Alternative municipale à Grenoble : le pouvoir est-il maudit ?
En 2014, Eric Piolle prenait la mairie à la tête d’une coalition Europe écologie les verts (EELV)-Parti de gauche, en embarquant une vingtaine de militants issus des mouvements sociaux et citoyens. Quatre ans plus tard, l’amertume et les tensions entre une partie du mouvement social grenoblois et l’équipe municipale apparaissent au grand jour pendant « l’université d’été solidaire et rebelle des mouvements sociaux et citoyens ».
« À croire que je suis le maire de Nice », s’offusque le maire EELV de Grenoble, invité à la tribune de la séance d’ouverture de l’université d’été des mouvements sociaux et citoyens. La raison de ce commentaire acerbe : un tract diffusé à l’entrée qui dénonce la politique menée par l’édile. Y sont évoqué pêle-mêle les fermetures de services publics municipaux, la coupure de l’électricité du squat le 6 Jay qui héberge depuis plus d’un an mal-logés et migrants, ou encore la stigmatisation des pauvres sous couvert de politique écologique.
Pourtant en 2014, la liste conduite par Eric Piolle arrache la mairie au Parti socialiste avec un programme construit autour de trois axes : l’écologie, le social et le renouvellement de la vie démocratique. Participation des habitants, droit de votation d’initiative citoyenne, renforcement des services publics, droit au logement, soutien à la culture et aux bibliothèques font partie des 120 engagements pour la ville de Grenoble. Une orientation qui séduit jusque dans les mouvements sociaux où une vingtaine d’associatifs (écologistes ou soutiens aux sans-papiers) et de syndicalistes (Solidaires, FSU, CNT) participent à « l’alternative municipale ».
Rien ne va plus entre les mouvements sociaux et le maire
Malgré cela, deux jours avant le début de l’université d’été accueillie par la ville de Grenoble, la société d’économie mixte Gaz électricité de Grenoble (GEG), dont la mairie est actionnaire majoritaire, a coupé l’électricité du squat le 6 Jay. Le bâtiment détenu par la municipalité héberge depuis 2016 une trentaine de personnes sans revenu qui étaient menacée d’expulsion ou sans logement. « Un contrat d’électricité a été pris pour éviter les problèmes d’incendie ou d’électrocution même si nous savions que nous ne pourrions pas payer les factures », explique Raphaël de l’association Droit au logement. « Est-ce que quand on n’a pas d’argent on ne devrait pas être chauffé ? Nous ne le pensons pas », affirme-t-il.
Un an et demi plus tard, la facture, objet du contentieux avec la mairie, s’élève à près de 15 000 €. Une goutte d’eau pour le militant du DAL comparée aux bénéfices de GEG ou aux coûts de nuits d’hôtel prises en charge par la mairie ou la préfecture. « Nous nous battons pour que les factures soient réglées par les pouvoirs publics, ceux qui doivent héberger les personnes confrontées à l’urgence », annonce Raphaël. Une position que ne partage pas Antoine Back, un des rares élus de la majorité présents à l’université d’été comme intervenant dans un débat. Agacé par les mises en cause du DAL il rappelle que la municipalité s’est engagée à ce qu’il n’y ait pas d’expulsion et assure avoir fait livrer « des milliers de litres de fioul » au squat. Il n’a pas de mot assez dur contre l’association qui selon lui ne respecte pas un accord conclu avec la mairie et « n’exige qu’à la ville, et donc aux Grenoblois, le paiement des fluides ».
Le conflit reste bloqué. En pleine université d’été, les occupants du 6 rue Jay et des militants du DAL s’installent dans les locaux du GEG pour réclamer un rendez-vous auprès de Vincent Fristot, président de GEG et élu municipal à l’énergie, afin de négocier le rétablissement de l’électricité. Au bout de quatre heures, ils sont évacués par la police sans avoir obtenu la moindre promesse d’entrevue. La police en lieu et place de négociations sur leurs revendications, les bibliothécaires y ont aussi goutté pendant leur mouvement l’an dernier. Des agents ont même subi coups de matraque et gaz lacrymogène. Le 9 juin 2016, la majorité municipale annonce un plan de sauvegarde des services publics pour faire face à la baisse des dotations de l’État, et éviter, selon elle, une mise sous tutelle de la ville par la préfecture. En réalité, un plan d’économie de 14 millions d’euros sur deux ans. Baisse du nombre des assistantes sociales, non-remplacement d’une centaine d’emplois municipaux, fermeture d’un Ehpad et augmentation du prix des piscines font partie de la centaine de mesures prises par la mairie.
