fournit au-delà de leurs besoins ? » Pourtant, son utopie est marquée par les thèses de Fourrier relative au libre jeu des passions et à l’absence de contrats entre individus qui risquent de les brider, et par le rejet des conceptions de Saint-Simon, reprises en partie par Proudhon qu’il n’hésita pas à critiquer. Ce qui reste d’actualité.
Il n’est donc pas question ici de faire de la polémique facile et rétrospective. Même l’un des plus radicaux adversaires de la société bourgeoise, comme Déjacque, ne pouvait pas prévoir ce que générerait l’industrialisation du monde, alors balbutiante, en termes de désastres et de bornes supplémentaires posées à la réalisation de la liberté humaine et d’activités dignes de ce nom. A l’époque, les ouvriers croupissaient dans le besoin, ils étaient encore attachés par mille liens aux campagnes et concentrés depuis peu dans les cloaques des villes et dans les bagnes industriels où ils créaient par leurs propres mains la richesse bourgeoise. L’État ne les reconnaissait pas, sinon à titre de classe dangereuse, porteuse d’orages. L’idée que le machinisme, à condition qu’ils le mettent à leur service et anéantissent la propriété, puisse faciliter leur libération était bien tentante. Mais, depuis lors, beaucoup d’eau polluée a coulé et c’est la domination du capital qui a réalisé, de la seule façon possible, les conceptions héritées du communisme d’antan. En particulier, elle a réalisé l’idée de la « transformation du gouvernement des hommes en administration des choses » sous la forme de l’administration des hommes comme des choses, via la technoscience et la généralisation de la marchandisation du monde, permettant de créer et de satisfaire les besoins de la société du capital, à première vue illimités, bien que les limites de celle-ci apparaissent lors des crises et des catastrophes.
Dans la revue, de telles questions sont, pour l’essentiel, occultées. Par suite, contrairement aux prétentions affichées, le problème du contenu de la communisation, pas comme substance immuable, mais comme tension à la fois individuelle et collective pour tenter de subvertir le monde de la domination, est laissé en suspend. Mais la communisation ne peut qu’être posée ainsi, à première vue comme forme sans contenu précis, pour la bonne et unique raison qu’elle a été ressortie du local des archives pour tenter de rassembler, jusqu’au sein même de la rédaction, des personnes et des groupes que bien de choses séparent. Des partisans de Sic contournent la difficulté en affirmant que la moindre tentative de préciser plus les choses auxquelles ils aspirent conduira à retomber dans l’ornière du programmatisme. Personne ne leur demande de tirer des plans sur la comète et je suis bien persuadé que la subversion du monde que j’appelle de mes vœux, dans ses objectifs comme dans ses moyens, dépassera ce que peuvent imaginer, dans leurs rêves, quelques poignées de présumés révolutionnaires en quête de révolution.
Par contre, la moindre des choses, c’est de tenir compte de l’ensemble des critiques, théoriques et pratiques, faites aux antiquités doctrinaires, en particulier le marxisme, balayées par le cours même de l’histoire contemporaine, en y incluant celle des révolutions ou des tentatives révolutionnaires des dernières décennies. Or, dans le meilleur des cas, l’article de tête parle de « la multiplicité des mesures de communisation prises en tous lieux et par toutes sortes de gens », « qui, quand elles seront une réponse adéquate à une situation donnée, se généraliseront d’elles-mêmes ». Ce qui paraît plus acceptable que les mesures de transition de Marx. Pourtant, le schéma repose sur les mêmes bases. D’abord, il ne tient pas compte des ravages dus à l’industrialisation et des modifications catastrophiques qu’elle engendre dans nos corps et nos esprits, sans même parler du reste. L’exemple désormais connu du nucléaire qui modifie en profondeur notre relation à l’espace et au temps, qui transforme des régions entières du monde en poubelles pour des millénaires, qui génère des mutations et des maladies dégénératives héréditaires chez les êtres, en particulier humains, etc. montre que la transformation subversive du monde est confrontée à des problèmes énormes, inconnus il y a encore quelques décennies. Problèmes impossibles à évacuer à moins de croire que la liberté humaine soit envisageable dans le monde ravagé auquel seront confrontés des insurgés et qu’ils ne pourront pas faire disparaître