anarchisme individualiste errances théoriques

anarchisme individualiste errances théoriques

Messagede sureauDOMINIQUE » 23 Aoû 2015, 23:27

Divagations sur l'anarchisme individualiste 1
23 Août 2015 , Rédigé par sureau Publié dans #POUVOIR[/

youpeee La méprise de l’externalisation du pouvoir dans l’anarchisme individualiste :

La question du pouvoir devint dans les années 1910, une interrogation primordiale du mouvement anarchiste à laquelle ils répondirent de manières différenciées qui allaient devenir irréconciliables.

Examinons premièrement l’anarchisme individualiste, au travers de ses auteurs principaux et voyons en quoi cela pouvait contenir les termes mêmes d’oppositions philosophiques indépassables.

Emile Armand définit en ces termes l’anarchisme individualiste :

« Être anarchiste c'est nier l'autorité et rejeter son corollaire économique: l'exploitation. Et cela dans tous les domaines où s'exerce l'activité humaine. L'anarchiste veut vivre sans dieux ni maîtres; sans patrons ni directeurs; alégal, sans lois comme sans préjugés; amoral, sans obligations comme sans morale collective. Il veut vivre librement, vivre sa conception personnelle de la vie. En son for intérieur, il est toujours un asocial, un réfractaire, un en-dehors, un en-marge, un à-côté, un inadapté. Et pour obligé qu'il soit de vivre dans une société dont la constitution répugne à son tempérament, c'est en étranger qu'il y campe. S'il consent au milieu les concessions indispensables - toujours avec l'arrière-pensée de les reprendre - pour ne pas risquer ou sacrifier sottement ou inutilement sa vie, c'est qu'il les considère comme des armes de défense personnelle dans la lutte pour l'existence. L'anarchiste souhaite vivre sa vie, le plus possible, moralement, intellectuellement, économiquement, sans se préoccuper du reste du monde, exploitants comme exploités; sans vouloir dominer ni exploiter autrui, mais prêt à réagir par tous les moyens contre quiconque interviendrait dans sa vie ou lui interdirait d'exprimer sa pensée par la plume ou la parole. » [1]

Comme modalités d’organisations, cela ne se traduit pour l'anarchiste-individualiste qu’en termes éphémère puisqu’il « ne considère l'association que comme un expédient, un pis-aller. Il ne veut donc s'associer qu'en cas d'urgence mais toujours volontairement. Et il ne désire passer de contrats, en général, qu'à brève échéance, étant toujours sous-entendu que tout contrat est résiliable dès qu'il lèse l'un des contractants. »

Pour ce faire, « L'anarchiste-individualiste n'est jamais l'esclave d'une formule-type ou d'un texte reçu. Il n'admet que des opinions. Il ne propose que des thèses. Il ne s'impose pas de point d'arrivée. S'il adopte une méthode de vie sur un point de détail, c'est afin qu'elle lui assure plus de liberté, plus de bonheur, plus de bien-être, mais non point pour s'y sacrifier. Et il la modifie, et il la transforme quand il s'aperçoit que continuer à y demeurer fidèle diminuerait son autonomie. Il ne veut point se laisser dominer par des principes établis à priori; c'est à posteriori, sur ses expériences, qu'il fonde sa règle de conduite, jamais définitive, toujours sujette aux modifications et aux transformations que peuvent suggérer l'enregistrement de nouvelles expériences, et la nécessité d'acquisition d'armes nouvelles dans sa lutte contre le milieu. Sans faire non plus de l'a priori un absolu. » [2] ( E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste .1911)

Emile Armand influencera profondément la pensée anarchiste individualiste dans le sens de la non durabilité et de la fugacité de l’organisation anarchiste, reprenant en cela les écrits de Stirner : « C'est pourquoi on trouvera toujours l'individualiste - associé ou isolé - disposé à passer contrat avec n'importe quelle agglomération grégaire, contrat aux termes duquel chacune des parties vivra et s'organisera comme bon lui semble, se garantissant mutuellement sa sécurité. » [3] ( E. Armand Ce que veulent les individualistes .1932)

L’anarchiste individualiste réfute la dimension sociétale, au pis la supporte et au mieux la ramène à l’individu et à sa volonté d’Unique.

