1968, et l’après-68

Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 03 Sep 2016, 16:58

Le mouvement du 22 mars en Mai 68

Dans le contexte bouillonnant de Mai 68, le mouvement du 22 mars offre une conception singulière de la lutte. Ni parti, ni syndicat, cette organisation se fédère à travers une même conception de la lutte sociale.

Dans un contexte de montée de la contestation sociale, le mouvement du 22 mars apparaît comme une expérience historique enrichissante. Cette organisation, construite à la veille de Mai 68, regroupe différents courants politiques. Anarchistes communistes, socialistes et communistes révolutionnaires, situationnistes se retrouvent dans une pratique commune. Surtout, ils considèrent que ce ne sont pas les organisations qui doivent diriger les luttes, mais la lutte qui doit se doter de sa propre organisation autonome par rapport aux partis et aux syndicats. Dans un livre intitulé Ce n’est qu’un début continuons le combat, le mouvement du 22 mars analyse à chaud les évènements de Mai 68 qui ne sont pas considérés comme une parenthèse achevée. Aucune théorie cohérente et homogène n’unifie le mouvement du 22 mars, pourtant ouvert à tous les apports de la pensée critique. Mais sa théorie s’appuie surtout sur une pratique de lutte.

L’étincelle de Nanterre

Le mouvement du 22 mars participe à l’agitation politique qui débouche vers la révolte de Mai 68. A Nanterre, ce collectif organise une conférence sur Wilhelm Reich et la répression sexuelle dès 1967. Cette réflexion s’articule avec une lutte contre la séparation des filles et des garçons dans les dortoirs. Ce mouvement s’inscrit donc dans une critique radicale de la vie quotidienne et ne s’appuie pas sur une idéologie banalement gauchiste. Cette lutte contre la répression sexuelle débouche vers une autre répression : celle de l’administration de l’Université. Plusieurs étudiants sont menacés d’expulsion. Les anarchistes, même ceux qui ne sont pas impliqués dans ses actions, sont particulièrement visés à l’image de Daniel Cohn-Bendit. Des actions sont organisées contre le flicage des étudiants par des listes noires. Le doyen riposte par une intervention de la police. Des actions s’organisent contre la présence policière dans l’université et des cours sont perturbés. Pour protester contre l’arrestation d’étudiants, le bâtiment administratif est occupé. Les étudiants arrêtés sont relâchés pendant la nuit d’occupation animée par de nombreuses discussions.

L’unité contre la répression

Une période d’agitation s’amorce avec un meeting dans la Sorbonne occupée et des commissions qui réfléchissent sur différents sujets. L’idée du boycott des examens se propage. Le 3 mai, un meeting est organisé à la Sorbonne mais la police intervient pour arrêter plus de 400 personnes. Cet évènement permet une de prise de conscience contre la répression. Des étudiants se rencontrent également dans la cour de la Sorbonne pour discuter pendant plusieurs heures.

Une manifestation contre la répression et la libération de tous, étudiants et travailleurs, est organisée. Mais l’UNEF, syndicat étudiant, tente de contrôler et de limiter le mouvement. Pourtant la lutte s’amplifie et se radicalise. Du 10 au 11 mai, des barricades sont construites, étudiants et travailleurs se solidarisent dans la rue. Des occupations d’usine permettent de propager le mouvement dans la classe ouvrière. Mais la CGT s’oppose à l’occupation des usines et surtout aux mots d’ordre d’autogestion et de pouvoir aux ouvriers. Surtout, les bureaucrates de la CGT tentent de limiter les rencontres et les discussions entre étudiants et ouvriers.

La critique de la séparation

Les tracts du 22 mars conservent toute leur actualité dans la critique de la société marchande. Pour annoncer la conférence sur la sexualité, le Manifeste de Reich publié dans Sexpol en 1936, est repris. Ce tract dénonce la répression sexuelle qui s’accompagne de l’industrie pornographique, les deux dimensions étant parfaitement compatibles. Ce tract préconise une libération des désirs et « l’abandon sexuel mutuel sans tenir compte des lois établies et des préceptes moraux, et agir en conséquence ».

Un autre tract exprime un refus des étudiants de s’intégrer dans le salariat et de se conformer au rôle qui leur est assigné. « Nous refusons les examens et les titres qui récompensent ceux qui ont accepté d’entrer dans le système », proclame ce tract. Ils refusent la séparation, imposée par la société de classes, entre étudiants et travailleurs, entre intellectuels et prolétaires. Cette prise de position débouche vers une critique de l’Université. « Nous refusons d’améliorer l’université bourgeoise. Nous voulons la transformer radicalement afin que désormais elle forme des intellectuels qui luttent aux côtés des travailleurs et non contre eux… », affirme le 22 mars.

La lutte contre l’État et le capital

Un tract étudiant estime que les barricades expriment « une lutte directe contre l’État bourgeois et sa police ». Cette lutte contre l’État permet de fédérer les étudiants et les travailleurs derrière des objectifs communs. «Nous briserons l’isolement », proclame un tract cosigné par le mouvement du 22 mars et les Comités Travailleurs-Étudiants.

« Votre lutte est la nôtre ! » annonce un tract du mouvement du 22 mars en direction des ouvriers. L’enjeu n’est pas la promotion sociale et l’université ouverte à tous. « Nous voulons supprimer la séparation entre travailleurs et ouvriers dirigeants », affirme le tract. Les étudiants refusent la place qui leur est dévolue dans la société bourgeoise. « Nous refusons d’être des érudits coupés de la réalité sociale. Nous refusons d’être utilisés au profit de la classe dirigeante. Nous voulons supprimer la séparation entre travail d’exécution et travail d’organisation et de réflexion. Nous voulons construire une société sans classe, le sens de votre lutte est le même », exprime ce tract. Ses luttes ne visent pas seulement une amélioration des conditions de vie dans le capitalisme mais « impliquent la destruction de ce système ».

Une tribune du 22 mars dénonce les attitudes politiciennes à la fin du mouvement qui cherche à capitaliser les acquis de la lutte pour former de nouveaux partis d’avant-garde. Le 22 mars défend « le droit pour les comités de base de rester indépendant de toutes les structures voulant la chapeauter ».

Des actions exemplaires

Pour le mouvement du 22 mars, une action exemplaire modifie les rapports de pouvoir, brise le carcan de la légalité pour détruire la séparation entre étudiants et ouvriers.

Les actions exemplaires doivent s’inscrire dans la réalité sociale pour se généraliser. L’occupation des usines et l’autogestion sont des actions exemplaires qui ne sont pas réductibles au symbolique. L’action exemplaire ne se définit pas uniquement par un acte mais surtout par rapport à une situation. Les barricades exprime une lutte contre l’État dans un certain contexte, mais peut relever du folklore à un autre moment.

Le mouvement du 22 mars rédige un appel pour créer des comités d’action révolutionnaires. Des groupes de discussion doivent se former et se coordonner pour libérer la parole de tous.

Autogestion et conseils révolutionnaires

aussi pour que « les travailleurs prennent en main l’organisation, leur vie matérielle, leur survie économique ». Des liens sont tissés entre ouvriers et paysans pour permettre le ravitaillement des usines occupées. Mais l’autogestion passe par la constitution de conseils ouvriers révolutionnaires qui « dissolvent en leur sein toutes les divisions, tous les systèmes hiérarchiques de l’entreprise, tous les systèmes hiérarchiques du syndicat et des partis, de telle manière qu’ils développent une sorte de créativité ». Le problème de la compétence et de la technicité ne se posent que dans le cadre de structures capitalistes.

Ensuite, l’autogestion ne peut pas être sous le contrôle du syndicat. Les syndicats participent à la représentation et à l’intégration du prolétariat dans le capitalisme. Les bureaucrates ont pour fonction d’écraser la créativité des travailleurs.

Mais les conseils ouvriers renvoient à des expériences historiques comme les soviets en Russie en 1917 ou les collectivités autogérées en Espagne en 1936. Ses créations du prolétariat se distinguent du parti qui est la création d’intellectuels. Le parti correspond à « la conception bourgeoise de dirigeants-exécutants ». Le 22 mars préconise au contraire la spontanéité « qui permet de briser le cadre ancien et de créer la forme d’organisation propre au prolétariat ».

Avant-garde et spontanéité

Le mouvement du 22 mars critique la conception léniniste de l’avant-garde qui débouche vers l’organisation de masse intégrée au système, à l’image de la CGT et du Parti communiste. Pour le 22 mars, l’avant-garde conserve une fonction d’interprétation de la spontanéité. Le rapport du 22 mars avec les ouvriers en lutte tente de ne pas reproduire la séparation étudiants-travailleurs. « La manière dont nous intervenons, c’est en renvoyant la question, non pas en disant « qu’est-ce qu’on fait nous en tant qu’étudiants » mais « qu’est-ce que vous allez faire vous et dans quelle mesure nous pouvons intervenir dans ce processus » », écrit le 22 mars. Il ne s’agit plus d’imposer aux ouvriers un discours et une stratégie mais d’agir avec les ouvriers dans un même objectif décidé collectivement.

