Histoire du mouvement anarchiste en France et au delà

Histoire du mouvement anarchiste en France et au delà

Messagede bipbip » 10 Avr 2014, 13:21

Histoire du mouvement libertaire en France (*)

Cette présentation privilégie une vision de l'histoire du mouvement libertaire plutôt axée sur l'aspect organisationnel et la presse libertaire. Volontairement, les événements historiques ainsi que les militantes et militants ont été écartés de cette présentation.

Origine du document : Centre de formation anarchiste de la Fédération anarchiste, enrichi par un militant d'Alternative libertaire.


XIXe siècle

1850. Premier journal anarchiste, L'Anarchie, journal de l'ordre d'Anselme Bellegarrigue.

1864. Naissance de l'Association internationale des travailleurs (AIT ou Première Internationale) à Londres. Premières tentatives de Bakounine de créer une organisation révolutionnaire antiautoritaire, la "Fraternité internationale révolutionnaire" ou "l'Alliance".

1868. Deuxième tentative d'organisation bakouniniste, avec l'organisation des "Frères internationaux" ou encore "l'alliance pure la démocratie socialiste".

1871. Commune de Paris : La répression fait 25 000 victimes et décapite le mouvement révolutionnaire en France.

1872. Bakounine et tous les fédéralistes sont exclus de l'AIT au congrès de La Haye par Karl Marx et ses partisans et se retrouve au sein de la Fédération jurassienne.

1873. Les fédéralistes se réunissent au congrès de Saint-Imier

1878. Kropotkine publie de Genève le Révolté.

1880. La Révolution sociale, premier journal anarchiste d'après la Commune, est publié.

1881. Conférence de Londres

1889. Émile Pouget fonde le Père Peinard.

1895. Le Libertaire, fondé par Sébastien Faure et Louise Michel, sort son premier numéro le 16 novembre. La Confédération générale du travail (CGT) est créée à partir de la fusion des Bourses du travail et des syndicats et fédérations d'industries.


Première moitié du XXe siècle

1906. La Charte d'Amiens est adoptée par la CGT.

1907. Du 25 au 30 août se tient le Congrès anarchiste international d'Amsterdam

1910. Naissance d'une éphémère Alliance communiste anarchiste.

1911. Une Fédération communiste anarchiste (FCA) voit le jour avec, pour secrétaire, Louis Lecoin.

1913. Une Fédération communiste révolutionnaire anarchiste succède à la FCA en août, Sébastien Faure en est l'animateur.

1914-1918. Première Guerre mondiale, certains anarchistes se rallient à l'Union sacrée et publient le Manifeste des Seize (dont Jean Grave, Pierre Kropotkine...) en soutien aux alliés contre l'Allemagne.

1917. Révolution russe. Le 15 juin paraît un premier numéro clandestin du Libertaire.

1919. Le 26 janvier, une nouvelle série hebdomadaire du Libertaire reparaît, la création prochaine d'une Fédération anarchiste est annoncée.

1920. En novembre, une Union Anarchiste (UA) se reconstitue sur des bases violemment hostiles aux bolcheviks.

1923. Le 4 décembre marque le premier numéro du Libertaire quotidien.

1925. Des Russes en exil se retrouvent à Paris et fondent avec Makhno et Archinov la revue Diélo Trouda (la Cause du travail). Le 26 mars, le Libertaire cesse sa parution quotidienne et redevient hebdomadaire.

1926. En juin paraît le "projet de plate-forme organisationnelle pour une Union générale des anarchistes", plus connu sous le nom de "plate-forme d'Archinov". Voline répond à cette plate-forme par son projet de "Synthèse" dans son article "le problème organisationnel et l'idée de synthèse". L'UA se transforme en juillet, après son congrès d'Orléans, en Union anarchiste communiste (UAC), une opposition grandissante se développe entre partisans de la plate-forme et partisans de la Synthèse. Les syndicalistes révolutionnaires quittent la CGT et fondent la CGT-SR avec, pour secrétaire, Julien Toublet.

1927. Nicolas Sacco et Bartolomeo Vanzetti sont exécutés. L'UAC devient majoritairement plate-formiste au congrès de Paris des 30 octobre et 1er novembre. Les synthésistes minoritaires quittent l'UAC et fondent l'Association des fédéralistes anarchistes (AFA) qui diffusera le Trait d'union libertaire puis la Voix libertaire.

1930. À l'issue de congrès de l'UACR, des groupes synthésistes réintègrent les rangs de l'UACR.

1934. L'UACR prend l'initiative de convoquer un congrès en vue de réaliser l'unité de tous les anarchistes. L'antifascisme doit servir à cimenter cette union. Le congrès se tient à Paris les 20 et 21 mai, on décide de revenir à l'appellation "Union anarchiste" et l'AFA profite de cette occasion pour se dissoudre et réintégrer l'organisation. Une Fédération communiste libertaire se créée sur une scission de l'UA.

1936. Front populaire et révolution espagnole. Les anarchistes sont investis dans Solidarité internationale antifasciste (SIA). Une Fédération anarchiste de langue française (FAF) se développe à partir d'une scission de l'UA, qui dénonce la collusion des libertaires avec le Front populaire ainsi qu'une critique de la participation de la CNT-FAI au gouvernement républicain en Espagne. La FAF édite Terre libre auquel collabore Voline. Avant-guerre coexistent donc deux organisations, l'Union anarchiste (UA), qui a pour organe le Libertaire et la Fédération anarchiste française (FAF) avec pour journal Terre libre. Celles-ci n'ayant prévu aucune structure clandestine disparaissent rapidement à la déclaration de guerre.

1943. 19 juillet, une réunion clandestine de militants, dite de la Fédération internationale syndicaliste révolutionnaire, se tient à Toulouse.

1944. Le 15 janvier, est mise au point une charte de la nouvelle Fédération anarchiste (FA) approuvée à la rencontre d'Agen les 29 et 30 octobre, la décision est prise de faire reparaître le Libertaire comme lien. Le premier numéro date de décembre 1944.

1945. Septembre, reparution irrégulière puis bimensuelle du Libertaire en tant qu'organe. Les 6 et 7 octobre se tiennent les Assises du mouvement libertaire. Le 20 octobre, début des travaux du congrès constitutif de la Fédération anarchiste qui se tiendra à Paris le 2 décembre. Elle est composée d'une majorité de militants de l'ancienne FA (synthésiste) et quelques militants de l'ancienne Union anarchiste (UA, qui soutenait la politique de collaboration Confédération nationale du travail / Fédération anarchiste ibérique (CNT/FAI) au gouvernement républicain), pendant la guerre d'Espagne et de jeunes militants issus de la résistance. Les Jeunesses libertaires, organisation satellite de la FA voient le jour. La FA regroupe donc l'ensemble des libertaires français à l'exception de certains individualistes regroupés autour d'Émile Armand (ceux-ci publient l'Unique et l'En-dehors) et de certains pacifistes, avec Louvet et Maille qui publient À contre-courant. Une structure confédérale est mise en place : "le mouvement libertaire", qui coordonne les efforts de publication avec le courant Louvet (journal Ce qu'il faut dire), la minorité anarcho-syndicaliste de la CGT réunifiée (FSF – Fédération syndicaliste française représentant la tendance "Action syndicaliste") et le Libertaire.

1946. Dès le début, les tendances individualiste et communiste libertaire cohabitent mal au sein de la FA. Les dissensions politiques se doublent d'un conflit de générations. George Fontenis, considéré comme consensuel car lié à aucun clan, est élu secrétaire général de la FA au 2e congrès de Dijon. Le 6 décembre, la FSF se transforme en Confédération nationale du travail (CNT), elle adopte la charte de Paris et fait paraître le Combat syndicaliste. Le Libertaire devient hebdomadaire à partir du mois d'avril.

1947. George Fontenis est reconduit dans ses fonctions de secrétaire général de la FA au 3e congrès d'Angers. Des militants de la FA participent à la naissance de la Confédération générale du travail – Force ouvrière (CGT-FO) suite à la mainmise du Parti communiste français sur la CGT et à l'affaiblissement de la CNT résultant des nombreuses tensions internes.

1949. La FA participe au congrès anarchiste international de Puteaux, qui accueille aussi bien des organisations structurées (Grande-Bretagne) que des groupes autonomes ou des individus (Allemagne, États-Unis d'Amérique, Bolivie, Cuba, Argentine, Pérou...).

1950. Au début de l'année, une partie des communistes libertaires de la FA s'organisent en fraction, qu'ils nommeront Organisation pensée bataille (OPB), pour contrer la fraction individualiste. L'OPB prend en main rapidement, dans la FA, les responsabilités délaissés par les individualistes. Au 4e congrès de Paris, sur proposition du groupe Louise-Michel, animé par Maurice Joyeux dans le 18e arrondissement parisien, les votes en congrès ne se feront plus par groupe mais sur la base d’un mandat par militant, ce qui va modifier les fragiles équilibres au sein de la fédération. Les individualistes, qui considéraient cela comme conduisant à la "dictature de la majorité&", ne parviennent pas à s'y opposer.


Seconde moitié du XXe siècle

1952. Après le congrès de Bordeaux au mois de juin, une première scission se produit au sein de la FA. Plusieurs militants (Aristide et Paul Lapeyre, Arru, Vincey...) sont poussés vers la sortie ou quittent d'eux-mêmes la Fédération. La majorité de la FA décida, par 103 voix contre 45, que les votes s'effectueraient désormais par mandat, mais les opposants déclarèrent solennellement qu'ils ne reconnaissaient aucune valeur à cette décision, et une première scission en résulta en octobre. En outre des exclusions furent prononcées à l’encontre de Joyeux, Aristide et Paul Lapeyre, Fayolle, Arru, Vincey, etc. Les militants qui ne se retrouvent pas dans la nouvelle orientation de la FA vont se réunir et il en ressort la sortie de l'Entente anarchiste, bulletin de relation, d'information, de coordination, et d'étude organisationnelle du mouvement anarchiste. Le premier numéro est daté du 30 octobre 1952.

Émanant du congrès du Mans du 11 octobre 1952, elle est "un organe destiné à mettre en contact, en dehors de tout exclusivisme, les fédérations, groupes et individus, se réclamant de l'anarchisme". Réunie notamment autour de Raymond Beaulaton, Georges Vincey, Tessier, Louis Louvet, Fernand Robert ou André Prudhommeaux, l'Entente anarchiste apparaît clairement comme une tentative de sauvegarde d'un certain anarchisme, "opposé" à l'anarchisme-lutte de classe porté aussi bien par Georges Fontenis que par Maurice Joyeux. Dès le premier numéro, c'est à Raymond Beaulaton qu'il revient de fixer le débat et le sens des critiques : "Venons en directement au fait. L'unité anarchiste du lendemain de la guerre fut vite brisée. Il y a deux ans, au congrès de Paris, le système de consultation par le vote fut institué. En deux ans, cette unité fut détruite."

1953. Suite au congrès de Paris, la FA se transforme en Fédération communiste libertaire (FCL) par un vote majoritaire de 71 mandats contre 61. (Les autres noms proposés étant "Parti communiste anarchiste" et "Parti communiste libertaire" !) La crise a cependant fortement affaibli l'organisation, car la FCL ne regroupe qu'environ 130 à 160 militants. Du 25 au 27 décembre se tient à Paris le congrès de la Maison verte (Montmartre), organise la reconstruction de la Fédération anarchiste (organisation synthésiste) à partir des groupes exclus et d'anciens militants ayant quitté la FA les années précédentes au vu des pratiques jugées "léninistes" des communistes libertaires.

L'Entente anarchiste se dissout et ses militants intègrent la nouvelle FA. Des principes de base sont rédigés de façon à regrouper le plus grand nombre d'anarchistes, toutes tendances confondues. Un pari difficile à tenir, car Maurice Joyeux, initiateur de cette FA reconstituée, est obligé de faire des compromis avec les anarchistes individualistes de l'Entente. Il en résulte un mode de fonctionnement que Joyeux jugeait "impossible" : l'unanimisme. 1953 est aussi l'année de parution du Manifeste du communisme libertaire de Fontenis.

1954. La FCL publie son "programme ouvrier", pâle copie du programme revendicatif de la CGT. A Paris est crée l'Internationale communiste libertaire (ICL), regroupant notamment les GAAP italiens, les espagnols de Ruta et le Mouvement libertaire nord-africain (MLNA), en opposition à l'Internationale anarchiste. L'ICL n'aura qu'une existence éphémère. La parution du Mémorandum du groupe Kronstadt, tout juste exclu de la FCL dénonce l'orientation "bolchevik" de la Fédération communiste libertaire et l'existence de l'organisme secret OPB. L'Association pour l'étude et la diffusion des philosophies rationalistes (AEDPR) est créée, propriétaire du journal et des œuvres, elle doit empêcher toute nouvelle prise de pouvoir à la FA. Le premier numéro du Monde Libertaire, organe mensuel de la FA paraît en octobre 1954, la crise a été dure, il restera mensuel pendant vingt-trois ans. La FCL garde le titre du Libertaire, elle diffuse également Jeune révolutionnaire puis la Jeune garde des travailleurs. Le 1er novembre 1954, l'insurrection algérienne éclate, et la FCL s'engage pour l'indépendance du peuple algérien. C'est le début d'une répression d'État contre la FCL.

1955. Gaston Leval quitte la FA et crée les Cahiers du socialisme libertaire. En novembre, une partie du groupe Kronstadt fonde le groupe Noir et Rouge. La FCL définit sa ligne de soutien à l'indépendance algérienne, le "soutien critique", qui peut se résumer ainsi : combatte le colonialisme, soutenir les fractions progressistes de la résistance algérienne, œuvrer à ce que la chute du colonialisme soit synonyme de transformation révolutionnaire de la société. Concrètement, les militants de la FCL "portent des valises" pour le MNA, la principale organisation de gauche algérienne. Un militant de la FCL, Pierre Morain, est condamné à la prison : c'est le tout premier Français incarcéré pour sa solidarité avec le peuple algérien.

1956. Des militants de l'ex-Entente anarchiste, regroupés autour de Robert et Beaulaton, quittent la FA et créent le 25 novembre à Bruxelles l'Alliance ouvrière anarchiste (AOA). L'AOA publie le périodique l'Anarchie, et dérivera vers l'extrême-droite au cours de la guerre d'Algérie. La FCL participe aux élections législatives de janvier à Paris et présente dix candidats dont André Marty, un des anciens "mutins de la Mer noire" exclu du PCF et surnommé le "boucher d’Albacète" pour avoir massacré des anarchistes pendant la guerre d’Espagne et par le biais duquel la FCL espérait gagner des communistes dissidents. La répression d'État s'accélère, les procès, la censure et les saisies du Libertaire se succèdent. Une partie des militants de la FCL (Fontenis, Philippe, Morain...) entrent dans la clandestinité pour échapper à la prison. Le Libertaire cesse de paraître en juillet, la FCL se désagrège. Le Mouvement libertaire nord-africain (MLNA), lié à la FCL, en butte à une répression féroce, se saborde. Des militants sortis de la FCL en novembre 1955 (groupes Kronstadt, Grenoble et Maisons-Alfort) fondent les Groupes anarchistes d'action révolutionnaire (GAAR). Ces derniers se veulent "l'expression de la tendance anarchiste communiste du mouvement libertaire". Les GAAR vont éditer la revue Rouge et Noir dont le premier numéro paraît en Avril.

1957. Les GAAR rédigent leurs "Déclarations de principes", ils adoptent la plate-forme, c'est-à-dire l'unité tactique et idéologique, la responsabilité collective et soutiennent et les luttes de libération nationale (soutien au FLN algérien).

L'aventure de la FCL se termine définitivement avec l'arrestation des militants en cavale.

1960. Une Fédération anarchiste communiste (FAC) se créée à partir des GAAR, des contacts s'engagent avec la FA. À son congrès de Trélazé, la FA reconnaît la possibilité de constituer en son sein des tendances organisées.

1961. Les GAAR procèdent à leur dissolution. Noir et Rouge continue néanmoins de paraître.

La FAC scissionne : les groupes Kronstadt, de Maisons-Alfort, Lille, Strasbourg et Grenoble rejoignent la FA au congrès de Montluçon où ils s'organisent en tendance, l'Union des groupes anarchistes communistes (UGAC).

1962. Une deuxième tendance voit le jour en 1962 au sein de la FA : L'Union anarcho-syndicaliste. L'UAS naît lors d'une réunion à Niort en janvier 1962 et rassemble les groupes de Niort, Saintes, Bordeaux et Nantes qui viennent de rompre avec le Clado, Comité de liaison et d'action. L'UAS tente un rapprochement avec l'UGAC.

