Anarchisme et communisme

comprendre le nouveau capitalisme

Messagede indignados » 03 Mai 2012, 12:22

comprendre le nouveau capitalisme
sOURCE CITOYENACTIF
http://citoyenactif.20minutes-blogs.fr/ ... lisme.html
http://l-indigne.skyrock.com/3087688439 ... lisme.html

Les données contradictoire (ou pas tant que cela quand on y réfléchit) du système néolibérale. D’un coté les entreprises cherchent a aller en Chine, de l’autre, elle trouve que les couts sont déjà trop élevés et cherchent d’autres niches pour s’étendre. Conversion progressive à un modèle économique centré sur la consommation. Economie et société : comprendre le nouveau capitalisme « L’interview de Scott Huff, directeur d'Innovate International, Le néolibéralisme se paye, comprendre le nouveau capitalisme ( forum 2050), comprendre le nouveau capitalisme ( forum planete Attitude)





Le coup de gueule des Guignols - Vidéo Dailymotion , we fuck the world we fuck the world - YouTube :

Par conséquent, la mises sous pressions des peuples, les entreprises commencent à quitter la Chine, tandis que d'autres s'y installent. Les fabricants recherchent des marchés moins chers en Asie du sud-est. Scott possède déjà une nouvelle usine au Cambodge. ". voir Un monde meilleur... Pour qui? - Indigné, , 5 scénarios catastrophe..., Le Capital - travail : Marxisme économique - Wikipédia(..), Baisse tendancielle du taux de profit : (…) . À terme donc, le capitalisme croule sous le poids de ses contradictions, c'est l'état de crise permanent, qui ne peut être évité que temporairement par l'expansion économique à des marchés vierges, ou par l'emballement de la croissance technologique.

Mercredi dernier, le porte-parole du ministère chinois de l'Industrie et des technologies de l'information adressait un message tout en rondeur aux compagnies minières étrangères.

Désormais, les compagnies disposant des technologies environnementales, de recyclage, ou encore de R&D "sont bienvenues en Chine". Ils (multinationales françaises) peuvent enfin respirer !

Depuis maintenant plusieurs années, nos industriels s'alarmaient d'une pénurie de terres rares. Le Japon avait même expérimenté un arrêt total des livraisons en 2011 suite à un incident diplomatique.

Qu'est-ce qui a pu motiver Pékin au point de changer d'attitude ? « A mon avis, l'empire du Milieu vient de réaliser que le marché des terres rares est en train de se normaliser. De nouvelles ressources, de nouvelles technologies, de nouveaux usages recomposent le marché. Et la Chine adapte sa tactique. Pour le pays, les opportunités d'investissements ne sont plus dans l'amont (la mine), mais dans l'aval (la transformation).

Voici les 3 raisons pour lesquelles Pékin va desserrer son étreinte sur le marché : .

1. La menace de l'OMC

Le mois dernier, la sentence est tombée. L'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, a condamné la Chine pour ses restrictions aux exportations de plusieurs métaux. Bauxite (pour l'aluminium), zinc, coke et magnésium étaient concernés.

L'OMC, ce n'est ni l'AIEA face à l'Iran, ni l'ONU face à la Syrie. Cet organisme a de réels moyens de pression. En cas d'infraction avérée, elle autorise les Etats lésés à prendre de mesures de représailles commerciales.

C'est cette efficacité qui amène aujourd'hui la Chine à adoucir son discours sur les terres rares. Car en mars dernier, une coalition d'Etats a à nouveau porté plainte contre Pékin. La cible : les quotas aux exportations de terres rares.

Les Chinois ont donc réagi en ouvrant leur marché aux investisseurs étrangers. Pourtant, d'autres raisons peuvent avoir été à l'origine de ce changement.

2. La concurrence s'organise

Si Pékin produit entre 95% des terres rares dans le monde, il ne dispose que d'un tiers des réserves. Ainsi devant la hausse des prix depuis 2008, l'exploitation de terres rares hors de Chine est redevenue compétitive.

La minière américaine Molycorp a ré-ouvert sa mine de Mountain Pass, fermée en 2002. Les premières tonnes de terres rares californiennes devraient arriver sur le marché d'ici deux ans. Le minier australien Lynas Corp. a à son tour lancé l'exploitation de sa mine de Mt.Welt, en Australie. A eux deux, ils devraient atteindre une production de 170 000 tonnes de terres rares. La part de la Chine dans la production de terres rares devrait par conséquent passer de 95% à 65% !

Ainsi l'empire du Milieu a tout intérêt à assouplir son discours, car la pénurie de terres rares va bientôt disparaître, et les prix redescendre. Le cours de l'indice des terres rares de Bloomberg, le Bloomberg Rare Earth Mineral Resources, a déjà perdu 61% de sa valeur depuis un an. La pénurie est réelle, et devrait se manifester dès 2013.

3. Pékin veut monnayer son monopole

Comme l'expliquait John Kaiser, rédacteur de Kaiser Research Online, "d'une certain manière, je pense que la Chine veut mettre un terme à son monopole".Son véritable objectif est de se servir de ces ressources pour alimenter la montée en gamme de son industrie. Je rappelle que les terres rares sont essentielles dans un grand nombre de technologies modernes, de la voiture électrique à l'écran plat.

Ainsi Pékin pourrait vouloir passer à la deuxième étape de son développement : développer l'aval de la filière des terres rares. Or cette transition nécessite la collaboration des acteurs étrangers. La Chine abandonnerait son monopole contre une intensification des échanges avec des partenaires étrangers.

Parmi ces acteurs, une compagnie se distingue particulièrement : Rhodia.

Actuellement, le chimiste français joue sur trois tableaux en même temps, ce qui en fait un acteur unique :

· Rhodia est un partenaire historique de la Chine dans l'exploitation des terres rares. Tout encouragement à l'arrivée de compagnies étrangères sur le sol chinois renforcera donc ses positions.

· Rhodia vient d'annoncer un projet d'exploitation de terres rares à Madagascar. Il s'agit de terres rares lourdes, les terres rares les plus recherchées, donc les plus chères.

· Rhodia est un leader dans les technologies de recyclages des terres rares. Le groupe a notamment ouvert plusieurs usines de recyclage en France.

En développant ses activités autour des terres rares, tant dans l'exploitation que dans la transformation, Rhodia est certain de rester au coeur de l'industrie high-tech.

Bonne semaine.

Le risque systémique , Le Capital - travail , L'enjeux du Lithium , 3 e tour social I , L'Europe au bord du suicide ! , Riches, Pauvres: deux... , Quelles leçons en tirer ! , Garde fous du néolibéralisme , Crise alimentaire et pénurie de matières premières et de ressources , La PAC en quête de légitimité, Tag: sustainability | EurActivLois et lobby financiers Le cercle vicieux déjà évoqués dans des articles sur gaz de schisme, greenwashing, Finance,Economie, société, agriculture et envronnement

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Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 05 Aoû 2016, 20:11

Anarchisme et communisme

Anarchie et Communisme

Au congrès tenu à Paris par la région du Centre, un orateur, qui s’est distingué par son acharnement contre les anarchistes, disait : Communisme et anarchie hurlent de se trouver ensemble.
Un autre orateur qui parlait aussi contre les anarchistes, mais avec moins de violence, s’est écrié, en parlant d’égalité économique : Comment la liberté peut-elle être violée, lorsque l’égalité existe ?

Eh bien ! je pense que les deux orateurs avaient tort.

On peut parfaitement avoir l’égalité économique, sans avoir la moindre liberté. Certaines communautés religieuses en sont une preuve vivante, puisque la plus complète égalité y existe en même temps que le despotisme. La complète égalité, car le chef s’habille du même drap et mange à la même table que les autres ; il ne se distingue d’eux que par le droit de commander qu’il possède. Et les partisans de "l’Etat populaire" ? S’ils ne rencontraient pas d’obstacles de toute sorte, je suis sûr qu’ils finiraient par réaliser la parfaite égalité, mais, en même temps aussi le plus parfait despotisme, car, ne l’oublions pas, le despotisme de l’Etat actuel augmenterait du despotisme économique de tous les capitaux qui passeraient aux mains de l’Etat, et le tout serait multiplié par toute la centralisation nécessaire à ce nouvel Etat. Et c’est pour cela que nous, les anarchistes, amis de la liberté, nous nous proposons de les combattre à outrance.

Ainsi, contrairement à ce qui a été dit, on a parfaitement raison de craindre pour la liberté, lors même que l’égalité existe ; tandis qu’il ne peut y avoir aucune crainte pour l’égalité là où existe la vraie liberté, c’est-à-dire l’anarchie.

Enfin, anarchie et communisme, loin de hurler de se trouver ensemble, hurleraient de ne pas se trouver ensemble, car ces deux termes, synonymes de liberté et d’égalité, sont les deux termes nécessaires et indivisibles de la révolution.

Notre idéal révolutionnaire est très simple, on le voit : il se compose, comme celui de tous nos devanciers, de ces deux termes : liberté et égalité. Seulement il y a une petite différence.

Instruits par les escamotages que les réactionnaires de toute sorte et de tout temps ont faits de la liberté et de l’égalité, nous nous sommes avisés de mettre, à côté de ces deux termes, l’expression de leur valeur exacte. Ces deux monnaies précieuses ont été si souvent falsifiées, que nous tenons enfin à en connaître et à en mesurer la valeur exacte.

Nous plaçons donc, à côté de ces deux termes : liberté et égalité, deux équivalents dont la signification nette ne peut pas prêter à l’équivoque, et nous disons : "Nous voulons la liberté, c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le communisme."

Anarchie, aujourd’hui, c’est l’attaque, c’est la guerre à toute autorité, à tout pouvoir, à tout Etat. Dans la société future, l’anarchie sera la défense, l’empêchement apporté au rétablissement de toute autorité, de tout pouvoir, de tout Etat : pleine et entière liberté de l’individu qui, librement et poussé seulement par ses besoins, par ses goûts et ses sympathies, se réunit à d’autres individus dans le groupe ou dans l’association ; libre développement de l’association qui se fédère avec d’autres dans la commune ou dans le quartier ; libre développement des communes qui se fédèrent dans la région – et ainsi de suite : les régions dans la nation ; les nations dans l’humanité.

Le communisme, la question qui nous occupe plus spécialement aujourd’hui, est le second point de notre idéal révolutionnaire.

Le communisme actuellement, c’est encore l’attaque ; ce n’est pas la destruction de l’autorité, mais c’est la prise de possession, au nom de toute l’humanité, de toute la richesse existant sur le globe. Dans la société future, le communisme sera la jouissance de toute la richesse existante, par tous les hommes et selon le principe : De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins, c’est-à-dire : De chacun et à chacun suivant sa volonté.

Il faut remarquer, – et ceci répond surtout à nos adversaires, les communistes autoritaires ou étatistes – que la prise de possession et la jouissance de toute la richesse existante doivent être, selon nous, le fait du peuple lui-même. Le peuple, l’humanité, n’étant pas des individus capables de saisir la richesse et la tenir dans leurs deux mains, on a voulu en conclure, il est vrai, qu’il faut, pour cette raison, instituer toute une classe de dirigeants, de représentants et de dépositaires de la richesse commune. Mais nous ne partageons pas cet avis. Pas d’intermédiaires, pas de représentants qui finissent toujours par ne représenter qu’eux-mêmes ! Pas de modérateurs de l’égalité, pas davantage de modérateurs de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de nouvel Etat, dut-il se dire populaire ou démocrate, révolutionnaire ou provisoire.

La richesse commune étant disséminée sur toute la terre, tout en appartenant de droit à l’humanité entière, ceux donc qui se trouvent à la portée de cette richesse et en mesure de l’utiliser l’utiliseront en commun. Les gens de tel pays utiliseront la terre, les machines, les ateliers, les maisons, etc., du pays et ils s’en serviront tous en commun. Partie de l’humanité, ils exerceront ici, de fait et directement, leur droit sur une part de la richesse humaine. Mais si un habitant de Pékin venait dans ce pays, il se trouverait avoir les mêmes droits que les autres ; il jouirait en commun avec les autres de toute la richesse du pays, de la même façon qu’il l’eût fait à Pékin.

Il s’est donc bien trompé, cet orateur qui a dénoncé les anarchistes comme voulant constituer la propriété des corporations. La belle affaire que l’on ferait, si l’on détruisait l’Etat pour le remplacer par une multitude de petits Etats ! Tuer le monstre à une tête pour entretenir le monstre à mille têtes !

Non ; nous l’avons dit, et nous ne cesserons de le répéter : point d’entremetteurs, point de courtiers et d’obligeants serviteurs qui finissent toujours par devenir les vrais maîtres : nous voulons que toute la richesse existante soit prise directement par le peuple lui-même, qu’elle soit gardée par ses mains puissantes, et qu’il décide lui-même de la meilleure manière d’en jouir, soit pour la production, soit pour la consommation.

Mais on nous demande : le communisme est-il applicable ? Aurions-nous assez de produits pour laisser à chacun le droit d’en prendre à sa volonté, sans réclamer des individus plus de travail qu’ils ne voudront en donner ?

Nous répondons : Oui. Certainement, on pourra appliquer ce principe : De chacun et à chacun suivant sa volonté, parce que, dans la société future, la production sera si abondante qu’il n’y aura nul besoin de limiter la consommation, ni de réclamer des hommes plus d’ouvrage qu’ils ne pourront ou ne voudront en donner.

Cette immense augmentation de production, dont on ne saurait même aujourd’hui se faire une juste idée, peut se deviner par l’examen des causes qui la provoqueront. Ces causes peuvent se réduire à trois principales :

1. L’harmonie de la coopération dans les diverses branches de l’activité humaine, substituée à la lutte actuelle qui se traduit dans la concurrence ;
2. L’introduction sur une immense échelle des machines de toutes sortes ;
3. L’économie considérable des forces du travail, des instruments de travail et des matières premières, réalisée par la suppression de la production nuisible ou inutile.