Des perspectives théoriques et pratiques

L’expérience du mouvement du 22 mars révèle l’importance du décloisonnement des luttes. Sortir des corporatismes et des rôles sociaux attribués permet de créer des liens indispensables pour construire une lutte d’ampleur. L’originalité du 22 mars réside surtout dans la manière dont il articule théorie et pratique. Ce mouvement s’est construit dans la lutte, unifiée contre la répression, plutôt que sur un manifeste ronflant. Mais sa pratique de lutte lui permet d’enrichir sa théorie, comme au sujet de la spontanéité et des comités étudiants-travailleurs.

Le mouvement du 22 mars apparaît surtout comme une forme d’organisation originale. La politique se construit dans la rue à travers des espaces de rencontres. Les mouvements d’occupation des places publiques en Espagne, en Grèce ou aux États-Unis rappellent cet élan contestataire. Ce mouvement incarne d’autres formes d’organisation et de relations possibles, en dehors des structures bureaucratiques. « C’est important que les gens prennent du plaisir dans les luttes » souligne Jean-Pierre Duteuil. Les luttes sociales participent à l’élaboration d’autres rapports humains, y compris dans l’immédiat.

Le mouvement du 22 mars semble accorder une place importante à la liberté et au désir. Son projet de société repose sur la libération des désirs, le « libre épanouissement », « la jouissance dans la liberté ». Mais le 22 mars s’attache également aux désirs de chacun afin d’orienter la lutte.


Source:
Mouvement du 22 mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, Librairie François Maspéro, 1968 (réédition La Découverte, 2001)

http://www.zones-subversives.com/articl ... 25637.html
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Pïérô » 10 Jan 2017, 02:15

Radio : Les années 1968 du point de vue d’une militante (avec humour)

Les années 1968 racontées du point de vue d’une militante avec beaucoup d’humour

Le racisme de classe de l’époque, les rapports de genre de manière générale et au sein des assemblées, les contre-cours de philosophie, les manifestations, la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), l’Ecole émancipée, l’accueil des réfugié-e-s italien-ne-s… Le parcours d’une militante des années 68, raconté avec beaucoup d’humour – avec Janie.

à écouter : http://sortirducapitalisme.fr/185-les-a ... vec-humour
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Pïérô » 19 Fév 2017, 03:54

Mai 68 images rares







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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 30 Mar 2017, 13:44

Rennes jeudi 30 mars 2017

Collage sur la commune de Nantes, en mai 1968

à 18h, Université Rennes 2 /bât. L - salle L145

Un collage constitué de textes, de vidéos et de chansons sur l’expérience de vacance du pouvoir pendant quelques jours à Nantes en mai 1968 :
Mai 68 dans l’Ouest n’est pas une simple imitation des événements parisiens. Dès la fin de l’année 1967, les syndicats d’agriculteurs, d’ouvriers et d’enseignants se mettent d’accord pour appeler à une journée de grève générale, et manifester dans tout l’Ouest le 8 Mai 1968.
Suite à la prise de la Préfecture on a pu parler d’une « Commune de Nantes », dirigée pendant quelques jours par un Comité Central de Grève, composé d’étudiants, d’ouvriers et de paysans.
Une expérience historique de la vacance du pouvoir !

https://nantes.indymedia.org/events/37282
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 17 Mai 2017, 20:25

Cahors vendredi 19 mai 2017

Film-débat "68, année 0" le doc mémoire vivante!

à 19h, Bourse du Travail

avec des invités...

https://lot.demosphere.eu/rv/1569

Image
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 30 Mai 2017, 10:55

Le 24 mai 1968 : la Commune de Nantes.

“Une bise de passions anciennes, inexpiables et peut-être mal endormies, souffle encore aigrement dans les petits carrefours venteux qui s’ouvrent autour du Bouffay et de Sainte-Croix, et rappelle que la ville, dans les défoulements politiques collectifs, en 1793 comme en 1968, a eu tendance à aller plus loin qu’aucune autre.”
Julien Gracq, La forme d'une ville

Nous fêtons aujourd'hui une date particulière de l'histoire locale : la Commune de Nantes, durant lesquelles la ville est mise en autogestion par les grévistes. Retour sur cet épisode.

Image

Le 24 mai 1968 : la Commune de Nantes.

Les manifestations massives et la grève générale qui secouent la France en mai 1968 sont l'aboutissement de plusieurs mois d'agitations intenses. Dans les universités évidemment, où à Strasbourg, Nantes ou Paris, des groupes d'étudiants enragés mettent le zbeul sur les campus. Par exemple, dès 1967, des affrontements ont lieu devant le rectorat de Nantes. Mais la grande force de l'époque est évidemment le mouvement ouvrier. Après les grèves insurrectionnelles de 1955 à Nantes, durant lesquelles les travailleurs de la Navale avaient mis à sac le siège du patronat, puis attaqué le Tribunal et la prison, le Mai 68 ouvrier démarre par l'ouest ! Dès le 9 avril, des débrayages sont organisés dans l'usine Sud Aviation, à Bouguenais, au sud de Nantes. C'est la première usine en mouvement. Le 13 mai, la fameuse nuit des barricades à Paris, une émeute éclate à Nantes. Dès le lendemain, l'usine Sud Aviation est occupée par les grévistes, et les patrons sont séquestrés. Ils le resteront jusqu'à la fin du mouvement !

Le 24 mai, des dizaines de milliers de personnes se rassemblent dans le centre-ville. Étudiants, ouvriers et paysans occupent la place Royale, rebaptisée "Place du Peuple". Nantes est la seule ville en France où l'on peut voir des tracteurs défiler au côté des manifestants. La préfecture est attaquée avec des engins de chantiers et prise d'assaut. Un début d'incendie se déclare. Le préfet de Nantes appelle Paris pour demander l'autorisation d'ouvrir le feu sur les manifestants. Heureusement, le pouvoir central refuse. L'hôtel de ville envahi et occupé.

C'est le début d'un épisode unique en France : la Commune de Nantes

Un comité de grève composé d'ouvriers et de paysans décide de prendre en main l'approvisionnement de la ville depuis l'hôtel de ville occupé. Les jours qui suivent, le pouvoir s'est évaporé. La police ne quadrille plus les rues de Nantes. La CFDT du département appelle à poursuivre la remise en cause du capitalisme, du gaullisme, de l'exploitation de l'homme par l'homme. Le 28 mai, des comités provisoires sont créés afin d'assurer la gestion populaire des caisses de sécurité sociale et d'allocations familiales. Les quotidiens Ouest-France et Presse-Océan publient désormais sous le contrôle des journalistes et des ouvriers du livre.

Le 31 mai, un grand rassemblement se tient pour réclamer l'extension des attributions du comité de grève. La pression des bureaucraties nationales conduisent à voter de justesse la reprise du travail à partir du 4 juin, et à faire sombrer dans l'oubli la période que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Commune de Nantes.

A nous de faire refleurir d'autres Communes !

via Nantes Révoltée : https://www.facebook.com/Nantes.Revolte ... 2619078241
libéré du bouc sur : https://nantes.indymedia.org/articles/37821
sonor de karacole : https://archive.org/details/24_Mai_1968 ... -de-Nantes


https://nantes.indymedia.org/articles/37821
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 28 Juil 2017, 10:46

Extrême gauche et anarchisme en Mai 68 – Avant, pendant, après : 50 ans d’histoire

Jacques Leclercq, Éditions l’Harmattan, 2017, 39 euros.

Image

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les gauchistes sans avoir jamais osé le demander ! Après plusieurs essais sur la droite et l’extrême droite, Jacques Leclercq publie un nouveau livre.

Dans cet épais volume de 560 pages (!), l’auteur dresse un panorama de la gauche radicale. On y croise cinquante nuances de trotskisme, diverses obédiences maoïstes, des anarchistes, et puis toutes les variations de l’ultra gauche : bordiguistes, conseillistes, situationnistes ou autonomes. Fractions, scissions, recompositions, entrisme, trahisons et petits complots… L’auteur détaille par le menu les évolutions depuis plus d’un demi-siècle des forces qui ont fait Mai 1968 et plus largement l’extrême gauche dans ce pays.

L’ouvrage est richement illustré, principalement par les archives personnelles de l’auteur. Tracts, affiches, journaux (dont certains assez rares) illustrent l’ouvrage.

