Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

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Messagede Mahnrikwé » 26 Déc 2015, 17:35

Bonjour camarades,

Question courte mais qui a peut-être vocation à lancer un débat plus large sur l'organisation anarchiste et sur les organisations anarchistes :
Une organisation avec une unité théorique n'est-elle pas condamnée à rester groupusculaire et à scissionner ?
De la même façon pour l'unité tactique.
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Blackwater » 27 Déc 2015, 00:19

Dans l'histoire française, l'organisation anarchiste qui a le plus scissionné est la Fédération Anarchiste, soit une organisation synthésiste, donc bon...

Et sinon, quelle que soit l'organisation plateformiste, l'unité théorique et pratique doit pouvoir s'élaborer collectivement. Et le contenu de cette unité n'est pas immuable et peut évoluer au fil du temps. Là est tout l'intérêt d'avoir une organisation qui fonctionne de manière fédérale, par démocratie directe, par mandatés élus et révocables, afin de refléter au mieux les positions de la majeure partie des militants. Donc je pense qu'au contraire, il y a beaucoup d'espoir de faire grossir une organisation de type unité théorique-unité tactique.
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Mahnrikwé » 30 Déc 2015, 09:53

La FA, c'est la FA... Si déjà la FA était une organisation anarchiste révolutionnaire et réaffirmais le communisme libertaire comme objectif, cela ferait déjà peut être moins scissionner.

Le fait qu'une majorité décide de la ligne théorique est justement là tout ce que je veux dire : une minorité se retrouve constamment lésée dans sa conception, qui n'a pas d'autre choix que d'être tu puisque l'organisation doit paraître uni. On peut le voir avec la rupture idéologique entre CGA et OA (sans vouloir relancer le débat.) : un désaccord qui s'approfondit jusqu'à rupture.
N'est-ce pas inévitable dans une organisation utilisant l'unité théorique ?
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede abel chemoul » 30 Déc 2015, 13:11

Le pb, plus que l'unité théorique, à mon avis, c'est le comportement des anars dès qu'ils sont plus que deux, qu'ils soient plateformistes ou synthésistes ou autre.

En France il n'y a que l'UTCL-AL qui n'ait pas subit de scission sur les 40 dernières années malgré sa longévité et pourtant ils se revendiquent d'une tradition plateformiste. Quand on sait que l'AL est l'orga la plus ouverte idéologiquement parlant, le secret pour une orga libertaire, c'est peut-être en partie de ne pas être constituée de psychorigides qui scissionnent dès qu'ils sont frustrés par une décision tout en ayant une base idéologique homogène.
D'expérience, je dirais que les autres vivent les différences dans leurs orgas en partie sur un mode identitaire (et on transige rarement avec son identité) alors qu'à l'AL c'est vécu sur un mode politique, où on peut discuter des divergences sans que ça vire forcément au drame.
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Blackwater » 30 Déc 2015, 13:44

Je pensais pas dire ça un jour, mais je suis complètement d'accord avec toi abel ! :D
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Mahnrikwé » 30 Déc 2015, 21:16

Bien évidemment que le principal problème réside dans des postures entre nous.
Mais ces divergences, impliquant parfois des actes politiques bien lointain, ne sont-ils pas dangereux pour l'organisation ?
Dans ce sens, comment a vécu AL les différents débats qui ont pu traverser, parfois violemment, le milieu libertaire ? Comme autour d'Escudero et de la PMA, autour de la GPA, de la prostitution, de l'antithéisme et de l'islamophobie ?
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede abel chemoul » 31 Déc 2015, 12:53

je suis plus à l'AL je peux pas dire (et d'ailleurs, doit-on rendre ce genre de choses publiques?...).
Mais pour reprendre ton exemple sur la GPA ou la PMA, il y a une com' antipatriarcat à l'AL, ça doit discuter en interne.

