de digger » 03 Aoû 2013, 17:22
7. Mystifier le Primitif.
Le corollaire de l'anti-technologisme et de l'anti-civilisationnalisme est le primitivisme, une glorification édénique de la préhistoire et le désir de retourner d'une manière ou d'une autre à son innocence supposée. Les anarchistes lifestyle tels que Bradford tirent leur inspiration des peuples indigènes et des mythes d'une préhistoire édénique. Les primitifs, dit-il, "refusèrent la technologie" – ils "réduisirent au minimum le poids relatif des techniques instrumentales et pratiques et amplifièrent l'importance des... techniques extatiques.". Il en fût ainsi parce que les primitifs, avec leurs croyances animistes, furent saturés d' "amour" de la vie animal et de la nature sauvage – pour eux, "animaux, plantes, et objets naturels" étaient "des personnes, et même des parents" (CIB ***, p. 11)
En conséquence, Bradford s'oppose à la perspective "officielle" qui décrit les modes de vie des cultures de quête de nourriture préhistoriques comme "terrible, brutale et nomade, une lutte sanglante pour l'existence". Il préfère glorifier "le monde primitif" comme, selon Marshall Sahlins, "la société d'abondance originelle", abondance, parce que ses besoins sont rares, tous ses désirs sont facilement satisfaits. Sa boîte à outil est élégante et légère, son point de vue est linguistiquement complexe et conceptuellement profond et pourtant simple et accessible à tous. Sa culture est étendue et extatique. Elle est collective, sans propriété, égalitaire et coopérative... elle est anarchique... libre de travail... C'est un société qui danse, une société qui chante, une société qui célèbre, une société qui rêve. (CIB, p. 10 ***)
Les habitants du "monde primitif", selon Bradford, vivaient en harmonie avec le monde naturel et jouissaient de tous les avantages de l’abondance, y compris beaucoup de temps libre. La société primitive, souligne-t-il, était "libre de travail" puisque la chasse et la cueillette demandaient beaucoup moins d'efforts que ce que les gens fournissent aujourd'hui avec la journée de huit heures. Ils concèdent avec compassion que la société primitive était "susceptible de connaître la faim occasionnellement". Cette "faim", cependant, était en réalité symbolique et auto-infligée, voyez vous, parce que les primitifs "[choisissaient] parfois la faim pour accroître l'inter-relation entre les personnes, pour jouer, ou pour avoir des visions" (CIB, p. 10 ***)
Cela demanderaient un essai entier pour faire la part du vrai ou du faux, sans parler pour réfuter, ces sornettes absurdes, parmi lesquelles quelques vérités sont, soit amalgamées avec, soit enrobées, dans de la pure fantaisie. Bradford base son récit, nous dit-il, sur "un meilleur accès aux perspectives des primitifs et leur descendants autochtones" grâce à " une anthropologie plus critique" (CIB, p. 10 ***). En fait, une majeure partie de son "anthropologie critique" semble dérivée du symposium "L'homme chasseur" [Man, The Hunter], tenu en avril 1966 à l'université de Chicago (16). Bien que la plupart des exposés présentés à ce symposium étaient d'une très grande valeur, un certain nombre d'entre eux se conformait à la mystification naïve de la "primitivité" qui était en train de s'infiltrer dans la contre-culture des années 1960 – et qui persiste aujourd'hui. La culture hippie, qui influença un bon nombre d'anthropologues de l'époque, affirmait que les peuples de chasseurs-cueilleurs d'aujourd'hui avaient été ignorées des forces économiques et sociales à l’œuvre dans le reste du monde et vivaient encore dans un état originel, comme vestiges des modes de vie néolithiques et paléolithiques. De plus, en tant que chasseurs-cueilleurs, leurs vies étaient notablement plus saines et pacifiques, en vivant maintenant comme autrefois sur une ample largesse naturelle.
Ainsi, Richard B. Lee, co-éditeur de la compilation d'exposés de la conférence, estima que les apports caloriques des "primitifs" étaient tout à fait élevés et que leurs sources de nourriture étaient abondantes, engendrant l’idée d’une sorte d' "abondance" virginale dans laquelle les gens n'avaient besoin de chasser/cueillir que quelques heures par jour. "La vie dans l'état de nature n'est pas nécessairement désagréable, brutale, et courte" écrit Lee. L'habitat des Bushmen Kung du désert du Kalahari, par exemple, est "abondant en nourritures naturellement disponibles". Les Bushmen de la région de Dobe, qui, écrit Lee, étaient encore au seuil du néolithique, vivent bien aujourd'hui grâce aux plantes sauvages et à la viande, malgré le fait qu'ils sont confinés dans la portion la moins productive des zones dans lesquelles les Bushmen vivaient autrefois. Il est probable qu'une base de subsistance encore plus substantielle fût caractéristique de ces chasseurs-cueilleurs du passé, quand ils avaient le choix parmi les habitats africains. (17)
Pas tout à fait ! – comme nous allons le voir bientôt.
C’est une pratique bien trop courante chez ceux qui se pâment devant la "vie primitive" de d’amalgamer ensemble plusieurs millénaires de préhistoire, comme si des espèces hominidées et humaines significativement différentes vécurent dans un même genre d'organisation sociale. Le mot préhistoire est hautement ambigüe. Étant donné que le genre humain inclut plusieurs espèces différentes, nous pouvons difficilement assimiler le "point de vue" des chasseurs-cueilleurs de l'Aurignacien Magdalénien (Homo sapiens sapiens) d'il y a 30 000 ans, avec celui d'Homo Sapiens neanderthalensis ou d'Homo Erectus, dont les outils, les capacités artistiques, et les capacités de langage étaient remarquablement différentes.
Une autre question est de savoir dans quelle mesure les chasseurs-cueilleurs de différentes époques vécurent dans des sociétés non-hiérarchiques. Si les sépultures de Sungir (dans l'actuelle Europe de l'est) d'il y a 25 000 ans permettent toutes les spéculations (et il n'y a pas personne du Paléolithique pour nous parler de leur vie), la collection extraordinairement riche de bijoux, lances, javelots en ivoire, et de vêtements perlés sur les sites funéraires de deux adolescents suggèrent l'existence de lignées familiales de haut statut social bien avant que les humains ne se sédentarisent avec l'agriculture. La plupart des cultures du Paléolithique étaient probablement relativement égalitaires, mais la hiérarchie semble avoir existé dans le Paléolithique tardif, avec de fortes variations dans le degré, le type, et l’ampleur de la domination qui ne peuvent pas être intégrées dans des hymnes rhétoriques d’un égalitarisme Paléolithique.
