S'émanciper du légalisme

S'émanciper du légalisme

Messagede conan » 14 Juin 2009, 22:08

Le légalisme, c'est le principe de "loi" (en latin lex, legis) avec "-isme" derrière, c'est-à-dire le principe de sacraliser la loi. La loi est l'un des fondements de ce que Bakounine appelait la transcendance, et que Debord appelle le spectacle : une conceptualisation, une idéalisation du réel, un signe ; et en réalité, un outil bien concret de pouvoir, bien concret.

A mon sens, parler de légal-isme est déjà une lapalissade, car j'estime qu'il n'y a pas de "bonne" loi. On peut tout aussi bien dire que la loi est déjà en soi une aspiration à un "isme", une tentative de transcendance, de conceptualisation globalisante, idéaliste, de la diversité de la réalité. Un plaquage de concepts qui, aussi élaborés qu'ils soient, demeureront toujours trop étriqués pour l'infinie complexité du réel et du vivant, en permanent renouvellement.

Réalité dont la loi, par nature, ne peut tenir efficacement compte puiqu'abstraite, volontairement, du cas particulier. Mais alors, d'où vient l'obsession de faire des lois à appliquer, génériques, au réel ?

Notre système lui-même reconnaît la relativité des lois. Depuis Montesquieu, on sait en effet son rapport évident avec l'exercice d'un pouvoir. Le processus de la loi (passant par trois corps de représentants) se confond en effet avec la succession de son traitement par les trois types de pouvoirs, ce qui montre le lien intime du pouvoir (qui ne se maintient que par la légitimité qu'il impose) et de la loi (qui légitime le pouvoir). Avec d'ailleurs le constat, en système démocratique, de la relativité de la loi et de sa nature d'outil aux mains du pouvoir, puisqu'on reconnaît la nécessité de la séparation des pouvoirs : le corps judiciaire est exprès séparé du corps législateur et du corps exécutif, car l'on sait combien l'interprétation de la loi, qui est et sera toujours possible, peut donner lieu aux abus.

En réalité, cette séparation des pouvoirs n'est qu'une apparence d'évolution par rapport au côté concentré, sacré, absolutiste de la loi monarchique ; elle ne fait qu'atténuer en surface le principe d'autorité, sans pour autant le faire disparaître mais au contraire, pour donner plus de légitimité à son existence profonde, à la domination qu'elle légitime, et inspirer davantage l'obéissance en créant de l'assentiment chez les gens qui la reconnaissent. Cette séparation des pouvoirs correspond socialement à la prise du pouvoir par la classe bourgeoise inspirée des lumières, dont la force consiste en un réseau oligarque, et malgré la concurrence inhérente aux membres de ce réseau, à leur intérêt commun d'asseoir la légitimité de ce qui fait leur force : la propriété privée et monopolistique de l'espace public, et la transaction marchande. les pouvoirs sont séparés, la loi est en apparence contrôlée par des gens différents, mais il suffit de placer aux divers moments de l'élaboration de la loi des amis, et au pire, des gens ayant les mêmes intérêts de classe, afin que se perpétue les principes mêmes de la domination de classe.

La loi n'a toujours été créée qu'en société de domination systématisée d'hommes par d'autres. Les sociétés esclavagistes ont produit les premières lois. La démocratie, née à Athènes, est la légitimation du droit des démotes (les citoyens), minoritaires dans la cité, à exploiter esclaves, femmes et métèques (étrangers). Plus un système consiste en une oppression, plus il a besoin de se légitimer, plus il légifère (il suffit de regarder la prolifération de textes de lois sous Hitler ou Staline).

La loi est si dépendante d'intérêts bien concrets que lorsqu'elle ne leur convient pas, les maîtres la suppriment ou la changent, et ce, toujours en fonction d'un réel bien concret. Croire qu'on peut changer le système de domination de l'homme par l'homme en changeant la loi relève donc au mieux d'une pathétique naïveté, au pire d'un intérêt politico-économique bien compris.