La concurrence, la lutte est un des principes fondamentaux de la production capitaliste, qui a pour devise : Mors tua vita mea, ta mort est ma vie. La ruine de l’un fait la fortune de l’autre. Et cette lutte acharnée se fait de nation à nation, de région à région, d’individu à individu, entre travailleurs aussi bien qu’entre capitalistes. C’est une guerre au couteau, un combat sous toutes les formes : corps à corps, par bandes, par escouades, par régiments, par corps d’armée. Un ouvrier trouve de l’ouvrage où un autre en perd ; une industrie ou plusieurs industries prospèrent, lorsque telles ou telles industries périclitent.

Eh bien ! imaginez-vous lorsque, dans la société future, ce principe individualiste de la production capitaliste, chacun pour soi et contre tous, et tous contre chacun, sera remplacé par le vrai principe de la sociabilité humaine : chacun pour tous et tous pour chacun – quel immense changement n’obtiendra-t-on pas dans les résultats de la production ? Imaginez-vous quelle sera l’augmentation de la production, lorsque chaque homme, loin d’avoir à lutter contre tous les autres, sera aidé par eux, quand il les aura, non plus comme ennemis, mais comme coopérateurs. Si le travail collectif de dix hommes atteint des résultats absolument impossibles pour un homme isolé, combien grands seront les résultats obtenus par la grande coopération de tous les hommes qui, aujourd’hui, travaillent hostilement les uns contre les autres ?
Et les machines ? L’apparition de ces puissants auxiliaires du travail, si grande qu’elle nous paraisse aujourd’hui, n’est que très minime en comparaison de ce qu’elle sera dans la société à venir.

La machine a contre elle, aujourd’hui, souvent l’ignorance du capitaliste, mais plus souvent encore son intérêt. Combien de machines restent inappliquées uniquement parce quelles ne rapportent pas un bénéfice immédiat au capitaliste ?

Est-ce qu’une compagnie houillère, par exemple, ira se mettre en frais pour sauvegarder les intérêts des ouvriers et construira de coûteux appareils pour descendre les mineurs dans les puits ? Est-ce que la municipalité introduira une machine pour casser les pierres, lorsque ce travail lui fournit le moyen de faire à bon marché de l’aumône aux affamés ? Que de découvertes, que d’applications de la science restent lettre morte, uniquement parce qu’elles ne rapporteraient pas assez au capitaliste !

Le travailleur lui-même est aujourd’hui l’ennemi des machines, et ceci avec raison, puisqu’elles sont vis-à-vis de lui le monstre qui vient le chasser de l’usine, l’affamer, le dégrader, le torturer, l’écraser. Et quel immense intérêt il aura, au contraire, à en augmenter le nombre lorsqu’il ne sera plus au service des machines ; au contraire, elles-mêmes seront à son service, l’aidant et travaillant pour son bien-être !

Enfin, il faut tenir compte de l’immense économie qui sera faite sur les trois éléments du travail : la force, les instruments et la matière, qui sont horriblement gaspillés aujourd’hui, puisqu’on les emploie à la production de choses absolument inutiles, quand elles ne sont pas nuisibles à l’humanité.

Combien de travailleurs, combien de matières et combien d’instruments de travail ne sont-ils pas employés aujourd’hui par l’armée de terre et de mer, pour construire les navires, les forteresses, les canons et tous ces arsenaux d’armes offensives et défensives ! Combien de ces forces sont usées à produire des objets de luxe qui ne servent qu’à satisfaire des besoins de vanité et de corruption !

Et lorsque toute cette force, toutes ces matières, tous ces instruments de travail seront employés à l’industrie, à la production d’objets qui eux-mêmes serviront à produire, quelle prodigieuse augmentation de la production ne verrons-nous pas surgir !

Oui, le communisme est applicable ! On pourra bien laisser à chacun prendre à volonté ce dont il aura besoin, puisqu’il y en aura assez pour tous. On n’aura plus besoin de demander plus de travail que chacun n’en voudra donner, parce qu’il y aura toujours assez de produits pour le lendemain.

Et c’est grâce à cette abondance que le travail perdra le caractère ignoble de l’asservissement, en lui laissant seulement le charme d’un besoin moral et physique, comme celui d’étudier, de vivre avec la nature.

Ce n’est pas tout d’affirmer que le communisme est chose possible nous pouvons affirmer qu’il est nécessaire. Non seulement on peut être communiste ; il faut l’être sous peine de manquer le but de la révolution.

En effet, après la mise en commun des instruments de travail et des matières premières, si nous conservions l’appropriation individuelle des produits du travail, nous nous trouverions forcés de conserver la monnaie, partant une accumulation de richesses plus ou moins grande, selon plus ou moins de mérite, ou plutôt d’adresse des individus. L’égalité aurait ainsi disparu, puisque celui qui parviendrait à posséder plus de richesses se serait déjà élevé par cela même au-dessus du niveau des autres Il ne resterait plus qu’un pas à faire pour que les contre-révolutionnaires établissent le droit d’héritage. Et, en effet, j’ai entendu un socialiste de renom, soi-disant révolutionnaire, qui soutenait l’attribution individuelle des produits, finir par déclarer qu’il ne verrait pas d’inconvénients à ce que la société admît la transmission de ces produits en héritage : la chose selon lui, ne porterait pas à conséquence. Pour nous qui connaissons de près les résultats auxquels la société en est arrivée avec cette accumulation des richesses et leur transmission par héritage, il ne peut pas y avoir de doute à ce sujet.

Mais l’attribution individuelle des produits rétablirait non seulement l’inégalité parmi les hommes, elle rétablirait encore l’inégalité entre les différents genres de travail. Nous verrions reparaître immédiatement le travail "propre" et le travail "malpropre", le travail "noble" et le travail "ignoble" : le premier serait fait par les plus riches, le second serait l’attribution des plus pauvres. Alors ce ne serait plus la vocation et le goût personnel qui détermineraient l’homme à s’adonner à tel genre d’activité plutôt qu’à un autre : ce serait l’intérêt, l’espoir de gagner davantage dans telle profession. Ainsi renaîtraient la paresse et la diligence, le mérite et le démérite, le bien et le mal, le vice et la vertu, et, par conséquent, la "récompense", d’un côté, et la "punition", de l’autre, la loi, le juge, le sbire et la prison.

Il y a des socialistes qui persistent à soutenir cette idée de l’attribution individuelle des produits du travail en faisant valoir le sentiment de la justice.

Etrange illusion ! Avec le travail collectif, que nous impose la nécessité de produire en grand et d’appliquer sur une large échelle les machines, avec cette tendance, toujours plus grande, du travail moderne à se servir du travail des générations précédentes, - comment pourra déterminer ce qui est la part du produit de l’un et la part du produit d’un autre ? C’est absolument impossible, et nos adversaires le reconnaissent si bien eux-mêmes, qu’ils finissent par dire : "Eh bien ! nous prendrons pour base de la répartition l’heure de travail" ; mais, en même temps, ils admettent eux-mêmes que ce serait injuste, puisque trois heures du travail de Pierre peuvent souvent valoir cinq heures du travail de Paul.

Autrefois nous nous disions "collectivistes", puisque c’était le mot qui nous distinguait des individualistes et des communistes autoritaires ; mais, au fond, nous étions tout bonnement communistes antiautoritaires, et en nous disant "collectivistes", nous pensions exprimer par ce nom notre idée que tout doit être mis en commun, sans faire de différence entre les instruments et matières de travail et les produits du travail collectif.

Mais, un beau jour, nous avons vu surgir encore une nouvelle nuance de socialistes qui, ressuscitant les errements du passé, se mirent à philosopher, à distinguer, à différencier sur cette question, et qui finirent par se faire les apôtres de la thèse suivante :

"Il existe – disent-ils – des valeurs d’usage et des valeurs de production. Les valeurs d’usage sont celles que nous employons à satisfaire nos besoins personnels : c’est la maison que nous habitons, les vivres que nous consommons, les vêtements, les livres, etc., tandis que les valeurs de production sont celles dont nous nous servons pour produire : c’est l’atelier, les hangars, l’étable, les magasins, les machines et les instruments de travail de toute sorte, le sol, matières de travail, etc. Les premières valeurs qui servent à satisfaire les besoins de l’individu – disent-ils – doivent être d’attribution individuelle, tandis que les secondes, celles qui servent à tous pour produire, doivent être d’attribution collective."

Telle fut la nouvelle théorie économique trouvée, ou plutôt renouvelée pour le besoin.

Mais je vous demande, à vous qui donnez l’aimable titre de valeur de production au charbon qui sert à alimenter la machine, à l’huile servant pour la graisser, à l’huile qui éclaire sa marche – pourquoi le refuserez-vous au pain et, à la viande dont je me nourris, à l’huile dont j’assaisonne ma salade, au gaz qui éclaire mon travail, à tout ce qui sert à faire vivre et marcher la plus parfaite de toutes les machines, le père de toutes les machines : l’homme ?

Vous classez dans les valeurs de production la prairie et l’étable qui sert à abriter les bœufs et les chevaux et vous voulez en exclure les maisons et les jardins qui servent au plus noble de tous les animaux : l’homme ?

Où est donc votre logique ?

D’ailleurs, vous-mêmes qui vous faites les apôtres de cette théorie, vous savez parfaitement que cette démarcation n’existe pas en réalité, et que, s’il est difficile de la tracer aujourd’hui, elle disparaîtra complètement le jour où tous seront producteurs en même temps que consommateurs.

Ce n’est donc pas cette théorie, on le voit, qui aurait pu donner une force nouvelle aux partisans de l’attribution individuelle des produits du travail. Cette théorie n’a obtenu qu’un seul résultat : celui de démasquer le jeu de ces quelques socialistes qui voulaient atténuer la portée de l’idée révolutionnaire ; elle nous a ouvert les yeux et nous a montré la nécessité de nous déclarer tout carrément communistes.

Mais enfin abordons la seule et unique objection sérieuse que nos adversaires aient avancée contre le communisme.

Tous sont d’accord que nous allons nécessairement vers le communisme, mais on nous observe qu’au commencement, les produits n’étant pas assez abondants, il faudra établir le rationnement, le partage, et que le meilleur partage des produits du travail serait celui basé sur la quantité du travail que chacun aura faite.

A ceci nous répondons que, dans la société future, lors même que l’on serait obligé de faire le rationnement, on devrait rester communistes : c’est-à-dire le rationnement devrait se faire, non pas selon les mérites, mais selon les besoins.

Prenons la famille, ce modèle du petit communisme (d’un communisme autoritaire plutôt qu’anarchiste, il est vrai, ce qui, d’ailleurs, dans notre exemple, ne change rien).

Dans la famille, le père apporte, supposons cent sous par jour, l’aîné trois francs, un garçon plus jeune, quarante sous, et le gamin seulement vingt sous par jour. Tous apportent l’argent à la mère qui tient la caisse et qui leur donne à manger. Tous apportent inégalement, mais au dîner chacun se sert à sa guise et selon son appétit ; il n’y a pas de rationnement. Mais viennent les mauvais jours, et la dèche force la mère à ne plus s’en remettre à l’appétit et au goût de chacun pour la distribution du dîner. Il faut faire un rationnement et, soit par l’initiative de la mère, soit par convention tacite de tous, les portions sont réduites. Mais voyez, cette répartition ne se fait pas suivant les mérites, car c’est le plus jeune garçon et le gamin surtout qui reçoivent la plus grosse part, et quant au morceau choisi, il est réservé pour la vieille qui ne rapporte rien du tout. Même pendant la disette, on applique dans la famille ce principe de rationnement selon les besoins. En serait-il autrement dans la grande famille humaine de l’avenir ?

Il est évident qu’il y aurait à dire davantage sur ce sujet, si je ne le traitais pas devant des anarchistes.

On ne peut pas être anarchiste sans être communiste. En effet, la moindre idée de limitation contient déjà en elle-même les germes d’autoritarisme. Elle ne pourrait pas se manifester sans engendrer immédiatement la loi, le juge, le gendarme.

Nous devons être communistes, car c’est dans le communisme que nous réaliserons la vraie égalité. Nous devons être communistes, parce que le peuple, qui ne comprend pas les sophismes collectivistes, comprend parfaitement le communisme comme les amis Reclus et Kropotkine l’ont déjà fait remarquer. Nous devons être communistes, parce que nous sommes des anarchistes, parce que l’anarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution.

Carlo Cafiero

https://infokiosques.net/lire.php?id_article=555


"Anarchie et communisme" est la reproduction du rapport lu par Carlo Cafiero en 1880 à l’occasion du congrès de la Fédération jurassienne de l’A.I.T. (Association Internationale des Travailleurs) à Chaux-de-Fonds. Ce texte de Cafiero fut publié pour la première fois la même année à Genève, dans le journal anarchiste Le Révolté.


Eléments biographiques (repris et adaptés du site « Le Drapeau Noir »)

Né le 1er septembre 1846 à Barletta, province des Pouilles, en Italie, Carlo Cafiero est issu d’une famille bourgeoise. Il effectue des études de droit puis voyage en France, en Russie et en Angleterre où il se lie d’amitié avec Friedrich Engels. Celui-ci lui fait découvrir le socialisme et le charge, en juin 1871, de consolider les sections de l’Internationale en Italie. A Florence et à Naples, il prend contact avec des groupes de militants, dont Errico Malatesta, et collabore au journal « La Campana » (« La Cloche »). Du 4 au 6 août 1872, à Rimini, il préside la conférence des sections italiennes de l’Internationale qui prend la décision de rompre avec le communisme autoritaire et le conseil général de Londres (qui voulait supprimer l’autonomie des sections). Le 2 septembre 1872, le congrès de La Haye (les sections italiennes n’y assistent pas) marque la rupture définitive entre autoritaires (proches de Karl Marx) et anti-autoritaires (proches de Mikhaïl Bakounine). Carlo Cafiero, présent en tant qu’observateur, dénoncera l’exclusion de Bakounine et de James Guillaume. Il participe ensuite, les 15 et 16 septembre 1872, au congrès international antiautoritaire de Saint-Imier, qui signe en quelque sorte l’acte de naissance du mouvement anarchiste.