Une question supplémentaire qui se pose est la variation – l'absence, dans les premiers temps– des capacités de communication à différentes époques. Dans la mesure où le langage écrit n'est pas apparu avant une période bien avancée de l’époque historiques, les langages des Homo sapiens sapiens anciens n'étaient guère " profonds conceptuellement". Les pictogrammes, glyphes, et, surtout, le matériel mémorisé sur lequel les gens "primitifs" se fiaient pour la connaissance du passé présentent des limites culturelles évidentes. Sans une littérature écrite qui enregistre la sagesse cumulée des générations, la mémoire historique, sans parler de pensées "profondes conceptuellement" sont difficiles à conserver; elles sont plutôt peu à peu perdues ou déplorablement distordues. L'histoire transmise oralement est moins que tout sujette à la critique exigeante, mais, en outre, devient facilement un outil pour une élite de "devins" et les chamans qui, loin d'être des "proto-poètes" ainsi que Bradford les appelle, semblent avoir utilisé leur "savoir" pour servir leurs propres intérêts sociaux. (18)
Ce qui nous amène, inévitablement, à John Zerzan, le primitiviste anti-civilisationnel par excellence. Pour Zerzan, un des piliers de Anarchy: A journal Of Desire Armed (Anarchie : un journal du désir armé), l'absence de parole, de langage, et d'écriture est une bénédiction. Autre hôte de la distorsion temporelle de "L'homme chasseur", Zerzan soutient dans son livre " Future Primitive" [Primitif du Futur] (FP) que "la vie avant la domestication/agriculture était en fait largement une vie de loisir, d'intimité avec la nature, de sagesse sensuelle, d'égalité sexuelle, et de santé" (19) – à la différence que la vision de la "primalité" de Zerzan se rapproche plus de l'animalité quadrupède. En fait, dans la paléoanthropologie Zerzanienne, les distinctions anatomiques entre Homo sapiens, d'un côté, et Homo habilis, Homo erectus, et le "très critiqué" Néanderthal, de l'autre, sont douteuses; toutes les premières espèces du genre Homo, selon lui, possédaient les capacités physiques et mentales de l’Homo Sapiens et vécurent qui plus est dans une félicité primitive pendant plus de deux millions d'années.
Si ces hominidés étaient aussi intelligents que les humains modernes, sommes-nous naïvement tentés de demander, pourquoi n'ont-ils pas initié de changement technologique ? "Il m’apparait comme très plausible", conjecture brillamment Zerzan, "que l'intelligence, inspirée par le succès et la satisfaction d'une existence de chasseurs-cueilleurs, est la raison même de l'absence marquée de 'progrès'. La division du travail, la domestication, la culture symbolique – tout cela fût à l'évidence [!] refusé jusqu'à très récemment." Les espèces du genre Homo "choisirent longtemps la nature plutôt que la culture", et par culture Zerzan entend ici "la manipulation des formes symboliques
fondamentales" – un fardeau aliénant. En effet, continue-t-il, "le temps réifié, le langage (écrit, certainement, et probablement le langage parlé pour toute ou la majeure partie de cette période), les chiffres et l'art n'avait aucune place, malgré une intelligence pleinement capable de les assimiler." (FP, pp. 23, 24).
En bref, les hominidés étaient capables de symboles, de parole, et d'écriture mais les rejetèrent délibérément, puisqu'ils pouvaient se comprendre, eux et leur environnement, instinctivement, sans y recourir. Donc Zerzan s'empresse de tomber d’accord avec un anthropologue qui médite sur le fait que "la communion San/Bushman avec la nature a atteint un niveau d'expérience que nous pourrions presque qualifier de mystique. Par exemple, ils semblent savoir ce que c'est réellement
d'être un éléphant, un lion, une antilope" et même un baobab (FP, pp. 33-34).
La "décision" consciente de refuser le langage, les outils sophistiqués, la temporalité et la division du travail (vraisemblablement, ils essayèrent, puis grognèrent : "Pouah !" ) fut prise, nous dit-il, par Homo abilis, qui, noterais-je, avait à peu près la moitié de la taille du cerveau des humains modernes, et était probablement dépourvu des capacités anatomiques requises pour le langage syllabique. Pourtant nous devons en croire l'autorité souveraine de Zerzan que abilis (et peut-être même Australopithecus afarensis, qui était sans doute dans le coin "il y a quelques deux millions d'année", possédaient "une intelligence pleinement capable – rien de moins ! – pour ces fonctions mais refusèrent de les utiliser. Dans la paléoanthropologie Zerzanienne, les premiers hominidés ou humains pouvaient adopter ou rejeter des traits culturels essentiels comme le langage avec une sagesse sublime, tout comme les moines font vœu de silence.
Mais une fois que le vœu de silence fût brisé, tout parti à vau-l'eau ! Pour des raisons connues seulement de Dieu et de Zerzan.
L'émergence de la culture symbolique, avec sa volonté inhérente de manipulation et de contrôle, ouvrit bientôt la porte à la domestication de la nature. Après deux millions d'années de vie humaine à l'intérieur des frontières de la nature, en adéquation avec les autres espèces sauvages, l'agriculture changea notre style de vie, notre façon de nous adapter, d'une manière sans précédent. Jamais auparavant, une espèce n’avait connu un changement aussi radical et rapide... L'auto-domestication par le langage, le rituel et l'art inspira l'apprivoisement des plantes et des animaux qui suivit. (FP, pp. 27-28)
Il y a une certaine splendeur vraiment saisissante dans ces âneries . Des époques, des espèces hominidés et/où humaines, et des situations écologiques et technologiques profondément différentes sont toutes agrégées sous la forme d'une vie partagée "à l’intérieur des frontières de la nature". La simplification par Zerzan de la dialectique extrêmement complexe entre les natures humaines et non-humaines révèle une mentalité si réductionniste et si simpliste que l'on ne peut que la considérer qu’ avec stupéfaction.
Il y a certainement beaucoup à apprendre des cultures pré-littéraires – les sociétés organiques, comme je les appelle dans "Écologie de la Liberté" – surtout en ce qui concerne la mutabilité de ce qui est couramment appelé la "nature humaine". Leur esprit de coopération dans le groupe et, dans les meilleurs cas, leur aspect égalitaire, sont non seulement admirables – et socialement nécessaires étant donné le monde précaire dans lequel ils vivent – mais fournissent aussi des preuves convaincantes de la malléabilité du comportement humain, en contraste avec le mythe selon lequel la compétition et la cupidité sont des attributs humains innés. En fait, leurs pratiques d'usufruit et de l'inégalité des égaux sont d’une grande pertinence pour une société écologique.
Mais l'idée que les peuples "primitifs" ou préhistoriques révéraient la nature non-humaine est au mieux spécieuse, et au pire totalement malhonnête. En l'absence d'environnement "artificiels" tels que des villages et des villes, la notion même d'une « Nature » distincte de l'habitat n’était pas encore conceptualisée – une expérience réellement aliénante, selon Zerzan. Il n'est pas plus probable également que nos lointains ancêtres percevaient le monde naturel d'une manière moins instrumentale que ne l'ont fait leurs descendants des cultures historiques. En tenant compte de leurs intérêts matériels – leur survie et leur bien-être – les peuples préhistoriques semblent avoir chasser autant de gibier qu'ils le pouvaient, et si ils peuplaient en imagination le monde animal d'attributs anthropomorphiques, comme ils l'ont sûrement fait, cela aura été pour communiquer avec lui dans le but de le manipuler, et pas simplement de le révérer.
