La Retirada, en espagnol « Retraite », un mot somme tout trop banal pour désigner ce qu'ont enduré nos camarades espagnols lorsqu’ils eurent à fuir la barbarie franquiste...
Sur la Retirada
La Retirada, en espagnol « Retraite », un mot somme tout trop banal pour désigner ce qu'ont enduré nos camarades espagnols lorsqu’ils eurent à fuir la barbarie franquiste...
Un bref rappel historique
Après la victoire du « Frente popular » en février 36, le prolétariat espagnol avec la CNT anarcho-syndicaliste (Plus d’un million et demi de militants en 36), la Fédération Anarchiste Ibérique (plusieurs dizaines de milliers de militants ) et, dans une moindre mesure avec l’UGT (Centrale socialiste - un million d’adhérents) et le POUM (petite formation marxiste de gauche de quelques milliers de militants s’opposent à la tentative de coup d’Etat fasciste de Franco et des généraux félons soutenus par la bourgeoisie et l’Eglise espagnole…
En Catalogne, dans le Pays Valencien, dans certaines parties de l’Aragon, dans les Asturies, en Castille, la classe ouvrière va faire reculer l’entreprise fasciste. En Andalousie, dans les grandes villes, les choses ne tourneront pas à l’avantage du peuple en armes…
La guerre civile va dès lors s’installer dans tout l’Etat espagnol et va s’accompagner de la collectivisation des terres et des industries par le prolétariat emmené par le CNT et la FAI… Le communisme libertaire est à l’ordre du jour en Catalogne, dans la région de Valence, dans certaines parties de l’Aragon. Des expériences collectivistes se feront jour dans les Asturies ou en Castille… Cette dynamique révolutionnaire va rencontrer des oppositions à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etat espagnol.
A l’intérieur…
Outre la rébellion franquiste, d’autres forces vont s’opposer à l’élan révolutionnaire qui a chassé d’une grande partie du pays la « réaction ». Dans les zones ainsi libérées, les partis dits « démocratiques » et/ou « républicains » vont tout mettre en œuvre afin de torpiller la révolution prolétarienne en marche. L’autogestion généralisée, la reprise des entreprises et des terres par celles et ceux qui y travaillent, le contrôle des villes et des villages par les patrouilles ouvrières en armes, tout cela déplaît fortement à la bourgeoisie républicaine de gauche, aux étatistes qui voient le pouvoir leur échapper…
Le PCE (Partido Communista de Espańa) et le PSUC (Partit Socialist Unificat de Catalunya) s’emploient à faire capoter la révolution afin de préserver, au niveau international, une unique « Mecque » révolutionnaire : Moscou avec à sa tête le sinistre Staline !
Tout sera bon pour les uns et les autres pour affaiblir la révolution sociale : décrets gouvernementaux républicains limitant les libertés nouvelles arrachées par la classe ouvrière, renforcement du PCE et du PSUC (quelques milliers d’adhérents en 1936) par d’anciens militants de la petite bourgeoisie en se faisant des défenseurs de la restauration de l’Etat et de la petite propriété, assassinats de militants révolutionnaires par les communistes du cru aidés par les sbires russes et européens (la clique du stalinisme international) présents sur le sol espagnol…
A l’extérieur…
De Moscou, les directives qui partent ne laisseront jamais dans l’ombre un but avéré : faire échouer, avant tout, la révolution sociale qui s’y déroule ! Au demeurant, la défense de la « République », la restauration de l’Etat, l’abolition des décrets révolutionnaires qui avaient instauré la propriété collective, tout cela n’est que prétexte à une vaste entreprise de prise du pouvoir par les communistes autoritaires. La défense de la République avec l’arrivée de Juan Négrin au pouvoir cachera mal la main mise de l’URSS sur les événements ibériques…
La non-intervention de la France et de la Grande Bretagne s’explique, là aussi, par une certaine méfiance des gouvernements sociaux démocrates et/ou conservateurs vis-à-vis de la révolution espagnole. Elle prive le « peuple en armes » d’un atout considérable face au surarmement des franquistes et à l’engagement à leurs côtés des « Mussoliniens » et des « Hitlériens »… Le « Plutôt Franco que le front populaire… » de la fin 1944 trouve ici sa justification !
Si tous les Etats, entre 1936 et 1939, s’accordaient à soutenir les belligérants Espagnols, les uns favorables à Franco, les autres au gouvernement « républicain », TOUS rejetaient l’hypothèse révolutionnaire et préféraient … la stabilité d’une monarchie constitutionnelle à haute teneur autoritaire à « l’instabilité et au spontanéisme » d’une fédération autogestionnaire et libertaire de régions libres… La propriété privée des moyens de production, de communication et d’échange plutôt que le communisme libertaire en quelque sorte !