Pour généraliser le débat, l'AL, comme l'OCL d'ailleurs, sont des orgas homogènes à la fois sur leurs théories mais aussi sur leurs pratiques. Quand on regarde l'histoire des scissions (voir mon ma-gni-fi-que texte sur la question), jusqu'à la fin des années 70, les orgas com' lib' scissionnaient pour des raisons idéologiques majeures (question de la lutte des classes, de l'analyse de la période), ce qui a fait que ces orgas de tradition plateformistes, par scissions successives, ont fini par être homogènes (et de taille très réduites...) et par produire des doctrines unifiantes et cohérentes sur le long terme.
A partir des années 80, les seules orgas qui ont scissionnées sont des orgas ayant une assise théorique et pratique hétérogène: la FA et la CGA ensuite. La FA, par son synthésisme, est condamnée à être hétérogène et donc à produire des scissions à répétition. La FA a scissionné plusieurs fois sur la question des pratiques féministes par exemple. Il faut dire que la spécialisation des groupes sur des champs d'interventions très restreint, avec le bagage théorique qui va avec (l'anarcha-féminisme entre autre), tend à accentuer l'hétérogénéité avec les autres groupes de la fédération.

Au passage, cette question de l'anarcha-féminisme est un gros point de tension dans pas mal d'orgas: plusieurs vagues de départ de la FA dans les 2000's, éclatement et mort de l'UCL au Québec, dissension à la CGA sur le féminisme post-moderne (qui, avant la scission récente, a entrainé le départ de plusieurs groupes dans les années 2010). A l'AL par contre, la question du féminisme n'est pas prioritaire au point d'en être identitaire, donc s'il y a désaccord, comme dit plus haut, ça se règle sur le mode politique et chacun fait avec.

Du coup, l'unité théorique et stratégique me semble plutot être une protection contre les scissions plutot qu'un motif à division. ça plus le fait de toujours garder en tête la transformation sociale globale plutôt que de se spécialiser sur des luttes restreintes assure une certaine stabilité aux orgas com' lib' françaises.
M'enfin, entre l'émergence de courants com' lib' "modernes" dans les 50's et leurs fixations, il aura fallut attendre 30 ans tout de même...
Signalons aussi que l'UTCL-AL a su au moins à deux reprises incorporer durablement de nouveaux militants en bloc après des échanges théoriques: fusion avec l'OCA à la fin des 70's et lors de la renaissance de l'UTCL en AL en 1990. Ce dont la FA, pourtant hautement proclamée synthéiste, ou la CGA ne peuvent se targuer!
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Pilotigasse » 01 Jan 2016, 21:04

Pour la CGA c'est inexacte si on prend en compte la deuxième scission (Lyon, Lille, etc) ayant rejoins la première (Perpi, Toulouse, Montpellier)

Mais je conçois que ce soit à relativiser puisque le canal historique, excepté Montpellier, a quitter la CGA suite aux désaccord idéologiques majeurs avec notamment les groupes issus de la deuxième scission de la F.A

En revanche, et j'adresse ça d'avantage aux "lecteurs externes" qu'à toi Abel Chemoul car ce serait un débat sans fin et sans conclusion possible, je récuse et nous récusons toujours (la CGA) l'appelation de "post-moderniste" qui pour nous est une manière grossière de caricaturer les positions que nous - et d'autres- tenons notamment sur les questions antipatriarcales.
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede Mahnrikwé » 02 Jan 2016, 00:46

Intéressant en tout cas tout ça.
Qu'entends tu précisément par une doctrine unifiante et cohérente ?

