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Il se trouve que je suis en train de travailler sur cette question et que j’ai «découvert» des choses surprenantes. Je dis «découvert» parce que nous — c’est-à-dire la plupart des militants libertaires — avions un certain nombre d’idées reçues que personne, semble-t-il, ne songeait à remettre en cause.
Il y a pourtant un livre de Daniel Colson, publié il y a longtemps, qui fournit des indications intéressantes.
(Voir : Daniel Colson,
Anarcho-syndicalisme et communisme, Saint-Etienne 1920-1925. Centre d’études foréziennes, Atelier de création libertaire.)
A partir ce ce livre je suis allé piocher dans l’histoire du mouvement anarchiste : d’une manière très résumée, voici de quoi il s’agit.
L’anarcho-syndicalisme comme mouvement n’apparaît que dans les années 20. Le mot lui-même existait depuis le début du 20e siècle, mais n’apparaissait que très occasionnellement, et on trouvait indistinctement «anarchiste syndicaliste», «syndicalo-anarchiste» ou «anarcho-syndicaliste», qui étaient synonymes mais ne s’appliquaient pas à un mouvement proprement dit et ne désignaient pas une doctrine.
L’anarcho-syndicalisme en tant que mouvement et doctrine apparaît après la révolution russe : il désigne les militants syndicalistes révolutionnaires qui s’opposaient à l’adhésion de la CGTU à l’Internationale syndicale rouge. C’étaient les communistes et les socialistes qui utilisaient ce mot, qui avait une connotation péjorative.
Les syndicalistes révolutionnaires opposés à l’adhésion à l’Internationale syndicale rouge continuaient de se désigner comme syndicalistes révolutionnaires, ils considéraient que c’étaient
eux qui étaient les
vrais syndicalistes révolutionnaires. Ainsi, lorsque fut fondée l’AIT de Berlin en 1922, qui est une organisation incontestablement anarcho-syndicaliste, les textes fondateurs continuent de se référer au «syndicalisme révolutionnaire».
Lorsque fut fondée la CGT-SR en 1926, c’est pareil : on continue de se référer au syndicalisme révolutionnaire.
Il faudra encore quelques années pour que les leaders du courant intègrent dans leurs textes ce que les militants semblent avoir intégré avant eux par la parole : la référence à l’anarcho-syndicalisme.
Donc en fait, l’anarcho-syndicalisme est un courant récent (relativement parlant) et l’image que j’avais en tête depuis mes débuts militants, selon laquelle «les anarcho-syndicalistes» avaient contribué à la fondation de la CGT est fausse : dans les années 1890-1900 il n’y avait pas d’anarcho-syndicalisme. Ceux qui ont joué un rôle décisif dans la fondation de la CGT,
ce sont les anarchistes. Lorsque les socialistes se félicitèrent du vote de la résolution d’Amiens en 1906 (qui ne deviendra «charte» qu’en 1910), ils ne disent pas que c’est une victoire sur les anarcho-syndicalistes, ils disent que c’est une
victoire sur les anarchistes.
La distinction essentielle entre syndicalisme révolutionnaire et anarcho-syndicalisme réside dans le concept de «neutralité» syndicale.
Pour le syndicalisme révolutionnaire le syndicat ne doit pas s’occuper de politique et doit être indépendant des partis politiques. Je résume beaucoup, ici, parce que le concept de «neutralité» avait évolué, dans le sens d’une édulcoration du terme, sous la pression des réformistes.
Pour l’anarcho-syndicalisme, le mouvement syndical doit se positionner
en opposition aux partis politiques. Si vous lisez la charte de Lyon de la CGT-SR, c’est très clair.
Deux auteurs sud-africains, Michael Schmidt et Lucien van der Walt, ont écrit un gros bouquin
Black Flame (en anglais), intéressant mais très contestable selon moi au niveau de la méthode employée et de certains concepts qu’ils ont inventés. Ils disent que le syndicalisme révolutionnaire ou l’anarcho-syndicalisme sont des «stratégies» de l’anarchisme, ce que je conteste catégoriquement.
Là aussi, je suis en train de travailler sur une analyse (très) critique de leurs thèses.
Concernant les points soulevés par Piérô dans le dernier paragraphe de son texte, je pense effectivement qu’il faut distinguer entre l’anarcho-syndicalisme en tant que principe d’organisation et méthode de lutte, d’une part, et tactique.
Malheureusement, dans le passé, on a fait de divergences simplement tactiques des divergences de fond, ce qui n’a pas contribué à renforcer le mouvement. Mais c’est une autre histoire.
Je vous invite à consulter le texte se trouvant sur le lien suivant, « De l’origine de l’anarcho-syndicalisme». C’est un premier jet, une version plus complète suivra.
http://monde-nouveau.net/spip.php?article603Amicalement
René