Ainsi, avec en tête des visées tout à fait instrumentales, ils évoquèrent des animaux "parlants", des "tribus" animales (souvent modelées d’après leurs propres structures sociales), et des "esprits" animaux. Logiquement, étant donné leur savoir limité, ils croyaient en la réalité des rêves, où les humains pouvaient voler et les animaux parler – dans un monde onirique incompréhensible et souvent effrayant qu'ils prenaient pour la réalité. Pour contrôler le gibier, pour utiliser l'habitat dans un but de survie, pour faire face aux vicissitudes du climat, etc, les peuples préhistoriques durent personnifier ces phénomènes et leur "parler", que ce soit directement, rituellement, ou métaphoriquement.
En fait, les peuples préhistoriques semblent être intervenu sur leur environnent aussi résolument qu'ils le pouvaient. Dès que Homo erectus, ou les espèces humaines ultérieures, apprirent à utiliser le feu, par exemple, ils semblent l'avoir utilisé pour brûler des forêts, et probablement, acculer des animaux chassés sur des falaises ou dans des voies sans issue naturelles où ils pouvaient être facilement massacrés. La "vénération pour la vie" des peuples préhistoriques révèle un souci très pragmatique de l'amélioration et du contrôle des sources de nourriture, non un amour pour les animaux, les forêts, les montagnes (qu'ils auraient très bien plus craindre comme l’habitat élevé de divinités démoniaques et bienfaisantes) (20)
"L’amour de la nature" que Bradford attribue à la "société primitive" ne dépeint pas non plus de manière adéquate les chasseurs-cueilleurs contemporains, qui traitent assez durement leurs animaux de travail et leur gibier; les Pygmées Ituri de la forêt par exemple, tourmentent assez sadiquement le gibier capturé, et les Inuits maltraitent fréquemment leurs chiens de traineaux.(21) Quant aux Amérindiens, avant leur contact avec les européens, ils avaient profondément transformé une bonne partie du continent en utilisant le feu pour défricher des terres pour l'horticulture et pour une meilleure visibilité de chasse, au point que le "paradis" qu'ont trouvé les européens était "manifestement humanisé". (22)
Inévitablement, beaucoup de tribus indiennes semblent avoir épuisé la nourriture animale locale et ont dû migrer vers de nouveaux territoires pour s’assurer les moyens matériels de survie. Il serait surprenant en réalité qu'elles ne se soient pas engagé dans des guerres afin de déplacer les occupants d’origine. Leurs lointains ancêtres ont probablement causé l’extinction de certains grands mammifères d'Amérique du nord du dernier âge de glace (notamment les mammouths, les éléphants préhistoriques, les bisons latifrons, les chevaux et les chameaux). D’épaisses couches d'os de bisons, suggérant des tueries en masses et de la boucherie "en chaîne"sont encore discernables sur les sites d’un certain nombre d’arroyos américains. (23)
Parmi ces peuples qui maitrisaient l'agriculture, l'usage du sol n'était pas toujours écologiquement sans effets. Autour du lac P'tzcuaro dans les hautes terres du centre du Mexique, avant la conquête espagnol, "l'usage du sol à la préhistoire n'était pas écologique en pratique », écrit Karl W. Butzer, mais était responsable un taux élevé d'érosion des sols. En fait, les pratiques agricoles indigènes "pouvaient être aussi dommageables que n'importe quel usage du sol pré-industriel du Vieux Monde". (24) D'autres études ont montré que la sur-exploitation des forêts et l'échec de l'agriculture de subsistance ont fragilisé la société Maya et ont contribué à son effondrement. (25)
Nous n'aurons jamais aucun moyen de savoir si les modes de vies des cultures de chasse et de cueillette contemporains reflètent fidèlement ceux de notre passé ancestral. Les cultures indigènes contemporaines modernes ne se sont pas seulement développés sur des milliers d'années, mais elles furent également grandement modifiées par la diffusion d'innombrables influences en provenance d'autres cultures avant qu'elles ne soient étudiées par des chercheurs occidentaux. En fait, comme Clifford Geertz l'a noté de manière plutôt acerbe, il y a peu de choses, voire rien du tout de virginal dans les cultures indigènes que les primitivistes modernes associent à l'humanité ancienne . "La prise de conscience, réticente et tardive, que [le primitivisme virginal des indigènes d’alors ] n’a pas existé, même pas chez les Pygmées, ni même chez les Esquimaux," observe Geertz, "et que ces peuples sont en fait les produits de processus à grande échelle de changements sociaux qui les ont modelés et continuent de le faire – a produit une sorte de choc qui a conduit à une quasi crise dans le champ [de l'ethnographie]". (26) Un grand nombre de peuples 'primitifs', comme les forêts qu'ils habitaient, n'était pas plus 'virginaux' au moment du contact avec les européens que ne l'étaient les indiens Lakota au moment de la guerre civil américaine, en dépit d'une Danse avec les Loups soutenant le contraire. Beaucoup des système de croyances des indigènes tant encensés sont clairement identifiables avec des influences chrétiennes. Black Elk , par exemple, était un catholique zélé (27), alors que la Danse Fantôme des Paiute et des Lakota était profondément influencée par le millénarisme des chrétiens évangéliques.
Dans les recherches anthropologiques sérieuses, la notion d'un chasseur ’extatique' à l’âme pur , n'a pas survécu aux trente années écoulées depuis le symposium « L'homme, ce chasseur ». La plupart des sociétés du 'chasseur prospère' citées par les dévots du mythe de 'l'abondance primitive' ont littéralement dégénéré – la probablement du temps, probablement, malgré elles - en des systèmes sociaux horticoles. On sait maintenant que Les San du Kalahari ont été des horticulteurs avant d'être conduits dans le désert. Il y a plusieurs centaines d'années, selon Edwin Wilmsen, les peuples parlant la langue San, pratiquaient l'élevage et l'agriculture, sans parler du commerce avec les chefferies agricoles voisines, au sein d’un réseau qui s'étendait jusqu'à l'océan indien. Vers l'an 1000, les fouilles ont montré que leur région, Dobe, était peuplée par des habitants qui confectionnaient des céramiques, travaillaient l'acier, et élevaient du bétail, les exportant vers l'Europe dans les années 1840 avec des quantités massives d'ivoire – dont une grande quantité provenait d'éléphants chassés par les San eux-mêmes, qui sans aucun doute, massacraient leurs 'frères' pachydermes avec la grande sensibilité que leur attribue Zerzan. Les modes de vie marginaux de chasse et de cueillette des San, qui ont tellement ravi les observateurs des années 1960, étaient en fait le résultat des changements économiques de la fin du dix-neuvième siècle, et l'isolement imaginé par les observateurs extérieurs … n'était pas voulu mais provoqué par l'effondrement du capital mercantile » (28). Ainsi, "le statut actuel des peuples parlant San,comme marginal dans les économies rurales africaines", note Wilmsen, ne peut être expliqué qu’en terme de politiques sociales et économiques de l'époque coloniale et de ses conséquences. Leur condition de chasseurs-cueilleurs est un effet de leur relégation comme sous-classe dans le déroulement des processus historiques qui commencèrent avant le présent millénaire et culminèrent dans les premières décennies de ce siècle [le XXème]. (29)
Les Yuquí de l'Amazonie auraient aussi pu être le parfait exemple de la société virginale de chasse et de cueillette célébrée dans les années 1960. Non étudié par les européens jusque dans les années 1950, ce peuple disposait d’un outillage qui consistait en à peine plus que des défenses de sangliers, des arcs et des flèches. "En plus d'être incapables de produire du feu", écrit Allyn M. Stearman, qui les a étudiés, "ils n'avaient pas de bateaux, pas d'animaux domestiques (même pas de chiens), pas de spécialistes des rites, et seulement une cosmologie rudimentaire. Ils vivaient comme nomades, se déplaçant dans les forêts des basses terres de Bolivie à la recherche de gibier et autres sources de nourriture que leur fournissaient leur talents de chasseurs-cueilleurs." (30) Ils ne cultivaient aucune plante et n'étaient pas habitués à l'utilisation des hameçons et des lignes pour la pêche.
