Il me semble que le risque d''incompatibilité ne vienne pas tant d'un souci
d'autorité/hiérarchie (on peut tout à fait faire sans dans un syndicat anar), que d'un souci de rapport entre
révolution et réformisme, au sens où un syndicat attaquant le capitalisme de l'intérieur dans l'une des composantes du système (tel un virus) sera toujours confronté à tout le système englobant cette composante.
Le risque est bien réel, en-deçà d'un certain seuil critique en termes de nombre de syndiqués et d'implantation multisectorielle, que l'on demeure dans la problématique du système capitaliste sur plusieurs points (pas forcément indépassables, mais je pense qu'il faut y réfléchir).
- le
corporatisme hélas assez inhérent à la lutte sectorielle, même dans un cadre fédéral/confédéral.
Ex : ça part dans l'automobile et grâce au syndicat anar, les travailleurs obtiennent des victoires face au patron. Mais quid des autres secteurs ? Des sous-traitants ?- les
limites de l'autogestion dans un cadre de production capitaliste concurrentielle, où un secteur de production est lié à des fournisseurs et à des acheteurs.
Ex : les Lipp, tant qu'il n'y a pas révolution globale, l'autogestion est vouée à l'échec, cf l'article du dernier ML sur l'autogestion, ses atouts et ses limites.- admettons que l'aspect fédéral soit assez puissant, que tous les secteurs se coordonnent sur une plateforme revendicative (genre LKP) : l'inscription de l'anarchisme dans des luttes salariales (donc de rapport entre capital et travail) continue aussi à laisser une place au capital, au sens où l'on définit le terrain à gagner par rapport à lui. Il y a donc toujours risque de
réformisme radical, tant que l'on se situe dans le cadre du salariat. Mais comment fédérer sans plateforme revendicative réformiste ?
Ex : si 300 euros de plus sont gagnés après une lutte âpre d'un mois de grève générale par exemple, le syndicat anar pourra-t-il faire valoir d'aller plus loin en expropriant le capitaliste, si une plate-forme de 300 euros de plus a été adoptée ? Il ne sera pas crédible et beaucoup de gens préféreront retourner au taf.-enfin la
nature même des activités pose problème lorsqu'on combat en système capitaliste : défendre le fait d'exproprier une usine automobile (pour rester dans l'exemple de cette activité) ne retire rien à la problématique capitaliste qui a rendu l'automobile indispensable, maillon d'une chaîne destructrice d'environnement. Si l'on a une vision anarchiste globale, il est clair que l'activité automobile doit être foutrement réduite (ainsi que la production de pesticides etc...). Une fois que les gens se sont emparés de leur usine chimique ou de leur société de trading c'est bien, mais pas si c'est hélas pour défendre à terme le maintien d'une activité inutile voire dangereuse.
Toutes ces remarques peuvent se confondre en une seule : l'anarcho-syndicalisme ne peut triompher et être réellement bénéfique pour une société anarchiste, que si une révolution
globale se produit, remettant totalement en cause dans un intervalle de temps rapide
tous les secteurs de la production capitaliste, et ce
partout sur un mode autogestionnaire. Alors oui, à ce moment-là des ouvriers bossant dans les pesticides peuvent accepter de cesser en grande partie les activités de leur usine chimique qui pollue, parce que socialement ils auront un autre emploi qui fera sens et sera utile à tous (l'usine peut être reconvertie en une autre activité, etc...).
Trois pistes de solutions permettent de travailler à mon sens sur cet écueil :
-l'orga spécifique, politique, pendant globalement afin que toute action anarcho-syndicaliste locale fasse valoir son inscription dans une vision d'ensemble. Pas facile-facile... dans une activité comme le nucléaire, la police etc, des anarcho-syndicalistes devraient savoir dire aux collègues : on veut arrêter l'activité dans notre société idéale, pour privilégier des énergies alternatives ou des réponses alternatives à la violence... or là, si on ne fait pas une révolution globale accordant à chacun son droit de vivre et de bosser dans une activité utile, on perd tout.
-l'autonomie au sein d'un système économique alternatif montant en puissance en termes de liens entre personnes (circuits courts, artisanats, entraide, potagers...), ce qui présuppose une évolution spirituelle en quelque sorte, puisqu'on demandera rien moins aux gens que de privilégier l'effort temporaire d'une fraternité frugale , plutôt que de continuer à se vautrer dans les délices consuméristes d'un capitalisme débilitant.
-l'éducation indispensable pour apprendre à se réapproprier les savoirs quotidiens de base autant que les sciences, l'esprit d'initiative, la responsabilité, la liberté, l'acratie, l'entraide, le dialogue, la décision collective consensuelle... bref une éducation anarchiste...
Et oui, y'en a du boulot !
