Histoire du mouvement libertaire français 1944-2004

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum » 01 Mar 2009, 13:34

Résolution sur l'entente internationale des libertaires
Motion adoptée au 13ième congrès de la Fédération anarchiste réuni à Bordeaux les 16, 17 et 18 mai 1959


Le congrès a pris connaissance avec satisfaction du pas en avant accompli au congrès de Londres par la coopération pratique de tous les secteurs du mouvement international anarchiste sans distinctin d'étiquette et de tendance. Il adresse un salut fraternel à tous les anarchistes du monde et en particulier aux groupes et mouvements libertaires de langues étrangères qui voisient avec ceux de langue française. C'est uniquement par inadvertance que ces groupes et mouvements n'ont pas été selon la tradition pressentis pour prendre part au congrès et celui-ci a tenu à leur exprime ses regrets ainsi que l'affirmation de son entière solidarité.

D'autre part, le congrès salue l'attitude exemplaire des camarades anarchistes de langue allemande (ceux de Berlin-Ouest en particulier) qui, sans se laisser ébranler par lesmenaces de guerre, lancent un périodique, préparent un congrès d'unité et apportent depuis trois ans un constant appui à la Commission de Relations Internatinales Anarchistes.

Fédération anarchiste
vroum
 

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum » 01 Mar 2009, 13:35

Raisons d'espérer
Edito du Monde libertaire # 61 de juin 1960


Comme chaque année, les anarchistes de toutes les régions de France vont se réunir, et au sein de leur congrès, dans la chaude atmosphère de ceux qui, d'un même coeur, veulent voir s'instaurer le monde futur, ils vont faire le point de la situation nationale et internationale, et envisager la lutte à poursuivre.
C'est dans un climat particulièrement lourd et menaçant qu'un tel rassemblement aura lieu.
Plus que jamais la folie des puissants de ce monde jette une ombre de désespoir sur l'humanité, plus que jamais les rivalités puériles, les intérêts sordides dressent face à face les blocs politiqus et les trusts financiers.
N'est ce pas précisemment dans ces heures-là, plus qu'en tout autre, qu'il appartient aux militants des causes libres et humaines de faire le tour d'horizon, de mesurer les dangers, de percevoir les rares éclaircies et d'envisager les actions à entreprendre.
Dans l'imbroglio infernal ds intérêts mêlés et des catastrophes multiples qu'ils peuvent déclencher, tentons de découvrir quelques thèmes de réveil de la dignité humaine.
Deux d'entre eux sont à soutenir et à animer : d'une part l'opposition qui semble enfin se fair jour contre la guerre d'Algérie, d'autre part le soulèvement des travailleurs las des salaires éternellement bloqués face à des prix éternellement en hausse.
C'est peut-être par la conjugaison de ses deux forces, pacifiste et ouvrière, qu'une issue est possible.
Les regroupements des minorités syndicales d'une part, l'action des Forces Libres de la Paix de l'autrenous permettent de le croire.

La Rédaction
vroum
 

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum » 01 Mar 2009, 13:35

Edito du Monde libertaire # 62 d'août 1960

Trélazé 1960


Le congrès de Trélazé nous a permis de constater une recrudescence de nos groupes et de notre activité.
Ne nous y trompons pas, cet accroissement ne nous est pas particulier ; il marque l'inquiétude de notre temps et le réveil d'une génération qui ne consent plus au rôle de condamné à mort.
Le remous des masses politiques et syndicales nous apporte la preuve de la lassitude des peuples à apporter aux maîtres du Monde une confiance aveugle et béate ; l'agitation indéniable et qui peut-être grandissante des mouvements sociaux témoigne d'une prise de conscience face aux problèmes actuels.
Penser que tous les éléments de ce réveil : dégoûtés des partis politiques ou inorganisés accédant au militantisme, rejoindraient nos rangs dans leur entier eût été utopique ; il faudra, à beaucoup, d'autres expériences, d'autres répétitions des évenements présents, d'autres déceptions pour comprendre (s'ils le comprennent un jour) que le pouvoir est maudit, comme le disait Louise Michel et que seule la liberté n'est pas une impasse.
Il nous suffit que les plus clairvoyants continuent à venir à nous et que leur nombre aille grandissant.
Dans la complète connaissance des tâches qui nous incombent, le congrès de Trélazé a défini les objectifs que nous devons de poursuivre :
lutte contre la guerre d'Algérie, le combat pour la Paix étant intimement lié à celui pour la liberté et l'une ne pouvant être sans l'autre ;
collaboration aux actions entreprises dans ce domaine lorsqu'elles sont véritables et non menées dans des buts politiques ou partisans ;
lutte contre l'emprise cléricale dans le domaine scolaire et adhésion au Comité de Défense Laïque ;
invitation aux militants syndicaux de la FA de participer au Comité de Liaison des Syndicalistes Révolutionnaires.
La Fédération anarchiste estime que par le contact des éléments de base, quelles que soient leurs centrales et par dessus les bureaucraties paralysantes de celles-ci, une unité d'action syndicale peut se faire jour.
En conclusion, notre rôle est de ne rien perdre de nos caractéristiques tout en étant présents dans toutes les manifestations populaires où notre voix peut être entendue.
Dans la mesure où nous saurons remplir cette double mission, dans la mesure où nous saurons nous joindre aux cartels sans nous y perdre, tous les espoirs nous sont permis.

La Rédaction
vroum
 

Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede yves » 01 Mar 2009, 19:52

intéressant tout ces rappels historiques mais en 2009 où se situe la FA ? merci de vos contributions yves
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede Alayn » 01 Mar 2009, 20:25

Bonsoir !

-A Quierrot: oui, j'étais à Civaux avec justement le groupe anar de Limoges au début des années 80. Mais je me rappelle pas t'y avoir vu non plus....

-A Yves: la FA est toujours synthésiste: c'est à dire qu'on y trouve les 3 courants principaux réunis: individualiste, anarcho-syndicaliste et communiste-libertaire.
Mais on pourrait y rajouter la nouvelle classification avancée par Gaetano MANFREDONIA et notamment le courant éducationniste...

Pour revenir au sujet du topic: les points de vue divergents entre Maurice JOYEUX et Fontenis a marqué profondément l'histoire de la FA et cette histoire, même 50 ans après, est loin d'être oublié.
Que Fontenis reconnaisse ses erreurs aujourd'hui, bah...
Cette histoire est tellement peu oublié qu'elle est encore en filigrane par exemple aussi dans le dernier bouquin de Jean-Marc RAYNAUD: "Meurtres exquis à la librairie du Monde Libertaire" (il y a un topic de présentation de ce nouveau bouquin d'ailleurs ici-même mis en ligne par vroum)

Salutations Anarchistes !
Alayn
 

Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede yves » 01 Mar 2009, 21:54

merci alayn de tes précisions
connais tu les groupes de tendance individualiste de la FA ??? d'avance merci yves
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede yves » 01 Mar 2009, 22:44

je cherche des groupes éducationnistes car proches des individualistes donc commençons par regrouper les plus proches
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede Pïérô » 01 Mar 2009, 22:52

tu n'es pas dans le bon topic yves...
Et je maintiens Alayn pour Civaux ou alors il y a eu apparitions très épisodiques, les camarades de limoges, deux à l'époque avaient plus de la trentaine. Mais ce n'est pas le topic non plus.
Pour l'Histoire, il est important de ne pas oublier comme de rechercher la vérité. Et, aujourd'hui ce n'est pas le présent, sauf pour ceux qui vivent dans le passé.
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede sebiseb » 02 Mar 2009, 21:45

C'est quoi le courant "éducationiste" ?
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede yves » 02 Mar 2009, 22:42

chez les anars individualistes, il y a un courant éducationniste c'est à dire que nous sommes convaincus que nos principes anarchistes ne passeront jamais si le peuple ne prend pas consicence qu'il est opprimé par l'Etat, les institutions, les patrons, etc...

il faut donc informer, sensibiliser, agir à laz prise de conscie'nce yves
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede sebiseb » 02 Mar 2009, 22:51

Tous les anarchistes ne sont pas convaincus de ça ?
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Re: Georges Fontenis sur l'OPB

Messagede Alayn » 02 Mar 2009, 23:12

yves a écrit:merci alayn de tes précisions
connais tu les groupes de tendance individualiste de la FA ??? d'avance merci yves


Salut ! C'est vrai que c'est pas le bon topic pour parler de çà ; je te réponds donc par MP.

A Qierrot: la lutte contre Civaux, idem, ici, c'est pas vraiment le lieu. Mais je réponds vite fait néanmoins: oui, je trainais avec le groupe anar de la FA de Limoges de l'époque mais je n'en n'étais pas membre (j'étais individualiste à l'époque, voire autonome ! arf !). Je me rappelles même que l'un de ses membres s'occupait d'une radio en Haute-Vienne.
J'ai pas participé à toutes les actions sur Civaux mais j'y suis allé quand même pas mal de fois.

Salutations Anarchistes !
Alayn
 

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1945-1953

Messagede vroum » 04 Mar 2009, 22:24

Dans les numéros 18, 30 et 31 de la revue La Rue, éditée entre 1968 et 1986 par le groupe libertaire Louise-Michel de la Fédération anarchiste, Maurice Joyeux, l’un des principaux animateurs de cette revue et de ce groupe, fit paraître trois articles intitulés “L’Affaire Fontenis”, “La reconstruction de la Fédération anarchiste” et “La Fédération anarchiste reprend sa place”.

Voici le premier article

L’affaire Fontenis

Depuis une trentaine d’années, il existe dans notre milieu un mythe. Ce mythe c’est celui de “l’affaire Fontenis” ! Mythe qui repose sur un seul homme dont la présence parmi nous fut relativement courte, six ou huit ans au plus, et qui n’exerça son autorité que pendant la moitié de ce temps. Pour les militants qui se succédèrent, Fontenis fut le “méchant”, le “loup-garou” de la fable, “l’affreux” de la tragédie, “l’Antéchrist” qui épouvanta non seulement une génération mais celles qui suivirent, qui ne l’ont pas connu mais qui l’évoquent chaque fois qu’une querelle idéologique secoue notre mouvement. Le personnage ne méritait ni un tel “honneur” ni une telle constance dans ce rôle “classique” que tous les groupes humains inventent pour se débarrasser du poids de leurs “péchés” et rejeter sur “Satan” celui de leurs erreurs. Je trouve ridicule ce recours à “l’affaire Fontenis” de la part d’un certain nombre de nos camarades pour expliquer ou justifier des désaccords. Le recours au “méchant” n’est rien d’autre que le recours à l’irrationnel, et la philosophie nous a appris que seule la littérature lui donne le visage du Faust de Goethe alors qu’il se trouve en nous et que c’est là qu’il faut le débusquer, plutôt que lui attribuer à la fois un visage séduisant et angoissant. Et si pour exorciser le diable il suffit, disent les bons pères, d’en parler, alors parlons de “l’affaire Fontenis !”

Mais d’où venait Fontenis, qui était Fontenis ? En réalité je n’en sais rien, et ceux qui savent comment on rentre dans notre mouvement et comment on en sort ne s’en étonneront pas. Il est possible qu’un savant historien fouille dans ses archives et trouve une réponse à cette question, mais je doute que cela nous apporte un éclaircissement important sur ce personnage. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’ainsi est fait ce mouvement libertaire qu’un homme dont on ne connaît pas mieux les origines vous présente un inconnu qui s’intègre au groupe, comme si cela allait de soi, et qui à son tour deviendra le garant d’autres, sans plus. Le plus étonnant, c’est qu’en fin de compte cette facilité n’ait pas plus favorisé l’intrusion d’éléments douteux dans nos milieux que dans d’autres organisations plus fermées ! Cela tient probablement à deux raisons fort simples. La première, c’est que les flics comme les partis tiennent notre organisation pour négligeable, et la seconde c’est que, justement, la trop grande facilité pour y pénétrer lui retire tout son attrait. Encore que pour certains la crainte du coup de pied au cul et notre réputation peut être le commencement de la sagesse.

C’est dans le courant de l’année 1945, à la boutique du quai de Valmy, qui servait à la fois de librairie et de siège à notre organisation qui venait de se reconstituer, que je vis pour la première fois Fontenis. Il y avait là quelques camarades. Je ne me rappelle plus qui me le présenta ou même si on me le présenta. Peut-être personne, chacun se figurant qu’il était parrainé par l’autre ? Il finissait son service militaire et était encore vêtu de kaki, ce qui, dans nos milieux, attirait l’œil. Je crois avoir fait quelques réflexions désagréables sur ce sous-off qui se présentait comme pacifiste, attitude compréhensible pour quelqu’un qui sortait de tôle pour, entre autres, insoumission !

Rien ne laissait supposer que ce “pacifiste” ferait chez nous la carrière qui sera la sienne. Fontenis était un homme grand, aux épaules larges, au front et aux tempes dégarnis, portant beau. Malgré son teint blanc et sa blondeur fade, son aspect était engageant et séduisait au premier contact. Ce qui retint tout de suite mon attention ce fut ses yeux clairs, ronds, qui ne rencontraient jamais les vôtres, et qui, lorsqu’il vous parlait, semblaient toujours regarder par-dessus votre épaule. Sa tête constamment en mouvement, qui ponctuait toutes les évidences qu’il vous débitait avec l’autorité du maître d’école, vous donnait le tournis ! Je n’ai jamais aimé Fontenis ! Question de tempérament. Agacé peut-être par sa façon ostensible d’être ou de paraître raisonnable dans notre milieu particulièrement tapageur.