Mais loin d'être égalitaires, les Yuquí maintenaient une institution d'esclavage héréditaire, divisant la société entre une élite privilégiée et une classe laborieuse méprisée d’esclaves . Cette caractéristique est maintenant considérée comme le vestige d'un mode de vie horticole. Il s'avère que les Yuquí descendent d'une société pré-colombienne esclavagiste, et "au fil du temps, suite à une déculturation, perdirent de larges pans de leur héritage culturel alors qu'il devenait nécessaire de rester mobile et de vivre de la terre. Mais alors que de nombreux éléments de leur culture ont pu être perdus, d'autres ne le furent pas. L'esclavage, à l'évidence, étant l'un d'eux. (31)
Le mythe du chasseur-cueilleur 'virginal' n’a pas seulement volé en éclat mais les propres données de Richard Lee sur les apports caloriques des "prospères" chasseurs-cueilleurs aussi ont été largement remises en question par Wilmsen et ses associés (32). Les !Kung avaient une durée de vie moyenne d'à peu près 30 ans. La mortalité infantile était élevée, et selon Wilmsen (n’en déplaise à Bradfort !), ils étaient sujets à des maladies et à la faim pendant la saison creuse. (Lee lui même a revues ses vues sur ce sujet depuis les années 1960).
La vie de nos lointains ancêtres étaient donc loin d’être dorée. En réalité, elle était plutôt dure, généralement courte, et matériellement très astreignante. Les analyses anatomique pour calculer leur longévité montrent qu'environ la moitié d'entre eux mouraient dans l'enfance ou avant d'atteindre vingt ans, et peu vivaient au delà de leur cinquantième année. Ils étaient probablement davantage charognards que chasseurs-cueilleurs et servaient sans doute de proies pour les léopards et les hyènes. (33)
Vis à vis des membres de leur propre bande, tribus, ou clans, les chasseurs-cueilleurs des époques plus tardives de la préhistoire étaient, en temps normal, coopératifs et pacifiques; mais vis à vis des membres d'autres bandes, tribus ou clans, ils étaient souvent belliqueux, et même parfois génocidaires dans leurs efforts pour les déposséder de leurs terres et se les approprier. Le plus heureux de nos ancêtres humains (si l'on en croit les primitivistes), Homo Erectus, a laissé derrière lui une sombre trace de massacres, d'après les données rassemblées par Paul Janssens. (34) L’hypothèse a été avancée, selon laquelle beaucoup d'individus en Chine et à Java furent tué par des éruptions volcaniques, mais cette explication perd une bonne partie de sa crédibilité à la lumière de l’exhumation des restes de quarante individus décapités dont les têtes portaient des traces de blessures mortelles – "Pas vraiment l'action d'un volcan" observe d’un ton pince-sans-rire Corinne Shear Wood. (35). Quant aux chasseurs-cueilleurs modernes, les conflits entre les tribus d'amérindiens sont trop nombreuses pour être citées en détail – comme en sont l’illustration les Anasazi et leurs voisins au sud-ouest, les tribus qui constituèrent au final la Confédération Iroquoise (la Confédération elle-même était une question de survie s'ils ne voulaient pas tous s'exterminer mutuellement), et le conflit continuel entre les Mohawks et les Hurons, qui entraina la quasi extermination et la fuite des communautés Huron survivantes.
Si les "désirs" des peuples préhistoriques étaient "facilement assouvis", comme le prétend Bradford, c'est précisément parce que leurs conditions matérielles de vie – et donc leurs désirs – étaient en réalité très rudimentaires. C'est ce qu'on peut attendre de n'importe quelle forme de vie qui s'adapte plutôt que d'innover, qui se conforme à un habitat naturel plutôt que de le transformer pour en faire un habitat conforme à ses volontés. Sûr, les peuples primitifs avaient une conception merveilleuse de leur habitat; ils étaient, après tout, des être hautement intelligents et imaginatifs. Cependant, leur culture "extatique" n’était pas seulement emplie naturellement de joie 'de chant... de célébration … de rêve', mais aussi de superstitions et de peurs aisément manipulables.
Ni nos lointains ancêtres ni les indigènes actuel n'auraient pu survivre si ils avaient eu les idées 'enchantées' à la Dysneyland que leur ont imputées les primitivistes d'aujourd'hui. Les Européens n'ont certes pas offert aux peuples indigènes un progrès social formidable. Bien au contraire : les impérialistes les ont soumis à une exploitation sans scrupules, au génocide pur et simple, à des maladies contre lesquelles ils n'avaient aucune immunité, et au pillage éhonté. Aucune conjuration animiste n'a, ou n'aurait, pu empêcher cette agression, comme lors de la tragédie de Wounded Knee en 1890, où le mythe des tuniques fantômes résistantes aux balles fut si douloureusement démenti.
Le sujet crucial est que la régression vers le primitivisme parmi les anarchistes lifestyle renie les attributs les plus marquants de l'humanité comme espèce et les aspects potentiellement émancipateurs de la civilisation euro-américaine. Les humains sont infiniment différents des autres animaux parce qu’ils font plus que simplement s'adapter au monde autour d'eux; ils innovent et créent un monde nouveau, non seulement pour découvrir leurs propres pouvoirs comme êtres humains mais aussi pour rendre le monde qui les entoure plus approprié à leur développement, à la fois en tant qu'individus et en tant qu'espèce. Aussi distordue soit elle par la société irrationnelle actuelle, la capacité à changer le monde est un don naturel, le produit de l'évolution biologique humaine – pas seulement celui de la technologie, de la rationalité, et de la civilisation. Que des gens qui se nomment anarchistes défendent un primitivisme qui s'approche de l'animalisme, avec son message à peine masqué d'adaptabilité et de passivité, souille des siècles de pensée, d'idéaux et de pratiques révolutionnaires, et diffame les mémorables efforts de l'humanité pour se libérer de l'esprit de clocher, du mysticisme, de la superstition, et pour changer le monde.