Prolégomènes de la « Retirada »…
En 1938, à l’avant-veille de la seconde guerre mondiale, le dictateur Franco obtient des pouvoirs accrus en Espagne. Les combats, dans le pays, tournent à l’avantage des troupes franquistes sur quasiment tous les fronts. Signalons que la « militarisation » des milices par la volonté « républicaine » des dirigeants communistes va entraîner une perte d’efficacité certaine, efficacité liée à l’élan révolutionnaire qui accompagne, à l’intérieur d’une guerre civile, le camp qui se bat pour accomplir son destin : en finir avec l’exploitation de l’Homme par l’Homme et l’aliénation étatique.
Ainsi, à la fin de l’année « la messe est dite ». Dès le début janvier 1939, les premiers exilés fuient le pays. En deux semaines seulement, 100 000 réfugiés vont passer le col d'Arès, à Prats de Mollo. Tous les points de passage sont concernés. Le col du Perthus, la route de Cerbère voient passer les foules. Ces exilés représentent en grande majorité des militants et des militantes de la cause révolutionnaire et libertaire et leurs familles car c’est ce camp qui était largement majoritaire de l’autre côté de la frontière ! Parler « d’exode républicain », si cela représente une catégorisation de l’Histoire tendant à faciliter le travail des chercheurs c’est en revanche, et dans une certaine mesure, une falsification des représentations catégorielles réelles de l’exilé.
Les passages par la frontière...
Arrivés dès le 27 janvier 1939 par le col d'Arès, les premiers réfugiés sont stoppés à Prats de Mollo où ils s'installeront comme ils pourront dans la ville. A partir de cette date, le mouvement ne va jamais cesser de s'accélérer…
Le 29, des convois partent en direction du camp de triage du Boulou.
Le 31 janvier, le ministre de l'intérieur se rend à Prats de Mollo pour assister à cet exode.
Pour accueillir ces réfugiés quatre camps de concentration sont construits à la hâte dans la vallée du Tech. Les abris sont faits de branches et de feuilles... Il est nécessaire d’acheminer en urgence 30 tonnes de nourriture par jour pour faire survivre cette marée humaine.
35000 réfugiés sont, à cette date, toujours internés dans les camps de Prats de Mollo
Le 13 février, la frontière est officiellement fermée, gardée par les soldats de Franco.
La vague de froid qui s'abat sur le pays va rendre les conditions d’internement insoutenables…
Ces camps seront définitivement fermés fin mars, mais cet hiver fut considéré comme un calvaire par ces espagnols fuyant Franco.
Par ailleurs, Cerbère a vu arriver une masse considérable d'espagnols en janvier 39.
Franchissant la frontière, ils furent internés de la même manière dans des camps créés de toutes pièces : Argelès-sur-mer et ailleurs…
Là, ils durent subir les affres des épidémies.
250 000 réfugiés passeront par le camp d'Argelès durant l'hiver 1939.
Rien qu'au mois de mars 1939, ce n’est pas moins de 77 000 personnes qui furent internées à Argelès. Un autre camp fut ouvert à Saint Cyprien qui accueillit 90 000 personnes.
A Saint Laurent de Cerdans, autre lieu de passage, 70 000 réfugiés arrivèrent au village. 5000 purent être logés sur place, en particulier dans une fabrique de sandales transformée en dortoir.
Les camps de Rivesaltes (Joffre) et de Leucate accueillirent des dizaines de milliers de réfugiés !
Au total, en quinze jours seulement, c'est plus de 450 000 combattant-e-s contre le franquisme qui arrivent dans le département et qui, pour beaucoup, rejoindront la lutte contre le fascisme international.
450 000 personnes qui luttaient de l’autre côté de la frontière pour construire une société sans Etat, sans exploitation et sans aliénation !
Ces Femmes et ces Hommes qui écrivirent une page de l’Histoire de la lutte contre le capitalisme et contre les trahisons des gouvernants (tous les gouvernants), ces Femmes et ces Hommes qui parvinrent à transformer un temps l’Utopie en Réalité, ces Femmes et ces Hommes méritent le respect de toutes et tous.
Il ne se revendiquaient pas « républicains » mais révolutionnaires, anarchistes, anarcho-syndicalistes, libertaires, fédéralistes, autogestionnaires… Il n’est pas bon de « travestir » l’Histoire ! Il est même inconséquent de circonvenir la lutte des ces êtres épris de justice sociale, de liberté individuelle et collective, de solidarité et d’entraide au champ étriqué de la défense de la « République ». L’affiliation « noir & rouge » et l’engagement libertaire, anarchiste et anarcho-syndicaliste de la grande majorité de celles et ceux qui passèrent la frontière ne se démentirent pas lors de leur arrivée sur la terre française… Internationalistes elles et ils étaient, internationalistes elles et ils restèrent !
De nos jours...
De nos jours, 70 ans après, une grande partie de ces familles est toujours installée dans la région. Le Camp Joffre est en ruine. Le lieu a pourtant servi, jusqu’à il y a peu de temps, de camp de rétention pour d’autres exilés. Aujourd’hui près de Perpignan, à Torremilla, d’autres damnés de la terre, des Sans Papiers, se retrouvent privés de liberté, parqués, cernés de murs et barbelés, avec pour toute compagnie des hommes en armes…
Aujourd’hui… La lutte continue !…
Groupe Puig Antich Février 2009