L’austérité à la place de l’alternative
En tout cas, un gros coup de canif dans les 120 engagements de la nouvelle équipe arrivée au pouvoir en 2014. D’autant que ce plan préparé pendant six mois n’a, aux dires de plusieurs acteurs des mouvements sociaux, pas fait l’objet des concertations pourtant promises par une municipalité s’étant faite élire sur le slogan d’une « ville à la démocratie renouvelée » donnant « un pouvoir d’agir pour chaque habitant ». Le terme d’austérité pour qualifier la politique de la municipalité de réduction des dépenses, l’élu Antoine Back le rejette catégoriquement, même s’il l’applique volontiers aux décisions de l’État de réduire les dotations des collectivités locales. Parlant de « décisions douloureuses », il préfère mettre en avant la préservation des capacités d’investissement de la ville, notamment pour le Plan-école, et un avenir à ne pas sacrifier.
« Nous étions en responsabilité, c’était à nous de le faire pour ne pas laisser le préfet prendre la main et faire un carnage dans la ville, qui aurait mis 10 ans à s’en remettre », argumente-t-il. Revendiquant une parole n’engageant pas l’équipe municipale il renvoie les contradictions vers ces détracteurs. « Ce qui m’a beaucoup peiné, au-delà des noms d’oiseaux qu’on pouvait recevoir, c’est d’entendre des militants nous dire que d’autres choix étaient possibles. Mais, chaque fois que nous leur demandions lesquels, nous n’avions jamais de réponses », souligne l’élu, passé auparavant par la CNT et se revendiquant aujourd’hui d’un municipalisme libertaire. Dans un mélange de déception et de rancune tenace,il renvoie ces militants à un déni face aux réalités.
Parmi les mesures d’austérité qui ont le plus fait grincer de dents : la fermeture de trois bibliothèques, dont deux dans des quartiers populaires, et la suppression de 13 emplois. « Énormément de bibliothécaires avaient voté pour Eric Piolle. C’était la première fois qu’un candidat inscrivait la défense du réseau des 14 bibliothèques de la ville dans son programme. Cela a été une grosse claque », raconte Camille*. Pour cette bibliothécaire, Grenoble détient un réseau particulier, un laboratoire d’expériences investi dans l’action culturelle, qui part du principe que c’est à la bibliothèque d’aller vers la population et non l’inverse.
Au-delà de la mesure, la méthode a profondément choqué. « Tous les agents ont été convoqués le 9 juin 2016 à une assemblée du personnel. Nous ne savions pas pourquoi. Quelques jours avant, la municipalité a rencontré les syndicats pour leur annoncer le plan de sauvegarde et les suppressions de postes en leur intimant l’ordre de ne pas en parler aux salariés. Le jour de la réunion, Eric Piolle n’était même pas présent », se scandalise Camille. « Il a envoyé l’élue responsable aux cultures, ancienne militante à Sud-Rail qui tremblait de tout son corps, et le directeur des affaires culturelles qui était là pour délivrer le message de l’institution. Il nous a dit : vous n’avez rien à négocier, vous n’avez rien à dire, vous avez un devoir de réserve et vous ne parlez pas à la presse », se souvient-elle.
La lutte commence soutenue par les syndicats CGT, Solidaires, FO, CNT, mais aussi par des habitants. Elle dure plus d’un an. « De juin à décembre, Piolle n’a jamais rencontré l’intersyndicale, il a fallu envahir la mairie pour le voir. Nous lui avons parlé de la souffrance au travail des agents. Sa réponse a été de dire qu’il assumait la souffrance au travail, la violence qu’il infligeait à ses salariés, et sa politique », se rappelle Camille qui n’hésite pas à parler de mépris de classe. Une impression qui s’est poursuivie tout au long du conflit selon elle, notamment au moment des conseils municipaux où les opposants aux fermetures de bibliothèques se sont retrouvés face à la police dès le mois de juillet 2016. Finalement, deux des trois bibliothèques ont été fermées, laissant beaucoup d’amertume et de colère. D’autant que, malgré une pétition ayant réuni deux fois le seuil de déclenchement du mécanisme de votation d’initiative citoyenne promue par la mairie, aucun référendum n’a été organisé par l’équipe d’Eric Piolle.
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