J'avais eu 'impression qu'une partie de la pensée libertaire ou anarcho-syndicaliste avait endossé, à la fois consciemment et comme moindre mal face au totalitarisme soviétique (et nazi), à l'échec des révolutions violentes, un certain pragmatisme réformiste.
J'avais aussi soulevé la questions de deux textes contemporains allant dans le même sens publiés sur le site de la CNT-F. personne n'avait su ou voulu y répondre (il y a pourtant peu de textes "théoriques" sur le site de la CNT-F)
Une extrait d'un texte tardif de Gaston Leval vient me reposer cette question. Le voici :
Et je dis et je maintiens que le peuple, dont je suis, moi dont la jeunesse a été telle que je n’ai pas même
pu apprendre un métier, et qui par conséquent ne parle pas « du peuple » comme d’une catégorie sociale
qui m’est étrangère, mais qui au contraire en parle comme je le fais parce que je le connais, je maintiens
que le peuple n’est pas préparé pour faire une telle révolution, pour transformer la société dont le plus
souvent il n’a pas même le sentiment ou la conscience. Je considère une ineptie ou un crime que de
pousser à une crise révolutionnaire. Et je ne vois pas d’autre solution que celle des réalisations partielles
sans détruire l’organisme économique capitaliste. Proudhon écrivait - je ne sais plus où - qu’il chargeait
les travailleurs de prendre l’héritage de la société actuelle et de le développer: il ne s’agissait pas pour lui
de détruire ce qu’a créé le capitalisme, malgré les souffrances que cela a causé au peuple, malgré les
atrocités de la work house et de la fabrique. Il s’agissait d’en assumer la continuité, pour le bien de tous.
Or, la vie de relation est telle aujourd’hui qu’une entreprise de transformation dans de très vastes secteurs [pose]
des problèmes de dimensions terrestres qui, pour cela, sont insolubles.
Il est donc inévitable de les envisager à l’échelle du possible. Parmi nos idées, et celles de certains de nos
penseurs, il y a beaucoup de choses à revoir. Telle est la vérité.
http://ablogm.com/cats/2012/10/07/la-cr ... ton-leval/
Au fond, le mouvement libertaire n'est-il pas une dynamique égalitaire et démocratique qui vient radicaliser la démocratie bourgeoise existante (en essayant de trouver les moyens d'une extension de la démocratie effective dans la sphère économique) plutôt qu'un mouvement révolutionnaire de rupture violente (qui prendrait ainsi le risque de dégénérer en totalitarisme de type soviétique) ?
N'est-ce pas exactement ce qu'ont entrevu beaucoup de "responsables" anarchistes espagnols lors de la révolution espagnole : comment tenir compte de la diversité politique et ne pas tomber dans la dictature et le substitutisme (ce qui ne résout pas la question des manoeuvres staliniennes en Espagne) ?
Cette interrogation fait échos à celle que je pose à René Berthier dans un autre fil : quelle orientation stratégique ? D'autant que le site "Monde Nouveau" renvoie souvent à la pensée de G. Leval.
Je précise que je parle, si ça peut éviter certains malentendus, d'un point de vue autogestionnaire / réformiste radical / socialiste libertaire non dogmatique (entre AL, les Alternatifs, le zapatisme pour faire court).