« Les individualistes veulent que le milieu humain soit conçu pour l'individu, qu'il se relative à l'individu, qu'il n'existe et ne fonctionne que par l'individu et pour l'individu. » [4] ( E. Armand Ce que veulent les individualistes .1932)

Hans Ryner aura cette formule lapidaire : « Le sage considère la société comme une limite. Il se sent social comme il se sent mortel. » [5] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)

L’anarchiste individualiste a un accès excluant au social et il se situe hors des contingences du social. Son projet social est indéfinissable, pis il ne peut voir le jour.

« Le sage espère-t-il une meilleure société ?

Le sage se défend de toute espérance. » [6] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)

Comme tel, l’anarchiste individualiste ne peut se lier par un contrat ou un programme quel qu’il fut et encore moins s’inscrire dans une dynamique à visée sociale.

L’opposition avec le communisme anarchiste ou l’anarcho-syndicalisme est, en ce sens, indépassable puisque l’individualiste anarchiste va jusqu’à s’interdire toute action sociale selon les écrits d’Hans Ryner

« Le sage exerce-t-il une action sociale ?

Le sage remarque que, pour exercer une action sociale, il faut agir sur les foules, et qu'on n'agit point sur les foules par la raison, mais par les passions. Il ne se croit pas le droit de soulever les passions des hommes. L'action sociale lui apparaît comme une tyrannie, et il s'abstient d'y prendre part. »

A l’interrogation sur son implication vis-à-vis des opprimés, Hans Ryner rétorque que « Le sage sait que ces mots : « le bonheur du peuple » n'ont aucun sens. Le bonheur est intérieur et individuel ; on ne peut le produire qu'en soi-même.

Le sage n'a donc pas pitié des opprimés ?

Le sage sait que l'opprimé qui se plaint aspire à devenir oppresseur. Il le soulage dans la mesure de ses moyens, mais il ne croit pas au salut par l'action commune. » [7] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)





Les anarchistes individualistes pensent qu’en se mettant hors de la société, ou dans et en marge, comme des visiteurs, sans s’impliquer plus que cela, en refusant toute adhésion durable à une forme organisationnelle devant à terme secréter du pouvoir et en ramenant à l’individu le lien social , en en faisant qu’un lien volontairement admis et accepté et caduc à tout instant, ils se débarrasseraient du pouvoir.

Mais la problématique du pouvoir est plus complexe qu’il n’y semble et le refus de l’Individu est bien impuissant à contrecarrer les manifestations du pouvoir et ce dernier, en l’absence de toute opposition, ne s’ en développe que davantage.

…«vouloir effacer le sacré… vouloir l'éliminer entièrement, prépare en réalité le retour subreptice au sacré…"[8]

Penser que refuser d’adhérer aux manifestations du pouvoir puisse suffire est illusoire et risque de ne conduire qu’à une acceptation involontaire. On est dans une société donnée dont on n’a pas décidé des tenants et aboutissants et donc, tout bonnement, on refuse d’y adhérer et cela peut externaliser le pouvoir en le diabolisant ou l’externalisant ne supprime pas le problème de son émergence, de son existence et de son contrôle. Cela exprime le désir de rejet du pouvoir mais dissimule le rejet par l'homme de sa propre possibilité transformatrice sur le monde.

L’anarchiste individualiste porte un regard critique sur l’anarchie, considérée « comme une naïveté » puisqu’il se montre insuffisant dans sa critique du pouvoir.

« L'anarchiste croit que le gouvernement est la limite de la liberté. Il espère, en détruisant le gouvernement, élargir la liberté. » (mais) « La vraie limite n'est pas le gouvernement mais la société. Le gouvernement est un produit social comme un autre. On ne détruit pas un arbre en coupant une de ses branches. » [9] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)

D’après Hans Ryner, l’anarchiste individualiste ne travaille pas à détruire la société car « La société est inévitable comme la mort. Sur le plan matériel, notre puissance est faible contre de telles limites. Mais le sage détruit en lui le respect et la crainte de la société comme il détruit en lui la crainte de la mort. Il est indifférent à la forme politique et sociale du milieu où il vit comme il est indifférent au genre de mort qui l'attend. » [10] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)

Cette indifférence fait toute la différence.