En 1877, il participe au mouvement insurrectionnel de la « bande du Matese » qui tente de proclamer le communisme libertaire dans divers villages de la province de Bénévent. Il est arrêté avec ses compagnons, quelques jours plus tard, et passe quinze mois en prison pendant lesquels il traduit « Le Capital » de Marx. Le procès se déroule en août 1878 et se solde par un acquittement général.
A partir de 1883, sa santé mentale se détériore et il sombre peu à peu dans la folie. Après plusieurs internements, il meurt le 17 juillet 1892 à l’asile de Nocera Inferiore (Campanie).
Cafiero était marié à une militante révolutionnaire russe, Olimpiada Evgrafovna Kutuzova.
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Re: Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 06 Aoû 2016, 16:12

Un point sur l’anarchisme

Dans la préface de mon livre sur Bakounine (1993), j’ai cité le poète Ghanéen Ayi Kwei Armah, qui écrivait : « Le présent est là où nous nous perdons si nous oublions notre passé et n’avons pas de vision de notre futur. » Cette phrase me vient à l’esprit alors que nous allons célébrer la fondation emblématique du mouvement anarchiste à Saint-Imier en Suisse, en septembre 2012.
Se référer au passé ne suppose pas une sorte de culte des ancêtres, pas plus qu’envisager un meilleur futur pour l’humanité ne nous impose de nous perdre dans des rêves utopiques. Les anarchistes devraient certainement n’avoir aucune gêne à célébrer les réalisations d’une génération précédente de socialistes libertaires, non pas comme des curiosités historiques, mais en tant que source d’inspiration et d’idées. Je veux simplement proposer ici quelques réflexions sur le type d’anarchisme, ou de socialisme révolutionnaire, qui a émergé des luttes politiques entre membres de la Première Internationale dans les années 1870.

La mauvaise presse

L’anarchisme, en tant que philosophie politique, a peut-être la pire presse possible. Il a été ignoré, déformé, ridiculisé, vilipendé, mal compris et mal interprété par des auteurs de tous les bords de la scène politique : marxistes, démocrates, conservateurs et libéraux. Théodore Roosevelt, président des États-Unis, a présenté l’anarchisme dans une formule célèbre comme un « crime contre l’intégralité de la race humaine » et, dans le langage courant, l’anarchie est invariablement liée au désordre, à la violence et au nihilisme. Un obstacle supplémentaire à une compréhension claire de l’anarchisme est le fait que le terme « anarchiste » a été appliqué à une grande variété de philosophies et d’individus. Ainsi Ghandi, Spencer, Tolstoï, Berdyaev, Stirner, Ayn Rand, Nietzsche, à côté de figures plus familières comme Proudhon, Bakounine et Goldman, ont tous été qualifiés d’anarchistes. Cela a conduit des critiques marxistes, comme John Molyneux, a discréditer l’anarchisme comme une philosophie politique complètement incohérente tant dans sa théorie que dans sa stratégie de changement social.
Mais ce n’est pas le cas, car il faut reconnaître que l’anarchisme est fondamentalement un mouvement historique et une tradition politique qui ont émergé vers 1870, principalement parmi les membres de la classe ouvrière réunis dans l’Association internationale des travailleurs, plus connue sous le nom de Première Internationale.

Le communisme anarchiste

Cela a produit une scission, ou « grand schisme » (selon l’expression de James Toll), à l’intérieur de l’Association. On la décrit généralement comme si elle s’était concentrée autour d’une querelle personnelle entre Karl Marx et Michel Bakounine. Mais, ainsi que Cole et d’autres l’ont souligné, ce schisme n’était pas seulement un clash de personnalités. Il impliquait deux factions à l’intérieur du mouvement socialiste, et des conceptions très différentes du socialisme, des processus du changement révolutionnaire et des conditions de la libération humaine. La faction anarchiste ne s’est pas décrite au départ sous le terme « anarchistes », mais plutôt comme des « fédéralistes » ou des « socialistes anti-autoritaires », mais ils ont fini par adopter le label de leurs opposants marxistes et se sont définis comme « communistes anarchistes ».
L’anarchisme a ainsi émergé en tant que mouvement politique parmi les travailleurs d’Espagne, de France, d’Italie et de Suisse dans la foulée de la Commune de Paris. Parmi ses promoteurs les plus connus, il y avait Élisée Reclus, François Dumertheray, James Guillaume, Errico Malatesta, Carlo Cafiero, Jean Grave et Pierre Kropotkine. (Louise Michel était aussi également associée au mouvement, mais elle avait été déportée en Nouvelle-Calédonie après la défaite de la Commune de Paris, ainsi que des milliers de communards. Elle passa six années en exil.) Entre 1870 et 1930, l’anarchisme, ou socialisme révolutionnaire/libertaire, se répandit à travers le monde et donc ne fut plus du tout restreint à l’Europe. Vers la fin du XIXe siècle, il y avait bien entendu d’autres branches de l’anarchisme, mais le communisme anarchiste était certainement la tendance dominante. Il est important de noter que l’anarchisme de lutte de classe ne fut pas la création d’intellectuels, mais a émergé du militantisme de la classe ouvrière, et a exprimé une révolte contre les conditions de travail et de vie imposées par le capitalisme industriel. Les premiers écrits de Kropotkine était intitulés Paroles d’un révolté (1885), d’après le périodique anarchiste suisse Le Révolté. Kropotkine, qui joignit la section générale de la Première Internationale en février 1872, décrivait l’anarchisme comme une sorte de synthèse entre le libéralisme radical, avec son accent sur la liberté de l’individu, et le socialisme ou le communisme, qui impliquait la répudiation du capitalisme et un accent sur la vie communale et l’association volontaire. Cette synthèse est bien illustrée par le fameux adage de Bakounine : « Que la liberté sans socialisme n’est que privilège et injustice, et que le socialisme sans liberté n’est qu’esclavage et brutalité. »
La tendance des philosophes universitaires marxistes et des individualistes (ou égoïstes) stirnériens à fabriquer une dichotomie radicale entre l’anarchisme et le socialisme est donc, d’un point de vue conceptuel aussi bien qu’historique, très trompeuse et corrompt notre compréhension du socialisme.

Les principes de la Ire Internationale

L’anarchisme, ou du moins le type d’anarchisme de lutte de classe promu par les partisans de la révolution sociale à l’intérieur de la Première Internationale, peut être défini à partir de quatre principes essentiels.
Premièrement, un rejet du pouvoir d’état et de toute forme de hiérarchie et d’oppression ; une critique de toutes les formes de pouvoir et d’autorité qui inhibent la liberté de l’individu considéré, bien entendu, comme un être social, pas comme un ego désincarné ou une espèce d’individu abstrait et inaliénable, encore moins comme une essence bienveillante fixée. Comme l’écrivait une résolution du Congrès de Saint-Imier, la première tâche du prolétariat est la « destruction de tout pouvoir politique ».
Deuxièmement, la répudiation totale de l’économie capitaliste de marché, ainsi que de son système de salariat, propriété privée, son éthique de compétition et l’idéologie de l’individualisme forcené. En fait, les premiers anarchistes de lutte de classe étaient de fervents anticapitalistes, qui qualifiaient le salariat d’« esclavage salarial ».
Troisièmement, la vision d’une société basée uniquement sur l’entraide et la coopération volontaire, une forme d’organisation sociale qui fournirait l’expression la plus complète de la liberté humaine et toutes les formes de vie sociale indépendantes de l’État et du capitalisme. Les anarchistes de lutte de classe croyaient ainsi en l’organisation volontaire, pas au chaos, à l’éphémère ou au laisser-faire, et ils considéraient les sociétés basées sur la tribu ou la famille, mais aussi la vie sociale quotidienne dans des sociétés plus complexes, comme montrant certains des principes de l’anarchie. Élisée Reclus et Kropotkine se sont tous les deux intéressé à la vie sociale des peuples tribaux, ou « sociétés sans gouvernement ».
Quatrièmement, les premiers anarchistes, comme les marxistes, se sont appropriés les aspects radicaux des Lumières : insistance sur l’importance de la raison critique et de la science empirique ; rejet de tous les dogmes basés sur la tradition, le mysticisme et la révélation divine ; et une affirmation de valeurs humaines universelles comme la liberté, l’égalité et la solidarité. L’anarchisme était ainsi une forme de socialisme éthique.

La critique des autres radicaux

Au fur et à mesure du développement du socialisme révolutionnaire, ou anarchisme, dans les vingt années suivant la Commune de Paris de 1871, il tendit à critiquer et à se définir en relation à trois autres formes de radicalisme politique. Ceux-ci sont toujours présents et ont leurs thuriféraires contemporains. Il s’agit du mutualisme, de l’individualisme radical et du marxisme.
Bien que Kropotkine et les anarchistes de lutte de classe aient toujours reconnu que Proudhon avait exprimé des sentiments libertaires, et avait été un pionnier et une source d’inspiration dans le développement de l’anarchisme, ils ont toujours été critiques de la tradition radicale qui devaient être connue sous le nom de mutualisme. Adoptée par beaucoup d’anarchistes individualistes américains tels que Warren, Spooner et Tucker, cette tradition prônait l’économie de marché, la propriété privée et la production de marchandises à petite échelle, toutes notions rejetées par les communistes anarchistes.
Ils étaient tout aussi critiques de l’espèce d’individualisme radical (égoïsme) exprimée par Max Stirner, considérant qu’il s’agissait d’une doctrine métaphysique coupée des réalités sociales et à la frontière du nihilisme. Kropotkine faisait remarquer qu’il n’y avait aucun sens à mettre l’accent sur la suprématie de l’« unique » dans une situation d’oppression et d’exploitation économique, et avait le sentiment que l’égoïsme strident de Stirner allait à l’encontre des sentiments d’entraide et d’égalité reconnus par la plupart des gens.
Enfin, bien sûr, depuis leur naissance, les anarchistes ont été hautement critiques envers le système politique prôné par Marx et Engels, et qui devait par la suite être connu sous le nom de social-démocratie, ou plus simplement marxisme. Dans leur célèbre Manifeste communiste (1846), Marx et Engels insistaient sur le fait que le parti communiste devait organiser la classe ouvrière afin d’accomplir « la conquête du pouvoir politique ».
Cela entraînerait l’établissement d’un « État ouvrier » ou « la dictature du prolétariat », sous laquelle toutes les formes de production (y compris l’agriculture), ainsi que les transports, la communication et la finance, seraient « possédés » et administrés par l’État national. Cela impliquerait, comme l’écrivaient Marx et Engels, « la centralisation du pouvoir la plus décisive entre les mains de l’autorité de l’État ». Bakounine et les anarchistes communistes ont bien sûr toujours clamé que la route parlementaire vers le socialisme conduisait au réformisme, et que la « prise du pouvoir étatique » par le parti communiste au nom de la classe ouvrière conduisait à la tyrannie et au capitalisme d’État. Et l’histoire semble leur avoir donné raison sur ces deux points.
Par contraste avec l’« action politique » – engagement dans le pouvoir étatique, dont les anarchistes ont toujours senti qu’il était en relation symbiotique avec le capitalisme –, les premiers anarchistes ont prôné l’action directe. Elle pouvait s’exprimer via l’insurrectionnisme, l’anarcho-syndicalisme ou la politique sur une base communautaire.

Rien de bien nouveau actuellement

Ces derniers temps, l’anarchisme de lutte de classe, tel qu’il était prôné et pratiqué par les générations précédentes d’anarchistes communistes, a été déclarée « obsolète », ou « démodée », ou dénoncée comme du « gauchisme » par des anarchistes contemporains, notamment ceux bien au chaud dans leur université. On nous dit qu’à la fin du XXe siècle, un « nouvel » anarchisme a fait surface, un anarchisme « post-gauche ». Celui-ci semble consister en un pastiche assez ésotérique de plusieurs tendances politiques, à savoir : l’anarcho-primitivisme, l’anarcho-capitalisme de Rothbard et Ayn Rand, le « terrorisme poétique » issu de Nietzsche et de l’avant-garde, adopté avec ferveur par Hakim Bey, l’individualisme radical (égoïsme) des dévots contemporains de Max Stirner, et le prétendu post-anarchisme issu des écrits de mandarins universitaires tels que Derrida, Lyotard, Foucault et Deleuze. Il n’y a rien de neuf ni d’original dans ces divers courants de pensée, et l’idée que les anarchistes du temps passé aient été en faveur de la modernité, ou du modernisme, est très perverse. En effet, les « anciens » anarchistes, les socialistes libertaires, ont complètement répudié trois composants essentiels de la prétendue « modernité » : l’État démocratique, l’économie capitaliste de marché, et l’individu « abstrait » de la philosophie bourgeoise.
C’est pourquoi nous devons continuer de nous réclamer de l’héritage du communisme anarchiste, tel qu’il fut formulé pour la première fois il y a longtemps au congrès de Saint-Imier, et rendre cet héritage en phase avec les luttes sociales et politiques contemporaines.

Brian Morris

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Re: Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 07 Aoû 2016, 09:13

Le communisme, projet viable ou utopie irréaliste ?

Malgré la chute du bloc soviétique, malgré la révélation au public des crimes du stalinisme et des conditions de vie atroces (y compris pour les travailleurs) dans les dictatures du bloc de l’Est, une partie de la population rejette encore le capitalisme et propose envers et contre tout un projet communiste comme alternative. Qui donc sont ces militants qui semblent fous ?