Pierre Banon

http://www.anti-k.org/2017/07/28/extrem ... dhistoire/
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 16 Sep 2017, 19:55

Le Mai 68 des immigrés en France

Entretien avec Daniel A. Gordon

Daniel A. Gordon est maître de conférences en histoire européenne à l’Université Edge Hill et membre du comité éditorial de la revue Modern and Contemporary France. Il a obtenu le Alistair Horne Fellowship du St Antony’s College pour écrire son ouvrage Immigrants and Intellectuals : May’68 & the rise of anti-racism in France, Merlin Press, 2012 .

Certaines parties de l’ouvrage ont, depuis, été traduites en français :

« Le 17 octobre 1961 et la population française: la collaboration ou la résistance? » in Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur (dir.) La guerre d’Algérie revisitée: nouvelles générations, nouveaux regards, Editions Karthala, 2015.
« Sans Frontière et la fin des années 68 en France » in Caroline Rolland-Diamond, Xavier Landrin, Anne-Marie Pailhès et Bernard Lacroix, Les contrecultures: genèses, circulations, pratiques, Editions Syllepse, 2015.

Il revient dans cet entretien sur la participation des travailleurs immigrés à Mai 68, et sur la façon dont les luttes de l’immigration se sont développées en France dans la foulée du soulèvement ouvrier et étudiant.

... http://www.contretemps.eu/mai-68-immigr ... ce-gordon/
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 16 Oct 2017, 19:22

La sortie du tunnel : mai 1968

partie sur un retour en force de l'anarchisme. Le mai 68 français voit le retour des drapeaux noir, du lyrisme révolutionnaire. La critique de la vie quotidienne semble ouvrir les champs du possible. Malheureusement le mouvement anarchiste passera dans cette évènement comme un ectoplasme. La Fédération Anarchiste possède maintenant des bons moyens de propagande, espérons et construisons un mouvement libertaire puissant.

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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 27 Nov 2017, 20:57

Les femmes en lutte dans les années 1968

La contestation des années 1968 permettent à de nombreuses femmes de participer aux luttes sociales et politiques. Ces mouvements de femmes permettent de remettre en cause les hiérarchies et les vieilles bureaucraties.

La question du genre est posée dans les révoltes des années 1968. Le rôle et les fonctions assignés aux femmes sont soulevés, dévoilés, critiqués. Les réflexions sur le genre permettent également de jeter un autre regard sur l’histoire. Les femmes participent également aux mouvements sociaux et historiques, loin d’une vision d’un universel masculin. Des historiennes dirigent le livre collectif Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?

Ouvrières en lutte

L’historienne Anna Frissone évoque le féminisme syndicaliste dans l’Italie des années 1970. « L’automne chaud » de 1969 modifie les pratiques syndicales. La démocratie interne se développe avec les structures de base appelées « conseils d’usine ». Les travailleurs se rapprochent des délégués syndicaux. Ces nouvelles pratiques favorisent l’implication des femmes.

Les nouvelles déléguées sont des jeunes femmes qui ont fait l’expérience des luttes radicales de 1969. Elles remettent en cause la dimension genrée du syndicalisme, avec ses pratiques et ses hiérarchies. Les femmes s’organisent entre elles pour dépasser leur timidité et leur subordination. Elles développent l’enquête ouvrière avec la distribution de questionnaires. « Elles pensaient qu’il ne fallait pas changer seulement la relation structurelle entre les classes, mais aussi les superstructures sociales et culturelles qui toujours relèguent les femmes dans une position subalterne », décrit Anna Frissone.

La question de la contraception est intégrée à la santé sur le lieu de travail. Le féminisme ouvrier s’élargit avec les réflexions sur le corps et la sexualité. Les femmes deviennent des actrices pleinement politiques dans le domaine des conflits sociaux. Les Coordinations femmes s’organisent de manière horizontale, contre le modèle hiérarchisé du syndicalisme.

La question de l’avortement permet d’attaquer le patriarcat. Les femmes veulent se réapproprier leur corps, contre le contrôle de la société et des institutions patriarcales. La lutte pour l’avortement permet de modifier la sexualité dans son ensemble. Le désir des femmes devient aussi important que celui des hommes. La sexualité ne se réduit pas à la reproduction mais comprend également la recherche du plaisir. Les féministes syndicalistes dénoncent les conséquences de l’interdiction de l’avortement dans le domaine de la santé. Elles valorisent le libre choix des femmes.

... http://www.zones-subversives.com/2017/1 ... -1968.html
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Pïérô » 29 Nov 2017, 23:20

Trimards
« Pègre » et mauvais garçons de Mai 68

Paris, vendredi 1er décembre 2017
Librairie du Monde libertaire - Publico, 145 rue Amelot, Paris 11e

Rencontre et débat avec Claire Auzias, autour de son livre
Trimards. « Pègre » et mauvais garçons de mai 68 (Atelier de Création Libertaire)

Image

Le livre de claire Auzias présente à la fois la passion que fut Mai 68 en France, mais aussi sa complexité, sans occulter les divisions qui existaient dans l'extrême gauche. Le tableau qu'elle nous présente de ces «  trimards  » et autres mauvais garçons, nous invite à sérieusement réviser les lectures abstraites et théoriques sur la révolution. Ce travail confirme qu'une autre histoire est toujours possible.

Trimards à Lyon, loulous à Grenoble, zonards à Nantes, katangais à Paris ou Mouvement révolutionnaire octobre à Bordeaux, pour l'auteure ce Lumpenproletariat était l'autre face de la Révolution.

Claire Auzias
Claire Auzias a publié «  Un mai mineur  » il y a trente ans, un titre hommage à Deleuze et Guattari, dans lequel elle conte ses «  Mémoires d'une révolutionnaire  » (IRL, 1988). Elle a aussi précisé quelques aspects de son Mai 68 dans Claire l'enragée, un dialogue avec Mimmo Pucciarelli (ACL). Ici, elle est historienne de ce qu'elle connaît si bien, grâce à une abondante documentation inédite. Son travail sur l'histoire montre que, en scénographie comme en littérature, les éclairages peuvent se déplacer, se croiser, se renforcer et s'illuminer à l'infini.

http://www.librairie-publico.info/?p=2876
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede Pïérô » 19 Déc 2017, 22:39

Projection débat « Reprise »
Film de Hervé Leroux

Mercredi 20 décembre 2017
à 20h, Librairie du Monde libertaire - Publico, 145 rue Amelot, Paris 11e

L'Université populaire et libertaire du XIe, Commune de Paris
vous invitent au Ciné de la Commune.

Reprise de Hervé Leroux

Image

Au début c'est une photo, une photo dans une revue de cinéma… Une jeune femme brune, révoltée, qui crie. Nous sommes en juin 68, c'est la reprise du travail aux usines Wonder, après la grève de mai.

Deux étudiants de l'IDHEC filment la scène. On y voit des ouvrières de Wonder à Saint-Ouen qui reprennent le travail après trois semaines de grève. Et cette jeune femme qui reste là et qui crie de nouveau. Elle crie qu'elle ne retournera pas au travail, qu'elle ne veut plus retrouver la saleté, les cadences, la « méprise » de cette « taule ».

Plus de trente ans après, hanté par le visage et la voix de cette femme, Hervé Le Roux est parti à sa recherche.

Entrée libre.

Organisé par le groupe Commune de Paris de la Fédération Anarchiste.

http://www.librairie-publico.info/?p=2914
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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 23 Déc 2017, 21:57

Les événements de mai-juin en france remettent l'anarchisme sur le paysage radical après une période où beaucoup de gens avaient écrit le mouvement comme mort.

La révolte de mai-juin 1968 en France.

Les événements de mai-juin en france remettent l'anarchisme sur le paysage radical après une période où beaucoup de gens avaient écrit le mouvement comme mort. Cette révolte de dix millions de personnes est née d'humbles débuts. Expulsé par les autorités universitaires de Nanterre à Paris pour une activité contre la guerre du Vietnam, un groupe d'anarchistes (dont Daniel Cohn-Bendit) a rapidement appelé une manifestation de protestation. L'arrivée de 80 policiers ont enragés de nombreux étudiants, qui ont quitté leurs études pour se joindre à la bataille et dégager la police de l'université.

Inspirés par ce soutien, les anarchistes se sont emparés du bâtiment administratif et ont tenu un débat de masse. L'occupation s'est répandue, Nanterre a été entourée par la police, et les autorités ont fermé l'université. Le lendemain, les étudiants de Nanterre se sont réunis à l'Université de la Sorbonne au centre de Paris. La pression policière aynt continué et l'arrestation de plus de 500 personnes ont provoqué la colère faisant éclater cinq heures de combat de rue. La police a même attaqué les passants avec des bâtons et des gaz lacrymogènes.