C'était vraiment une question de logique selon moi, même si la réalité semble me donner tord. Une organisation hétérogène (pas forcément synthésiste dans le sens de Voline) a au moins l'intérêt de faire cohabiter des perceptions différentes tant qu'une base commune existe et est revendiquée, et donc de ne pas créer une rupture à chaque fois qu'il y a un nouveau débat important, puisque ce débat clivant n'est pas "gravé dans le marbre" via l'unité théorique et la définition d'une position de l'orga.
Ensuite, je ne comprends pas trop pourquoi tu mets la CGA sur le même plan que la FA sachant qu'eux même sont à tendance plateformiste ou spécifiste (donc dans tous les cas ayant une unité théorique et tactique). C'est d'ailleurs pour ça que la CGA est membre d'Anarkismo au même titre qu'AL. Et entre autre, les scissions et départs à répétition que tu pointes autour du féminisme à la CGA ne sont-ils pas révélateurs de ce que je veux dire ? Même s'il y a eu ces mêmes départs à la FA, ceux-ci me semblaient plus être des conflits entre militants, qui n'acceptaient pas que l'on ne partage pas leurs positions, non ? Même au sein d'une organisation hétérogène.

Qu'entends-tu ensuite par question "identitaire" ?
Les divergences au sein de la théorie amènent surtout une divergence dans le travail avec d'autres organisations. Exemple simple : dans la lutte contre l'islamophobie, certains pourront travailler avec des associations de musulmans, ce qui peut irriter profondément les camarades de l'orga' qui auraient une position profondément antithéiste. On peut aussi citer ceux qui voudront tenter des candidatures aux municipales ce qui déplaira forcément aux anti-éléctoralistes. Même question sur la prostitution, alors que certains bosseront activement avec des abolitionnistes et d'autres avec des anti-pénalisation.
C'est surtout ça le principal problème, non ? Des guerres de chapelle sur des questions théoriques, on en verra toujours. Mais quand dans la pratique cela change bien des choses, cela commence à créer des emmerdes vraiment.


Du coup, l'unité théorique et stratégique me semble plutot être une protection contre les scissions plutot qu'un motif à division. ça plus le fait de toujours garder en tête la transformation sociale globale plutôt que de se spécialiser sur des luttes restreintes assure une certaine stabilité aux orgas com' lib' françaises.

Et ça, je le conçois très bien.
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede digger » 02 Jan 2016, 09:58

Je pense qu'il est plus intéressant d'interroger le concept d'organisation, sous forme de regroupement d'individus, en dehors de toute considérations idéologiques, forcément clivantes. La "scission" existe dans tous les groupes, politiques ou autres. Je ne suis pas sûr que des oppositions plateformiste/synthésiste ou seulement idéologiques suffisent à expliquer le phénomène.
On peut aussi s'interroger sur la scission elle-même considérée comme moment de crise et non pas comme ajout ou nouveauté, vue comme négative et forme d'adversité, et non comme un processus naturel. Il a existé des sociétés qui choisissaient ce mode de développement, un processus d'essaimage. L'engagement, c'est une adhésion à un moment donné. Pourquoi des évolutions personnelles différentes seraient-elles "négatives" ? Chaque groupe peut y retrouver une homogénéité et un nouvel élan et les individus un plus grand confort. Et toucher de nouveaux individus qui se reconnaîtront davantage dans cette nouvelles approche. (A moins, bien sûr, de supposer qu'il n'en existe qu'une).
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Re: Plate-formisme, spécifisme, unité théorique et tactique

Messagede abel chemoul » 02 Jan 2016, 13:32

Qu'entends tu précisément par une doctrine unifiante et cohérente ?

un agencement des idées qui donne une forme de cohérence et d'unité dans les concepts prônés par l'orga et dans la vision du monde qu'elles portent: l'AL essaye une synthèse entre les apports du marxisme et de l'anarchisme et pour dépasser le clivage historique entre les deux, mais aussi pour échapper à la gêne psychologique que créé le fait de se revendiquer de deux histoires "ennemies", utilise la notion de "meilleurs apports de part et d'autre au mouvement ouvrier". Ce qui permet de prendre ce qui intéresse dans les deux théories, de rejetter ce qui déplait et de les unifier a posteriori comme deux composantes d'un même mouvement.