Aussi bien dans le recours à elle que dans son élaboration, la nécessité de produire le masque désincarné d'une loi transcendante... n'apparaît jamais que pour légitimer une décision bien réelle du pouvoir, à appliquer de force à autrui.

La loi est créée dans ce but unique, et ne se donne les apparences de l'abstraction hors du réel, de l'intemporalité et de l'universalité, que pour traiter un genre de cas particuliers, correspondant à des intérêts, que l'on sacralise.

La loi, c'est toujours le masque du pouvoir.

Pas plus que l'Etat, créé pour garantir son application rigoureuse, la loi n'est neutre ; ni dans sa formation (son vocabulaire et sa création même résulte d'une situation, souvent même d'un rapport de force précis, inscrit dans un temps et un lieu), ni dans son intention (puisqu'elle sert à des gens pour en sanctionner d'autres), ni dans son application (les lois demeurant souvent juste assez souples pour permettre une fourchette d'interprétation). Une loi n'est jamais sacrée, elle est relative, comme tout.

Le légalisme, c'est ne justifier une décision ou une sanction que par la légitimité d'une loi, sans discuter de sa légitimit elle-même. C'est aussi la stratégie, compréhensible mais néfaste à terme car réformiste, d'en appeler à la loi dès que l'on se sent menacé.

Alors que le traitement rationnel d'une situation consiste à justement se souvenir que la raison est toujours relative, que la réalité échappe à toute catégorisation dogmatique. Et qu'une solution est toujours bancale, évolutive, révocable, en fonction de l'évolution du contexte réel, toujours différent.

Prôner par principe le respect de la Loi, c'est inculquer un peu plus le renoncement à chacun. C'est déposséder la société de sa volonté spontanée du vivre ensemble sereinement, c'est nier intrinsèquement sa capacité proverbiale à trouver des solutions adaptées. C'est ne pas faire confiance à l'homme. En inoculant dans la tête de chacun qu'il faut obéir de toute façon à des textes, on tord le cou à la liberté des gens de créer en permanence des solutions adaptées et évolutives. On les déresponsabilise, on les oppose par la méfiance de principe, on les terrorise par la peur du déviant, on les punit, on rompt la confiance. On castre les gens de la possibilité de régler ensemble chaque situation, toujours nouvelle et unique, qui se présente, par nature infiniment complexe. On empêche l'autonomie et la révocabilité de leurs analyses, et de leurs décisions.

J'ai tendance à penser qu'on ne peut certes pas fonctionner ensemble sans conventions plus ou moins tacites ou claires. Mais j'ai tendance à ne pas les sacraliser, à croire ces conventions évolutives. J'ai tendance aussi à préférer des conventions simples et très larges, sur des valeurs simples (mais elles-mêmes à critiquer, inventer et réinventer par les palabres), davantage que sur des fonctionnements ou des solutions figés qu'il faudrait produire systématiquement et auxquelles il faudrait obéir par principe.

L'anarchie, c'est certes se défaire du pouvoir concret de certaines personnes. Mais, on le sait depuis les apports de la psychologie, de la sociologie et de la linguistique, c'est aussi à mon sens se défaire du logiciel de soumission, de consentement à l'ordre donné par le chef... et se défaire aussi du réflexe à produire de l'ordre en endossant soi-même le costume du chef contre autrui. C'est s'extirper du besoin compulsif que nous a inoculé la société bourgeoise, de légiférer et de produire de l'abstraction sur tout et rien, de nous méfier les uns les autres et de nous atomiser, de transformer en marchandages et en dettes les moindres échanges passés entre des gens.

