Re: Bibliothèque
Posté: 20 Aoû 2017, 15:33
L’ANARCHIE
« Le mot anarchie vient du grec et signifie, à proprement parler, sans gouvernement » rappelle Errico Malatesta (1853-1932). Précision nécessaire car le terme est constamment dévoyé, associé au désordre et à la confusion, pour entretenir à dessein le préjugé que les gouvernements sont indispensables à la vie sociale. Ce fut, au temps de la monarchie, aussi le sort réservé au mot république. Il suffirait donc de persuader l’opinion que le gouvernement n’est non seulement inutile mais extrêmement nuisible pour que l’anarchie, de fait, signifie pour tous : ordre naturel, harmonie des besoins et des intérêts de tous, liberté totale dans la solidarité totale.
L’État est l’ensemble des institutions politiques, législatives, judiciaires, militaires, financières, etc, qui enlèvent au peuple la gestion de ses propres affaires, la détermination de sa propre conduite, le soin de sa propre sécurité pour les confier à un petit nombre. C’est une réalité abstraite qui s’incarne dans le gouvernement. On voudrait nous imposer une vision abstraite du gouvernement : un être moral doté de certains attributs (la raison, la justice, l’équité), indépendant des personnes qui le composent, qui survivrait toujours aux coups que ceux-ci lui portent et aux erreurs qu’ils commettent. Mais le gouvernement, c’est bien l’ensemble des gouvernants.
S’il existait des hommes dont la bonté et le savoir étaient infinis, si le pouvoir gouvernemental allait aux meilleurs d’entre eux, leurs capacités ne seraient-elles pas paralysées ? Ne gaspilleraient-ils pas leur énergie à se maintenir au pouvoir, à contenter leurs amis, à tenir en échec les mécontents et mater les rebelles ?
Si les gouvernants s’imposent à la suite d’une guerre ou d’une révolution, quelle garantie avons-nous que l’intérêt commun les anime ? S’ils sont choisis par une classe ou un parti, ne feront-ils pas triompher les intérêts de cette classe ou de ce parti ? Élus au suffrage universel parce qu’ils ont su mieux que les autres manipuler la population ?
Les théoriciens de l’autoritarisme présentent le gouvernement comme le modérateur des antagonismes naturels des intérêts et des passions, qui assignerait droits et devoirs de chacun. Théorie inventée pour justifier les faits, défendre le privilège et le faire accepter par ses victimes car tout au long de l’histoire, le gouvernement reste synonyme soit de la domination brutale, violente et arbitraire d’un petit nombre, c’est-à-dire à l’origine du pouvoir politique, soit de la domination économique de ceux qui ont accaparé par la ruse, la force ou l’héritage, les moyens d’existence, et donc à l’origine de la propriété.
Dans quelques sociétés primitives et peu populeuses, les pouvoirs politiques et économiques ont pu être réunis mais, la plupart du temps, la classe privilégiée des exploiteurs se développe à l’ombre du pouvoir, c’est-à-dire du gouvernement, finissant toujours par le soumettre et en faire un gendarme à son service. Puis, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, la classe capitaliste place des membres du gouvernement issus d’elle-même. Le suffrage universel est un leurre destiné à tromper le peuple, une concession accordée pour éviter qu’il ne pense à s’émanciper, lui donnant l’espoir vain d’arriver un jour au pouvoir. Le rôle du gouvernement est toujours de défendre les oppresseurs et les exploiteurs. S’il met parfois en place des réformes trompeuses, des services publics, c’est pour feindre d’être le gardien du droit de tous, pour faire accepter les privilèges d’un petit nombre.
Pourtant, Errico Malatesta pense que l’humanité n’est pas condamné « à se débattre à tout jamais entre la tyrannie des vainqueurs et la révolte des vaincus » car la loi qui la gouverne est la solidarité.
