1968, et l’après-68

Re: 1968, et l’après-68

Messagede Lila » 19 Aoû 2018, 21:12

Changer le monde, changer la vie, changer sa propre vie…

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Pour Florence, Julie et Karel, Dominique et Vlad…

Des militants et des militantes, hier et aujourd’hui, de rouges espérances et des parcours trébuchants. L’imminence rêvée de la révolution et l’érosion plus ou moins prononcée des espoirs. La hâte de la jeunesse et les cours plus lents de la vie. Les études quelques fois suspendues ou abandonnées et l’insertion dans le travail salarié, les rencontres, les débats, les déchirures. Une hétérogénéité de personnes et de parcours derrière cette « génération 68 ».

« C’est à la question du devenir biographique des soixante-huitards que ce livre est consacré ». Une enquête, loin des « têtes d’affiche », à Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Rennes. Le(s) moment(s) 68 pris dans une séquence historique plus longue, « nous nous donnons le moyen de mesurer la place de l’événement dans les trajectoires biographiques comme dans les recompositions ultérieures des espaces militants locaux ».

Des femmes et des hommes, la remise en cause des formes d’autorité, les transformations des insertions sociales, des luttes diversifiées et intriquées, des dissonances loin de la cohérence des réécritures publicistes…

De quelle manière les expériences de l’engagement peuvent transformer « le rapport au monde » des individu·es, parfois comme l’expriment les sociologues « en rupture avec les socialisations antérieures » ?

Il s’agit en somme d’essayer de reconstituer « le point de vue de l’acteur en situation », d’articuler des échelles locales et nationale, de rendre compte de processus socio-historiques ouverts et de configurations multiples, de comprendre « tout ce qui du monde social s’est réfracté et replié » en chacun et chacune (Voir Bernard Lahire : Dans les plis singuliers du social; Individus, institutions, socialisations, quest-ce-quun-e-individu-e-sinon-une-production-de-part-en-part-sociale/), d’étudier les conditions et les conséquences des engagements, d’éviter les anachronismes et les faux déterminismes…

Olivier Fillieule, dans son introduction générale souligne : « Et, là encore, les résultats vont à l’encontre du sens commun, en révélant des vies affectives et familiales moins négativement affectées qu’on a pu l’écrire ici ou là, des carrières professionnelles plutôt ralenties voire stoppées par le militantisme, alors que seule une fraction des enquêtés trouve dans l’engagement le moyen d’une mobilité sociale ascendante ; le maintien de tant de convictions et de valeurs politiques acquises dans les années 68 que de divers formes de participation politique au long des cinquante dernière années ».

Sommaire

Introduction. Une enquête sur 68 et ses vies ultérieures, par Olivier Fillieule

I. Les syndicalistes

1. Des années de conquête au temps du repli : des parcours syndicaux au long cours, par Sophie Béroud

2. Villes et bastions ouvriers : les grandes mutations ?, par Tristan Haute et Séverine Misset

3. Des ouvriers au centre de toutes les attentions, par Annie Collovald et Karel Yon

Portrait. Gérard Meyer : quand sociabilités professionnelles et militantes cheminotes se confondent, par François Alfandari

4. Dans la marmite syndicale : tombés dedans petits ?, par François Alfandari et Charles Berthonneau

5. Se politiser par le travail, par Sophie Béroud et Florence Johsua

6. Les syndicalistes ont-ils une vie privée ?, par Émilie Biland, Maëlle Moalic-Minnaert et Karel Yon

Portrait. Gaëlle Miroir : une militante syndicale à la croisée des combats, par Clémentine Comer

7. « Bravo les filles ! La classe ouvrière a les yeux rivés sur vous ! » Des luttes de femmes en pratique et en mémoire, par Eve Meuret-Campfort, Clémentine Comer, Bleuwenn Lechaux et Maëlle Moalic-Minnaert

8. Y a-t-il une vie professionnelle après le syndicalisme ?, par Jean-Gabriel Contamin et Séverine Misset

Portrait. Régis Vandevelde : comment un « employé modèle » se retourne contre son patron, par Karel Yon

9. Par-delà la crise : dissidences et fidélités paradoxales à la CFDT, par Sophie Béroud et Séverine Misset

II. Les gauches alternatives

10. Les gauches alternatives vues de province, par Isabelle Sommier

11. Les genèses enfantines des humeurs contestataires, par Laure Fleury, Lilian Mathieu et Mathilde Pette

12. Les enfants indociles de la massification scolaire, par Tristan Haute, Lilian Mathieu et Sophie Orange

Portrait. Muriel Hardy à bonne école : figures féminines et bancs de la laïque, par Alice Picard

13. Au carrefour des gauches alternatives : le PSU, par Annie Collovald, Julie Pagis et Vincent Porhel

14. « Au service de la classe ouvrière » : quand les militants s’établissent en usine, par Laure Fleury, Julie Pagis et Karel Yon

15. Vivre un double combat, mais à quel prix ? Les rapports « contrariés » des femmes gauchistes au féminisme,par Clémentine Comer et Bleuwenn Lechaux

16. Quand le « je » s’oppose au « nous » (et vice versa), par Bleuwenn Lechaux et Isabelle Sommier

Portrait. Noëlle Sabot : rencontres improbables et ouverture des possibles, par Eve Meuret-Campfort et Annie Collovald

17. Militantisme et brouillage des destins socioprofessionnels, par Olivier Fillieule, Alice Picard et Pierre Rouxel

18. Déprises. Logiques du désengagement et évaluations rétrospectives, par Olivier Fillieule et Isabelle Sommier

Portrait. Benoît Beaupré : des devenirs professionnels et militants qui s’entremêlent, par Mathilde Pette

19. Le devenir des utopies, par Mathilde Pette et Isabelle Sommier

III. Les féministes

20. Féminismes. Un mouvement mosaïque, par Camille Masclet

21. Les féministes à la conquête de l’espace, par Lucie Bargel, Bleuwenn Lechaux et Camille Masclet

22. Les mobilisations pour l’avortement libre. De la convergence des luttes à leur extension, par Lucile Ruault, Lydie Porée et Olivier Fillieule

23. Recompositions du mouvement féministe. L’émergence des associations de lutte contre les violences faites aux femmes, par Marie Charvet, Olivier Fillieule et Lucia Valdivia

Portrait. Martine Carrère : une trajectoire de notabilisation dans une ville socialiste, par Marie Charvet

24. Les espaces politiques locaux, laboratoires de l’institutionnalisation du féminisme ?, par Lucie Bargel et Camille Masclet

25. Le travail, lieu d’une pluralité d’engagements féministes ?,par Clémentine Comer et Eve Meuret-Campfort

26. Engagement féministe et devenirs professionnels, par Olivier Fillieule, Bleuwenn Lechaux et Eve Meuret-Campfort

Portrait. Lucienne Cloarec et le militantisme lesbien comme découverte d’une communauté de vie politique, par Clémentine Comer

27. « Le privé est politique. » Des sexualités, conjugalités et maternités féministes ?, par Camille Masclet, Lydie Porée et Lucie Bargel

28. Quand l’amitié donne des « elles ». Une camaraderie militante à la croisée des combats féministes, par Clémentine Comer, Helen Ha et Lucile Ruault

Portrait. Monique Blanc : un « long et douloureux deuil » du mouvement des femmes, par Lucie Bargel

29. Rester féministe ? Reflux, transformations et maintien des engagements, par Camille Masclet, Helen Ha et Lucia Valdivia

Conclusion. Portrait de famille(s), par Olivier Fillieule

Annexes : Bibliographie, Table des sigles, Chronologie 1960-1989, Critères de sélection des enquêtés pour un entretien biographique, Calendrier de vie, Construire au moyen d’une analyse des correspondances multiples dynamique l’espace des devenirs soixante-huitards, par Thierry Rossier, Table des auteurs, Remerciements.



Je ne peux que conseiller la lecture de cet ouvrage. Derrières ces portraits de syndicalistes, de militant·es, de féministes, d’abord le souffle de l’espoir et la volonté de ne pas se laisser faire. Des parcours mais pas seulement. Une approche qui rend palpable et les individu·es et les collectifs créés. Une mise en histoire qui ne gomme pas les contradictions et les tensions. Les sens politiques des engagements, les « prix à payer » et les satisfactions aussi.