Certains diront qu’il s’agit d’anciens privilégiés nostalgiques qui s’accommodaient du manque de liberté, car ces régimes leur assuraient une vie tranquille. Pourtant parmi les militants communistes, une bonne partie est née après 1989 et vient de pays n’ayant jamais fait partie du bloc de l’Est. D’autres diront que ce sont de jeunes idéalistes qui choisissent le projet communiste pour se donner une attitude de rebelle. « C’est vrai », diront-ils « moi aussi quand j’étais jeune j’étais trotskiste, Guévariste, etc., mais après je suis revenu à la raison ». Pourtant la difficulté de la vie de militant (coût en temps, en argent, répression policière, etc.) aurait dû venir facilement à bout de l’unique envie qu’auraient ces jeunes de passer pour des rebelles.

En réalité, la raison qui explique l’existence de militants communistes (notamment parmi les jeunes) encore de nos jours est bien plus simple : le système capitaliste ne permet pas d’offrir des conditions de vie décentes à toute la population et le projet communiste représente toujours une alternative viable.

La vie sous le système capitaliste : Démocratie et marché libre ? :

Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je me permets de rappeler que la vie en système capitaliste est un enfer pour la majorité des êtres humains. Les personnes n’ayant pas eu la chance de naître dans une famille aisée vivant dans les pays du premier monde (à savoir les USA et les pays d’Europe occidentale) souffrent au quotidien de nombreuses situations injustes générées directement par le capitalisme. Ainsi la pauvreté augmente alors que la production de richesses n’a jamais été aussi élevée. Les travailleurs sont obligés d’accepter des emplois sous n’importe quelles conditions et à n’importe quel salaire pour survivre. La crise économique sert de prétexte pour détruire les acquits du mouvement syndical tels que la sécurité sociale, les allocations de chômage,etc. Pendant que nos conditions de vie empirent, les riches accumulent toujours plus de richesse à tel point que désormais les 10% les plus riches de la planète détiennent 85% du patrimoine mondial.1 Et malheur à ceux qui oseraient contester cette injustice, les états avec leurs polices, leurs armées et leurs services de renseignements travaillent à réprimer tout mouvement de contestation.

Quand au sort des populations ne vivant pas au centre de l’économie mondiale il est bien pire que celui que nous connaissons. Alors que la colonisation appartient officiellement au passé, des peuples subissent encore aujourd’hui l’impérialisme des grandes compagnies (comme le montre la mise au service de l’état brésilien au profit de la FIFA) qui agissent souvent par l’intermédiaire des états impérialistes (l’intervention militaire française au Mali pour protéger les intérêts d’Areva en est un bon exemple). De ce fait, des populations entières sont obligées de quitter leur pays pour trouver un avenir meilleur dans les pays du Nord où elles sont exploitées par des patrons peux scrupuleux2, traquées par la police, expulsés au mépris des dangers qu’ils courent,etc.

N’oublions pas non plus que le capitalisme génère d’autres types d’organisations utilisant la violence pour opprimer et déposséder les travailleurs. On peut citer l’exemple du crime organisé qui prospère grâce à la pauvreté en profitant de la misère dans laquelle beaucoup de gens vivent (via la vente de drogue dans les quartiers, les extorsions ou encore le trafic d’êtres humains). Pour les plus naïfs, il est important de préciser que les chefs de ces organisations mafieuses collaborent avec les élites étatiques et avec les compagnies privées légales3.

Ce système va même jusqu’à mettre en péril la survie de l’humanité tout entière puisque

l’exploitation économique toujours plus grande de notre planète rendue nécessaire par le besoin de croissance, risque d’avoir des conséquences irréversibles sur l’environnement.4

Après cette liste loin d’être exhaustive on ne peut que constater qu’exploitation, pauvreté, et violence sont les lots quotidiens de la majorité des êtres humains sous le capitalisme.

Réforme ou révolution ? :

À moins d’êtres insensibles à ces nombreux drames qui se passent sous nos yeux, il est évident qu’il est nécessaire d’y trouver des solutions. Mais une question se pose encore « Est il possible de trouver des solutions dans le cadre du système capitaliste ? » ou plus simplement « Le système capitaliste est il réformable ? ». La réponse à cette question peut se trouver dans l’analyse marxiste de l’économie et de la société.

Marx analyse les sociétés au travers du matérialisme dialectique :

Matérialisme signifie que la cause première de toute chose est matérielle (ce qui est physique, ce qui peut être observé, sentit, touché, etc.).

Ainsi selon Marx la manière dont s’organise une société provient avant tout de contraintes physiques (par exemple la production de biens, la présence de ressources sur un territoire ou encore le niveau d’évolution des technologies, etc.). De ces conditions matérielles découlent les idées (les projets politiques, des idéologies telles que les religions, etc.) qui en sont donc la conséquence et non la cause.

Selon Marx, la dialectique serait un outil permettant d’analyser l’évolution des sociétés au travers de ses contradictions. Lorsqu’il y a deux éléments antagonistes (la thèse et l’antithèse), cela génère une contradiction . Celle-ci va soit déboucher vers une destruction de la thèse et de l’antithèse, soit vers une fusion entre ces deux éléments qui crée une synthèse (un nouvel élément) ainsi que son opposé « l’antisynthèse », générant une nouvelle contradiction et ainsi de suite.

Ces deux notions permettent à Marx d’analyser l’évolution et l’architecture des sociétés.

Chaque système économique dépend avant tout du niveau des technologies disponible pour la production de biens, à chaque niveau technologique correspond un type de rapports de production (esclavage, servage, salariat). Les sociétés se divisent alors en fonction de la place qu’occupent les groupes d’humains dans ces rapports de productions ; il s’agit des classes sociales. L’agencement de ces conditions matérielles forme l’infrastructure des systèmes économiques (leur base matérielle).

Quant aux institutions, régimes politiques, et religions, elles forment la superstructure des systèmes économiques. C’est-à-dire qu’elles existent et s’organisent non pas de manière autonome, mais en fonction de l’organisation de l’infrastructure. La superstructure est donc directement dépendante de l’infrastructure. Le rôle de cette superstructure est d’assurer la pérennité du système en place. Ainsi par exemple, l’état utilisera sa police pour réprimer toutes révoltes tandis que les religions, les médias et l’école fourniront une justification idéologique au système en place afin de prévenir l’émergence d’idées contestataires.

L’évolution des sociétés quant à elle, trouve son origine dans la contradiction qui se crée entre les niveaux technologiques des forces productives et les rapports de productions qui leur correspondent. En effet la technologie a tendance à évoluer de manière constante (on fait tout les jours de nouvelles recherches qui amènent à l’invention de nouvelles machines, de nouveaux produits, etc.) alors que les rapports de productions évoluent quant à eux par palier. En effet ces rapports de production ne peuvent pas s’adapter de manière constante aux nouvelles technologies. Peux à peux la contradiction entre le niveau technologique des forces productives et les rapports de productions devenus inadapté, amène à des tensions dans la superstructure qui vont déboucher sur des révolutions. La Révolution française de 1789 en est un exemple typique : alors que les technologies permettaient de commencer l’industrialisation du pays et le passage au capitalisme bourgeois, les rapports de productions (le servage et les corporations d’artisans) empêchaient cette évolution. La bourgeoisie a donc pris le pouvoir afin de passer aux rapports de production capitaliste (à savoir le salariat généralisé) et de mettre en place une superstructure (passage à un état bourgeois, interdiction des corporations,etc.) assurant sa nouvelle position dominante.

De nos jours les cette contradiction entre technologies et rapports de production est visible dans un phénomène appelé « la baisse tendancielle du taux de profit ». En effet, les rapports de productions capitalistes impliquent la concurrence entre chaque entreprise. Pour se maintenir dans la course les patrons d’entreprises se voient obligés d’investir une part de plus en plus importante de leur capital dans l’acquisition de nouvelles technologies de production. Or seul le « surtravail » est réellement producteur de valeur ajoutée. En effet, il s’agit du temps de travail que le travailleur donne gratuitement à son patron (puisque le travailleur travaille pour son patron plus que le temps nécessaire à la satisfaction de ses besoins et à sa reproduction). Étant donné que les capitalistes investissent de plus en plus d’argent dans les technologies et de moins en moins pour engager des travailleurs, leur taux de profit diminuent sur le long terme. Pour retarder cette baisse tendancielle de leur taux de profit, les bourgeois ont recours à plusieurs mécanismes. Ils peuvent baisser les salaires pour un temps de travail égal ou faire l’inverse ; augmenter le temps de travail de l’ouvrier pour un même salaire (dans les deux cas, il s’agit d’augmenter le taux d’exploitation des travailleurs). La bourgeoise a aussi eu recours à la colonisation (elle utilise le néo-colonialisme de nos jours) afin de trouver des déboucher pour leurs produits (afin de combler un manque de demande dans les métropoles) et de s’approprier des matières premières à un coût minimum (pour réduire les coûts de production). La financiarisation de l’économie est aussi un autre symptôme de cette baisse tendancielle du taux de profit. En effet lorsqu’un secteur n’est plus assez rentable, les capitalistes n’ont d’autre choix d’investir leur argent dans d’autres secteurs. Or une fois que tous les secteurs sont devenus peux rentables, les capitalistes ne peuvent qu’investir dans le secteur financier (une économie fictive) en spéculant sur des profits futurs. Cela crée des bulles spéculatives qui finissent obligatoirement par s’effondrer, créant ainsi une crise financière puis économique (comme en 2008).

Ainsi cette baisse tendancielle du taux de profit explique la récente crise économique. La bourgeoisie n’a donc d’autres choix que de diminuer leurs coûts de production et d’augmenter les taux d’exploitation en délocalisant nos entreprises, en diminuant nos salaires et en détruisant nos conditions de travail. Les sociaux-démocrates l’ont très bien compris, mais refusent de sortir du cadre capitaliste. C’est pourquoi ils acceptent de mettre en place les politiques patronales d’austérité et de destruction des droits des travailleurs tout en tentant d’en atténuer les conséquences. La situation est telle que des secteurs entiers de l’économie s’effondreraient s’ils devaient respecter les lois sociales en vigueur. La restauration et la construction en constituent les exemples les plus frappants puisque ces secteurs n’ont d’autres choix que d’utiliser massivement le travail au noir. L’économie informelle voir criminelle ne peuvent même plus être combattue efficacement sous peine de créer un effondrement économique. Ainsi plusieurs états européens ont par exemple décidé d’inclure dans le calcul de leur Produit Intérieur Brut (PIB) le trafic de drogue et de la prostitution5.

Le système capitaliste n’a donc pas la possibilité économique de nous offrir une vie digne. Bien au contraire pour se maintenir il est obligé de nous exploiter toujours plus, de monopoliser de plus de plus de richesses, etc. Aussi tout projet de réforme sociale au sein de ce système est un vœu pieux. Une révolution permettant la destruction du salariat est un passage obligé pour améliorer radicalement et durablement les conditions de vie du tout les opprimés.

Le communisme, une utopie inapplicable ? :

Une dernière question se pose alors. S’il est nécessaire de renverser le système capitaliste pour enfin avoir une vie décente, quel nouveau système doit prendre sa place ? Autrement dit, par quoi remplacer le capitalisme ? Au premier abord, lutter pour une société communiste semble être un mauvais choix. N’avons-nous pas tous appris dans nos cours d’histoire ou dans les médias que toutes les tentatives de mettre en place le communisme mènent inévitablement vers des dictatures inhumaines ? Pourtant, en poussant nos recherches plus loin il apparaît vite que cette thèse ne résiste pas à l’épreuve des faits.

Tout d’abord, précisons que contrairement à une croyance largement répandue aucun régime (même les régimes staliniens) n’a jamais n’a prétendu appliquer le communisme dans son pays. C’est en effet impossible puisque le communisme ne pourra être appliqué qu’après le triomphe de la révolution au niveau mondial, la disparition des classes sociales, et après l’apparition d’une génération d’humains ayant été élevée selon les valeurs de solidarités, d’égalité et de partage. Notre génération ne pourra donc jamais vivre dans une société communiste puisque nous avons été élevés sous le capitalisme et que nous avons par conséquent intériorisé ses normes.

Pour répondre à la question du passage du capitalisme au communisme, plusieurs types de solutions ont été expérimentées au cours de l’histoire. Il existe tout d’abord les expériences issues des courants marxistes orthodoxes et léninistes qui prônent le passage par une phase transitoire avant d’arriver au communisme. Selon les léninistes, avant d’atteindre le communisme, les sociétés devraient passer par une phase appelée « socialisme ». Durant cette phase, l’état serait maintenu, il deviendrait l’instrument de la domination du prolétariat sur la bourgeoisie, et se verrait conférer la propriété des moyens de production et la planification de l’économie. En pratique, toutes ces expériences ont débouché sur la création d’un état autoritaire opprimant les travailleurs qu’il est censé défendre. La raison de ces échecs, vient du fait que les léninistes, ont eu une croyance absolue dans la pensée de Marx, sans en voir les lacunes. En effet, sans rien nier de l’apport théorique considérable du philosophe pour comprendre nos sociétés, il ne faut pas oublier que le matérialisme dialectique reste avant tout un paradigme d’analyse qui par définition ne peut être qu’imparfait. Ainsi l’une des grandes erreurs de Marx a été de ne pas considérer qu’il puisse exister des rapports de dominations ne découlant pas directement des conditions matérielles (l’infrastructure). Cela l’a mené à avoir dans certains de ces écrits une conception déterministe de l’histoire où la révolution serait inévitable et tout découlerait des conditions matérielles des sociétés. Les léninistes ont quant à eux privilégié une lecture scientiste voir biblique de Marx, sans jamais le critiquer, ni utiliser l’apport d’autres auteurs. Ils en ont déduit que « la science marxiste » utilisée par une avant-garde éclairée (organisé dans un parti prenant le pouvoir au sein de l’état) leur permettrait de déduire des recettes miracles pour atteindre le communisme6. Inévitablement, les élites du parti ont commencé par nier toute autonomie de pensée aux travailleurs, pour ensuite se transformer en une oligarchie contrôlant l’état dans son seul intérêt. Les expériences socialistes sont les plus connues et cela a causé un grand tord à la cause communiste puisque la majorité des gens associent désormais URSS ou la Chine maoïste au concept de communisme.