L’homme est animé par deux instincts fondamentaux : celui de sa propre conservation et celui de la conservation de l’espèce. Dans la nature, les êtres vivants peuvent améliorer leur existence soit par la lutte individuelle contre les éléments et les autres individus, soit par l’appui mutuel, la coopération. Force est de constater que la coopération est devenue chez les hommes l’unique moyen de progrès et la lutte sera toujours inapte à favoriser le bien-être des individus. La solidarité est le seul état que permette à l’homme de déployer toute sa nature, le concours de chacun au bien de tous et de tous à celui de chacun. Errico Malatesta constate que dans l’histoire, le principe du chacun pour soi complique et paralyse la guerre de tous contre la nature, pour un plus grand bien-être de l’humanité, les hommes cherchant à préserver leurs privilèges ou à en conquérir tandis que les autres voudraient se révolter contre l’injustice.
Les masses opprimées ne se sont jamais résignées complètement à l’oppression et à la misère. Elles commencent à comprendre qu’elles ne pourront s’émanciper que grâce à l’union, grâce à la solidarité de tous les opprimés, à condition de posséder les moyens de production, la terre et les instruments de travail, donc avec l’abolition de la propriété individuelle.
Il répond à quelques objections qui sont régulièrement faites aux anarchistes, notamment de la part des autoritaires.
La nature et le rôle du gouvernement ne changeraient pas si les conditions sociales étaient changées car l’organe et la fonction sont inséparables.
L’action sociale n’est ni la négation ni le complément de l’initiative individuelle : elle est la résultante des initiatives, des pensées et des actions de tous les individus qui composent la société.
Il s’agit de donner les mêmes droits et les mêmes moyens d’action à tous, d’en finir avec la seule initiative d’un petit nombre qui entraîne nécessairement l’oppression de tous les autres.
Pour comprendre comment une société peut vivre sans gouvernement, il suffit d’observer qu’en réalité, la plus grande partie de la vie sociale s’accomplit aujourd’hui hors des limites d’intervention du gouvernement.
Si le peuple avait la possibilité de penser par lui-même à la production et à l’alimentation, il ne se laisserait pas mourir de faim en attendant qu’un gouvernement ait fait des lois dans ces domaines.
Quand l’intérêt de tous sera l’intérêt de chacun (et il le sera nécessairement si la propriété individuelle n’existe pas), tous agiront.
Errico Malatesta refuse de donner une solution officielle à tous les problèmes qui se présenteront dans la société future car ce serait se déclarer gouvernement et prescrire un code universel pour tous les hommes à la façon des législateurs de la religion.
Texte d’une grande clarté et d’une immense portée.
L’ANARCHIE
Errico Malatesta
114 pages – 5 euros
Éditions Lux – Collection « Instinct de liberté » – Montréal – Août 2012.
Première publication en 1902.
Le texte intégral est aussi disponible ici :
http://kropot.free.fr/Malatesta-Anarchi ... archie.htm
La collection « Instinct de liberté », dirigée par Marie-Ève Lamy et Sylvain Beaudet, propose des textes susceptibles d’approfondir la réflexion quant à l’avènement d’une société nouvelle, sensible aux principes libertaires.
https://bibliothequefahrenheit.blogspot ... .html#more
L’ENTRAIDE, UN FACTEUR DE L’ÉVOLUTION
Afin de démontrer que l’entraide est un facteur essentiel de la survie des sociétés humaines et pour contredire le discours dominant prônant l’individualisme et la concurrence entre tous, Pierre Kropotkine (1842-1921) recense les différents regroupements de personnes existant.
Dès le XVe siècle, en Angleterre, meilleur exemple de la politique industrielle des États modernes, le Parlement commence la destruction des guildes, associations de personnes poursuivant un but commun qui s’étaient considérablement développées au Moyen Âge. Il entreprit bientôt, avec le roi, de réglementer chaque métier et les techniques même de fabrication, fixant le nombre d’apprentis et celui de fils dans chaque mètre d’étoffe, avec plus ou moins de succès. En 1799, suivant l’exemple de la Convention révolutionnaire française, il considéra toute association comme un attentat contre la souveraineté de l’État, achevant ainsi son œuvre de destruction. C’est ainsi que la tendance à l’entraide eut à frayer son chemin. Pendant tout le XVIIIe siècle, les unions d’ouvriers furent continuellement reconstituées. Au XIXe siècle, les grèves furent interdites et réprimées jusqu’à ce que le droit de s’associer fut conquis et qu’un quart des ouvriers, soit 1 500 000, soit syndiqué.