Les théories post-modernes, de leur côté (même si les intéressés, par manque de culture, récusent le terme), produit aussi une grille de lecture unifiante dans l'interprétation du monde. là c'est plutôt les concepts de domination, de pouvoir qui fournissent l'interprétation du monde. L'idéologie de la CGA est un conglomérat entre lutte des classes et théories post-modernes. Comme les deux théories se ressemblent de loin, ça leur procure une vision unifiée du monde, avec une vision qui leur donne l'impression d'un continuum qui irait de l'exploitation économique aux faits sociaux (racisme, homophobie); là où pour l'AL, il faut bien le dire, les questions comme l'islamophobie sortent un peu du cadre théorique.

Après, la cohérence idéologique d'une orga, ça relève beaucoup de la psychologie de ses membres, perso je vois pas la cohérence de la CGA actuellement mais pour eux ça fait sens.

Unifiante parce que unité théorique quoi, du coup, tout le monde dans l'orga se réfère à la même grille de lecture pour interpréter le monde, ce qui évite les divergences d'appréciations.
Par exemple, la CGA et l'AL ont en grande partie les mêmes terrains d'intervention mais si les deux orgas fusionnaient de bute en blanc sous prétexte de luttes communes, je suis persuadé que l'orga-fille éclaterait rapidement
C'est un peu ce que je retire de mes expériences organisationnelles: on peut avoir des terrains de luttes privilégiés différents, mais il faut avoir la même vision du monde, qu'on appelle ça unité théorique/pratique ou non.
pourquoi tu mets la CGA sur le même plan que la FA sachant qu'eux même sont à tendance plateformiste

ah non, le seul plateformiste de la CGA c'était moi ! la CGA n'est pas non plus spécifiste officiellement même si qq groupes ont des pratiques qui s'en réclament plus ou moins. Avant la scission de janvier la CGA était un agglomérat de groupes se revendiquant de l'anarchisme social, qui pourraient être à la FA et de groupes com' lib' lorgnant vers un spécifisme. Donc c'était assez hétérogène.

Qu'entends-tu ensuite par question "identitaire" ?

les valeurs auxquelles le groupe s'identifie fortement, avec lesquels il ne transige pas. Un marqueur identitaire de la Gauche par exemple c'est l'antiracisme lié à une forme d'universalisme.
Pour certains groupes de la CGA, c'était l'anti-électoralisme qui était un marqueur identitaire fort, alors qu'à l'AL, on n'en fait pas un drame si un membre se présente sur une liste aux municipales à titre individuel. Ou encore l'athéisme, du coup, le concept d'islamophobie à fait éclater l'orga.

Pour la CGA c'est inexacte si on prend en compte la deuxième scission (Lyon, Lille, etc) ayant rejoins la première (Perpi, Toulouse, Montpellier)

Peut-on réellement considérer qu'il y a eu deux scissions à la FA? perso j'y vois plutot deux vagues de défédérations. Des défédérations à un an d'intervalle et en partie sur les mêmes raisons, venant d'une même orga, c'est pas réellement deux scission différentes.
Sans compter que la 2ème vague n'a pas rejoint en bloc la CGA, certains groupes se sont incorporés un à un. Nantes n'a pas rejoint la CGA et à Bordeaux ce sont plutôt des individus que le groupe lui-même. Quant aux discussions théoriques avant leur incorporation, elles ont été extrêmement lights!

Pourquoi des évolutions personnelles différentes seraient-elles "négatives" ? Chaque groupe peut y retrouver une homogénéité et un nouvel élan et les individus un plus grand confort.

ah mais tout à fait! se séparer n'est pas forcément négatif, mais actuellement il faut bien le reconnaitre, les scissions dans le mouvement libertaire n'ont jamais permis à une partie des scissionnaires de trouver ensuite un élan important. Sauf peut-être la CNF Vignoles pour qui la scission de 1993 a permis d'être en phase temporairement avec du monde et à grossir de façon surprenante. m'enfin à part ça, jusqu'ici le bilan des scissions est plutot négatif pour la propagation de nos idées.
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