Comment peut-on être indifférent à la forme politique et sociale où l’on vit ?

Mais l’anarchiste n’est pas indifférent mais se pense lucide et en tire les conséquences qui vont déterminer le cadre de son action « Le sage sait qu'on ne détruit ni l'injustice sociale ni l'eau de la mer. Mais il s'efforce de sauver un opprimé d'une injustice particulière, comme il se jette à l'eau pour sauver un noyé. » [11] ( Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905)

Pour l’anarchiste individualiste, « le devoir humain la seule réalité morale. Il n'oubliera jamais que les hiérarchies sont des folies et il agira naturellement, non socialement, avec des hommes que le mensonge social affirme ses inférieurs, mais dont la nature a fait ses égaux. »

Voilà bien toute la différence dans le rapport au social, l’anarchiste individualiste pose les relations sociales naturellement et non socialement et sa critique du pouvoir relève d’une éthique ou plus précisément : « Les sagesses individualistes, les individualismes éthiques sont des méthodes pour se réaliser soi-même. Elles nous donnent sur nous- mêmes un certain pouvoir. Mais nul pouvoir n'existe qui ne s'appuie sur un savoir. Aussi, très divergentes bientôt, les sagesses individualistes partent pourtant d'un même point. Tout individualisme éthique commence par la formule de Socrate : "Connais-toi toi-même".

La critique du pouvoir est ramenée à la réalité individuelle, considérée d’un point de vue éthique.

« L'individualiste est un homme qui a le sentiment de la réalité de l'individu et de l'irréalité de tout ce qui n'est pas individuel et singulier. Or tous les logiciens déclarent que l'individu n'est pas définissable ; sa richesse complexe ne saurait être enfermée en aucune formule ; on ne peut définir que des termes généraux. Puis donc que 1'individualiste ne croit à la réalité que de l'individu, définir, pour lui, ce serait dire, non pas ce qui est, mais ce qui n'est pas. » [12] Han Ryner, Des diverses sortes d'Individualisme, Conférence prononcée le 10 Décembre 1921, pour le dixième anniversaire de L'IDEE LIBRE (Grande Salle de la Maison Commune)

L’implication sociale de l’anarchiste individualiste n’est compréhensible qu’en termes de dynamique éthique individuelle.

« Peut-être convient-il de ne rien espérer comme de ne rien craindre. Nous ne proclamons pas naïvement : "La vertu est la meilleure politique". Nous déclarons fièrement : "La vertu est belle ; toute politique est laide". Nous ne nous promettons, pour demain, ni paradis céleste, ni paradis terrestre. Nous ne nous préoccupons que de ce qui dépend de nous. Nous ne voyons pas comment le conflit finirait entre la basse maxime sociale : "La fin justifie les moyens" et la hautaine maxime morale : "Fais ce que dois, advienne que pourra". Si notre choix est fait, c'est que nous savons qu'il n'est pire douleur que le sentiment de sa propre inharmonie. Sans hésitation, sans préoccupation des résultats extérieurs, l'homme conscient fait ce qu'il se doit, maintient, au milieu des cacophonies sociales, son harmonie, et il porte haut, avec le mépris des populaces qui gouvernent et des populaces qui obéissent, le respect du seul individu. » [13]

Et le rapport à l’état va se définir dans ce champ conceptuel de la sagesse individualiste.

« Le combat entre la raison, puissance individuelle et morale, et l'Etat, force collective et brutale, ne serait-il pas éternel ? Quand le conflit devient aigu, chacun des deux adversaires triomphe sur un plan différent. La Bête tue l'Homme. La victoire morale de l'individu est une réalité supérieure. Mais, si on la cherche autre part qu'en son esprit hautain et en son cœur satisfait, elle s'évanouit comme un fantôme. » [14] ( Rapport des Morales et des Sociologies, par Han Ryner, 1904)

La critique du pouvoir pour l’anarchiste individualiste est circonscrite à la capacité éthique de l’individu et non à une quelconque capacité politique.