Bien que la grève soit un sacrifice déchirant, avec risque de fusillade, il y en a chaque année des milliers. Les plus longues et les plus terribles sont en général des « grèves de sympathie ». Elles sont toujours l’occasion d’importantes démonstrations de soutien mutuel.
À l’origine, le mouvement des associations coopératives avait essentiellement un caractère d’entraide, même si maintenant se sont plutôt des compagnies d’actionnaires individualistes. Ses plus ardents promoteurs demeurent persuadés que la coopération amènera l’humanité à un état de plus parfaite harmonie dans ses relations économiques. La coopération reste importante en Angleterre, en Hollande, au Danemark et en Allemagne où on comptait 31 473 associations de production et de consommation sur le Rhin moyen vers 1890 mais c’est en Russie qu’elle reste un développement naturel, un héritage du Moyen Âge. Les artels (ou guildes), coopératives spontanées, forment la substance même de la vie paysanne. L’histoire de la formation de la Russie et de la colonisation de la Sibérie, est une histoire des artels pour la chasse et le commerce continués par des communes villageoises. Par exemple, le fleuve Oural appartient à l’ensemble des Cosaques qui partagent entre leurs villages, sans aucune ingérence des autorités, les lieux de pêche. De même, les esnafs de Serbie ont entièrement conservé leur caractère du Moyen âge, réglant les métiers et l’entraide en cas de maladie ; les amkaris du Caucase exercent en plus une influence considérable dans la vie municipale ; les friendly societies anglaises et les clubs Odd Fellows, organisés dans les villes et les villages pour payer le médecin, les enterrements.
L’association des bateaux de sauvetage en Angleterre, entretient trois cents bateaux le long des côtes. Leurs équipages sont composés de volontaires, prêts à sacrifier leur vie pour porter secours à des gens qui leur sont étrangers. C’est le fond de la psychologie humaine, ils « ne peuvent y tenir », explique l’auteur, d’entendre appeler au secours et de ne pas y répondre. Les sophismes du cerveau ne peuvent résister au sentiment d’entraide, parce que ce sentiment a été nourri par des milliers d’années de vie humaine sociale et des centaines de milliers d’années de vie pré-humaine en sociétés.
Parmi les mineurs et les marins, les occupations communes et le contact de chaque jour les uns avec les autres, créent un sentiment de solidarité en même temps que les dangers environnants entretiennent le courage et l’audace. Dans les villes au contraire, l’absence d’intérêts communs produit l’indifférence.
Il énumère ensuite les innombrables société, clubs et unions pour les plaisirs de la vie, pour l’étude, pour les recherches, pour l’éducation… L’Alliance des Cyclistes ou le Touring Club en France, forment une sorte de « franc-maçonnerie pour l’aide mutuelle ». Elles ne modifient certainement pas les stratifications économiques de la société mais elles contribuent à niveler les distinctions sociales et, unies en fédérations nationales et internationales, elles aident au développement des rapports amicaux à travers le monde.
Pendant près de trois siècles on empêcha les hommes de se tendre la main, même dans des buts littéraires, artistiques ou d’éducation. Des sociétés ne pouvaient se former que sous la protection de l’État ou de l’Église, ou comme confréries secrètes, à la façon de la franc-maçonnerie. Maintenant que la résistance est brisée, elles essaiment dans toutes les directions.
Tandis que le Christianisme primitif, comme toutes les autres religions, était un appel aux grands sentiments humains d’entraide et de sympathie, l’Église chrétienne a aidé l’État à détruire toutes les institutions d’entraide et de soutien mutuel. Au lieu de l’entraide, elle a prêché la charité qui prend un caractère d’inspiration divine et implique une certaine supériorité de celui qui donne sur celui qui reçoit.
La conclusion de l’ouvrage est celle de la version intégrale du texte. Étrange objet éditorial donc, qui donne surtout de lire la version intégral, ce que nous ne manquerons pas de faire prochainement.