1964. L'UGAC reproduit les mêmes méthodes de l'OPB au sein de la FA (bulletin intérieur secret, entrisme et manœuvres pour s'emparer des postes à responsabilité...), les tensions s'aggravent et conduisent l'UGAC sauf les groupes de Strasbourg et Grenoble à quitter la FA au congrès de Paris.

1965. Un Comité de liaisons des jeunes anarchistes (CLJA) se met en place, il regroupe à titre individuel des militants de la FA, de l'UGAC, des FIJL (espagnols) et des groupes autonomes.

Des premières rencontres permettent de mettre en place les prémisses de l'Internationale des fédérations anarchistes (IFA). Maurice Fayolle édite ses Réflexions sur l'anarchisme.

1966. L'UGAC produit une politique frontiste qui la conduit à dériver vers des mouvements maoïstes ou trotskystes (tendance pabliste). L'UGAC produit une brochure, Lettres au mouvement anarchiste international. Plate-formistes, ils affirment leur conviction de l'impossibilité de réunir toutes les tendances libertaires au sein d'une même organisation, et leur souhait de regrouper tous les anarchistes-communistes, et de former et s'insérer dans un mouvement révolutionnaire. Ils publieront six numéros de Perspectives anarchistes-communistes à partir de 1967 et ce jusque 1969. L'UGAC va disparaître et se transformer en Tribune anarchiste communiste (TAC).

Une réunion de jeunes anarchistes d'Europe se tient à Paris.

Une Liaison des étudiants anarchistes (LEA) se créée également.

1967. Tentative de relancer l'Union fédérale anarchiste avec comme organe le Libertaire.

Les communistes libertaires vont se regrouper à nouveau dans la FA et créent en son sein une nouvelle tendance organisée, l'Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) qui édite la feuille l'Insurgé.

1968. Les 17 et 18 mars à Paris se réunissent des militants communistes libertaires. Membres de la Jeunesse anarchiste communiste (JAC), de la Tribune anarchiste communiste (TAC), de l'ex-FCL et des isolés ; ils se rencontrent à l'initiative de Georges Fontenis. La fin de l'année verra la création du Mouvement communiste libertaire (MCL) à la suite de cette rencontre.

La TAC participe au Comité d'initiative pour un mouvement révolutionnaire (CIMR) aux côtés de Krivine, Bensaid, Weber des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), de militants du courant "pabliste" (trotskyste) et de militants communistes libertaire dont Georges Fontenis.

Le congrès de Carrare en Italie réunit l'Internationale des fédérations anarchistes (IFA), elle rassemble les FA française et italienne ainsi que la Fédération anarchiste bulgare en exil.

Une fraction de la FA est pour la tenue du congrès, une autre est contre. Comme la FA ne peut pas prendre de décisions, deux délégations sont envoyés à Carrare, dont l'une expliquera simplement pourquoi une partie de la FA est contre la tenue de ce congrès. Cette années voit également la naissance officielle de l'ORA, tendance organisée au sein de la FA.

En 1968, on peut citer comme organisation ou revues qui se réclament du "mouvement" libertaire : la Fédération anarchiste, le Mouvement communiste libertaire, l'Union fédérale des anarchistes, l'Alliance ouvrière anarchiste, la Tribune anarchiste communiste, l'Union des groupes anarchistes communistes, Noir et Rouge, la Confédération nationale du travail, l'Union anarcho-syndicaliste, l'Organisation révolutionnaire anarchiste et des groupes divers (autonomes, spontanéistes, conseillistes, situationnistes...), ainsi que les Cahiers socialistes libertaires de Leval, À contre-courant de Louvet, La Révolution prolétarienne, et les revues individualistes déjà citées, d'Emile Armand.

1969. L'ORA se détache de la FA et constitue une organisation spécifique.

Daniel Guérin écrit "Pour un marxisme libertaire".

1970. Le 31 janvier, c'est la création officielle de l'Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste (ASRAS), à Paris. Elle deviendra plus tard l'Alliance syndicaliste avec comme organe Solidarité ouvrière.

1971. Le MCL et l'ORA tentent un rapprochement qui échoue malgré l'intervention et la médiation de Daniel Guérin. En juillet, un groupe du MCL rejoint l'ORA. Quatre groupes de l'ORA rejoignent le MCL et donnent naissance à la première Organisation communiste libertaire (OCL-1) lors d'un congrès constitutif à Marseille.

L'OCL a des contacts avec la gauche marxiste autour de thèmes favorables au conseillisme.

Une Confrontation anarchiste (CA) se met en place à partir de militants de la FA, rejoints par l'UFA et quelques groupes autonomes. Guy Malouvier quitte l'ORA après des désaccords portant entre autres sur la question nationale, et crée la Fédération anarchiste communiste occitane.

Du 1er au 4 août, l'Internationale des fédérations anarchistes tient à Paris son 2e congrès.

À partir de juillet, création des cercles Front libertaire qui représentent la structure d'accueil des sympathisants de l'ORA. Leur appartenance n'entraîne pas une adhésion systématique à l'ORA.

Des militants quittent l'ORA pour rejoindre l'Union communiste de France (groupe maoïste ultra-stalinien).

1972. Des groupes quittent la FA pour rejoindre Confrontation anarchiste. Cette dernière publie un bulletin, Combat anarchiste, et un périodique, Commune libre.

De 1971 à 1976, c'est la tendance non organisationnelle qui va être majoritaire dans cette "Confrontation".

Exclusion de militants de l'ORA qui appuyaient les "candidatures révolutionnaires uniques" aux législatives. Une minorité d'entre eux va renforcer Lutte Ouvrière, tandis que la majorité rejoint la Ligue communiste.

1973. Rupture du groupe Poing noir avec la FA sur des bases organisationnelles.

Intégration des cercles FL à l'ORA.

1974. Création du Groupe d'action et d'études libertaires (GAEL) à partir du groupe Poing noir, rejoint par d'autres libertaires non organisationnels.

Parution de Lanterne noire, revue qui accueille des anciens de Noir et Rouge (disparue) et des libertaires d'Informations et correspondances ouvrières (disparue à ce moment-là).

L'OCL éclate définitivement après sa dérive conseilliste qui date de 1971. Le reste de ses militants, renforcé par la venue de deux groupes scissionnistes de l'ORA, fonde une nouvelle organisation et revue, Rupture. Celle-ci veut contribuer à "l'élaboration du projet communiste à l'émergence d'un mouvement communiste radical". Cette orientation ultra-gauche va les conduire vers les groupes "autonomes". Cette organisation disparaîtra très rapidement.

Après les grèves de 1974 dans les banques, le rail et aux PTT, naît une tendance ouvriériste et syndicaliste révolutionnaire au sein de l'ORA. Cette tendance, baptisée Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), critique la composition majoritairement étudiante de l'ORA, ses dérives ultra-gauches (antisyndicalisme) et sa confusion politique qui conduit des militants de valeur à la quitter pour la LCR ou d'autres organisations marxistes.

1976. Congrès de l'ORA à Orléans, qui entérine l'exclusion de la tendance UTCL, et se rebaptise Organisation communiste libertaire (OCL 2e manière). L'OCL publie Front libertaire et un premier numéro de Pour l'autonomie ouvrière et l'abolition du salariat.

En avril, les exclus de l'ORA créent un collectif pour une Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL). Ils se dotent d'un organe de presse : Tout le pouvoir aux travailleurs (TLPAT) au début de l'année 1977.

Confrontation anarchiste éclate et donne naissance à l'Organisation combat anarchiste (OCA) sous l'impulsion des organisationnels.

1977. Fin octobre se déroule à Paris la Conférence nationale des travailleurs libertaires. Celle-ci est convoquée à l'initiative de l'AS, du Groupe anarcho-syndicaliste (GAS) de Rouen et de l'UTCL. La FA, la CNT et l'UAS sont présents à titre d'observateurs. Le Monde libertaire devient hebdomadaire.

1978. Les 25 et 26 février se réunit le congrès constitutif de l'UTCL. Du 23 au 27 mars se réunit à Carrare le 3e congrès de l'Internationale des fédérations anarchistes (IFA), le secrétariat IFA est désormais assuré par la FA Italienne... La FA reconnaît désormais dans ses principes de base la lutte des classes.

Départ de la FA de quelques groupes et militants en désaccord sur l'intégration de ce concept dans les principes de base qui régissent le fonctionnement de la fédération. Ils fondent l'Union anarchiste (UA) avec le Libertaire comme organe.

En septembre se réunit à Rouen la Conférence nationale des anarcho-syndicalistes (CNAS) à l'initiative du GAS de Rouen et de l'AS. Y sont présents des groupes FA, la FA à titre d'observatrice, ainsi que la CNT (Vignolles), la CNT (Tour d'Auvergne), l'UAS, le Syndicat autonome des travailleurs (SAT) de Lyon et des individuels.

1979. En mars, CNAS à Lyon. Le quinzomadaire Front libertaire disparaît. Daniel Guérin puis Georges Fontenis sont admis au sein de l'UTCL.

1980. Les contacts entre l'UTCL et l'OCA aboutissent à l'intégration de cette dernière dans l'UTCL. Le journal Lutter de l'OCA deviendra par la suite le journal de l'UTCL. L'OCL publie désormais le mensuel Courant alternatif.

1981. C'est le congrès de la Fédération anarchiste qui, en mai, signe l'acte de naissance de "Radio libertaire", en plein boom des radios libres. La première émission commence le 1er septembre.

1983. Le 29 août, les CRS investissent le studio de "Radio libertaire" et saisissent le matériel, le 3 septembre, une manifestation de cinq mille personnes pour la liberté d'expression obtient une fréquence pour "Radio libertaire".

1984. Apparition des premiers groupes Scalp.

1986. Des groupes antifascistes se réunissent pour constituer la Coordination nationale antifasciste (CNAF). Mouvements de jeunesse très liés à la scène du rock alternatif, les Scalp auront du mal à se structurer durablement et la CNAF disparaît à la fin des années 1980.

Le 4e congrès de l'IFA se tient à Paris les 31 octobre, 1er, 2 et 3 novembre, il réunit une quarantaine de délégations, la FA française récupère le mandat du secrétariat IFA.

À la faveur du mouvement étudiant contre Devaquet naît le Collectif jeunes libertaires (CJL) qui bientôt va s'adosser à l'UTCL.

1990. Une centaine de militants issus de l'UTCL, de la FA, du CJL, de l'OCL et de la TAC, lancent un "Appel pour une alternative libertaire" qui veut regrouper les communistes libertaires dans une même organisation.

1991. Congrès constitutif d'Alternative libertaire (AL), qui échoue à demi à regrouper largement les communistes libertaires. L'UTCL et le CJL s'autodissolvent et leurs militants rejoignent AL, qui publie son "Manifeste pour une alternative libertaire" et désormais le mensuel Alternative libertaire. S'inspirant des théories de Daniel Guérin cherchant la synthèse entre l'anarchisme et le marxisme, de Castoriadis (Socialisme ou barbarie)... elle se revendique du communisme libertaire, de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire.

1992. Après une crise identitaire et politique — l'antifascisme est nécessaire mais pas suffisant — la volonté de refonder un réseau parmi les groupes antifascistes et alternatifs se matérialise par la création du réseau No pasarán.

1993. La CNT scissionne sur la base de désaccords sur les élections professionnelles, la CNT "Vignolles" regroupe la majeure partie des militants, une minorité fonde la CNT-AIT.

1996. La CNT "Vignolles" est exclue de l'Association internationale des travailleurs (AIT), la CNT-AIT est reconnue comme la seule section française de l'AIT.

1997. Le 5e congrès de l'Internationale des fédérations anarchistes se tient à Lyon, le mandat de secrétaire de l'IFA incombe désormais à Massimo. L'IFA regroupe la FA française, la FA italienne (FAI - Federazione anarchisti italiano), la FA ibérique (Espagne et Portugal, FAI - Federación anarquista ibérica), la Fédération libertaire argentine (FLA - Federación libertaria argentina), la FA anglaise (AF - Anarchist Federation).

2000. Le 5e congrès d'Alternative libertaire décide d'un "tournant vers la visibilité", après presque dix ans d'immersion dans les mouvements sociaux, au détriment de la construction d'AL. Création de l'association des Amis d'AL pour aider à en financer les projets. Le mensuel Alternative libertaire augmente son tirage et passe en distribution publique.

2001. Le 1er avril, à l'initiative de la CGT espagnole a lieu à Madrid une réunion internationale libertaire à laquelle assistent AL, No pasarán, l'OSL argentine, la FAG brésilienne, la FAU uruguayenne, Al Badil al Chooi al Taharouri (Alternative communiste libertaire, Liban), l'ORA tchèque, l'OSL suisse, l'Unicobas italienne, la SAC suédoise,le CIPO-RFM (Mexique), Apoyo Mutuo (Espagne) et la CNT-Vignoles.

Ces organisations — à l'exception de la CNT-Vignoles — décident de constituer le réseau Solidarité internationale libertaire (SIL), auquel s'associent bientôt l'OCL puis l'OLS (en 2003) françaises, la Nefac nord-américaine, la ZACF sud-africaine, la FDCA italienne et l'AUCA argentine.

Le réseau SIL se lance dans un projet de solidarité concrète avec les organisations libertaires d'Amérique du Sud, pour les doter en logistique.

2002. L'Union régionale du sud-ouest (URSO – Toulouse, Perpignan et Montpellier...) de la FA se défédère lors du 59e congrès de Rouen sur des désaccords organisationnels et se constitue en Coordination des groupes anarchistes (CGA). La CGA publie le mensuel Infos et analyses libertaires.

2003. Le réseau No pasarán se scinde en deux au mois de juin, Offensive libertaire et sociale (OLS) voit le jour et édite un trimestriel Offensive. La CGA édite ses statuts et adopte notamment le vote majoritaire aux trois quarts.

La Convergence des luttes anti-autoritaires et anticapitalistes (CLAAAC) se forme à l'initiative de la FA, d'AL, de l'OCL, de la CNT-F, la CGA, de l'OSL suisse et de No pasarán en opposition à la tenue du G8 à Évian et participe à la création du VAAAG.

Les mêmes organisations se joignent à l'initiative de la Fédération anarchiste d'organiser en novembre un forum social libertaire à Saint-Ouen en opposition au forum social européen de Saint-Denis. Alternative libertaire ouvre ses locaux publics à Paris, rue d'Aubervilliers.


Aujourd'hui (2004)

En 2004, le panorama libertaire est composé d'une bonne dizaine d'organisations : la FA (le Monde libertaire) reste l'organisation la mieux structurée et la plus développée, vient ensuite AL (Alternative libertaire) qui se renforce depuis 2001, l'OCL (Courant alternatif), la CGA (Infos et analyses libertaires), No pasarán (No pasarán), l'OLS (Offensive), et d'autres composantes plus ou moins groupusculaires comme la CNT-AIT, la CNT 2e UR, le GARAS, la Coordination anarchiste, l'Union anarchiste...

Il faut mettre à part la CNT-Vignoles qui souhaite se situer exclusivement dans le champ syndical et ne plus se voir accoler l'étiquette libertaire.

Au niveau international vivent symboliquement une Internationale des fédérations anarchistes (IFA), Solidarité internationale libertaire (SIL) et l'Association internationale des travailleurs (AIT).


(*) Piqué sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_d ... _en_France

http://jccabanel.free.fr/th_histoire_du ... rtaire.htm
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede Blackwater » 04 Jan 2015, 14:46

Je savais pas où mettre cet article...

George Fontenis - Pour un communisme libertaire

Dépasser, d'une main, l'anarchisme incantatoire, idéaliste et naïf et, de l'autre, le communisme autoritaire, bureaucratique et fossoyeur d'autonomie ? Fédérer le meilleur de ces deux traditions qui, depuis la célèbre rixe qui opposa Marx à Proudhon, s'affrontèrent à l'envi — et parfois dans le sang ? C'est ce que tenta Georges Fontenis, figure importante, quoique fort peu connue hors des cercles militants, du communisme libertaire français. Engagé dans la lutte anticolonialiste lors de la guerre d'Algérie, complice d'une tentative d'attentat contre Franco, ce militant inlassable fut aussi un personnage controversé, tant il bouscula, avec plus ou moins de succès, les lignes de sa propre famille politique.

« On peut dire que des attitudes, des réflexions, des manières d'agir que nous pouvons qualifier de révoltées, de non conformistes, d'anarchistes au sens vague du terme, ont toujours existé. Mais la formulation cohérente d'une théorie communiste anarchiste remonte à la fin du XIXe siècle, et se poursuit chaque jour, se précise, se perfectionne avec l'apport de l'expérience historique », écrivit en 1953 Georges Fontenis, dans le Manifeste du communisme libertaire. Et ce fut là tout son engagement, tout son combat. À l’anarchisme qu'il jugeait fossilisé, littéraire, vague et sentimental, il opposa une autre conception, à la fois communiste et libertaire, qui prenait racine au sein de la 1ère Internationale, avec les apports des penseurs et militants Mikhaïl Bakounine et Karl Marx.