Si comme je le crois, l'anarchie porte en son coeur, le refus de la transcendance, la force de la confiance et de la solidarité qu'inspire paradoxalement l'apprentissage de l'autonomie ; si l'anarchie, c'est tisser ensemble et pour cela, se débarrasser de toutes les formes de commandements mentaux plus ou moins intégrés ou extériorisés que nous exerçons les uns sur les autres ; si c'est mettre en adéquation la fin (une société sans oppression de gens par d'autres) et les moyens ; si c'est toujours réinventer la résistance à l'oppression, pour démasquer l'auorité où qu'elle s'immisce ; alors l'anarchie, c'est aussi s'extirper du légalisme.
conan
 

Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Lepauvre » 14 Juin 2009, 22:44

:clap:
Vous trouverez de la limonade dans l'arbre...mais il faut grimper.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 00:47

J'ai l'impression que la lutte contre les lois commence à se ocnfondre avec la lutte contre une société organisée par des règles écrites.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 11:00

Je voudrais savoir si quelqu'un connait la réponse à la question qui suit (je sais pas trop où mettre ça) ?

Vous savez que démocratie, anarchie, oligarchie, aristocratie, monarchie viennent du grec ancien. On traduit ces termes étymologiquement par :

démocratie : pouvoir du peuple / de la majorité
anarchie : absence de pouvoir
oligarchie : pouvoir de qq1
aristocratie : idem
monarchie : pouvoir d'un seul

Or si on analyse vraiment démocratie, c'est "demos-cratos", avec "cratos"=pouvoir, et pour le reste, on a par exemple : "mon-arche" ou "an-arche" pour monarchie et anarchie. On traduit aussi "arche" par pouvoir, or en réalité, c'est l'autorité de commandement.
"Cratos" aurait donc le même sens que "arche" en français. Moi, j'aimerais connaitre s'il y a qq1 qui parlerais grec ancien et qui pourrait m'expliquer la nuance entre "cratos" et "arche".
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede sebiseb » 15 Juin 2009, 11:25

Tuxanar a écrit:J'ai l'impression que la lutte contre les lois commence à se ocnfondre avec la lutte contre une société organisée par des règles écrites.

Qu'est-ce qu'une loi, si ce n'est une règle écrite ? Sans vouloir t'offenser, lorsque j'ai émis un questionnement sur la forme de ta charte par articles & alinéas tu m'as renvoyer dans les cordes le fait que cela n'était qu'un problème de fond - Et bien, non ! Les mots ont un sens précis, et pour moi, lois & règles sont contraire à l'anarchie dans le sens où elles ne peuvent comme le décrit conan être transcendantes. D'autant qu'une loi ou qu'une règle à pour unique objectif de trancher une décision (et de faire en sorte qu'elle ne soit pas discutable, voir pas constestable ce qui me paraît en rien anarchiste). À l'inverse un principe qui selon moi est suffisament ouvert pour qu'une décision prise collectivement pour régler une situation soit juste et mesurée (ce qui ne signifie pas qu'elle ne peut pas être radicale ; banissement). L'effet peut-être identique, mais la cause qui le produit repose sur des bases bien moins autoritaire et cela me semble essentiel.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 11:50

Le problème des principes, c'est qu'on peut leur faire tout et leur contraire. Ils sont trop vagues. Par contre, les règles sont précises et moins ambigüe que les principes, donc plus simple à utiliser.

Les règles doivent par contre mettre en oeuvre les principes de l'anarchisme.

Comme l'autogestion, ils faut bien codifier le fonctionnement d'une AG, sinon, c'est les grandes gueules qui imposent leurs règles, ou alors tout le monde se chamaille sur des questions de forme pour savoir comment l'ag fonctionne, et cela dès qu'il y a un vide où s'engouffrer.

Idem pour le principe de "la liberté des autres augmentent la mienne à l'infini". On peut justifier tout les privilèges et les manquements à l'égalité avec ce principe. Les Nobles, étant très libre, les paysans de l'Ancien Régime l'étaient aussi par ce biais.

