Notre 7ième congrès
Résolution sur l'orientation et la tactique de la Fédération anarchiste
in Le Libertaire # 318 du 5 juin 1952
Le 7ième congrès de la Fédération anarchiste vient de se tenir à Bordeaux les 31 mai, 1er et 2 juin. Nos lecteurs liront ci-dessous le texte de la partie générale de la résolution sur l'orientation et les tactiques qui a fait l'objet de la plus grande partie des débats. Cette résolution consacre le caractère réaliste que revêtent de plus en plus les positions et la propagande de la F.A.
Au sein de la société présente, nous assistons au développement de nouvelles formes d'exploitation et de domination, instituant, à côté des survivances du capitalisme proprement dit, le pouvoir de bureaucraties, partis, castes, pouvoir se manifestant sur le plan idéologique par des dogmes divers (la race, la nation, une révélation religieuse, un degré philosophique), sur le plan économique par des formes nouvelles de propriété (propriété dite d'État) ou d'organisation (allure technocratique, importance des bureaux de plan d'État), sur le plan social par une substitution, au salariat proprement dit (qu'a connu l'ère du capitalisme classique) d'une forme moderne de servage hiérarchisé avec, pour l'exploité, une soumission de plus en plus complète au pouvoir d'État et quelques garanties (Sécurité sociale, Statuts, retraites, secours de chômage, etc.), caricatures du socialisme ; forme moderne de servage s'accompagnant de l'étatisation des organismes syndicaux.
Les formes nouvelles d'exploitation et de domination s'observent presque parfaitement en U.R.S.S., mais aussi à côté des survivances capitalistes dans l'Allemagne d'Hitler, l'Argentine de Péron, aux U.S.A., en France, en Grande-Gretagne, Plan Schuman, etc... Les divers fascismes ne sont que des illustrations de ces nouvelles formes d'exploitation avec un vernis socialiste.
Plus clairement que jamais, apparaît la valeur de l'analyse anarchiste donnant toute son importance à l'État (considéré par les marxistes comme instrument pur et simple du capitalisme , sur la base d'une analyse superficielle attachée à certains pays industrialisés à une certaine période : Angleterre du 19ième siècle, par exemple).
Devant la militarisation croissante de l'idéologie, de l'économie, du social, il est plus que jamais nécessaire de proclamer la base même de notre action la formule de Bakounine :
« La liberté sans le socialisme est une duperie, le socialisme sans la liberté, c'est la caserne. »
Dans l'immédiat, et au milieu des querelles entre tous les États, deux grands blocs s'affrontent pour l'hégémonie mondiale : le bloc groupé autour de l'U.R.S.S., le bloc groupé par la force ou l'intérêt des dirigeants autour des U.S.A.
Ces deux blocs impérialistes rechechent des clients, des alliés, des bases militaires, de la main- d'oeuvre à bon marché.
Les peuples paraissent incapables de trouver seuls une voie entre les deux blocs et contre eux, malgré leur profond désir d'éviter la guerre, de même que les classes exploitées restent, au moins en Occident, amorphes devant la montée de la barbarie alors qu'elles désirent profondément le socialisme et la liberté. Elles ont démoralisées par les trahisons et les échecs des partis politiques dits « ouvriers » et par les échecs des grèves partielles, limitées.
1. Le rôle de la Fédération anarchiste
Rassemblant les éléments révolutionnaires conscients de la situation et de l'issue possible, est en fonction des considérations précédentes, tout tracé :
a)Lutter pour une renaissance et un développement de la conscience et de la volonté révolutionnaire des exploités. Lutter donc contre tous les aspects de la domination, de l'exploitation inhérentes aux sociétés de classes et de castes, ces aspects étant particulièrement : étatisme, capitalisme, cléricalisme, militarisme, morales et codes en vigueur.
b)Lutter donc pour obtenir la confiance des masses par notre présence dans leurs luttes quotidiennes revendicatives mais en dénonçant certains aspects illusoires et en faisant comprendre la nécessité d'une transformation radicale par la révolution libertaire, par l'action directe. Lutter vers la généralisation, la simultanéité et l'internationalisation des grèves et de tous les mouvements d'action directe.