Pour les anarchistes lifestyle, particulièrement pour le genre anti-civilisationnel et primitiviste, l'histoire elle-même devient un monolithe dégradant qui engloutit toute distinctions, médiations, phases de développement, et spécificités sociales. Le capitalisme et ses contradictions sont réduits à un épiphénomène d'une civilisation dévorante et ses 'impératifs' technologiques, sans nuance et en bloc. L'histoire, dans la mesure où nous le concevons comme le déroulement de la composante rationnelle de l'humanité – sa capacité à développer la liberté, la conscience de soi, et la coopération – est un exposé complexe du défrichage des sensibilités, des institutions, de l'intellectualité, et du savoir humain, ou ce qui fut autrefois appelé "l'éducation de l'humanité". Traiter de l'histoire comme d’une "chute" en partant d’une "authenticité" animale, comme Zerzan, Bradford, et leurs compères à des degrés divers d'une manière très similaire à celle de Martin Heidegger, c’est ignorer les idéaux toujours plus forts de liberté, d'individualité, et de conscience de soi qui ont marqué les époques du développement humain – sans parler de l’étendue grandissante des luttes révolutionnaires pour atteindre ces buts.
L'anarchisme lifestyle anti-civilisationnel est simplement un aspect de la régression sociale qui marque les dernières décennies du vingtième siècle. De même que le capitalisme menace de défaire l'histoire naturelle en la réduisant à une ère géologique et zoologique plus simple, moins différenciée, l'anarchisme lifestyle anti-civilisationnel s’en rend complice en ramenant l'esprit humain et son histoire à un monde moins développé, moins défini, édénique, – la supposée 'innocente' société pré-technologique et pré-civilisatrice qui existait avant la "disgrâce" de l'humanité. Comme les Lotophages dans l'Odyssée d'Homère, les humains sont 'authentiques' quand ils vivent dans un présent éternel, sans passé ni futur – sans être dérangés par la mémoire ou l’idéation, libres de toute tradition, et sans se soucier de l’avenir.
Ironiquement, le monde idéalisé par les primitivistes exclurait en fait l'individualisme radical célébré par les héritiers de Max Stirner. Bien que les communautés 'primitives' contemporaines ont produit des individus à la forte personnalité, le pouvoir de la coutume et le haut degré de solidarité imposé par des conditions contraignantes permettent peu de marge de manœuvre pour des comportements individualistes extravertis, du genre de ceux revendiqués par les anarchistes Stirneriens qui glorifient la suprématie de l'ego. Aujourd'hui, tâter du primitivisme est précisément le privilège d'urbains aisés qui peuvent se permettre de jouer avec des fantaisies interdites non seulement aux affamés et aux pauvres ainsi qu'aux 'nomades' qui habitent les rues des villes par nécessité mais aussi aux travailleurs surmenés . Les travailleuses modernes avec des enfants pourraient difficilement s'en sortir sans des machine à laver pour les soulager, si peu que ce soit, de leurs travaux domestiques quotidiens – avant d'aller travailler pour gagner ce qui constitue souvent la plus grande part des revenues du foyer. Ironiquement, même le collectif qui publie Fifth Estate a décidé qu’il ne pouvait pas se passer d’un ordinateur et a été 'obligé' d'en acheter un – en publiant la mention mensongère "Nous le détestons !" (36) Dénonçant une technologie de pointe tout en l'utilisant pour générer une littérature anti-technologique n'est pas seulement malhonnête mais comporte aussi une dimension moralisatrice : une telle 'haine' des ordinateurs ressemble bien plutôt au rot du privilégié, qui, s'étant gaver de mets délicats, glorifie les vertus de la pauvreté pendant les prières dominicales.
8. Évaluation de l'anarchisme lifestyle
Ce qui ressort de la manière la plus saisissante de l'anarchisme lifestyle d'aujourd'hui, c'est son goût pour l'immédiateté, pour la spontanéité, plutôt que pour la réflexion; pour une relation naïve en aparté entre esprit et réalité. Cette immédiateté n'interdit pas seulement à la pensée libertaire les exigences de la réflexion nuancée et par le biais de la méditation ; elle exclue aussi une analyse rationnelle, et, au demeurant, la rationalité elle-même. En reléguant l'humanité à l'intemporel, au non-spatial, et au non-historique -- une notion "primitive" de la temporalité basée sur les cycles "éternels" de la "nature" -- elle prive ainsi l'esprit de son unicité créative et de sa liberté d'intervenir dans le monde naturel.
Du point de vue de l'anarchisme lifestyle primitiviste, les êtres humains sont à leur avantage lorsqu'ils s'adaptent à la nature non-humaine plutôt que lorsque' ils interviennent pour la modifier, ou quand, débarrassés de la raison, de la technologie, de la civilisation, voir même du langage, ils vivent en "harmonie" avec la réalité, dotés peut-être de "droits naturels", dans une condition ‘extatique’ viscérale et essentiellement abrutissante. La ZAT. , Fifth Estate, Anarchy : A Journal of Desire Armed et des ‘zines’ , comme le Stirnerien "Demolition Derby", de Michael William - se concentrent tous sur un "primitivisme" sans médiation, a-historique, et anti-civilisationnel duquel nous sommes ‘tombés’, un état de perfection et ‘d'authenticité’ dans lequel nous avons été guidés au choix par les "limites de la nature", "les lois naturelles", ou notre ego dévorant. L’histoire et la civilisation ne sont rien d'autre qu'une descente dans le manque d’authenticité de la "société industrielle".
Comme je l'ai déjà suggéré, ce mythe d'une "chute", d'un "déclin" de l'authenticité, trouve ses racines dans le romantisme réactionnaire, et, plus récemment, dans la philosophie de Martin Heidegger, avec le "spiritualisme" völkisch latent dans" Être et Temps", qui apparaîtra plus tard dans ses travaux explicitement fascistes. Cette vision nourrit désormais le mysticisme introverti qui abonde dans les écrits antidémocratiques de Rudolf Bahro, avec son appel à peine déguisé au "salut" grâce à un "Adolf Vert", et dans la quête apolitique de spiritualité écologique et d' "accomplissement personnel" proposée par des écologiste radicaux.
A la fin, l'ego individuel devient le temple suprême de la réalité, excluant l'histoire et le devenir, la démocratie et la responsabilité. En effet, le contact vécu avec la société en tant que telle est rendu ténu par un narcissisme si envahissant qu’il réduit la consociation à un ego infantilisé qui n'est guère plus que le braillement d’exigences et de réclamations pour ses propres satisfactions. La civilisation fait seulement obstruction à l’épanouissement des désirs de cet ego, réifié en l'accomplissement ultime de l'émancipation, comme si l'extase et le désir n'étaient pas des produits de la culture et de l’évolution historique, mais seulement des pulsions innées qui apparaissent ex nihilo dans un monde désocialisé.
Comme l'ego petit-bourgeois stirnerien, l'anarchisme lifestyle primitiviste ne laisse pas de place aux institutions sociales, ni aux organisations politiques, ni aux programmes radicaux; moins encore à une sphère publique, que tous les auteurs que nous avons examiné assimilent automatiquement à un "gouvernement politique". L’intermittent, le non-méthodique, l'incohérent, l’interrompu et l'intuitif supplantent le consistant, le téléologique, l'organisé, en réalité toute forme prolongée et ciblée d'activité en dehors de la publication d'un "zine" ou d'une brochure -- ou encore de mettre le feu à une poubelle. L'imagination est opposée à la raison et le désir à la cohérence théorique, comme si l'un et l'autre étaient en contradiction radicale. L'affirmation de Goya, comme quoi l'imagination sans la raison produit des monstres, est modifiée de façon à laisser l'impression que l'imagination prospère sur l’expérience sans médiateur, avec une "unicité" sans nuance. La nature sociale est donc fondamentalement dissoute dans la nature biologique, l'humanité innovante dans l'animalité adaptative, la temporalité dans l'éternité pré-civilisationnelle, l'histoire dans une nature cyclique archaïque.