En d'autres termes, les règles ne doivent exister que là où on en a besoins, c'est à dire avoir une utilité sociale.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede sebiseb » 15 Juin 2009, 12:01

Tuxanar a écrit:Le problème des principes, c'est qu'on peut leur faire tout et leur contraire. Ils sont trop vagues. Par contre, les règles sont précises et moins ambigüe que les principes, donc plus simple à utiliser.

conan a essayé de t'expliquer le contraire ; ou du moins que les règles et lois semblaient plus précises, mais au fond ne l'étaient pas, et servaient juste à justifier le pouvoir et la répression..

Tuxanar a écrit:Les règles doivent par contre mettre en oeuvre les principes de l'anarchisme.

Parce que tu penses qu'on laisserai faire autre chose !?

Tuxanar a écrit:Comme l'autogestion, ils faut bien codifier le fonctionnement d'une AG, sinon, c'est les grandes gueules qui imposent leurs règles, ou alors tout le monde se chamaille sur des questions de forme pour savoir comment l'ag fonctionne, et cela dès qu'il y a un vide où s'engouffrer.

À mon avis rien n'empêchera jamais les grandes gueules (que sont les anar's en général) de l'ouvrir !

Tuxanar a écrit:Idem pour le principe de "la liberté des autres augmentent la mienne à l'infini". On peut justifier tout les privilèges et les manquements à l'égalité avec ce principe. Les Nobles, étant très libre, les paysans de l'Ancien Régime l'étaient aussi par ce biais.

Là j'ai vraiment du mal avec cette remise en question systématique de l'extension de la liberté.. qui me semble fondatrice de l'anarchisme, de la liberté et de la solidarité.

Tuxanar a écrit:En d'autres termes, les règles ne doivent exister que là où on en a besoins, c'est à dire avoir une utilité sociale.

Tu les fixes comment les limites du besoin ? Par décret ? :twisted:
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 12:14

Les règles seront toujours plus précises que les principes.

Et ne me sort pas d'exemple de lois actuelles, car tout les juristes se plaignent de leur mauvaise rédaction (écriture et style trop complexe, vocabulaire pas assez précis et changeant), il y a tellement de lois actuellement qu'elles se contredisent entres-elles, et les lois ne sont pas seules appliquées par les juges. On trouve les traités internationaux, les avis des autorités indépendantes, les directives, les règlements, les décrets...

Tu les fixes comment les limites du besoin ? Par décret ? :twisted:


Et bien, ils me semblent que les assemblées de base décideront à ma place.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede conan » 15 Juin 2009, 13:19

Tux : sur la différence entre les substantifs kratos et arkhos, d'après mes souvenirs de grec ancien, arkhos est le chef, le commandeur, celui qui dirige. Il implique une relation de domination et de direction sociales. Kratos désigne le pouvoir au sens plus large de force, puissance, potentialité, capacité, et on le traduirait au sens politique davantage par "souveraineté" et si l'on veut bien, par "capacité d'autonomie" (mot lui-même signifiant la capacité à édicter ses "propres règles". Le cratos semble donc préférable à l'arkhos, même si au final, les concepts politiques dérivés de ces deux mots désignent toujours le pouvoir d'un groupe sur un autre. Le cas de la "démocratie", née dans le cadre athénien de citoyens qui réglaient les affaires de toute la cité (dans laquelle ils étaient minoritaires) me semble assez instructif de ce point de vue.
JPD, qui est aux éditions "acratie" (donc une variante du mont "anarchie"), pourrait peut-être nous en dire plus. Je ne pense pas m'aventurer beaucoup en hasrdant que ce mot entend dénoncer au sens plus large toute prétention à imposer sa puissance à autrui, y compris dans le sens d'une "démo-cratie". :wink:

Tux toujours : sur les règles, oui c'est vrai elles sont plus précises que les principes. Mais c'est précisément ce qui me pose problème, parce que les règles ne sont jamais neutres ; elles sont toujours élaborées en réaction à un contexte précis pour faire prévaloir une règle contre d'autres visions. C'est une façon pour quelques-uns de faire prévaloir sur d'autres, au nom d'une légitimité soit-disant neutre, leur point de vue sur d'autres, et de le faire perdurer même si le rapport de forces change et que la situation tourne en leur défaveur.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 13:34