Dans la lutte à mener dans les périods non révolutionnaires, il faut ne pas négliger le travail à mener dans les syndicats, pour y démontrer pratiquement la valeur de l'action directe, de l'auto-administration, pour arracher le plus possible de pouvoirs à l'État. Les militants de la F.A. seront présents dans les syndicats à caractère révolutionnaire ou dans tous les syndicats où leur présence permet un regroupement ou une expression révolutionnaire au sein des masses. De même, en ce qui concerne les groupements éducatifs, présence dans les groupements à caractère anti-étatique (instituts pédagogiques, , mouvement indépendant des Auberges de jeunesse, etc.) ou dans les organismes même soumis à un contrôle ou à un budget d'État, s'il est possible de l'intérieur de les arracher à l'empire de l'État ou d'y accomplir une tâche révolutionnaire (école laïque, A.J.) Les coopératives de consommation, groupements d'achats, etc. doivent surtout être utilisés pour y développer notre influence ou permettre notre agitation. Il faut montrer une extrême prudence à l'égard des coopératives de production ou des gestions ouvrières à l'intérieur du système capitaliste. L'action gestionnaire ne peut avoir qu'une valeur d'exemple, d'expérimentation. Il n'ya guère que dans le domaine des organismes culturels que la dégénérescence due à l'entourage du monde capitaliste-étatiste, peut être facilement surmontée parce que, dans ce cas, les conditions économiques jouent mais ne sont pas au fond même du problème.
Sur le plan paysan, en dehors de la défense des intérêts des ouvriers agricoles qui reste au premier plan, défense qui rentre dans le cadre des luttes ouvrières, il ne faut pas négliger la défense contre l'État, les trusts, les industriels de la terre, des exploitants familiaux, petits propriétaires, fermiers, métayers n'exploitant pas de personnel. Il ne faut pas oublier que maintes régions ne connaissent que très peu d'ouvriers agricoles, et que là, la base de la transformation révolutionnaire ne pourra être que l'entente coopérative entre les petits exploitants plus que la collectivisation de grandes entreprises.
c)Il faut aussi, tout en reconnaissant que l'établissement de certaines mesures sociales est un hypocrite hommage aux aspirations révolutionnaires vers le bien-être ou la justice, dénoncer leur caractère étatiste, esclavagiste. C'est donc la forme et non le principe fondamental que la F.A. combat dans la « Sécurité sociale » ou l'aide à la famille, par exemple. Il faut dénoncer catégoriquement les nationalisations.
La F.A. condamne les Comités d'entreprise et l'illusion qui consiste à croire à une possibilité quelconque pour un militant révolutionnaire dans ces organismes de collaboration des salariés et du patronat.
d)Une des tâches de la F.A. est de montrer comment est exploité le sous-prolétariat que constituent les masses des pays coloniaux, et de prendre la défense des peuples coloniaux, défense contre tous les impérialismes, mais orientée vers la réalisation du communisme libertaire.
e)Lutter pour que devienne conscient et efficace le désir profond des grandes masses de sortir de l'emprise des deux blocs. C'est cette lutte « Troisième front », qui doit indiquer ainsi une troisième solution, en dehors de celles proposées par les deux impérialismes.
f)Orienter tout processus social à travers la lutte contre les dominations et privilèges, contre la hiérarchie, pour l'égalité économique, vers la réalisation du fédéralisme communiste libertaire.
2. Pour remplir ce rôle, la Fédération anarchiste doit agir et s'exprimer dans les conditions suivantes :
a)La F.A. doit faire connaître les solutions qu'elle préconise, c'est à dire en définitive, accomplir son rôle de propagande et d'éducation en utilisant les ressources de l'actualité, grâce à une presse et des éditions vivantes, tenant compte des grands besoins, des grandes inquiétudes, grâce surtout à la présence de ses militants, dans toutes les revendications, agitations, grèves, etc., qui permettent de faire connaître nos points de vue et de gagner la confiance des exploités.
b)L'éducation est affaire d'action et de réflexions à propos de l'action, plus que de prêche et de livres, mais la F.A. ne saurait oublier que certains grands problèmes sont traités dans les assemblées, conférences, dans le journal ou les éditions. A ce sujet, elle doit s'efforcer de rééditer les meilleurs ouvrages classiques de l'anarchisme, doit s'efforcer aussi de susciter de nouvelles études et de les publier.
c)Dans tous les domaines : économique, culturel, social, la F.A. doit s'interdire toute attitude stérile de critique systématique sans propositions constructives. Elle doit éviter un anti-stalinisme facile capable de nous couper définitivement des exploités abusés par les partis communistes. On ne combat bien le stalinisme qu'en se montrant plus dévoué que lui à la cause des exploités
3. Les tâches de la Fédération anarchiste sont de deux sortes :
a)Le travail de ses organismes, en tant que tels, s'adressant directement à l'extérieur.
b)Le travail préparé et coordonné en son sein par ses militants et qui doit être accompli dans les organisation de masses : syndicats, associations culturelles, coopératives, etc.
Il ne peut s'agir d'imposer dans ces organisations des directives ou de s'en emparer bureaucratiquement, mais d'y répandre des idées, des exemples et de ne pas se refuser aux responsabilités qui sont normalement proposées aux militants de la F.A.
Ainsi, l'organisation anarchiste révolutionnaire, doit fonctionner, comme émetteur et comme coordinateur.
Fédération anarchiste