QUESTION À LA CANTONADE SUR PHILOMÈNE ROZAN

QUESTION À LA CANTONADE SUR PHILOMÈNE ROZAN

Messagede René » 28 Mar 2013, 11:30

Salut à vous
Je lance une sorte de SOS à la cantonade.
En marge d’un travail que je suis en train de faire, j’ai été amené à m’intéresser à Philomène Rozan et aux ovalistes de Lyon.
Philomène Rozan fut une des ovalistes de Lyon qui se mirent en grève en le 21 juin 1869 pour réclamer un salaire de 2 francs par jour au lieu de 1F50, et la journée de 11 heures.
Elles reçoivent le soutien de la section lyonnaise de l’Internaonale qui les aide à constituer un comité de grève. Une collecte de soutien est organisée, des fonds sont récoltés en France, en Belgique, en Angleterre, en Suisse… Les ovalistes tinrent ainsi un mois, répandant la grève dans d’autres ateliers. Elles organisèrent des bureaux de secours, allèrent dans la rue, les cafés. Au bout d’un mois, elles demandèrent d’adhérer à l’AIT. Le 13 juillet, une lettre de Lyon annonce au Conseil général de l’Internationale l’adhésion des ovalistes

C’est sur l’interprétation des faits que je demande vos lumières.

Le Conseil général de l’AIT proposa que Philomène Rozan reçoive un mandat pour participer au congrès de Bâle de l’AIT, mais elle ne se rendit pas au congrès.
A partir de là, on a des interprétations qui me paraissent fantaisistes. En effet, l’absence de Philomène Rozan au congrès de Bâle trouve dans des textes «marxophiles» des explications curieuses et contradictoires.

• Pour certains, c’est la faute de Proudhon :
« Marx accepta (sic) de faire d'une des meneuses, Philomène Rozan, une déléguée au Congrès de Bâle. Proudhon (évidemment) s'y opposa. »
(VOIR : http://gw2.geneanet.org/janieplantevin?lang=es&m=NOTES )
On trouve cette interprétation sur plusieurs sites : voir également : http://fr.dbpedia.org/page/Ovalistes
Dans cette simple phrase, il y a deux erreurs, significatives. D’une part Marx n’avait pas le pouvoir d’« autoriser » (sic) les ovalistes à adhérer. La lettre du 13 juillet annonce simplement qu’elles ont adhéré, point barre.
Ensuite il y a peu de chances que Proudhon se soit opposé à la candidature de Philomène Rozan, puisqu’il était mort depuis plusieurs années

• Pour d’autres, c’était la faute de Bakounine :
« Philomène présidente de la commission des ouvriers et ouvrières ovalistes, pourtant choisie (sic) par Marx pour participer au congrès de l’Internationale à Bâle, n’ira pas à Bâle, suite à une manœuvre de l’anarchiste russe Michel Bakounine qui sera proclamé représentant des ovalistes ! »
(VOIR : http://www.archives-lyon.fr/static/arch ... mesdef.pdf)

Concernant Bakounine, ce genre de manœuvre ne colle pas avec le personnage, mais c’est peut-être là l’illustration de ma partialité aveugle en faveur du révolutionnaire russe. Cependant, on voit mal pourquoi il aurait « manœuvré» pour avoir le mandat des ovalistes dans la mesure où il avait aussi celui des mécaniciens de Naples : il avait donc déjà accès au congrès en tant que délégué.

Il y a peut-être une explication, qui se trouverait dans un récent livre de Mathieu Léonard, L’émancipation des travailleurs (La Fabrique) :
«… les responsables de la section lyonnaise, Palix et Richard, préfèrent garder les mandats de la délégation des ovalistes pour eux-mêmes, ainsi que pour leur ami Bakounine, qui semble croire sincèrement que les demoiselles ovalistes l’ont expressément désigné pour les représenter. Les ovalistes n’iront pas à Bâle et retournent à l’anonymat. »


Et Léonard, citant Auzias et Houel, conclut que le sentiment s’impose d’un «rendez-vous manqué entre le mouvement ouvrier et le mouvement féministe».

Est-ce que quelqu’un aurait des lumières sur cette question, en particulier des éléments plus substantiels que de simples affirmations ?