L'interdiction totale des manifestations et la fermeture de la Sorbonne ont amené des milliers d'étudiants dans les rues. L'augmentation de la violence policière a provoqué la construction des premières barricades. Jean-Jacques Lebel, journaliste, écrivit que, «d'un seul coup, des milliers d'hommes contribuaient à construire des barricades ... des femmes, des ouvriers, des spectateurs en pyjamas, des chaînes humaines pour transporter des pierres, du bois, du fer. Une nuit entière de combat a laissé 350 policiers blessés. Le 7 mai, une marche de protestation de 50 000 hommes contre la police a été transformée en une bataille d'une journée dans les rues étroites du Quartier Latin. Le gaz lacrymogène de la police a mené à une réponse par des cocktails molotov et le chant "Vive la Commune de Paris!"

Le 10 mai, des manifestations massives ont contraint le ministre de l'Education à entamer des négociations. Mais dans les rues, 60 barricades étaient apparues et de jeunes ouvriers rejoignaient les étudiants. Les syndicats ont condamné la violence policière. D'énormes manifestations dans toute la France ont culminé le 13 mai avec un million de personnes dans les rues de Paris.

Face à cette protestation massive, la police quitte le Quartier Latin. Les étudiants s'emparèrent de la Sorbonne et créèrent une assemblée populaire pour répandre la lutte. Les occupations se répandirent bientôt dans toutes les universités françaises. De la Sorbonne est venu un flot de propagande, de tracts, de proclamations, de télégrammes et d'affiches. Des slogans tels que «Tout est possible», «Soyez réaliste, demandez l'impossible», «La vie sans temps morts», «Il est interdit d'interdire» plâcardé sur les murs. «Tout le pouvoir à l'imagination» était sur les lèvres de tout le monde. Comme Murray Bookchin l'a souligné, «les forces motrices de la révolution d'aujourd'hui ... ne sont pas simplement la pénurie et les besoins matériels, mais aussi la qualité de la vie quotidienne ... la tentative de prendre le contrôle de sa propre destinée». [Anarchisme après la rareté, p. 249-250]

Beaucoup des slogans les plus célèbres de ces jours provenaient des situationnistes. L'Internationale Situationniste avait été formée en 1957 par un petit groupe de radicaux dissidents et d'artistes. Ils avaient développé une analyse hautement sophistiquée (si jargon criblé [ndt : ?]) et cohérente de la société capitaliste moderne et comment la remplacer par une nouvelle, plus libre. La vie moderne, disaient-ils, n'était que la survie plutôt que la vie, dominée par l'économie de consommation dans laquelle tout le monde, dans tout, chaque émotion et chaque relation devient une marchandise. Les gens n'étaient plus simplement des producteurs aliénés, mais aussi des consommateurs aliénés. Ils ont défini ce genre de société comme le «spectacle». La vie elle-même avait été volée et la révolution signifiait donc recréer la vie. Le domaine du changement révolutionnaire n'était plus seulement le lieu de travail, mais l'existence quotidienne:

«Ceux qui parlent de révolution et de lutte de classe sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qui est subversif sur l'amour et ce qui est positif dans le refus des contraintes, ces gens ont un cadavre dans leur bouche." [Cité par Clifford Harper, Anarchy: A Graphic Guide, p. 153]

A l'instar de nombreux autres groupes dont la politique a influencé les événements de Paris, les situationnistes ont soutenu que «les conseils ouvriers sont la seule réponse. Toute autre forme de lutte révolutionnaire a fini avec l'opposé de ce qu'elle cherchait à l'origine». [Cité par Clifford Harper, op. Cit., P. 149] Ces conseils seraient autogérés et ne seraient pas les moyens par lesquels un parti "révolutionnaire" prendrait le pouvoir. Comme les anarchistes de Noir et Rouge et les socialistes [plutôt] libertaires de Socialisme ou Barbarie, leur soutien à une révolution autogestionnaire d'en bas a eu une influence massive dans les événements de mai 68 et les idées qui l'ont inspiré.

Le 14 mai, les ouvriers de Sud-Aviation enfermaient la direction dans ses bureaux et occupaient leur usine. Ils furent suivis par les usines Cleon-Renault, Lockhead-Beauvais et Mucel-Orléans le lendemain. Cette nuit-là, le Théâtre national de Paris fut saisi pour devenir une assemblée permanente pour les débats de masse. Ensuite, la plus grande usine de France, Renault-Billancourt, a été occupée. Souvent, la décision de faire une grève indéfinie a été prise par les travailleurs sans consulter les dirigeants syndicaux. Le 17 mai, une centaine d'usines parisiennes étaient entre les mains de leurs ouvriers. Le week-end du 19 mai a vu 122 usines occupées. Le 20 mai, la grève et les occupations étaient générales et concernaient six millions de personnes. Les ouvriers de l'imprimerie ont déclaré ne pas vouloir laisser le monopole de la couverture médiatique à la télévision et à la radio et ont accepté d'imprimer des journaux aussi longtemps que la presse «réalise avec objectivité le rôle d'information qui est son devoir». Dans certains cas, les travailleurs de l'imprimerie ont insisté sur les changements dans les titres ou les articles avant d'imprimer le papier. Cela s'est passé surtout avec les journaux de droite comme Le Figaro ou La Nation.

Avec l'occupation Renault, les occupants de la Sorbonne se préparèrent aussitôt à rejoindre les grévistes de Renault et, sous la direction de bannières anarchistes noires et rouges, 4 000 étudiants se dirigèrent vers l'usine occupée. L'Etat, les patrons, les syndicats et le Parti communiste sont maintenant confrontés à leur plus grand cauchemar: une alliance entre travailleurs et étudiants. Dix mille réservistes de police ont été appelés et des dirigeants syndicaux frénétiques ont fermé les portes de l'usine. Le Parti communiste a exhorté ses membres à écraser la révolte. Ils se sont unis avec le gouvernement et les patrons pour élaborer une série de réformes, mais une fois qu'ils se sont tournés vers les usines, ils ont été jetés hors d'elles par les travailleurs.

La lutte elle-même et l'action de diffusion ont été organisées par des assemblées de masse autonomes et coordonnées par des comités d'action. Les grèves étaient souvent dirigées par des assemblées. Comme le soutient Murray Bookchin, «l'espoir [de la révolte] réside dans l'extension de l'autogestion sous toutes ses formes - les assemblées générales et leurs formes administratives, les comités d'action, les comités de grève des usines - à tous les domaines de l'Économie, voire à tous les domaines de la vie »[Op. Cit., P. 251-252]. Au sein des assemblées, «une fièvre de vie empoignait des millions, un remuement de sens que les gens ne pensaient jamais posséder» [Op. Cit., P. 251]. Ce n'était pas une grève des travailleurs ou une grève étudiante. Il s'agissait d'une grève populaire qui touchait presque toutes les classes.

Le 24 mai, les anarchistes organisent une manifestation. Trente mille marchèrent vers le palais de la Bastille. La police a protégé les ministères en utilisant les dispositifs usuels de gaz lacrymogènes et de matraques, mais la Bourse a été laissée sans protection et un certain nombre de manifestants y ont mis le feu.

C'est à ce stade que certains groupes de gauche ont perdu leur sang-froid. La JCR trotskyste a fait demi tour vers le Quartier Latin. D'autres groupes comme l'UNEF et le Parti Socialiste Unifié ont bloqué la prise des ministères des Finances et de la Justice. Cohn-Bendit dit de cet incident: «Pour nous, nous n'avons pas réalisé combien il aurait été facile de balayer toutes ces nullitées dehors... Il est maintenant clair que si, le 25 mai, Paris s'était réveillé pour trouver le plus de ministères importants occupés, le gaullisme aurait cédé en une fois ... » Cohn-Bendit fut forcé à l'exil plus tard suite à cette nuit-là.

Au fur et à mesure que les manifestations de rue se multipliaient et que les occupations se poursuivaient, l'État se préparait à utiliser des moyens écrasants pour arrêter la révolte. En secret, les généraux de haut rang préparèrent 20 000 troupes loyales pour être utilisées sur Paris. La police a occupé des centres de communication comme les stations de télévision et les bureaux de poste. Le lundi 27 mai, le gouvernement avait garanti une augmentation de 35% du salaire minimum industriel et une augmentation de 10% du salaire global. Deux jours plus tard, les dirigeants de la CGT organisèrent une marche de 500 000 travailleurs dans les rues de Paris. Paris était couvert d'affiches appelant à un «gouvernement du peuple». Malheureusement, la majorité pensait encore en termes de changement de leurs dirigeants plutôt que de prendre le contrôle pour eux-mêmes.