Fontenis était instituteur. Il fut démobilisé quelques semaines plus tard, grâce, je présume, aux circonstances de l’après-guerre, et il va prendre parmi nous une place qui ira grandissant. Mais pour bien comprendre les répercussions qu’aura dans nos milieux l’action de ce nouveau venu, je crois qu’il est bon que j’essaye de vous tracer ce qu’était cette arche de Noé que fut, au lendemain de la Libération, cette étroite boutique du quai de Valmy qui servit de siège à notre Fédération anarchiste.
La déclaration de guerre de 1939 éparpilla dans la nature les militants de l’Union anarchiste et de la Fédération anarchiste, les deux organisations qui se partageaient les maigres effectifs du mouvement libertaire. Certains d’entre eux rejoignirent leur régiment, d’autres se réfugièrent à l’étranger. Quelques-uns, pratiquant le débrouillage individuel, avaient réussi à se soustraire à leurs obligations militaires, quelques autres désertèrent ! Ce furent les moins nombreux, avec ceux, dont je fus, qui disparurent dans la nature, optant pour l’insoumission. La défaite, l’exode, l’Occupation, la grande merde qui régnait alors sur le pays, sur les nerfs et sur les cerveaux des hommes précipita la désagrégation du mouvement anarchiste, encore qu’à l’échelle régionale certains militants conservèrent un contact que les temps difficiles rendaient aléatoire. Mais ce fut surtout sur le plan des idées que des divergences éclatèrent, projetant en pleine lumière des désaccords fondamentaux que le mythe de l’unité des anarchistes ne parvenait que difficilement à dissimuler. Le pacifisme bêlant, élément désagrégateur du mouvement libertaire, fit des ravages, entraînant certains camarades dans la collaboration ou sur sa lisière, le syndicalisme et l’anticommunisme en rallièrent quelques autres à la charte du Travail, derrière Froideval et P’tit Louis Girault. D’autres, assez rares, rejoignirent la Résistance. Il fallut attendre 1943 pour qu’un certain nombre de camarades se regroupent autour d’Aristide et de Paul Lapeyre, de Charles et Maurice Laisant, d’Arru, de Voline et de quelques autres. Ils se rencontrèrent à Agen pour envisager l’après-guerre. A la même époque, à Paris, des contacts s’établissaient à la Bourse du travail, dans un local qui avait déjà servi à la résistance syndicale et qui était le siège du syndicat des fleuristes, dont le responsable, Bouyé, était un militant anarchiste. Peut-on parler de résistance ? Disons que des rapprochements furent élaborés entre ceux qui avaient, physiquement et moralement, survécu au dévoiement provoqué par quatre ans d’occupation. Leur première tâche fut d’établir la liaison avec les prisonniers, et c’est ainsi qu’Arru prit contact avec moi qui, à Montluc, purgeais une peine de prison pour mutinerie, insoumission et quelques autres babioles. Puis la Libération vida les prisons, libéra les craintes, et le mouvement anarchiste se reconstitua. En province, autour des camarades de Bordeaux et de la région, à Paris dans la boutique du quai de Valmy, autour de Bouyé, Vincey, G. Berneri, Durant, Louvet, Joulin et quelques autres ! Et c’est là qu’au mois de janvier 1945, libéré de prison et après un séjour auprès des camarades anarchistes de Lyon puis dans ma famille, je rejoignis ce petit groupe qui comptait une centaine de militants et qui allait devenir la Fédération anarchiste.

Dans ces deux groupes, celui de province et celui de Paris, nombreux étaient les absents, la plupart de ceux qui, avant la guerre, avaient animé le mouvement anarchiste ! Certains, tel Frémont, ancien secrétaire de l’Union anarchiste, étaient morts, d’autres étaient recyclés à l’étranger. Quelques-uns avaient été, je ne dirai pas écartés, mais oubliés à être conviés à la reconstruction du mouvement libertaire et parmi eux Le Meillour, Lecoin, Loréal, etc. Quelques années plus tard, à ma librairie du Château des Brouillards, beaucoup d’entre eux, qu’ils aient appartenu au mouvement syndical ou à l’Union anarchiste, viendront me voir. En ai-je entendu de ces histoires douloureuses d’hommes qui avaient fait le mauvais choix, qui avaient été imprudents ou s’étaient contentés de rester passifs dans une période où tout le monde avait peur ! A Paris comme en province ce sont les militants de l’Union anarchiste qui avaient le moins tenu le coup et, au quai de Valmy, les éléments issus de la Fédération anarchiste d’avant-guerre dominaient.

Le milieu anarchiste était alors très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. La plupart des militants étaient des ouvriers ou d’anciens ouvriers reconvertis dans le petit commerce, voire la petite industrie. Leur culture de base était le certificat d’études. Mais tous étaient des autodidactes avec ce que cela comporte de connaissances approfondies pour certaines matières privilégiées et de lacunes pour d’autres. Il n’y a rien là de péjoratif, et tous les militants du mouvement ouvrier se trouvaient dans le même cas. Ils lisaient beaucoup les classiques du mouvement ouvrier en long, en large, en travers, mais ils ne lisaient que ça. Le caractère autodidacte de leurs connaissances donnait à ces militants à la fois un sentiment de supériorité envers les travailleurs et d’infériorité envers ceux qui avaient eu la chance, rare à cette époque, d’avoir reçu une culture classique qui se traduisait par du parchemin. A notre époque où la jeunesse reçoit une instruction supérieure à celle de leurs parents et en tout cas égale à celle d’un instituteur de l’entre-deux-guerres, on a du mal à comprendre les réactions de l’autodidacte mal dans sa peau, et qui se traduisait soit par du mépris, soit par l’admiration devant l’universitaire. C’est ce phénomène qui va nous permettre de comprendre l’emprise de Fontenis sur certains éléments de la Fédération anarchiste.

Quelques-uns de nos lecteurs trouveront sans doute cette pochade de nos milieux à la Libération à la fois trop longue et trop succincte mais il s’agissait de planter le décor. Je demanderais encore un peu de patience, le temps de griffonner quelques portraits avant d’entrer dans le vif d’un sujet que certains considèrent comme une tragédie et que, pour ma part, j’ai toujours considéré comme une comédie-bouffe !

•••

L’homme qui, à Paris, fut la cheville ouvrière de la reconstruction de la Fédération anarchiste fut Henri Bouyé. Bouyé le mal-aimé ! Bouyé un garçon intelligent, capable et extrêmement dévoué à la cause anarchiste ; mais il gâtait tout par un sectarisme étroit et une espèce de sécheresse qui dressait un mur entre lui et ses interlocuteurs. Il fut le maître d’œuvre d’une brochure “les Anarchistes et le programme social” destinée à relancer notre mouvement. Je viens de la relire ; elle ne manquait pas de qualités, cependant elle sera mal reçue par bon nombre de nos camarades de province, plus pour les sentiments qu’inspirait son auteur que pour ses défauts. Cependant, le véritable ordonnateur de notre nouvelle organisation fut Georges Vincey. Vincey, ancien ouvrier du bâtiment, s’était reconverti dans la frivolité et confectionnait des colifichets dans un petit atelier où il employait deux ouvrières. Ça lui vaudra un certain nombre d’ennuis de la part des “purs” fouille-merde et propres à rien qui passaient le plus clair de leur temps assis sur un siège dans la boutique du quai de Valmy à dire du mal de leur prochain ! Et c’est autour de ces deux hommes qu’après des années de silence tout repartit !

Dans un mouvement qui s’était promis de se reconstruire en tenant compte des enseignements du passé, les mêmes clivages se reproduisirent, certains à l’extérieur, d’autres au sein même de la Fédération anarchiste. Les courants classiques se reconstituèrent autour des grandes tendances de l’anarchie mais également autour des hommes.

En dehors du mouvement, un groupe individualiste qui ne devait pas grand-chose à Stirner ou à Thoreau se regroupa autour d’Armand. Il constituait un milieu qui vivait sur lui-même. Les problèmes sexuels étaient sa préoccupation dominante. Ce qui restait du syndicalisme révolutionnaire rescapé de l’aventure de la C.G.T.S.R. et de l’Occupation se reconstituait en tendance organisée au sein de la C.G.T. avec Besnard, auquel les événements n’avaient rien appris, et qui était toujours à la recherche d’une centrale syndicale dont il serait le dirigeant principal, réminiscence de son court passage à la direction de la C.G.T.U. après la scission syndicale de 1921. Enfin, autour du journal “Ce qu’il faut dire”, créé par Sébastien Faure, dont ils avaient repris le titre, Louis Louvet et Simone Larcher. Leurs rapports avec la Fédération anarchiste furent toujours ambigus. Ils y appartenaient sans y appartenir. Louvet avait des qualités mais un défaut malheureux les gâchait toutes. Il n’arrivait jamais à mettre en œuvre les projets multiples qui foisonnaient dans son cerveau inventif. Quant à Simone, pour laquelle j’avais beaucoup de sympathie, elle eût pu, si les choses s’étaient déroulées autrement, être la grande dame de l’anarchie de sa génération. Mais eux aussi avaient tendance à former un milieu susceptible de procurer quelques agréments à la vie difficile qui renaissait. L’incompatibilité de caractère entre Bouyé et Louvet, et peut-être également une certaine rivalité entre “le Libertaire” et “Ce qu’il faut dire”, qui se partageaient une trentaine de milliers de lecteurs, détruisirent les bonnes résolutions qu’avait prises ce qui restait de militants dans Paris et sa banlieue.

Ce clivage à l’extérieur et en opposition feutrée avec la Fédération anarchiste, on le retrouvait à l’intérieur du noyau qui se constitua et qui forma le cœur de l’organisation à Paris. On trouvait autour de Bouyé des communistes libertaires décidés à structurer l’organisation de façon à ne plus connaître les mésaventures du passé. On y rencontrait des individualistes, tel Vincey. Lui était partisan de la responsabilité individuelle entre les congrès et il dota notre mouvement de structures dont certaines subsistent encore. Des militants comme Oriol venaient du marxisme et n’avaient pas encore assimilé les théoriciens de l’anarchie. D’autres, comme Suzy Chevet, venaient du parti socialiste. Des syndicalistes, des pacifistes, mais surtout des camarades qui avaient plus ou moins bien assimilé les grands courants de notre pensée et qui appuyaient l’un ou l’autre à partir de circonstances, grossissant l’un en affaiblissant l’autre au hasard, ce qui jurait avec la logique et introduisait cette sainte pagaille qui fut souvent la seconde nature des anarchistes. Et puis il y avait les “intellectuels”...

Les dynasties révolutionnaires, ça existe ! Je n’ai rien contre. Mais je ne suis pas persuadé des vertus de l’hérédité sur ce plan-là ! Giliane Berneri était la fille de son père et la sœur de sa sœur, mais il n’était pas évident qu’elle possédait les mêmes qualités que ceux-ci. Elle terminait des études de médecine que les gens dans le secret qualifiaient de brillantes. Cela lui donna, parmi nous, une autorité qui me parut exagérée et que l’avenir ne justifia pas. Avec quelques autres universitaires “grand format”, elle formait un collège de gens de savoir qui sortirent une revue, “Plus loin”, titre repris du docteur Pierrot, de fâcheuse mémoire. Ça n’ira pas loin et ça ne volera pas haut. Plus tard, un autre authentique intellectuel celui-là, André Prudhommeaux, les rejoindra. Enfin, il y avait votre serviteur qui sortait de prison ! J’étais heureusement le seul de l’équipe dans cette situation ! Je ne m’attarderai naturellement pas sur mon cas, sinon pour signaler que dès mon arrivée je pris la région parisienne en main, en répartissant la centaine de militants qui la composait en trois groupes qui furent les groupes de l’Est, le groupe du Sud et le groupe de l’Ouest ! Le premier se morcela assez rapidement, le second prit le nom de groupe Kronstadt et s’installera dans le quarter des Ecoles. Il aura comme animatrice Giliane Berneri. Le groupe de l’Ouest deviendra le groupe Louise Michel, il s’installera à Montmartre et aura à sa tête une organisatrice incomparable : Suzy Chevet. Au groupe Kronstadt il y aura du “beau monde”, au groupe Louise-Michel il y aura “beaucoup de monde”.

Le tableau serait incomplet si je n’ajoutais pas que les groupes se multiplièrent, que les jeunes affluaient et refluaient, qu’on refaisait le monde avec entrain, qu’on s’engueulait avec conviction et que les éclats de voix rendaient le siège de notre mouvement à peu près inaudible au malheureux qui s’y risquait. D’ailleurs, il était immédiatement pris en charge, répertorié, et avant d’être dirigé vers un groupe qui lui conviendrait il était fermement poussé vers la porte, un paquet de “Libertaire” sous le bras, avec la recommandation impérieuse de rapporter la monnaie !

Je n’ai pas encore parlé des camarades de province que nous retrouverons par la suite. Nous avions alors peu de contacts avec eux, sinon par des camarades avertis, directement en relation avec le groupe de Bordeaux qui jouissait d’une grosse influence. Les frères Laisant organisaient un groupe à Asnières. Fortement influencés par Louvet et ses amis, ils étaient dans la région parisienne le reflet naturel des sentiments de nos amis de province, qui se méfiaient des lubies de Louvet. Ils ne joueront un rôle que plus tard, lorsque la Fédération anarchiste se constitua officiellement, au cours d’un congrès à la salle des Sociétés savantes.
Je conserve de cette période un souvenir merveilleux. Ce fut un monde un peu fou où la joie d’en avoir fini avec un cauchemar qui avait duré quatre ans se confondait avec la certitude que la révolution n’attendait plus que nous pour construire l’avenir.