Heureusement, tous les courants révolutionnaires n’ont pas commis ces erreurs. Ainsi d’autres expériences inspirées des conceptions libertaires, ont résolu avec plus de succès la question du passage du capitalisme au communisme. Les communistes-libertaires ne voient pas la révolution comme un passage entre deux systèmes prédéterminés à l’avance par la marche de l’histoire. Ils considèrent au contraire qu’il s’agit d’un processus continu qui se vit avec tous les opprimés. Ainsi, les libertaires refusent d’attendre l’abolition du capitalisme pour commencer à lutter contre les toutes les oppressions (de genre, de race, et de classe) et pour expérimenter des modes d’organisations alternatifs. C’est pourquoi dans leur pratique quotidienne, les libertaires tentent d’appliquer et d’apprendre par eux-mêmes les principes qui doivent fonder la future société communiste.

Étatisme versus autogestion

Cette différence de pratique a conduit les libertaires à mener des expériences plus réussies dans les territoires qu’ils ont réussi à contrôler au cours de l’histoire. Les libertaires ont toujours refusé d’abdiquer leur pouvoir à un état « ouvrier » tout puissant contrôlé par une avant-garde « éclairée ». Ils ont préféré prendre leur destin en main et organiser la production et la vie politique et sociale par eux-mêmes. C’est pourquoi les libertaires se sont toujours battus pour l’autogestion.

L’autogestion implique que les décisions (que ce soit au niveau économique ou politique) soient prises de manière démocratique. Concrètement, les gens se réunissent en assemblées populaires (ou en comités d’usine pour l’organisation de la production) pour débattre, et ensuite si aucun consensus n’est atteint, procéder à un vote sur les mesures à prendre. Les décisions ne pouvant être prises au niveau local sont prises par des représentants élus par ces assemblées, via un mandat impératif. Contrairement au mandat représentatif appliqué dans les « démocraties » bourgeoises, où le peuple laisse tout son pouvoir de décision à des représentants, sans possibilités de les contrôler entre deux élections. Les élus au mandat impératif sont à tous moments révocables, ils doivent se faire les porte-parole des décisions de leurs bases à qui ils doivent régulièrement rendre des comptes. En résumé, l’autogestion c’est l’application de la démocratie directe au niveau économique et politique.

Bien entendu, l’autogestion au niveau économique implique que les moyens de production soient collectifs . Cependant, les libertaires estiment que les producteurs doivent s’associer librement en fonction de leurs intérêts et non subir une collectivisation forcée imposée par le haut.

Les libertaires ont donc une conception réellement démocratique de la révolution, car ils considèrent que ce sont les opprimés eux-mêmes qui sont les plus à aptes à prendre des décisions correspondants à leurs intérêts. C’est pourquoi, contrairement aux socialistes autoritaires, les libertaires refusent de prendre possession de l’état et préfèrent l’abolir dès l’avènement de la révolution. En effet, l’état est l’organe bureaucratique par excellence qui a pour but de perpétuer les dominations. Tout groupe qui en prendrait donc le contrôle même s’il prétend agir dans l’intérêt général finirait donc inévitablement par utiliser son pouvoir (police et armée) pour imposer ses décisions et agir dans son intérêt propre. L’analyse des expériences socialistes autoritaires montre la justesse de cette conclusion. Ainsi, au cours des révolutions, les libertaires ont toujours prôné la collectivisation et non la nationalisation des moyens de production, l’organisation de la production par des comités d’usine (au lieu de la confier à des techniciens du parti), et enfin le remplacement la police et l’armée (bras armés de l’état) l’état par des milices populaires où les officiers étaient démocratiquement élus. L’histoire prouve que lorsque ces mesures furent effectivement appliquées, de meilleurs résultats furent obtenus que ce soit en termes de respect des libertés qu’en termes d’efficacité de la production.

Parmi, les nombreuses expérimentations du socialisme-libertaires, on peut citer comme exemple la Makhnovtchina en Ukraine de 1918 à 1921, l’expérience libertaire menée par la CNT en Espagne durant la guerre civile de 1936 à 19397 ou encore les territoires contrôlés par l’EZLN dans le Chiapas au Mexique de 1994 à nos jours8. Ces exemples restent certes minoritaires au regard des nombreuses expériences socialistes tentées, mais n’oublions pas que les « démocraties » bourgeoises restent elles même une minorité dans le monde capitaliste. Il est aussi clair que ces expériences ne sont pas exemptes de tous défauts et c’est pourquoi il est absolument nécessaire de les étudier, de les faire connaître pour ensuite mieux les critiquer. Cependant, elles ont le mérite de prouver qu’il existe des alternatives autogestionnaires viables au capitalisme.

C’est pour toutes ces raisons que les militants communistes libertaires ou de la gauche autogestionnaire en général ne sont pas de doux rêveurs engagés dans un combat vain. Bien au contraire, ce sont des personnes réalistes sur la nature du capitalisme qui refusent de vivre dans un monde d’exploitation et de misère et qui luttent pour un projet concret permettant l’amélioration de la condition humaine. La seule chose qui manque à la réalisation de ces utopies, c’est vous ! Nous avons besoin de toutes les forces disponibles pour enfin renverser le capitalisme et mettre en place un nouveau système qui nous permettra de vivre librement et dignement.

Mario Lafaye (CAL-BXL)


NB : Cet article fait de nombreuses fois appel à la pensée de Marx pour la simple raison qu’il constitue à mon sens une bonne base pour introduire les idées communistes à des personnes n’y ayant jamais été confrontées. Cependant il ne saurait constituer la seule base théorique pour élaborer des stratégies révolutionnaires et un projet de société alternatif. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’aborder la question du passage du capitalisme au communisme. C’est pourquoi je recommande notamment la lecture de « Un projet de société communiste libertaire » (édité par Alternative Libertaire) qui réalise une esquisse de la société future pour laquelle nous luttons. Je conseille aussi la lecture de « L’anarchisme » de Daniel Guérin qui analyse les actions, les stratégies et les expériences des libertaires au cours des différentes révolutions du 20ème siècle.

1 http://www.inegalites.fr/spip.php?article1393

2 http://www.rtl.be/info/belgique/societe ... -me-payer-

3 http://blogs.mediapart.fr/blog/cadtm/19 ... -sulfureux

4 http://www.lalibre.be/actu/planete/rech ... ad9fc8bd16

5 http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/ ... e-son-pib/

6 Et ce malgré les beaux discours sur l’état ouvrier démocratique de Lénine dans « L’état et la révolution » qui sont en totale contradiction avec ses actions durant la révolution russe.

7 Voir à ce sujet le documentaire « Vivre l’Utopie » sur l’expérience anarchiste espagnole

8 Voir le dossier « Mexique, Chiapas et Zapatistes » produit par solidaire international

https://albruxelles.wordpress.com/2014/ ... rrealiste/
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Re: Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 27 Aoû 2016, 16:08

Communisme et Anarchie

L'importance de la question a à peine besoin d'être rappelée. Beaucoup d'anarchistes et de
penseurs en général, tout en reconnaissant les immenses avantages que le communisme peut
offrir à la société, voient dans cette forme d'organisation sociale un danger pour la liberté et le
libre développement de l'individu. D'autre part, prise dans son ensemble, la question rentre
dans un autre problème, si vaste, posé dans toute son étendue par notre siècle : la question de
l'Individu et de la Société.

Le problème a été obscurci de diverses façons. Pour la plupart, quand on a parlé de communisme, on a pensé au communisme plus ou moins chrétien et monastique, et toujours autoritaire, qui fut prêché dans la première moitié de ce siècle et mis en pratique dans certaines communes. Celles-ci, prenant la famille pour modèle, cherchaient à constituer «la grande famille communiste», à «réformer l'homme», et imposaient dans ce but, en plus du travail en commun, la cohabitation serrée en famille, l'éloignement de la civilisation actuelle, l'isolement, l'intervention des «frères» et des «soeurs» dans toute la vie psychique de chacun des membres.

En outre, distinction suffisante ne fut pas faite entre les quelques communes isolées, fondées à maintes reprises pendant ces derniers trois ou quatre siècles, et les communes nombreuses et fédérées qui pourraient surgir dans une société en voie d'accomplir la révolution sociale.

Il faudra donc, dans l'intérêt de la discussion, envisager séparément :

Et enfin, comme conclusion : le communisme amène-t-il nécessairement avec lui l'amoindrissement de l'individu ? Autrement dit : l'Individu dans la société communiste.

Ces idées, en se précisant, engendraient deux courants principaux : le communisme autoritaire et le communisme anarchiste, ainsi qu'un certain nombre d'écoles intermédiaires, cherchant des compromis, tels que l'Etat seul capitaliste, le collectivisme, la coopération ; tandis que, dans les masses ouvrières, elles donnaient naissance à un formidable mouvement ouvrier, qui cherche à grouper toute la masse des travailleurs par métiers pour la lutte contre le capital de plus en plus international.

Trois points essentiels ont été acquis par ce formidable mouvement d'idées et d'action, et ils ont déjà largement pénétré dans la conscience publique. Ce sont :

Sur ces trois points l'accord est assez prêt de s'établir ; car ceux mêmes qui préconisent les «bons de travail», ou bien disent (comme Brousse): «Tous fonctionnaires !» c'est-à-dire «tous salariés de l'Etat ou de la commune», admettant qu'ils préconisent ces palliatifs uniquement parce qu'ils ne voient pas la possibilité immédiate du communisme. Ils acceptent ces compromis comme un pis aller. Et, quant à l'Etat, ceux-là mêmes qui restent partisans acharnés de l'Etat, de l'autorité, voire même de la dictature, reconnaissent que lorsque les classes que nous avons aujourd'hui auront cessé d'exister, l'Etat devra disparaître avec elles.

On peut donc dire, sans rien exagérer de l'importance de notre fraction du mouvement socialiste — la fraction anarchiste — que malgré les divergences qui se produisent entre les diverses fractions socialistes et qui s'accentuent surtout par la différence des moyens d'action plus ou moins révolutionnaires acceptés par chacune d'elles, on peut dire que toutes, par la parole de leurs penseurs, reconnaissent, pour point de mire, le communisme libertaire. Le reste, de leur propre aveu, ne sont que des étapes intermédiaires.

L'une est qu'il devient de plus en plus difficile de déterminer la part qui revient à chacun dans la production actuelle. L'industrie et l'agriculture modernes deviennent si compliquées, si enchevêtrées, toutes les industries sont si dépendantes les unes des autres, que le système de paiement du producteur-ouvrier par les résultats devient impossible. Aussi voyons-nous que plus une industrie est développée, plus le salaire aux pièces disparaît pour être remplacé par un salaire à la journée. Celui-ci, d'autre part, tend à s'égaliser. La société bourgeoise actuelle reste certainement divisée en classes, et nous avons toute une classe de bourgeois dont les émoluements grandissent en proportion inverse du travail qu'ils font : plus ils sont payés, moins ils travaillent. D'autre part, dans la classe ouvrière elle-même, nous voyons quatre divisions : les femmes, les travailleurs agricoles, les travailleurs qui font du travail simple, et enfin ceux qui ont un métier plus ou moins spécial. Ces divisions représentent qautre degrés d'exploitation et ne sont que des résultats de l'organisation bourgeoise.

Mais, dans une société d'égaux, où tous pourront apprendre un métier et où l'exploitation de la femme par l'homme, et du paysan par l'industriel, cessera, ces classes disparaîtront. Et aujourd'hui même, dans chacune de ces classes les salaires tendent à s'égaliser. C'est ce qui fait dire, avec raison, qu'une journée de travail d'un terrassier vautcelle d'un joaillier, et ce qui a fait penser à Robert Owen aux bons de travail, payés à chacun de ceux qui ont donné tant d'heures de travail à la production des choses reconnues nécessaires.

Cependant, quand nous considérons l'ensemble des tentatives de socialisme, nous voyons, qu'à part l'union de quelques mille fermiers aux Etats-Unis, le bon de travail n'a pas fait son chemin depuis les trois quarts de siècle qui sont passés depuis la tentative faite par Owen de l'appliquer. Et nous en avons fait ressortir ailleurs (Conquête du Pain ; le Salariat) les raisons.

Par contre, nous voyons se produire une masse de tentatives partielles de socialisation dans la direction du Communisme. Des centaines de communes communistes ont été fondées durant ce siècle, un peu partout, et en ce moment même nous en connaissons plus d'une centaine — toutes plus ou moins communistes.

C'est aussi dans le sens du communisme — partiel, bien entendu — que se font presque toutes les nombreuses tentatives de socialisation qui surgissent dans la société bourgeoise, soit entre particuliers, soit dans la socialisation des choses municipales.

L'hôtel, le bateau à vapeur, la pension sont tous des essais faits dans cette direction, par les bourgeois. En échange d'une contribution de tant par jour, vous avez le choix des dix ou cinquante plats qui vous sont offerts, dans l'hôtel ou sur le bateau, et personne ne contrôle la quantité de ce que vous avez mangé. Cette organisation s'étend même internationalement, et avant de partir de Paris ou ou de Londres vous pouvez vous munir de bons (à raison de 10 francs par jour) qui vous permettent de vous arrêter à volonté dans des centaines d'hôtels en France, en Allemagne, en Suisse, etc., appartenant tous à la Ligue internationale des hôtels.

Les bourgeois ont très bien compris les avantages du communisme partiel, combiné avec une liberté presque entière de l'individu, pour la consommation ; et dans toutes ces instutitions, pour un prix de tant par mois, on se charge de satisfaire tous vos besoins de logement et de nourriture, sauf ceux de luxe extra (vins, chambres spécialement luxueuses), que vous payez séparément.