En ce sens, l’anarchiste individualiste ignore volontairement l’aspect social –historique du pouvoir et mésestime le rapport entre le sujet- objet du pouvoir qu’est l’homme. Il pense que par la seule conscience, arcboutée sur une sagesse éthique anarchiste individualiste, il pourra non pas contrecarrer le pouvoir mais ne pas y participer et en limiter l’empreinte. Comme tel, il ignore largement les mécanismes intrinsèques au pouvoir et sous-estime le phénomène que "la domination, …, porte en elle la perspective de son extension; dès l'instant où il y a séparation de l'instance du pouvoir; il y a l'horizon d'un élargissement de la sphère qu'elle régente."[15]

Stirner « Proudhon et les Communistes combattent l'égoïsme. Aussi leurs doctrines sont-elles la continuation et la conséquence du principe chrétien, du principe d'amour, de sacrifice, de dévouement à une généralité abstraite, à un « étranger »…Lorsque la loi nous déclare que ad reges potestas omnium pertinet, ad singulos proprietas ; omnia rex imperio possidet, singuli dominio, cela signifie : le roi est propriétaire, car lui seul peut user et disposer de « tout », il a sur tout potestas et imperium. Les Communistes ont rendu la chose plus claire en dotant de cet imperium la « Société de tous ». Donc : étant des ennemis de l'égoïsme, ils sont des — Chrétiens, ou, d'une façon plus générale, des hommes religieux, des visionnaires, subordonnés et asservis à une généralité, à une abstraction quelconque (Dieu, la Société, et » (p 228 Stirner l’unique et sa propriété) [16]

Gardons à l'esprit que «l’institution hétéronome de la société et la religion sont d’essence identique» [17] et que « la négation pure et simple de l’interdit n’est qu’un autre mode d’acceptation de l’interdit. La révolte est l’acceptation et la consécration du pouvoir. Seule l’évolution progressive ou la révolution, c’est à dire la création de nouvelles valeurs, de nouvelles normes, d’un nouveau mode de vie est remise en cause du pouvoir » [18]

Et c’est bien cela le sens profond de la mise en garde autour du pouvoir et de la malédiction que proféra Louise Michel.

"Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c'était bien la Commune composée d'hommes d'intelligence, de courage, d'une incroyable honnêteté et qui avaient donné d'incontestables preuves de dévouement et d'énergie. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d'implacable volonté que pour le sacrifice. C'est que le pouvoir est maudit et c'est pour cela que je suis anarchiste."[19]

Toute idéelle qu’elle fut, l'imprécation dissimulait mal l’embarras entre ce pouvoir de la communauté et ce pouvoir qui put s'externaliser, confisquer et détruire à tout instant le pouvoir social. La fragilité et l’intermittence des constructions sociales fondées sur l’appropriation collective du pouvoir sans dépossession furent alors posées.

Jeter l’anathème sur le pouvoir se révéla alors avoir valeur de persuasion, d’incantation révolutionnaire mais cela témoigna d’un aveu d’impuissance, exprimé par l’énonciation d’une dérisoire malédiction idéelle dont la phraséologie révolutionnaire ne retiendrait plus tard que : « le pouvoir est maudit et c'est pour cela que je suis anarchiste."

On maudit ce que l’on méconnaît et ne maîtrise pas, mais la mystérieuse réalité de la servitude volontaire, prise dans l’entrelacs discursif, reste toujours présente, obsédante et tentaculaire. Cela demeure l’écueil majeur de la pensée anarchiste et c’est par cela qu’il faut commencer toute analyse critique.

Le pouvoir produit et organise-les « interdits qui ont pour fonction de préserver de toute atteinte sacrilège l’ordre ainsi institué.»[20]

Telle fut peut-être l’intuition de Max Stirner mais il en déduisit la nécessité d’ostraciser le pouvoir pour s’en préserver.

« Je suis le propriétaire de ma puissance, et je le suis quand je me sais

Unique. Dans l'Unique, le possesseur retourne au Rien créateur dont il

est sorti. Tout Être supérieur à Moi, que ce soit Dieu ou que ce soit

l'Homme, faiblit devant le sentiment de mon unicité et pâlit au soleil de

cette conscience.