C’est dans ce milieu qui baignait dans l’exaltation des recommencements que Fontenis pénétra !

•••

Georges Fontenis n’acquit que progressivement l’autorité qui lui permit de s’emparer de la Fédération anarchiste ! C’était un homme qui avait de la surface mais peu d’épaisseur ! Ce ne fut jamais un journaliste de grande stature et ses “œuvres complètes”, en dehors de ses articles du “Libertaire”, d’abord peu nombreux, consistèrent en un “Manifeste communiste” qui ne passera pas à la postérité. Son discours, souvent monocorde, avait le souffle court. Il avait peu lu nos classiques, mais il n’était pas le seul dans notre mouvement ! Plus tard il entreprit de combler cette lacune en entrecoupant ses lectures de textes de Marx qui le marquèrent profondément. C’est dans le débat intérieur, à travers le cours magistral, que ses qualités se manifestaient le plus sérieusement ; c’étaient celles d’un instituteur habitué à faire la classe. A la vérité il avait à la fois les qualités et les défauts pour construire une carrière de fonctionnaire de l’Education nationale, ce qu’il fit par la suite.

Il ne deviendra “théoricien” que sur le tard, après la scission et alors que le journal sera devenu sa chose. Il suffit de lire la collection du “Libertaire” jusqu’en 1950 (je l’ai devant mes yeux sur ma table de travail) pour constater que sa contribution à l’occasion des événements quotidiens fut pratiquement nulle. Les quelques articles qu’il écrivit pour la troisième page de notre journal, page des “intellectuels”, ne furent que des “remakes” des théoriciens qu’il avait bien fini par lire... mal dans la plupart des cas. Rien, par exemple, de comparable à la suite de textes de Prudhommeaux sur la Commune de Paris ou de cette série d’articles où, pour la première fois, je développais ma théorie sur la grève gestionnaire. Je me souviens, non sans malice je vous l’accorde, de cette séance du comité de rédaction de notre journal où, piqué par je ne sais quelle mouche, il entreprit de nous expliquer les vertus d’un ouvrage de Staline qui venait de paraître : “La Linguistique”, en le confrontant au marxisme et à l’anarchie ! Ce fut vraiment pour moi une franche rigolade, non seulement à en démêler les fils mais à voir la mine ahurie et les yeux ronds des militants devant ce pathos ! Mais alors, me direz-vous, d’où vint cette admiration incontestable que lui vouèrent certains militants, dont tous ne partageaient pas ses élucubrations et qui ne le quittèrent qu’à regret à l’instant décisif ?

Fontenis fut poussé à la tête de la Fédération par deux courants contradictoires. Il appartenait au clan des “intellectuels” et il leur était indispensable, car ses habitudes professionnelles lui permettaient de mettre un peu d’ordre dans leur verbalisme traditionnel, et envers lui la solidarité de ces personnages joua jusqu’à la fin, malgré les couleuvres qu’il leur fit avaler. Il rassembla autour de lui des jeunes sans formation, mais il est symbolique de constater que ceux qui étaient passé par la brillante école des Auberges de la jeunesse restèrent toujours allergiques à son “charme”. Il n’en fut pas de même pour certains militants venant tout droit des usines et authentiques travailleurs, formés par le syndicalisme, qui, à travers lui, crurent se hisser à la connaissance. Peut-être s’agissait-il là d’une attitude que j’ai souvent observée parmi les ouvriers qui fréquentent nos milieux. Cette connaissance qu’ils ne possèdent pas, ils répugnent à la reconnaître à l’un des leurs, car alors ils la ressentent chez autrui comme un reproche ! Ils préfèrent l’attribuer à un “intellectuel à parchemin qui lui a pu... a eu la chance... a eu le temps... a eu une situation de famille... etc.”, comme s’ils étaient eux-mêmes responsables de la situation où la société qu’ils veulent abattre les maintient. Par la suite, et à part quelques imbéciles dont Joulin fut la plus vivante illustration, l’entourage de Fontenis, en dehors des “intellectuels” se composa, de gens venus des partis politiques, dont les motivations restèrent douteuses et dont certains tournèrent mal !

On aurait tort d’imaginer que Fontenis s’imposa d’emblée parmi nous. Il possédait au plus haut point une roublardise doucereuse qui trompa son monde et servit à son ascension. Dès son arrivée parmi nous, il se montra attentif, serviable, tolérant. Un rassembleur, en somme, qui s’appuya successivement sur tous les militants dotés d’une parcelle d’influence. A cette époque où la Libération avait favorisé un afflux d’adhérents dans tous les partis de gauche, nous bénéficiâmes nous-mêmes de cet engouement qui ne dura pas. Nous avions besoin de militants pour inculquer à ces gens les rudiments de la pensée libertaire, et Fontenis fut employé à ce travail ingrat, lui qui, à cette époque, aurait eu plutôt besoin de s’asseoir sur un banc de la classe anarchiste. Mais dans l’administration du mouvement il ne joua aucun rôle, et il lui fallut attendre le congrès de 1945 pour qu’enfin il pénètre dans le noyau.

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Au cœur du quartier Latin, à deux pas de l’Odéon, l’immeuble des Sociétés savantes jouait alors le rôle qui sera plus tard celui de la Mutualité. Le bâtiment était parsemé de pièces de toutes grandeurs qui servaient de sièges aux organisations hétéroclites nées de la Libération. Au rez-de-chaussée, une vaste salle de cinq à six cents places était réservée aux séances plénières et aux meetings politiques. C’est dans cette salle que se tint, au début d’octobre 1945 et en décembre de la même année, ce congrès puis cette conférence nationale qui marquèrent le départ de la Fédération anarchiste, “officiel” cette fois !

Ce premier congrès de la Fédération anarchiste de l’après-guerre m’a laissé un souvenir attendrissant. Des militants se retrouvaient qui n’étaient plus tout à fait les mêmes. D’autres, plus nombreux, faisaient connaissance, essayant de deviner à travers les visages s’ils pouvaient donner corps à l’impression qu’ils avaient ressentie à travers la correspondance nombreuse qu’ils avaient échangée avant de se retrouver ensemble dans ce quartier de la capitale chargée de gloire littéraire et révolutionnaire. On distinguait parmi eux des familles spirituelles bien distinctes : des anarcho-syndicalistes influencés par Besnard, qui était absent. Ils éditaient une feuille : “le Combat syndicaliste”. Louvet et ses amis groupés autour de “Ce qu’il faut dire”. Des nouveaux, influencés par Bouyé qui était, lui aussi, absent, et rassemblés autour du “Libertaire” qui venait de reparaître dans un format normal. Dans le sillage d’Aristide Lapeyre et du groupe de Bordeaux, les provinciaux ! Ceux-ci, traditionnellement méfiants envers le “centralisme parisien”, formaient un groupe compact, “pourri” d’humanisme et où se sentait l’influence de Sébastien Faure, disparu pendant la tourmente.

Aristide Lapeyre était un élève de Sébastien Faure dont il apparaissait comme le légitime continuateur. C’était un homme qui inspirait le respect et avait ce qu’il convient d’appeler une présence. A cette époque où les mass-media n’en étaient encore qu’à leurs balbutiements et où la parole du conférencier était l’élément essentiel de la propagande, c’était un remarquable orateur, au langage travaillé, à la diction parfaite, et qui étonnait par la construction classique du discours. Il fut l’un des derniers à considérer la conférence comme une œuvre littéraire et à la traiter comme telle. Avant, pendant et après la guerre d’Espagne il avait fait preuve de courage chaque fois que l’occasion s’en était présentée. Il jouissait d’une réputation dans nos milieux qui s’étendait à l’échelle internationale, mais également parmi les militants des organisations qui, auprès de nous, menaient le combat sur le plan humaniste. J’ai eu pour lui une amitié qui ne se démentit pas, même si je l’ai toujours considéré comme un homme des anciens temps, égaré dans notre siècle ! Mon plus grand regret c’est de n’avoir pas pu, avant sa mort, enregistrer sa remarquable conférence sur Nietzsche. C’était un sage, reconnu par tous comme tel. Il combla bien des fossés qui séparaient cette cohue sympathique qui se rassemblait pour construire un monde nouveau. Mais sa propension à la “tolérance” lui fera commettre quelques erreurs.

Je ne décrirai pas les débats de ce congrès, je me réserve de le faire en son temps. Il suffit de savoir qu’ils furent houleux et qu’ils permirent à Fontenis de faire ses premiers pas sur le devant de la scène. Les délégués hurlaient, les orateurs gagnaient la tribune au pas de charge, le président, débordé, gesticulait pour se faire entendre car la sonorisation n’existait pas encore et seule une voix forte permettait de survoler le tumulte. Cette réunion des anarchistes rassemblés pour construire “une plate-forme raisonnable”, dont chacun rêvait, menaçait d’éclater ! C’est alors que nous nous réunîmes à trois, Oriol, Lapeyre et moi-même, pour construire une espèce de monstre, “le Mouvement libertaire”, qui ne devait vivre qu’une saison mais qui avait l’avantage de “geler” les problèmes. Il s’agissait de réunir sous ce chapeau trois groupes distincts destinés à collaborer : les anarcho-syndicalistes, les amis de Louvet et enfin la Fédération anarchiste chargée d’éditer “le Libertaire”, appuyée par Lapeyre, le groupe de Bordeaux et leurs amis de province. Pour proposer ce “chef-d’œuvre” et le faire accepter il fallait un homme neuf n’ayant pas participé aux querelles de l’avant et de l’après-guerre. Fontenis fut choisi, et il s’acquitta parfaitement de sa tâche avec sur les lèvres le souffle de l’innocence. Et c’est ainsi qu’il se trouva projeté parmi nous avec l’auréole du conciliateur.

Cependant ce congrès ne fut pas négatif. La commission administrative dont il se dota se composait de médecins, de professeurs, d’instituteurs, de fonctionnaires, d’artisans, d’ouvriers métallurgistes, de gars du bâtiment, et les femmes étaient nombreuses parmi eux. A l’annonce de cette liste, un murmure flatteur s’éleva de la salle, soulignant l’heureux équilibre de cet aréopage, prélude à une harmonie qui, hélas ! ne dura qu’un matin. Un autre événement marqua ces assises. L’absence de Bouyé, qui les avait préparées, fit une fâcheuse impression. Et au soir de la séance, à laquelle il n’avait pas voulu assister, redoutant les attaques de ses opposants, lorsqu’il reprocha aux “unitaires”, dont j’étais, d’avoir abandonné le projet d’une organisation plus structurée, des propos vifs furent échangés. En réalité, bien qu’un semblant d’unité fût indispensable pour démarrer, je savais où se trouvaient les militants susceptibles d’organiser solidement le Mouvement anarchiste ! Et, de fait, six mois plus tard, le groupe Louvet s’était volatilisé, les anarcho-syndicalistes ne se réveillèrent que lorsque la Fédération anarchiste se décida à les aider à constituer la C.N.T., et la Fédération anarchiste, avec son journal “le Libertaire”, sera le seul représentant sérieux de la pensée anarchiste. Le “Mouvement libertaire” n’avait vécu que l’espace d’un matin. Son seul mérite avait été d’éviter l’éclatement.

Ce fut au cours des débats très vifs qui suivirent l’attitude de Bouyé que je fis connaissance avec Maurice Laisant qui, par la suite, joua un rôle important dans notre organisation... surtout après la scission, au moment de la reconstruction de notre Fédération anarchiste détruite par Fontenis et son équipe.

Maurice Laisant appartenait lui aussi à une dynastie se réclamant d’un humanisme libertaire. A Asnières avec son frère, sa mère et quelques amis il formait un groupe qui avait joué un rôle appréciable dans le rassemblement des anarchistes à la fin de l’Occupation. Sa réflexion s’inscrivait dans la suite de celle de Sébastien Faure et d’Aristide Lapeyre. Son aspect physique correspondait assez à celui qu’on pouvait se faire d’un poète romantique échappé d’un salon où Elizabeth Duncan dansait et où on récitait des vers de Maurice Rostand autour de Rosemonde Gérard ! Je le classais tout de suite avec une pointe de malice que je regrette à chaque instant, bien sûr, dans la catégorie des anarchistes sentimentaux, qu’il ne faut pas confondre avec les anarchistes de luxe dont Bontemps fut la plus vivante illustration. Au premier abord, Maurice Laisant pouvait paraître frêle, mais cela trompait, car c’était un homme extrêmement résolu, tenace, un excellent orateur et une bonne plume. Son incompatibilité d’humeur avec Bouyé le rangera auprès de Louvet, qui ne le valait pas ! Il sera mon ami et il l’est resté, même si notre conception d’une organisation anarchiste est bien différente.

La conférence qui suivit ce congrès mit une dernière main à l’organisation de cette Fédération anarchiste et les militants dont je viens d’ébaucher quelques traits, Fontenis y compris en furent les maîtres d’œuvre... parmi d’autres, bien sûr.

On pourrait penser qu’un tel attelage ne durerait qu’un matin. Il dura six ans sans autres secousses que celles, inévitables, qui bousculent tout mouvement politique, allant cahin-caha, soutenu par le succès qui accompagna son lancement, succès dut à l’afflux de nouveaux membres issus de la Résistance, à la qualité de son journal, au travail des militants dont le mérite était certain mais qui bénéficièrent d’une situation qui ne dura pas. J’ai raconté ça dans mon livre “l’Anarchie et la vie quotidienne”, je n’y reviendrai pas.