Le 5 juin, la plupart des grèves étaient terminées et un air de ce qui passe pour la normalité au sein du capitalisme était réapparu en France. Toutes les grèves qui ont continuées après cette date ont été écrasées dans une opération de type militaire utilisant des véhicules blindés et des fusils. Le 7 juin, ils ont attaqué les aciéries de Flins qui ont entamées une bataille de quatre jours et qui a laissé un travailleur mort. Trois jours plus tard, les grévistes de Renault ont été abattus par la police, tuant deux. De plus, ces poches de militantisme n'avaient aucune chance. Le 12 juin, les manifestations ont été interdites, les groupes radicaux interdits et leurs membres arrêtés. Sous l'attaque de tous les côtés, avec l'escalade de la violence de l'État et la liquidation syndicale, la grève générale et les occupations s'écroulèrent.

Alors, pourquoi cette révolte a échoué? Certainement pas parce que les partis bolchevik «d'avant-garde» manquaient. Il était infesté par eux. Heureusement, les sectes de la gauche autoritaire traditionnelle étaient isolées et outragées. Ceux qui étaient impliqués dans la révolte n'avaient pas besoin d'une avant-garde pour leur dire quoi faire, et les «avant-garde ouvrières» ont frénétiquement couru après le mouvement essayant de le rattraper et de le contrôler.

Non, c'est le manque d'organisations confédérales autonomes et autogérées qui coordonnent la lutte, ce qui a entraîné l'isolement. Si divisés, ils tombèrent. En outre, Murray Bookchin soutient que «la conscience des ouvriers selon laquelle les usines devaient fonctionner, et pas seulement occupées ou récupérées», manquait [Op. Cit., P. 269].

Cette prise de conscience aurait été encouragée par l'existence d'un fort mouvement anarchiste avant la révolte. La gauche anti-autoritaire, bien que très active, était trop faible parmi les travailleurs en grève, et donc l'idée d'organisations autogérées et d'autogestion des travailleurs n'était pas très répandue. Cependant, la révolte de mai-juin montre que les événements peuvent changer très rapidement. La classe ouvrière, fusionnée par l'énergie et la bravade des étudiants, a soulevé des exigences qui ne pouvaient être satisfaites dans les limites du système existant. La grève générale affiche avec une belle clarté le pouvoir potentiel qui est dans les mains de la classe ouvrière. Les assemblées et les occupations de masse donnent un excellent exemple, même trop court, d'anarchie en action et comment les idées anarchistes peuvent rapidement se répandre et être appliquées dans la pratique.


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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 11 Jan 2018, 23:19

Le Monde ouvre le bal

Romain Goupil. De militant de Mai 68 à chien de garde de Macron

« Comment peut-on être Jeune Communiste Révolutionnaire en mai 68 et soutenir Macron en 2017 ? » : c’était en somme la question posée par Ali Baddou à Romain Goupil dans son émission consacrée à la question 50 ans après, que reste-t-il de Mai 68 ?

« Notre rôle, c’est de faire la Révolution en France » : c’est Romain Goupil qui parle, au micro de la radio. On est en Mai 68, il a 16 ans. Il est alors membre de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR) et est un des fondateurs du premier Comité d’Action Lycéen (CAL) au lycée Jacques Decour. Le contraste est saisissant, surréaliste même, avec celui qui soutient désormais la contre-révolution néolibérale de Macron et qui doit signer, avec Daniel Cohn Bendit un documentaire sur Mai 68, qui sera diffusé pour le cinquantenaire sur France 2.

« Je pensais que l’outil révolutionnaire […]allait empêcher les injustices ». « Je me suis trompé » dit-il alors pour s’expliquer. Mais à l’écouter parler au micro de France Inter, on se rend compte que Romain Goupil a fait bien plus que changer ses méthodes de lutte d’alors : il est passé de l’autre côté de la barricade, très loin de l’autre côté même.

Car sur les ondes de France Inter, plus qu’un « débat », c’est une opération de falsification grossière de l’histoire de Mai 68 qui s’opère, avec Goupil en chef d’orchestre, accompagné par les violons bien réactionnaires de Natacha Polony (renommée « socialiste libertaire(sic) » pour l’occasion) et André Glucksmann. Et à la clef, aucune dissonance, mais une contre-révolution historiographique toute en harmonie.

Pas une seule fois au cours des 20 minutes, il ne sera fait mention de ce qui est pourtant au cœur de Mai 68 : une grève générale qui s’étend sur un mois et qui comptera jusqu’à 7 ou 8 millions de grévistes, soit la moitié des travailleurs de l’époque. Aucune mention de la grave crise gouvernementale que cette mobilisation ouvre, jusqu’à laisser entrevoir la porte d’une situation révolutionnaire. Aucune mention non plus de ce que le patronat français devra céder pour éviter le pire pour eux : 35% d’augmentation du SMIG et 10% des salaires réels, mais aussi la création des sections syndicales d’entreprise, et ce malgré la complicité des directions syndicales pour calmer le mouvement.

Non, Romain Goupil préfère résumer l’expérience de Mai 68 à une « utopie » de lycéens et d’étudiants parisiens et arguent que les gens étaient dans la rue contestaient surtout « le patriarcat ». Amnésie ou mensonge ? Surement un peu des deux de la part de celui qui a assisté aux « évènements » de Mai 68 du premier rang et a continué à côtoyer la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) durant de nombreuses années.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses souvenirs se sont adaptés à sa nouvelle fonction de chien de garde des classes dominantes. Selon lui, « les avancées [depuis mai 68] sont énormes », sur le « féminisme par exemple ». Sans détailler de quoi il parle. Mais on se doute qu’il ne fait pas référence à ces femmes, travailleuses précaires, qui seront touchéesde plein fouet par les réformes de casse du code du travail de Macron. Ou encore de celles qui ont de moins en moins accès aux centres IVG au fur et à mesure que les cures d’austérité les font fermer.

Dans un éclair de lucidité, celui-ci concède néanmoins que « ce contre quoi il se battait n’a pas disparu. Voire pire ». On ne saurait qu’être d’accord avec lui, sauf qu’il semble de toute évidence avoir choisi le combat inverse. Comme sur la guerre, dont il dit de la contestation être une avancée de Mai 68. Doit-on rappeler à ce titre qu’avant de soutenir Macron, il avait commencé par adhérer aux thèses de la diplomatie néo-conservatrice la plus réactionnaire il y a déjà plus de quinze ans et qu’il militait, par exemple, pour l’intervention en Irak en 2002 ?

Si la conversion de Goupil est particulièrement brutale, elle n’en exprime pas moins, à sa manière, la crise de conviction qui va affecter les rangs révolutionnaires. Ce reflux qui va suivre Mai 68, à la fin des années 1970 d’abord, mais surtout dans les années 1990 avec la contre-révolution néolibérale, et qui va faire beaucoup de dégâts dans les consciences. Ils sont nombreux, ces militants, pris de doute, à avoir déserté le camp des révolutionnaires, même si tous n’ont pas rejoint le camp des classes dominantes, loin de là. Cette crise militante, Goupil a même fait un film dessus,Mourir à 30 ans, en hommage à son copain de l’époque, Michel Recannati, le principal responsable du service d’ordre de la LCR qui s’est suicidé en 1978. Un film à (re)voir. Histoire peut-être de pardonner à celui qui vient de l’assassiner une deuxième fois au micro de France Inter. Histoire surtout de comprendre ce qui s’est passé depuis et de savoir, vraiment, « ce qu’il reste de Mai 68 » aujourd’hui.


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Re: 1968, et l’après-68

Messagede bipbip » 13 Jan 2018, 18:15

La Commune des affranchis

Ce fut un moment assurément déraisonnable. Une levée d’espérance, un bonheur d’être, une aspiration à la fraternité, un étonnement majuscule, des connivences. Tout à la fois. Reste un souvenir lointain d’ineffable présence au monde, de fête aussi. L’histoire peine, c’est bien connu, à dire ces moments rares – ces « non-moments, préférait Walter Benjamin, qui rompent avec son continuum. Ils entrent mal dans ses catégories, ils dérangent le bel ordonnancement normatif du factuel, ils interfèrent, chahutent, télescopent les statistiques. Cinquante ans ont donc passé… et nous voilà en année forcément commémorative. L’avalanche de titres annoncés pour le cinquantenaire du joli Mai laisse évidemment craindre le pire. Avec des exceptions, bien sûr, qui ne feront pourtant que confirmer la règle : dans un monde si méthodiquement déconstruit par ses héritiers putatifs et postmodernes, son « esprit » a fini par devenir celui d’une époque où le relativisme dominant a, par avance, aboli les frontières entre le vrai et le faux.

