En ces temps de fête perpétuelle du patronat, quelques souvenirs du 1er mai : de celui de 1886 des travailleurs à Chicago à celui de 1941, à Saint-Etienne, avec Pétain aux manettes, grand adorateur du corporatisme et grand pourfendeur de la lutte des classes.
Quelles sont les origines du 1er mai ?
Rosa Luxemburg
L’heureuse idée d’utiliser la célébration d’une journée de repos prolétarienne comme un moyen d’obtenir la journée de travail de 8 heures [1], est née tout d’abord en Australie. Les travailleurs y décidèrent en 1856 d’organiser une journée d’arrêt total du travail, avec des réunions et des distractions, afin de manifester pour la journée de 8 heures. La date de cette manifestation devait être le 21 avril. Au début, les travailleurs australiens avaient prévu cela uniquement pour l’année 1856. Mais cette première manifestation eut une telle répercussion sur les masses prolétariennes d’Australie, les stimulant et les amenant à de nouvelles campagnes, qu’il fut décidé de renouveler cette manifestation tous les ans.
De fait, qu’est-ce qui pourrait donner aux travailleurs plus de courage et plus de confiance dans leurs propres forces qu’un blocage du travail massif qu’ils ont décidé eux-mêmes ? Qu’est-ce qui pourrait donner plus de courage aux esclaves éternels des usines et des ateliers que le rassemblement de leurs propres troupes ? Donc, l’idée d’une fête prolétarienne fût rapidement acceptée et, d’Australie, commença à se répandre à d’autres pays jusqu’à conquérir l’ensemble du prolétariat du monde.
Les premiers à suivre l’exemple des australiens furent les états-uniens. En 1886 ils décidèrent que le 1er mai serait une journée universelle d’arrêt du travail. Ce jour-là, 200.000 d’entre eux quittèrent leur travail et revendiquèrent la journée de 8 heures. Plus tard, la police et le harcèlement légal empêchèrent pendant des années les travailleurs de renouveler des manifestations de cette ampleur. Cependant, en 1888 ils renouvelèrent leur décision en prévoyant que la prochaine manifestation serait le 1° mai 1890.
Entre temps, le mouvement ouvrier en Europe s’était renforcé et animé. La plus forte expression de ce mouvement intervint au Congrès de l’Internationale Ouvrière en 1889 [2]. A ce Congrès, constitué de 400 délégués, il fût décidé que la journée de 8 heures devait être la première revendication. Sur ce, le délégué des syndicats français, le travailleur Lavigne [3] de Bordeaux, proposa que cette revendication s’exprime dans tous les pays par un arrêt de travail universel. Le délégué des travailleurs américains attira l’attention sur la décision de ses camarades de faire grève le 1° mai 1890, et le Congrès arrêta pour cette date la fête prolétarienne universelle.
A cette occasion, comme trente ans plus tôt en Australie, les travailleurs pensaient véritablement à une seule manifestation. Le Congrès décida que les travailleurs de tous les pays manifesteraient ensemble pour la journée de 8 heures le 1er mai 1890. Personne ne parla de la répétition de la journée sans travail pour les années suivantes. Naturellement, personne ne pouvait prévoir le succès brillant que cette idée allait remporter et la vitesse à laquelle elle serait adoptée par les classes laborieuses. Cependant, ce fût suffisant de manifester le 1° mai une seule fois pour que tout le monde comprenne que le 1er mai devait être une institution annuelle et pérenne.
Le 1er mai revendiquait l’instauration de la journée de 8 heures. Mais même après que ce but fût atteint, le 1er mai ne fût pas abandonné. Aussi longtemps que la lutte des travailleurs contre la bourgeoisie et les classes dominantes continuera, aussi longtemps que toutes les revendications ne seront pas satisfaites, le 1er mai sera l’expression annuelle de ces revendications. Et, quand des jours meilleurs se lèveront, quand la classe ouvrière du monde aura gagné sa délivrance, alors aussi l’humanité fêtera probablement le 1er mai, en l’honneur des luttes acharnées et des nombreuses souffrances du passé.
1894 - article publié dans le journal polonais « Sprawa Robotnicza »
Notes
1 - L’usage était alors une journée de travail d’au moins 10 à 12 heures par jour.
2 - Il s’agit du premier congrès de la II° internationale.
3 - Raymond Lavigne (1851- ?), militant politique et syndicaliste.
Chicago, 1884-1886
En 1884, au cours du IVème congrès de l’American Federation of Labor, les principaux syndicats ouvriers américains se décident à « imposer avant deux ans à leurs patrons la journée de 8 heures »
Les jours qui précèdent le 1er Mai 1886, le mot d’ordre court : « Samedi prochain les ouvriers doivent défiler ». Environ 200 000 grévistes répondent pacifiquement à cet appel - plus de 80 000 à Chicago. Certains patrons accordent la journée de 8 heures, d'autres non.