Pierre Kropotkine rappelle que dans le monde animal, la grande majorité des espèces vivent en sociétés et trouvent dans l’association leur meilleur arme pour la « lutte pour la vie » comprise dans le sens large de Darwin c’est-à-dire une lutte contre toutes les conditions naturelles défavorables à l’espèce et non comme une lutte pour les simples moyens d’existence. Les espèces les plus nombreuses sont celles dans lesquels la lutte individuelle a été réduite à ses plus étroites limites. Les espèces non sociables sont condamnées à dépérir.
Les tribus et les clans humains primitifs ont développé un grand nombre d’institutions sociales puis, ils se sont développés sur la base de la possession et la défense en commun d’un territoire, sous la juridiction de l’assemblée, reliés en fédération de villages. Les cités furent constitués sur un double réseau d’unités territoriales combinées avec les guildes.
Bien que le développement de l’État sur le modèle de la Rome impériale ait violemment mis fin à toutes les institutions d’entraide du Moyen âge, la tendance à l’entraide réapparu et s’affirma dans une infinité d’associations.
Instauré comme principe moral par le bouddhisme primitif, les premiers chrétiens, les écrits de quelques docteurs musulmans, aux premiers temps de la Réforme, puis par les philosophes du XVIIIe siècle, les idées de vengeance et de « juste rétribution » sont affirmées de plus en plus vigoureusement. Donner plus que l’on attend de recevoir de ses voisins est proclamé comme un principe supérieur à la simple notion d’équivalence, d’équité ou de justice, comme un appel à ne faire qu’un avec tous les êtres humains. La pratique de l’entraide est la source positive du progrès moral de l’homme.
Cet ouvrage ne nous aura que mis en appétit de sa version intégrale.
L’ENTRAIDE, UN FACTEUR DE L’ÉVOLUTION
Pierre Kropotkine
Introduction d’Isabelle Pivert
66 pages – 7 euros.
Éditions du Sextant – Collection « Les increvables » – Paris – janvier 2010
Chapitre extrait de L’Entraide, publié pour la première fois en 1906
http://www.editionsdusextant.fr
http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
« Le mot anarchie vient du grec et signifie, à proprement parler, sans gouvernement » rappelle Errico Malatesta (1853-1932). Précision nécessaire car le terme est constamment dévoyé, associé au désordre et à la confusion, pour entretenir à dessein le préjugé que les gouvernements sont indispensables à la vie sociale. Ce fut, au temps de la monarchie, aussi le sort réservé au mot république. Il suffirait donc de persuader l’opinion que le gouvernement n’est non seulement inutile mais extrêmement nuisible pour que l’anarchie, de fait, signifie pour tous : ordre naturel, harmonie des besoins et des intérêts de tous, liberté totale dans la solidarité totale.
L’État est l’ensemble des institutions politiques, législatives, judiciaires, militaires, financières, etc, qui enlèvent au peuple la gestion de ses propres affaires, la détermination de sa propre conduite, le soin de sa propre sécurité pour les confier à un petit nombre. C’est une réalité abstraite qui s’incarne dans le gouvernement. On voudrait nous imposer une vision abstraite du gouvernement : un être moral doté de certains attributs (la raison, la justice, l’équité), indépendant des personnes qui le composent, qui survivrait toujours aux coups que ceux-ci lui portent et aux erreurs qu’ils commettent. Mais le gouvernement, c’est bien l’ensemble des gouvernants.
S’il existait des hommes dont la bonté et le savoir étaient infinis, si le pouvoir gouvernemental allait aux meilleurs d’entre eux, leurs capacités ne seraient-elles pas paralysées ? Ne gaspilleraient-ils pas leur énergie à se maintenir au pouvoir, à contenter leurs amis, à tenir en échec les mécontents et mater les rebelles ?
Si les gouvernants s’imposent à la suite d’une guerre ou d’une révolution, quelle garantie avons-nous que l’intérêt commun les anime ? S’ils sont choisis par une classe ou un parti, ne feront-ils pas triompher les intérêts de cette classe ou de ce parti ? Élus au suffrage universel parce qu’ils ont su mieux que les autres manipuler la population ?