L'assurance contre l'incendie (surtout dans les villages où une certaine égalité de conditions permet une prime égale pour tous les habitants), contre l'accident, contre le vol ; cet arrangement qui permet aux grands magasins anglais de vous fournir chaque semaine, à raison d'un shilling par semaine, tout le poisson que vous consommerez dans une petite famille ; le club ; les sociétés sans nombre d'assurance en cas de maladie, etc., etc., toute cette immense série d'institutions nées dans le courant de ce siècle, rentrent dans la même catégorie des rapprochements vers le communisme pour une certaine partie de la consommation.

Et enfin nous avons toute une vaste série d'institutions municipales — eau, gaz, électricité, maisons ouvrières, tramways à taux uniforme, force motrice, etc., — dans lesquelles les mêmes tentatives de socialisation de la consommation sont appliquées sur une échelle qui s'élargit tous les jours davantage.

Tout cela n'est certainement pas encore du communisme. Loin de là. Mais le principe qui prévaut dans ces institutions contient une part du principe communiste : — Pour une contribution de tant par an ou par jour (en argent aujourd'hui, en travail demain), vous avez droit de satisfaire telle catégoriede vos besoins — le luxe excepté.

Pour être communistes, il manque à ces ébauches de communisme bien des choses, dont deux surtout sont essentielles : 1° le paiement fixe se fait en argent, au lieu de se faire en travail ; et 2° les consommateurs n'ont pas de voix dans l'administration de l'entreprise. Cependant si l'idée, la tendance de ces institutions était bien comprise, il n'y aurait aucune difficulté, aujourd'hui même, de lancer par entreprise privée ou sociétaire, une commune, dans laquelle le premier point serait réalisé. Ainsi, supposons un terrain de 500 hectares. Deux cents maisonnettes, chacune entourée d'un quart d'hectare de jardin ou de potager, sont bâties sur ce terrain. L'entreprise donne à chaque famille qui occupe une de ces maisons, à choisir sur cinquantes plats par jour tout ce qu'ils voudront, ou bien elle leur fournit le pain, les légumes, la viande, le café à volonté, pour être cuits à domicile. Et, en échange, elle demande, soit tant par an payé en argent, soit tant d'heures de travail de l'établissement : agriculture, élève du bétail, cuisine, service de propreté. Cela peut se faire déjà demain si l'on veut ; et on peut s'étonner qu'une pareille ferme-hôtel n'ait pas déjà été lancée par quelque hôtelier entreprenant.

D'abord, presque toutes les communes furent fondées à la suite d'un élan d'enthousiasme quasi religieux. On demandait aux hommes d'être «des pionniers de l'humanité», de se soumettre à des règlements de morale minutieux, de se refaire entièrement par la vie communiste, de donner tout leur temps, pendant les heures de travail et en dehors de ces heures, à la commune, de vivre entièrement pour la commune.

C'était faire comme font les moines et demander aux hommes — sans aucune nécessité — d'être ce qu'ils ne sont pas. Ce n'est que tout récemment que des communes furent fondées par des ouvriers anarchistes sans aucune prétention, dans un but purement économique — celui de se soustraire à l'exploitation patronale.

L'autre faute était toujours de modeler la commune sur la famille et de vouloir en faire «la grande famille». Pour cela, on vivait sous un même toit, forcé toujours, à chaque instant, d'être en compagnie des mêmes «frères et soeurs». Or, si deux frères trouvent souvent difficile de vivre sous un même toit, si la vie de famille ne réussit pas à tous, c'était une erreur fondamentale que d'imposer à tous «la grande famille», au lieu de chercher, au contraire, à garantir autant que possible la liberté et le chez soi de chacun.

En outre, une petitecommune ne peut pas vivre. Les «frères et soeurs», forcés au contact continuel, avec la pauvreté d'impressions qui les entoure, finissent par se détester. Mais il suffit que deux personnes, devenant deux rivaux, ou simplement ne se supportant pas l'une l'autre, puissent par leur brouille amener la dissolution d'une commune. Il serait étrange si cette commune vivait, d'autant plus que toutes les communes fondées jusqu'à ce jour s'isolaient du monde entier. Il faut se dire d'avance qu'une association étroite de dix, vingt, cent personnes ne pourra durer que trois ou quatre années. Si elle durait plus, ce serait même regrettable, puisque cela prouverait seulement, ou que tous se sont laissés subjuguer par un seul, ou que tous ont perdu leur individualité. et puisqu'il est certain que dans trois, quatre ou cinq années, une partie des membres de la commune voudra se séparer, il faudrait au moins avoir une dizaine ou plus de communes fédérées, afin que ceux qui, pour une raison ou une autre, voudront quitter telle commune puissent entrer dans une autre comune et être remplacés, par des personnes venant d'autres groupes. Autrement la ruche communiste doit nécessairement périr, ou tomber (comme cela arrive presque toujours) aux mains d'un seul — généralement «le frère» plus malin que les autres.

Enfin, toutes les communes fondées jusqu'à ce jour se sont isolées de la société. Mais la lutte, une vie de lutte, est, pour l'homme actif, un besoin bien plus pressant qu'une table bien servie. Ce besoin de voir le monde, de se lancer dans son courant, de lutter ses luttes, de souffrir ses souffrances, est d'autant plus pressant pour la jeune génération. C'est pourquoi (comme le remarque Tchaïkovsky par expérience) les jeunes, dès qu'ils ont atteint dix-huit ou vingt ans, quittent nécessairement une commune qui ne fait pas partie de la société entière.

Inutile d'ajouter que le gouvernement, quel qu'il soit, a toujours été la pierre d'achoppement la plus sérieuse pour toutes les communes. Celles qui ont eu que fort peu ou n'en ont pas du tout (comme la jeune Icarie) ont encore le mieux réussi. Cela se comprend. Les haines politiques sont des plus violentes. Nous pouvons vivre, dans une ville, à côté de nos adversaires politiques, si nous ne sommes pas forcés de la coudoyer à chaque instant. Mais comment vivre, si l'on est forcé, dans une petite commune, de se voir à chaque moment ? La lutte politique se transporte dans l'atelier, dans la chambre de travail, dans la chambre de repos, et la vie devient impossible.

Par contre, il a été prouvé et archi-prouvé que le travail communiste, la production communiste, réussissent à merveille. Dans aucune entreprise commerciale, la plus-value donnée à la terre par le travail n'a été aussi grande qu'elel l'a été dans chacune des communes fondées soit en Amérique, soit en Europe. Certainement, il y a eu partout des fautes d'aménagement, comme il y en a dans toute entreprise capitaliste ; mais, puisqu'on sait que la proportion des faillites commerciales est d'environ quatre sur cinq, dans les premières cinq années après leur fondation, on doit reconnaître que rien de semblable à cette énorme proportion ne se rencontre dans les communes communistes. Aussi, quand la presse bourgeoise fait de l'esprit et parle d'offrir aux anarchistes une île pour y établir leur commune — forts de l'expérience, nous sommes prêts à accepter cette proposition, à condition seulement que cette île soit, par exemple, l'Ile-de-France et que, évaluation faite du capital social, nous en recevions notre part. Seulement, comme nous savons qu'on ne nous donnera ni l'Ile-de-France ni notre part du capital social, nous prendrons un jour l'un et l'autre, nous-mêmes, par la Révolution sociale. Paris et Barcelone, en 1871, n'en furent pas si terriblement loin que ça — et les idées ont progressé depuis.

Surtout que le progrès est en ce que nous comprenons qu'une ville, seule, se mettant en commune, trouverait de la difficulté à vivre. L'essai devrait être commencé conséquemment sur un territoire — celui, par exemple, d'un des Etats de l'Ouest, Idaho, ou Ohio, — nous disent les socialistes américains — et ils ont raison. C'est sur un territoire assez grand, comprenant ville et campagne — et non pas dans une ville seule — qu'il faudra, en effet, se lancer un jour vers l'avenir communiste.

Quant à ceux qui ont essayé de dessiner l'Etat socialiste, accablés de nos critiques, ils nous répondent que tout ce qu'ils veulent, c'est des bureaux de statistiques. Mais ceci n'est qu'un jeu de mots. On sait d'ailleurs aujourd'hui que la seule statistique valable est celle qui est faite par l'individu lui-même, donnant son âge, son sexe, son occupation, sa position sociale, ou bien la liste de ce qu'il a vendu ou acheté.

Les questions à poser à l'individu sont généralement élaborées par les volontaires (savants, sociétés de statistique) et le rôle des bureaux de statistique se réduit aujourd'hui à distribuer les questionnaires, à classer les fiches, et à additionner au moyen des machines d'addition. Réduire ainsi l'Etat, le gouvernement, à ce rôle, et dire que par gouvernement on ne comprend que cela, signifie (quand c'est dit sincèrement) faire tout bonnement une retraite honorable. Et, en effet, il faut reconnaître que les jacobins d'il y a trente ans en ont immensément rabattu sur leur idéal de dictature et de centralisation socialiste. Personne n'oserait plus dire aujourd'hui que la consommation et la production des pommes de terre ou du riz doivent être rêglées par le Parlement du Volksstaat (Etat populaire) allemand à Berlin. Ces bêtises ne se disent plus.

Les économistes ont représenté le contrat forcé, conclu sous la menace de la faim entre le patron et l'ouvrier, comme un état de liberté. Les politiciens, d'autre part, ont décrit comme un état de liberté celui dans lequel on trouve aujourd'hui le citoyen devenu serf et contribuable de l'Etat. Leur erreur est donc évidente. Mais les moralistes les plus avancés, tels Mill et ses très nombreux élèves, en déterminant la liberté comme le droit de faire tout, sauf d'empiéter sur la liberté égale des autres, ont aussi inutilement limité la liberté. Sans dire que le mot «droit» est un héritage très confus du passé, qui ne dit rien ou qui en dit trop, — la détermination de Mill a permis au philosophe Spencer, à une quantité sans nombre d'écrivains, et même à quelques anarchistes individualistes de reconstituer le tribunal et la punition légale, jusqu'à la peine de mort — c'est-à-dire forcément, en dernière analyse, l'Etat dont ils avaient fait eux-mêmes une admirable critique. L'idée du libre arbitre se cache au fond de tous ces raisonnements.

Voyons donc, qu'est-ce que la liberté ?

Laissant de côté les actes irréfléchis et prenant seulement les actes réfléchis (que la loi, les religions et les systèmes pénaux cherchent seuls à influencer), chaque acte de ce genre est précédé d'une certaine discussion dans le cerveau humain : — «Je vais sortir, me promener», pense tel homme... — «Mais non, j'ai donné rendez-vous à un ami, ou bien j'ai promis de finir tel travail, ou bien ma femme et mes enfants seront tristes de rester seuls, ou bien enfin je perdrai ma place si je ne me rends pas à mon travail.»

Cette dernière réflexion implique, comme on le voit, la crainte d'une punition, tandis que, dans les trois premières, l'homme n'a affaire qu'avec soi-même, avec ses habitudes de loyauté, ses sympathies. Et là est toute la différence. Nous disons que l'homme qui est forcé de faire cette dernière réflexion : « Je renonce à tel plaisir en vue de telle punition», n'est pas un homme libre. Et nous affirmons que l'humanité peut et qu'elle doit s'émanciper de la peur des punitions ; qu'elle peut constituer une société anarchiste, dans laquelle la peur d'une punition et même le déplaisir d'être blâmé disparaîtront. C'est vers cet idéal que nous marchons.

Mais nous savons aussi que nous ne pouvons pas nous émanciper, ni de nos habitudes de loyauté (tenir promesse), ni de nos sympathies (la peine de causer une peine à ceux que nous aimons ou que nous ne voulons pas chagriner ou même désappointer). Sous ce dernier rapport, l'homme n'est jamais libre. Robinson dans son île ne l'était pas. Une fois qu'il avait commencé son bateau, et cultivé un jardin, ou qu'il avait commencé déjà à faire ses provisions pour l'hiver, il était déjà pris, engrené par son travail. S'il se sentait paresseux et préférait rester couché dans sa caverne, il hésitait un moment, mais il se rendait néanmoins au travail commencé. Dès qu'il eut pour compagnon son chien, dès qu'il eut deux ou trois chèvres, et surtout dès qu'il rencontra Vendredi, il n'était plus absolument libre, dans le sens que l'on attribue souvent à ce mot dans les discussions. Il avait des obligations, il devait songer à l'intérêt d'autrui, il n'était plus cet individualiste parfait dont on aime à nous entretenir. Du jour qu'il aime une femme, ou qu'il a des enfants, soit élevés par lui-même, soit confiés à d'autres (la société), du jour où il a seulement une bête domestique — voire même un potager qui demande à être arrosé à certaines heures, — l'homme n'est plus le «je-m'enfichiste», «l'égoïste», «l'individualiste» imaginaires que l'on nous donne quelquefois comem type de l'homme libre. Ni dans l'île de Robinson, ni encore moins dans la société, quelle qu'elle soit, ce type n'existe. L'homme prend et prendra en considération les intérêts des autres hommes, toujours davantage à mesure qu'il s'établira entre eux des rapports d'intérêts mutuels plus étroits, et que ces autres affirmeront plus nettement eux-mêmes leurs sentiments et leurs désirs.

Ainsi donc nous ne trouvons d'autre détermination pour la liberté que celle-ci : la possibilité d'agir, sans faire intervenir dans les décisions à prendre la crainte d'un châtiment sociétaire (contrainte de corps, menace de la faim, ou même le blâme, à moins qu'il ne vienne d'un ami).

Tout dépendra des idées fondamentales avec lesquelles on voudra s'associer. Ce n'est pas la forme de l'association qui détermine en ce cas la servitude : ce seront les idées sur la liberté individuelle que l'on apportera dans l'association qui en détermineront le caractère plus ou moins libertaire.