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De 1945 à 1950, les années coulèrent, les congrès se succédèrent, amenant peu de changement dans ce que nous appelions pudiquement l’administration du mouvement, même si certains écorchés vifs n’en finissaient pas de brailler que nous étions devenus un “parti politique”, que notre journal était un “torchon” et que eux, s’ils avaient été choisis pour organiser la Fédération anarchiste, “on aurait vu ce qu’on aurait vu”. Il s’agit d’une situation qui caractérise les organisations anarchistes depuis les origines et peut-être même les organisations “tout court” ; pour ma part, je n’ai aucun espoir que ces conneries cessent un jour. Il faudra s’en accommoder comme un clou à sa fesse.

Pendant cette période relativement calme sur le front des déchirements intérieurs nous eûmes un, deux, trois, quatre jusqu’à cinq permanents qui se marchaient sur les pieds dans l’étroite boutique du quai de Valmy. Notre journal tirait entre vingt et trente mille exemplaires (pour la première fois de son histoire) avec des pointes pour l’affaire Gary Davis ou pour la grève Renault (cent mille). Le Tout-Paris anarchiste des lettres et des arts se ruait dans les fêtes organisées de main de maître par Suzy Chevet et où débutèrent Ferré, Brassens et quelques autres et qui remplissaient nos caisses. Je parcourais la France en tournées de propagande dont certaines durèrent un mois. Paul et Aristide Lapeyre, que je croisais parfois dans mes périples, faisaient de même. Enfin des groupes se multipliaient et disparaissaient à une cadence qui brassait profondément notre mouvement. A Paris nos meetings remplissaient la Mutualité, les Société savantes, Wagram. Nos traditionnelles engueulades sur le sexe des anges restaient bien au-dessous de celles qu’on avait connues dans le passé et qu’on connaîtrait plus tard. Non, décidément, rien ne se passait qui vaille la peine d’être conté, rien sinon quelques petites choses qui vont créer un climat d’où le drame va éclater !

Le second congrès de notre Fédération anarchiste se tint à Dijon en 1946. Il procéda à quelques retouches de l’administration. Bouyé, décidément en incompatibilité d’humeur avec la province, se retira de la commission administrative ; Louvet aussi, mais lui il n’avait jamais assisté à une séance. Disons que dans sa sagesse le congrès coupa l’omelette par les deux bouts ! Fontenis fut nommé secrétaire général, titre bien mérité par sa discrétion et sa tolérance. Vincey resta administrateur, et je fus désigné comme secrétaire à la propagande avec en charge “le Libertaire”. Je crois d’ailleurs que c’est cette année-là que Maurice Laisant entra au comité de lecture, un organisme que j’avais créé et que j’ai défendu âprement jusqu’à ce jour contre ceux, individualistes ou humanistes, qui voulaient le confier à un seul militant et faire du “Libertaire” une tribune libre où l’on alignerait les articles les uns après les autres dans l’ordre de leur arrivée (j’exagère à peine).

Le troisième congrès, qui se tint à Angers en 1947, ne modifia que peu de choses. Il m’est cependant resté à l’esprit ! C’est ce congrès, ou plutôt sa majorité composée d’artisans, de commerçants ou d’intellectuels, qui nous obligea, nous les ouvriers qui y étions opposés, à constituer la C.N.T., une fantaisie qui aurait pu nous coûter notre influence syndicale, réelle dans le pays. Notons pour mémoire que la rédaction de notre journal s’était considérablement enrichie de quelques noms somptueux : Prudhommeaux (Prunier), Leval (Lefranc), Mercier (Parsal), Lepoil, Armand Robin le poète et... Georges Brassens ! Disons pour la petite histoire qu’outre les articles syndicaux j’ai rédigé à peu près tous les éditoriaux pendant ces cinq années !

Le congrès suivant se tiendra à Lyon en 1948, et ses débats pittoresques, comme de coutume, ne créèrent pas plus de remous que les précédents. Une innovation cependant : la création d’une revue “la Revue anarchiste”, dont Fontenis fut le responsable. Elle réunit tous les anarchistes de luxe et eut aussi peu de succès que “Plus loin”, pour la raison évidente que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les congrès suivants, ceux de 1949 et de 1950, n’apportèrent aucune modification majeure à la routine traditionnelle, sinon peut-être qu’à la suite d’une série d’articles publiés par notre journal j’introduisis dans notre mouvement la notion de grève gestionnaire comme un des éléments de la transformation sociale. Des jeunesses anarchistes furent formées sous la direction de Fontenis et, peu après, un groupe d’autodéfense fut également fondé sous la direction de Fontenis. Oui, naturellement, les responsabilités de Fontenis s’étendaient : secrétaire de la Fédération anarchiste, responsable de la revue, des jeunes, du groupe d’autodéfense, ça faisait beaucoup, et seul le journal lui échappait alors. Que faisions-nous, direz-vous ? A vrai dire, pas grand-chose et, pour ma part, je savais bien que tous ces organismes remuaient beaucoup de vent. Et puis Fontenis était si serviable, si affable ; comme on le verra par la suite, il témoignait de la considération aux hommes qu’il lui était difficile d’écarter d’emblée.

C’est à cette époque que je découvris, grâce à un vieux militant anarchiste respecté dans nos milieux, Véran, qu’il y avait un flic parmi les quatre permanents de la boutique (je parlerai de cette affaire en son temps). Toutes les précautions furent prises, dont certaines relevaient du théâtre comique. C’est au congrès de Lille, en 1951, que les choses commencèrent à se gâter et que notre méfiance eut dû être éveillée ! Dans un geste à l’antique, Fontenis déclara ne pas vouloir être reconduit dans sa fonction de secrétaire général pour laisser la place aux jeunes ; je ne pus moins faire que de suivre un si noble exemple : j’abandonnais le secrétariat à la propagande et la responsabilité au journal par conséquent. Lui, Fontenis, et on le verra par la suite, n’abandonna rien du tout.

Il faut dire que ma quiétude, condamnable je le reconnais, reposait sur un groupe, le groupe Louise-Michel, qui était suffisamment nombreux et averti pour faire face à toutes les situations ; il le démontra par la suite. Un événement pourtant, que nous ignorions, allait toutefois précipiter les événements.
Au début de 1950 Fontenis avait créé une organisation, l’O.P.B. (Organisation pensée et bataille), véritable parti clandestin au sein de la Fédération anarchiste et destiné, nous expliqueront plus tard quelques “faux naïfs” qui, après avoir été exclus à leur tour, vendront la mèche, à transformer la Fédération anarchiste en une organisation de lutte de classes. Ce que, entre nous, elle n’avait jamais cessé d’être !

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L’O.P.B. n’eut jamais l’importance sur l’évolution de la Fédération anarchiste que des esprits intéressés lui attribuèrent plus tard. Elle comprenait une vingtaine de membres que j’ai bien connus et dont tous ne travaillaient pas dans le génie. L’impact de Fontenis sur ce mouvement composé en majorité de jeunes viendra d’autre part.

L’O.P.B. avait un relent quarante-huitard dans ses structures comme dans son projet. Ses membres étaient recrutés par cooptation. Ils étaient tenus au secret. L’organisation possédait ses propres statuts, percevait des cotisations, établissait un programme qu’elle s’efforçait de faire triompher dans nos congrès. Son projet immédiat consistait à pousser ses membres aux responsabilités qui existaient dans la Fédération anarchiste. Son but plus lointain : créer une organisation “communiste libertaire” où se mêleraient l’efficacité du matérialisme historique de Marx et l’esprit libertaire, même si ce projet théorique, qui n’était pas sans analogie avec la “plate-forme” des anarchistes russes, ne se décanta que plus tard. Son ossature fut composée par des militants du groupe Sacco-Vanzetti, devenu le groupe Kronstadt. La Berneri, mise au courant du projet, refusa de s’y associer tout en patronnant la politique inspirée par Fontenis. Le reste de l’O.P.B. fut recruté dans les groupes de la région parisienne constitués par Fontenis à partir du groupe de l’Est auxquels s’ajoutèrent quelques individualités de province. Ces groupes étaient squelettiques et à eux tous ils représentaient à peine la moitié du groupe Louise-Michel. Pourtant, malgré l’importance discutable de son “parti clandestin”, Fontenis va l’emporter au congrès de Bordeaux, et il ne le pourra que grâce à la naïveté des anarchistes humanistes et au climat insupportable que ceux-ci imposaient à la Fédération anarchiste et qui fatiguait tous les militants actifs à cette époque comme aujourd’hui, et peut-être, comme on le verra plus loin, grâce également au “prestige” qu’il conservait auprès de ceux qui voulait le limiter et dont il voulait se débarrasser !

Il y a toujours eu, dans notre mouvement libertaire, deux courants qui ne recoupaient pas exactement les trois grandes tendances classiques de l’anarchie. Un courant humaniste qui voulait rassembler tous les anarchistes dont les soucis étaient pédagogiques, moralistes, spiritualistes ! Il se répandait à travers une propagande orale ou écrite et la conférence fut son outil principal, et un autre courant qui voulait construire une organisation révolutionnaire qui soit le fer de lance d’une transformation sociale radicale. Le champ du premier de ces courants s’étendait de l’individualisme libertaire d’Armand jusqu’à un communisme libertaire sans ossature, défini par Sébastien Faure. L’autre partait de l’anarcho-syndicalisme jusqu’à un communisme libertaire inspiré de Bakounine et de l’anarchisme espagnol. En marge des trois tendances classiques de notre mouvement, l’histoire de l’anarchie est l’histoire des tiraillements entre humanistes et révolutionnaires, tiraillements qui ne recoupent pas exactement la ligne de partage de ces tendances en ce sens qu’un homme comme Vincey, individualiste convaincu, fut un partisan de l’organisation alors qu’un communiste libertaire tel Louvet y fut toujours hostile.

Nous avons vu qu’en 1945 les trois tendances de l’anarchie étaient reconstituées dans des organisations autonomes simplement chapeautées par le Mouvement libertaire. Mais la Fédération anarchiste, censée représenter l’expression communiste libertaire, recueillit naturellement les militants des deux autres courants pour lesquels l’unité de tous les anarchistes, la synthèse de Sébastien Faure, était le credo, et alors, comme par le passé, les distorsions propres à notre famille spirituelle chaque fois qu’elle est rassemblée éclatèrent !

A ses débuts et de façon à rassurer la “clientèle” qu’elle voulait séduire, l’O.P.B. ne réclamait rien d’autre que de faire triompher l’anarchisme révolutionnaire sur cet humanisme dont se réclamaient Lapeyre, Laisant, Arru et quelques autres. Sur cette base, et en dehors de l’action propre à son parti clandestin, Fontenis bénéficia de cette fatigue des militants et de cet énervement que provoquait dans nos milieux cet anarchisme de bons sentiments que les humanistes poussaient insidieusement sur le devant de la scène et dont la tarte à la crème était l’unanimité dans les congrès, le vote étant considéré par eux comme anti-anarchiste, alors qu’à cette époque, comme de nos jours d’ailleurs, toutes les organisations anarchistes qui, par le monde, ont une certaine assise avaient recours pour se départager à une consultation “appropriée”. Ils menaient cette politique avec un autoritarisme intellectuel qui était et qui est encore désagréable à nombre d’entre nous !

Pour que les choses soient claires, et je ne m’en suis jamais caché, je dois dire que si pour durcir l’organisation et la transformer en un parti anarchiste à sa dévotion dont il avait trouvé le canevas dans Bakounine, qui fut le promoteur de toutes les fractions de noyautage du mouvement ouvrier, Fontenis avait créé une organisation clandestine, les anarchistes humanistes avaient, eux aussi, leur groupe de pression ! Il ne s’agissait pas d’un groupe structuré destiné à expulser de la Fédération anarchiste ceux qui pensaient différemment qu’eux, mais d’un réseau de correspondance dans le pays qui aboutissait à des résultats identiques, c’est-à-dire à conditionner le congrès sur des propositions élaborées en dehors de lui (nous voyons encore ça de nos jours). Naturellement, on ne peut faire aucun rapprochement entre le but final que s’était fixé Fontenis et ces anarchistes humanistes, mais tous ces groupes de pression furent néfastes et à l’origine de toutes les scissions du mouvement libertaire.

Ni le groupe Louise-Michel ni moi-même nous nous sommes associés à de telles pratiques que je réprouve, et j’ai pu rappeler à mes amis anarchistes humanistes, dont la propension à jouer les “belles âmes” m’agaçait, que personne ne pourra publier de moi une lettre où je fais du racolage, où je me livre à un travail fractionnel et où je raconte des conneries sur des militants pensant autrement que moi ! Et si je ne mets pas sur le même plan l’O.P.B., organisation clandestine destinée à transformer la Fédération anarchiste en parti politique, et ce lobby épistolaire, je pense que l’un engendre naturellement l’autre et que tous deux, à des degrés différents, sont néfastes à l’organisation ! Je voudrais d’ailleurs faire remarquer à ce propos que si nos camarades de province se méfient du “centralisme parisien”, et souvent avec raison, sous prétexte d’être bien informés ils ont une tendance fâcheuse à adorer les ragots de toutes sortes dont les abreuvent généreusement leurs correspondants parisiens ! Et ils ont tort !