Plus de mille pages certes, mais une lecture facile, dans un vocabulaire le plus souvent directement accessible (restent cependant quelques phraséologies sociologiques inadéquates à mes yeux).

Une sorte d’héritage, lourd – « nous » ne sommes pas dispensé·es de tirer des bilans – et léger, sans aucun testament… Des questions plus que de réponses…

Reste une question, que je pose maintenant à toustes les auteurs et autrices, pourquoi ne pas utiliser une écriture plus inclusive ? – le point médian, l’accord de proximité, les étudiant·es, les lycéen·nes, les militant·es, les ouvrier·es, les employé·es, pour rendre visibles les unes et les autres, les iels et toustes.

Sous la direction d’Olivier Fillieule,

Sophie Beroud, Camille Masclet et Isabelle Sommier,

Avec le collectif Sombrero :

Changer le monde, changer sa vie

Enquête sur les militantes et les militants des années 1968 en France

Actes Sud, Arles 2018, 1120 pages, 28 euros

Didier Epsztajn


https://entreleslignesentrelesmots.blog ... ropre-vie/
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Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:45

Pourquoi Nanterre ?

Mai 68 (1/7)

Mai 68 ne commence pas le 1er Mai. Les événements qui mènent aux déferlements du mois de Mai ont de multiples racines, qui sont déjà présentes à la faculté de Nanterre.

Chroniques de Mai : une série en sept volets de Dominique Chagnollaud, diffusée pour la première fois sur France Culture en 1988. Suivez avec nous les événements de l'Année 68 au travers d'une mise en abyme documentaire qui reprend les événements de façon chronologique, de la bouche de ceux qui ont fait l'époque.

Les témoignages : Henriette Asséo et Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Jacques Rémy, étudiant en Sorbonne, Jacques Sauvageot, de l'UNEF, René Rémond, professeur à Nanterre, Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Roger Holeindre, du Front uni de soutien au Sud-Vietnam, Pierre-André Taguieff, étudiant puis politologue, Romain Goupil, des Comités d'Action Lycéen, Roger Holeindre, du Front uni de soutien au Sud-Vietnam et Roland Castro de Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes.

Ouvrant sur la vision des évènements 20 ans plus tard, le documentaire pose la question de l'actualité des événements. "Qui Mai 68 peut intéresser aujourd'hui ?" demande Jacques Rémy.

C'est ensuite sur les feux qui portent la cocote minute Nanterre à ébullition qui intéresse la narration.

Les étudiants qui arrivaient à Nanterre eux se considéraient comme exilés, il y avait un contraste tout à fait étonnant entre les perspectives du corps professoral, une ouverture d'esprit qu'il n'y avait pas à la Sorbonne ou dans les anciennes facultés de droit parisiennes, et en même temps le sentiment qu'avaient les étudiants de se trouver dans une sous-faculté par rapport à la Sorbonne elle-même. Alors ça, ça tenait au site lui-même.
Henriette Asséo.

Jusqu'à la première culmination par l'occupation, brève, de la salle du conseil de l'université de Nanterre, mais surtout la fondation du Mouvement du 22 Mars, central pour la suite.

Le 22 mars est une date plus symbolique qu'effective. (...) Ils décident de monter jusqu'au 8ème étage, où il y a la salle où se réunissent les conseils de la faculté, de s'y installer et de l'occuper. C'est un vendredi soir, la faculté est à peu près desserte, on ne peut pas dire que ce soit une opération forte, ils informent l'AFP, ils y passent plusieurs heures, et d'ailleurs ils plient bagage dans la soirée ou dans la nuit. Mais ils y ont créé le Mouvement du 22 mars, qui est maintenant une référence
René Rémond.

Entre les enseignants qui la voient comme un terrain d'expérimentation, l'Etat qui ne s'en était saisi que par opportunisme, plongeant par là-même des étudiants provenant des quartiers favorisés de l'ouest parisiens dans le voisinage de bidonvilles. Et les étudiants eux-mêmes qui se vivaient comme des exilés, les conditions pour une tempête parfaite étaient réunis.

C'est de cette marmite bouillante que vont jaillir les premières revendications de fond des étudiants : l'opposition à la sélection qu'ils pensent savoir approcher, les premières revendications vers la mixité, ou encore le militantisme contre la guerre du Vietnam. Sans oublier la lutte anti-fasciste qui continue depuis la guerre d'Algérie et qui se fait de plus en plus violente à l'approche de l'année 68.

L'émission s'achève en évoquant la montée en puissance du porte-parole le plus connu du Mouvement du 22 mars, Daniel Cohn-Bendit. Mais aussi la première action du mouvement, sorte de coup d'envoi de Mai 68, puisque celle-ci mène à la fermeture de la fac de Nanterre, le 2 mai 1968.

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -mars-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:47

Tout se met en place

Mai 68 (2/7)

C'est le début, les premiers jours, de la fermeture de la Sorbonne jusqu'à la nuit des barricades, le mouvement se durcit. Dès le 3 mai, plusieurs figures des mobilisations vont se faire arrêter, et le conflit entre dans l'escalade.

Les témoignages : Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Jacques Rémy, étudiant en Sorbonne, Jacques Sauvageot, de l'UNEF, Alain Krivine, des Jeunesse communiste révolutionnaire, Roland Castro de l'Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, Henri Weber, Ligue Communiste Révolutionnaire, René Andrieu, le rédacteur en chef de L'Humanité, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Bernard Tricot, secrétaire général du général De Gaulle, Maurice Grimaud, Préfet de police de Paris et Romain Goupil du Comité d'Action Lycéen.

Ça commence avec le meeting de soutien des étudiants de Nanterre, le 3 mai, dans la cour de la Sorbonne : les archives enregistrées sur place donnent à entendre les clefs de la mobilisation : la lutte contre le groupuscule Occident.

A partir de cela, la réaction des autorités ne se fait pas attendre :

Il se trouve que devant ses 300-400 militants réunis dans la cour de la Sorbonne, le recteur prend peur et appelle la police. Beaucoup des lycéens qui n'étaient pas encore arrivés au rendez-vous voient l'ensemble de leurs dirigeants embarqués dans des cars de police et là commencent à hurler "Libérez-les", "Faites-les sortir" et à cerner les cars.
Romain Goupil

Les jours suivants, c'est l'escalade, jusqu'à la première nuit des barricades :

Ce n'est qu'à deux heures du matin, que le ministre de l'Intérieur me donne le feu vert pour qu'on engage les opérations de dégagement de toutes ces rues dans l'ensemble du Quartier latin, qui furent des opérations très dures, très violentes, très spectaculaires, dont on se demande encore maintenant comment elles se sont terminées sans mort d'hommes étant donné le paroxysme de violence qu'elles ont connu.
Maurice Grimaud

C'est un incendie qui met le feu aux poudres. Celui d'un local syndical en Sorbonne par les militants du groupuscule d’extrême droite Occident. Les étudiants de Nanterre vont immédiatement se solidariser et organiser une journée de soutien en Sorbonne.

La mobilisation inquiète, le recteur fait intervenir la police et ainsi commence l’insurrection, un vendredi 3 mai 1968. Il faut tout de même un petit week-end aux organisations de gauche pour se ressaisir, mais dès le lundi, la stratégie du rapport de forces est appliquée, et le conflit se fait violent (fait hallucinant aujourd'hui, les manifestants chargent les CRS !).

Le lendemain, la "grande marche de Paris" est lancée, les manifestants parcourent la capitale lors d'un défilé de 30 km. A partir de ce moment, les manifestations s'organisent tous les jours, au départ de Denfert-Rochereau et sans parcours vraiment défini.

Dès le 10, les lycéens rentrent dans la danse. Ce jour-ci, l'appel est général, avec un seul objectif : reprendre la Sorbonne des mains des CRS. Très vite, l'impatience gagne les manifestants, et les premières barrières sont levées au moyen de pavés piochés à même la chaussée grâce aux grilles des platanes parisiens.

La nuit des barricades commence. Le gouvernement, en plein désarroi en raison de l'absence du Premier Ministre, Georges Pompidou, tarde à donner les ordres. Ce n'est qu'à 2 heures du matin que les CRS lancent leur intervention et que la violence se déchaîne.