Si je base ma cause sur Moi, l'Unique, elle repose sur son créateur

éphémère et périssable qui se dévore lui-même, et je puis dire :

Je n’ai basé ma cause sur Rien. » [21]

Dans cet extrait de « l’unique et sa propriété », tout est dit de la

philosophie anarchiste individualiste.

Pour comprendre l’implication des anarchistes individualistes dans le

mouvement anarchiste, il faut se pénétrer de leur philosophie et des

limites qu’elle induit.

L’A.B.C philosophique de l’anarchiste individualiste se construit autour de

cette évidence : « On a toujours cru devoir me donner une destination

extérieure à moi, et c'est ainsi qu'on en vint finalement à m'exhorter à

être humain et à agir humainement, parce que Je = Homme. »

« Moi, je ne suis pas un « moi » auprès d'autres « moi » : je suis le seul

Moi, je suis Unique. Et mes besoins, mes actions, tout en Moi est

unique. C'est par le seul fait que je suis ce Moi unique que je fais de tout

ma propriété rien qu'en me mettant en œuvre et en me développant. Ce

développe pas l'Homme : c'est Moi qui Me développe.Tel est le sens de

l'Unique. » [22]

L'anarchisme, à son tour, va être pris dans cette imbrication conceptuelle. Il va s’évertuer à tenter des constructions organisationnelles, sortes de mariage de la carpe et du lapin entre deux philosophies irréconciliables fondamentalement mais partageant une même volonté de dénonciation et de non-participation aux réalités du pouvoir. Cela aboutira à la synthèse anarchiste qui, aussi louable fut-elle, ne parvint qu’à retarder sans cesse, l’émergence de l’évidente opposition de postulat philosophique.

Reprenons cet écrit de Malatesta pour comprendre la méprise que fut la sienne dans les années vingt et qui conduisit à prendre une opposition essentielle pour une apposition potentielle possible.

"Les individualistes supposent, ou font comme s'ils supposaient, que les communistes (anarchistes) veulent imposer le communisme, ce qui naturellement les situeraient absolument en dehors de l'anarchisme.
Les communistes supposent, ou font comme s'ils supposaient, que les individualistes (anarchistes) repoussent toute idée d'association, veulent la lutte des hommes entre eux, la domination du plus fort [...] ce qui les situeraient en dehors de l'anarchisme et même de l'humanité.

En réalité, les communistes sont communistes parce qu'ils voient dans le communisme librement accepté la conséquence de la fraternité et la meilleure garantie de la liberté individuelle. Et les individualistes, ceux qui sont réellement anarchistes, sont anti-communistes parce qu'ils craignent que le communisme ne soumette les individus à la tyrannie de la collectivité et, en fait, à celle du parti ou de la caste qui, sous prétexte d'administrer, arriverait à s'emparer du pouvoir de disposer des choses et, par contrecoup, des hommes qui ont besoin de ces choses. C'est pourquoi ils veulent que chaque individu ou chaque groupe soit à même d'exercer librement sa propre activité et de jouir librement des produits de son travail, dans des conditions d'égalité avec les autres individus et groupes, et en maintenant avec eux des rapports de justice et d'équité.
S'il en est ainsi il n'y a pas de différences essentielles. [...]" [23]

« Je ne suis nullement adversaire de l'individualisme : je me prononce seulement contre son aveuglement égocentrique. Je ne suis point un adversaire du perfectionnement moral de soi-même : mais je n'admets point qu'il soit reconnu être " moyen unique ". Voline, à son tour, mésestima la portée de l’opposition philosophique.

Ce n’est pas un aveuglement égocentrique mais bien une position de principe essentielle qui va être à l’origine d’une opposition abyssale. Quant au perfectionnement moral ce n’est pas un unique moyen c’est l’expression même de l’Unique, sa Sagesse selon les écrits de Hans Ryner. Passer allègrement sur cela c’est faire fi de la philosophie anarchiste individualiste. Par ces axiomes, elle ne peut être qu’exclusive et excluante pour des pensées dites « totalisantes », voire totalitaires dans son schème de pensée.