C’est cet état d’esprit qui fut celui du groupe Louise-Michel qui explique qu’au cours de cette année 1952 nous restâmes dans l’ignorance de ce qui se tramait et qui éclata au congrès de Bordeaux. Pour ceux qui préparaient ce congrès à travers une correspondance édifiante, dont le but était de ramener l’organisation vers la synthèse, nous étions des partisans, avec Fayolle et son groupe de Versailles, d’une organisation solide et structurée, et il était préférable de nous laisser en marge. Quant à Fontenis et l’O.P.B., ils savaient bien que nous ne nous laisserions jamais embarquer dans une formation quelconque destinée à jouer le rôle d’un parti.
Cependant, Fontenis avait une vue réaliste des forces en présence et il n’ignorait pas que le groupe Louise-Michel pèserait lourd dans le combat qu’il allait engager ; c’est un peu avant le congrès de Bordeaux qu’il essaya, à travers moi, de sonder nos intentions ; nous prîmes alors conscience du danger qui menaçait de faire éclater la Fédération anarchiste.
vroum
 

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1945-1953

Messagede vroum » 04 Mar 2009, 22:27

et la suite du premier article :

C’est peu de temps avant ce congrès de Bordeaux de 1952 que Fontenis me fixa rendez-vous dans le jardin des Buttes-Chaumont, sur un banc, dans une contre-allée, à l’abri des “regards torves” de l’adversaire potentiel. Fontenis allait trop au cinéma ! Je dois dire que si ce lieu de rencontre du plus pur style quarante-huitard me laissa perplexe, cependant je m’y rendis sans faire usage de mon manteau couleur de muraille et sans abaisser sur mes yeux le béret basque que je portais alors perché sur le haut de mon crâne. Quand je pense aujourd’hui à toutes ces conneries auxquelles se livrèrent des personnages qui avaient passé l’âge de jouer aux billes, je suis encore étonné de constater les ravages que peut faire la “clandestinité”, vue d’un fauteuil de l’Ambigu, sur un cerveau qui n’avait rien de génial mais auquel l’exercice de sa profession aurait dû conférer plus de mesure. Et c’est au cours de cette rencontre que j’entendis la première des deux propositions qui m’ont le plus étonné dans cette période tumultueuse de notre histoire. La première proposition ouvrit le conflit qui constitue proprement l’affaire Fontenis et dont ce que j’ai conté n’est que les prémices ; la seconde proposition que me fera un certain Breton, au nom du groupe Kronstadt, la clôturera...

Les discours de Fontenis n’étaient pas éclatants, ils étaient monocordes et étirés ! Celui qu’il me débita sur le banc du jardin des Buttes-Chaumont ne jurait en rien avec son style habituel ; pourtant je compris rapidement où il voulait en venir. Je vous le résumerai en quelques mots sans prendre à mon compte, naturellement, les allégations flatteuses ou injurieuses qu’il portait sur l’organisation et ses militants.

Pour Fontenis, la Fédération anarchiste dans ses structures actuelles avait fait son plein. Il fallait la transformer pour lui donner une organisation plus solide. Deux hommes étaient capables de le faire : lui et moi. Les autres ? Des phraseurs, des incapables, des nullistes ! Il fallait s’en débarrasser. Le mouvement devait avoir deux directions, une direction de formation intellectuelle que lui, Fontenis, se réservait, et une formation syndicale que je devais diriger moi-même. Il me couvrit alors d’éloges et couvrit nos autres camarades d’injures que je laisse au lecteur le soin l’imaginer !

Au moment où il tenait ce discours, l’O.P.B. était en place depuis plus d’un an, mais, comme le reste des militants de la Fédération anarchiste, je l’ignorais. Même si j’avais ma petite idée sur les éléments qui, dans la région parisienne, pouvaient l’appuyer, j’étais loin de supposer que Fontenis avait constitué une organisation clandestine destinée à s’emparer de notre mouvement. Je ne l’appris que plus tard, lorsque le groupe Kronstadt vendit la mèche. Mais, aujourd’hui, il est évident que cette démarche de Fontenis fut décidée par l’O.P.B. Celle-ci, qui avait un peu plus de jugeote que les militants de province, savait bien quelle était la force de notre groupe Louise-Michel et elle n’ignorait pas mes rapports avec le mouvement ouvrier dans tout le pays. Il s’agissait, c’est certain, de nous neutraliser en s’appuyant sur notre souci d’avoir une organisation solide et révolutionnaire. Et c’est lorsque je l’interrogeais sur le sort réservé à Lapeyre, Laisant, Vincey, Arru et quelques autres et sur la manière dont ils prendraient ce plan, qu’il me fit d’eux un portrait où ils auraient eu du chagrin à se reconnaître...

Je vous ai dit que je compris très vite ! Cependant je fis un instant l’âne pour avoir du son, réservant ma réponse, alléguant que je devais consulter mon groupe. J’ai eu alors l’impression de chuter brutalement dans l’estime de Fontenis. Consulter mon groupe, alors qu’il m’avait bien expliqué que dans je mouvement, à part lui et moi !... Les Buttes-Chaumont sont à deux pas du quai de Valmy ; c’est au bistro du coin, qui était l’annexe de notre siège, vers lequel nous nous étions dirigés en débitant des banalités d’usage pour y boire sans conviction le verre qui clôture ces sortes de discussions, que les “autres”, qui attendaient dans le local, vinrent nous rejoindre. Je compris tout de suite que notre entretien confidentiel entre Fontenis et moi n’était pas si confidentiel qu’il avait bien voulu le dire et que cela faisait parti d’un plan mûrement réfléchi. Il y avait parmi eux... mais pourquoi donner un nom à ces personnages falots qui, depuis, ont disparu des milieux ouvriers? Notre silence était éloquent. Ils nous pressèrent de questions, certains d’entre eux élevaient la voix, je m’énervais. Je n’ai pas besoin d’insister ! En quelques mots et en employant un vocabulaire que j’ai hérité de mon enfance, dont je n’ai jamais pu me débarrasser entièrement et qui, à certains instants, me remonte à la tête comme une bouffée de vin nouveau, je les informais que nous ne laisserions pas exclure de la Fédération anarchiste des hommes avec lesquels nous n’étions pas d’accord, mais qui étaient de nos amis !

Nous en restâmes là ! Je prévins les militants des projets de Fontenis et ils n’en tinrent pas plus compte que de la révélation que je leur avais faite au congrès de Paris de 1950 sur la présence d’un flic parmi les permanents du quai de Valmy. Fontenis, lui, avait compris ! Pour que la voie soit libre il fallait d’abord se débarrasser du groupe Louise-Michel et de Joyeux. C’est à quoi il s’employa après le congrès de Bordeaux et sans que ça soulève beaucoup d’émotion parmi nos bons amis anarchistes humanistes. Mais n’anticipons pas et venons-en à ce congrès de Bordeaux où tout se décanta et qui fut une véritable journée des dupes.

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En 1952, malgré une propagande suivie, dont j’ai tracé les grandes lignes dans mon livre “l’Anarchie et la vie quotidienne”, la Fédération anarchiste avait maigri, et le reflux qui suit toutes les poussées de pointe des après-guerres se faisait sentir. En général, et à cette époque-là, on désignait les responsables de la Fédération anarchiste à la suite de débats qui définissaient des courants, non pas sur l’anarchie inaliénable dans ses principes, mais sur les moyens de la répandre ! Les anarchistes humanistes n’ont jamais rien voulu comprendre de cette différence fondamentale, et ils portent une part de responsabilité sur l’inefficacité de notre propagande parmi la population. Confortés par les liens et une certaine homogénéité qu’ils avaient établis entre eux grâce à une correspondance fournie, ils venaient au congrès de Bordeaux avec l’intention d’imposer la règle de l’unanimité et bien décidés à ne prendre part à aucun vote. Oui, mais voilà, les statuts de la Fédération anarchiste prévoyaient la consultation et pour transformer ces statuts il leur aurait fallu l’accord de tous. Aristide Lapeyre nous fit un beau discours, mais cet accord, il leur fut impossible de l’obtenir. Fontenis, renseigné sur ce mini-complot qui se tramait par des gens qui, notamment à Toulouse, avaient un pied dans chaque camp, avait préparé une liste de militants dont les principaux appartenaient à l’O.P.B.. Ce conflit nous surprit. Avec les camarades du groupe, qui étaient nombreux au congrès, nous confectionnâmes rapidement une autre liste à opposer à celle de l’O.P.B. Lapeyre, Laisant et leurs amis refusèrent de voter, nous fûmes battus. Et c’est ainsi qu’en un tour de main et grâce au “génie” politique des anarchistes de province, renforcés par le groupe d’Asnières, Fontenis s’empara sans coup férir, en passant, du siège de l’organisation, de son journal, des œuvres et des responsabilités. Il est vrai qu’à la suite de tractations et en échange de leur veulerie, ils réussirent à placer, parmi les cinq permanents, un des leurs, Etienne, un homme estimable, qui ne faisait pas le poids et qui, après avoir servi d’alibi à Fontenis et à sa clique, sera éjecté et disparaîtra de nos milieux. Je voudrais dire pour la petite histoire que le groupe Louise-Michel, qui fut le seul à Bordeaux à s’opposer aux méthodes de Fontenis, obtint quarante voix, les seules voix du groupe, contre quatre-vingts à l’O.P.B. qui se réclamait de multiples groupes bidons. On peut dire que la naïveté et la jobardise des militants qui se réclamaient de la synthèse furent à l’origine des malheurs qui frappèrent la Fédération anarchiste par la suite. Mais alors se pose la question : pourquoi ?

Il y a toujours eu beaucoup de légèreté, une volonté évidente de refuser de regarder les choses en face chez les partisans de la synthèse ; mais enfin il y avait parmi eux des têtes solides, et Aristide et Paul Lapeyre étaient de celles-là. Et eux qui connaissaient Etienne mieux que quiconque ne pouvaient penser un instant qu’il arriverait à maintenir le mouvement dans son axe. Pensaient-ils être renseignés suffisamment à temps pour pouvoir intervenir ? Alors ils se trompèrent, comme nous le verrons par la suite. En vérité, il faut chercher la raison de leur attitude autre part.

Je rappelle qu’à cette époque l’existence de l’O.P.B. était ignorée de tous, et la province mettait tous les groupes de Paris, à part le groupe d’Asnières, dans le même sac ! Moi-même et le groupe Louise-Michel étions assimilés théoriquement au groupe de Fontenis. Bien sûr, en quelques occasions nous avions maintenu l’unité du mouvement, mais leur informateur parisien, acharné comme Louvet et quelques autres à créer la synthèse, les gavaient de renseignements tendancieux, mettant dans le même sac tous ceux qui voulaient maintenir un esprit révolutionnaire à l’organisation. Pour eux, la querelle Fontenis-Joyeux était une querelle de gens qui pensaient à peu près la même chose sur l’anarchisme révolutionnaire et n’étaient séparés, que par des querelles de personnes.

Croyez bien que si la province avait eu le moindre soupçon de l’existence de l’O.P.B. elle nous en aurait attribué la fondation autant qu’à Fontenis et consort. Qui donc a dit que le seigneur rend aveugles ceux qu’il veut perdre ?

Mais un autre élément jouait. En province comme à Paris les anarchistes humanistes préféraient Fontenis et le groupe Kronstadt au groupe Louise-Michel ! Parmi les groupes de la Fédération anarchiste, il existait depuis toujours un peu de jalousie envers le groupe Louise-Michel ! C’était un groupe nombreux, composé d’ouvriers cultivés ayant beaucoup lu et possédant pour la plupart des responsabilités syndicales. Ils étaient bien différents de ces personnages à diplômes qui meurent intellectuellement sitôt sortis de l’école. Un groupe qui avait fourni et fournira par la suite de nombreux militants à l’organisation de la Fédération et de son journal. Cependant les parchemins que possédaient les militants du groupe Kronstadt faisaient sensation, et Fontenis était instituteur ! Voilà ce qui donnait l’aura à Fontenis et à ses amis auprès des anarchistes humanistes de province et de la région parisienne ! Phénomène dû non seulement au manque de culture générale mais aussi de connaissance de nos théoriciens. Seule une “charité” qui n’a rien de chrétienne me retient de dire certaines vérités à quelques anarchistes qui critiquent les uns ou les autres à partir de la foi du charbonnier, et qu’il y a autre chose à apprendre dans nos milieux que “Les douze preuves de l’inexistence de Dieu”.

A partir de l’instant où les groupes partisans de la synthèse attribuaient au groupe Louise-Michel une vue de l’organisation révolutionnaire comparable à celle qu’affichaient Fontenis et ses amis de Kronstadt, il était évident qu’ils marqueraient une confiance à ceux-là, “car eux ils ont de la culture”, me dira gentiment un couple de crétins de la région toulonnaise !

On a vu, et on verra, que les hommes de l’O.P.B. avaient une vision plus sérieuse du rapport des forces dans notre mouvement, et ce réalisme va orienter les attaques contre ceux dont ils ont décidé de se débarrasser !

Le congrès de Bordeaux s’était déroulé à la fin de l’année 1952. C’est au cours de l’année 1953 que Fontenis va se débarrasser, les uns après les autres, de tous ses opposants en se servant naturellement de l’O.P.B. mais surtout de son charme, qui fascinait certains de nos pseudo-intellectuels !

En réalité, les manœuvres de Fontenis comme la faiblesse des anarchistes de bons sentiments au congrès de Bordeaux m’avaient ouvert les yeux. Je sentais qu’on en était venu à un point de rupture ! Dès mon retour à Paris je cessais toute collaboration au “Libertaire” dont je faisais encore, avant le congrès, tous les éditoriaux ! Je n’ignorais pas que la disparition de ma signature provoquerait des commentaires et poserait des problèmes à la nouvelle direction de la Fédération anarchiste. Et, de fait, pris au dépourvu, Fontenis chargea Etienne de faire des démarches auprès de moi pour me faire revenir sur ma décision.