Les théoriciens de l’autoritarisme présentent le gouvernement comme le modérateur des antagonismes naturels des intérêts et des passions, qui assignerait droits et devoirs de chacun. Théorie inventée pour justifier les faits, défendre le privilège et le faire accepter par ses victimes car tout au long de l’histoire, le gouvernement reste synonyme soit de la domination brutale, violente et arbitraire d’un petit nombre, c’est-à-dire à l’origine du pouvoir politique, soit de la domination économique de ceux qui ont accaparé par la ruse, la force ou l’héritage, les moyens d’existence, et donc à l’origine de la propriété.
Dans quelques sociétés primitives et peu populeuses, les pouvoirs politiques et économiques ont pu être réunis mais, la plupart du temps, la classe privilégiée des exploiteurs se développe à l’ombre du pouvoir, c’est-à-dire du gouvernement, finissant toujours par le soumettre et en faire un gendarme à son service. Puis, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, la classe capitaliste place des membres du gouvernement issus d’elle-même. Le suffrage universel est un leurre destiné à tromper le peuple, une concession accordée pour éviter qu’il ne pense à s’émanciper, lui donnant l’espoir vain d’arriver un jour au pouvoir. Le rôle du gouvernement est toujours de défendre les oppresseurs et les exploiteurs. S’il met parfois en place des réformes trompeuses, des services publics, c’est pour feindre d’être le gardien du droit de tous, pour faire accepter les privilèges d’un petit nombre.
Pourtant, Errico Malatesta pense que l’humanité n’est pas condamné « à se débattre à tout jamais entre la tyrannie des vainqueurs et la révolte des vaincus » car la loi qui la gouverne est la solidarité.
L’homme est animé par deux instincts fondamentaux : celui de sa propre conservation et celui de la conservation de l’espèce. Dans la nature, les êtres vivants peuvent améliorer leur existence soit par la lutte individuelle contre les éléments et les autres individus, soit par l’appui mutuel, la coopération. Force est de constater que la coopération est devenue chez les hommes l’unique moyen de progrès et la lutte sera toujours inapte à favoriser le bien-être des individus. La solidarité est le seul état que permette à l’homme de déployer toute sa nature, le concours de chacun au bien de tous et de tous à celui de chacun. Errico Malatesta constate que dans l’histoire, le principe du chacun pour soi complique et paralyse la guerre de tous contre la nature, pour un plus grand bien-être de l’humanité, les hommes cherchant à préserver leurs privilèges ou à en conquérir tandis que les autres voudraient se révolter contre l’injustice.
Les masses opprimées ne se sont jamais résignées complètement à l’oppression et à la misère. Elles commencent à comprendre qu’elles ne pourront s’émanciper que grâce à l’union, grâce à la solidarité de tous les opprimés, à condition de posséder les moyens de production, la terre et les instruments de travail, donc avec l’abolition de la propriété individuelle.
Il répond à quelques objections qui sont régulièrement faites aux anarchistes, notamment de la part des autoritaires.
La nature et le rôle du gouvernement ne changeraient pas si les conditions sociales étaient changées car l’organe et la fonction sont inséparables.
L’action sociale n’est ni la négation ni le complément de l’initiative individuelle : elle est la résultante des initiatives, des pensées et des actions de tous les individus qui composent la société.
Il s’agit de donner les mêmes droits et les mêmes moyens d’action à tous, d’en finir avec la seule initiative d’un petit nombre qui entraîne nécessairement l’oppression de tous les autres.
Pour comprendre comment une société peut vivre sans gouvernement, il suffit d’observer qu’en réalité, la plus grande partie de la vie sociale s’accomplit aujourd’hui hors des limites d’intervention du gouvernement.
Si le peuple avait la possibilité de penser par lui-même à la production et à l’alimentation, il ne se laisserait pas mourir de faim en attendant qu’un gouvernement ait fait des lois dans ces domaines.
Quand l’intérêt de tous sera l’intérêt de chacun (et il le sera nécessairement si la propriété individuelle n’existe pas), tous agiront.