Sorti en amont de la déferlante attendue, la parution de ce Trimards relève, pour sûr, du contretemps calculé qui le place en tête de cortège. Ce qui est du meilleur effet pour un livre qui, par sa texture, son ampleur, sa portée et son anarchique méthodologie, cultive avec jubilation l’art du contrepoint. Qu’on en juge : il est ici question d’un mai 68 provincial (lyonnais) passé au tamis des souvenirs personnels de l’une de ses (très) actives participantes et restitué, en historienne (car Claire Auzias l’est devenue après bien des déboires), dans sa plus éclatante singularité. Le tout fait chronique, minutieusement étayée de témoignages et de documents d’archives, d’une aventure assez largement ignorée où, dans le fracas d’un printemps, se tissèrent, et pour longtemps, des solidarités actives entre des étudiants de la faculté des lettres de Lyon occupée et la bande de trimards – ou beatniks – du pont la Feuillée. C’est un premier point. L’autre, c’est que, partant de cette spécificité lyonnaise, Claire Auzias élargit le champ aux « katangais » de la Sorbonne, aux « loulous » de Grenoble, aux « zonards » de Nantes, aux « octobristes » de Bordeaux et que, ce faisant, elle comble un vide d’histoire, à savoir la participation, chaotique et cher payée, d’un « autre prolétariat » que celui des usines au mouvement de Mai 68. C’est un deuxième point. Poussant plus loin, l’historienne du « gai savoir » et de la subjectivé assumée remonte le temps pour s’intéresser aux sources de cette si mauvaise réputation que trimballent ceux qui, dans l’histoire et la contre-histoire, se voient immanquablement rangés, pêle-mêle et sans souci du détail, dans l’infamante catégorie du Lumpen inventée, semble-t-il, par Stirner, et popularisée, dès Le Manifeste communiste, comme qualification fortement dépréciative par la marque Marx-Engels. C’est un troisième point. Le reste, c’est un voyage conclusif, d’étape en étape, et sur revendication de l’ancienne tradition de l’individualisme anarchiste, avec les « tapeurs de macadam », les « brûleurs de dur », les trimardeurs, les « hobos », les « crotos » d’Argentine, les beatniks. Claire Auzias y arpente les sentes d’une anarchie cavaleuse dont la littérature, et elle seule, a sûrement révélé le sens profond. Ce vagabondage était l’expression même de la révolte contre l’exploitation sédentarisée, mais il était aussi une manière de vivre sa vie comme aventure en dérivant, en refusant de s’adapter à l’ordre d’un monde invivable, en quêtant, dans ses marges, non pas forcément des raisons de le transformer, mais des solidarités actives pour s’en abstraire le plus possible.

À l’origine de toute histoire, il y a des êtres, des êtres qu’on a aimés et perdus, des êtres qui, par leur manière insoumise de vivre dans ce monde et contre lui, nous ont appris l’essentiel. Incandescente et inspirante, Françoise Routhier (1940-1995) fut, pour Claire Auzias, de ces êtres-là. Principale figure de l’extrême gauche lyonnaise des années 1960 et 1970, elle contribua, dans les premiers jours de mai 68, à constituer le Mouvement du 22 mars de la ville par dissolution du groupe local de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), auquel elle appartenait, et fusion avec le groupe Bakounine, une dissidence active de la Fédération anarchiste. Original, atypique, ce 22-Mars représenta un dépassement, une mise en question de la méthodologie militante, mais surtout une joyeuse entrée dans l’incertain des jours de Mai où, de tous côtés, vacillaient les servitudes. Ce livre doit beaucoup à Françoise Routhier, activiste et archiviste de l’instant, mais aussi à son compagnon, Alain Macé (1937-2013), dit « Sylvain » – en l’honneur de Sylvain Maréchal, « l’homme sans dieu ». L’une était luxemburgiste et professeur de lettres ; l’autre, prolétaire et anarchiste. Ils avaient, sur la jeunesse, l’avantage de posséder une sérieuse culture politique, de l’expérience, pas d’œillères, de la curiosité pour ce qui était en train de s’inventer. Françoise et Sylvain furent des passeurs à l’esprit agile et à l’âme ardente. En aucun cas des commissaires politiques ou des tuteurs. Leur histoire le prouvera du début à la fin.

Le 11 mai, les facs de lettres et de droit du quai Claude-Bernard sont occupées. Celle de lettres devient le quartier général du 22-Mars, sa base rouge et le point névralgique d’une radicalisation à venir. Les lycéens entrent aussitôt dans la danse et plutôt vivement, comme ailleurs, sur une base clairement anti-autoritaire. Claire Auzias a raison d’insister sur cette dimension tout à fait nouvelle que représenta cette irruption massive, inventive, spontanée, festive des lycéens dans le mouvement de Mai. Si logique, pourtant, comme toute révolte, quand on sait ce qu’étaient les lycées-casernes de ce temps-là. Le 15, le dépôt SNCF de Grigny, dans la banlieue Sud de Lyon, débraye. Les jours suivants, ça branle dans le manche à Rhodia, Berliet, puis à Continental, Brandt, Teppaz, Uginor, Feyzin et une longue suite de boîtes, grandes, moyennes et petites. Les chauffeurs de bus lyonnais et les employé(e)s, majoritairement femmes, des grands magasins se mettent de la partie. En une semaine, le retard sur Paris, épicentre imaginaire d’un mouvement beaucoup plus large, est rattrapé. D’un côté, tout est prêt pour en découdre ; de l’autre, tout est en place pour négocier dans un rapport de forces conséquent et sous contrôle (de la CGT, pour ne plus la citer). Cette ambivalence, à Lyon comme ailleurs, sera au cœur de l’événement : on se bat, mais pas pour la même chose. Activisme, tentatives de débordement, longues marches vers les citadelles ouvrières cadenassées, d’un côté ; refus de l’aventurisme, esprit de responsabilité, préservation de l’outil de travail, de l’autre. Avec la même détermination, deux univers se cherchent sans se trouver ou s’affrontent sans se connaître. Avec des brèches ici et là, des trouées, des attirances, des envies communes, des fusions parfois. Entre jeunes travailleurs, notamment, et étudiants, lycéens, marginaux – « les gauchistes », comme disent les défenseurs patentés d’une classe qu’ils veulent soumise pour s’en assurer l’éternelle représentation. En gros, le paysage est celui-là, assez semblable à d’autres, à la notable différence que, entre Rhône et Saône, les confluences ne sont jamais exclues.

La fac de lettres donne sur le Rhône ; on le traverse au pont de l’Université. De l’autre côte de la presqu’île, le pont la Feuillée enjambe, lui, la Saône, un peu plus au nord, vers la gare Saint-Paul. À la fac, on s’invente une révolution ; à la Feuillée, on vit sa vie en bande, entre marginaux de l’existence, avec des codes, des us et des coutumes de déglingue ou de castagne qui relèvent à la fois de la conduite suicidaire et de l’autodéfense contre un système qui ne les a pas ménagés. Entre les occupants les plus décidés de la fac et les trimards de la Feuillée, pourtant, une sorte d’alliance va se tisser. L’idée vient du 22-Mars, ou de certains de ses membres. C’est une idée généreuse comme l’époque en produisit quelques-unes. La fac est à nous, elle est un espace ouvert à tous. Vous y êtes conviés. Simple comme un bonjour, en somme. Avec, bien sûr – pourquoi le taire ? –, la prescience (politique) que la révolution n’est pas un dîner de gala et qu’elle va avoir besoin de forces vives pour défendre les territoires libérés et en conquérir d’autres. Le fait est que le courant passe, que la bande de la Feuillée rejoint Claude-Bernard et qu’elle y prend ses aises. « Toute une mouvance politique, écrit Claire Auzias, s’est attachée aux figures des “trimards” parce qu’ils semblaient irréductibles, déstructurés et que, bien davantage que les prolétaires en carte, rangés et organisés, ces Lumpen-là représentaient l’autre face de la révolution, la nôtre. » (p. 209.) Il est probable que le sérieux doctorant peine à comprendre une telle aspiration, que l’ « activiste » propre sur lui la trouve politiquement irresponsable, que le moraliste revenu de tout s’irrite que brûle encore, et à ce point, la flamme de l’errance chez l’ancienne enragée devenue historienne. Il est fort possible même que, raconté sous cet angle et « sans fard », ce mai 68 lyonnais suscite circonspection, malaise, perplexité et savant mépris. Il n’empêche que le tableau qu’en tire Claire Auzias, sur une base documentaire de belle qualité, a l’insigne mérite de nous rappeler que ce qui, dans le récit dominant des « événements », a disparu, ce qui en a été refoulé, évacué, censuré, c’est précisément ce qui en a fait, dans ses marges les plus actives, la principale originalité : le dépassement des assignations, le refus des séparations, les fraternisations, effusives aux soirs d’émeute et objectives aux heures d’entre-deux, le partage, même contradictoire, des lieux, de la rue, des aspirations du moment. Comme expression d’un désir de sortir de sa seule cause pour faire cause commune, pour agir ensemble. Le contraire en somme de ce qui se passe aujourd’hui, à chaque nouveau rituel mouvementiste, dans un monde privé de toute perspective historique où ses marges cultivent désormais jusqu’à l’absurde le goût frénétique de leurs différences, celles-là mêmes où chacune d’elles vit encagée dans l’entre-soi de son essentialisme identitaire, même « intersectionnel ».