Une réalité bourgeoise, dont la rigueur économique devient de plus en plus dure et impitoyable chaque jour, est transformée astucieusement par les anarchiste lifestyle en constellations d'auto-complaisance, d’inachevé, d'indiscipline et d'incohérence. Dans les années 60, les situationnistes, au nom d'une "théorie du spectacle", ont en réalité produit un spectacle réifié de la théorie, mais ils ont au moins offert des mesures correctives organisationnelles, telles que les conseils ouvriers, qui ont donné du poids à leur esthétisme. L'anarchisme lifestyle, en s'en prenant à l'organisation, à l'engagement sur un programme, et à l'analyse sociale sérieuse, singe le pire aspect de l'esthétisme situationniste sans adhérer au projet de construction d'un mouvement. Comme les détritus des années 60, il erre sans but entre les limites de son ego (rebaptisées par Zerzan les "limites de la nature" et érige en vertu l'incohérence bohémienne.
Ce qui est le plus troublant, les caprices esthétiques auto-complaisants de l'anarchisme lifestyle érodent singulièrement l’essence socialiste d'une idéologie libertaire qui a pu autrefois affirmer la pertinence et le poids de son engagement indéfectible pour l'émancipation -- non pas en dehors de l'Histoire, dans le domaine du subjectif, mais à l'intérieur de l'Histoire, dans le domaine de l'objectif. Le grand slogan de la Première Internationale -- que l'anarcho-syndicalisme et l'anarcho-communisme ont conservé après que Marx et ses partisans l'aient abandonné, était : "Pas de droits sans devoirs, pas de devoirs sans droits". Pendant des générations, ce slogan a orné les titres des unes que nous devons maintenant appeler rétrospectivement les revues sociales de l'anarchisme. Aujourd'hui, il est radicalement incompatible avec la revendication essentiellement égocentrique de "désirs armés", la contemplation taoïste et le nirvana bouddhiste. Là où l'anarchisme social a appelé le peuple à la révolution et à rechercher la reconstruction de la société, les petits bourgeois furieux qui peuplent le monde sous-culturel de l'anarchisme lifestyle appellent à la rébellion épisodique et à la satisfaction de leurs "machines désirantes", pour employer la phraséologie de Deleuze et Guattari.
Le constant retrait de l'engagement historique de l'anarchisme classique vis à vis de la lutte des classes (sans laquelle l’épanouissement et l'accomplissement du désir dans toutes ses dimensions, pas seulement l'instinctif, ne peuvent être atteints) s’accompagne systématiquement d'une mystification désastreuse de l'expérience et de la réalité. L'ego, identifié de façon presque fétichiste comme le siège de l'émancipation, s’avère identique à "l'individu souverain" du "laissez faire" individualiste. Coupé de ses amarres sociales, il réalise non pas l'autonomie, "l'ipséité" hétéronome de l'entreprise petite-bourgeoise.
En réalité, loin d'être libre, l'ego, dans son ipséité souveraine, est pieds et poings liés aux lois apparemment anonymes du marché -- les lois de la concurrence et de l'exploitation -- qui font du mythe de la liberté individuelle un autre fétiche camouflant les lois implacables de l'accumulation du capital.
L'anarchisme lifestyle, en effet, se révèle être un aveuglement bourgeoise et mystificateur de plus. Ses acolytes ne sont pas plus "autonomes" que les mouvements du marché boursier, les fluctuations des prix et les évènements sans intérêt du commerce bourgeois. Malgré toutes ses prétentions à l'autonomie, cette classe moyenne "rebelle", avec ou sans brique à la main, est entièrement captive des forces souterraines du marché qui occupent tous les terrains soi-disant "libres" de la vie sociale moderne, des coopératives d'alimentation aux communautés rurales.
Le capitalisme tourbillonne autour de nous -- non seulement sur le plan matériel, mais aussi culturel. Comme John Zerzan l'a déclaré si mémorablement à un journaliste perplexe qui l'interrogeait à propos de la télévision installée dans la maison de cet ennemi de la technologie : "comme tous les autres, je dois être sous narcotiques" (37).
Que l'anarchisme lifestyle soit lui-même un auto-aveuglement ‘sous narcotiques’ s’illustre le mieux dans "L’unique Et Sa Propriété" de Max Stirner, dans lequel la revendication du caractère "unique" de l'ego dans le temple du sacro-saint "soi" dépasse de loin les piétés libérales d'un John Stuart Mill. Avec Stirner, l'égoïsme devient une question d'épistémologie. En parcourant le labyrinthe de contradictions et d’affirmations pauvrement étayées qui abondent dans "L'Unique Et Sa Propriété" , on se rend compte que l’ego "unique"de Stirner 'est un mythe, parce qu'il puise ses racines dans son ‘autre’ apparent -- la société elle-même. En effet : "la Vérité ne peut se manifester comme tu te manifestes ; elle ne peut se mouvoir, ni changer ni se développer ; la vérité attend et reçoit tout de toi et n’est même que par toi, car elle n’existe que dans ta tête" (dit Stirner à l'égoïste), (38). L'égoïste Stirnerien, en effet, dit adieu à la réalité objective, à celle de la vie sociale, et donc au changement social fondamental, à tous critères éthiques et d'idéaux au delà de la satisfaction personnelle, parmi les démons cachés du marché bourgeois. Cette absence de médiation bouleverse l'existence même du concret, sans parler de l'autorité de l'ego Stirnerien lui-même -- une revendication si universelle au point d’exclure les racines sociales du soi et sa formation dans l'histoire.
Nietzsche, indépendamment de Stirner, a poussé cette idée de vérité jusqu’à sa conclusion logique en effaçant la facticité et la réalité de la vérité en tant que telle : "Qu'est ce donc que la vérité ?" demandait-il. "Une armée mobile de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphisme, bref une somme de corrélations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement amplifiées, enjolivées" . (39) Avec plus de franchise que Stirner, Nietzsche soutenait que les faits ne sont que des interprétations, en effet, il demandait : "Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l'interprète derrière l'interprétation?" Apparemment non, car "même cela est une invention, une hypothèse. (40) En suivant la logique implacable de Nietzsche, on se retrouve avec un soi qui ne crée pas seulement sa propre réalité, mais qui doit aussi justifier de sa propre réalité comme plus qu'une simple interprétation. Un tel égoïsme anéantit donc l'ego lui-même, qui se perd dans la brume des postulats tacites de Stirner.