« Tel que le comprend la philosophie individualiste, l'individu, capacité potentielle d'unicité et d'autonomie, n'est pas une entité, une formule métaphysique : c'est une réalité vivante. Ce n'est point …un Moi mystique, abstrait, dont le culte ridicule et néfaste aboutirait à la négation de la sociabilité qui est cependant une qualité innée de l'homme et engendre des besoins moraux qu'il faut satisfaire sous peine de souffrance. »

« A l'intérêt des divinités imaginaires, j'oppose mon intérêt. A toute prétendue Cause Supérieure, j'oppose ma cause...» .La conception individualiste est centrée sur l’individu, être réel, de chair et de désirs, de pulsions et répulsions, de passions et de désintérêts…La société n’a de sens qu’en regard de l’individualité. « Je suis pour moi, tu es pour toi, il est pour lui le centre du monde ! … » (Manuel Devaldes , Réflexions sur l'individualisme, Paris, Le Libertaire, 1910)

Le communisme anarchiste ou l’anarcho-syndicaliste ne peuvent entrer dans son champ conceptuel. Elle peut temporairement accepter des compromissions par le biais d’alliances mais cela ne peut aller au-delà.

La conception même de la société est diamétralement opposée : « La condition primitive de l’homme n’est pas l’isolement ou la solitude, mais la vie en société… La société est notre état naturel…Lorsqu’une association s’est cristallisée en société, elle a cessé d’être une association, vu que l’association est un acte continuel de réassociation. Elle est devenue une association à l’état d’arrêt, elle s’est figée. Elle est morte en tant qu’association, elle n’est plus que le cadavre de l’association, en un mot elle est devenue société, communauté. Le parti (politique) nous (délivre) un exemple éloquent de ce processus. » (Stirner)

La synthèse ne peut se faire à partir d’antilogies.

« L’esprit qui réfléchit et qui considère attentivement les hommes et les choses rencontre dans l’ensemble de faits qu’on nomme société une barrière à peu près infranchissable à la vie vraie, libre, indépendante, individuelle. Cela suffit pour qu’il la qualifie de mauvaise et qu’il souhaite sa disparition. »( Emile Armand, qu’est ce qu’un anarchiste ?, groupe M.Joyeux, 2002)

Ne serait-ce que sur le plan de la liberté, problématique centrale chez les anarchistes, quel synthèse entre la pensée de Bakounine pour qui : « L'homme n'est réellement libre qu'autant que sa liberté, librement reconnue et représentée comme par un miroir par la conscience libre de tous les autres, trouve la confirmation de son extension à l'infini dans leur liberté. L'homme n'est vraiment que parmi d'autres hommes également libres; et comme il n'est libre qu'à titre humain, l'esclavage d'un seul homme sur la terre, étant une offense contre le principe même de l'humanité, est une négation de la liberté de tous."
(Mikhaïl Bakounine - 1814-1876 - Catéchisme révolutionnaire – 1865)et cette phrase d’ Hans Ryner, précitée, « Le sage sait que l'opprimé qui se plaint aspire à devenir oppresseur. Il le soulage dans la mesure de ses moyens, mais il ne croit pas au salut par l'action commune. »

La cacophonie idéelle risquait fort d’être au rendez-vous de la combinaison qui en sortira et c’est ce qui allait se produire car comme le rappelait Emile Armand : " On ne trouve guère deux individualistes anarchistes défendre deux même théories ".

Maudire le sacré, exprimer cet oxymoron, c’est peut-être cela la vraie transgression. Oui mais uniquement si la malédiction s’articule sur une conception d’un autre ordre du monde et est l'expression d'autres valeurs, l'énonciation d’un moi dynamique conjugué avec les limites du genre humain mais étendue à l’homme, par-delà nos unicités singulières, aussi respectables fussent- elles. Nous sommes des sujets sociaux-historiquement déterminés que nous le voulions ou non.

« L’espace public dans lequel les êtres humains peuvent se reconnaître libres et égaux est une construction historique longue et inachevée. Comme toute institution, il dépend de leur vouloir et de leur agir, il est donc intimement lié aux conquêtes de l’esprit critique et à la désacralisation du monde. » [24]

Rappelons quelques grands principes de la vie en société.