Pour moi, comme les règles doivent être utiles socialement, elles doivent être révisables si elles ne conviennent plus à la majorité ou à la situtation. Les règles ne doivent pas figer la société.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Pïérô » 15 Juin 2009, 13:45

La démocratie représente un des fondements de l'anarchisme. Et la question des règles dans différents domaines est une véritable nécessité. Ces règles ne sont pas immuables et doivent être adoptées collectivement et démocratiquement. Dans toute société il y a des droits et des devoirs. Tout celà doit bien être écrit quelque part.
L'anarchie, ce n'est pas la jungle, c'est un autre ordre à construire et une harmonie à rechercher. Alors évidemment il ne s'agit pas de tout codifier, de tout légifèrer, mais il y a des règles qui me viennent en exemple comme cette question du "code de la route" que l'on a abordé dernièrement...celles concernant la violence, le respect de l'individu, autour des questions de propriété, etc...Il y a la question importante du fonctionnement au pouvoir, la question des prises de décision, des mandats, du contrôle et de la révocabilité des mandatés...
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede conan » 15 Juin 2009, 13:51

Toute règle s'assortit de sanctions, ou elle n'en est pas une. Leur seule utilité pratique est de permettre de sanctionner ses contrevenants, et donc d'arranger les gens qui la soutiennent plutôt que les gens qui ont été contre. C'est donc la possibilité instituée pour certaines personnes d'exercer un pouvoir sur d'autres personnes. L'anarchie, c'est précisément la lutte contre cela. Qu'elle soit définie par une minorité d'oligarques, de guerriers, ou une majorité nette de gens de la base qui changent souvent la loi... ne change rien au fond : la règle instituée permet toujours à un groupe d'en opprimer un autre, et c'est ça qui m'emmerde.
Le débat est plutôt : comment régler les conflits, les altercations ?
Rien que sur ce forum par exemple, où nous sommes presque tous des anars sincères et intelligents, m'est avis que la règle, loin de régler les conflits, ne fait qu'exacerber les tensions... mais parce que l'oppression est sa fonction première ! Le dialogue et la hauteur de vue me semblent toujours préférables, d'autant plus qu'il s'agit là d'un espace de discussion, pas d'un espace physique. ;)
Le mandat et la confiance (avec révocabilité), assortis de principes généraux à discuter, sont techniquement, je pense, la meilleure solution.
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Pïérô » 15 Juin 2009, 14:25

et c'est quoi le mandat ? :wink:
parce que la confiance, c'est bien, c'est même plutôt souhaitable, mais çà ne fait pas un "mandat".
et les principes généraux ?
non écrit ?
parce que les jeux de mots...
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede Tuxanar » 15 Juin 2009, 15:23

Conan, ton système serait le meilleur si l'homme était un individu réfléchi et raisonnable, ce qu'il n'est pas. La règle ne fait que suppléer à cette imperfection. Contrairement à ce que tu as l'air de croire, l'homme n'est ni bon, ni mauvais, mais un mix des deux. La règle permet de dire au "côté mauvais" de l'homme les limites qu'il ne doit pas franchir.

Ensuite, il faut que tout le monde connaisse les limites à ne pas franchir sous peine d'oppresser l'autre, et cela à l'avance. Ton idée de discussion, de règler les conflits à l'amiable ne permet pas cela.