Privé pareillement de l'histoire, de la société et de la réalité au delà de ses propres "métaphores", l'anarchisme lifestyle vit dans un domaine asocial dans lequel l'ego, avec ses énigmatiques désirs , doit s'évaporer dans des abstractions logiques. Mais réduire l'ego à l'immédiateté intuitive -- l'ancrer dans l'animalité simple, dans les "limites de la nature", ou dans les "lois naturelles" -- reviendrait à ignorer le fait que l'ego est le produit d'une formation historique perpétuelle, une histoire qui, si elle n’est pas composée de simples épisodes, doit utiliser la raison comme guide en ce qui concerne les normes de progrès et de régression, de nécessité et de liberté, de bien et de mal, et -- oui ! -- de civilisation et de barbarie. En effet, un anarchisme qui cherche à éviter les écueils du solipsisme pur d'une part, et de la perte du "soi" en tant que simple "interprétation" d’autre part, autre doit devenir explicitement socialiste ou collectiviste. C'est à dire qu'il doit être un anarchisme social qui cherche la liberté à travers la structure et la responsabilité mutuelle, et non à travers un ego nomade vaporeux qui fuit les pré-conditions de la vie sociale.
Pour être franc: entre le pedigree socialiste de l'anarcho-syndicalisme et de l'anarcho-communisme (qui n'ont jamais nié l'importance de l’épanouissement et de l'accomplissement du désir), et le pedigree fondamentalement libérale et individualiste de l'anarchisme lifestyle (qui insiste sur l'inefficacité sociale, si ce n’est purement et simplement la négation sociale), il existe un fossé qui ne peut être comblé à moins d’ignorer totalement les objectifs, les méthodes et la philosophie sous-jacente profondément différents qui les distinguent. Le projet de Stirner a en effet vu le jour à l’occasion d’un débat sur le socialisme de Wilhelm Weitling et Moses Hess, au cours duquel il a invoqué l'égoïsme précisément pour s'y opposer. "L'insurrection personnelle plutôt que la révolution générale fut son (Stirner) message", observe fort justement James J. Martin (41) -- Une position antinomique qui s’incarne aujourd'hui dans l'anarchisme lifestyle et ses filiations yuppies, comme distinct de l'anarchisme social, qui a ses racines dans l'historicisme, la matrice sociale de l'individualité, et dans son engagement pour une société rationnelle.
L'incongruité même de ces messages pour l’essentiel confus, qui coexistent dans chaque page des 'zines’ lifestyle, trahissent le ton fébrile du petit bourgeois qui se tortille. Si l'anarchisme perd sa base socialiste et son objectif collectiviste, si il dérive dans l'esthétisme, l'extase, le désir, et, de manière incongrue, dans le quiétisme Taoïste et la modestie du "soi" bouddhiste, comme substitut à un programme, une politique,et une organisation libertaires, il en viendra à ne plus représenter la régénération sociale et une vision révolutionnaire, mais la décomposition sociale et une rébellion inconséquente et égoïste. Pire encore, il nourrira la vague de mysticisme qui déferle déjà sur les membres aisés de la génération adolescente actuelle ou aux alentours de la vingtaine. L'exaltation de l'extase par l'anarchisme lifestyle, certainement louable dans une matrice sociale radicale, mais amalgamée sans vergogne ici à la "sorcellerie", entraine une assimilation onirique avec des esprits, des fantômes et des archétypes Jungiens plutôt qu'une connaissance rationnelle et dialectique du monde.
De façon caractéristique, la couverture d'un récent numéro d'Alternative Press Review (Automne 1994), une revue anarchiste américaine largement lue, est ornée d'une divinité bouddhiste à trois têtes dans un repos nirvanique serein, vraisemblablement sur un fond cosmique de galaxies tourbillonnantes et de babioles New-Age -- une image qui pourrait facilement rejoindre les poster 'Anarchy' de Fifth Estate dans une boutique New Age. A l'intérieur de la couverture, un graphisme proclame : "La vie peut être magique quand on commence à se libérer" (le "A" de "magique" est cerclé) – ce à quoi on est obligé de demander : Comment ? Avec quoi ? Le magazine lui-même contient un essai d'écologie profonde de Glenn Parton (tiré de la revue "Wild Earth " de David Foreman) intitulé : "Le soi sauvage : pourquoi je suis un primitiviste" , chantant les louanges des "peuples primitifs" dont le "mode de vie s'adapte dans le monde pré-donné naturel", déplorant la révolution néolithique, et identifiant notre "tâche première" comme de "déconstruire notre civilisation, et de rétablir la vie sauvage". Les illustration de la revue célèbrent la vulgarité -- des crânes humains et des images de ruines sont bien en évidence. Sa plus longue contribution, "Décadence", tirée de Black Eye, mêle le romanesque au sous-prolétariat, concluant triomphalement : "C’est le moment pour de vraies vacances romaines, alors amenez les barbares !".
Hélas, les barbares sont déjà là -- et les "vacances romaines" prospèrent aujourd'hui dans les villes américaines avec le crack, la violence, l'insensibilité, la stupidité, le primitivisme, l'anti-civilisationnisme, l'anti-rationnalisme, et une assez grosse dose d'"anarchie", conçue comme chaos. L'anarchisme lifestyle doit être considéré dans le contexte social actuel des ghettos noirs démoralisés et des banlieues réactionnaires blanches, et aussi des réserves indiennes, ces centres visibles de "primitivisme", dans lesquels des bandes de jeunes indiens se tirent dessus, où le trafic de drogue est endémique et où les "graffitis des bandes accueillent les visiteurs, même au monument sacré de Window Rock", comme le rapporte Seth Mydans dans le New York Times (3 Mars 1995).
Ainsi, une décomposition culturelle généralisée a suivi la dégénérescence de la Nouvelle Gauche des années 1960 dans le post-modernisme, et de sa contre-culture dans le spiritualisme New Age. Pour les timides anarchistes lifestyle, les illustrations et les articles incendiaires d'Halloween repoussent l'espoir et à la compréhension de la réalité toujours plus loin. Déchirés entre les leurres du "terrorisme culturel" et les ashrams bouddhistes, ils se trouvent en fait pris dans un feu-croisé, entre les barbares de Wall Street et de la City en haut de l’échelle sociale, et ceux du bas, dans les lugubres ghettos urbains de l'Euro-Amérique. Hélas, le conflit dans lequel ils se trouvent, suite à tous leurs hymnes aux mode de vie du sous-prolétariat (auxquels les entreprises barbares ne sont pas étrangères ces jours ci), a moins à voir avec le besoin de créer une société libre qu'avec une guerre brutale contre ceux qui se partagent le butin de la vente de drogue, des corps humains, de prêts exorbitants – sans oublier les junk bonds et les devises internationales.
Un retour à une complète l'animalité -- ou devrions-nous appeler cela "décivilisation" ? -- est un retour non à la liberté, mais à l'instinct, au domaine de l'"authenticité", davantage guidés par les gènes que par le cerveau. Rien ne pourrait être plus éloigné des idéaux de liberté énoncés dans des formes toujours plus bouillonnantes par les grandes révolutions du passé. Ni être plus obstiné dans son obéissance aveugle aux impératifs biochimiques tels que l'ADN ou plus contraire à la créativité, à l'éthique, à la réciprocité offerts par la culture et les luttes pour une civilisation plus rationnelle. Il n'y a pas de liberté dans la "sauvagerie" si par ‘état sauvage’ nous entendons les types de modèles de comportement innés qui font l'animalité pure. Calomnier la civilisation sans reconnaître ses énormes potentialités en matière de liberté acceptée-- une liberté que confère la raison autant que l'émotion, la perspicacité autant que le désir, la prose autant que la poésie -- c'est se retirer dans le monde ténébreux d’absence de civilisation, où la pensée était brumeuse, et où l'intellectualisation n'était qu'une espérance d'évolution.