Il y a, bien sûr, un risque à se faire l’apologue de cette étrange alliance, née d’un moment historique propice aux rencontres incertaines, pour renverser les lois de la dialectique et se livrer à une réhabilitation de « l’en-dehors » comme répondant allégorique de son propre imaginaire. On ne dira pas que Claire Auzias y échappe tout à fait, mais elle s’efforce de le maîtriser en s’en tenant à une description jamais idéalisée de ces « mauvais garçons » de la Feuillée devenus, du jour au lendemain, des experts sans complexe du combat de rue, du service d’ordre, de l’intervention rapide, de la défense de la fac. « Ils ont la sauvagerie qui est la leur et qu’il faut leur laisser » (p. 138), écrit Claire Auzias. La sauvagerie qui monte d’une vie de merde, de misère, d’abandons, de placements, de rétentions, de détentions, d’exploitation. Une vie soutenue par peu de mots, ceux d’un code à usage exclusivement interne. Une vie portée à la castagne, empreinte de virilisme. Une vie de fuite, d’à-peu-près, de démesure. Une vie apprise – et rêvée – dans les centres d’éducation surveillée, dans les fugues, dans le passage à l’acte. Une vie empaquetée dans le noir blouson d’une révolte sans rivage, brute de décoffrage, intuitive. « Pas d’angélisme, pas de charité mal ordonnée. Pas de fioriture lénifiante », précise Claire Auzias, avant de poursuivre : « Nous sommes dans un univers de dureté, de violences, de bagarres pour la survie, de peu de langage et beaucoup de gestes. Personne n’a jamais dit que tout était simple et lisse. On n’est pas au théâtre. » (p. 139.) On n’y est pas, mais on y est tout de même un peu. Car mai 68 est aussi une scène, une scène de l’histoire en mouvement où tout un chacun joue un rôle – ou son rôle – dans une unité d’action, de temps et de lieu réinventée, sans souci des classiques bienséances apprises, dans un retour au baroque. Il y a bien du théâtre là-dedans, un théâtre de la vie, de la parole emballée, de l’excès, du bonheur, de la peur. Et c’est bien dans cette fantasmagorie de guerre que la splendeur de la nuit offre aux trimards l’occasion idéale d’exprimer leurs talents et de les partager, entre deux bouffées d’ivresse, avec qui s’improvisent barricadiers ou voltigeurs. Bien sûr qu’il y a du théâtre, du rituel, du sur-jeu, des fausses notes sur cette grande scène de l’improvisation chaotique d’un printemps lyonnais aux allures de commune des affranchis.

Au cadran de l’histoire, certaines dates pèsent plus que d’autres, mais surtout elles font bascule. Le 24 mai – ou plutôt la nuit du 24 au 25 – est de celle-là. Au départ, il s’agit pour le 22-Mars d’organiser un cortège offensif en détournant de son objectif la manifestation convoquée par les syndicats. L’idée est de rejoindre les quais du Rhône et, vaguement, de viser la préfecture. Du matériel ad hoc a été réparti ici et là, les manifestants éclatés sont à la manœuvre, des barricades – une vingtaine – se dressent dans le désordre, le pont Lafayette est bloqué par la police. L’émeute est là, incontrôlable comme toute émeute digne de ce nom. Sur les deux rives du Rhône, de chaque côté du pont Lafayette donc, le désir d’en découdre est à son comble. C’est l’heure où ceux qui occupent l’espace accèdent à la lumière nue du hasard transgressif, celui qui, seul, peut fracasser les barrages. Les irréductibles sont en grand nombre et très mélangés : des étudiants lassés d’occuper leurs facs, des ouvriers en rupture de piquets de grèves, des loubards convulsifs, des incontrôlés enthousiastes, des inorganisés chavirés. Une coalition des oisifs, des classes laborieuses et des classes dangereuses : la plèbe en acte qui prend conscience de son nombre, de sa force et de son aptitude à défier les lois de l’ordre. À 23 h 30, après trois tentatives, un camion est lancé en direction de la police. Il heurte un lampadaire. Un commissaire divisionnaire, René Lacroix, en congé maladie pour problèmes cardiaques, mais présent sur les lieux est transporté au pavillon des urgences de l’hôpital Edouard-Henriot. Il y décède une heure plus tard. Les représailles ont commencé avant qu’on apprenne la nouvelle. Une à une les barricades tombent et les coups pleuvent. Juste avant l’hallali qui sonnera au matin. L’effet bascule est là.

Laissons la parole à Claire Auzias : « Fini le jeu. On entrait dans les choses sérieuses. Il y avait un mort. La semaine suivante il y en aurait trois de plus, chez les manifestants (Flins, Sochaux). […] Nous combattions la police avec tous les moyens à notre portée. Dans la bataille, il pouvait y avoir des morts. On ne combattait pas pour tuer, mais pour gagner, pour terrasser l’oppression. La mort était contingente. C’est cette extraordinaire vérité qui m’apparaît. La mort était contingente, elle n’était ni prévue, organisée, planifiée, ni prioritaire, ni envisagée. » (pp. 254-255.) Dans les archives de police, nous dit-elle, on ne trouve aucune trace des trimards jusqu’au 24 mai. Tout commence au lendemain de cette nuit d’émeute, tout suit la mort du commissionnaire divisionnaire. Et là, ça change, ça change d’un coup et en grand. Car il est impensable que des étudiants, même enragés, aient conçu ou simplement participé à une telle action « criminelle ». Inconcevable et contre nature. On assiste là au retour de l’inconscient bourgeois : nos fils, jamais ; ils sont peut-être devenus fous, mais ils sont éduqués. Le sauvage, c’est forcément d’ailleurs qu’il vient, de la canaille. Le reste est affaire de construction. Et c’est somme toute facile. Par identification de la figure du trimard, criminel en puissance, à celle de « l’ennemi de l’intérieur », graine de potence. Un mois plus tard, le 24 juin, Michel Raton, beatnik de la Feuillée, sera inculpé pour le coup du camion ; le 14 septembre, ce sera au tour de Marcel Munch (à qui est dédié ce livre) ; huit mois plus tard, en mai 1969, le très jeune Michel Mougin, de la même bande, subit le même sort. Sur ce pont Lafayette, « nous y étions tous », rappelle Claire Auzias. La nuit, tous les chats sont gris, même dans l’éclair des grenades. Le tri s’opère au matin, quand la certitude commence à poindre que la bascule est faite. Une vengeance sociale à l’ordinaire se prépare, en somme, qui sait séparer le bon grain de l’ivraie. L’ordre est déjà de retour : aux trimards de payer puisque c’est leur raison d’être. La chasse aux chats noirs est ouverte.

En juin, au jusant, l’esprit de Mai se dilue dans les traboules d’un jeu politique où tout revient peu à peu des vieilles habitudes. L’État a lâché la monnaie. Les syndicats sont ravis. Les masses renâclent à reprendre le collier, mais elles y vont quand même, en désordre. Les avant-gardes autoproclamées d’un prolétariat occupé ailleurs promettent la revanche pour la rentrée. Les désirants s’inventent des voyages dont la plupart seront sans retour. Les futurs partisans de la guerre de classe se consolent au feu de leurs fantasmes de néo-résistants. L’été, dit-on, sera chaud. Au point où l’on avait placé les espérances, la défaite ne peut être que majuscule. L’horizon se rétrécit à vue d’œil jusqu’à se clore. La fête est finie. C’est à ce moment-là que, en attendant de comprendre qui est l’ennemi réel – il lui faudra trois mois pour remettre ses fiches à jour –, l’ordre bleu décide de frapper, à Lyon, ceux qu’il sait d’avance sans défense et qu’il suppose, à tort, sans amis. Il n’est pas exagéré de penser que là est le centre de ce livre à cent voix : raconter comment les « enragés » de Mai reconvertirent le 22-Mars en Comité lyonnais pour la libération des prisonniers politiques (CLLPP) avec pour seul objectif d’obtenir la mise en liberté de Michel Raton, Marcel Munch et Michel Mougin. On admettra d’abord qu’il y a une sauvage élégance à perdre sans se renier. Pour dire ensuite, sans entrer dans le détail parce que cela nous mènerait trop loin, que sur la base de la documentation extrêmement précise rassemblée par Françoise Routhier et Alain Macé (« Sylvain »), cette lutte du pot de terre contre le pot de fer est relatée ici dans ses moindres détails. En comptant sur leurs seules forces et quelques soutiens anarchistes et situationnistes, le CLLPP lyonnais s’investit totalement, trois ans durant, dans cet exercice de solidarité première : ils étaient allés chercher les trimards à la Feuillée ; il fallait qu’ils les sortent de prison. Pas plus compliqué que ça, ce qui reste une façon de dire. Michel Mougin, mis en liberté provisoire le 23 décembre 1969, meurt trois semaines plus tard dans des circonstances jamais élucidées. Il allait avoir dix-neuf ans. Du côté de la presse, on parle de suicide ; du côté du CLLPP, on invente un néologisme : « mouginer », pour éliminer. Le procès Raton-Munch s’ouvre neuf mois plus tard, le 22 septembre 1970, et se clôt sur un coup de théâtre : le témoignage du docteur Grammont, interne au moment des faits et assistant du chirurgien qui a opéré le commissaire Lacroix. Il déclare sous serment que sa mort « n’a pas été la conséquence d’un traumatisme, [mais le résultat d’] une fibrillation cardiaque soudaine ». Autrement dit d’un infarctus. Le 25, Michel Raton et Marcel Munch sont acquittés ; la famille du commissaire Lacroix se désiste de sa plainte.