Georges Fontenis, c'est un parcours parfois aventureux et toujours à la recherche de la voie qui selon lui serait la bonne, quitte à briser les tabous et les dogmes entretenus par quelques gardiens autoproclamés du « temple anarchiste » — ceux-là mêmes qui n’eurent de cesse de le salir (et continuent de le faire). Mais pourquoi ce personnage a-t-il à ce point divisé, bousculé et clivé le mouvement libertaire français ?

De la découverte du socialisme à la Fédération anarchiste

Né dans une famille ouvrière, Fontenis passe son enfance en banlieue parisienne. À partir de 1934, il dévore les journaux syndicalistes et socialistes révolutionnaires. C’est à l’age de dix-sept ans que ses idées politiques se précisent et qu’il décide de rejoindre l’Union anarchiste. Il y découvre les œuvres de Bakounine et de Kropotkine puis vend Le libertaire à la criée.

« Mais pourquoi ce personnage a-t-il à ce point divisé, bousculé et clivé le mouvement libertaire français ? »

Sous l’Occupation, il parvient à éviter le Service du travail obligatoire en Allemagne et, une fois instituteur, il rejoindra le syndicat des instituteurs de la CGT clandestine. À la libération de Paris, il devient l'un des animateurs (puis bientôt le secrétaire) de la Commission des jeunes du syndicat puis sera désigné pour siéger à la Commission d’épuration de l’Éducation nationale, afin d’élucider les faits de collaboration dans l’enseignement (il sera en charge des cas les plus conséquents : les recteurs et les inspecteurs d’Académie qui servirent, non sans zèle, le régime de Vichy et l’occupant nazi). Après un passage à la CNT, il participe, au début des années 1950, à la refondation de L’École émancipée — une tendance révolutionnaire du syndicalisme enseignant.

Après avoir pris part au congrès fondateur de la Fédération anarchiste (FA) en octobre 1945, et suite à plusieurs sollicitations de ses camarades, il intervient un an plus tard, au nom des Jeunesses Anarchistes (dont il est le secrétaire) à la fin du congrès de Dijon. Le discours est fort. Sans gants ni détours, il dénonce les « démolisseurs, les contemplateurs de leur nombril, les “enfileurs de phrases” vains et néfastes » qui paralysent le congrès. Ce jeune homme, qui semblait faire consensus au sein d’une FA divisée en ces temps d'après-guerre, n'a que vingt-six ans.


Afin de bien comprendre le mouvement anarchiste, fort complexe et divers au demeurant, ainsi que la critique virulente que formula Fontenis, il est fondamental d’opérer certaines distinctions. La FA est une organisation anarchiste synthétiste. Cela signifie qu’elle trouve sa source idéologique et organisationnelle dans une tradition libertaire historique dont l’écrit de référence reste sans doute La synthèse anarchiste de Sébastien Faure. Grand militant et orateur anarchiste actif à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, personnage respecté et de renommée internationale, Faure est reconnu pour son soutien indéfectible à ses camarades, ses talents de conférencier (il y ciblait sans ménagement l’État, le Capital et la religion), ses recherches sur la pédagogie ou encore son engagement dreyfusard, dans une France où l’antisémitisme faisait figure de norme (y compris chez certains libertaires…).

« Se fédérer autour d'une ambition politique commune : bâtir une société libertaire nourrie de toutes les sensibilités. »

Ce synthétisme avançait l'idée que les tendances communistes libertaires, anarcho-syndicalistes, individualistes, humanistes et pacifistes pouvaient, et devaient, se fédérer au sein d’une organisation autour d'une ambition politique commune : bâtir une société libertaire nourrie de toutes ces sensibilités plurielles et parfois contradictoires. Mais, en réalité, l’absence de ligne claire a toujours empêché une véritable cohésion. Les individualistes, notamment, n’étaient guère enthousiastes, c'était le moins que l'on pût dire, dès qu'il s’agissait d’opérer des efforts de structuration. Les tendances cohabitaient assez mal au sein de la FA. Georges Fontenis va donc s'employer — d’une manière d’ailleurs discutable — à transformer de fond en comble la FA, durant plusieurs années et de manière clandestine : c’est l’OPB (Organisation, Pensée, Bataille).

L’OPB, une tentative de rénovation de l’anarchisme

L’anarchisme de Georges Fontenis s'élève contre l’idéalisme fumeux ; il le souhaite ancré dans les luttes sociales. Sa conviction est celle des plateformistes : l'anarchisme doit être un mouvement politique et non un milieu philosophique et culturel, un mode de vie. Fontenis, séduit par le matérialisme de Karl Marx, est partisan d’une autre tradition anarchiste : celle qui en appelle, d'un même élan, au communisme.

Le terme « plateformisme » n'évoque, fort logiquement, rien au tout-venant. Que signifie-t-il ? Il fait référence à la plateforme d’organisation des communistes libertaires, rédigée en 1926 par Piotr Archinov et quelques autres anarchistes russes en exil — parmi lesquels Ida Mett et Nestor Makhno. Ce texte analyse l’échec des libertaires face aux bolcheviks lors de la Révolution de 1917-1921. Il en appelle très clairement à balayer toutes les idées abstraites et fantaisistes parfois présentes dans la tradition anarchiste, insiste sur la primauté de la lutte des classes et du matérialisme et loue une ligne claire, définie, unie (tout en rejetant, bien sûr, le communisme de caserne). Les synthétistes qualifient volontiers les plateformistes de « bolchevisés » (ou de « marxisants »), tandis qu’à l’inverse les synthétistes sont accusés de confusionnisme et de dilettantisme... Le mouvement anarchiste français est donc scindé entre ces deux courants principaux. Dans une Fédération Anarchiste où certaines fractions rejettent d’emblée le syndicalisme, la critique marxienne de la société, la lutte des classes, voire la rupture révolutionnaire avec le capitalisme, Georges Fontenis va réagir selon ses convictions et celles de ses partisans : il tente, par le biais de l'OPB, une mutation de cette organisation qu’il juge vieillotte, sectaire et incapable d’évoluer. Ses membres sont recrutés au fil du temps, par cooptation.

En quelques années, l’OPB et ses thèses deviennent majoritaires au sein de la FA. Elles finissent même par triompher en 1953 : l’organisation clandestine s’auto-dissout et la FA se transforme en FCL (Fédération communiste libertaire). Ligne politique unique avec la volonté de peser et d'offrir une véritable orientation au sein du mouvement social : discipline, matérialisme, analyse marxienne du capitalisme, affirmation de la nécessité de la révolution et d'une rupture radicale avec la société bourgeoise, syndicalisme, luttes sociales. Georges Fontenis, et ceux qui ont œuvré à ses cotés (Louis Estève, Roger Caron, Serge Ninn…) ont réussi leur coup.

« L'anarchisme doit être un mouvement politique et non un milieu philosophique et culturel, un mode de vie. »

D’autres anarchistes, réunis notamment autour de Maurice Joyeux (alors une grande figure du mouvement), n’ont pas digéré ces méthodes : ils vont créer une nouvelle FA. C’est, en France, une page du mouvement anarchiste qui passionne encore ici ou là, même si les principaux protagonistes de l’époque disparaissent au fil du temps. Nous n'entrerons pas dans ces querelles anciennes. À l'évidence, les méthodes de l’OPB — de ce que l’on en sait — ne furent pas toujours des plus reluisantes eu égard à leur manque de transparence. Bien que critique quant à ses excès, Georges Fontenis ne reniera rien : tout cela fut nécessaire tant les désaccords, qui plombaient la dynamique du mouvement, s'avéraient irréductibles.

Pour terminer, soulignons que, de 1951 à 1953, les positions défendues en congrès par l’OPB seront approuvées par la majorité de la FA. Sans aucun trucage. Mohamed Saïl, volontaire durant la Guerre d'Espagne et membre de l’UA puis de la FA (il n’appartenait cependant pas à l’OPB), écrira, dans une lettre adressée à Fontenis en janvier 1952 : « Mon vieux Fontenis, vous êtes jeune pour la plupart des camarades dits majoritaires et c’est pourquoi vous ignorez que vous êtes, vous, dans la véritable ligne traditionnelle de l’anarchisme¹ ».

Une organisation communiste libertaire

La même année, Georges Fontenis publie un livre : le Manifeste du communisme libertaire. On y trouve ce que Daniel Guérin — qui est pour sa part issu du trotskysme — théorisera quelques années plus tard, avec, notamment, la publication de Jeunesse du socialisme libertaire ou d'À la recherche d'un communisme libertaire. Daniel Guérin et Georges Fontenis militeront d’ailleurs souvent ensemble et le travail théorique et intellectuel du premier influencera grandement le courant communiste libertaire.

« Fontenis aspire à provoquer, jusqu'à la dernière limite, les anarchistes les plus orthodoxes. »

À la lecture du Manifeste, on comprend sans peine pourquoi ses détracteurs purent qualifier Fontenis de « Lénine du mouvement anarchiste ». Certaines formules firent sursauter plus d'un lecteur anarchiste : « parti », « dictature du prolétariat », « ligne politique », « discipline », « avant-garde »… Si le long développement sur l’avant-garde se distingue de la conception léniniste (« Il nous faut développer, écrit Fontenis, expliquer comment la minorité agissante, l'avant-garde révolutionnaire, est nécessaire sans pour cela devenir un état-major, une dictature sur les masses. En d'autres termes, il nous faut montrer que la conception anarchiste de la minorité agissante n'a rien d'aristocratique, d'oligarchique, de hiérarchique. »), le vocabulaire a parfois, et non sans raisons, de quoi heurter. Et quid de la fameuse et tant redoutée « dictature du prolétariat » ? « Peut-elle signifier l'exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière victorieuse ? interroge Fontenis. Non car l'exercice du politique au sens classique de "pouvoir politique" ne peut se faire qu'à travers un groupe limité, exerçant un monopole, une suprématie, se séparant ainsi de la classe, n'en faisant plus partie, et l'opprimant. Et c'est ainsi qu'en voulant se servir d'un appareil d'État, on réduit la dictature du prolétariat à la dictature du parti sur les masses. Mais si on entend par dictature du prolétariat un exercice collectif et direct du "pouvoir politique" par la classe, on signifie par là que le "pouvoir politique" disparaît puisqu'il a pour caractères distinctifs : la suprématie, l'exclusivité, le monopole. Ce n'est plus l'exercice du pouvoir politique ou sa conquête, c'est sa liquidation ! »

Fontenis aspire à provoquer, jusqu'à la dernière limite, les anarchistes les plus orthodoxes. Guy Bourgeois, ancien militant de la FCL, fera savoir dans une préface qu'il rédigera à la réédition du Manifeste, en 1985 : « Le Manifeste utilise le vocabulaire proscrit en cours chez les marxistes : parti, ligne politique, discipline. On se sert du terme "dictature du prolétariat" pour faire une tête de paragraphe, même si on en nie ensuite le principe dans le texte. On ne craint pas d’affirmer que les autres tendances n’ont qu’un lien vague avec l’anarchisme dont notre courant constitue le seul représentant. […] Pourtant, le Manifeste du communiste libertaire a été nécessaire. Il a marqué pour la première fois au sein du mouvement libertaire de l’après-guerre une coupure nette avec les tendances humanistes de conciliation. »

Le Manifeste du communisme libertaire a bien sûr vieilli : les positions, obéissant à une ligne strictement plateformiste et énoncées de façon succinctes, peuvent pêcher par « ouvriérisme » et négligent les questions féministes et écologistes. La FCL, en toute logique, sera portée par les mêmes forces et les mêmes faiblesses (et excès) que le Manifeste. En 1954, le groupe Kronstadt de la FA (puis de la tendance clandestine que fut l'OPB) est exclu de la FCL. Il publiera un Mémorandum jugé accablant pour cette dernière — il appartient à chacun de le lire et de se positionner dessus (Georges Fontenis tiendra d'ailleurs à l'intégrer en annexe de ses mémoires). Cela n'empêchera guère la FCL de poursuivre son combat sur bien des fronts ! Le principal sera, par la force des événements, la guerre d'Algérie.

Lutte anti-coloniale et lutte des classes

La toute nouvelle FCL n'a pas pour ambition de passer son temps à débattre autour de vieux livres poussiéreux. Son credo : le dynamisme, l’action, les luttes ! En 1948, Fontenis avait déjà participé à une tentative d’attentat contre le général Franco, avec des anarchistes espagnols en exil de la CNT-FAI, même si son rôle se limita à faire office de prête-nom afin d’acheter l’avion de tourisme qui sera transformé en bombardier. Mais un événement historique majeur va survenir en 1954 : l’insurrection de la Toussaint. Une vague d’attentats — dont certains furent meurtriers — secoue l’Algérie. Au lendemain de la défaite des forces française en Indochine, les envies de liberté et d’autodétermination bouillonnent sur la terre nord-africaine colonisée depuis 1830.

« Au lendemain de la défaite des forces française en Indochine, les envies de liberté et d’autodétermination bouillonnent sur la terre nord-africaine. »

La FA ne prendra pas position — au prétexte qu’il s’agirait seulement de « nationalistes algériens » opposés à des « nationalistes français » — et l’extrême gauche va également largement tergiverser. Le Parti communiste français condamnera les attentats du Front de libération nationale algérien en 1954 et sa direction ne s’opposera pas au « Front républicain » : elle poussera même l’ignominie jusqu’à voter, en mars 1956, les pleins pouvoirs au gouvernement Mollet, légitimant ainsi la répression en Algérie ! Pendant ce temps, la FCL apportera d’emblée son « soutien critique » à la cause indépendantiste². Il faut dire que les positions de la FCL sont très nettes concernant le colonialisme : « Les sections de l’Internationale appuieront les luttes de peuples coloniaux pour l’indépendance parce que ces luttes contribuent à affaiblir l’impérialisme, le mettent en crise et font avancer la perspective révolutionnaire dans les métropoles et dans le monde entier. L’appui donné à ces luttes ne comporte pas, en cas de victoire des mouvements pour l’indépendance des pays coloniaux, l’appui aux gouvernements créés par le capitalisme indigène, destiné du reste à rentrer dans l’orbite de l’une ou l’autre centrale impérialiste, mais cet appui comporte la solidarité avec le prolétariat colonial dans la lutte qu’il ne manquera pas de développer contre l’exploitation et contre l’impérialisme. »

Si le soutien de la FCL se veut critique, c’est justement parce qu'elle craignait (l’Histoire se chargera de lui donner raison) un simple « remplacement » d’oppression : qu’une bourgeoisie algérienne succède à l’impérialisme français, sans œuvrer à une véritable transformation socio-économique. La FCL tentera d’alimenter la réflexion sur ces sujets, y compris au sein de la résistance algérienne. Lié à la Fédération, un mouvement nommé MLNA (Mouvement libertaire nord-africain) agira sur place, notamment grâce à Léandre Valéro. En butte à une répression féroce, l'organisation se délitera courant 1956. Les communistes libertaires français s'engagèrent clandestinement dans la constitution de réseaux de « porteurs de valises » (armement, fonds financiers, matériels divers…) afin d’appuyer les maquisards. Parallèlement, il s’agissait de répandre certaines idées dans l’opinion. Les campagnes d’affichage de la célèbre « Vive l’Algérie libre ! », comme les numéros du Libertaire (le journal de l’organisation), s'échinent à défendre la cause algérienne. Mais tout cela à des conséquences. Après un collage massif, il y aura une perquisition quai de Valmy, à leur local. Les militants ne roulent pas sur l'or et les numéros du Libertaire ne cessent d’être saisis sur ordre du ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain François Mitterrand. À cela il faut ajouter l'arrestation du militant Pierre Morain (le premier Français à être interpellé pour son soutien à l'indépendance algérienne), qui va purger un an de prison pour « reconstitution de ligue dissoute ». Dans cette période très tendue où le pouvoir refusait de parler de « guerre », les propos tenus par Le Libertaire tranchaient : « Exigeons le retrait du contingent et des troupes ! », « Les travailleurs Algériens veulent en finir avec 125 ans d’exploitation » !