Le directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Michel Jobert, racontera un appel tardif avec celui-ci, en visite d'état en Afghanistan. Le Premier Ministre lui demandant : "Est-ce si grave que ça ?" il répondra "plus que vous ne l'imaginez".

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -mars-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:49

Etudiants et Ouvriers

Mai 68 (3/7)

Le 13 mai 1968 débute la grève générale. Les organisations syndicales professionnelles, d'abord hésitantes à se joindre au mouvement, commencent par s'opposer aux violences policières. Ce n'est que peu à peu que la fraternisation des mouvements va se faire et avec beaucoup de réticences.

Les témoignages : Henriette Asséo et Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Pierre Chaunu, Historien, Alain Geismar, de la Gauche Prolétarienne, Jacques Rémy, étudiant en Sorbonne, Jacques Sauvageot, de l'UNEF, Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, René Bonnety, de la CFDT, Alexandre Hébert et Yves Rocton, de FO - Nantes, Yvon Chotard, UNEF - Nantes, Bernard Tricot, secrétaire général du général De Gaulle, Edouard Balladur, membre du Conseil d’administration de l'ORTF et Maurice Grimaud, Préfet de police de Paris

Cette puissante manifestation du 13 mai qui a été un événement important, je crois même décisif, car ce fut le jour où la classe ouvrière entrait en masse dans le mouvement de Mai.
Georges Séguy

Mais tous ne furent pas d'accord avec l'attitude de la CGT pendant le mouvement.

A partir du moment où la grève s'est développée dans les usines elle a cherché à circonscrire le mouvement à l'intérieur des usines, nous avons eu peu de rapport avec la CGT, elle a eu une attitude très fermée.
Jacques Sauvageot

Puis vint la brève séquestration du directeur de Sud Aviation à Nantes : "Un membre de votre classe est incarcéré, vous me demandez à moi de le faire libérer, c'est une démarche tout à fait honorable et j'en ai fait des dizaines comme ça au cours de mon existence de militant. Malheureusement et encore aujourd'hui dans vos prisons, il y a des militants ouvriers qu'on n'a pas pu faire sortir" dira Alexandre Hébert au maire de Nantes.

Le documentaire aborde ensuite l'absence d'organisation et de préparation du mouvement ainsi que la volonté des étudiants de s'unir avec les ouvriers.

Tous les leaders des groupuscules qui avaient un discours politique qui voulait bien être ouvriériste quand il s'agissait du Tiers-Monde mais ne s'intéressait absolument pas à ce qui se passait en France et surement pas à l'état des ouvriers de Sochaux, découvrent qu'il y a un mouvement ouvrier en France.
Henriette Asséo.

L'aboutissement c'est l'arrivée du cortège étudiant, le 17 mai, devant l'usine Renault à Billancourt, soldé par le refus de la CGT de les laisser rentrer. "Nous, on n'est pas prêt à suivre les étudiants, nous nous avons un programme à la CGT" commentera un responsable du syndicat.

Avec l'entrée de la CGT dans le mouvement de Mai commencent les premières dissensions et interrogations sur l'avenir de la mobilisation. Les étudiants découvrant les mouvements ouvriers, alors que les ouvriers se méfient de ces révolutionnaires des beaux quartiers.

Peu à peu, les manifestants convergent sur le terrain, mais la division sur le fond et la forme de la mobilisation restent et les querelles de chapelles plombent l'union.

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... -mars-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:54

Un mouvement éclaté

Mai 68 (4/7)

Le mouvement se calme après le 18 mai, mais s'étend et se massifie dans de nombreux secteurs. Entre les théâtres, les Beaux-arts, le cinéma et la presse papier, télévisée ou radiophonique, la recherche d'un nouveau modèle agite les esprits et les débats.

Les témoignages : Henriette Asséo et Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Roland Castro de l'Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Pierre Chaunu, historien, Bernard Tricot, secrétaire général du général De Gaulle, Maurice Grimaud, Préfet de police de Paris, Jean-Jacques Vierne, réalisateur radio CGT, Philippe Tesson, rédacteur en chef de "Combat", Jacques Charby, comédien, Maurice Seveno, journaliste et Jacques Doniol-Valcroze, cinéaste.

Le premier terrain sur lequel le témoignage va se porter est celui du théâtre, et principalement via l'occupation du Théâtre de l'Odéon.

Le préfet Grimaux me dit : j'ai l'ordre d'évacuer l'Odéon, c'est manifestement inutile, l'Odéon va tomber comme un fruit blet et on risque de relancer une agitation en l'évacuant avant minuit, ce qui était prendre l'Odéon dans sa petite matinée si je puis dire. Et nous l'avons obtenu cette appréciation du moment, et je me souviens que j'avais lancé ce mot de théâtre : on ne fait pas tomber le général sur une affaire de théâtre.
Michel Jobert

L'occupation des Beaux-Arts, un autre aspect qui permet d'aborder les changements majeurs dans la création artistique et architecturale.

Architecte est devenu une injure, on arrêtait toutes les bagnoles qui passaient rue Bonaparte, les gens ne comprenaient pas ce qui leur arrivait : on les traitait d'architectes. C'était assez marrant parce que, à la même époque, les situationnistes disaient : "les architectes finiront pendus dans leurs grands ensembles".
Roland Castro

La presse écrite, elle aussi, s'enflamme, et de nombreux journaux voient le jour, et notamment "Combat".

Le mouvement chez nous n'était ni idéologisé, bien loin de là, ni conceptualisé, ni, encore moins, politisé. Ça a été l’adhésion d'une petite équipe de journalistes à la colère de toute une jeunesse.
Philippe Tesson

Dans le monde du cinéma, la mobilisation commence dès février 1968 avec l'éviction d'Henri Langlois de la direction de la Cinémathèque. S'ensuit un certain nombre de manifestations qui aboutiront à la tenue des États Généraux du cinéma.

On a fait une manifestation devant le siège administratif de la Cinémathèque, un sitting, qui a duré. Au bout d'un moment, nous les cinéastes avons pensé que c'était suffisant et on a donné l'ordre de se disperser. Et à ce moment-là il y a un petit jeune homme roux bouclé qui est monté sur une caisse et qui a dit : "non, non, non, ce n'est pas fini, il faut rester". C'était Cohn-Bendit, et on n'a rien pu faire, la manifestation a duré encore deux heures.
Jacques Doniol-Valcroze

Le dernier champ sur lequel se penche le documentaire est le démarrage de la grève chez les journalistes de radio puis de télévision à l'ORTF.

Le mouvement n'était pas politique pour les journalistes à l'époque, il était, je dirais, professionnel, de solidarité d'abord avec ce qui se passait : il y a eu des événements ponctuels qui ont fait que ça s'est déclenché comme ça. Si vous voulez, le mouvement a commencé lorsque le pouvoir a interdit de passer des reportages sur les manifestations.
Maurice Seveno

Le document se conclut par l'intervention de Jean-Paul Sartre, le 22 mai, à la Sorbonne, où il prononcera cette tirade passée ensuite à la postérité :

Marcuse dit dans son dernier livre cette phrase "notre espoir ne peut venir que des sans-espoirs". Je veux dire qu'un des sens de l'insurrection des étudiants c'est que vous ne voulez pas rentrer dans cette société-là, et vous ne voulez pas y entrer parce que vous pensez que si vous y entrez, vous êtes faits, faits comme des rats.

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... avril-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:56

Est-ce l'apaisement ?

Mai 68 (5/7)

Le 24 mai, les affrontements reprennent avec une deuxième "nuit des barricades" dans le Quartier latin. Pendant ce temps, à Nantes est déclarée la Commune. Et les négociations entre l'Etat et les syndicats ne se tiennent pas dans les meilleures conditions.

Les témoignages : Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Roland Castro de l'Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Maurice Grimaud, Préfet de police de Paris, Jacques Rémy, étudiant en Sorbonne, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, Alexandre Hébert et Yves Roqueton, de FO - Nantes, François Ceyrac, délégué général adjoint de l'Union des Industries Métallurgiques et Minières, Jean-Marcel Jeanneney, Ministre des Affaires Sociales, Jean Bornard, secrétaire général adjoint de la CFTC, Henri Weber, Ligue Communiste Révolutionnaire, Serge Perrin, de la CFTD - Nantes et Bernard Thareau, agriculteur.