René

PS. J’ai pas l’impression que les biographies de Philomène Rozan courent les rues…
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Re: QUESTION À LA CANTONADE SUR PHILOMÈNE ROZAN

Messagede Béatrice » 28 Mar 2013, 22:14

René a écrit:PS. J’ai pas l’impression que les biographies de Philomène Rozan courent les rues…



L'ouvrage de Roger Colombier " Le travail des femmes autrefois" évoque sa lutte et son engagement militant ( d'après mes recherches sur Google, en précisant bien
ne pas l'avoir lu !).
http://books.google.fr/books?id=6-T9N42 ... AN&f=false

Il y est bien défini la signification de la dénomination "ovaliste"

Roger Colombier :

Après une carrière de conducteur SNCF, passionné d'histoire, en particulier d'histoire sociale, j'ai fondé un institut d'histoire sociale de la région mantaise (loi de 1901), rattaché à l'intitut cgt d'histoire sociale, lequel chaque année organise des expositions et colloques dans la région.


http://www.editions-harmattan.fr/index. ... e&no=11624
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
Louise Michel
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Re: QUESTION À LA CANTONADE SUR PHILOMÈNE ROZAN

Messagede René » 28 Mar 2013, 22:47

Merci de l'info.
R.
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Re: QUESTION À LA CANTONADE SUR PHILOMÈNE ROZAN

Messagede René » 30 Mar 2013, 10:07

J’ai eu des éclaircissements par Claire, l’une des autrices du livre

La grève des ovalistes
Claire Auzias et Annik Houel,
Éditions Payot.


« Je pensais que pour que tu possèdes la véridique histoire de cet enjeu hors des caricatures, il te fallait le détail des événements : les voici.
« Une grève de femmes se déclenche à Lyon en juin 1869. elle est sans leaders comme toujours en ce temps-là. Les ovalistes signent une pétition au préfet, elles sont nombreuses. Peu à peu se dessine une figure fabriquée par la police : Philomène Rozan, ovaliste qui ne sait pas signer son nom. Les internationalistes s’en mêlent car à Lyon ils sont bakouniniens (Albert Richard). Ils sollicitent des soutiens internationaux en argent et les obtiennent : César de Paepe, Élisée Reclus et les ouvriers internationalistes de Rouen, tous saluent nos courageuses sœurs ovalistes.
« Elles adhèrent à la Première internationale, sous la poussée d’Albert Richard. Elles sont la première corporation féminine à le faire. Une réunion de la Première internationale à Londres en présence de Marx évoque les soutiens éventuels aux ovalistes. C’est l’époque où les grèves sont abondantes. Harriette Law, la seule femme à siéger à l’Internationale de Londres est chargée de collecter des fonds pour les ovalistes. Elle le fait auprès des associations féministes anglaises, dont Havelock Ellis, etc. Pas d’ouvriers en vue. Les ovalistes tiennent un mois et demi en grève et obtiennent des bricoles. Elles sont saluées unanimement par les sections anti-autoritaires des associations ouvrières existantes, les syndicats n’existant pas encore.
« Sur le plan international se profile le congres de Bâle. C’est l’heure où les hostilités battent leur plein entre les trois leaders et leurs émules. Marx propose qu’une femme soit déléguée à Bâle car, raconte Benoît Malon, “Comme les proudhoniens sont antiféministes et misogynes, ils se retireront de facto s’il y a une femme.”
« C’est Benoit Malon qui raconte le coup dans une de ses lettres. Marx avait proposé une femme comme déléguée pour le congrès de Bâle de l’AIT, afin évincer les proudhoniens car il ne connaît aucune femme en particulier et sûrement pas ladite Philomène, et il s’en tape comme de l’an quarante.
« Grâce à ses soutiens importants à Lyon, Bakounine emporte le mandat des ovalistes à leur insu, sans demander aux ovalistes leur avis : ce sont les internationalistes lyonnais bakouniniens qui s’approprient le mandat et font donc ici preuve, avec l’aide de Bakounine, et d’autoritarisme et de manipulation, et d’antiféminisme. Bakounine avait besoin d ‘un mandat ouvrier quelconque pour participer à Bâle, celui des ovalistes lui semblant disponible parce que lesdites grévistes étaient faibles ; il s’en empare sans demander son reste à personne et donc il siège à leur place sans les évoquer jamais, sans défendre leur cause et sans les citer, car il ne sait rien d’elles.
« C’est en cela que nous, historiennes féministes et anarchistes, avons conclu qu’aucune tendance ne se distingua des autres, car toutes utilisèrent cet argument pour leur propres causes, et en enterrant celle des ovalistes elles-mêmes.
« A aucun moment, aucun des trois leaders en présence n’évoqua Rosalie Philomène Rozan, vu qu’ils ne la connaissaient même pas, aucun d’entre eux ! Et qu’elle ne fut jamais une cheffe quelconque ; ce fut typiquement une grève sans chef, le nom de Philomène apparaît incidemment et nous avons d’ailleurs dédié notre livre à une autre gréviste, Victorine Chavet, tout aussi impliquée que la précédente. Ce sont typiquement ces grèves collectives sans direction à l’horizontalité pré-syndicale de masses unanimes et anonymes. Faire de Philomène Rozan une personnalité qui se détache de son groupe est déjà en soi une erreur d’interprétation. »
René
 
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