Lorsqu’un numéro est saisi, on tente de le ressortir avec des modifications de forme en espérant que la censure ne frappera pas derechef. En 1956, Georges Fontenis et plusieurs compagnons se présentent aux législatives. Les motivations sont diverses : l’organisation stagnait au sens où elle ne grossissait plus, la guerre d’Algérie battait son plein et posséder un élu permettrait d’avoir un écho. Fontenis et ses camarades ne sont pas abstentionnistes par principe, comme la plupart des anarchistes, mais se veulent pragmatiques — ils n’oublient pas que l’anarcho-syndicalisme espagnol s’est accru après la victoire du Front populaire aux élections, ils n'oublient pas que Bakounine avait soutenu, en 1870, les candidatures italiennes de Gambuzzi et Fanelli. Pourtant, Georges Fontenis avouera par la suite à quel point ils mirent, en participant au processus électoral et à la mascarade parlementaire, « les pieds dans le crottin ». Ce fut une « erreur considérable ».

La répression, le manque d'argent, les erreurs stratégiques qui causent des tensions légitimes chez des libertaires, conduisent à l'usure. La lutte, dans les formes présentes, devient difficile à continuer. La Fédération prend fin et plusieurs de ses membres décident de passer à la clandestinité.

En quête d’un communisme libertaire

Entre l'arrêt de la FCL et le surgissement de Mai 68, Fontenis passera globalement ce qu’il nommera lui-même des années grises : « Il se passa d’ailleurs fort peu de temps avant que la gendarmerie (puisque nous étions désormais poursuivis par le pouvoir militaire) ne vienne me chercher à mon domicile. Je vivais à l’autre bout de Paris, dans un "studio" sans chauffage appartenant à l’amie d’un des nôtres non poursuivi. Inutile de souligner que l’hiver 1956-1957 ayant été spécialement rigoureux, je garderai pour toujours la phobie des nuits d’insomnie glacées, en dépit des amoncellements de couvertures » (Changer le monde… Histoire du mouvement communiste libertaire)

« La répression, le manque d'argent, les erreurs stratégiques qui causent des tensions légitimes chez des libertaires, conduisent à l'usure. La lutte, dans les formes présentes, devient difficile à continuer. »

Condamné une dizaine de fois pour des articles du Libertaire (deux ans de prison et un million d’anciens francs d’amende), il ne restera cependant que peu de temps en prison — suite à la prise de pouvoir de de Gaulle en 1959, l’amnistie est décrétée. Mais il faudra régler les amendes et les frais de justice (40 000 nouveaux francs pour lui seul, somme à laquelle il faut ajouter les condamnations des camarades s’élevant à vingt-quatre mille nouveaux francs). Fontenis avait réussi à réintégrer, non sans mal, l’Éducation nationale en 1958. Même la direction de son syndicat fut réticente à défendre sa réintégration, considérant que Fontenis n’avait pas à soutenir « les Arabes », eux aussi « nationalistes » et ayant « soumis les Berbères fixés avant eux en Afrique du Nord ». Pour Fontenis, cela rappelle de tristes souvenirs et de vains débats, le spectre des dissensions passées au sein de la FA : « Comme quoi le discours apparemment puriste sert d’argument pour justifier la désertion du combat réel, aussi bien chez la plupart des socialistes (ils sont, avec Lacoste au gouvernement général de l’Algérie, solidaires de la répression) que chez certains anarchistes ».

Mais Fontenis peut toujours compter sur la généreuse solidarité d’un camarade qu’il a connu du temps de la FA d’avant 1953, et qui fut secrétaire de rédaction du Libertaire : Georges Brassens. « Il vient souvent sur le coup de midi m’attendre à la sortie de l’école du 4, rue Fessart où je suis instituteur. J’habite en face, au numéro 7. Nous cassons la croûte ensemble, puis Georges Brassens chante et joue sur le piano que nous possédons et qui semble le fasciner », racontera Fontenis dans ses mémoires. Inconnu lorsqu'il se rapproche du mouvement libertaire à l'époque, Brassens s’est impliqué au sein du mouvement, de son journal, et il aidera financièrement le courant libertaire lorsqu’il commencera à rencontrer le succès et à gagner de l’argent. Tout autant la FCL que la nouvelle FA à la fin des années 1950, d’ailleurs. Les deux Georges, Brassens et Fontenis, resteront liés par une amitié solide.

Même si Fontenis s’investit au sein de La Voie Communiste (un regroupement d’extrême gauche « œcuménique ») et qu’il mène de discrètes activités anticolonialistes et antifranquistes, tout en continuant de tisser des liens avec divers militant.e.s, cette décennie 1958-1968 ressemble à une véritable traversée du désert. Le courant politique qui lui est cher, le communisme libertaire, se trouve privé d’une organisation structurée et conséquente. Mais l’Histoire n'a pas dit son dernier mot ; elle permettra à Fontenis de retrouver un rôle véritable dans la reconstruction d’une organisation : en 1968, à Tours, il repère des cheminots qui arborent un drapeau rouge et noir (que le service d’ordre du PCF tente d’éliminer, selon ses dires). Après discussions, c’est avec eux, et des étudiants, que va se fonder à Tours le CAR (Comité d’action révolutionnaire) — qui ne manquera pas d'inquiéter la préfecture et le ministre de l’Intérieur. Le CAR est présent dans les facs, dans les usines ainsi que dans plusieurs entreprises (SNCF, Indreco, SKF…), mais il s’essoufflera à mesure que les événements de 1968 retomberont. Lors de l’agitation, Fontenis constate l’impuissance et l'inorganisation du mouvement libertaire ; il écrira d’ailleurs que c’est « l’absence d’une réelle avant garde réfléchie et organisée, face à la puissance encore hégémonique du PC qui, en dernière analyse, fut cause de l’arrêt, puis du recul, enfin de la défaite politique ».

« Georges Fontenis est quant à lui devenu un vieil homme, mais il reste fidèle à ses engagements de toujours. »

Il s'engage au sein du Mouvement communiste libertaire puis, en 1979, rejoint l'Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL). Neuf ans plus tard, Daniel Guérin décède. Georges Fontenis est quant à lui devenu un vieil homme, mais il reste fidèle à ses engagements de toujours. Il continue d'œuvrer au sein de la vie associative et politique locale, à Tours. Athée convaincu, militant au sein de La Libre Pensée, il fera d'ailleurs une dernière sortie remarquée, grimé en faux pape, lors de la venue de Jean-Paul II en 1996... Il continue de militer à l’UTCL. Patrice Spadoni, le cofondateur de l’UTCL, dira de sa première rencontre avec Fontenis : « Le voici donc parmi nous au congrès, les cheveux courts, l’air un peu sévère, vêtu d’un imperméable strict, alors que nous étions tous plus ou moins chevelus, avec des looks bigarrés de gauchos et de babas cools. Georges Fontenis était de beaucoup notre aîné — plus de trente ans le séparaient de la plupart d’entre nous. Et il nous impressionnait. »

Plus tard, le même Spadoni ajoutera après avoir longuement milité aux côtés du personnage : « Ce qui revient en premier en mémoire en pensant à ces trois décennies de combats communs, c’est son sourire caustique mais bienveillant. Son intelligence constructive. Sa patience, quand nous étions moins réalistes que lui. La constance de son engagement, sa présence solide à nos côtés… » Georges Fontenis adhère à Alternative Libertaire lorsque, en 1991, cette organisation naît : il s’agit d’un auto-dépassement de l’UTCL et d’une fusion avec un groupe de jeunes libertaires. Georges Fontenis restera membre de l’AL jusqu’à sa mort, en 2010, à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Toujours cohérent et fidèle à sa conviction profonde : qu’une organisation spécifiquement communiste libertaire doit exister, peser, influer. AL est à la fois héritière indirecte de la FCL, et héritière directe de l’UTCL, issu de l’ORA.

« Le Prince des Ténèbres »

Georges Fontenis traîna toute son existence une réputation sulfureuse. En introduction de ses mémoires, il écrivit ainsi : « Il ne m’a pas toujours été facile de garder le sang-froid face aux ragots, aux calomnies, aux élucubrations de ceux auxquels les années qui passent n’ont rien apporté, pas même un peu de raison. Considéré comme celui par qui tout le mal est arrivé, je suis resté pour eux "le Prince des Ténèbres" qui a ruiné le mouvement anarchiste. Et ils renouvellent, périodiquement, tels des inquisiteurs, les pratiques d’exorcisme. »

Maurice Joyeux, de la FA, alla jusqu’à publier une brochure, L’Hydre de Lerne, afin d'expliquer en quoi des « marxisants » s'appliquèrent à piller, dénaturer et finalement détruire l’anarchisme, et comment, telle la créature mythologique dont les têtes repoussent après être coupées, ils venaient et revenaient inlassablement. Mais tout ne fut pas aussi ridicule. Certaines critiques de la FA sont compréhensibles. La peur d’un excès d’organisation, d’une bureaucratisation, de dérives autoritaires… Fontenis parut flirter avec la limite et comit des erreurs qui constituaient autant de bâtons pour se faire battre. Elles ont été évoquées : des manières peu démocratiques pour transformer la FA, une aventure électorale, une rigueur organisationnelle jugée autoritaire (aggravée par les provocations lexicales du Manifeste)... Et n’oublions pas une autre errance, plus tardive, au sein de la franc-maçonnerie — si l'intéressé ne le regretta pas, il fit savoir que cela ne lui apporta rien pour autant… Et l'on ne peut reprocher aux partisans de la synthèse anarchiste d’en vouloir à l’OPB puisqu'elle a transformé — mais, de fait, détruit — leur organisation. Les complots paranoïaques comme les surnoms démoniaques et autres opuscules pamphlétaires qui ont plu sur Fontenis semblent difficiles à justifier aujourd’hui et prêtent volontiers à sourire… Car la FA ne fut pas exempte d'excès : d'aucuns, parmi ses partisans, ne voulant absolument pas que l’anarchisme fût un mouvement politique sérieux, organisé, crédible et conséquent dans les luttes...

Dans l’ombre de Daniel Guérin

Georges Fontenis n’eut jamais la renommée d’un Guérin — ou d’un Bensaïd chez les marxistes. Mais par son action, il se retrouva confronté à des situations qui nécessitaient de faire des choix pour le moins concrets. Il s’y heurta de plein fouet, n'hésitant pas à prendre ses responsabilités, préférant agir quitte à se tromper plutôt que de céder à l’immobilisme. Sa diabolisation est d'autant plus évidente lorsque l'on sait que Daniel Guérin connut lui aussi ses périodes de tâtonnements, de retours en arrière et ses erreurs de parcours : attachement obstiné à Ben Bella et Bourguiba, soutien à Poher en 1969, à l'occasion de l'élection présidentielle (il votera également pour Mitterrand en 1981), illusions sur la démarche authentiquement autogestionnaire algérienne jusque dans les années 1970...

« Il nous faut montrer que le socialisme, ce n'est ni le libéralisme honteux des sociaux-démocrates ni l'épouvantable mensonge issu, à travers Staline et les siens, du prétendu marxisme-léninisme. »

Seules les personnes qui n'agissent pas ni ne pensent risquent de ne jamais se tromper. Ramène-t-on constamment Daniel Guérin à ses manquements, ses déficits et ses lacunes ? Nierait-on son apport fondamental au courant communiste libertaire, et même bien au-delà ? Sûrement pas ! Fontenis a su affronter, avec d'autres, des questions qui irritent et traversent encore le mouvement anarchiste et l'extrême gauche en France et dans le monde : les luttes d’indépendances nationales, les élections « bourgeoises », la nécessité d’une organisation avec une ligne politique unique, pour ne pas parler de la nécessité de s’organiser tout court, l’implication dans les syndicats ou les associations de luttes, la notion et l'utilité d'une avant-garde, etc.

À la lumière de l’Histoire, de la réflexion, enrichie par les débats et les expériences, ces questions se résolvent, des réponses s'esquissent, d’autres sont en suspend… Comme Fontenis, nous bénéficions de notre passé, et tentons de dessiner l’avenir en essayant, par nous-mêmes, cahin-caha, de trouver « une voie ». Sans sacrifier l’action et l’indispensable lutte qui se déroule ici et maintenant. Cette lutte qui participe à construire une société nouvelle pour demain. Nous ne l'ignorons pas : ne rien faire reste souvent la pire des choses. Alors, Georges Fontenis, agent marxiste sans foi ni loi venu piétiner et salir l'anarchisme ? Ou personnage courageux, mais excessif, ayant eu le mérite de sortir l'anarchisme d'une certaine philosophie abstraite, idéaliste et naïve, en lui insufflant une ligne claire, les pieds dans le réel ? Les réponses ne parviennent toujours pas à s'accorder. Ce sera donc à chacun de se faire son opinion : les brochures de Joyeux, le Manifeste du communisme libertaire, les mémoires de Fontenis, et tout un tas de documents comme le Memorandum du groupe Kronstadt ainsi que divers témoignages sont largement accessibles de nos jours, sur papier ou sur Internet. Laissons à Fontenis le mot de la fin, qui clôt aussi ses mémoires : « Il faut espérer et oser. Le courant communiste libertaire ne peut sans doute à lui seul ouvrir les voies nouvelles mais il peut, en achevant de se construire, être un des ferments du vaste mouvement autogestionnaire qui ne peut manquer de se développer, dans la perspective d'une pensée révolutionnaire autonome et d'une politique libératrice. Aujourd'hui, après une période de marasme, et même d'abandon de tout espoir pour certains, il nous faut montrer que le socialisme, ce n'est ni le libéralisme honteux des sociaux-démocrates ni l'épouvantable mensonge issu, à travers Staline et les siens, du prétendu marxisme-léninisme — autre mystification —, ce mensonge dissimulant sous l'étiquette socialiste un capitalisme bureaucratique d'État. »

NOTES

1. Les Anarchistes. Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, Les éditions de l'Atelier, 2014.
2. Le PCI (Parti communiste internationaliste) apportera également son soutien.
3. La FCL n’existant plus, juste avant 1968, c’est une tendance « lutte des classes » de la nouvelle Fédération Anarchiste (celle refondée en 1953) qui naquit en 1967 : L’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). À cette époque Georges Fontenis est investi au sein du Mouvement communiste libertaire (MCL), qui deviendra l’Organisation communiste libertaire (OCL-1) et disparaîtra en 1976. Plusieurs ruptures auront lieu et des médiations (avec Daniel Guérin, notamment) seront tentées entre ces organisations (MCL-ORA, surtout), ainsi que, localement, certaines fusions. Mais allons à l’essentiel. En 1971, l’ORA devient une organisation à part entière, mais son existence sera de courte durée. En effet, à cette époque, Mai 68 reste dans toutes les têtes. Une partie de l’ORA semble convaincue que la révolution est pour demain : elle regarde du côté de l’autonomie italienne (groupuscules d’actions révolutionnaires franches et violentes, d’où les fameuses Brigades rouges sont issues, persuadés d’un mouvement révolutionnaire à venir et totalement coupés des masses), prêche une stratégie dite « mouvementiste et rupturiste », refuse l’institutionnalisation des luttes, critique largement les syndicats, etc. Cette partie transformera l’ORA en nouvelle Organisation communiste libertaire (OCL-2). Cette organisation existe toujours à l’heure actuelle. Elle fut à cette époque largement tournée vers la mouvance autonome. L’autre composante se rebaptisera Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), expulsée de l’ORA en 1976, et rejointe par Fontenis et Guérin en 1979. L’UTCL reprochait à l’ORA sa dérive « gauchiste » et antisyndicale. Elle pensait que, bien au contraire, la révolution n’était pas pour demain, et qu’il fallait investir les entreprises, relancer l’anarchisme dans le mouvement ouvrier et l’action syndicale. L’UTCL – entre organisation et réseau de syndicalistes révolutionnaires selon les périodes – publie un journal, Tout le pouvoir aux travailleurs — ce qui fera hurler certains anarchistes, fondamentalement hostiles à la notion de pouvoir. Lors de la fusion entre l'UTCL et l'OCA (Organisation Combat anarchiste), l'UTCL sera là encore intransigeante. Un désaccord retarde la fusion : l'OCA avait comme logo le A cerclé de Anarchie et y était très attaché. Pour l'UTCL, il s'agissait d'un symbole juvénile (et archaïque) qui pourrait rebuter les travailleurs. Une longue discussion sera nécessaire afin de faire abandonner le A cerclé à l'OCA.

http://www.revue-ballast.fr/georges-fon ... ibertaire/
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 04 Avr 2015, 15:43

Histoire du courant communiste libertaire

L’essentiel des articles parus dans les pages Histoire d’Alternative libertaire.

http://www.alternativelibertaire.org/?H ... niste,6004
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 22 Sep 2015, 23:12

Luigi Fabbri : « L’organisation anarchiste »

Rapport présenté au Congrès anarchiste italien de Rome (16-20 juin 1907) et au Congrès anarchiste international d’Amsterdam (24-31 août 1907)


Le rapport présenté par Luigi Fabbri au congrès anarchiste international de 1907, intitulé « L’Organisation anarchiste » n’est pas un texte exposant les formes que doit adopter le mouvement libertaire, c’est une attaque en règle, sans concession, de l’individualisme et des opposants au principe d’organisation. Fabbri pense qu’il n’y a pas d’entente possible entre le mouvement anarchiste « organisé » et les individualistes : la fracture, dit-il, est irrémédiable.