Le 24 mai, le général De Gaulle prononce un discours que les étudiants écoutent attentivement, ensemble, devant leurs transistors.

Il a fait un discours assez mou, parlant de référendum, etc. Ce qui s'est passé c'est que nous avons tous sorti nos mouchoirs, ou les foulards qui nous servaient contre les gaz lacrymogènes, et nous les avons agités en disant "adieu De Gaulle, adieu De Gaulle". Et je garde cette image-là, qui est très belle je crois, et ce n'était pas un adieu coléreux à ce moment-là, c'était... bon c'est une histoire qui se finit, on part ailleurs.
Jacques Rémy

Cette écoute s'enchaîne immédiatement par la deuxième nuit des barricades où des affrontements éclatent dans le Quartier latin mais aussi Rive Droite.

A chaque fois qu'il y avait une manifestation, elle se terminait dans le Quartier Latin par une bataille rangée, on allait perdre l'opinion, donc on voulait l'éviter absolument. La manifestation du 24 avait été convoquée à la Gare de Lyon, on ne devait pas retraverser la Seine, mais les manifestants décident. Les groupuscules proposent, les manifestants disposent.
Henri Weber

Le même jour, à Nantes, se lance une grande manifestation agricole qui débouchera sur la "Commune" de Nantes.

La Commune de Nantes c'est le rêve qui n'a pas été réalisé, je veux dire que dans la dimension politique, il est probable qu'à Nantes ça ait été un peu plus loin, ne serait-ce que parce qu'il y a eu conjointement et les étudiants et la grève à Sud Aviation, et donc la signification politique, qui consistait à dire "On n'accepte pas les institutions".
Yves Roqueton

Jusqu'à l'ambiance dans laquelle se sont déroulées les négociations de Grenelle.

Ce qui a fait tourner la négociation d'une façon un peu différente de ce que Pompidou et moi-même souhaitions c'est l’initiative qu'a prise monsieur Huvelin, le président du Conseil National du Patronal Français, presque d'emblée d'accorder une hausse de 30% du SMIC, d'emblée ! Ça a surpris.
Jean-Marcel Jeanneney

Enfin, en bonus, un court extrait d'un entretien au sujet de Mai 68 que le chanteur Renaud avait accordé à Noël Simsolo le 14 mars 1984.

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... avril-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 17:59

Tout est possible

Mai 68 (6/7)

Du 27 au 29 mai, les dissensions s’accentuent sur la poursuite des événements, tant entre les étudiants et la CGT que parmi tous les hommes politiques, principalement à cause de la faiblesse, puis de l'absence, du général De Gaulle.

Les témoignages : Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Maurice Grimaud, Préfet de police de Paris, Henri Weber, Ligue Communiste Révolutionnaire, Bernard Tricot, secrétaire général du général De Gaulle, Jean Bornard, responsable CFTC, François Flohic, aide de camp du général De Gaulle, Pierre Lefranc, président des Comités pour la Défense de la République, Jacques Massu, général, Jacques Sauvageot, Vice-Président de l'UNEF, Romain Goupil, du Comité d'Action Lycéens, Philippe de Gaulle, fils du général De Gaulle et Alain de Boissieu, Général Commandant de la 7e Division et gendre du général de Gaulle

Dès le 27 mai, les accords de Grenelle sont fortement contestés par les manifestants, qui les voient comme une capitulation.

Je pense qu'en ce qui nous concerne, les étudiants n'ont pas fait les barricades et ne se sont pas heurté pendant des semaines avec la police pour quelques amphithéâtres de plus, et nous doutons que les jeunes travailleurs qui ont mené ce combat l'aient fait pour 7% d'augmentation.
Alain Geismar

Le lendemain se tient le meeting de Charletty qui cherche à redonner de l'élan à la contestation.

A l'origine de Charletty il y a la décision de Pompidou d'interdire les rassemblement de plus de 3 personnes. (...) Charletty a coïncidé avec le premier refus d'accepter le résultat des négociations. Parce je crois que de la même façon que les étudiants, les travailleurs n'étaient pas parti sur des revendications précises, et que la première fois ils avaient reçus des choses qui étaient complètement négligeable, ça ne leur semblait pas répondre à leurs aspirations profondes. Du coup Charletty est devenu une manifestation qui a exprimé le refus des accords entre le patronal et les organisations syndicales.
Jacques Sauvageot

De nombreuses solutions politiques sont alors lancée, toutes sur la supposition que le général De Gaulle sera désavoué par son référendum.

Charletty s'est produit à un moment où les objectifs du mouvement étaient proches d'être atteint, les objectifs réels de l'extrême gauche ce n'était évidemment pas d'instaurer la révolution sociale parce que ce n'était pas possible, mais l'objectif maximal était d'obtenir le départ du général et la désignation d'un gouvernement de gauche Mendes-Mitterrand porté par la rue. Pour nous le général De Gaulle avait été porté au pouvoir par les 13 complots du 13 mai, il avait été porté au pouvoir par la rue, par l'émeute par les barricades d’Alger, il était juste qu'il retourne à Colombey-les-Deux-Églises par le même chemin.
Henri Weber

Et du côté gaulliste, le "flottement" du pouvoir ne semble pas contredire la version que les manifestants ont des événements.

Vous n'imaginez pas ce qu'à été le désarroi des cadres politique à cette époque, et tout s'est joué en quelques heures ! J'étais en le bureau de Pompidou quand le général lui a téléphoné en lui disant qu'il allait reporter le conseil des ministres, qu'il allait prendre le temps de réfléchir et qu'il a terminé par cette phrase très incongrue dans sa bouche : "je vous embrasse" qui à laisse le premier ministre perplexe, voir pantois. Et je peux vous dire que pendant cette période très courte tout pouvais basculer et que j'ai vu que tout allait basculer.
Michel Jobert

La CGT, se sentant doublée par sa gauche, et fortement critiquée par le reste des grévistes, organise une manifestation le 29 mai pour reprendre le contrôle de sa base et relancer le rapport de forces en sa faveur.

On organise une manifestation où la CGT est vilipendé, insultée, ses dirigeants trainés dans la boue, accusé de trahison, les négociations du Grenelle aussi, les élections traitées de piège à cons et j'en passe et des meilleures. Il était bien extraordinaire que la CGT tende la joue droite après avoir reçu une gifle aussi retentissante sur la gauche. Dans ces conditions, nous avons voulu prouver, sous la forme appropriée, dans une manifestation tout à fait calme, sans affrontement avec la police, que le rapport de forces, en ce qui concerne les travailleurs en luttes, était toujours bel et bien du côté de ce que la CGT dirigeait.
René Bonety

Au même moment, le général De Gaulle "disparaît" et va rejoindre quelques heures le général Massu, stationné à Baden-Baden. Il en revient décidé à agir sur la suite des événements.

Le général est resté quelque temps à Baden et je crois qu'il ne s'est rendu compte de la portée de ce voyage éclair qu'en écoutant les informations le soir à la télévision. Il a réalisé à ce moment-là l’émotion énorme qu'avait provoquée son départ. Et comme c'est un homme qui savait apprécier les situations et saisir les occasions, il s'est rendu compte que là il avait la possibilité de reprendre les choses en main. Qu'il n'avait sûrement pas la veille !

Enfin, en bonus, un court extrait d'un entretien au sujet de Mai 68 que le chanteur Renaud avait accordé à Noël Simsolo le 8 août 1988.

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... avril-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Aoû 2018, 18:02

Le reflux

Mai 68 (7/7)

Le discours du 30 mai du général De Gaulle signe la fin de la mobilisation. Mais tandis que les choses se normalisent tout le long du mois de juin, peut-on vraiment parler de fin ? 20 ans plus tard, tous seront d'accord pour dire que cette fin n'était finalement que provisoire.