« Le procès de Marcel Munch et de Michel Raton fut l’occasion de projeter quelque lumière sensationnelle sur le monde mythifié des “trimards”. Le mot “trimard”, qui a quelque rapport avec “trimer”, désigne à Lyon de jeunes ouvriers volontiers absentéistes qui se fréquentent par bandes dans les quartiers de banlieue. Leur dégoût pour le travail d’usine les pousse fréquemment vers la délinquance et les coups de main de représailles. Se déclarant eux-mêmes “beatniks”, ils sont souvent, temporairement ou pas, en rupture avec leur famille. Ils constituaient, le 24 mai, une fraction importante des émeutiers alliés aux étudiants et aux ouvriers plus âgés. Or les trimards ont la chance et la malchance de susciter une crainte haineuse chez tous les officiels de droite ou de gauche, chez tous les politiciens de parti ou de groupuscule. Raton, Munch et Mougin, leur compagnon d’infortune aujourd’hui décédé dans des circonstances au moins curieuses, furent pendant plus d’un an entièrement abandonnés à leur sort par tous ceux qui se donnent ordinairement pour fonction la défense de la classe ouvrière, à croire que, pour ces gens, il y a de bons cas et de mauvais cas de répression, comme il y avait pour les dames d’antan de bons et de mauvais pauvres. » (p. 353.) C’est là un extrait de la préface que Françoise Routhier rédigea pour un livre sur l’affaire qui devait paraître chez Champ Libre. Un livre donnant enfin la parole à Michel Raton, Marcel Munch et aux parents de Michel Mougin. Les entretiens furent menés à leur terme, mais le projet n’aboutit pas, Raton décidant de s’en retirer pour des raisons apparemment liées à des pressions exercées par son entourage familial, lui-même en butte à d’autres influences. C’est sans nul doute l’un des grands mérites de ce livre de plusieurs livres d’avoir tiré ce manuscrit manquant de la poussière du temps pour l’offrir, complété d’annexes précieux, au regard de la postérité. Car il dit beaucoup, à travers le témoignage de Marcel Munch et les confidences des parents de Michel Mougin, de l’impensée de nos révoltes, des errances qui les alimentent et des étranges liens qui peuvent s’y tisser dans le désir insistant d’élargir, toujours et dans le risque, l’horizon des intuitions premières. Le reste tient à la part obscure de nous-mêmes, à l’attrait pour l’indéterminé et au pacte de solidarité qui, dans l’action commune, forcément se scelle. Les trimards lyonnais ne devinrent pas, à l’évidence, plus « révolutionnaires » après ce mois de folie qu’ils l’étaient avant, mais ils comprirent, et sans doute pour la première fois de leur vie, que le temps des débines n’était pas forcément celui de tous les abandons. Ce manuscrit manquant le prouve : le sort qui leur était réservé, l’abîme peut-être, fut déjoué par une authentique coalition de défense active. Et c’est assez rare pour être signalé. On y voit, pour notre part, une des rares belles victoires de l’immédiat après-Mai.

Peut-on inscrire les différentes figures de la marginalité sociale – dont nos trimards lyonnais ne sont qu’un exemple – dans une sorte de généalogie où affleureraient, en surplomb du temps historique et indépendamment de lui, des analogies repérables ? La question intéresse Claire Auzias qui tente de la creuser dans une perspective où l’influence, clairement assumée, de Deleuze et de Guattari s’articule à l’attrait ancien qu’elle éprouve pour un anarchisme plus individualiste (au sens anarchiste, s’entend) que purement social. Il y a là comme une audace qui lui va bien, mais dont le risque est évident. Car il est difficile de tisser du commun ou du semblable ou même du ressemblant à partir de notions aussi vagues, et renversables, que les « lignes de fuite », le « nomadisme » ou la « déterritorialisation ». D’autant que, reprises et prolongées par Antonio Negri, et même, à sa manière un peu fourre-tout, par le Comité dit invisible, ces catégories, qui se voulaient à l’origine expressions d’une certaine négativité du social dominant – ont fini par s’accorder si bien avec le monde tel qu’il est devenu un demi-siècle plus tard qu’elles agissent désormais, dans le lexique de la domination postmoderne, comme principales injonctions du mouvement perpétuel de la servitude marchande. On ne dira pas que Deleuze et Guattari y sont pour quelque chose, mais que ce quelque chose, qui est le tout de ce qui nous accable, doit inciter à la prudence référentielle. De la même façon, et d’un point de vue anarchiste cette fois – « anarchiste sans adjectif », comme le préconisait Fernando Tarrida del Mármol –, il n’est pas sûr que, sur la question des trimards, et plus largement des en-dehors d’une société fondée, même quand il manque, sur l’idée de travail, on puisse opérer quelque analogie qui soit entre les diverses figures de la marginalité errante. Sauf à forcer le trait du réel au nom d’une esthétique de la fuite ou du retrait, assez fréquente dans la littérature anarchiste individualiste de la modernité ascendante. Qu’y a-t-il, en effet, de commun, entre le trimard « libertaire » supplétif du « prolétariat syndiqué » décrit par Mecislas Goldberg, le trimard de la bohème prolétarisée de Zo d’Axa, le trimard par nécessité, le trimard intermittent par goût de la vie libre (à la Georges Navel), le trimard propagandiste et organisateur, le vagabond céleste, le clochard intangible, le migrant de l’intérieur, le hobo, le beatnik ? On a là divers types de trimardeurs formant une nébuleuse dont le seul trait partagé reste le déplacement. Dans cette constellation, le désir de liberté, même intensément vécu, n’induit pas toujours des pratiques de solidarité ; il produit parfois le contraire, un figement des pires instincts. D’où la nécessité de se défier, dans l’observation qu’on porte sur ce phénomène, de toute idéalisation comme de toute stigmatisation. Quant à savoir qui avait raison de l’intraitable et constant pourfendeur du prolétariat en haillons que fut Marx, sous forte influence de son ami Engels, ou du chantre tardif de cette « fine fleur du prolétariat » que fut Bakounine, la chose n’a plus grand intérêt dans un monde et dans un temps où, jetée aux poubelles de l’histoire, la question du sujet révolutionnaire ne fait plus débat.

Laissons, pour conclure, la parole à Claire Auzias. S’il s’agit, comme elle l’indique, « de comprendre de quoi sont faites nos révoltes, et de qui », il reste à admettre qu’il y a, dans toute réactivation du projet émancipateur, des « invités surprises », des participants inattendus et imprévisibles. Son livre, foisonnant et inclassable, nous raconte une histoire que l’Histoire a passée par pertes et profits, une histoire où, comme chez Queneau, « philosophes » et « voyous » lancèrent ensemble quelques pavés sur un vieux monde qu’ils pensaient agonisant. L’erreur n’était ni dans la confluence des colères ni dans le geste. Elle tenait plutôt au diagnostic. Mais qu’importe. Se lever et se mettre en marche, c’est s’ouvrir à la rencontre, au croisement de sensibles différents. À entrer dans ce livre, on le comprend. Il y eut alors, à Lyon, un affleurement d’inattendus dont la mémoire témoigne encore. Il a fallu de l’effort et de la persévérance à Claire Auzias pour en transmettre l’essentiel, en trimardeuse de l’histoire et contre l’oubli liquidateur.

Freddy GOMEZ



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Claire AUZIAS
TRIMARDS
« Pègre » et mauvais garçons de Mai 68
Préface de John Merriman
Lyon, Atelier de création libertaire, 2017, 492 p.

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