Ce congrès resta dans la mémoire anarchiste comme celui du débat entre Malatesta et Monatte sur le syndicalisme. En réalité, Fabbri avait parfaitement compris ce qui était en jeu. S’organiser ou pas posait le problème de la capacité du mouvement anarchiste à peser sur les événements, et le débat : « syndicalisme ou pas » n’était que la conséquence d’un débat bien plus sérieux, car pendant des années une partie importante du mouvement anarchiste s’était opposée à l’activité syndicale. En fait, le vrai débat de fond qui a marqué le congrès de 1907 fut celui de l’organisation. « Si les anarchistes ne s’organisent pas entre eux, dit-il ailleurs,… tant pis pour leur mouvement […] L’organisation ouvrière est par contre indispensable et rester inactifs, ou peu actifs, indifférents ou pire encore opposés à son égard me semblerait de la part des anarchistes une véritable trahison de la révolution, l’abandon du cours des événements et de l’avenir aux mains de nos adversaires autoritaires et légalitaires. »

Il convient cependant de préciser qu’après le congrès d’Amsterdam, Fabbri relativisera ses positions antérieures sur le syndicalisme révolutionnaire comme forme en action de l’anarchisme.

Doc PDF ((160.4 ko) : http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/luigi_ ... chiste.pdf

http://monde-nouveau.net/spip.php?article578
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 06 Nov 2015, 20:32

Le mouvement anarchiste à Lyon (1880-1884)

Ce texte a initialement été écrit pour le site "Fragments d’Histoire de la gauche radicale" en introduction à la mise en ligne de journaux anarchistes lyonnais de la période 1882-1884. La présentation et les quelques lignes d’introduction de leur démarche sont reproduits en fin d’article.

... http://rebellyon.info/Le-mouvement-anar ... -1880-1884
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Organisations anarchistes 1945-2015 histoire, bilan et -manq

Messagede abel chemoul » 22 Nov 2015, 20:27

Camaraaaaades! la dernière production de Samuel Préjean: un résumé de la vie du mouvement libertaire français sur les 70 dernières années.

à la lire: http://lecombatlibertaire.free.fr/?p=542
(au passage, si des membres de ce forum ont milité pendant les années 80 ou 90, ils peuvent m'apporter leur témoignage, leur vision du mouvement à l'époque par MP pour la deuxième partie de ce texte. merci d'avance.)

Organisations anarchistes 1945-2015
histoire, bilan et -manque de- perspectives (1/2)



Le pourquoi de ce texte
Le mouvement libertaire a tendance à avoir peu de mémoire de lui-même. Beaucoup dans nos rangs militent pour un autre futur sans même connaître le passé du mouvement dans lequel ils sont engagés, ce qui conduit souvent à redécouvrir périodiquement la lune. De plus, après 70 ans de construction/évolution/effondrements, il est temps de faire un bilan de ces organisations.
Voici donc une histoire et un bilan tous personnels des organisations libertaire en France depuis 1945. Chaque période est introduite par une contextualisation économique et politique et suivi d'une conclusion/synthèse d'ordre plus ou moins sociologique. Le texte étant trèèèès long, il est divisé en deux parties : 1945-1990 et 1990-2015, qui n'est pas encore bouclée pour le moment.
Il ne sera ici question que des organisations dites spécifiques, les structures anarcho-syndicalistes, autrement dit les multiples CNT, (qui pour moi sont un anachronisme, cela dit en passant) ne seront pas traitées dans ce texte.



Partie 1 : 1945-1990

Prologue : avant 1945, plus de polémiques que d'organisations

Avant la 2ème Guerre mondiale, entre refus de se fédérer et polémiques internes, le mouvement libertaire a eu le plus grand mal à se structurer durablement. A partir de 1926, le clivage majeur se fera autour de deux grandes conceptions de l'organisation. La première est la vision synthésiste, qui consiste à vouloir rassembler toutes les tendances de l'anarchisme (individualistes, communistes, syndicalistes et leurs variations diverses et variées) dans une même structure en arguant que toutes sont complémentaires et se renforcent. Cela implique une structure capable d'accueillir tout le monde malgré les options d'organisations différentes.
L'autre conception, plateformiste, prône une organisation plus structurée, bolchevique diront certains. En effet, le plateformisme est une réponse anarchiste à l'échec anarchiste dans la révolution russe et est fortement influencée par la pratique d'une discipline collective inspirée de l'exemple léniniste. Concrètement, le plateformisme implique le respect d'une ligne collective même si l'on ne l'approuve pas systématiquement, une forme de délégation de pouvoir à un bureau pour la gestion fédérale au quotidien et la reconnaissance du groupe comme unité d'action et non l'action individuelle. Le plateformisme implique aussi une forme d'appropriation des théories marxistes comme la reconnaissance de la lutte de classes, ce qui n'est pas le cas à l'époque chez la plupart des anarchistes qui rejettent tout apport marxiste.
Des organisations voient bien le jour dans les années 20 et 30, mais la Seconde guerre mondiale vient arrêter net leur développement.
(Plus largement, pour ceux que les querelles liées au débat sur le mode d'organisation dans le mouvement libertaire intéressent, je vous invite à lire <a href="http://lecombatlibertaire.free.fr/?p=40">cet article</a>)

1) 1945-1968 : la traversée du désert
Contexte : l'hégémonie du PCF et recomposition du capitalisme

Du fameux « la grève c'est l'arme des trusts » de Thorez en 1947 à la chasse aux gauchistes aux abords de l'usine de Renault-Flins en 1968, les 25 années qui suivent la Libération sont celles de l'hégémonie du PCF et de ses satellites à gauche : la CGT mais aussi le MRAP, le Secours populaire, le Mouvement de la paix, les assos d'anciens combattants, l'Union des femmes françaises, la FSGT (asso sportive), etc, sans compter les journaux comme l'Humanité ou Pif gadget pour les gosses et les nombreuses associations d'amitié avec les pays communistes.
On s'en rend difficilement compte aujourd'hui mais à l'époque le PCF était une force incontournable voire étouffante pour qui voulait militer à gauche et rares sont les associations d'envergure qu'il ne contrôlait pas (la LDH, la Libre pensée). Il était encore plus difficile de militer syndicalement, FO étant la seule alternative à la CGT stalinisée pour qui veut un syndicalisme de lutte de classe.
Economiquement, les 30 Glorieuses amorcent la tertiarisation et la technicisation de l'économie et par là permettent l'essor d'une nouvelle classe sociale, la classe moyenne salariée. Mais cette classe prendra très lentement son essor et les années 40-50 sont celles de l'apogée de la classe ouvrière car si le mouvement ouvrier existe depuis alors plus d'un siècle et est un élément central du langage révolutionnaire, celui-ci n'est pas hégémonique dans le monde du travail avant cette date, date qui d'ailleurs précède de peu son déclin.

1945 : on reprend les mêmes (mais pas que)
A la sortie de la guerre, le mouvement anarchiste se reconstitue, et, comme si la guerre n'avait pas eu lieu, les débats entre synthésistes et plateformistes reprennent.
Les animateurs (les leaders quoi) du mouvement d'avant-guerre optent pour une structure hybride, qui accueille largement les anars mais qui soit un minimum vertébrée. La Fédération anarchiste est née.
La Libération provoque une certaine euphorie populaire et se traduit par un attrait nouveau (et éphémère) pour la politique. A titre d'exemple, les premiers tirages du Libertaire, le journal de la FA a l'époque, atteindront 100 000 exemplaires.
Outre les « anciens » d'avant-guerre, la FA attire des jeunes, qui dans l'euphorie de la Libération, s'engagent en politique. Souvent issus de la Résistance, ceux-ci sont peu formés mais motivés et très vite, une sorte de clivage générationnel se fait jour entre les anars traditionnels et une partie des jeunes. Certains jeunes vont même jusqu'à affubler les vieux du surnom de « nullistes ». Outre la Résistance, le PCF, alors hégémonique, est une sorte de fantasme pour une partie des jeunes révolutionnaires qui vont donc très vite vouloir transformer la FA pour en faire un outil qu'il jugent réellement révolutionnaire. Pour cela, certains, regroupés autour de Georges Fontenis, vont créer une structure parallèle à la FA, un appareil clandestin, L'Organisation Pensée-Bataille (OPB) visant à coordonner l'activité des ses membres dans l'optique d'une « prise de pouvoir » dans la Fédération ou du moins d'une transformation de celle-ci dans leur sens.
En 1953, la tendance menée par Fontenis est majoritaire et exclue ou n'accepte pas le renouvellement de cotisation des « nullistes » et changent le nom de l'orga qui devient la Fédération Communiste Libertaire. Les exclus (tous les anciens en fait), reconstituent une FA, mais pour éviter toute dérive, vident les organes fédéraux de toute capacité à agir. La FA ne sera plus dorénavant qu'une sorte de bureau de liaison entre anars, seul les congrès seront décisionnels et requerront l'unanimité pour que des décisions y soient actées alors que jusqu'ici, le vote était de mise. Il s'agit en quelque sorte d'un triomphe de l'optique individualiste.
La FCL aura une vie brève. Ses militants, impliqués dans le soutien au FLN algérien, subiront la répression et son journal de fortes amendes. De plus, l'organisation, dans sa volonté d'innover, fera plusieurs erreurs stratégiques.
D'abord, en 1956, abandonnant le traditionnel abstentionnisme, elle présente une liste aux législatives dans la 1ère circonscription de la Seine et recueille 2200 voix sur 450 000 votants, soit 0,5%. Ensuite, se cherchant une légitimité dans la classe ouvrière, et attiré par le PCF, la FCL contactera un de ses exclus : André Marty, qui écrira quelques articles pour le journal de la FCL. Cet individu a participé à la guerre d'Espagne dans les Brigades internationales dans lesquelles il avait un grade important dans... le contrôle politique ! Il fera fusiller de nombreux brigadistes jugés déviants par les staliniens et sera surnommé le Boucher d'Albacète. On est d'ailleurs là dans l'erreur politique plus que dans l'erreur stratégique.
Egalement, la FCL, sous la plume de Fontenis, développe un programme politique fortement teinté de léninisme, parle d'avant-garde, etc. Finalement, elle disparaît fin 1956 sous les coups de la répression déclenchée par son soutien à la cause algérienne. Traînant cette casserole très longtemps, Fontenis ne réapparaîtra qu'en 1968.
Avant de disparaître, la FCL connaîtra une scission. Le virage léniniste et les pratiques jugées peu démocratiques causent en 1955 le départ de certains groupes qui fonderont les GAAR (Groupes d'Action Anarchistes Révolutionnaires) qui éditeront une revue qui finira par avoir une certaine influente par son positionnement entre l'anarchisme et le marxisme : Noir et rouge.
En 1961, les GAAR se divisent sur le mode d'action à privilégier au vu de leur faible nombre (quelques dizaines d'individus). Les groupes voulant rester dans le champ de l'activisme politiques entrent à la FA malgré la réticence de certains à la FA qui ne digèrent pas leur participation au « putsch » de Fontenis. Ces groupes GAAR dans la FA créeront une tendance officielle (bien que pas acceptée par tout le monde!) : l'Union des groupes anarchistes-communistes (UGAC). Leur entrée et leur structuration dans la FA reconstituée est un calcul politique : ils perçoivent la FA comme une bête impuissante et pensent qu'en se montrant exemplaire dans l'action et en s'investissant fédéralement, ils amèneront les anars sur leurs positions organisationnelles communistes libertaires et plateformistes. Cette pédagogie de l'action en sera pas payante, malheureusement pour eux.

L'anarchisme vivote ainsi jusqu'à Mai 68, la FA reconstituée mène sa petite vie, éditant son journal, Le monde libertaire, et disposant d'une librairie à Paris comme la première FA. A la Fédération, les congrès annuels se succèdent sans entraîner grands changements malgré les tentatives de certains de redonner une structure permettant à la FA de jouer un rôle d'organisation politique et non de simple bureau de liaison. C'est le cas de Maurice Fayolle qui, inlassablement, prêche dans le désert de congrès en congrès, bataillant dans le Bulletin intérieur pour que la FA se dote de structures fédérales. Mais la FA est alors dominé par la figure d'un autre Maurice, Joyeux celui-là, véritable Pape de l'anarchisme veillant sur l'orthodoxie. Anarcho-syndicaliste à FO, se déclarant pour un communisme-anarchiste, Joyeux mis dans les faits tout son poids pour que la FA reste ce qu'elle était depuis 1953, voyant toute tentative de modification, surtout par les jeunes (il était par contre ami avec Fayolle, allez savoir pourquoi) qu'il soupçonnait à chaque fois de « dérive marxiste », véritable crime en ces années 50-60 où le marxisme était avant-tout assimilé à l'URSS, à l'avant-gardisme et à la dictature du prolétariat chez la plupart des anars.
Ainsi, l'une des principales batailles internes de la FA avant mai 68 sera de chasser les jeunes situationnistes présents en son sein et qui, par spontanéisme, veulent la mettre par terre.

Repère : situationnisme

Le situationnisme est avant tout une critique du capitalisme axée sur une grille de lecture culturelle et artiste. D'un point de vue matérialiste, cette interprétation du monde capitaliste est adaptée à ceux qui l'ont produites : artistes, écrivains, intellectuels. En effet, ce que l'on a appelé l'Internationale situationniste n'a jamais dépassé 12 personnes, toutes intellectuelles et artistes de haut vol. Si cette « Internationale » a été plus que réduite et si l'activité de ses membres s'est limitée à la production de textes (et à s'exclure les uns les autres), leur impact a été important sur une partie de la jeunesse d'ultra-gauche de l'époque.

Sociologiquement, entre les années 1945 et 68
Comme on l'a vu plus haut, la querelle FCL-FA est en partie générationnelle et oppose des jeunes peu formés mais motivés et fascinés par l'exemple léniniste à des anciens expérimentés et jaloux de leurs traditions militantes. Ces vieux militants présentent, de l'aveu-même de Joyeux, des côtés folkloriques : la lutte sociale n'est pas forcément leur priorité (il faut dire qu'à l'époque la CGT, seul vecteur efficace, est tenue par les staliniens, FO étant la seule « alternative »), les activités culturelles occupent la plus grande partie du militantisme.
Mais la querelle est également sociologique. Jusqu'ici, l'anarchisme était principalement constitué d'ouvriers et d'artisans (qui représentent souvent un anarchisme très proudhonien : le manuel fier de son travail, jaloux de son autonomie, etc). L'extrême-gauche est souvent précurseur dans les changements sociaux et sociétaux. Or, après 1945, le capitalisme passe peu à peu d'un capitalisme productif à un capitalisme « moderne », où les services et les métiers techniques-intellectuels vont peu à peu devenir prépondérants.
L'opposition Georges Fontenis/Maurice Joyeux exprime de façon caricaturale et un peu avant l'heure cette opposition entre un vieux monde productif et un nouveau monde intellectuel (Fontenis est professeur des écoles).
Joyeux se plaindra ainsi de l'arrivée massive de profs dans « son » organisation, la dénaturant (si les anars ne reconnaissent alors pas la lutte des classes, ils ressentent tout de même les stratifications sociales!). Ce nouveau monde intellectuel est aussi plus perméable aux concepts marxistes ou simplement extérieurs à l'anarchisme : de Fontenis aux jeunes situ des années 60, le clash se produit, au-delà des pratiques douteuses, par l'introduction de concepts nouveaux dans le mouvement. Cela sera bien compris par Joyeux qui, en réponse à « toutes les déviations » pourrait-on dire, va écrire un opuscule baptisé « Hydre de Lerne »qui servira de base à l'inquisition contre toutes les futures menées de modernisation de l'anarchisme. L'hydre étant le marxisme, ou du moins tout ce que Joyeux range sous cette étiquette.
Ce refus de toute nouvelle conception va conduire la FA à se couper de la jeunesse militante avant mai 68 et la Fédération, de l'aveu-même de ses militants, n'a pris aucune part active aux évènements de Mai. Si les anars y ont joué un rôle, c'est par le biais de la relative influence de Noir et rouge et via des groupes non-fédérés (dits « autonomes » à l'époque mais le terme prête maintenant à confusion) comme le groupe anarchiste de Nanterre qui accueille entre autres, Daniel Cohn-Bendit.

