Plusieurs retours, l'un d'entre eux est très intéressant car il cristallise un ensemble d'autres points de vues qui m'ont été adressés sur ce texte. La critique qui m'a été adressée est multiforme car elle repose :
- sur ce que je n'ai pas écrit car n'entrant pas dans le sujet,
- les intentions cachées qu'on me porte
- des incompréhensions naturelles lorsqu'un échange s'établit entre individus.Je réponds donc ici à un e-mail (très long) mais comme il s'agit de la publication
publique d'une correspondance
privée je ne dévoilerais pas l'identité (sauf s'il le souhaite car je lui envoie le lien direct du forum) de son auteur.
Commençons donc la liste des reproches qui ont été établis car ils permettront de dissiper tout malentendu :
Il suffit de lire les textes des partis communistes ouvriers d’Iran et d’Irak, textes bien antérieurs au 11 septembre et même à l’intérêt pour l’islamisme, pour comprendre que la critique de l’islam n’a rien à voir avec l’islamophobie imaginaire que toi et d’autres construisez patiemment avec l’aide de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, de l’Organisation de la Conférence islamique, des gouvernements américains et d’une bonne partie des intellectuels de gauche.
Je n'ai jamais fait l'amalgame entre la "critique de l'Islam" et l'islamophobie, c'est une production de ton imagination. Si je passe le fait que je n'ai jamais utilisé la date -superficielle, fétichiste et politicienne- du 11 septembre (et le reste de la phrase où l'on m'accuse de travailler pour l'Organisation de la conférence islamique), l'intérêt ici est : il existe une critique de l'islam et celle-ci est communiste. Aveu suprême, elle émane des communistes
irakiens et
iraniens. Soit. Voyons donc de plus près avec le cas iranien :
-les communistes iraniens ont une critique de l'islam non pas comme
choix idéologique mais comme réalité pratique face à la mollahcratie. L'alliance du clergé chi'ite et de la bourgeoisie bazari se constitue en 1979 (cette alliance réactionnaire existait déjà depuis 1890!) comme une force opposée à la classe ouvrière, les liens étroits entre la mollahcratie et le profit de la rente pétrolière, l'utilisation répressive de l'idéologie religieuse par ce clergé dans le but d'une pacification sociale, font de la mollahcratie une partie -centrale, avec les bazaris- de la classe dominante en Iran, l'anti-cléricalisme et la critique de la religion est alors une nécessité pratique pour la lutte des classes et ses formes politiques d'oppression sont à combattre. A cela on peut ajouter l'athéisme iranien qui n'a rien de négligeable et qui permet aux communistes et hekmatistes de développer une critique virulente du clergé et de la religion, notamment à travers les écrits de Mansoor Hekmat que tu dois bien connaître,
- Mansoor Hekmat lui même faisait la différence entre un prolétariat athée (comme la classe ouvrière émigrée iranienne) et de faire la différence entre l'Iran et
L'ORGANISATION A L'ETRANGER DU PARTI COMMUNISTE OUVRIER D'IRAN LE COMITE DE SUEDE 13 JUIN 1997 a écrit:un pays où l'islam est influent parmi ses émigrés, mais pour une organisation qui à affaire aux immigrés venus d'Iran, citadins et profondément anti-religieux, (...) Une organisation, qui veut, encore, diviser l'islam et le mouvement islamique en bon et mauvais, modéré et fondamentaliste, mangeable et empoisonné, populaire et anti-populaire,
La critique de l'islam par un communiste iranien menacé par la réalité de l'existence du clergé iranien n'est pas l'islamophobie d'un péril fantasmé de l'islam en Europe, ce qui est une réalité là bas et une intoxication médiatique ici n'est pas du même ressort.
Du clergé comme force socio-politique :
http://www.marxists.org/francais/hekmat ... 10000b.htmMansoor Hekmat a écrit:Par religion, bien entendu, j’entends la machinerie religieuse et certaines religions et non la pensée religieuse ni même la croyance en des religions anciennes ou existantes. Je suis anti-religieux et je souhaite que la société impose plus de limitations, au-delà de la simple laïcité, à la religion organisée et à l’"industrie religieuse".
Comme je l'ai écrit dans mon texte Hekmat fait lui aussi la différence entre croyance individuelle et "machinerie religieuse".
L’islamophobie est un épouvantail construit de toutes pièces qui a plusieurs fonctions
- introduire une concurrence avec la judéophobie (autre tentative idéologique pour remplacer l’antisémitisme par un concept tellement large qu’il empêche toute critique d’Israel), et rester dans une analyse psychologique (“phobique”) du racisme. Double voire triple intérêt, minimiser l’antisémitisme actuel religieux et politique, comparer le judéocide au nettoyage ethnique entrepris par Israel, créer une concurrence absurde des mémoires. Rester dans l’affectif et justement pas sur le terrain rationnel que tu invoques comme plus efficace mais que tu te gardes bien d’illustrer par des exemples concrets....