Les témoignages : Michel Jobert, directeur de Cabinet de Georges Pompidou, Henri Weber, Ligue Communiste Révolutionnaire, Pierre Lefranc, président des Comités pour la Défense de la République, Jacques Sauvageot, Vice-Président de l'UNEF, Romain Goupil, du Comité d'Action Lycéens, Henriette Asséo, Daniel Cohn-Bendit, Serge July et Jacques Tarnero du Mouvement du 22 Mars, Pierre Chaunu, historien, Alain Krivine, de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Roland Castro de l'Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes, Pierre-André Taguieff, étudiant puis politologue, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, Bernard Henri-Lévy, élève à ENS Ulm, Jacques Rémy, étudiant à la Sorbonne et Edouard Balladur, membre du Conseil d’administration de l'ORTF.

Le discours du Général de GAULLE du 30 mai où il annonce la dissolution de l'assemblée et la tenue de nouvelles élections, sonne la fin de la contestation pour la plupart des acteurs de Mai 68

Ceux qui voulaient pousser le mouvement plus loin, les divers groupes gauchistes et une masse d'étudiants radicalisés, ceux-là étaient trop faible pour mettre en avant des perspectives politiques fiables. A partir du moment où le surveillant général a sifflé la fin de la récréation, énergiquement et cette fois-ci de façon adéquate, les français on compris que c'en était fini et qu'on allait retourner à la normale.
Henri Weber

Dès Juin le mouvement perd de sa vigueur, le travail recommence, les universités ré-ouvrent, les manifestants se démobilisent.

Ça s’essouffle et il commence à y avoir un certain nombre d’éléments qui révèlent l’érosion interne, on est ailleurs, il n'y a plus du tout de capacité de mobilisation, il y a une fatigue, la volonté de lutte collective se dilue.
Jacques Tarnéro

20 ans plus tard, les participants font le bilan des événements.

C'est une génération qui à sentie le besoin de se révolter parce que la société lui proposait un mode de vie qui ne lui plaisait pas, elle a donc essayée d'inventer quelque chose de nouveau. Donc dans cette invention sociale, il y a du bon et il y a du mauvais, il y a du terrible et il y a du très beau.
Daniel Cohn-Bendit

Le recul leur permet aussi de juger des l'influences qu'a eu le mouvement.

Mai 68 à changé profondément l'action syndicale dans le sens que celle-ci pouvant s'exprimer librement dans l'entreprise, le syndicalisme n'étant plus contesté dans l'entreprise les travailleurs ont pu trouver des moyens d'expressions directs dans l'entreprise.
René Bonety

Chacun va de son interprétation des raisons qui ont menée à la révolte.

Il y avait quelques chose qu'il y avait une peu d'une nature fermée, étouffante dans le gaullisme, cet étouffement à été ressenti. Mai 68 c'est ça : c'est en gros l'étouffement ça suffit.
Serge July

Mai 68 est pour d'autres occasion d'analyses et auto-analyses.

Rien n'est pareil depuis. Si j'avais à me faire une reproche, c'est que j'ai peut être eu tort de ne pas les prendre suffisamment au sérieux, il me semblait que c'était tellement irrationnel que ça ne pouvait pas durer. On ne doit jamais je crois s'imaginer que ce qui n'est pas rationnel ne doit pas arriver, au départ je pense que toute les révolution toutes les révoltes paraissent irrationnelle. Et je crois que c'est ce qu'il faut bien comprendre à propos de ces événements, il ne faut pas les juger de façon rationnelles, ça a été une sorte de... de bouffé de passion.
Édouard Balladur

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... avril-2018
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 01 Sep 2018, 20:09

Années 68 : Présentation à Antigone de deux livres par leurs autrices Lola Miesseroff et Claire Auzias

Grenoble Jeudi 6 septembre 2018

Deux autrices viennent à Antigone nous présenter leurs ouvrages autour des années 68 :
– “Voyage en outre gauche” paroles de francs-tireurs des années 68 par Lola Miesseroff
– “Trimards” pègre et mauvais garçons de mai 68 par Claire Auzias
La présentation sera suivie d’une discussion.

à 20h, 0uverture de la bibliothèque dès 18h30 / Prix libre
Antigone, 22 rue des Violettes à Grenoble

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https://cric-grenoble.info/infos-locale ... s-lola-695
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 02 Sep 2018, 19:20

Une Révolution pédagogique ?

Mai 68, une Révolution pédagogique ?

« Ce jour-là j’ai compris
que je serai ouvrier en grève pour toujours ».
(Jean-Yves, 9 ans)

En mai 68 eut lieu la plus grande grève ouvrière de l’histoire de France mais aussi sans doute la plus grande insurrection étudiante depuis François Villon. Ce fut aussi une tentative de Révolution pédagogique. Si quelques profs d’université, beaucoup d’instituteurs et de profs du secondaire participèrent aux événements trop peu nombreux remirent sur le long terme leur utilisation experte de la pédagogie autoritaire. Beaucoup manifestèrent, quelques-uns occupèrent écoles et autres établissements d’enseignements, trop peu interrogèrent leurs pratiques et le rôle éminemment reproducteur des inégalités de classes de l’appareil scolaire. Encore moins furent ceux qui analysèrent la place qu’ils y occupaient inconsciemment souvent, mais pas toujours, dans ce système ?

Pour fonder mon propos j’utiliserai comme sources les témoignages recueillis dans un livre récemment paru Mai 68, par ceux et celles qui l’ont vécu (1). Témoignages spontanés à la demande d’un éditeur et d’un média qui ne souhaitaient pas que la mémoire des peuples soit le seul fait de la ré-écriture savante et a posteriori de l’histoire. Dans ce livre les acteurs racontent ce qu’ils ont vécu ou comment ils ont vécu Mai 68 quelquefois très loin de la Capitale. Ouvriers, employés, lycéens, étudiants, hommes et femmes, la plupart jeunes à l’époque.

Que disent-ils sur l’éducation et toutes les valeurs autoritaires et le traditionalisme qu’elle véhiculait. Ada, 20 ans alors, se souvient dans son lycée : « A l’époque, il n’y avait que des filles, on ne mélangeait ni les sexes, ni les classes sociales » (p.63).

Quant à Béatrice, elle raconte : « une élève est venue en pantalon, ce qui était formellement interdit par le règlement intérieur. Sous nos blouses, bleues une semaine, beiges la semaine suivante, nous n’avions le droit de porter que des jupes, sauf si la température descendait au-dessous de zéro » (pp.38-39). Et certains voudraient imposer le retour à l’uniforme ! Un anonyme se rappelle que « nous avions un professeur de français qui nous enseignait Rabelais dans une version expurgée, ayant éliminé ce qu’il considérait comme étant des mots orduriers » (p.399). L’ordre moral et la censure régnaient.

Et pourtant certains osent et écrivent sur les murs de l’Université de Nanterre : « professeurs vous êtes vieux … votre culture aussi » (p.73) comme quoi la clairvoyance n’attendait le nombre des années. D’autres de Censier veulent faire entendre que cela ne les intéresse pas de « reprendre les études pour devenir des privilégiés et « des chiens de garde » de la société » (p.77) et remettent en cause, comme à Rouen, « les cours magistraux, les relations profs/étudiants, nous imaginions, écrivent-ils, la fin des hiérarchies universitaires » (p.85).

Et, ils contestent vivement les enseignements académiques (p.94). De même au lycée Balzac à Paris déclaré autonome (sic) : « plus de registres de présences, plus de cours magistraux » (p.351).

Aux Beaux-arts, Philippe se rappelle que « l’autogestion pédagogique imposée par les étudiants pour l’année 1968-1969 s’instaura avec la complicité d’une partie des enseignants et facilita cette inscription éphémère du politique dans le processus pédagogique » (p.97) mais bien vite le retour à « l’ordre » se fit.

C’est, ce dont témoigne Alain, dans son lycée : « les profs naviguaient entre l’enseignement traditionnel et l’essai d’application de méthodes pédagogiques que nous avions élaborées en commun. Du moins pour ceux qui ne tentaient pas, revanchards, de rétablir brutalement leur autorité un temps bafouée » (p.115). Car ce fut rapidement la fin de la grève des cours, des assemblées générales, des groupes de discussion, la veille machine à conformer allait se remettre en marche avec l’aide complice d’une part de ses personnels.

Élan libérateur malgré tout comme pour Françoise qui déclare, ce fut « ma revanche contre les profs, les profs de latin, les grands profs en chaire. Je leur apporte la contradiction […]. Il n’y a plus de relations hiérarchiques […]. Je ne suis plus rabaissée » (p.368).