Le lundi 3 mai 1886, à Chicago, c’est donc la grève. Devant les usines Mc Cormik la police tire et tue un ouvrier. Le mardi 4 mai 3 000 personnes se joignent à une marche de protestation place Haymarket.
Tout se déroule dans le calme jusqu’à l'arrivée de près de 180 policiers. Il est demandé à la foule de se disperser et à ce moment une bombe est jetée dans les rangs de la police tuant huit hommes et en blessant soixante-sept autres. La police riposte : le nombre de morts ne sera jamais divulgué mais on sait que plus de 200 autres seront gravement blessées.
Les « Martyrs de Chicago » ont des noms : Albert Parsons, August Spies, Michael Schwab, George Engel, Adolph Fischer, Samuel Fielden, Louis Lingg. Parsons, Fielden, Fischer, Engel vont être pendus tandis que Lingg est suicidé en prison. Pendus par un Black Friday le 11 novembre 1887. Depuis, chaque 1er Mai, en dépit de la répression, le prolétaire tente de fleurir les rues pavées de la planète !" ( Jacques-Marie Bourget )
A Chicago, sur une stèle commémorative du cimetière de Waldheim, sont inscrites les dernières paroles de August Spies, l'un des condamnés :« Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd'hui .»
Paris - 20 juin 1889
Exposition universelle commémorant le centenaire de la Révolution française. Congrès international socialiste de fondation de la IIe Internationale
Ce fut Edouard Anseele, socialiste belge, qui formula l'idée d'une grève internationale le 1er mai associant notamment les travailleurs français et allemands en une action commune. Lors du congrès international socialiste de Paris, Raymond Lavigne, syndicaliste français, déposa une résolution amendée par le dirigeant social-démocrate allemand Gustav Bebel et qui fut adoptée à l'unanimité :
“ Il sera organisé une grande manifestation internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes, les travailleurs mettent, le même jour, les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement la journée de travail à huit heures et d’ appliquer les autres résolutions du Congrès international de Paris.”.
“ Attendu qu’ une semblable manifestation a déjà été décidée pour le 1er mai 1890 par l’ American Federation of Labor, dans son congrès de décembre 1988, tenu à Saint-Louis, cette date est adoptée pour la manifestation internationale”.
“ Les travailleurs des diverses nations auront à accomplir cette manifestation dans les conditions qui leur sont imposées par la situation spéciale de leur pays.”
Fourmies, 1er mai 1891
Le 1er mai 1891, les organisations ouvrières se préparent par différents moyens, dont la grève, à obtenir enfin la journée de 8 heures.
A Fourmies, petite ville textile du Nord de la France, à 10 Heures du matin, Les délégués désignés en Assemblée Générale des Travailleurs et réunis au Café du Cygne, rue des Eliets, se rendent à la Mairie. Ils ont prévu d'y exposer leurs revendications :
La journée de huit heures ;
L'application de l'unification de l'heure pour la rentrée et sortie des fabriques et la même heure pour toutes, annoncée par la cloche locale ;
Création d'une Bourse du Travail ;
Révision générale des tarifs, suppression des règlements léonins, abrogation des amendes et des mal façons ;
Fixation de la paie tous les huit jours, sans retard laissé dans la caisse des patrons au détriment de l'ouvrier, et l'obligation réciproque de prévenir 8 jours à l'avance en cas de cessation de travail ;
Suppression des octrois ;
Amélioration hygiénique à apporter dans certains ateliers en particulier à Fourmies et sa région.
Création de Caisses de retraites pour les ouvriers.
En réaction le patronat menaçe de licenciement celles et ceux qui arrêteront le travail. Pour lui venir en aide, il obtient du préfet la mobilisation de deux compagnies d'infanterie équipées du nouveau fusil Lebel ( 9 balles de calibre 8 mm).
"Ils avaient espéré épouvanter les ouvriers, mais ils ne purent que les exaspérer. Les plus indifférents furent pris de rage à cette menace qui les poussait à une cessation générale du travail. La quantité d'ouvriers qui ont été le 1er mai an travail fut si infime, que les fabricants durent les renvoyer chez eux." Paul Lafargue
En fin de journée, face aux centaines de manifestants qui tentent d'obtenir la libération de grévistes interpellés dans la matinée et emprisonnés dans la mairie, le commandant Chapus crie : " Feu ! feu ! feu rapide ! Visez le porte-drapeau ! " La troupe s'exécute tuant en quelques dizaines de secondes 9 manifestants - dont 4 femmes et un enfant - et en blesse une quarantaine d'autres.