L'islamophobie n'est pas un épouvantail imaginaire mais une idéologie revendiquée comme telle et s'inscrivant dans l'ensemble très réactionnaire de "guerres de civilisations". Politiser une
phobie est effectivement psychologique mais ce fondement psychologique n'exclut pas son existence revendiquée, sa matérialisation en idéologie. Que cette surface cache des motifs "rationnels" est alors une évidence.
L'islamophobie arrange aussi bien la réaction islamique que ses détracteurs, l'un et l'autre se nourrissent réciproquement, et je les ai renvoyé dos à dos dans le texte que je t'ai envoyé.
isoler les athées dans les pays dits musulmans, permettre leur condamnation, leur persécution, leur condamnation à mort ou leur mutilation; permettre aux régime des pays dits musulmans de régenter la vie privée et sociale au nom d’interprétations les plus réactionnaires possibles de leur tradition religieuse.
Aucun rapport avec la position développée dans mon texte, qui renvoie dos à dos les forces réactionnaires de tous les côtés. Encore une fois il s'agit là d'un procès d'intention : on ne juge pas ce qui est écrit mais
ce qui n'est pas écrit.
Il semble qu'en plus de nier l'existence d'une étiquette (l'islamophobie) qui s'articule avec une idéologie (raciste) construite, tu ne sembles pas pouvoir admettre qu'il existe une critique communiste de cette étiquette (et des forces réactionnaires qui la composent) qui soit également hostile aux dérives liées à la critique d'Israël.
Pour ne pas laisser de t'étonner je t'affirme donc qu'en plus de ne pas être islamophobe (
mais contre les oppressions religieuses dans leur ensemble) je ne suis pas antisioniste (
mais contre les 'oppression coloniales dans leur ensemble).
C'est toute la différence entre une critique spécifique d'un phénomène (forcément orienté) et la critique de l'ensemble qui inclut ce phénomène. Toute la différence entre un prolétaire israëlien qui doit s'affirmer antisioniste (sionisme comme réalité politique réactionnaire opposée à sa condition de classe) et un complotiste parisien dont l'antisionisme n'est qu'une étiquette articulée avec une idéologie raciste (antisémite) réelle. Toute la différence entre la critique en actes d'un prolétaire iranien face à la religion comme réalité dans le contexte d'un affrontement de classe avec le clergé et un pseudo-libertaire islamophobe "victime" de l'intoxication paranoïaque ambiante sur l'islamisation prétendue de la société.
justifier les alliances politiques et/ou le soutien politique de forces type Hamas, Hezbollah, Frères musulmans, etc.
Là c'est un glissement subjectif qui demanderait des exemples concrets.
Tes allusions à l’anticléricalisme sont à la fois justes et beaucoup trop générales pour être convaincantes. Quant à l’anticléricalisme dit libertaire ou anarchiste il est resté congelé dans le formol, donc il ne m’intéresse pas et ne permet pas de penser le religieux
Que cet anticléricalisme libertaire ou anarchiste soit "resté congelé dans le formol" ne change rien au fait qu'il soit recyclé de nos jours par toute une frange de l'anarchisme.
Quant à tes réflexions géopolitiques, elles ne sortent pas du cadre intellectuel de la guerre froide, ou de la vision qu’avaient les partisans de l’URSS avant la Seconde Guerre mondiale. Il n’existe plus depuis belle lurette de bourgeoisie ou d’Etat progressiste (n’étant pas marxiste, je dirai même qu’il n’y en avait pas non plus au 19e siècle contrairement à ce que pensait Marx). Il existe des puissances, petites, moyennes et grandes, qui toutes essaient de s’imposer sur le marché mondial, par les armes économiques, par la propagande, par la guerre quand c’est nécessaire. Il n’existe pas de fractions de bourgeoisie progressistes, non plus, ni de bourgeoisies progressistes.
Encore faut-il savoir ce que Marx entendait par "progressisme" : de ne pas être "marxiste" (Marx ne l'était pas non plus) n'empêche pas de comprendre que la
bourgeoisie "progressiste" face au conservatisme ou aux restes de féodalité de l'époque de Marx prenait un sens tout différent de ce qu'on entend aujourd'hui. Cependant, connaissant l'ambigüité de ce terme (et le peu d'intérêt à l'articuler avec le sujet présent)
je n'ai à aucun moment employé ce terme.
Encore moins d'Etat progressiste. Mes conceptions "géopolitiques" ne sont donc en rien rattachées aux schémas de pensée de la guerre froide.
Nous avons le devoir en tant que personnes vivant en France de dénoncer l’Etat français d’abord, mais sans pour autant présenter comme progressistes, ou moins dangereux les autres Etats qu’il s’agisse d’Israel, de la Turquie, de la Somalie, de la Chine, de la Russie, du Pakistan, de l’Indonésie, du Venezuela, de la Bolivie, du Brésil... Ou du Vatican ! Ni tous les mouvements soi-disant anti impérialistes dont la seule idée est de construire un autre Etat bourgeois, de créer une autre petite puissance qui s’alliera à d’autres.