Certes la rentrée de septembre-octobre 1968 fut un peu différente des précédentes au moins dans le souvenir de Christophe qui explique : « Après les examens reportés en septembre, les cours reprirent dans une ambiance nouvelle, caractérisée par une plus grande prudence des professeurs en civil (sic).
Il fallut un an ou deux pour que les toges réapparaissent chez les plus conservateurs (2), mais leur charme avait disparu avec l’autorité qu’elles étaient censées véhiculer » (p.435).

Durant le Mai 68 pédagogique, c’est encore Christophe qui se souvient : « le sacré s’effilochait, les hiérarchise étaient bousculées, […]. Et puis l’étudiant de base, qui n’avait alors que le droit d’écouter et d’acquiescer aux vérités professées, se découvrait un droit d’irrévérence et de contestation ainsi que le pouvoir de la désorganisation institutionnelle » (p. 436).
Reste que le bilan à terme fut maigre et vite récupéré par la machine à décerveler et à réduire l’esprit critique. C’est ce que constata Anne : « bien sûr, il y eut quelques suppressions d’estrades dans les classes […].

Bien sûr, il y eut quelques tentatives d’interactivité en cours entre profs et élèves au lieu des « vieux cours magistraux » (p. 446) mais rien ne changea fondamentalement sur les fonctions réelles du système éducatif. Rien ne changea d’autant que les enseignants et leur syndicat ultra majoritaire à l’époque n’y tenait pas. Michel, instituteur et militant de l’Ecole émancipée constata avec amertume lors d’une délégation au siège de la FEN. « On nous expliqua qu’il fallait rencontrer les responsables des autres syndicats, réunir les instances nationales du SNI et de la FEN… on comprit qu’il ne fallait pas compter sur eux pour craquer « l’allumette qui mettrait le feu à la plaine ». Si les hommes qui ont fait l’histoire de France n’avaient pas eu plus d’énergie que les dirigeants de la FEN et du SNI en 68, les écoliers n’auraient pas besoin d’apprendre les dates de 1789, 1830, 1848, 1871 » (p.424).

Si trop souvent, les étudiants furent catalogués de « petits bourgeois » par l’appareil de la CGT et du PC, et tous ne firent pas de brillantes carrières par la suite, même s’il y eut de spectaculaires retournements de vestes.

Beaucoup s’inscrivirent en conscience dans le refus de parvenir car « pour nombre d’étudiants, le mouvement de mai fut un moment de remise en cause des préjugés de classe, d’éducation, de croyance, d’appartenance. Un moment d’initiation jusqu’à la découverte de la transgression comme une voie possible de l’éducation à la liberté » (p.436).

Malgré la reculade pédagogique généralisée, quelques acquis demeurèrent, les blouses et les estrades disparurent, l’interactivité pris une petite place et le pouvoir du savoir fut ébranlé. Pour le reste la Révolution pédagogique échoua, ou plutôt fut remise au pas par les capos du savoir.

Néanmoins durant le joli mois de mai l’éducation se fit aussi dans et par l’action, dans la rue, au lycée, à l’université, à l’usine ou ailleurs dans un dynamique individuelle et collective. Mai 1968, fut donc aussi un grand mouvement de gymnastique révolutionnaire et d’Éducation populaire émancipateur.

Hugues Lenoir

Mai 68, par ceux et celles qui l’ont vécu, Editions de l’Atelier et Mediapart, 2018.
A l’époque les profs d’université exerçaient en toge à la manière des avocats.


http://www.hugueslenoir.fr/mai-68-une-r ... dagogique/
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Lila » 02 Sep 2018, 22:10

Mai 68 : quand les femmes des Beaux-Arts racontent la lutte

Qu’aurait été Mai 68 sans les Beaux-Arts de Paris ? Sans l’impact des slogans percutants, des visuels « sismiques » concoctés dans son Atelier Populaire et affichés sur tous les murs de France ? Il y avait beaucoup de femmes agissantes parmi ces artistes.

Une fois de plus l’Histoire avait retenu pour l’essentiel, jusqu’il y a une décennie, les noms et les actes des protagonistes mâles d’un des épisodes majeurs du XXème siècle que fut Mai 68. Les figures de Cohn-Bendit, du Général de Gaulle se plaignant de la « chienlit » et de Georges Pompidou traitant l’opposition d’ « enragés » y dominant la myriade de responsables de partis politiques, de meneurs d’organisations de gauche comme de droite, de leaders syndicaux et d’intellectuels.

Depuis, des historiennes sont passées par là et leur lecture de l’Histoire, leurs recherches dans les archives, leur tropisme pour des thématiques liées au devenir social et personnel tant des femmes que des hommes, donnent à embrasser un champ beaucoup plus complet de constats et de réflexions. C’est notamment ce qu’on retient de l’ouvrage passionnant né sous la plume de Ludivine Bantigny, qui estime pour cette période que, « parmi les clivages à dépasser, le rapport femmes-hommes est sans doute le moins interrogé »

la suite : https://information.tv5monde.com/terrie ... tte-226048
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 06 Sep 2018, 19:13

Un parcours particulier, de mai 68 à la coopérative d’habitants pour retraités Chamarel-Les Barges à Vaulx-en-Velin

Nous publions ici deux interventions de deux acteurs de la coopérative d’habitants pour retraités CHaMaREL à Vaulx-en-Velin. Il s’agit de témoignages de parcours de vie qui ont leur source dans Mai 68 et qui débouchent aujourd’hui sur des alternatives concrètes. Ces interventions ont été prononcées lors du colloque « CFDT 1968-2018 Transformer le travail, transformer la société ? Des luttes autogestionnaires au réformisme » qui s’est tenu les 21 et 22 mars 2018 dans le grand Amphithéâtre de l’université de Lyon. Il a été publié dans le livre qui porte le même nom par les éditions de la Chronique sociale (Lyon, mai 2018) sous la direction de Yves Krumenacker, professeur d’histoire moderne de l’Université Lyon3, et Jean-François Cullafroz, journaliste.

... https://autogestion.asso.fr/un-parcours ... -en-velin/
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 07 Sep 2018, 01:04

Mai 68 à Rouen – Renault de Cléon, le PCF, l’extrême gauche

A Rouen, comme dans la plupart des villes de province, la révolte étudiante, puis la grève générale de mai-juin 1968 ont été rythmées par les événements parisiens. Le fait local majeur fut le déclenchement le 15 mai, sous l’impulsion de jeunes travailleurs combatifs, de la grève à l’usine Renault de Cléon, seconde entreprise à entrer en grève avec occupation. Le Mai rouennais apporte une bonne illustration des forces et des limites de ce mouvement exceptionnel.

Pour éclairer le déroulement des événements, deux éléments doivent être soulignés : d’une part la puissance du mouvement ouvrier local, contrôlé étroitement par le parti communiste ; de l’autre, la politisation et radicalisation de la jeunesse étudiante et lycéenne, avec le rôle joué par les organisations révolutionnaires, principalement la JCR.

L’hégémonie du PCF

Après les destructions massives opérées par la Deuxième Guerre mondiale à Rouen et au Havre, la Seine-Maritime connaît dans l’après-guerre une forte expansion économique. Alors que l’industrie textile traditionnelle achève son déclin, se développe un tissu de moyennes et grandes entreprises, en particulier dans la métallurgie et la chimie (raffineries, engrais...).

L’exemple de Renault est emblématique. Le site de Cléon est ouvert en 1958, dans l’agglomération Rouen/Elbeuf. Il emploie plus de 5000 ouvriers en 1968. Celui de Sandouville, près du Havre, démarre en 1964. L’objectif de la direction est de recruter une main-d’œuvre issue de la campagne, plus docile et facile à exploiter.

La CGT, extrêmement puissante dans des secteurs comme les ports et docks, ou encore la SNCF (Sotteville-lès-Rouen), s’implante dans ces nouvelles industries . L’Union départementale CGT est l’une des plus puissantes de France.