Et dans beaucoup de cas, il ne s'agit pas seulement de conflit, mais bien d'une atteinte même à la liberté de chacun. Exemple, les statistiques montrent que les viols sont, dans 74% des cas, commis par un proche de la victime, et que 70% des cas, il n'y a pas de plainte. (source : http://www.sosfemmes.com/violences/viol_chiffres.htm). Je doute que ces viols s'arrêtent dans une société anarchiste, tu comptes discuter avec le violeur et lui expliquer que c'est pas bien ?
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Re: S'émanciper du légalisme

Messagede conan » 15 Juin 2009, 17:20

Qierrot, Polack avait lancé quelques pistes de principes généraux. Pour ma part, je suis peut-être très idéaliste mais dans ma vie, ça marche plutôt très bien, et je parviens à désamorcer la plupart des tensions que je vis ainsi : en luttant contre la violence.
A mon sens un seul principe suffit, dont tout découle : c'est d'empêcher l'oppression d'individus contre d'autres, sous quelque forme que ce soit (y compris les oppressions qui se dissimulent sous le masque justicier, commun à toutes les oppressions, de la légitimation de la violence pour lutter contre les oppressions).
Cela nécessite de trouver des moyens, pour empêcher l'oppression, qui ne relèvent pas de l'oppression.
Sur ce forum, c'est assez simple. Les seules formes d'oppression que l'on peut voir parfois y sont limitées en champs, parce qu'il n'y a pas d'enjeu physique ou économique. C'est le pourrissement du forum par des bots publicitaires qui font chier les admins, les insultes (l'insulte étant blessante), ou le bannissement (priver quelqu'un de sa liberté d'expression).
M'est avis qu'il en découle qu'il faut les empêcher. Mais empêcher une insulte par un bannissement est un constat d'échec. De même que répondre à un bannissement par une insulte. Donc dialoguons. Pour être anarchiste, c'est-à-dire capable d'oeuvrer à la fin du cycle infini de la violence oppressive (qui est toujours une emprise sur autrui), il faut agir, certes. Non pas en tendant la joue droite, mais en désamorçant et en dialoguant, en introduisant de la confiance, de la solidarité, là où tout est déchiré.
Tux : je me suis déjà fait exploser la gueule, comme ça sans raison, par une dizaine de mecs qui m'ont tabassé pour le plaisir. J'avais quinze ans et j'ai eu la haine. malgré tout, je veux abolir les prisons. L'argument du violeur est l'argument extrême des défenseurs de la taule parce que c'est celui qui nous heurte le plus éthiquement. Le viol est en effet inacceptable, mlais comment faire pour empêcher la récidive : tuer ? Non. Enfermer ? Je ne suis pas d'accord. Gérer collectivement, de façon à panser les blessures et à faire en sorte que le violeur puisse un jour reprendre une place au sein de la communauté ? Oui. Je crois que la confiance et l'humanité guérissent de tout, et que les sanctions perpétuent au contraire la haine et la perte d'estime de soi.
Je suis donc abolitionniste, mais pas pour autant je m'en foutiste. On viole quand le désir physique supplante le respect de l'individu ; quand un chef militaire le demande ; quand on est traumatisé par une blessure (un viol, quand on était plus jeune)... il faut donc régler les causes. Discuter avec un violeur (et aussi lui faire rencontrer quelqu'un qui connaisse bien le problème, ce serait encore mieux) pour lui faire comprendre en quoi son acte a pu être destructeur (y compris pour lui-même), faire en sorte qu'il ait l'opportunité de se soigner et de comprendre pourquoi il en arrive là, s'il agit par traumatisme. Lui expliquer calmement qu'en attendant, le voisinage est prévenu et va désormais veiller à ce qu'il ne recommence pas ses conneries, en faisant un barrage physique s'il le faut, en étant ferme, mais tout en respectant son intégrité, et dans le but de réintégrer la confiance en lui à terme. Qu'à terme, il faudra sans doute qu'il discute avec sa victime aussi quand elle sera prête et si elle le souhaite, de façon à crever l'abcès.
Ce ne sont que des pistes, et notre forum n'est qu'un forum. Mais quand je vois qu'on n'est pas capable, même sur un champ d'expérience sociale aussi réduit, de cette conscience de base qui consiste à désamorcer la violence par la conscience, je me dis qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. Alors retroussons-nous les manches ! En travaillant sur nos consciences au lieu de travailler sur les formes de répression.
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