Il faut convenir, en toute honnêteté, qu’Etienne joua parfaitement la partition que chacun attendait de lui ! Il essaya de me ramener au journal, jouant son rôle modérateur et par conséquent servant d’alibi à Fontenis qui protestera de sa bonne foi ! Sans le vouloir il prépara mon exclusion et celles qui suivirent, avant d’être éjecté à son tour, à moins qu’il ne soit parti de lui-même après le congrès de Paris de 1953, ce qui est sans importance. Etienne, magnifique exemple de cet enfer qu’on dit pavé de bonnes intentions !

L’opération qui aboutit à mon exclusion puis à celle du groupe Louise-Michel fut un chef-d’œuvre de doigté, conduit avec une roublardise qui force l’admiration et me fait encore sourire lorsque je l’évoque !

Au début de l’année 1953, Jean-Philippe Martin, un vieux camarade que chacun connaît, se rendit au siège pour payer les cotisations de l’année précédente et retirer les cartes et les timbres ! Oui, à cette époque, nous avions des cartes et des timbres ! Nous n’étions pas les seuls ! Je sais qu’aujourd’hui parler de cartes provoque l’horreur chez les âmes pures de l’anarchie ! On se demande pourquoi. Je n’ai pour ma part rien lu de nos principes qui s’y opposent. On peut penser que cette méthode d’organisation est pratique, on peut la juger dangereuse, mais mêler l’anarchie à cette question d’intendance est ridicule, comme sont ridicules les propos péremptoires de ces militants qui cachent leur ignorance derrière des considérations définitives sur le sexe des anges.

Lorsque Martin se présenta au siège de la Fédération anarchiste pour retirer nos cartes (nous étions alors quarante au groupe, le seul de la région à ne pas être squelettique), Joulin, le trésorier, lui déclara qu’il ne lui en donnerait que 39, car ayant refusé de collaborer au “Libertaire” je me trouvais exclu de la Fédération anarchiste. Martin, naturellement, puis le groupe refusèrent de payer les cotisations et de prendre les cartes si on me refusait la mienne ! Ça va de soi ? Pas pour tout le monde ! C’est ce qui permit à Lagant, qui était l’homme à tout faire de Fontenis, de proclamer que nous n’avions pas été exclus mais que nous avions refusé de payer nos cotisations ! Magnifique, vous ne trouvez pas ? Etienne confirma et chacun de ces braves gens de notre organisation qui, par la suite, seront vidés sans douceur, furent persuadés, ou voulurent se persuader, que nous étions dans notre tort. Et je vis les uns après les autres mes “amis” venir dans ma libraire “Au château des brouillards” pour me faire de la morale.

Ce fut d’abord Maurice Laisant. Il me reprocha vertueusement de ne plus écrire dans le journal, et ponctua sa réprobation en m’informant que j’étais “envahissant”. Puis Vincey lui succéda avant que je ne reçoive la visite plus inattendue de Fayolle. Eh oui ! le charme de Fontenis jouait encore auprès de Laisant et de ses amis, et ses positions “révolutionnaires” jouaient aussi auprès de Fayolle. Je les accueillis sans tendresse, je ne pensais plus les revoir de sitôt ! Je me trompais, j’allais les revoir bientôt, l’oreille basse !

Le groupe prit cette exclusion avec philosophie. Il possédait alors des amis dans tous les milieux, ceux du cinéma, de la presse, de la littérature, du spectacle, du mouvement syndical, etc. Son gala du Moulin de la Galette lui assurait une trésorerie sans histoire. Il eût pu, s’il l’avait voulu, avoir son propre journal ! Ses meetings remplissaient les salles, et partout en France, dans les groupes ou en dehors, il possédait de nombreuses sympathies parmi les militants qui se réclamaient de la révolution sociale. On lui reprochait, à tort, d’être un Etat dans l’Etat !

Les semaines passèrent ! C’est, je crois, au début du printemps que je vis de nouveau arriver à ma librairie, mais ensemble cette fois, Laisant, Vincey et Fayolle ! Leur mine n’était pas superbe. Fontenis, encouragé par les résultats brillants de sa stratégie, venait de récidiver ! Parbleu ! En excluant Aristide Lapeyre comme il m’avait exclu, sur je ne sais quels propos que celui-ci avait tenus au cours d’une réunion, il espérait, le bougre, que le groupe de Bordeaux, suivant l’exemple du groupe Louise-Michel, se retirerait, ce qui lui éviterait de le mettre à la porte ! L’histoire ne dit pas si Etienne, qui était l’ami de Lapeyre, approuva. Mais Laisant et ses amis cette fois s’indignèrent ! Moi pas ! Et je reçus cette nouvelle qu’on m’annonçait comme une catastrophe avec un sourire en coin... que je crois inutile de vous décrire. Le groupe de l’Est, lui aussi, avait congédié Vincey, et Joulin, encore lui, avait refusé leurs timbres à Fayolle et à ses amis du groupe de Versailles. Décidément c’était le grand nettoyage. Laisant, lui, sera oublié et s’en ira de lui-même ! Après avoir fait part de mes sentiments profonds à mes camarades et analysé leur comportement sans inutiles gentillesses, je leur fis emprunter cet escalier en colimaçon qui permettait d’accéder à mon appartement. C’est là que pendant deux ans nous prendrons les mesures nécessaires pour mettre fin à la dictature que Fontenis exerçait sur la Fédération anarchiste.

Oui, ce que je viens de vous conter relève de l’anecdote... mais enfin, pas tellement !


Ces exclusions vont faire du bruit. A Bordeaux, Paul et Aristide Lapeyre, qui ne sont pas des rêveurs, vont réagir avec rapidité. Dès le mois de mai, ils organisèrent à Bordeaux un congrès de tous les anarchistes de leur région où l’équipe déléguée par Fontenis pour apporter la bonne parole se retira en désordre. A Paris, tout le mouvement anarchiste qui était resté en marge de la Fédération comprit le danger qui la menaçait. Et, spontanément, les anarcho-syndicalistes et les individualistes vinrent nous apporter un concours qui sera précieux. Des hommes comme Vincey, Leron, Guillot et sa compagne, de purs individualistes, adhéreront au groupe Louise-Michel... j’ai bien dit au groupe Louise-Michel réputé pour la solidité de son organisation et non pas à un quelconque groupe anarchiste humaniste réputé, plus près d’eux ! Les individualistes sont parfois insupportables, mais ils ont du bon sens et cette fois encore ils en feront la preuve. Certains d’entre eux, comme Vincey, resteront au groupe jusqu’à leur mort, d’autres, comme Leron, en seront écartés par la maladie, enfin quelques-uns, comme Guillot, supportèrent mal nos méthodes de travail. Ils se retireront non pas pour aller dans un groupe anarchiste humaniste, mais pour rejoindre Armand.

Je m’excuse si je cède encore une fois à ma manie des portraits, mais je voudrais laisser un crayon de Leron qui fut mon ami.

Leron était un homme d’une extrême intelligence et d’une culture rare dans nos milieux, car elle touchait à tous les sujets. C’était un homme massif dont l’aspect était analogue à celui de Hem Day, qui était son ami et avec lequel il avait beaucoup de points communs. C’était un conférencier intéressant, mais surtout un causeur prodigieux. Il passa, avec quelques autres, Lorulot par exemple, des heures dans ma libraire à me raconter l’histoire du mouvement anarchiste du début du siècle, qu’ils avaient vécue. J’aimais beaucoup Leron et j’avais pour lui une estime que notre vision différente des choses n’a jamais altérée. Naturellement, dans l’histoire, seuls les orateurs et les écrivains connus restent dans les mémoires, et des hommes comme Vincey ou Leron passeront sans laisser de traces. C’est parfaitement injuste, et pour ceux qui furent de mes amis je ferai ce qu’il faut pour qu’il en soit autrement.

Mais dans les moments difficiles, si on retrouve les amis on retrouve aussi les autres ! Naturellement, Louvet, bien oublié, essayera de refaire surface. Entouré de quelques ahuris, il provoqua un réunion au Mans, où il créa une Entente anarchiste à laquelle personne n’adhéra et qui n’eut aucune influence sur le cours des événements. Pourtant, un “historien qui nous veut du bien” s’empressa de monter en épingle cette initiative qui, comme toutes celles où sera mêlé Louvet, foirera. Lecoin, lui aussi tenu à l’écart lors de la constitution de la Fédération anarchiste en 1945 et qui, suivant son habitude, était venu rôder autour de Fontenis afin de l’utiliser, sentit le vent et essaya de mettre la main sur notre journal “le Monde libertaire”, dès que celui-ci parut ! Mais là, je me fâchais !

Le groupe Louise-Michel et le groupe de Bordeaux exclus, d’autres groupes qui se solidarisaient avec eux démissionnèrent. Fontenis va alors essayer d’affirmer son emprise. Cependant, au congrès de Paris en 1953, qui se déroula devant une maigre assistance et en l’absence de tous ceux qui avaient fondé l’organisation, il va connaître ses premiers ennuis. De nombreuses questions lui furent posées à propos du groupe Louise-Michel qu’il était difficile d’accuser de “verbeux”, “vaseux” ou “nulliste”. Une fois la “victoire” obtenue, il va lui falloir la partager avec le groupe Kronstadt et, tels des larrons après leurs larcins, ils vont commencer à s’écharper. C’est alors qu’il va faire la première des idioties monumentales qui le conduiront à sa perte. A une faible majorité il va obliger le congrès à changer le titre de l’organisation qui, de Fédération anarchiste, deviendra Fédération communiste libertaire. Pour ma part je n’arrive pas à comprendre comment cet homme réputé intelligent a pu faire une pareille sottise. Il est vrai qu’au royaume des aveugles les borgnes, etc. Je veux livrer un secret aux petits malins, à la condition naturellement qu’ils ne le répètent à personne : pour être crédible le titre de notre organisation doit comporter obligatoirement le mot “anarchiste”, et celui de notre journal le mot “libertaire”. Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais c’est ainsi ! Consultez les titres des organisations anarchistes ou des journaux qui ont réussi et ceux qui se sont cassés la margoulette, et concluez. Changez les mots et regardez la fortune dans l’histoire d’un journal s’appelant “l’anarchie” et d’une Fédération s’appelant la Fédération libertaire et, de nouveau, concluez.

Les bêtises sont faites pour être exploitées. Nous sauterons sur l’aubaine et, à la fin de l’année 1953, nous constituerons une nouvelle Fédération anarchiste, celle qui existe encore aujourd’hui. Son siège sera installé dans ma librairie, “Au, château des brouillards”, sur la butte Montmartre, au cœur du fief du groupe libertaire Louise-Michel ! C’est dans cette librairie que furent élaborés les accords qui aboutirent à la fondation de l’Association pour l’étude et la diffusion des philosophies rationalistes qui, par la suite, fit couler beaucoup d’encre ! C’est là encore que s’installa “le Monde libertaire” avant qu’Alexandre, un ami de Sébastien Faure qui était devenu le mien, me prêtât un million de francs de l’époque, ce qui nous permit de nous installer rue Ternaux où nous sommes encore !

L’équipe initiale, celle des exclus, s’était grossie de nouveaux éléments dont certains la vivifièrent et d’autres l’alourdirent. Cette année-là, le gala du groupe au Moulin de la Galette fut un succès triomphal qui permit de grossir les caisses d’une Fédération encore un peu pâlotte. A la porte de la salle s’entassaient des sacs de militants des Auberges de la jeunesse qui s’envolèrent après le spectacle vers le plein air ; et parmi eux : Keravis, Lanen et quelques autres qui appuyaient nos efforts et dont certains viendront parmi nous. Dans la salle où Ferré chantait on remarquait André Breton, Benjamin Péret, les frères Prévert, Chavance et une pléiade de jeunes écrivains qui se feront un nom et qui illustreront la dernière page, la page littéraire des premiers numéros du “Monde libertaire” !

L’année 1953, l’année où la Fédération anarchiste se reconstitua, fut une année de réflexion. L’année 1954, qui fut l’année de la parution du Monde libertaire fut une année décisive, et le fameux groupe d’autodéfense de l’O.P.B, ne pesa pas lourd devant les militants du groupe Louise-Michel appuyés par quelques autres qui ne furent jamais nombreux !

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Une série d’événements vont se dérouler au cours de l’année 1954. Ils vont provoquer l’affaiblissement progressif de la Fédération communiste libertaire de Fontenis. Celui-ci va commettre faute sur faute tant à l’intérieur de son organisation que dans la lutte de prestige qui l’opposait à nous ! Le changement du titre de la Fédération et la rivalité qui le dressa contre le groupe Kronstadt, le seul groupe qui pût soutenir la comparaison avec le groupe Louise-Michel, va disloquer l’O.P.B. Il entama alors contre ce groupe une procédure d’exclusion qui se traîna toute l’année. Conscient de la situation difficile où il se trouvait, il organisa, avec l’aide de quelques personnages qui impulsaient la C.N.T. espagnole en exil, une réunion pour justifier sa conduite. Ce sera son premier échec.