Premièrement, « L’individu n’est pas Un, il est multiple. Dans l’interaction collective la société se constitue, dans la liberté d’autrui ma liberté se reconnaît, et c’est dans sa servitude que ma liberté se rétrécit. » [25]

Deuxièmement, « L’individu n’est pour commencer et pour l’essentiel rien d’autre que la société. L’opposition individu/société prise rigoureusement, est une fallace totale. »[26]



Troisièmement, « Il n’y a pas d’être humain extra-social ; il n’y a ni comme réalité, ni comme fiction cohérente d’ « individu » humain comme « substance » a –extra- ou pré-sociale…Cette création et cette institution ne peuvent pas être vues, sans ridicule, comme résultant d’une coopération délibérée des « individus » - ni d’une addition de réseaux « intersubjectifs » : pour qu’il y ait intersubjectivité, il faut qu’il y ait des sujets humains et la possibilité qu’ils communiquent – autrement dit des êtres humains déjà socialisés et un langage qu’ils ne sauraient produire eux-mêmes en tant qu’individus. »[27]

Quatrièmement, « Dès sa naissance, le sujet humain est pris dans un champ social historique, est placé sous l’emprise à la fois de l’imaginaire collectif instituant, de la société instituée et de l’histoire dont cette institution est l’aboutissement provisoire…On est ici très au-delà, ou en deçà, de toute intention, volonté, manœuvre, conspiration … » [28]

Cinquièmement, « Ma propre liberté, dans sa réalisation effective, est fonction de la liberté effective des autres. »

Il en résulte que « La construction de l’autonomie, « l’auto-institution et l’autogouvernement explicites, est inconcevable sans l’autonomie effective des individus qui la composent. »…il en résulte que l’autonomie (la liberté effective) de tous, dans une démocratie, est ce qui doit être une préoccupation fondamentale de chacun » [29]



[1] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste .1911

[2] E. Armand, Petit Manuel Anarchiste Individualiste .1911

[3] E. Armand Ce que veulent les individualistes .1932

[4] E. Armand Ce que veulent les individualistes .1932

[5] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[6] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[7] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[8] La violence et le sacré, p 480

[9] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[10] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[11] Petit manuel individualiste, Han Ryner,1905

[12] Han Ryner, Des diverses sortes d'Individualisme, Conférence prononcée le 10 Décembre 1921,

[13] Rapport des Morales et des Sociologies, par Han Ryner, 1904

[14] Hans Ryner ( Rapport des Morales et des Sociologies, 1904)

[15] Marcel Gauchet, le désenchantement du monde, Gallimard, bibliothèque des sciences humaines, 1985, p 31

[16] Max Stirner l’unique et sa propriété, p 228

[17] Cornelius Castoriadis

[18] Eugène Enriquez, les figures du maître, Arcantères, 1997, p 16

[19] Louise Michel Louise Michel La Commune : Histoire et souvenirs - Stock 1898, Maspero 1970, La Découverte 1999 à la page 149 Dans ces grandes phrases que l'on cite, on n'en prend qu'un morceau. On se dit que « le pouvoir est maudit, c'est pourquoi je suis anarchiste ». Et, très souvent, le pouvoir, c'est le pouvoir bourgeois... mais non ! C’était tous les pouvoirs, y compris celui de la Commune d'ailleurs. Michel Ragon le monde libertaire n°1341s, HS n°24 (25 déc. 2003-11 févr. 2004)

[20] André Caillois, l’homme et le sacré, Gallimard, 1938

[21] Max Stirner, l’unique et sa propriété,

[22] Max Stirner, l’unique et sa propriété,

[23] Errico Malatesta Pensiero e Volontà 1er juillet 1924

[24] Eduardo Colombo, l’Espace politique de l’anarchie p 7 atelier de création libertaire, Lyon, 2008

[25] Eduardo Colombo, l’Espace politique de l’anarchie p 7 atelier de création libertaire, Lyon, 2008

[26] Cornélius Castoriadis, individu, société, rationalité, histoire, les carrefours du labyrinthe 3, p 64

[27] Cornelius Castoriadis, anthropologie, philosophie, politique, les carrefours du labyrinthe, 4, p 142

[28] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 270

[29] Cornélius Castoriadis, la démocratie comme procédure et comme régime, les domaines de l’homme t 4, p 274



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