Errico Malatesta refuse de donner une solution officielle à tous les problèmes qui se présenteront dans la société future car ce serait se déclarer gouvernement et prescrire un code universel pour tous les hommes à la façon des législateurs de la religion.
Texte d’une grande clarté et d’une immense portée.
L’ANARCHIE
Errico Malatesta
114 pages – 5 euros
Éditions Lux – Collection « Instinct de liberté » – Montréal – Août 2012.
Première publication en 1902.
Le texte intégral est aussi disponible ici :
http://kropot.free.fr/Malatesta-Anarchi ... archie.htm
La collection « Instinct de liberté », dirigée par Marie-Ève Lamy et Sylvain Beaudet, propose des textes susceptibles d’approfondir la réflexion quant à l’avènement d’une société nouvelle, sensible aux principes libertaires.
https://bibliothequefahrenheit.blogspot ... .html#more
L’ENTRAIDE, UN FACTEUR DE L’ÉVOLUTION
Afin de démontrer que l’entraide est un facteur essentiel de la survie des sociétés humaines et pour contredire le discours dominant prônant l’individualisme et la concurrence entre tous, Pierre Kropotkine (1842-1921) recense les différents regroupements de personnes existant.
Dès le XVe siècle, en Angleterre, meilleur exemple de la politique industrielle des États modernes, le Parlement commence la destruction des guildes, associations de personnes poursuivant un but commun qui s’étaient considérablement développées au Moyen Âge. Il entreprit bientôt, avec le roi, de réglementer chaque métier et les techniques même de fabrication, fixant le nombre d’apprentis et celui de fils dans chaque mètre d’étoffe, avec plus ou moins de succès. En 1799, suivant l’exemple de la Convention révolutionnaire française, il considéra toute association comme un attentat contre la souveraineté de l’État, achevant ainsi son œuvre de destruction. C’est ainsi que la tendance à l’entraide eut à frayer son chemin. Pendant tout le XVIIIe siècle, les unions d’ouvriers furent continuellement reconstituées. Au XIXe siècle, les grèves furent interdites et réprimées jusqu’à ce que le droit de s’associer fut conquis et qu’un quart des ouvriers, soit 1 500 000, soit syndiqué.
Bien que la grève soit un sacrifice déchirant, avec risque de fusillade, il y en a chaque année des milliers. Les plus longues et les plus terribles sont en général des « grèves de sympathie ». Elles sont toujours l’occasion d’importantes démonstrations de soutien mutuel.
À l’origine, le mouvement des associations coopératives avait essentiellement un caractère d’entraide, même si maintenant se sont plutôt des compagnies d’actionnaires individualistes. Ses plus ardents promoteurs demeurent persuadés que la coopération amènera l’humanité à un état de plus parfaite harmonie dans ses relations économiques. La coopération reste importante en Angleterre, en Hollande, au Danemark et en Allemagne où on comptait 31 473 associations de production et de consommation sur le Rhin moyen vers 1890 mais c’est en Russie qu’elle reste un développement naturel, un héritage du Moyen Âge. Les artels (ou guildes), coopératives spontanées, forment la substance même de la vie paysanne. L’histoire de la formation de la Russie et de la colonisation de la Sibérie, est une histoire des artels pour la chasse et le commerce continués par des communes villageoises. Par exemple, le fleuve Oural appartient à l’ensemble des Cosaques qui partagent entre leurs villages, sans aucune ingérence des autorités, les lieux de pêche. De même, les esnafs de Serbie ont entièrement conservé leur caractère du Moyen âge, réglant les métiers et l’entraide en cas de maladie ; les amkaris du Caucase exercent en plus une influence considérable dans la vie municipale ; les friendly societies anglaises et les clubs Odd Fellows, organisés dans les villes et les villages pour payer le médecin, les enterrements.
L’association des bateaux de sauvetage en Angleterre, entretient trois cents bateaux le long des côtes. Leurs équipages sont composés de volontaires, prêts à sacrifier leur vie pour porter secours à des gens qui leur sont étrangers. C’est le fond de la psychologie humaine, ils « ne peuvent y tenir », explique l’auteur, d’entendre appeler au secours et de ne pas y répondre. Les sophismes du cerveau ne peuvent résister au sentiment d’entraide, parce que ce sentiment a été nourri par des milliers d’années de vie humaine sociale et des centaines de milliers d’années de vie pré-humaine en sociétés.