16. Le rapport de cette conférence ont été publiés dans Man the Hunter (Chicago: Aldine Publishing Co., 1968). Richard B. Lee and Irven DeVore, eds.,
17. What Hunters Do for a Living, ou How to Make Out in Scarce Resources, dans Lee et Devore, Man the Hunter, p. 43.
18. Voir particulièrement Paul Radin The World of Primitive Man (New York: Grove Press, 1953), pp. 139-150.
19. John Zerzan, Future Primitive and Other Essays (Brooklyn, NY: Autonomedia, 1994), p. 16. Le lecteur qui a foi dans les recherches de Zerzan peut essayer de chercher des sources reconnues comme Cohen (1974) et Clark (1979) (cité dans les pages 24 et 29, respectivement) de sa bibliographie -- Eux et d'autres sont entièrement absents.
20. La littérature sur ces aspects de la vie préhistorique est prolifique. Anthony Legge et Peter A. Rowly's Gazelle Killing in Stone Age Syria, Scientific American, vol. 257 (Août. 1987), pp. 88-95, montre que les animaux migrateurs ont pu être massacrés avec une efficacité dévastatrice par l’utilisation de corrals. L’étude classique des aspects pragmatiques de l’animisme est dans Myth, Science and Religion de Bronislaw Malinowski (Garden City, N.Y.: Doubleday, 1954). L’anthropomorphisme manipulateur est mis en évidence dans de nombreux écrits traitant des transmigrations du domaine humain au non humain soutenues par des shamans, comme dans les mythes des Makuna décrits par Kaj 'rhem, dans Dance of the Water People, Natural History (Jan. 1992).
21. Sur les pygmées, voir Colin M. Turnbull, The Forest People: A Study of the Pygmies of the Congo (New York: Clarion/Simon and Schuster, 1961), pp. 101-102. Sur les esquimaux, voir Gontran de Montaigne Poncins Kabloona: A White Man in the Arctic Among the Eskimos (New York: Reynal & Hitchcock, 1941), pp. 208-9, ainsi que de nombreux autres travaux sur la culture traditionnelle esquimau.
22. Que de nombreuses prairies à travers le monde furent créées par le feu , datant probablement de l’ Homo erectus, est une hypothèse que l’on retrouve disséminée dans la littérature anthropologique . Une excellent étude sur le sujet : Stephen J. Pyne Fire in America (Princeton, N.J.: Princeton University Press, 1982). Voir aussi William M. Denevan, dans Annals of the American Association of Geographers (Sept. 1992), cité dans William K. Stevens, An Eden in Ancient America? Not Really, The New York Times (30 Mars 1993), p. C1.
23. Sur la question âprement débattue de la ‘sur-chasse’ voir Pleistocene Extinctions: The Search for a Cause, ed. P. S. Martin et H. E. Wright, Jr. . Les arguments pour déterminer si ce sont les facteurs climatiques et/ou une ‘sur-chasse" qui a conduit à l’extinction massive de quelques trente cinq genres de mammifères du Pleistocène sont trop complexes pour être traités ici. Voir Paul S. Martin, 'Prehistoric Overkill,' in Pleistocene Extinctions: The Search for a Cause, ed. P. S. Martin et H. E. Wright, Jr. (New Haven: Yale University Press, 1967). J’ai étudié quelques-uns des arguments dans mon introduction à la réédition de Le débat est encore en cours. Les éléphants préhistoriques, qui furent considérés un moment comme des animaux aux capacités d’adaptation environnementale limitées, sont maintenant reconnus comme plus flexibles écologiquement et auraient pu être tués par les chasseurs Paleoindiens, probablement avec moins de compassion que ne voudraient le croire les environmentalistes romantiques. Je ne prétends pas que la chasse seule a causé l’extermination de ces grands mammifères – en tuer un nombre considérable aurait été suffisant.. On peut trouver un résumé de piéges de bisons dans les arroyos dans le livre de Brian Fagan, Bison Hunters of the Northern Plains, Archaeology (Mai-Juin 1994), p. 38.
24. Karl W. Butzer, No Eden in the New World, Nature, vol. 82 (4 Mars 1993), pp. 15-17.
25. T. Patrick Cuthbert, The Collapse of Classic Maya Civilization dans The Collapse of Ancient States and Civilizations, ed. Norman Yoffee and George L. Cowgill (Tucson, Ariz.: University of Arizona Press, 1988); et Joseph A. Tainter, The Collapse of Complex Societies (Cambridge: Cambridge University Press, 1988), esp. chapter 5.
26. Clifford Geertz, Life on the Edge The New York Review of Books, 7 Avril,1994, p. 3.
27. Comme l’ observe William Powers, le livre Black Elk Speaks a été publié en 1932. ‘Il n’y a aucune trace de la vie chrétienne de Black Elk dedans.' Pour un déboulonnage rigoureux de la fascination actuelle pour l’histoire de Black Elk, voir William Powers, When Black Elk Speaks, Everybody ListensSocial Text, vol. 8, no. 2 (1991), pp. 43-56.
28. Edwin N. Wilmsen, Land Filled With Flies (Chicago: University of Chicago Press, 1989), p. 127.
29. Wilmsen, Land Filled with Flies, p. 3.
30. Allyn Maclean Stearman, Yuqui: Forest Nomads in a Changing World (Fort Worth and Chicago: Holt, Rinehart and Winston, 1989), p. 23.
31. Stearman, Yuqui, pp. 80-81.
32. Wilmsen, Land Filled with Flies, pp. 235-39 and 303-15.
33. Voir, par exemple,, Robert J. Blumenschine et John A. Cavallo, Scavenging and Human Evolution,' Scientific American (Octobre 1992), pp. 90-96.
34. Paul A. Janssens, Paleopathology: Diseases and Injuries of Prehistoric Man (London: John Baker, 1970).
35. Wood, Human Sickness, p. 20.
36. E. B. Maple, 'The Fifth Estate Enters the 20th Century. We Get a Computer and Hate It!' The Fifth Estate, vol. 28, no. 2 (Eté 1993), pp. 6-7.
37. Tiré du New York Times, 7 Mai 1995. Des gens moins moralisateurs que Zerzan ont essayé d'échapper à l'emprise de la TV et prennent du plaisir avec de la musique décente, des pièces, des livres, etc.
38. Max Stirner, The Ego and His Own ,ed. James J. Martin, trad. Steven T. Byington (New York: Libertarian Book Club, 1963), part 2, chap. 4, sec. C, 'My Self-Engagement,' p. 352,
39. Friedrich Nietzsche, 'On Truth and Lie in an Extra-Moral Sense (1873; Extraits), dans The Portable Nietzsche, édité et traduit par Walter Kaufmann (New York: Viking Portable Library, 1959), pp. 46-47.
40. Friedrich Nietzsche, fragment 481 (1883-1888), The Will to Power, traduit par Walter Kaufmann et R. J. Hollingdale (New York: Random House, 1967), p. 267.
41. James J. Martin, Introduction de l'éditeur à Stirner, The Ego and His Own , p. xviii.