Dans de nombreuses entreprises, le parti communiste est présent de manière militante, par le biais d’une ou plusieurs cellules qui contrôlent étroitement la CGT. Sa fédération de Seine-Maritime est connue comme l’une des plus puissantes mais aussi l’une des plus staliniennes d’un parti qui reste un soutien inconditionnel de l’Union soviétique. Le PCF dirige la plupart des municipalités ouvrières de l’agglomération de Rouen ainsi que les deuxième et troisième villes du département, Le Havre et Dieppe. Il est aussi très présent dans les milieux universitaires et dans la vie culturelle. Cette hégémonie ne laisse guère de place aux autres courants du mouvement ouvrier.

Au plan politique, la social-démocratie a une implantation très faible. Le PSU a connu un certain développement dans la lutte contre la guerre d’Algérie, notamment à l’initiative des militants du PCI (4e Internationale) qui ont été très engagés dans le soutien matériel au FLN algérien, et contre l’extrême droite.

Au plan syndical, la CFDT reste marginale, une partie des militants ouvriers chrétiens se trouvant à la CGT. FO est quasi inexistante.

Révolte de la jeunesse et émergence de la JCR

De création récente, l’université de Rouen ne regroupe en 1968 que 8000 étudiant-e-s. De 1966 à 1968, elle est traversée par le vent de contestation qui souffle en France et dans le monde sur la jeunesse universitaire : opposition à l’intervention américaine au Vietnam, aux réformes bourgeoises de l’université, au carcan moral qui pèse sur la jeunesse. Il en va de même dans les lycées, soumis à une atmosphère de caserne.

La jeunesse étudiante et lycéenne remet aussi en cause l’ordre moral qui pèse lourdement dans cette ville de province dirigée par la démocratie-chrétienne, sans y être contesté par le mouvement ouvrier : le PCF est alors un fervent défenseur du mariage et de la famille, farouchement hostile à la contraception et au droit à l’avortement.

La compréhension de la situation nouvelle dans la jeunesse avait amené le PCI à impulser la création de la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire), une organisation de jeunesse qui se référait à la fois au trotskysme et à la révolution cubaine (Che Guevara). Rouen constitue, avec Toulouse et Caen, une des principales sections de la nouvelle organisation. La JCR rouennaise, qui compte une trentaine de militant-e-s , engage toutes ses forces dans la construction d’un mouvement de masse de solidarité avec la lutte du peuple vietnamien.

Le Comité Vietnam de Rouen organise régulièrement des actions spectaculaires et des manifestations de rue. Fort de 600 adhérents, il est capable de réaliser, en 1967 et en 1968, deux grands meetings « 6 heures pour le Vietnam », regroupant a chaque fois plus de 1000 participants qui ont un grand retentissement sur la ville.

Ces mobilisations se heurtent à l’extrême droite. Le 12 janvier 1967, un commando venu de Paris du groupe Occident, dont font partie trois futurs ministres (Madelin, Longuet et Devedjian), attaque à la barre de fer et dévaste le restaurant universitaire où le Comité Vietnam distribue des tracts, faisant un blessé grave.

Dans le mouvement ouvrier, les mobilisations de la jeunesse et l’action des courants révolutionnaires ne passent pas inaperçues. Le PCF assiste impuissant et exaspéré à la montée en puissance de la JCR dans la jeunesse étudiante et lycéenne. Il réagit avec ses vieilles méthodes staliniennes, dénonçant les groupes « gauchistes provocateurs » et leurs liens avec... la police et la préfecture, ou leur financement par les « caisses noires » du parti gaulliste. Il ne recule pas non plus devant la violence physique. Mais toutes ces tentatives d’en finir avec l’influence « gauchiste » se retournent contre l’appareil stalinien.

Ainsi, lorsque la JCR décide d’organiser, au lendemain de l’assassinat de Che Guevara, un meeting en sa mémoire, les militants du PCF bloquent l’entrée de la petite salle en empêchant physiquement la réunion de se tenir. Quinze jours plus tard, le meeting se tient dans l’une des plus grandes salles de la ville, bien remplie, avec le soutien d’associations et organisations de gauche ainsi que d’universitaires.

La JCR développe son influence dans les lycées « classiques » comme « techniques » – elle diffuse dans ces derniers la feuille l’Étincelle dans le but de gagner de futurs jeunes travailleurs. Elle a quelques militant-e-s d’entreprise dans la chimie, à la SNCF, chez Renault, ainsi qu’à l’hôpital psychiatrique.

Au cours de ces deux années se forge l’équipe militante qui devient en mai 1968 la cheville ouvrière du comité de grève des étudiants de Rouen.

6 mai / 15 mai : de l’université aux usines

Le 3 mai, la Sorbonne est occupée par la police, des étudiants résistent par centaines au Quartier latin, des arrestations ont lieu. L’UNEF de Rouen, dirigée par l’Union des étudiants communistes (UEC), refuse de relayer l’appel national à la grève lancé par les syndicats étudiants et enseignants. Son bureau renvoie dos à dos, dans un communiqué, les violences policières et les agissements des « groupes irresponsables ».

Le 6 mai, le mouvement s’engage donc sans consignes syndicales à l’initiative d’étudiants (membres de la JCR, du PSU, inorganisés) qui forment un piquet devant la faculté de lettres et font le tour des amphis. Une AG massive décide la grève immédiate. Une manifestation de solidarité avec Paris est organisée le soir même. L’UNEF, discréditée, ne joue pratiquement plus aucun rôle parmi les étudiants pendant toute la durée de la grève. Les tentatives ultérieures des militants de l’UEC de reprendre le train en marche ne font que les marginaliser davantage.

La grève étudiante s’organise démocratiquement, s’appuyant sur des assemblées générales quotidiennes. Les décisions y sont prises après débat contradictoire. A chaque AG, les membres du comité de grève sont nominalement élus ou réélus. Ce fonctionnement démocratique donne une légitimité incontestable au comité de grève étudiant jusqu’à la fin du mouvement. Des commissions sont mises en place, auxquelles tous les grévistes sont appelés à participer (sur les questions universitaires, les luttes étudiantes et ouvrières). Un journal, L’Enragé [1] est publié.

Partie de la faculté des lettres, la grève s’étend très vite à l’ensemble de l’université : sciences, droit, sciences économiques, école d’ingénieurs, IUT… Même des étudiants de l’Ecole supérieure de commerce la rejoignent.

Des étudiants se rendent à la porte des lycées pour les faire entrer dans la lutte. Il suffit en général d’une prise de parole appelant à la solidarité et à rejoindre le combat commun pour que l’établissement se vide. Les lycéens, en longs cortèges, traversent la ville pour rallier l’université qui se trouve à plusieurs kilomètres, sur les hauteurs.

Le 10 mai, la « nuit des barricades » au Quartier latin, marque un tournant dans la situation. L’indignation est générale face à la brutalité de la répression. Le soutien à la cause des étudiants est unanime. Le gouvernement a beau céder à toutes les exigences des étudiants, les syndicats ouvriers et étudiants appellent à la grève pour le 13 mai. Ce jour-là à Rouen, 30 000 personnes, étudiants sous la bannière du comité de grève et ouvriers sous les banderoles syndicales, participent à la manifestation.

Deux jours plus tard, après Sud Aviation à Nantes, l’usine de Renault Cléon est en grève reconductible et occupée. Sous l’impulsion de jeunes combatifs, des cortèges massifs ont défilé dans l’usine, la direction qui a refusé de recevoir les grévistes a été séquestrée. L’occupation s’organise. Contre l’avis des responsables syndicaux, quelques jeunes travailleurs vont annoncer la nouvelle aux étudiants, dans le combat desquels ils se reconnaissent

L’assemblée générale des étudiants décrète l’université de Rouen « libre et populaire », « ouverte aux travailleurs », et décide d’envoyer une délégation apporter la solidarité des étudiants aux ouvriers grévistes. La « jonction » entre étudiants et travailleurs a bien lieu à Cléon, contrairement à ce qui se passe deux jours plus tard à Renault-Billancourt, où les étudiants font le tour d’une usine aux portes closes.