Le Matin, du 5 mai 1891, dénonce les responsables du drame :
"Le crime vient de plus haut et de plus loin. Il vient de ces faux apôtres du progrès, philosophes de quatre sous et politiciens de pacotille, qui ont entrepris de réformer les mœurs politiques de la France, en la déshabituant de ses anciennes croyances. C’est l’enseignement matérialiste inauguré par eux dans nos écoles qui engendre ces revendications impatientes et brutales."
Le Nouvel Éclaireur de l’Oise, du 9 mai juge les enragés :
"On a tué des femmes et des enfants ! crie-t-on. C’est vrai, c’est très fâcheux, soit ; mais qu’est-ce que ces femmes et ces enfants allaient faire là, s’il vous plaît ? Ils allaient porter aux hommes des pierres et des bâtons pour les jeter sur les soldats ; les femmes étaient là pour exciter les hommes et pour leur servir de bouclier. Tant pis pour eux. " Fallait pas qu’ils y aillent " dit la chanson, et ici la chanson dit vrai."
Et L'Illustration, du 9 mai, ne cache pas son admiration :
" C’est le fusil Lebel qui vient d’entrer en scène pour la première fois... Il ressort de ce nouveau fait à l’actif de la balle Lebel qu’elle peut très certainement traverser trois ou quatre personnes à la suite les uns des autres et les tuer. "
La troupe et la cavalerie le jour des funérailles des victimes.
"Tout Fourmies participa aux obsèques des neuf cadavres; on refusa l'accès du cimetière au maire et aux conseillers municipaux. Quant aux familles des victimes, elles refusèrent l'argent offert par les autorités municipales pour les frais des funérailles et leurs besoins; les ouvriers apportèrent les sommes recueillies par souscription." Paul Lafargue
Suite aux massacre, un débat parlementaire s’ouvre à la Chambre des Députés tandis que Culine et Lafargue sont arrêtés. Clemenceau réclame une amnistie générale en s’écriant : " C’est le quatrième Etat qui se lève et qui arrive à la conquête du pouvoir ". L’amnistie est repoussée.
> 1er Mai 1891: la fusillade de Fourmies - Histoire par l'image
> Les effets du fusil Lebel étudiés par les médecins militaires du Val-de-Gâce
> La fusillade du 1er mai est entrée de Fourmies -
> Le Premier mai à Fourmies - Académie de Lille.
> Sur le site marxists.org, le texte de Paul lafargue, "La boucherie de Fourmies du 1er mai 1891"
Paris : manifestations du 1er mai 1906
Le Petit Journal
Pétain à Saint-Étienne, 1er mai 1941
Le 1er mai 1941, à Saint-Etienne, Philippe Pétain dans son " appel aux travailleurs " récuse la lutte des classes et encourage la " défense du bien commun et la création de comités sociaux ". Il énonce les principes de la Charte du travail, promulguée en octobre 1941, qui interdira les grèves, le lock-out et instaura le système du syndicat unique et le corporatisme. Le 1er mai n'est plus la fête des travailleurs mais la fête nationale du travail.
Appel aux Travailleurs
OUVRIERS TECHNICIENS PATRONS FRANÇAIS
" Dans mon message du 10 octobre dernier, je vous ai dit que l’on ne peut faire disparaître la lutte des classes, fatale à la Nation, qu’en faisant disparaître les causes qui ont dressé ces classes les unes contre les autres. Ces causes, c’est la menace du chômage, c’est l’angoisse de la misère qu’elle fait peser sur vos foyers. C’est le travail sans joie de l’ouvrier sans métier. C’est le taudis dans la cité laide, où il passe les hivers sans lumière et sans feu. C’est la vie de nomade, sans terre, sans toit. Telle est la condition prolétarienne. Il n’y aura pas de paix sociale tant que durera cette injustice.
En ce qui concerne l’organisation professionnelle, un texte de loi, si parfait qu’il soit, est impuissant à accomplir une réforme de cette ampleur. La loi ne saurait créer l’ordre social ; elle ne peut que le sanctionner, dans une institution après que les hommes l’ont établi. Le rôle de l’Etat doit se borner ici à donner à l’action sociale son impulsion, à indiquer les principes et le sens de cette action, à stimuler et orienter les initiatives. En réalité, les causes de la lutte des classes ne pourront être supprimées que si le prolétaire qui vit aujourd’hui, accablé par son isolement, retrouve, dans une communauté de travail, les conditions d’une vie digne et libre, en même temps que des raisons de vivre et d’espérer.