Juste avant mai 68, un frémissement
Certains jeunes s'étant tournés vers la FA un peu avant l'explosion de Mai se rendent vite compte de l'incapacité de celle-ci à peser politiquement. Mais l'UGAC, tendance communisme libertaire entrée à la FA en 1961 a progressivement jeté l'éponge entre 1965 et 1968 et n'est plus là pour représenter l'alternative à l'anarchisme traditionnel, ses militants se repliant sur l'édition de leur journal Tribune anarchiste-communiste (TAC). Ces jeunes s'intéressent alors aux conceptions de Fayolle sur l'anarchisme révolutionnaire, seule voix organisationnelle se faisant encore entendre dans la FA, et au plateformisme.
La bataille interne s'engage alors début 1968 pour transformer la FA en une « organisation révolutionnaire anarchiste ». Ce terme, qui deviendra le nom d'une tendance puis d'une organisation, étant employé par Fayolle depuis le début des années 60 pour expliciter ses vues, chaque mot comptant dans cette expression.
Faisant le bilan de son incapacité à la changer de l'intérieure, l'ORA-tendance quitte la FA en 1970 et se constitue en organisation. Signalons qu'avant leur départ, les militants de l'ORA-tendance ont probablement sauvé l'Internationale des Fédérations Anarchistes, alors en construction, de la mort en reprenant les mandats au nom de la FA française alors les anars traditionnels voyaient peu d'intérêts à cette structure internationale.

2) L'après-Mai 68 : le renouveau
Contexte : ascension d'un nouvelle classe sociale

En 1966, 12,5% d'une classe d'âge a le bac et la France compte 440 000 étudiants en 1968, rien à voir donc socialement avec les 2 500 000 étudiants actuels.
Dans ce contexte économique, l'ascension sociale n'est pas un vain mot. L'étudiant est alors l'élite de demain. Certes l'université se massifie (le nombre d'étudiants double entre le début et la fin de la décennie 60) mais la société se technicisant,, elle a besoin de plsu en plsu d'ingénieurs, de cadres administratifs, de techniciens, et contrairement aux années 2000 où la massification enfin achevée entraîne une dévalorisation des diplômes, les études supérieures, dans les années 60-70, ouvrent la porte de l'ascenseur social dans un système capitaliste en pleine restructuration. Cet élément est à garder en tête pour la compréhension des années post-68.

Foisonnantes années 70
Si les anars n'ont pas anticipé ni participé de façon organisée à Mai 68, comme presque tous les groupes gauchistes, ils vont profiter de l'afflux de jeunes décidés à en découdre avec le capitalisme.
Ceux-ci vont créer de nombreux groupes non-fédérés, d'autres vont se tourner vers une FA recroquevillée sur elle-même et paradoxalement peu perméable aux nouvelles aspirations de la société, qualifiées (ça se débat) de « libertaires » . La décennie post-68 sera un foisonnement de groupes qui se reconfigureront au fur et à mesure du mûrissement et des changements d'aspirations de cette jeunesse. L'histoire de cette décennie ressemble donc à une longue litanie de sigles qui fusionnent, scissionnent, apparaissent, disparaissent. Vous êtes prévenus !

1968-1975, essor du communisme libertaire
Dans le paysage français, longtemps marqué par l'hégémonie de la FA et par son anarchisme orthodoxe peu combatif, l'ORA, par son nom, par ses proclamations, par la période dans laquelle elle est née, a fait figure de mythe révolutionnaire. Dans les faits, elle sera surtout symptomatique de l'engagement post-68. La croyance forte dans les milieux révolutionnaires que la révolution est pour demain entraîne un activisme échevelé mais peu de réflexion. L'ORA n'échappa pas à cet activisme en grande partie étudiant fait de réunions, de manifs, de rédactions de tracts aussi incendiaires qu'incantatoires.
Néanmoins, au niveau des conceptions théoriques, elle fit office de creuset pour des options parfois radicalement différentes, ce qui la fera finalement splitter.
D'abord plateformiste, l'ORA reconnaît la lutte des classes et la nécessité de l'organisation. Certains voudront même marquer la différence entre communisme libertaire et anarchisme pour rompre avec le folklore libertaire.
Mais à partir de 1975 l'aspiration soixante-huitarde à l'autonomie individuelle entraîne une partie des militants à douter des formes d'organisations traditionnelles et s'orientent vers le spontanéisme et l'anti-syndicalisme commun à une grande partie de l'extrême-gauche (CGT stalinienne, syndicats cogestionnaires du capitalisme alors que la révolution est vécue comme proche, tout cela ne favorise pas l'engagement syndical).
D'autres, au contraire, vont découvrir le monde du travail et opter pour un engagement dans la CFDT. Par réaction à l'anti-syndicalisme de leurs camarades, ils se feront ouvriéristes intransigeants et le feront savoir jusque dans le nom de leur tendance : Union des Travailleurs Communistes Libertaires, créée en 1976.

Mai 68 a fait émerger une nouvelle génération de militants, mais a également permis à des anciens de sortir du bois. Notamment Georges Fontenis qui s'était tenu loin du milieu libertaire depuis les évènements de la FCL. Réactivant le réseau des anciens de la FCL et de l'UGAC qui en est indirectement issue, dans la foulée de Mai les vieux de la FCL cherchent à bâtir une organisation spécifiquement communiste libertaire. Pour cela, ils s'appuient sur des groupes indépendants issus de l'ébullition post-Mai.
Reconnaissance de la lutte de classes, communiste libertaire, organisationnel, cette nouvelle organisation créée ex-nihilo (ce qui est rare, la scission étant la genèse la plus classique) le MCL (Mouvement Communiste Libertaire) créé officiellement en 1969 peut au départ apparaître comme une tentative concurrente de l'ORA, la grosse différence étant la reconnaissance en bloc du marxisme par le MCL.
Les deux organisations tenteront un rapprochement mais la fusion en se fera pas malgré la médiation de Daniel Guerin (qui appartient au MCL). Malgré des points de départ communs, les deux organisations n'arrivent pas à se mettre d'accord et à la place d'une fusion, on assistera en 1971 à des échanges de groupes de l'une vers l'autre organisation, ce qui renforcera leurs cohérences idéologiques respectives. Le MCL et la partie de l'ORA l'ayant rejoint fusionnent et donnent naissance à l'OCL (Orga Communiste libertaire), aussi dite OCL-1.
Pourquoi l'échec de cette fusion ? Les explications sont peu claires mais le MCL, probablement sous l'impulsion de Fontenis et d'autres anciens, prend très vite un virage ultra-gauche et regarde vers le conseilliste, ce marxisme anti-autoritaire, autogestionnaire bien qu'ambigu sur la question de l'Etat dans la société post-révolutionnaire. La presse de cette organisation se fait l'écho de cet attrait pour le marxisme et regorge d'un charabia groupusculaire comme savent si bien en produire les maos ou les trotskistes.
Prise dans sa dynamique conseilliste, l'OCL-1 va se tourner vers le spontanéisme et l'anti-syndicalisme (marques de fabriques du conseillisme), ce qui fera d'ailleurs partir Daniel Guerin qui rejoindra l'ORA. Tant et si bien qu'en 1976, l'organisation, ou ce qu'il en reste, s'autodissout.

L'ORA, elle, après avoir viré antisyndicaliste et spontanéiste, dérive également vers une négation de l'organisation et s'oriente vers les luttes du quotidien et l'autonomie ouvrière.
En 1976, actant son changement de stratégie à l'occasion d'un congrès, l'ORA devient l'OCL-2, profitant de la disparition de l'OCL-1 et expulse au passage sa tendance UTCL alors constituée d'une douzaine de personnes.

GAAR-UGAC-TAC : une préfiguration d'AL ?
Depuis le début de ce récit, le courant (et les individus, car il y a bien continuité de militants) issu de la dissidence de certains fontenistes (GAAR puis UGAC, puis TAC puis AL pour certains) développe une pratique politique cohérente sur le long terme bien qu'extrêmement minoritaire. Cette pratique ressemble à celle d'AL aujourd'hui. Tout d'abord, ces militants voient le communisme libertaire comme une partie du mouvement ouvrier plus que comme une partie du mouvement anarchiste. De plus, les GAAR-UGAC-TAC reconnaissent l'apport du marxisme, notamment la lutte des classes, ce qui facilite leurs contact avec l'extérieur du mouvement libertaire.
Dans la pratique, cela entraîne la recherche de cadres d'actions unitaires avec diverses organisations de gauche selon les époques : trotskystes, dissidents du PCF, pacifistes, socialistes autogestionnaires, etc. Bien qu'aucune de leurs initiatives unitaires n'ai aboutie, et malgré leur nombre très réduit, la persévérance et l'ouverture intellectuelle de ces militants est à saluer et la seule chose que l'on puisse leur reprocher est d'avoir eu raison 30 à 40 ans trop tôt !...
En 1990-91, certains participeront à la création d'AL.

Repère : Spontanéisme ? Conseillisme ? Autonomie ouvrière ?
Les années post-68 sont celles du spontanéisme. Le spontanéisme, plus qu'une idéologie structurée, est un sentiment que les orgas ne sont pas des catalyseurs de l'action, mais constituent, au contraire par leurs structures organisationnelles, leurs procédures, leur esprit de chapelle aussi parfois, des freins aux luttes qui doivent s'articuler sur la volonté des individus. Les anars, mais aussi certains maoïstes, seront touchés par ce phénomène libéral-libertaire refusant tout cadre pérenne (maos-spontex). Le spontanéisme est un peu le situationnisme du pauvre.
L'autonomie ouvrière est un concept venant d'Italie où ce n'est pas un concept proprement libertaire, puisque des maos par exemple s'y retrouvent impliqué. Ce mouvement d'autonomie est en fait une tentative d'impulser des luttes et des résistances sociales hors de la sphère des orgas staliniennes. Cela se traduit par des structures alternatives (syndicats, centres sociaux, journaux) indépendant et du pouvoir et du stalinisme. L'autonomie est en grande partie à comprendre « par rapport au communisme officiel stalinisé ». En France, le concept sera interprété (de travers) comme un appel anti-organisationnel et à l'action violente. En fait l'autonomie sera en France une forme de continuation du spontanéisme.

La FA
Pendant cette période, la FA subie elle aussi quelques changements malgré l'inertie qu'engendre son fonctionnement à l'unanimité et son absence de structures fédérales assurant une coordination entre les congrès. Le plus important est la reconnaissance, au congrès de 1977 (ou de 1978?), de la lutte des classes. Ce qui peut paraître anecdotique aujourd'hui est alors une révolution illustrant le renouvellement générationnel et intellectuel dont elle profite alors. Cette reconnaissance d'un concept hérité de Marx provoque le départ en 1979 de quelques groupes plutôt orienté vers l'individualisme qui créent l'Union des anarchistes. Cette structure vivotera plusieurs décennies sans jamais se développer, jusque dans les années 2010.

En marge, une orga non-orga
Quelques membres de la FA, de l'UFA ( Union Fédérale anarchiste, une scission d'anarchistes traditionnels de la FA, en partie sur des conflits inter-personnels) et de groupes indépendants vont former Confrontation anarchiste. A ses débuts, en 1971, CA porte un discours qu'on peut assez méchamment qualifier d'adolescent. Très soixante-huitarde dans ses aspirations à une vie nouvelle, « très anarchiste » (sans que ses militants soient toujours bien formés au vu des débats qui redécouvrent souvent la lune), CA se cherche une raison d'exister. Organisation sans en être une, lieu de débat, cette structure a en fin de compte été un lieu de mûrissement pour une partie des jeunes ayant rejoint le mouvement libertaire après Mai.
Dans ce mûrissement, deux tendances vont voir le jour : une de plus en plus tournée au fil du temps vers la vie alternative post-68 (communautés), vouant une détestation à tout ce que représente l'ORA, et une tendance qui, elle, découvre la lutte de classe et le militantisme révolutionnaire classique après avoir voulu changer la vie.
En 1976, Confrontation Anarchiste, alors aux mains des tenants de la lutte des classes, se « refonde » et devient Organisation Combat Anarchiste (OCA).
Les militants de l'OCA continuent leur cheminement intellectuel et des pour-parlés s'engagent avec l'UTCL, les deux structures ayant des positions assez proches. L'UTCL finira par absorber l'OCA en 1979 après de longues discussions.

<strong>Bilan de la décennie 1968</strong>
Mai 68 a éveillé à la politique toute une génération et à contribué à revigorer une extrême-gauche moribonde. Mais cet afflux de jeunes a aussi profondément modifié la physionomie de la gauche radicale. Pour comprendre le phénomène, il faut se rappeler ce que sont les étudiants des années 60-70 (cf. « Contexte » de la partie 1).
Libres de leur temps, ouverts intellectuellement, futurs cadres, avec l'avenir devant eux, ces étudiants ont aussi fait entrer les aspirations de toute une génération dans les revendications politiques. D'où les luttes des homos, des femmes, sur la sexualité (qui ira chez certains, il est bon de s'en rappeler, jusqu'à la justification de la pédophilie, signe du grand n'importe quoi qu'a aussi été cette époque), les communautés alternatives, etc. De plus, pour expliquer leurs appétence pour les questions sociétales, rappelons qu'à l'époque le chômage tourne autour de 1% de la population active, ce qui ne contribue pas à intéresser ces « forces vives de la nations » que sont les étudiants à la question sociale.
L'extrême-gauche voit traditionnellement la période post-Mai 68 comme une révolution manquée mais riches en progrès. Qu'on me permette une analyse plus « droitarde » (ou plus sociologique, comme on voudra) en ce qui concerne le Mai étudiant (l'extrême-gauche étant peu présente dans le monde du travail, le Mai ouvrier ne la concerne quasiment pas). Cette génération marque une rupture sociologique avec les précédentes. Comme dit plus haut, elle est globalement plus diplômée, à la réussite sociale à portée de main et a exprimé des désirs de changements plus sociétaux (rapports entre individus, avec les structures sociales) que sociaux (rapports entre classes, répartition capital-travail).
Ce renouveau générationnel et sociologique, tout comme le renouvellement des aspirations, a été à l'oeuvre dans toutes les sociétés industrielles occidentales même s'il s'est traduit de différentes façons selon les pays (Mai 68 est symptomatique la progression de la société française par à-coups violents). Les désirs nouveaux portés dans les luttes ont ensuite été absorbés par le capitalisme (le nouveau management caractérisé par l'autonomie, le consumérisme, par exemple).
Personnellement, je vois donc plutôt Mai 68 comme une phase de crise permettant l'adaptation des structures sociales aux potentialités nouvelles du système économique occidental de l'époque. Avec les revendications sociétales dites d'extrême-gauche comme vecteur d'adaptation...

3) 1978-1990 : re-traversée du désert et re-début de renouveau
Contexte politique et social

Passé la décennie post-Mai 68, l'ensemble des organisations d'extrême-gauche entre en crise. La Révolution, que l'on sentait imminente dans l'euphorie post-soixante-huitarde, ne vient pas. De plus, de nombreux militants s'orientent vers des luttes axées sur le quotidien, se détournant de fait de l'idéal révolutionnaire (revendications féministes, des homos, communautés, squats, etc). Résultat, de nombreuses organisations splittent, scissionnent, fusionnent, mais irrémédiablement, le « mouvement révolutionnaire » s'affaiblit numériquement. Certains courants disparaîtront même complètement de la scène politique comme le conseillisme et le maoïsme.
Lorsque les socialistes arrivent au pouvoir en 1981, la gauche radicale est un astre mourant qui ne profitera pas des années Mitterrand malgré le tournant de la rigueur en 1983.
Pourtant, au milieu des 80's, des mouvements de société et sociaux vont contribuer à préparer le retour de combativité des années 90. Au niveau français, le rock alternatif et son ses corollaires culturels : l'anarcho-punk, le DIY et les fanzines ; la polarisation autour du FN groupusculaire (mais qui du coup est un ennemi à la taille de l'extrême-gauche !), la loi Devaquet en 1986 (qui vise à instaurer la sélection à l'entrée à la fac) vont contribuer à repolitiser la jeunesse.
Dans le monde du travail, malgré la mollesse des syndicats, des luttes s'amorcent, parfois sans eux et des coordinations de lutte voient le jour, comme lors de la grève des infirmières en 1988. Le retour de la droite au pouvoir en 1986 (première cohabitation) sur une ligne libérale (ce qui est alors relativement nouveau en France) n'est pas pour rien dans ce retour de combativité.
Au niveau syndical, la CFDT, qui dans les années 70 avait su épouser les aspirations de Mai 68 et ainsi intégrer dans le syndicalisme une partie de la génération contestataire, est alors en plein recentrage et fait le ménage parmi les anciens soixante-huitards. Cela se traduit par des exclusion de sections dites oppositionnelles, notamment aux PTT, qui constitueront le premier syndicat SUD sur la ligne autogestionnaire et radicale de la CFDT des années 70. Plus globalement, les syndicats de gauche, au début des années 80, freinent les luttes pour ne pas gêner les « camarades ministres » du président Mitterrand, ce qui en sera pas sans conséquence sur leurs bases.
Au niveau international, la chute du communisme sovietique en 1989-1990 casse définitivement le mythe du socialisme réel, contribuant fortement à recomposer le paysage à la gauche du PS. Le PCF perd petit à petit son hégémonie (et la CGT avec lui), contribuant à aiguiller les militants en recherche de projet alternatif au capitalisme vers d'autres horizons, notamment vers les idées autogestionnaires et libertaires.