Ceci est juste concernant n'importe quelle forme d'association. La cohabitation de deux individus dans un même logement peut amener l'asservissement de l'un à la volonté de l'autre, comme elle peut amener la liberté pour l'un et pour l'autre. De même dans la famille. De même si nous nous mettons à deux à remuer le sol d'un potager, ou à faire un journal. De même pour toute association, si petite ou si nombreuse qu'elle soit. De même pour toute institution sociale. Ainsi, au dixième, onzième et douzième siècle, nous voyons la commune d'égaux, d'hommes également libres, anxieuse de maintenir cette liberté et cette égalité — et quatre cents ans plus tard nous voyons cette même commune appelant la dictature d'un moine ou d'un roi. Les institutions communales restent ; mais l'idée du droit romain, de l'Etat, domine, tandis que celle de la liberté, d'arbitrage dans les disputes et de fédération à tous les degrés disparaît — et c'est la servitude.

Eh bien, de toutes les institutions, de toutes les formes de groupement social qui furent essayées jusqu'à ce jour, c'est encore le communisme qui garantit le plus de liberté à l'individu — pourvu que l'idée mère de la commune soit la Liberté, l'Anarchie.

Le communisme est capable de revêtir toutes les formes de liberté ou d'oppression — ce que d'autres institutions ne peuvent pas. Il peut produire un couvent, dans lequel tous obéiront implicitement à leur supérieur ; et il peut être une association absolument libre, laissant à l'individu toute sa liberté — une association qui ne dure qu'autant que les associés veulent rester ensemble, n'imposant rien à personne ; jalouse au contraire d'intervenir pour défendre la liberté de l'individu, l'agrandir, l'étendre dans toutes les directions. Il peut être autoritaire (auquel cas la commune périt bientôt) et il peut être anarchiste. L'Etat, au contraire, ne le peut pas. Il est autoritaire ou bien il cesse d'être Etat.

Le communisme garantit, mieux que toute autre forme de gouvernement, la liberté économique puisqu'il peut garantir le bien-être et même le luxe, en ne demandant à l'homme que quelques heures de travail par jour, au lieu de toute sa journée. Or, donner à l'homme le loisir pour dix ou onze heures sur les seize que nous vivons chaque jour de la vie consciente (huit pour le sommeil), c'est déjà élargir la liberté de l'individu à un point qui est l'idéal de l'humanité depuis des milliers d'années. Aujourd'hui, avec les moyens de la production moderne à la machine, cela peut se faire. Dans une société communiste, l'homme pourrait disposer de dix heures, au moins, de loisir. Et c'est déjà l'affranchissement de la plus lourde des servitudes qui pèse sur l'homme. C'est un agrandissement de la liberté.

Reconnaître tous égaux et renoncer au gouvernement de l'homme par l'homme, c'est encore élargir la liberté de l'individu à un point qu'aucune autre force de groupement n'a même pas admis dans ses rêves. Elle ne devient possible que lorsque le premier pas a été fait : lorsque l'homme a son existence garantie et qu'il n'est pas forcé de vendre sa force et son intelligence à celui qui veut bien lui faire l'aumône de l'exploiter.

Enfin, reconnaître que la base de tout progrès est la variété des occupations et s'organiser de façon que l'homme soit absolument libre aux heures de loisir, mais puisse aussi varier son travail, et que dès son enfance l'éducation le prépare à cette variété — et c'est facile à obtenir sous un régime communiste — c'est encore affranchir l'individu et ouvrir devant lui les portes larges pour son développement complet dans toutes les directions.

Pour le reste, tout dépend des idées avec lesquelles la commune sera fondée. Nous connaissons une commune religieuse, dans laquelle l'homme, s'il se sentait malheureux et trahissait sa tristesse sur son visage, se voyait accosté par un «frère» qui lui disait : «Tu es triste ? Aie l'air gai tout de même, autrement tu attristes les frères et les soeurs.» Et nous connaissons une commune de sept personnes dont l'un des membres demandait la nomination de quatre comités : de jardinage, de subsistances, de ménage et d'exportation, avec droits absolus, pour le président de chaque comité. Il y a certainement eu des communes fondées, ou envahies après leur fondation, par des «criminels de l'autorité» (type spécial recommandé à l'attention de M. Lombroso), et nombre de communes furent fondées par des maniaques de l'absorption de l'individu par la société. Mais ce n'est pas l'institution communiste qui les a produits : c'est le christianisme (éminemment autoritaire dans son essence) et le droit romain, l'Etat. C'est l'idée mère étatiste de ces hommes, habitués à penser que sans licteurs et sans juges il n'y a point de société possible, qui reste une menace permanente à toute liberté, et non l'idée mère du communisme qui est de consommer et de produire sans compter la part exacte de chacun. Celle-ci, au contraire, est une idée de liberté, d'affranchissement.

Nous pouvons ainsi poser les conclusions suivantes.

Jusqu'à présent les tentatives communistes ont échoué parce que :

Institution éminemment économique, le communisme ne préjuge en rien la part de liberté qui y sera garantie à l'individu, à l'initiateur, au révolté contre les coutumes tendant à se cristalliser. Il peut être autoritaire, ce qui amène forcément la mort de la commune, et il peut êtrelibertaire, ce qui amena au douzième siècle, même avec le communisme partiel des jeunes cités d'alors, la création d'une nouvelle civilisation, d'un renouveau de l'Europe.

Cependant la seule forme de communisme qui pourrait durer est celle où, vu le contact déjà serré entre citoyens, tout sera fait pour étendre la liberté de l'individu dans toutes les autres directions.

Dans ces conditions, sous l'influence de cette idée, la liberté de l'individu, augmentée par tout le loisir acquis, ne serait pas plus diminuée qu'elle ne l'est aujourd'hui par le gaz communal, la nourriture envoyée à domicile par les grands magasins, les hôtels modernes, ou le fait qu'aux heures de travail nous nous touchons les coudes avec des milliers de travailleurs.

Avec l'anarchie comme but et comme moyen, le communisme devient possible. Sans cela, il serait forcément la servitude et, comme telle, il ne pourrait exister.

Pierre Kropotkine

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Re: Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 19 Nov 2016, 16:28

La brèche communiste libertaire

L’anarchie ? « le plus haut degré de l’ordre ». Le communisme ? « la sauvegarde de l’individu ». L’étude patiente des courants politiques et philosophiques permet souvent d’éviter les poncifs, faisant de la première un pendant du chaos et du second un synonyme d’embrigadement. La tradition communiste libertaire — ou anarcho-communiste — peine parfois à se faire entendre ou contrarie les uns et les autres, trop attachés qu’ils sont à leurs icônes et lignes droites. Quels sont ses sources et ses desseins ? Comment peut-elle nourrir la grande lutte d’aujourd’hui et de demain contre les fortunés et les donneurs d’ordre ? Cet article-fresque tâche d’apporter quelques réponses au curieux.

... http://www.revue-ballast.fr/breche-comm ... ibertaire/
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Re: Anarchisme et communisme

Messagede bipbip » 26 Mar 2017, 15:17

LE COMMUNISME ANARCHISTE
Extrait de "La Conquête du Pain"
de Piotr Kropotkine (1892).


Toute société qui aura rompu avec la propriété privée sera forcée, selon nous, de s'organiser en communisme anarchiste. L'anarchie mène au communisme, et le communisme à l'anarchie, l'un et l’autre n'étant que l'expression de la tendance prédominante des sociétés modernes, la recherche de l'égalité.


Il fut un temps où une famille de paysans pouvait considérer le blé qu'elle faisait pousser et les habits de laine tissés dans la chaumière comme des produits de son propre travail. Même alors, cette manière de voir n'était pas tout à fait correcte. Il y avait des routes et des ponts faits en commun, des marais asséchés par un travail collectif et des pâturages communaux enclos de haies que tous entretenaient. Une amélioration dans les métiers à tisser, ou dans les modes de teinture des tissus, profitait à tous ; à cette époque, une famille de paysans ne pouvait vivre qu'à condition de trouver appui, en mille occasions, dans le village, la commune.

Mais aujourd'hui, dans cet état de l'industrie où tout s'entrelace et se tient, où chaque branche de la production se sert de toutes les autres, la prétentions de donner une origine individualiste aux produits est absolument insoutenable. Si les industries textiles ou la métallurgie ont atteint un étonnante perfection dans les pays civilisés, elles le doivent au développement simultané de mille autres industries, grandes et petites ; elles le doivent à l'extension du réseau ferré, à la navigation transatlantique, à l'adresse de millions de travailleurs, à un certain degré de culture générale de toute la classe ouvrière, à des travaux, enfin, exécutés de l'un à l'autre bout du monde.

Les Italiens qui mouraient du choléra en creusant le canal de Suez, ou d'ankylosite dans le tunnel du Gothard, et les Américains que les obus fauchaient dans la guerre pour l'abolition de l'esclavage, ont contribué au développement de l'industrie cotonnière en France et en Angleterre, non moins que les jeunes filles qui s'étiolent dans les manufactures de Manchester ou de Rouen, ou que l'ingénieur qui aura fait (d'après la suggestion de tel travailleur) quelque amélioration dans un métier de tissage.

Comment vouloir estimer la part qui revient à chacun, des richesses que nous contribuons tous à accumuler ?

En nous plaçant à ce point de vue général, synthétique, de la production, nous ne pouvons pas admettre avec les collectivistes, qu'une rémunération proportionnelle aux heures de travail fournies 'par chacun à la production des richesses puisse être un idéal, ou même un pas en avant vers cet idéal. Sans discuter ici si réellement la valeur d'échange des marchandises est mesurée dans la société actuelle par la quantité de travail nécessaire pour les produire (ainsi que l'ont affirmé Smith et Ricardo, dont Marx a repris la tradition), il nous suffira de dire, quitte à y revenir plus tard, que l'idéal collectiviste nous paraît irréalisable dans une société qui considérerait les instruments de production comme un patrimoine commun. Basée sur ce principe, elle se verrait forcée d'abandonner sur-le-champ toute forme de salariat.


Nous sommes persuadés que l'individualisme mitigé du système collectiviste ne pourrait exister à côté du communisme partiel de la possession par tous du sol et des instruments de travail. Une nouvelle forme de possession demande une nouvelle forme de rétribution. Une nouvelle forme de production ne pourrait maintenir l'ancienne forme de consommation, comme elle ne pourrait s'accommoder aux anciennes formes d'organisation politique.

Le salariat est né de l'appropriation personnelle du sol et des instruments de production par quelques-uns. C'était la condition nécessaire pour le développement de la production capitaliste : il mourra avec elle, lors même que l'on chercherait à le déguiser sous forme de " bons de travail ". La possession commune des instruments de travail amènera nécessairement la jouissance en commun des fruits du labeur commun.


Nous maintenons, en outre, que le communisme est non seulement désirable, mais que les sociétés actuelles, fondées sur l'individualisme, sont même forcées continuellement de marcher vers le communisme.

Le développement de l'individualisme pendant les trois derniers siècles s'explique surtout par les efforts de l'homme voulant se prémunir contre les pouvoirs du capital et de l’État. Il a cru un moment et ceux qui formulaient pour lui sa pensée ont prêché qu'il pouvait s'affranchir entièrement de l’État et de la société. " Moyennant l'argent, disait-il, je peux acheter tout ce dont j'aurai besoin. " Mais l'individu a fait fausse route, et l'histoire moderne le ramène à reconnaître que sans le concours de tous, il ne peut rien, même avec ses coffres-forts remplis d'or.

En effet, à côté de ce courant individualiste, nous voyons dans toute l'histoire moderne 1a tendance d'une part, à retenir ce qui reste du communisme partiel de l'antiquité, et d'autre part, à rétablir le principe communiste dans mille et mille manifestations de la vie.

Dès que les communes des Xe, XIe et XIIe siècles eurent réussi à s'émanciper du seigneur laïque ou religieux, elles donnèrent immédiatement une grande extension au travail en commun, à la consommation en commun.

La cité - non pas les particuliers, - affrétait des navires et expédiait ses caravanes pour le commerce lointain dont le bénéfice revenait à tous, non aux individus ; elle achetait aussi les provisions pour ses habitants. Les traces de ces institutions se sont maintenues jusqu'au XIX, siècle, et les peuples en conservent pieusement le souvenir dans leurs légendes.


Tout cela a disparu. Mais la commune rurale lutte encore pour maintenir les derniers vestiges de ce communisme, et elle y réussit, tant que l’État ne vient pas jeter son glaive pesant dans la balance.

En même temps, de nouvelles organisations basées sur le même principe : à chacun selon ses besoins, surgissent sous mille aspects divers ; car, sans une certaine dose de communisme les sociétés actuelles ne sauraient vivre. Malgré le tour étroitement égoïste donné aux esprits par la production marchande, la tendance communiste se révèle à chaque instant et pénètre dans nos relations sous toutes les formes.

Le pont, dont le passage était payé autrefois par les passants, est devenu monument public. La route pavée, que l'on payait jadis à tant la lieue, n'existe plus qu'en Orient. Les musées, les bibliothèques libres, les écoles gratuites, les repas communs des enfants; les parcs et les jardins ouverts à tous; les rues pavées et éclairées, libres à tout le monde ; l'eau envoyée à domicile avec tendance générale à ne pas tenir compte de la quantité consommée, - autant d'institutions fondées sur le principe : " Prenez ce qu'il vous faut".

Les tramways et les voies ferrées introduisent déjà le billet d'abonnement mensuel ou annuel, sans tenir compte du nombre des voyages ; et récemment, toute une nation, la Hongrie, a introduit sur son réseau de chemins de fer le billet par zones, qui permet de parcourir cinq cents ou mille kilomètres pour le même prix. Il n'y a pas loin de là au prix uniforme, comme celui du service postal. Dans toutes ces innovations et mille autres, la tendance est de ne pas mesurer la consommation. Un tel veut parcourir mille lieues et tel autre cinq cents seulement. Ce sont là des besoins personnels, et il n'y a aucune raison de faire payer l'un deux fois plus que l'autre parce qu'il est deux fois plus intense. Voilà les phénomènes qui se montrent jusque dans nos sociétés individualistes.