Mais les conditions de cette rencontre en montrent les limites et présagent des difficultés à venir. A Cléon, la délégation étudiante est accueillie avec sympathie devant l’usine par les salariés présents. La rencontre avec les représentants syndicaux, surtout ceux de la CGT, est quant à elle plutôt fraiche. Le souhait de ces derniers est de voir « les camarades étudiants » quitter les lieux au plus vite. Après de brefs remerciements... ils s’éclipsent avec la sono. Celle-ci ne réapparaît que grâce à l’intervention de quelques jeunes salariés, pour permettre au représentant étudiant d’apporter la solidarité des étudiants et lancer un appel à un combat commun étudiants/ouvriers. Les discussions sur le parking se poursuivant trop longtemps au gré des responsables syndicaux, une « tournée générale » est annoncée à l’intérieur de l’usine, là où les étudiants ne sont pas admis en raison des « risques de provocations ».

La grève générale

Dans les jours qui suivent, les entreprises et les services publics de l’agglomération s’arrêtent les uns après les autres. Des drapeaux rouges apparaissent partout sur les murs et aux grilles des usines, devant lesquelles les piquets de grève s’installent. Un barrage de péniches bloque toute circulation sur la Seine, aucun train ne circule. La ville et ses banlieues vivent au rythme de la grève. L’idée que cette grève peut changer la vie de chacun est omniprésente.

Mais l’organisation de la grève et la définition de ses objectifs restent l’affaire des responsables syndicaux. Les « comités de grève » ne sont en général que l’addition des directions syndicales, même si les salariés sont mobilisés pour tenir les piquets, assurer la sécurité des installations et le ravitaillement, tandis que des activités culturelles ou sportives sont organisées. Pour les dirigeants du PCF et de la CGT, la coordination de la grève est leur affaire, les décisions doivent se prendre entre militants « responsables » dans les bureaux syndicaux, les salariés n’étant consultés dans leur entreprise que pour les ratifier.

Pour conserver le contrôle du mouvement, le PCF met en place dans les entreprises un véritable cordon sanitaire. Ses militants ont pour mission d’éviter toute forme de « contagion » du mouvement étudiant, vis-à-vis duquel une pesante ambiance de suspicion est systématiquement organisée. Pourtant, le soir, sur le parking de la faculté des lettres, des travailleurs viennent se joindre aux étudiants et aux lycéens pour des discussions qui durent tard dans la nuit. On y partage l’idée que la grève n’est pas seulement « revendicative », mais qu’il s’agit de remettre en cause les structures d’exploitation et d’oppression de la société.

Le 24 mai, dans le grand amphithéâtre de la faculté des sciences, près d’un millier d’étudiants, de lycéens et de salariés participent à un débat animé par le comité de grève étudiant sur le thème « Pouvoir étudiant, pouvoir ouvrier ».

Le 27 mai, au cours d’une manifestation à l’appel du comité de grève étudiant, le cirque de Rouen est occupé. Situé au cœur de la ville et donc plus accessible que la faculté, c’est alors la plus grande salle de Rouen.

Tandis qu’à Paris le pouvoir vacille et que De Gaulle disparaît, l’occupation du cirque permet de créer pendant quatre jours un lieu où toutes celles et ceux qui sont partie prenante de la grève peuvent se rencontrer, discuter des perspectives, débattre d’une autre société à construire. Le comité de grève étudiant anime chaque soir les débats devant plus d’un millier de participant-e-s Chacun peut s’y exprimer. Un « comité de liaison étudiants-ouvriers » est constitué. Nombreux sont les salarié-e-s qui passent écouter les débats, même s’ils ont parfois le sentiment d’« arriver sur une autre planète » comme le dira l’un d’entre eux.

Limites et reflux

Les limites de ces initiatives ne sont pourtant que trop visibles pour les militants révolutionnaires qui les animent. Elles reflètent celles du mouvement étudiant lui-même, qui a pu jouer un rôle déterminant au début des évènements mais se trouve inévitablement marginalisé une fois que la grève ouvrière devient l’élément central de la situation. Le cirque est un espace de rencontres et de débats, mais pas le lieu où peut se décider et s’organiser une alternative à la stratégie du PCF et de la CGT. Les travailleurs présents au cirque et ceux qui participent au « comité de liaison étudiants-ouvriers » ne représentaient qu’une minorité combative. Ils n’ont pas les moyens de peser de manière significative sur le cours des événements.

Celles et ceux qui organisent la grève sur le terrain continuent, parfois avec des doutes et des hésitations, à faire confiance aux instructions de l’Union départementale CGT. A Rouen, pas plus qu’ailleurs, il ne se produit de rupture significative au sein du PCF et de la CGT.

Le 31 mai, après la déclaration de De Gaulle annonçant la tenue d’élections et appelant à « l’action civique », le cirque – vide – est occupé par la manifestation où gaullistes et fascistes se retrouvent unis. Ceux-ci en arrachent les banderoles et les drapeaux rouges. Le 18 juin, la faculté des lettres, qui venait d’être rendue à l’administration, est ravagée par un commando d’extrême droite pendant que la police tient les étudiants à distance.

Renault Cléon est l’une des dernières usines à poursuivre la grève, malgré le manque de perspectives. La reprise est votée le 17 juin par 2500 voix contre 900. Cette forte opposition vient principalement des jeunes travailleurs qui ont été les moteurs de la grève et considèrent que « le compte n’y est pas ».

Mais l’esprit qui a régné pendant la grève continue à souffler dans l’usine. Les salariés qui ont relevé la tête n’acceptent plus les vexations et les humiliations. Les initiatives prises en mai portent leurs fruits : un comité d’action des travailleurs de Renault Cléon se constitue, avec une cinquantaine de participants, pour poursuivre la lutte dans l’esprit de ces semaines exceptionnelles. Le combat continue...

Jean-Claude Laumonier


Notes

[1] Le premier ministre, Pompidou, avait qualifié les étudiants contestataires d’« enragés ».


http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article45602
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 12 Sep 2018, 21:21

Nantes : Mai 68, paroles militantes
Documentaire

À l’occasion du cinquantenaire des événements de Mai 68, les militant.es d’Alternative Libertaire Nantes sont allé.es donner la parole à Catherine, Bernard, Joseph, Marie-Thérèse et Jean-Louis, cinq actrices et acteurs de ce que Mai 68 fut avant toute autre chose, à Nantes comme ailleurs : la plus grande grève générale de l’Histoire de France !

Introduction

Printemps 2018 : face à un pouvoir sûr de lui et concentré autour d’un seul homme, le mécontentement social semble prendre de l’ampleur : grève des cheminot.es, des salarié.es des EHPAD, de certains groupes de grande distribution, grèves dans l’énergie et dans la fonction publique, forts mouvements étudiants qui occupent les universités ; les appels à la convergence des luttes se multiplient, avec peut-être au fond l’espoir d’une grève générale.

En cette année de commémoration du cinquantenaire de Mai 68, beaucoup établissent un parallèle qu’ils et elles espèrent voir advenir : Mai 1968 – Mai 2018 ?

Mais qu’est ce que Mai 68 ? À chaque anniversaire important commémorant l’événement, on voit se multiplier les plateaux, les émissions documentaires, les couvertures magazine qui lui sont consacrés : libération sexuelle, libération des mœurs, révolte étudiante incarnée par Cohn-Bendit, insurrection du quartier latin, affiches des beaux-arts, ce sont ces motifs qui reviennent, inlassablement. Pourtant Mai 68 fut bien plus que ça, il fut tout autre chose : ce fut la plus grand grève générale qu’ait connue la France, menée par des acteurs, ouvriers et ouvrières, relégué.e.s des commémorations habituelles.

C’est pourquoi nous avons choisi de réaliser ce film : « Mai 68, paroles militantes » dans lequel nous avons tendu le micro à 5 personnes ayant participé aux événements de Mai 68, à Nantes. Ouvrières et ouvrier, étudiants, paysans, loin de la capitale, loin des représentations médiatiques habituelles, elles nous racontent le Mai 68 qu’elles ont vécu. Ils et elles nous racontent l’histoire de la grève générale de 68.

Musique : Quartier Libre - Grève Générale http://www.facebook.com/Quartier-Libre-267725929419

AL Nantes





https://www.youtube.com/watch?v=m_6dNJ0hbr8
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Pïérô » 21 Sep 2018, 11:59

Émission Demain Le Grand Soir du 19 septembre 2018 sur mai 68 avec Michel Desmars

à écouter : http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article1908
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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