Cette communauté, c’est l’entreprise. Sa transformation peut, seule, fournir la base de la profession organisée, qui est elle même une communauté de communautés. Cela exige qu’une élite d’hommes se donnent à cette mission. Ces hommes existent parmi les patrons, les ingénieurs, les ouvriers. C’est à eux d’abord que je fais appel, je leur demande:
1°- De se pénétrer de la doctrine du bien commun au dessus des intérêts particuliers, de s’instruire des méthodes d’organisation du travail capables de permettre à la fois un meilleur rendement et plus de justice, en donnant à chacun sa chance dans l’entreprise et dans la profession.
2°- De s’informer des réalisations sociales qui existent déjà et que des hommes clairvoyants et généreux ont su accomplir, en dépit des difficultés de tous ordres qui, dans le passé, entravaient leurs efforts.
Ainsi, peu à peu, et par l’action de tous, une œuvre définitive s’accomplira sous l’autorité et avec l’encouragement de l’Etat. Pour entreprendre cette œuvre fondamentale qui sera la vôtre, une large enquête sera faite, à laquelle prendront part tous ceux qui veulent se dévouer à la grande cause de la paix sociale dans la justice. Tous les travailleurs, qu’ils soient patrons, techniciens, ouvriers, sont aux prises chaque jour avec des difficultés nouvelles, conséquences de la situation présente de notre pays. .
Il est donc urgent qu’ils aient la possibilité de défendre leurs intérêts légitimes, d’exprimer leurs besoins et leurs aspirations. Il est indispensable de créer des organismes qui puissent résoudre vite les questions posées ou s’ils ne peuvent les résoudre eux-mêmes, donner à l’Etat des moyens de le faire, sans que ses décisions soient paralysées par une connaissance insuffisante des problèmes ou par une organisation administrative trop lente à se mouvoir.
Tel devra être l’objet d’une première loi sur l’organisation professionnelle. Cette loi créera des organismes simples qui ne seront pas des organisations de classe, mais des comités sociaux où, patrons, techniciens et ouvriers rechercheront ensemble les solutions des problèmes actuels dans une commune volonté de justice, dans le souci constant d’apaiser par l’entraide les misères et les angoisses de l’heure.
TRAVAILLEURS FRANÇAIS , JE VOUS DEMANDE D’ENTENDRE MON APPEL. SANS VOTRE ADHESION ENTHOUSIASTE A L’ŒUVRE DE RECONSTRUCTION SOCIALE, RIEN DE GRAND NE PEUT ETRE FAIT. SACHEZ VOUS Y DONNER AVEC UN DESINTERESSEMENT TOTAL.
OUVRIERS, mes amis, n’écoutez plus les démagogues. Ils vous ont fait trop de mal. Ils vous ont nourris d’illusion. Ils vous ont tout promis. Souvenez-vous de leur formule : " le pain, la paix, la liberté ". Vous avez eu la misère, la guerre et la défaite. Pendant des années, ils ont injurié et affaibli la patrie, exaspéré les haines, mais ils n’ont rien fait d’efficace pour améliorer la condition des travailleurs, parce que, vivant de leur révolte, ils avaient intérêt à encourager ses causes.
INGENIEURS, vous avez pensé trop souvent qu’il vous suffisait de remplir avec conscience votre fonction technique. Vous avez plus à faire, car vous n’êtes pas seulement des techniciens, vous êtes des chefs. Comprenez bien le sens et la grandeur du nom chef. Le chef, c’est celui qui sait à la fois se faire obéir et se faire aimer. Ce n’est pas celui qu’on impose, mais celui qui s’impose. N’oubliez pas que pour commander aux hommes, il faut savoir se donner.
PATRONS, parmi vous, beaucoup ont une part de responsabilité dans la lutte des classes. Votre égoïsme et votre incompréhension de la condition prolétarienne ont été trop souvent les meilleurs auxiliaires du communisme. Je ne vous demande pas de renoncer à tirer de vos entreprises le bénéfice légitime de vos activités, mais je vous demande d’être les premiers à comprendre vos devoirs d’hommes et de Français.
Ouvriers, techniciens, patrons, si nous sommes aujourd’hui confondus dans le malheur, c’est qu’hier vous avez été assez fous pour vous montrer le poing. Cherchez, au contraire, à vous mieux connaître. Vous vous en estimerez davantage, vous aurez confiance les uns dans les autres, vous résoudrez ensemble le grand problème du travail et de l’ordre social. Renoncez à la haine, car elle ne crée rien ; on ne construit que dans l’amour et dans la joie. En faisant de la France une société humaine, stable, pacifiée, vous serez les meilleurs artisans du redressement de la Patrie."
> Source : Le voyage du Maréchal Pétain en 1941 Forez-info
> Sur le 1er Mai, l’ombre de Pétain, par Laurent Mauduit