La tendance, si faible soit-elle encore, est en outre de placer les besoins de l'individu au-dessus de l'évaluation des services qu'il a rendus, ou qu'il rendra un jour à la société. On arrive à considérer la société comme un tout, dont chaque partie est si intimement liée aux autres, que le service rendu à tel individu est un service rendu à tous.

Quand vous allez dans une bibliothèque publique, - pas la Bibliothèque nationale de Paris, par exemple, mais disons celle de Londres ou de Berlin - le bibliothécaire ne vous demande pas quels services vous avez rendus à la société pour vous donner le bouquin, ou les cinquante bouquins que vous lui réclamez, et il vous aide au besoin si vous ne savez pas les trouver dans le catalogue. Moyennant un droit d'entrée uniforme - et très souvent c'est une contribution en travail que l'on préfère - la société scientifique ouvre ses musées, ses jardins, sa bibliothèque, ses laboratoires, ses fêtes annuelles, à chacun de ses membres, qu'il soit un Darwin ou un simple amateur.

A Pétersbourg, si vous poursuivez une invention, vous allez dans un atelier spécial où l'on vous donne une place, un établi de menuisier, un tour de mécanicien, tous les outils nécessaires, tous les instruments de précision, pourvu que vous sachiez les manier; - et on vous laisse travailler tant que cela vous plaira. Voilà les outils, intéressez des amis à votre idée, associez-vous à d'autres camarades de divers métiers si vous ne préférez travailler seul, inventez la machine d'aviation, ou n'inventez rien - c'est votre affaire. Une idée vous entraîne, - cela suffit.

De même, les marins d'un bateau de sauvetage ne demandent pas leurs titres aux matelots d'un navire qui sombre ; ils lancent l'embarcation, risquent leur vie dans les lames furibondes, et périssent quelquefois, pour sauver des hommes qu'ils ne connaissent même pas. Et pourquoi les connaîtraient-ils ? " On a besoin de nos services ; il y a là des êtres humains -cela suffit, leur droit est établi. - Sauvons-les ! "

Voilà la tendance, éminemment communiste, qui se fait jour partout, sous tous les aspects possibles, au sein même de nos sociétés qui prêchent l'individualisme.

Et que demain, une de nos grandes cités, si égoïstes en temps ordinaire, soit visitée par une calamité quelconque - celle d'un siège, par exemple cette même cité décidera que les premiers besoins à satisfaire sont ceux des enfants et des vieillards ; sans s'informer des services qu'ils ont rendus ou rendront à la société, il faut d'abord les nourrir, prendre soin des combattants, indépendamment de la bravoure ou de l'intelligence dont chacun d'eux aura fait preuve, et, par milliers, femmes et hommes rivaliseront d'abnégation pour soigner les blessés.


La tendance existe. Elle s'accentue dès que les besoins les plus impérieux de chacun sont satisfaits, à mesure que la force productrice de l'humanité augmente ; elle s'accentue encore plus chaque fois qu'une grande idée vient prendre la place des préoccupations mesquines de notre vie quotidienne.

Comment donc douter que, le jour où les instruments de production seraient remis à tous, où l'on ferait la besogne en commun, et le travail, recouvrant cette fois la place d'honneur dans la société, produirait bien plus qu'il ne faut pour tous - comment douter qu'alors, cette tendance (déjà si puissante) n'élargisse sa sphère d'action jusqu'à devenir le principe même de la vie sociale ?

D'après ces indices, et réfléchissant, en outre, au côté pratique de l'expropriation dont nous allons parler dans les chapitres suivants, nous sommes d'avis que notre première obligation, quand la révolution aura brisé la force qui maintient le système actuel, sera de réaliser immédiatement le communisme.

Mais notre communisme n'est ni celui des phalanstériens, ni celui des théoriciens autoritaires allemands. C'est le communisme anarchiste, le communisme sans gouvernement, - celui des hommes libres. C'est la synthèse des deux buts poursuivis par l'humanité à travers les âges - la liberté économique et la liberté politique.


II

En prenant " l'anarchie " pour idéal d'organisation politique, nous ne faisons encore que formuler une autre tendance prononcée de l'humanité. Chaque fois que la marche du développement des sociétés européennes l'a permis, elles secouaient le joug de l'autorité et ébauchaient un système basé sur les principes de la liberté individuelle. Et nous voyons dans 1'liistoire que les périodes durant lesquelles les gouvernements furent ébranlés, à la suite de révoltes partielles ou générales, ont été des époques de progrès soudain sur le terrain économique et intellectuel.

Tantôt c'est l'affranchissement des communes, dont les monuments - fruit du travail libre d'associations libres - n'ont jamais été surpassés depuis ; tantôt c'est le soulèvement des paysans qui fit la Réforme et mit en péril la Papauté ; tantôt c'est la société, libre un moment, que créèrent de l'autre côté de l'Atlantique les mécontents venus de la vieille Europe.

Et si nous observons le développement présent des nations civilisées, nous y voyons, à ne pas s'y méprendre, un mouvement de plus en plus accusé pour limiter la sphère d'action du gouvernement et laisser toujours plus de liberté à l'individu. C'est l'évolution actuelle, gênée, il est vrai, par le fatras d'institutions et de préjugés hérités du passé ; comme toutes les évolutions, elle n'attend que la révolution pour renverser les vieilles masures qui lui font obstacle, pour prendre un libre essor dans la société régénérée.

Après avoir tenté longtemps vainement de résoudre ce problème insoluble : celui de se donner un Gouvernement, " qui puisse contraindre l'individu à l'obéissance, sans toutefois cesser d'obéir lui-même à la société ", l'humanité s'essaye à se délivrer de toute espèce de gouvernement et à satisfaire ses besoins (l'organisation par la libre entente entre individus et groupes poursuivant le même but. L'indépendance de chaque minime unité territoriale devient un besoin pressant ; le commun accord remplace la loi, et, pardessus les frontières, règle les intérêts particuliers en vue d'un but général.

Tout ce qui fut jadis considéré comme fonction du gouvernement lui est disputé aujourd'hui : on s'arrange plus facilement et mieux sans son intervention. En étudiant les progrès faits dans cette direction, nous sommes amenés à conclure que l'humanité tend à réduire à zéro l'action des gouvernements, c'est-à-dire à abolir l’État, cette personnification de l'injustice, de l'oppression et du monopole.

Nous pouvons déjà entrevoir un monde où l'individu, cessant d'être lié par des lois, n'aura que des habitudes sociales - résultat du besoin éprouvé par chacun d'entre nous, de chercher l'appui, la coopération, la sympathie de ses voisins.

Certainement, l'idée d'une société sans État suscitera, pour le moins, autant d'objections que l'économie politique d'une société sans capital privé. Tous, nous avons été nourris de préjugés sur les fonctions providentielles de l’État. Toute notre éducation, depuis l'enseignement des traditions romaines jusqu'au code de Byzance que l'on étudie sous le nom de droit romain, et les sciences diverses professées dans les universités, nous habituent à croire au gouvernement et aux vertus de l’État-providence.

Des systèmes de philosophie ont été élaborés et enseignés pour maintenir ce préjugé. Des théories de la loi sont rédigées dans le même but. Toute la politique est basée sur ce principe ; et chaque politicien, quelle que soit sa nuance, vient toujours dire au peuple : " Donnez-moi le pouvoir, je veux, je peux vous affranchir des misères qui pèsent sur vous ! "

Du berceau au tombeau tous nos agissements sont dirigés par ce principe. Ouvrez n'importe quel livre de sociologie, de jurisprudence, vous y trouverez toujours le gouvernement, son organisation, ses actes, prenant une place si grande que nous nous habituons à croire qu'il n'y a rien en dehors du gouvernement et des hommes d’État.

La même leçon est répétée sur. tous les tons par la presse. Des colonnes entières sont consacrées aux débats des parlements, aux intrigues des politiciens ; c'est à peine si la vie quotidienne, immense, d'une nation s'y fait jour dans quelques lignes traitant un sujet économique, à propos d'une loi, ou, dans les faits divers, par l'intermédiaire de la police. Et quand vous lisez ces journaux, vous ne pensez guère au nombre incalculable d'êtres - toute l'humanité, pour ainsi dire - qui grandissent et qui meurent, qui connaissent les douleurs, qui travaillent et consomment, pensent et créent, par-delà ces quelques personnages encombrante que l'on a magnifiés jusqu'à leur faire cacher l'humanité, de leurs ombres, grossies par notre ignorance.

Et cependant, dès qu'on passe de la matière imprimée à la vie même, dès qu'on jette un coup d’œil sur la société, on est frappé de la part infinitésimale qu'y joue le gouvernement. Balzac avait déjà remarqué combien de millions de paysans restent leur vie entière sans rien connaître de l’État, sauf les lourds impôts qu'ils sont forcés de lui payer. Chaque jour des millions de transactions sont faites sans l'intervention du gouvernement, et les plus grosses d’entre elles - celles du commerce et de la Bourse sont traitées de telle façon que le gouvernement ne pourrait même pas être invoqué si l'une des parties contractantes avait l'intention de ne pas tenir son engagement. Parlez à un homme qui connaît le commerce, et il vous dira que les échanges opérés chaque jour entre les commerçants seraient d'une impossibilité absolue s'ils n'étaient basés sur la confiance mutuelle. L'habitude de tenir parole, le désir de ne pas perdre son crédit suffisent amplement pour maintenir cette honnêteté relative, - l'honnêteté commerciale. Celui-là même qui n'éprouve pas le moindre remords à empoisonner sa clientèle par des drogues infectes, couvertes d'étiquettes pompeuses, tient à honneur de garder ses engagements. Or, si cette moralité relative a pu se développer jusque dans les conditions actuelles, alors que l'enrichissement est le seul mobile et le seul objectif, - pouvons-nous douter qu'elle ne progresse rapidement dès que l'appropriation des fruits du labeur d'autrui ne sera plus la base même de la société?

Un autre trait frappant, qui caractérise surtout notre génération, parle encore mieux en faveur de nos idées. C'est l'accroissement continuel du champ des entreprises dues à l'initiative privée et le développement prodigieux des groupements libres de tout genre. Nous en parlerons plus longuement dans les chapitres consacrés à la Libre Entente. Qu’il nous suffise de dire ici que ces faits sont nombreux et si habituels, qu'ils forment l'essence de la seconde moitié de ce siècle, alors même que les écrivains en socialisme et en politique les ignorent, préférant nous entretenir toujours des fonctions du gouvernement. Ces organisations libres, variées à l'infini, sont un produit si naturel ; elles croissent si rapidement et elles se groupent avec tant de facilité ; elles sont un résultat si nécessaire de l'accroissement continuel des besoins de l'homme civilisé, et enfin elles remplacent si avantageusement l'immixtion gouvernementale, que nous devons reconnaître en elles un facteur de plus en plus important dans la vie des sociétés.

Si elles ne s'étendent pas encore à l'ensemble des manifestations de la vie, c'est qu'elles rencontrent un obstacle insurmontable dans la misère du travailleur, dans les castes de la société actuelle, dans l'appropriation privée du capital, dans l’État. Abolissez ces obstacles et vous les verrez couvrir l'immense domaine de l'activité des hommes civilisés.

L'histoire des cinquante dernières années a fourni la preuve vivante de l'impuissance du gouvernement représentatif à s'acquitter des fonctions dont on a voulu l'affubler. On citera un jour le XIX' siècle comme la date de l'avortement du parlementarisme.

Mais cette impuissance devient si évidente pour tous, les fautes du parlementarisme et les vices fondamentaux du principe représentatif sont si frappants, que les quelques penseurs qui en ont fait la critique (J.-S- Mill, Leverdays) n'ont eu qu'à traduire le mécontentement populaire. En effet, ne conçoit-on pas qu'il est absurde de nommer quelques hommes et de leur dire Faites-nous des lois sur toutes les manifestations de notre vie, lors même que chacun de vous les ignore " ? On commence à comprendre que gouvernement des majorités veut dire abandon de toutes les affaires du pays à ceux qui font les majorités, c'est-à-dire, aux " crapauds du marais ", à la Chambre et dans les comices : à ceux en un mot qui n'ont pas d'opinion. L'humanité cherche, et elle trouve déjà de nouvelles issues.

L'Union postale internationale, les unions de chemins de fer, les sociétés savantes nous donnent l'exemple de solutions trouvées par la libre entente, au lieu et place de la loi.

Aujourd'hui, lorsque des groupes disséminés aux quatre coins du globe veulent arriver à s'organiser pour un but quelconque, ils ne nomment plus un parlement international de députés bons à tout faire, auxquels on dit : "Votez-nous des lois, nous obéirons". Quand on ne peut pas s'entendre directement ou par correspondance, on envoie des délégués connaissant la question spéciale à traiter et on leur dit : " Tâchez de vous accorder sur telle question et alors revenez, - non pas avec une loi dans votre poche, mais avec une proposition d'entente que nous accepterons ou n'accepterons pas. "

C'est ainsi qu'agissent les grandes compagnies industrielles, les sociétés savantes, les associations de toute sorte qui couvrent déjà l'Europe et les États-Unis. Et c'est ainsi que devra agir une société affranchie. Pour faire l'expropriation, il lui sera absolument impossible de s'organiser sur le principe de la représentation parlementaire. Une société fondée sur le servage pouvait s'arranger de la monarchie absolue : une société basée sur le salariat et l'exploitation des masses par les détenteurs du capital s'accommodait du parlementarisme. Mais une société libre, rentrant en possession de l'héritage commun, devra chercher dans le libre groupement et la libre fédération des groupes une organisation nouvelle, qui convienne à la phase économique nouvelle de l'histoire.

A chaque phase économique répond sa phase politique, et il sera impossible de toucher à la propriété sans trouver du même coup un nouveau mode de vie politique.


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