Nous sommes complètement d'accord.Il est évident que l’idéologie de l’anti-islamophobie sert les intérêts des 57 Etats de l’OCI, mais aussi d’ailleurs, bien d’autres Etats, à commencer par les Etats-Unis qui eux aussi raisonnent en termes de prétendue liberté des religions comme de nombreux gauchistes anglosacons, alors qu’ils ont toujours persécuté leurs oppositions intérieures radicales des anarchistes jusqu’aux staliniens en passant par les trotskystes, les Black Panthers, etc.
Encore une fois, nous sommes complètement d'accord.Voir à ce sujet le pire produit de l'islamophobie : l'islamophilie du SWP.
L’anti-”islamophobie” n’a de sens que si on fait la différence entre
le racisme pur et simple contre les Arabes, les Iraniens, les Turcs, les Indonésiens, même s’il se réclame des Lumières ou du rationalisme
et la critique des religions, ce que tu ne fais pas, en tout cas pas de façon concrète.
C'est vrai.
Développer une critique de la religion n'était pas le but de mon intervention.
Je ne vois aucune raison d’inventer un nouveau mot pour désigner un vieux phénomène : le racisme qui n’a rien à voir avec la critique des religions ou l’anticléricalisme.
C'est un fait, ce mot a été inventé, et a été inventé pour masquer le racisme institutionnel tel que je le décris à propos de l'idéologie de l'intégration.
Il faut séparer le racisme anti-Arabes,, de la xénophobie contre tous les étrangers non-Européens, de l’intolérance vis-à-vis des pratiques religieuses musulmanes, etc. Toutes attitudes condamnables mais qu’il ne faut pas confondre dans un concept fourre-tout et confusionniste comme celui d’islamophobie. Car sinon on va et c’est déjà fait parler de christophobie, de judéophobie, de bouddhistophobie, etc.
Ca demanderait à être approfondi.
Plutôt que de néocolonialisme, je parlerai de racisme institutionnel, autre forme de racisme beaucoup plus vicieuse et peu dénoncée en France. Ce racisme institutionnel est profondément xénophobe, et peut se parer de l’idéologie républicaine ou démocratique. La référence au néocolonialisme est pour moi souvent un moyen d’éviter de discuter du racisme instituionnel.
J'ai parlé des deux et je l'affirme encore.
Ton texte présente des généralités sur les religions et fait semblant de croire qu’un athée militant est FORCEMENT hostile à toute action commune avec des croyants. Pour ce qui me concerne, en tant que catholique converti quand j’étais ado puis devenu athée quelques années plus tard, puis aujourd’hui en tant que militant aux côtés des sans papiers, je ne me suis jamais posé D’ABORD la question de la religion avant d’entamer une lutte aux côtés de quelqu’un ou d’un groupe donné.
C’est aux croyants de se positionner dans les luttes comme je l’ai fait moi-même quand j’étais catho, et à eux de voir s’ils peuvent oui ou non participer à des luttes. Ce n’est pas aux athées et aux agnostiques de se demander qu’est-ce qui pourrait faciliter ou pas l’unité d’action avec les croyants. Car ceux-ci ne se posent absolument pas la question et n’ont aucun respect particulier pour les athées ou les agnostiques... En tout cas toutes les religions condamnent violemment l’athéisme, l’apostasie, etc. Et chaque fois qu’elles en ont eu le pouvoir elles n’ont pas hésité à utiliser la censure, l’enfermement, la torture et la peine de mort contre les incroyants.
Mais c’est justement la mode de l’anti-islamophobie qui impose aux athées et aux agnostiques non seulement de fermer leur gueule à tout moment, mais en plus d’accepter des meetings avec les femmes à un étage les hommes à un autre (cas de la GB), l’apparition de prières publiques pendant les manifestations publiques contre la guerre (GB encore une fois), etc.
Là je comprends que cela ne soit pas clair : cette partie du texte répondait à la position exprimée par certains libertaires sur des forums au sujet de l'incapacité supposée des croyants à participer à un projet d'émancipation. Elle répondait également aux interrogations par e-mails de certains militants qu'il ne m'était pas possible de publier afin de ne pas alourdir le texte.
Bref les anti islamophobes de gauche sont les meilleurs agents non seulement de l’obscurantisme religieux chez les croyants mais aussi du contrôle de l’espace public que veulent imposer les tendances religieuses les plus militantes.
Je ne pense pas qu'il y ait un syndrome SWP en France.
Il faut établir des nuances entre les différentes formes militantes du refus de l'islamophobie. Celles ci excluent l'islamophilie de la même façon.
Je n’ai aucune sympathie politique pour Fourest, mais la qualifier de raciste c’est ne pas avoir lu un seul de ses livres à commencer par son dialogue avec Taslima Nasreen.... Une autre “islamophobe” selon tes critères....
Je ne connais pas bien cette Fourest en dehors du fait qu'elle participe à des petites fêtes de la gauche étatiste, ce qui m'indiffère d'une certaine façon. Je n'ai donc jamais manifesté d'hostilité à son égard (en attendant d'être plus informé).
Pour ce qui est de Taslima Nasreem elle n'est pas islamophobe, elle n'est même jamais tombée dans le piège de la critique exclusive d'une religion (pourtant cela aurait paru logique) mais son expérience de l'oppression religieuse l'a très justement conduit à critiqué l'ensemble de la machinerie religieuse.