Extrait Hannah arendt

Extrait Hannah arendt

Messagede Harfang » 06 Juil 2008, 07:56

Un petit extrait d'Hannah Arendt, que je trouve fort brillante dans beaucoup des ces conceptions, notamment sur la Démocratie. Ici, comme on le retrouve chez d'autres, le travail en tant que servitude. Pour compléter, on retrouve chez lafarge une idée intéressante à savoir que le travail de citoyen et de citoyen-soldat ne laissait de place à rien d'autres, tout citoyen étant politique.

Condition de l'homme moderne, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1961, pp 95-96. Hannah Arendt

Dire que le travail et l'artisanat étaient méprisés dans l'antiquité parce qu'ils étaient réservés aux esclaves, c'est un préjugé des historiens modernes. Les Anciens faisaient le raisonnement inverse : ils jugeaient qu'il fallait avoir des esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient aux besoins de la vie. C'est même par ces motifs que l'on défendait et justifiait l'institution de l'esclavage. Travailler, c'était l'asservissement à la nécessité, et cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine. Les hommes étant soumis aux nécessités de la vie ne pouvaient se libérer qu'en dominant ceux qu'ils soumettaient de force à la nécessité. La dégradation de l'esclave était un coup du sort, un sort pire que la mort, car il provoquait une métamorphose qui changeait l'homme en un être proche des animaux domestiques. C'est pourquoi si le statut de l'esclave se modifiait, par exemple par la manumission, ou si un changement des conditions politiques générales élevait certaines occupations au rang d'affaires publiques, la « nature » - de l'esclave changeait automatiquement.
L'institution de l'esclavage dans l'antiquité, au début du moins, ne fut ni un moyen de se procurer de la main-d'œuvre à bon marché ni un instrument d'exploitation en vue de faire des bénéfices ; ce fut plutôt une tentative pour éliminer des conditions de la vie le travail. Ce que les hommes partagent avec les autres animaux, on ne le considérait pas comme humain. (C'était d'ailleurs aussi la raison de la théorie grecque, si mal comprise, de la nature non humaine de l'esclave. Aristote, qui exposa si explicitement cette théorie et qui, sur son lit de mort, libéra ses esclaves, était sans doute moins inconséquent que les modernes n'ont tendance à le croire. Il ne niait pas que l'esclave fût capable d'être humain ; il refusait de donner le nom d' «hommes » aux membres de l'espèce humaine tant qu'ils étaient totalement soumis à la nécessité.) Et il est vrai que l'emploi du mot « animal » dans le concept d'animal laborans, par opposition à l'emploi très discutable du même mot dans l'expression animal rationale, est pleinement justifié. L'animal laborans n'est, en effet, qu'une espèce, la plus haute si l'on veut, parmi les espèces animales qui peuplent la terre.
Harfang
 

Re: Extrait Hannah arendt

Messagede l'anar vert » 06 Juil 2008, 19:06

ce petit bout de texte est génial, ça donne une autre vision de l'esclavage que je n'avais pas forcément envisagé.
Faudra que je me renseigne sur cet auteur.
Avatar de l’utilisateur-trice
l'anar vert
 
Messages: 2
Enregistré le: 05 Juil 2008, 18:59


Retourner vers Débats théoriques

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 4 invités