Sur le front du salariat, à partir du premier choc pétrolier, en 1973, qui signera la fin de ce qui sera perçu rétrospectivement comme un âge d'or, les données de l'emploi ne cessent de se dégrader.
A partir de 1973, le chômage, alors quasi-inconnu, ne cesse de grimper : 500 000 chômeurs en 1974, 1 million l'année suivante. Il faut dire que les problèmes s'enchaînent : crises pétrolières de 1973 et 1979, mais aussi mesures économiques à contre-courant comme en 1983.
L'économie se tertiarise toujours, le secteur industriel subit de violents « ajustements » : l'industrie sidérurgique est au bord du gouffre et sans la nationalisation socialiste, il est probable que les conséquences auraient été encore plus grandes. D'autres secteurs industriels sont touchés, comme le textile qui subit lui aussi la concurrence des pays émergents.
A leur arrivée au pouvoir, les socialistes français sont le seul gouvernement de gauche en Europe et tentent de relancer l'économie par une politique de la demande (donner des revenus à la population pour la faire consommer et relancer la production). Manque de chance, les autres pays européens font l'inverse : austérité et politique de l'offre (soutien aux entreprises), si bien que la consommation est relancée mais... par des produits d'importation, ce qui en favorise pas la reprise française et creuse au contraire le déficit commercial.
Le gouvernement, d'abord socialiste, nationalise de nombreux secteurs.

80's, le creux de la vague pour les libertaires
Pendant cette décennie, les orgas libertaires vivotent. L'UTCL et l'OCL comptent une centaine de militants chacune au maximum, la FA guère plus. Le phénomène des radios libres permet tout de même à la FA d'obtenir une fréquence à Paris et d'enrichir un peu plus son patrimoine militant avec Radio libertaire.
La montée du FN à partir de 1983 entraîne une réponse de la part des libertaires et abouti à la création des Scalp qui se fédéreront plus tard avec Reflex, un réseau de surveillance de l'extrême-droite dans le réseau No Pasaran qui servira un peu d'orga de jeunesse pour le mouvement libertaire dans les années 90.
Les militants de l'UTCL eux sont très pris par leur engagement syndical et la structure a longtemps été un réseau de syndicalistes libertaires. Il faut dire que l'expulsion des cédétistes autogestionnaires et la création consécutive des premiers SUD laisse peu de place à l'engagement politique.
L'UTCL tente néanmoins de se redynamiser à la fin des 80's et décide en 1989 de se refonder en élargissant sa base. Un Appel pour une Alternative Libertaire est lancé. Cet appel sera signé par 150 personnes, militants de l'UTCL compris, c'est dire la petitesse du milieu à l'époque ! S'y ajoutent, entre autres, des membres de la Tribune Anarchiste-Communiste (TAC, journal issu de l'ex-UGAC des années 60) mais aussi des CLJA (structure de jeunes libertaires proches de l'UTCL, son orga de jeunesse officieuse). Les 150 signataires ne rejoindront pas tous la nouvelle AL officiellement fondée en 1991. Heureux hasard, le courant incarné par l'UTCL renaît lorsque l'URSS meurt et accompagne la naissance d'une nouvelle période.
[si les années 80 sont un creux manifeste pour l'extrême-gauche, la taille réduite de cette partie tient aussi au fait que je dispose de peu de documents sur la période. Ce qui en soit est significatif.]

2ème partie : Histoire de l'anarchisme organisé de 1990 à 2015 : à venir bientôt


Samuel Préjean, le 22/11/2015


sources principales :

- archivesautonomies.org , site contenant de nombreux documents scannés des années 50 à 80 des orgas libertaires (bulletins intérieurs, journaux)
- Histoire du mouvement anarchiste, 1945-1975, par Roland Biard
- Histoire du mouvement communiste libertaire, par Georges Fontenis
- Syndicalistes libertaires, par Théo Rival (partie interview très intéressante pour avoir un retour critique des années 70-80)
- textes du XXXX congrès d'AL
- scans d'un dictionnaire sur les différentes orgas gauchistes des années 70-80 dont j'ai paumé le nom
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede Pïérô » 26 Nov 2015, 21:35

Balayer la question organisationnelle d'avant 45 en titrant "Prologue : avant 1945, plus de polémiques que d'organisations", il fallait oser... et c'est complètement caricatural.

En 53 ce n'est pas le petit groupe et réseau nommé OPB (moins de vingt personnes) qui change vraiment la donne, mais un réel congrès à la majorité. Je ne comprends pas avec ton parcours, et la rencontre à Tours avec quelques survivants autour du décès de Georges Fontenis, comment tu arrives à porter ici une thèse complètement faussée comme a pu le faire Maurice Joyeux, bonimenteur historique.

Il faudrait vérifier "GAAR-UGAC-TAC... En 1990-91, certains participeront à la création d'AL", parce que je pense que c'est zéro, voir pas beaucoup plus.

Il y a eu une forme de persistance de l'UFA dans le 41 et alentours autour d'Henri Bouyer, qui rejoindra la FA.

Sur 68, ne ramener cela qu'à une agitation estudiantine, avec l'analyse type sociologique raccourcie portée, c'est vraiment pas terrible.


Autour des années 80-90

80's, le creux de la vague pour les libertaires
C'est un creux de vague pour nombre de mouvements politiques et sociaux, après l'enfumage de "la gauche au pouvoir et du changement" et un véritable recul dans différents domaines de luttes ( mouvement ouvrier, anti-nucléaire, anti-militarisme, féminisme, etc...)
Pas complètement pour les libertaires, si l'on prend justement la dynamique antifa côté jeunesse en mi 80 et début 90 qui permettra de renforcer le mouvement libertaire à partir d'une jeunesse radicalisée. Cela a été le cas par exemple à Tours, où le SCALP va permettre de capitaliser dans le domaine et essaimer quelques animateurs de luttes et d'organisation libertaire aujourd'hui dans plusieurs villes (AL, CGA).
Je pense que le mouvement libertaire s'est aussi impliqué dans le mouvement antiraciste, et le soutien à la lutte en Kanaky, qui ont représenté un temps fort dans ces années.

Tu es trop vache côté FA, car on pourrait dire, vu ce qu'il en reste aujourd'hui, que c'était plutôt une période faste, même s'il faut diviser, en tout cas à l'époque, par deux dans cette organisation pour retenir le nombre de militant-es réel-es par rapport au nombre d'adhérent-es, car il y avait plus de 400 adhérent-es,.

CJL pour la structure jeunesse qui rejoint ce qui deviendra AL.
Cela a été le nerf de la reconstruction, plutôt en forme d'auto-dépassement, parce que mise en œuvre trop rapidement pour avaler justement les CJL alors que l'opération unité était en l'état vouée à l'échec, que la TAC, qui était un petit groupement, est à cette époque complètement moribonde, que l'OCL (ou ce qu'il en reste, complètement recroquevillée) ne serait pas (jamais) partante, et que les groupes communistes-libertaires de la FA, dont j'étais, n'étaient pas encore prêt à quitter la FA qui restait encore l'espace majoritaire d'organisation (le groupe communiste-libertaire de Tours de la FA s'est intéressé à la "dynamique" "Pour une alternative libertaire", j'ai assisté à une réunion, mais cela nous semblait trop précipité). En tout cas cela va contribuer à donner vie à ce qui va s'appeler Alternative Libertaire, et, avec son développement, changer peu à peu la donne dans le mouvement libertaire par la suite.
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede luco » 27 Nov 2015, 21:50

CJL, ma madeleine de Proust...

Reste que dans n'importe quelle recension historique un peu sérieuse du mouvement libertaire, la partie la plus chiche et la plus anecdotique concernera la période 1980-20... Zéro. Rien. Du flan, de l'enflure, du radicalisme d'opérette. Rien d'autre.

Rien n'aura influencé le cours de l'anti-capitalisme réellement existant.
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede abel chemoul » 28 Nov 2015, 08:25

Sur 68, ne ramener cela qu'à une agitation estudiantine, avec l'analyse type sociologique raccourcie portée, c'est vraiment pas terrible.

ça traite des orgas en tant que tel. Et les orgas, de l'aveu de leurs militants de l'époque, ont pesé quasiment zéro en 68. je parle pas du Mai ouvrier parce que là, c'était le zéro absolu pour les anars. Quant à mes analyses sociologiques, j'ai officiellement un niveau DEUG en socio, Bac +2, elles sont donc valables même si elles ne plaisent pas. C'est d'ailleurs à ça qu'on reconnait une analyse sociologique: les personnes étudiées peuvent pas encadrer les analyses que vous produisez sur elles!

Il faudrait vérifier "GAAR-UGAC-TAC... En 1990-91, certains participeront à la création d'AL", parce que je pense que c'est zéro, voir pas beaucoup plus.

En même temps, cette tendance c'est 40 personnes au plus fort de la vague dans les 60's et bien moins en 1990, donc oui, dans les faits, c'est proche de zéro. Faire l'histoire de ces orgas, c'est faire de la micro-histoire.

comment tu arrives à porter ici une thèse complètement faussée

Les méthodes de Fontenis ont été dénoncés par tous, de Biard à Bourgeois, pas que par Joyeux et sont amplement étayées par toute un série de documents, de son Manifeste CL au Mémorandum Kronstadt. Fontenis était autant libertaire que Mariman à l'AL aujourd'hui, c'est pas parce que j'ai assisté à une réunion d'hommage après a mort que je dois l'absoudre de tous ses pêchés.

Balayer la question organisationnelle d'avant 45 en titrant "Prologue : avant 1945, plus de polémiques que d'organisations", il fallait oser... et c'est complètement caricatural.

Je synthétise comme je peux, avec mes moyens. Et là pour le coup, je suis plutôt dans une vision fonteniste où rien n'existe à par des guignols avant 1945 (parce que oui, à une ou deux nuances près, c'est sa position). Faut choisir si je suis trop ou pas assez fonteniste à la fin!

Au lieu de transformer le forum en copié-collé remplis de communiqués, j'attends vos productions originales sur le sujet... ou sur un autre...
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede digger » 29 Nov 2015, 11:25

Je suis parti d'une (vieille) réflexion, et d'un constat, qui n'a pas une importance essentielle pour le sujet traité, et sur lequel on peut passer, mais que j'ai gardé pour la cohérence (ou une tentative de) du propos

Le constat était le suivant :

Avec les positons d'une organisation, ou d'une personne, d'extrême gauche, ce qui rapproche sera souvent mis en avant.
Avec les positions d'une organisation, ou d'une personne anarchiste/ libertaire, ce qui sépare sera mis en avant.
Un troisième facteur entre souvent en jeu : la reprise et l'amplification de ces différences par une personne de l'EG pour démonter une prétendue incohérence ou contradiction entre anarchistes/libertaires.

Ces clivages apparaissent notamment autour de la question de lutte de classe. L'EG et le courant anarchiste, présenté comme "principal" ou "historique", la mettent en avant alors que d'autres courants de pensée ne la hiérarchisent pas dans ses finalités et pratiques.

Mais il en existe d'autres, les formes organisationnelles, par exemple, où il existe plus de similitudes entre EG et courant "historique" qu'entre ce dernier et des formes organisationnelles libertaires.
Ou encore, les stratégies, issues d'analyses ou d'approches différentes concernant des concepts comme la révolution, le prolétariat, etc... Ainsi, la mise en place de pratiques alternatives, tolérées, sont-elles au mieux considérées comme des pis-aller, au pire comme des dérives "mode de vie" et "petites-bourgeoises". Leur prétendues limites sont déterminées par des concepts abstraits de "prise de contrôle des moyens de production" dans un avenir indéterminé, comme (seule) solution au capitalisme.

La seule évolution notable est la prise en compte de formes de luttes (féminisme, mouvements d'occupation , etc...), trop flagrants pour être ignorés, trop populaires et porteurs pour ne pas être soutenus. (et infiltrés, le cas échéant pour montrer la bonne marche à suivre révolutionnaire)

L'intérêt suscité par des formes nouvelles organisationnelle et de pratiques, notamment dans les milieux intellectuelles et universitaires, est présenté comme la preuve de la récupération et des dérives de celles-ci.

La diversité des tactiques et des opinions est présenté comme un "confusionnisme".

Cette situation est mortifère pour "l'anarchisme historique" ou dit "organisé", qui ignore, ou au mieux minimise, des événements et des évolutions de pensées et d'action, qui ne sont plus en prises directes avec les origines de la pensée anarchiste issue du XIXème siècle. La raison en est peut-être principalement une étude a-historique des textes fondateurs, autrement dit, la non prise en compte (consciente ou voulue) du contexte historique (forces en présence, organisation sociale, relations entre races, sexes, classes, etc...) dans lesquels ces textes (et ces événements) ont eu lieu.

Cela n'exonère pas certains "nouveaux" libertaires de l'ignorance et de la non prise en compte de l'histoire dans l'élaboration de leurs théories et pratiques. Trop souvent le rejet d'un prétendu "archaïsme" est plus viscéral que rationnel, plus oppositionnel que constructif. A leur crédit, il faut leur accorder le peu d'attention et d'intérêt pour les théories obscures du "post anarchisme", n'ayant pas davantage lu Foucault que Bakounine. En fait, la seule théorie reconnue est celle issue de leurs pratiques, sans volonté prosélyte, sachant que ce qui est vrai dans un certain contexte ne l'est pas dans un autre. Nous pourrions appeler cela "pragmatisme".

Il faudrait une étude approfondie de cette fracture qui va s'élargissant entre anarchisme "classique" et "ce-à-quoi-il-est-difficile-de-donner-un-nom". Cette étude devrait revenir sur l'histoire, en particulier celle de la seconde moitié du XXème siècle. Probablement la considérer comme moment fondateur au même titre que le XIXeme, comme une "seconde vague", comme cela fut le cas pour le féminisme. Peut-être qu'une analyse dépassionnée aiderait à faire comprendre que deux couches superposées ne sont pas antagonistes, mais que la seconde repose sur la première et que la première soutient la seconde.

Mais cette analyse ne peut pas se faire que sous l'angle traditionnel de la "lutte des classes", pas plus que l'histoire du mouvement anarchiste organisé ne peut prétendre à une représentation exclusive de l'évolution de la pensée et des pratiques libertaires.

C'est je pense, une des difficultés rencontrées par l'histoire étudiée ci-dessus parce qu'elle se heurte à des "vides" et "des absences", des moments où "cela se passait ailleurs" que dans les organisations. C'est pourquoi je fait ce parallèle, à tort ou à raison, entre l'histoire et la situation actuelle du mouvement anarchiste / libertaire. Pour moi, il ne peut pas y avoir une histoire séparée entre "anarchisme organisé" et un anarchisme - ou quel que soit le nom qu'on lui donne - plus large.