Parmi les mineurs et les marins, les occupations communes et le contact de chaque jour les uns avec les autres, créent un sentiment de solidarité en même temps que les dangers environnants entretiennent le courage et l’audace. Dans les villes au contraire, l’absence d’intérêts communs produit l’indifférence.
Il énumère ensuite les innombrables société, clubs et unions pour les plaisirs de la vie, pour l’étude, pour les recherches, pour l’éducation… L’Alliance des Cyclistes ou le Touring Club en France, forment une sorte de « franc-maçonnerie pour l’aide mutuelle ». Elles ne modifient certainement pas les stratifications économiques de la société mais elles contribuent à niveler les distinctions sociales et, unies en fédérations nationales et internationales, elles aident au développement des rapports amicaux à travers le monde.
Pendant près de trois siècles on empêcha les hommes de se tendre la main, même dans des buts littéraires, artistiques ou d’éducation. Des sociétés ne pouvaient se former que sous la protection de l’État ou de l’Église, ou comme confréries secrètes, à la façon de la franc-maçonnerie. Maintenant que la résistance est brisée, elles essaiment dans toutes les directions.
Tandis que le Christianisme primitif, comme toutes les autres religions, était un appel aux grands sentiments humains d’entraide et de sympathie, l’Église chrétienne a aidé l’État à détruire toutes les institutions d’entraide et de soutien mutuel. Au lieu de l’entraide, elle a prêché la charité qui prend un caractère d’inspiration divine et implique une certaine supériorité de celui qui donne sur celui qui reçoit.
La conclusion de l’ouvrage est celle de la version intégrale du texte. Étrange objet éditorial donc, qui donne surtout de lire la version intégral, ce que nous ne manquerons pas de faire prochainement.
Pierre Kropotkine rappelle que dans le monde animal, la grande majorité des espèces vivent en sociétés et trouvent dans l’association leur meilleur arme pour la « lutte pour la vie » comprise dans le sens large de Darwin c’est-à-dire une lutte contre toutes les conditions naturelles défavorables à l’espèce et non comme une lutte pour les simples moyens d’existence. Les espèces les plus nombreuses sont celles dans lesquels la lutte individuelle a été réduite à ses plus étroites limites. Les espèces non sociables sont condamnées à dépérir.
Les tribus et les clans humains primitifs ont développé un grand nombre d’institutions sociales puis, ils se sont développés sur la base de la possession et la défense en commun d’un territoire, sous la juridiction de l’assemblée, reliés en fédération de villages. Les cités furent constitués sur un double réseau d’unités territoriales combinées avec les guildes.
Bien que le développement de l’État sur le modèle de la Rome impériale ait violemment mis fin à toutes les institutions d’entraide du Moyen âge, la tendance à l’entraide réapparu et s’affirma dans une infinité d’associations.
Instauré comme principe moral par le bouddhisme primitif, les premiers chrétiens, les écrits de quelques docteurs musulmans, aux premiers temps de la Réforme, puis par les philosophes du XVIIIe siècle, les idées de vengeance et de « juste rétribution » sont affirmées de plus en plus vigoureusement. Donner plus que l’on attend de recevoir de ses voisins est proclamé comme un principe supérieur à la simple notion d’équivalence, d’équité ou de justice, comme un appel à ne faire qu’un avec tous les êtres humains. La pratique de l’entraide est la source positive du progrès moral de l’homme.
Cet ouvrage ne nous aura que mis en appétit de sa version intégrale.
L’ENTRAIDE, UN FACTEUR DE L’ÉVOLUTION
Pierre Kropotkine
Introduction d’Isabelle Pivert
66 pages – 7 euros.
Éditions du Sextant – Collection « Les increvables » – Paris – janvier 2010
Chapitre extrait de L’Entraide, publié pour la première fois en 1906
http://www.editionsdusextant.fr
http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more