A Paris, la politique de la C.N.T. espagnole en exil envers la Fédération anarchiste fut constante. Tous ses efforts consistèrent à imposer à notre organisation des structures comparables aux siennes et qui ne s’adaptaient pas aux coutumes et à l’histoire de notre mouvement ouvrier. Elle joua ce rôle, néfaste pour nous comme pour elle, et qui entretint une tension perpétuelle entre nous, en se servant de militants téléguidés favorables à sa politique. Bouyé avait été de ceux-là, Fontenis lui succéda avant que Malouvier et quelques autres prennent la suite. Je m’étais toujours élevé contre des méthodes qui n’étaient pas sans analogies avec celles du parti communiste russe envers les autres partis communistes. Et j’avais provoqué le départ de notre commission administrative d’un responsable espagnol, Bemardo Pou, qui y siégeait sans contrepartie, et qui entendait nous dicter sa loi ! Le vent de l’histoire tournait, Fontenis était de plus en plus remis en question dans nos milieux. Avant de le lâcher, ce qu’ils firent par la suite, les personnages qui s’étaient servis de lui voulaient savoir où il en était. C’est pourquoi ils s’étaient prêtés à l’organisation dans leur local parisien de cette réunion où tous les anarchistes se pressaient !

Pour la première fois Fontenis montra son vrai visage à un public anarchiste averti : celui d’un homme qui, cédant aux modes de l’époque, avait remplacé le fédéralisme libertaire par le matérialisme dialectique cher à monsieur Marx et à ses épigones ! La salle était houleuse, des militants du groupe Kronstadt présents dans la salle apportèrent la contradiction à ce personnage qu’ils avaient tenu sur les fonts baptismaux. Pour moi, je ne lui fis pas de cadeaux, comme vous le pensez bien ! Cette réunion fut extrêmement positive, car les militants espagnols parmi lesquels je comptais et je compte encore de multiples amis obligèrent leurs dirigeants à lâcher Fontenis. Ceux-ci le firent, nous le verrons plus tard, avec répugnance !

C’est en septembre de la même année que nous créâmes “le Monde libertaire” et, avec sa diligence habituelle, Suzy Chevet organisa à la date traditionnelle du 11 novembre, à la Mutualité, un grand gala. C’est alors que Fontenis tenta le tout pour le tout ! Il va commettre sa seconde erreur, capitale cette fois. Afin de concurrencer notre fête il organisa le lendemain, dans la même salle, le gala de sa Fédération. Il voulait l’épreuve de force, il l’eut et il la perdit. Nous couvrimes les murs de la capitale et de sa banlieue de nos affiches. Des équipes sillonnèrent les rues pour les protéger. Les militants des Auberges de la jeunesse parcouraient les quartiers à moto. Ce n’est pas sans attendrissement que nous vîmes arriver au “Château des brouillards”, qui servait de point de ralliement, Maurice Laisant dont chacun connaît les sentiments pacifistes, et qui me rejoignait avec dans sa deux-chevaux une collection de manches de pioche prêts à être utilisés. Le groupe d’autodéfense, lui, resta invisible. Il est vrai que le groupe Louise-Michel avait la réputation de ne pas rigoler lorsque la situation le commandait. Et cette réputation était justifiée ! Les Parisiens étaient invités à choisir. Ils choisirent ! Le jeudi 11 novembre, la salle de la Mutualité était pleine à craquer et des gens faisaient la queue dehors pour entendre chanter Brassens et écouter le discours d’Aristide Lapeyre que nous avions fait venir de Bordeaux. Le lendemain, la salle de la Mutualité était vide pour soutenir Fontenis et son équipe. Pour son chef glorieux ce fut le commencement de la fin !

La Fédération anarchiste que nous avions reconstituée s’élargissait, son journal se vendait convenablement. A la fin de l’année nous organisâmes une réunion d’éclaircissement à la salle des Sociétés savantes. Fontenis vint pour faire du tapage. Mais le groupe d’autodéfense de l’O.P.B. n’était toujours pas au point et Joulin sortit de l’aventure avec un superbe cocard dont le gratifièrent nos camarades d’Alfortville qui, Devriendt en tête, venaient de nous rejoindre. Dans “le Monde libertaire” je rédigeais une sévère mise en garde dans un style qui m’est propre et que tous les responsables signèrent. Fontenis et ses amis la prirent au sérieux et nous pûmes tranquillement reconstruire la Fédération anarchiste. Enfin, c’est également en fin de cette année 1954 que parut le manifeste de Kronstadt dont je vous ai entretenu tout au long de ce texte.

Fontenis va traîner encore une année, accumulant idioties sur idioties ! Pour remonter le courant, ressaisir au moins les sympathisants qu’il sent lui échapper, il va faire appel à deux vieux débris de la politique politicienne vomis par leur parti et qui essayent de se maintenir à la surface, de durer un peu plus ! Ce sont Messali Hadj, que la révolution algérienne a rejeté, et André Marty que le parti communiste vient d’exclure. Ces deux recrues de choix qui se traînaient lamentablement et dont l’un, Marty, était surnommé par les révolutionnaires espagnols le boucher d’Albacète, soulevèrent l’indignation dans tous les milieux libertaires et, pour arranger les choses, je m’empressais de leur consacrer un article dans “le Monde libertaire”.

En 1955, alors que nous tenions le premier congrès de notre Fédération depuis sa reconstruction, à la Maison-Verte, au cœur de Montmartre, à deux pas du siège de notre groupe, Fontenis vint rôder autour de la salle. Pour écouter les propos tenus à ce congrès, il délégua un de ses acolytes qui, passant par les coulisses, vint coller son oreille au rideau. C’est là que je le débusquai et le reconduisis à la sortie à coups de pieds au cul ! Fontenis c’est fini ? Pas encore ! Les premiers jours de janvier, des élections générales ont lieu dans le pays. Le bougre va tenter un dernier effort. Avec les quelques fidèles qui lui restent, il participe aux élections. Il annonce “la bonne nouvelle” dans son journal par un article qu’il intitule : “La Fédération communiste libertaire entre dans la lutte”. Je répondis par un article dans “le Monde libertaire” : “La Fédération communiste libertaire entre dans la merde”. Ce fut le glas ! Fontenis, son organisation et son journal vont disparaître, emportant dans la débâcle le patrimoine péniblement amassé par les cotisations et les souscriptions. Tout ce qui avait été notre librairie du quai de Valmy, ses livres, ses machines, son mobilier, sera dispersé à l’encan ! L’aventure Fontenis nous aura coûté cher ! Un million de francs de l’époque, l’argent que me donna Alexandre pour que nous montions le siège de la rue Ternaux.

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Le groupe Kronstadt publia son manifeste à la fin de l’année 54 pour dénoncer l’O.P.B. à laquelle trois d’entre eux avaient collaboré et dont la Berneri connaissait l’existence ! Ce manifeste fut certainement utile, encore que, lorsqu’il parvint à notre connaissance, l’équipe de Fontenis était pratiquement liquidée. Les rivalités intérieures dont il nous informa nous aidèrent à comprendre les événements auxquels nous avions mis un terme, sans plus ! Il nous révéla les noms de ceux qui appartinrent à cette organisation secrète ; ce fut son seul mérite véritable, car cela nous permit de refouler impitoyablement de la Fédération anarchiste des personnages qui tentèrent de s’y recycler. Parmi ces noms ceux d’Emery et de Blanchard, des ouvriers, des braves types qui étaient mes amis et qui se laissèrent embarquer dans cette histoire idiote. Je les revis plus tard à ma libraire et ils me racontèrent leur aventure avec une tonalité différente de celle du manifeste de Kronstadt, dont les rédacteurs s’attendaient sans doute à de la reconnaissance de notre part pour avoir vendu la mèche lorsque l’instant fut venu de se déchiqueter au moment de partager nos dépouilles !

Les membres de l’O.P.B. étaient des militants parisiens auxquels étaient adjoints des correspondants de province. Parmi eux, Bader, un ami marseillais ! C’était un garçon intelligent, capable, ayant le sens de l’organisation. Il venait du Mouvement de l’abondance. Je le verrai au “Château des brouillards”, et c’est le cœur serré que j’apprendrai comment il fut engagé dans cette aventure. Pour ceux de province qui n’étaient pas dans le secret des dieux, et qui réclamaient à chaque congrès le retour du groupe Louise-Michel, ils ne désiraient pas autre chose que d’imposer une ligne révolutionnaire à une Fédération anarchiste qui risquait de devenir une église où l’on se contenterait de réciter des litanies quotidiennes. Bader resta mon ami jusqu’à sa mort prématurée. Nous ne le réintégrâmes pas parmi nous, car nous aurions ouvert la voie dans laquelle se seraient engouffrés d’autres qui ne le valaient pas. Il continua à militer au sein du groupe de Marseille sans en être membre officiellement, et tout le monde ferma les yeux.

Mais je ne vous aurai rien dit qui puisse vous donner une idée exacte de ce qu’était le groupe Kronstadt si je ne vous contais pas la proposition que celui-ci me fit et qui clôtura cette affaire Fontenis qui s’était ouverte par l’entrevue des Buttes-Chaumont ! C’est au début de l’année 1955, alors que le manifeste qu’ils avaient rédigé venait de paraître et qui était abondamment commenté dans nos milieux, que je reçus la visite de deux membres du groupe Kronstadt ! Je les vis en présence de Martin, au “Château des brouillards”, naturellement. Je vous résumerai en quelques mots le discours édifiant qu’ils me tinrent !

Pour eux, la Fédération de Fontenis était moribonde et les “nullistes” incapables de reconstruire un mouvement solide. Seul le groupe Louise-Michel et le groupe Kronstadt pouvaient le faire. Il fallait se débarrasser des autres ! Et ils se répandirent sur nos amis anarchistes humanistes en propos qui les auraient chagrinés s’ils les avaient connus et qui ressemblaient singulièrement à ceux que Fontenis m’avaient tenus quatre ans auparavant !

Naturellement je les mis à la porte ! Et ainsi se referma une parenthèse ouverte par Fontenis aux Buttes-Chaumont. Je n’ai aucune sympathie pour les militants de ce groupe Kronstadt qui, tels des rats, quittèrent le rafiot au moment où celui-ci faisait eau de toutes parts. Ce dernier trait montre bien que sur le fond ces personnages avaient la même démarche intellectuelle que les membres de l’O.P.B. Je rappelle pour la petite histoire que l’un de mes deux visiteurs, un nommé Breton, finit sa carrière comme candidat P.S.U., à une élection à Grenoble ! Le reste de cette équipe à laquelle s’ajouta quelques ralliés de dernière heure, du type Lagant, se regroupa autour d’un journal, “Noir et Rouge”, qui fut loin d’avoir les mérites que lui attribuèrent certains politiciens gauchistes. Il fut le creuset d’où émergea le fameux pâté d’alouette, une alouette libertaire et un cheval marxiste, dont le plus beau fleuron sera Cohn-Bendit et dont nous mettrons dix ans à nous débarrasser. Mais j’en parlerai plus longuement à l’occasion. Reste Fontenis.

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Pendant de longues années on va parler de Fontenis dans nos milieux. Il deviendra le grand méchant loup, celui d’où vient tout le mal ! Attitude commode permettant de masquer nos propres erreurs et qui sert encore de nos jours à justifier des événements qui n’ont rien à voir avec cette aventure. Le problème que posait Fontenis ne fut abordé qu’une seule fois au cours d’un congrès à Angers, bien des années plus tard. A l’abri de quelques universitaires qui avaient formé un groupe dans la région de Tours, le bougre tentait de se réintroduire dans nos milieux.

Je ne me rappelle plus pour quelles raisons le congrès décida de mettre à l’ordre du jour l’affaire Fontenis. Ce que je sais, c’est que toutes les hypothèses furent envisagées. Pour les uns, Fontenis était un sous-marin délégué parmi nous par un parti politique marxiste communiste ou trotskiste ; pour d’autres, c’était un flic ; dans notre organisation on est souvent radical dans les jugements. Pour ma part je soutins une thèse bien différente, me paraissant plus proche de la vérité et plus utile au comportement de nos militants. Cette thèse ne récolta que peu d’approbation dans mon groupe et pas plus auprès de camarades comme Aristide Lapeyre, par exemple. Pourtant je la crois juste. Je veux vous la soumettre sans autre garantie que ma conviction intime, avec un sourire tout de même en pensant aux historiens qui, dans trente ans, auront le droit de trifouiller dans nos archives et à certains d’entre vous qui, encore vivants, connaîtront le résultat de ces recherches !

Ce n’est pas par hasard que j’ai inscrit l’affaire Fontenis dans un environnement et parmi les remous qui se produisirent dans nos milieux au lendemain de la guerre, car elle en est le fruit naturel. Fontenis, jeune pacifiste qui n’a fait ni la guerre ni la Résistance, va se trouver projeté dans un milieu haut en couleur qui traîne les rancœurs de l’avant-guerre et de l’après-guerre. Homme neuf, voyageur sans bagages, il est poussé sur le devant de la scène un peu sans le vouloir, parmi des hommes qui ont déjà une histoire, certains un nom, et qui, à travers leurs opinions, s’affrontent ! Les hommes sont les hommes, et les anarchistes ne sont pas autrement que les autres. Les sentiments nobles que justement on leur attribue, ils les ont “gagnés” à force de réflexions sur le comportement moyen de l’homme. Mais ces sentiments sont fragiles ! Fontenis, élément neuf, va être porté par les circonstances au secrétariat général de la Fédération anarchiste ! C’est là que son caractère va se révéler.