PS : Cela peut être considéré comme H.S mais cela répond aussi à ta réflexion (juste) sur les contributions personnelles. Maintenant, tu peux me taper dessus :) (Toi ou d'autres, je suis pas sectaire)
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede Pïérô » 03 Déc 2015, 22:51

Je comprends bien et partage en partie ce qu'avance digger. Cela dépend avec quel bout de la lorgnette on regarde l'Histoire du mouvement. Mais si l'on s'attache à la question organisationnelle et pas à une forme d'Histoire qui ramène à l'Histoire du mouvement ouvrier, et au delà, dans laquelle le mouvement anarchiste à sa place, d'autant qu'il a pesé, il faut bien aussi s'intéresser à cette question spécifique de l'organisation anarchiste et révolutionnaire. C'est peut-être le petit bout de la lorgnette, mais cela participe aussi à éclairer sur des pages d'Histoire d'un mouvement qui a tout à gagner à trouver forme d'articulation justement entre ce qu'il porte en tant que mouvement politique révolutionnaire, et ce qu'il participe à véhiculer dans les mouvement sociaux en y participant. On ne peut pas réduire l'Histoire de ce mouvement à l'Hisoire des organisations évidemment, car de l'autre côté de la lorgnette, il est clair, et c'est tant mieux, que l'on peut parler d'une mouvance bien plus large, il s'agit, là, je pense, de tracer ce qui fait une et des expressions organisées de cette Histoire..


abel chemoul ,

Encore une fois sur la question de la FA en FCL en 53, il s’agit bien d’un congrès. Et s’il y en a pour penser et dire qu’une poignée de militants-tes ont pu faire un putsch à si peu, et pour tenir compte de l’Histoire, il faut rappeler qu’il y a une réalité qui n’a pas d’ailleurs besoin qu’on la tricote, parce qu’il s’agit bien d’un vote majoritaire, et que celles et ceux qui sont dans un discours conspirationniste sont dans le travestissement. Cela recoupe d’ailleurs, et c‘est tant mieux, une tendance à l’anarchisme révolutionnaire et communiste libertaire plus importante que ne l’est à l’époque une sensibilité individualiste qui pesait après guerre d’avantage que ce qu’elle représentait en effectifs militants réels, et qui d’ailleurs s’organisait aussi en tendance du mouvement avec la même déclinaison en organisation clandestine.
Il ne s’agit pas là d’absoudre ce que j’ai déjà dit être une connerie par rapport à l'OPB, ou d’imaginer le mouvement anarchiste révolutionnaire dirigé par une petite avant-garde, mais de rester dans ce qui est de l’ordre du fait, et quoi qu’on puisse penser de Georges Fontenis.

Sur l'avant 45, il y a beaucoup d'éléments d'Histoire qui ne peuvent pas ranger cette histoire dans un placard comme tu le fais. Si tu ne t'intéresses pas à cette question et cette partie de l'Histoire, tu le dis, mais d'une autre manière. il y a des éléments dans le Maitron, et d'autres sur le travail fait par exemple par Guillaume d'Avranche "Trop jeunes pour mourir (1909-1914)" qui éclairent sur une période dans laquelle le mouvement anarchiste organisé ne peut pas être rangé en phénomène à renverser d'un coup de manche comme tu te plais à le faire. Et sur la question de ce qui fera divergence dans le mouvement après la révolution russe (éphémère), il n'y a pas matière non plus à ramener ce mouvement anarchiste à ce que tu avances, parce que quoi qu'on en dise les divergences remontaient dèjà à la fin du 19ème, entre un anarchisme communiste révolutionnaire et un magma qui allait donner naissance au fameux concept de "synthésisme" qui ne restera dans l'histoire qu'un vœux pieux.

Je pense que si tu fais un bon boulot dans ce domaine historique, ça sera bienvenu. Si tu partages ici, sur le forum, et acceptes la confrontation que tu sembles souhaiter par ailleurs en mode forum, et bien c'est tant mieux, parce que non seulement je n'ai rien contre mais qu'en plus j'essaie de participer :wink: .
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 28 Mai 2016, 10:54

L’organisation des libertaires à Lyon au milieu des années 1980

En mai-juin 1985, la revue IRL (Informations et réflexions libertaires) consacrait un numéro aux "libertaires entre Saône et Rhône", détaillant les groupes, les lieux, les dynamiques des mouvements anarchistes lyonnais. Un texte, intitulé "Organisation libertaire à la lyonnaise" tentait de faire la synthèse ce cette réalité locale. Près de trente ans plus tard il en reste une description d’un milieu, d’un mouvement, à un instant précis, une photographie.

... https://rebellyon.info/L-organisation-d ... -a-Lyon-au

à télécharger en pdf : https://rebellyon.info/home/chroot_ml/m ... rl-n61.pdf
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 10 Juil 2016, 18:21

Histoire du mouvement anarchiste à Lyon (1880-1894)

L’original du mémoire de Marcel Massard

à lire et télécharger : http://fr.calameo.com/read/0001463677bf8baa11762
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede bipbip » 18 Déc 2016, 16:05

Le mouvement anarchiste à Lyon (1880-1884)

Ce texte a initialement été écrit pour le site "Fragments d’Histoire de la gauche radicale" en introduction à la mise en ligne de journaux anarchistes lyonnais de la période 1882-1884. La présentation et les quelques lignes d’introduction de leur démarche sont reproduits en fin d’article.

Quelques rappels historiques [1]

Après l’écrasement des mouvements insurrectionnels qui s’affirmèrent avec force dans différentes villes en France – Paris, Lyon, Marseille, Narbonne, Toulouse, St.-Etienne, le Creusot [2] – après la chute du Second Empire (le 4 septembre 1870), la plupart des militants ouvriers en France, organisés dans l’Association Internationale des Travailleurs et/ou dans le parti blanquiste [3], dans les syndicats naissants (sous forme souvent de société de résistance et de solidarité), sont soit morts ou déportés au bagne en Nouvelle-Calédonie [4], soit sont partis en exil (Belgique, Suisse, Angleterre, principalement). C’est ainsi qu’il a fallu quelques années pour que de nouvelles forces surgissent et s’organisent.

Le moment le plus important de ce renouveau organisationnel est la tenue du troisième congrès ouvrier à Marseille le 23 octobre 1879 qui réunit aussi bien des représentants d’organisations ouvrières que des délégués de groupes socialistes. Ce congrès fait suite au congrès de Paris [5] (1876) et de Lyon (1878). La moyenne d’âge de ces militants est de 30 ans. Ceux-ci croient à la nécessité de la grève, rejettent le coopératisme et ressentent le besoin d’une organisation stable pour que les grèves soient de plus en plus fortes (celles-ci repartent, après une vague en 1875-76, en 1878 et culminent en 1880). Michelle Perrot dans son livre Les ouvriers en grève 1870-1890 [6] écrit : “partout des hommes jeunes, à la mentalité bien plus combative conduisent le mouvement. Ces hommes sont souvent les mêmes qui organisent les premiers cercles d’études sociales [7] envisagés au congrès de Marseille“.

Le besoin impératif d’une organisation plus solide se faisant sentir, on peut dire que ce congrès fut un tournant décisif car il donne naissance à la Fédération du Parti des travailleurs socialistes de France qui a son tour va pousser les militants à s’organiser dans leur région, créer des fédérations locales. Suite à ce congrès, décision a été prise d’organiser la fédération en 6 régions autonomes. L’apparition de groupes qui se sont constitués à la fin des années 1870 vont essaimer, prendre de l’importance, par l’organisation des forces militantes au sein d’une même organisation. Pour ce qui concerne la région de Lyon, c’est l’apparition de la Fédération de l’Est, dans laquelle nous retrouvons les différentes tendances qui se sont exprimées au congrès de Marseille.

Lors du congrès de Marseille les collectivistes l’emportèrent sur les tenants du coopérativisme et du mutuellisme (dont les membres se prononçaient contre les grèves). Mais au sein même des partisans du collectivisme, la lutte allait opposer rapidement les partisans et opposants au cirque électoral. En gros il y a d’un côté Jules Guesde [8], Paul Lafargue [9], Gabriel Deville [10]… qui publient le journal L’Égalité depuis 1877 où dans le premier numéro, ils se prononcent clairement contre l’abstention électorale : “l’abstention générale en matière politique, telle est la règle de conduite que quelques socialistes voudraient voir prédominer. Ce mot d’ordre, quant à nous, nous ne l’acceptons pas. Intimement convaincus qu’un certain milieu préalable de liberté politique est nécessaire à la préparation de la révolution sociale, que cette révolution ne peut s’opérer que lorsque l’évolution gouvernementale est terminée, aux ouvriers nous ne cesserons de prêcher l’action” (n°1 de L’Égalité, page 3). Il n’est pas étonnant qu’en mai 1880 ce journal, par la plume de Guesde et Marx, accouche du programme électoral des travailleurs socialistes en “vue des batailles électorales” de l’année 1881. De l’autre côté, il existe des groupes d’études sociales influencés par l’anarchisme qui sont sur des positions abstentionnistes. Mais pour l’instant ces débats se déroulent au sein des mêmes organisations, les tenants de thèses aussi controversées que la participation électorale se côtoient et se retrouvent dans des actions communes, comme par exemple le soutien à l’élection d’Auguste Blanqui pour que celui-ci puisse sortir de sa prison [11].

Il était logique que rapidement des tendances clairement identifiables se cristallisent et se différencient. Déjà au congrès du Havre (1880) une scission était intervenue avec les coopérateurs. Les opposants à l’abstention et les anarchistes marchent encore ensemble et sont amenés à négocier leur action commune [12]. Ainsi les premiers acceptent des concessions et proclament “qu’au cas où les élections municipales et législatives de 1881 se solderaient par un échec, ce serait la dernière expérience électorale du parti ouvrier qui se bornerait, dès lors, à l’action révolutionnaire” [13]. Les anarchistes participent aux élections législatives d’août 1881 (oui, oui !!) mais suite à celles-ci s’opposent désormais au cirque électoral, quant aux collectivistes, en contradiction flagrante avec la déclaration ci-dessus, ils s’engagent à corps perdu dans cette voie.

En 1881 le parti issu du congrès de Marseille se disloque. Le 22 mai, les anarchistes font scission au congrès régional du Centre à Paris, entraînant le gros des fédérations de l’Est (Lyon) et du Midi (Marseille). Dans la foulée ils (de 150 à 200) tiennent un congrès socialiste-révolutionnaire du 25 au 29 mai à Paris et mettent en avant leurs principes : impuissance des réformes, des révolutions politiques, du suffrage universel ; la nécessité de la propagande par le fait, la suppression de la propriété [14]. En juin ce sont les blanquistes qui rompent et créent le comité révolutionnaire central en juillet 1881 [15].

A Lyon et sa région (dite de l’Est à l’époque)

C’est dans l’Est que la présence des anarchistes est la plus importante. Elle s’explique par la proximité de la Suisse qui abrita un bon nombre d’exilés de la Commune ainsi que la Fédération jurassienne. C’est dans ce pays que fut créée l’Internationale anti-autoritaire en 1872 à St Imier et que naquit le journal le Révolté à partir de 1879 animé par Élisée Reclus, Kropotkine, Cafiero… dont la diffusion était assurée dans la région de l’Est (Lyon, Vienne, St Étienne, Montceau-les-Mines).

Dès 1872 , il existe 2 groupes anarchistes à Lyon, un à la Croix-Rousse fondé par Boriasse [16] et un à la Guillotière. Leur activité principale est de diffuser les brochures éditées à Genève (de même pour les groupes de Roanne, Saint-Etienne, Vienne, Villefranche). Ces 2 groupes correspondent avec différents groupements anti-autoritaires présents en Suisse, Italie, Belgique, Espagne.

... https://rebellyon.info/Le-mouvement-ana ... -1880-1884
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Re: Histoire du mouvement anarchiste en France

Messagede Pïérô » 04 Mar 2017, 10:34

Législatives de 1902 à Tours : une foire électorale dénoncée par les anarchistes

La tambouille électorale qui dure déjà depuis de nombreux mois nous entraîne d’indigestions en dégouts. Mais la configuration Macron - Hamon - Mélenchon n’est pas sans rappeler les élections législatives de 1902, où les Sieurs Drake, Pic-Paris et Restiaux se disputaient la 1ère circonscription de Tours.

En Indre-et-Loire, aux élections législatives de 1902, arrondissement de Tours (1ère circonscription), trois hommes se disputent la vedette : Jacques Drake del Castillo dit "Drake", propriétaire du château de Candé et ami des banquiers, sensément Républicain Progressiste ; Eugène Pic-Paris, maire radical de Tours, héritier d’une vieille tradition politique, et plutôt marqué vers une gauche molle ; et Restiaux, l’outsider, candidat des socialistes révolutionnaires.

Pour cette occasion, nous avons retrouvé un tract d’époque du groupe anarchiste de Tours :

Camarades,

Les luttes stériles et incohérentes de la politique vont à nouveau se dérouler sous vos yeux ; la chasse aux mandats [législatifs] va donner lieu à toutes espèces de compromissions, dont vous, peuple souverain d’un jour, vous allez faire tous les frais ; la mi-carême [1] électorale va commencer, et tous les candidats vont s’affubler du masque qui convient le mieux pour duper, une fois de plus, les électeurs par des programmes mensongers parce qu’irréalisables, et seraient-ils réalisables et réalistes, qu’il n’y aurait pour le peuple aucune amélioration, parce que les programmes sont d’origine politique, et que les maux sociaux sont et ne peuvent être que la conséquence de faits économiques.

On dit au peuple que le bulletin de vote est une arme d’émancipation, cela est faux, puisque le bulletin de vote ne peut que constituer l’autorité des hommes sur d’autres hommes, ou maintenir l’autorité établie. Or, partout où il y a autorité, la liberté est un leurre, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être.

Si nous examinons les candidats à Tours, nous voyons en première ligne le parasite Drake prendre le masque de républicain, alors que tous savent que le veau d’or [incapable] Drake est le porte-drapeau de tous les exploiteurs, de toute la prêtraille, de tous les vautours de la bourgeoisie. Ce roi fainéant n’a même pas le courage d’affronter une réunion publique, il préfère soudoyer de son or malhonnêtement acquis tous les maquereaux de la ville pour imposer sa célèbre nullité.

Les radicaux portent en deuxième ligne M. Pic-Paris comme candidat. Au point de vue politique, les radicaux semblent supérieurs aux autres partis politiques, au fond, ce sont les mêmes erreurs : les radicaux se sont déclarés les défenseurs à outrance de la propriété individuelle, source de tous les maux sociaux ; donc quel que soit le programme des radicaux, il est frappé par avance de stérilité. Ce parti politique a trompé les travailleurs pendant 25 ans, avec la séparation de l’église de l’État. Arrivé au pouvoir, à maintes reprises les champions du radicalisme ont soutenu le budget des cultes. Que M. Pic-Paris fasse un pas en avant et laisse derrière lui les fantoches du radicalisme, ou nous serons autorisés à accoler son nom aux Brisson [2] et aux Bourgeois [3] ; et nous crions bien haut que le parti radical est un parti d’incapables et d’exploiteurs de la crédulité publique.

Reste le camarade Restiaux, candidat des révolutionnaires. Celui-là nous intéresserait davantage s’il n’avait lui aussi formulé un programme aussi stérile que les autres : car que les partis bourgeois trompent le peuple nous le comprenons, ils sont dans leur rôle ; mais les travailleurs trompant d’autres travailleurs, nous refusons de l’admettre. Or qui dit programme dit Parlement, qui implique gouvernement, et gouvernement implique société autoritaire. Or où donc sont les principes révolutionnaires politiques, où donc est la lutte des classes ? Tout cela disparaît, pour faire place à toutes les duperies politiques dont le peuple est et sera toujours victime.

Donc, place à la raison, à bas la politique !

Place à la liberté, à bas l’autorité !

Que tous les opprimés se persuadent que seule une reprise de possession du sol, du sous-sol, des moyens de production, et enfin de toutes les richesses sociales pour les mettre au profit de tous, pourra assurer à tous la liberté intégrale et le bonheur par l’anarchie.

Groupe libertaire de Tours, 1902


En 1902, le mouvement libertaire est implanté à Tours depuis déjà une dizaine d’années. Un grand nombre d’anarchistes de Paris et d’ailleurs sont amenés à y intervenir régulièrement, de Louise Michel à Albert Libertad, en passant par Sébastien Faure et André Lorulot. L’année où paraît ce tract, le « Groupe Libertaire de Tours » se compose d’une vingtaine de compagnons, et parmi eux : Auguste Delalé, ancien gérant du Père Peinard [4] et du Révolté [5]. C’est aussi cette année-là que les anarchistes de Tours prendront une part active à la dénonciation de "l’affaire du Refuge". C’est finalement Drake, « le porte-drapeau de tous les exploiteurs », qui avait remporté l’élection.


Notes

[1] La Mi-Carême est une fête carnavalesque traditionnelle.

[2] Henri Brisson, radical, plusieurs fois ministres et président du Conseil des Ministres sous la IIIe République.

[3] Léon Bourgeois, théoricien du radicalisme, ancien président du Conseil des ministres et un des rares hommes politiques à avoir présidé les deux chambres du Parlement que sont la Chambre des députés et le Sénat.

[4] Journal créé par le militant anarchiste et syndicaliste Emile Pouget, futur fondateur du premier organe de la CGT : La Voix du Peuple en 1900.

[5] Journal fondé, entre autres, par Pierre Kropotkine et Elisée Reclus, deux des penseurs anarchistes les plus écoutés.


http://larotative.info/1902-a-tours-une ... -2104.html
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