par la magie de « mesures de communisation », à Fukushima et ailleurs. Ensuite, des « mesures » qui « d’elles-mêmes » deviennent « générales » rappellent fâcheusement, dans leur conception, celles préconisées dans Le Manifeste, qui « bien qu’insoutenables et insuffisantes » étaient susceptibles de « se dépasser d’elles-mêmes dans le cours du mouvement » dans la mesure où elles étaient « indispensables pour bouleverser le mode de production ». L’histoire a prouvé, dès la prise du pouvoir par le parti bolchevik, quelle était la signification effective de tels sophismes dialectiques, censés dépasser la domination pour mieux la reconduire, de façon momentanée, bien entendu ! Enfin, là où il y a encore des mesures à prendre en fonction de situations données, sans plus, il y encore coercition à exercer pour qu’elles soient réalisées, ce que Fourier et d’autres utopistes inclassables comme Morris avaient entrevu. Les rédacteurs de la revue peuvent toujours dire qu’il n’y aura pas d’institutions de coercition, nous restons malgré tout dans le monde de la contrainte, où le libre jeu des passions et des rêves n’aura pas sa place. Ou alors il sera relégué à quelque place annexe, toléré peut-être, mais dans quelle mesure et pour combien de temps ? Ce qui est d’ailleurs arrivé au lendemain de la prise du pouvoir par les bolcheviks, lorsque leur dictature était en gestation. Mais, ensuite, faudra-t-il inculquer à de tels rêveurs quelque dose de réalisme pour les ramener dans le bon chemin de la communisation ? Les traiter d’adeptes du subjectivisme en cas de refus, les isoler, les bannir, voire les contraindre ?
En réalité, la revue reste bien marquée, au nom de la nécessité de tenir compte des conditions objectives, par l’objectivisme, qui pousse à définir des objectifs et à utiliser des moyens rejetant sur les bords de l’autoroute de la communisation les côtés subjectifs de l’humain. « Soyons réalistes, exigeons l’impossible ! » Le slogan provocateur de Mai 68 peut paraître aujourd’hui naïf et irréaliste. Mais il n’en reste pas moins qu’il était dirigé contre le possibilisme de l’époque et qu’il exprimait le désir de sortir des sentiers battus, connus, trop connus, pour prendre le large vers l’inconnu. Je n’oppose pas au besoin le désir, comme valeur suprême de l’élan subversif, car je sais que nos désirs sont aussi marqués par l’époque et que la domination a appris depuis longtemps à en jouer pour mieux les émousser. Mais la liberté humaine est réalisée par des individus dont les élans subjectifs parfois convergent, parfois divergent, mais qui ne sont pas toujours partageables, voire pas toujours acceptables par tous. Ce qu’il est essentiel de reconnaître, sans nier que leurs affinités et leurs aspirations communes les poussent à vivre ensemble en société, à définir ensemble des objectifs, à les réaliser, à les corriger, à les abandonner, etc., car la vie humaine est aussi faite d’expérimentations limitées, aux conséquences parfois désastreuses, voire meurtrières. L’oublier, refouler les contradictions, voire croire qu’il est possible de les surmonter par l’intermédiaire de quelque plan général, même lorsque la formulation n’en est pas réservée à des planificateurs patentés, c’est reconduire l’univers de la coercition. Pas franchi par l’auteur du Pas suspendu de la communisation qui devrait s’intituler Le pas suspendu de la bolchévisation. Sans s’attirer les foudres du reste de l’équipe, il préconise de « transformer » les « couches moyennes », auxquelles il assimile jusqu’aux paysans déclassés du « tiers monde », en « prolétaires » en leur « imposant » des « mesures communisatrices ». Façon obligation générale du travail et collectivisation forcée, sans doute ! Nous voilà revenus, en contrebande, au rôle de guide de l’ensemble des damnés de la Terre attribué aux prolétaires industriels et donc à la contrainte qu’ils doivent exercer sur eux, pour leur propre bien, sans doute ! Ce que l’on appelle la dictature du prolétariat. La dictature, dans l’article, ne dispose pas, en principe du moins, d’organes spécialisés de coercition, de bras armé à la mode de la Tcheka bolchevique de sinistre mémoire. Tous les prolétaires l’exercent en leur propre nom, ce qui constitue le même genre de progrès, par rapport au maintien des tribunaux, que la justice populaire prônée par les maoïstes, dans les années 1970 ! La « continuité dans le changement » ou « tout changer pour que rien ne change » comme disait « Le Guépard ».