Le secrétariat général de l’organisation n’a pas chez nous l’importance qu’il a ailleurs, dans les partis politiques de gauche. Pour lui donner une importance similaire il faut transformer l’organisation et la faire grandir. En faisant grandir l’organisation, on fait grandir celui ou ceux qui se trouvent à sa tête. Le fossé qui sépare le fédéralisme libertaire de la population est encore trop important pour que l’organisation se développe et acquière un caractère de masse. Une seule solution, y introduire à côté d’un esprit libertaire aimable le matérialisme dialectique issu de Marx et qui, à cette époque, se répand un peu partout à une vitesse de croisière. Seul l’apport du marxisme peut permettre le développement accéléré de la Fédération anarchiste, seule la transformation de la Fédération anarchiste peut donner de l’importance à son secrétariat général d’abord et, par voie de conséquence, à son inspirateur, supposé, tel Lénine, patauger dans le génie. Pour moi, c’est ça l’affaire Fontenis et les méthodes mises à part bien d’autres par la suite essaieront de barbouiller de marxisme l’idéologie libertaire. Armé de ce corps de “doctrine”, Fontenis ne travaille pour personne d’autre que pour lui-même. Où se trouve la sincérité dans ce mélange d’ambitions qui lie l’homme, qui impulse l’organisation, et l’organisation qui grandit l’homme ? Entre le conscient et l’inconscient tout est possible, nous ont appris les surréalistes, et dans ce cas c’est le subconscient qui impose la “sincérité” au conscient qui aurait tendance à la nier. Et puis il y aura l’habitude qui transformera ce personnage un peu pâle, aimable et conciliant de 1945 en ce “dictateur pour la bonne cause” de 1952 !

Fontenis, cependant, est un mythomane ! Trop jeune pour la connaître, il vit l’histoire du mouvement anarchiste à travers la légende et l’histoire de la Résistance par ce qu’on en dit ! A ses côtés un mouvement anarchiste espagnol qui fut glorieux mais qui en exil est devenu une association d’anciens combattants qui radotent leurs souvenirs et en remettent ! A cette époque d’ailleurs nous sommes tous peu ou prou des mythomanes ! Nous sommes marqués par un “légendaire” qui ne survivra pas au temps. Fontenis est simplement plus mythomane que les autres ! Société secrète à la Bakounine ! Menace d’élimination physique des membres de l’O.P.B. qui auraient trahi le secret ! Réunions clandestines. J’en passe... Tous les organismes montés par Fontenis furent des organismes bidons. La revue pour intellectuels, un échec ! L’O.P.B., un rassemblement de pauvres mecs dont deux ou trois intellectuels qui lisaient trop la Série noire et qui allaient trop au cinéma d’essai du quartier Latin ! Le groupe d’autodéfense, du vent sur lequel le groupe Louise-Michel souffla sans respect ! Les jeunesses libertaires, une passoire comme l’ont été et comme le seront tous ces organismes de jeunes, dont les membres se recyclèrent au galop lorsque l’heure fut venue ! Fontenis n’a pas été à la hauteur du personnage que sa mythomanie avait créé ! Il en fit de trop ! Il fut un instant de notre histoire et l’histoire ne se répète pas ! L’affaire Fontenis, une affaire banale, comme chaque mouvement en a connue et qui n’a pris du relief que par le milieu particulier dans lequel elle s’est développée.

Après ? Le personnage est vidé, sans imagination. Il n’a jamais eu d’imagination, il a constamment copié les rêves des autres. Si je voulais dramatiser, ce qui n’en vaut pas la peine, je vous dirais que comme le criminel de l’Ambigu il ne cessa de revenir sur le lieu de son “crime”. Ne pouvant s’intégrer à un syndicat ou à un parti, à une place à la hauteur de ses ambitions envolées, nous le verrons avec la constance d’un maniaque constituer des mini-groupes pour essayer de réintégrer les milieux anarchistes. Ceux-ci le rejetèrent un peu partout où il tenta de s’introduire avec une insistance sénile, ayant oublié tout souci de dignité.

J’arrête là mon propos, car pour tracer une épigraphe sur ce cadavre il faudrait une autre plume que la mienne : celle d’Anatole France décrivant César Biroteau, ou de Balzac s’attaquant à l’illustre Gaudissart...

Maurice Joyeux
vroum
 

Re: Histoire de la Fédération anarchiste 1953-1960

Messagede vroum » 04 Mar 2009, 22:37

Dans les numéros 18, 30 et 31 de la revue La Rue, éditée entre 1968 et 1986 par le groupe libertaire Louise-Michel de la Fédération anarchiste, Maurice Joyeux, l’un des principaux animateurs de cette revue et de ce groupe, fit paraître trois articles intitulés “L’Affaire Fontenis”, “La reconstruction de la Fédération anarchiste” et “La Fédération anarchiste reprend sa place”.

Voici le deuxième article :


La reconstruction difficile de la Fédération anarchiste 1954 - 1960


La crise qui, au lendemain de la Libération, secoua la Fédération anarchiste et dont l’affaire Fontenis fut le révélateur ne fut pas seulement due aux courants multiples qui traversaient notre mouvement, même si ceux-ci lui imprimèrent une marque bien de chez nous. Elle se greffa sur ce brassage des idée reçues qui est le fruit des grands cataclysmes. La fin de la Première Guerre mondiale avait déclenché dans nos milieux des convulsions de même nature et aboutit à l’éclatement du syndicalisme révolutionnaire fécondé au début du siècle par l’anarchie, ce qui donna cette branche originale du mouvement ouvrier français connue sous le nom d’anarcho-syndicalisme. Phénomène d’une société qui se reconvertit pour panser ses plaies et dont furent également victimes les partis politiques de gauche et les organisations humanitaires.

Ces crises, que la fin des conflits déclenchent, naissent de la confusion entre les valeurs classiques du mouvement ouvrier qui le compartimentent en structures idéologiques bien typées et d’autres issues de la guerre où se confondent les mutations économiques et politiques, et l’impatience à reconstruire un tissu qui tienne compte de l’évolution des esprits. A partir de 1920 comme en 1947 toutes les formations se réclamant du socialisme éclatèrent, rejetant du noyau initial de multiples groupes éphémères qui, avant de s’éteindre, perturbèrent le milieu et firent la fortune des échotiers et des historiens avides de sensationnel. Ceux-ci leur accordèrent une place sans aucun rapport avec leur importance réelle, ce que le temps rectifiera. Le mouvement anarchiste à ces deux époques de notre histoire ne fut pas le seul à ressentir les effets de cette situation qui fit voler en éclats les certitudes théoriques, même si le commentateur mit facilement l’accent sur les divisions qui secouèrent les anarchistes et en passa pieusement sous silence d’autres, de même nature, qui déchirèrent les partis se réclamant du socialisme ou des mouvements syndicaux.
En dehors de son caractère propre, dont je parlerai plus loin, les soubresauts qui agitèrent la Fédération anarchiste à peine reconstituée furent le fruit de mythes nés de la Résistance et de la résurgence du marxisme-léninisme auquel les victoires de l’armée soviétique donnaient une nouvelle jeunesse. Les “nouveaux militants”, confrontés à une opinion publique exaltée par les “victoires” des pays démocratiques et la Russie soviétique, ne voulurent pas demeurer en reste de ces idées toutes faites qui poussaient les populations vers un nouveau mode d’organisation sociale où le socialisme accentuerait son recours à un jacobinisme centralisateur qui avait fait preuve de son efficacité dans les combats clandestins et sur les champs de bataille. Le fruit de cet état d’esprit fut, dans un temps qui sera court, un gonflement excessif des effectifs des organisations politiques, des organisations syndicales, des organisations humanitaires, auquel naturellement le mouvement anarchiste n’échappa pas. Pléthore qui n’aura qu’un temps avant que la paresse, les désillusions ne vident ces organisations de leur trop-plein. Cette fluctuation déplorable pour les grandes organisations ouvrières s’avéra tragique pour les petites, vidées d’éléments turbulents mais actifs, ce qui conduisit à une désaffection en chaîne parmi les autres, surtout parmi les hommes d’âge moyen qui sont la richesse de toutes les organisations, laissant face à face des jeunes gens, insuffisamment avertis de ce qu’était réellement l’anarchie dont ils se gargarisaient à longueur de journée, et des vieux militants désabusés et sceptiques. Constamment, depuis cette époque, il manquera à la Fédération anarchiste pour assurer son équilibre une génération, celle où l’homme est sorti de la turbulence qui désagrège tous les projets et n’est pas encore entré dans la sénilité qui les rend inconsistants.

C’est dans cette situation peu enviable, mais qui ne lui était pas propre, que se retrouva la Fédération anarchiste lorsque, Fontenis liquidé, il lui fallut reconstituer le mouvement libertaire et refaire un journal.

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Le congrès de la Maison Verte, dont j’ai déjà parlé, devait donner à l’organisation de nouveaux statuts. Il n’avait réuni qu’une mince assistance, beaucoup de camarades de province restant dans l’expectative, attendant de voir d’où venait le vent. Oui, je sais bien, certains de nos amis se demanderont s’il est bien utile d’étaler nos faiblesses. Je pense que si on veut progresser il est nécessaire d’en finir avec cette fatuité où trop d’anarchistes se complaisent et qui les poussent à un élitisme fatal au développement de notre mouvement.

En réalité, ce congrès ne fut rien d’autre qu’une chambre d’enregistrement de décisions soigneusement préparées par une poignée de militants décidés à échapper au concept de majorité et de minorité cher aux démocraties, dans une organisation où de tradition, on entrait et on sortait comme dans un moulin à vent et dont le premier va-de-la-gueule, s’appuyant sur des slogans à la mode, pouvait s’emparer. L’expérience amère que nous venions de vivre avait porté ses fruits et nous savions bien que les déviations que nous venions de supporter comme celles qui risquaient à nouveau de nous perturber dans les années à venir tenaient justement à la confusion que la jeunesse qui venait nous rejoindre entretenait entre les propositions des organisations de gauche ou d’extrême gauche et nous, confusion facilitée par un vocabulaire commun et par des finalités similaires, au moins sur le papier et dans le discours.

Les purs pourront toujours prétendre que cette méthode de travail n’est pas démocratique et ils ne s’en priveront pas, mais on ne peut pas nier qu’elle soit réaliste et elle se révéla utile lorsque, plus tard, notre mouvement et son journal étant repartis, d’autres personnages turbulents, marxistes, provos, situationnistes, et j’en oublie, voudront à nouveau faire servir l’anarchie à des fins personnelles. Il est curieux ce goût prononcé d’une certaine jeunesse, celle des écoles en particulier, de faire, tel le coucou, ses œufs dans le nid du voisin.

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C’est cette équipe, rescapée de l’aventure Fontenis, qui construisit les “Principes de base”, lesquels sont encore de nos jours la règle que tout nouvel adhérent à la Fédération anarchiste s’engage à respecter, et qui fonda la Société pour l’étude et la diffusion dés philosophies rationalistes, organisation légale, aujourd’hui disparue, qui devait posséder tous les biens de la Fédération et mettre celle-ci à l’abri des majorités de circonstance !

Ce fut une belle équipe ! Elle possédait cet enthousiasme pour les idées et cette ardeur au travail qui est le lot de tous les renouveaux mais qui ne dure que jusqu’à l’instant où les hommes, repris par leurs démons, s’opposent dans des affrontements sans grandeur. Cependant elle possédait autre chose : une connaissance profonde de notre mouvement, une idée juste de ces emballements théoriques qui ne durent qu’un instant, un sens de l’organisation, de la propagande, de l’écriture nécessaire à la présentation de nos idées de façon à être compris par une faible minorité, certes, de la population active, mais une minorité nécessaire pour constituer un nouveau maillon de la chaîne. Ce n’était peut-être plus un éventail aussi chatoyant que celui qui était issu du congrès de 1945, mais les hommes et les femmes qui le composaient avaient plus de solidité. On y retrouvait quelques-uns de ceux dont j’ai déjà parlé et qui avaient été à l’origine de la reconstruction qui avait suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale : Vincey, Maurice Laisant, Fayolle, Suzy Chevet puis des nouveaux venus des milieux individualistes, tels Bontemps, Berthier, du communisme libertaire tel Devriendt, des jeunes issus des Auberges de la jeunesse comme Lanen, Kéravis. Toutes les tendances classiques de l’anarchie étaient représentées à partir d’un dosage savant, horizontal si je puis dire, mais qui représentait plus une idée de la surface de l’anarchie que de sa profondeur, les éléments individualistes ou humanistes ayant beaucoup moins d’enracinement dans le peuple que l’anarcho-syndicalisme ou le socialisme libertaire.

Quelques principes fort simples guidèrent l’action de ce groupe chargé par le congrès de la Maison Verte de mettre sur pied et de faire vivre cette nouvelle Fédération anarchiste. Le premier, celui qui conditionna tous les autres et imprima son visage à la nouvelle organisation, fut la règle de l’unanimité pour toutes les décisions à prendre. Ce principe, dont la noblesse semblait indiscutable, possédait un inconvénient majeur : il obligeait l’organisation à s’aligner sur la tendance la plus minoritaire, celle-ci fût elle composé d’un seul militant, dont le droit de veto a tant et si justement agacé les militants ! Et par un paradoxe étonnant on verra alors la Fédération anarchiste ne manifester son unanimité que sur des problèmes mineurs, particuliers aux individualistes et aux humanistes manifestement les moins nombreux dans notre mouvement ; j’ai alors pu parler d’une véritable dictature d’une minorité faisant barrage à toutes les solutions collectives proposées !

Cependant, cet accord sur les Principes de base présentés au congrès de la Maison Verte et adoptés sans grande discussion avaient été difficiles à conclure car le groupe qui en avait pris l’initiative était idéologiquement profondément divisé. On y trouvait des hommes comme Bontemps ou Berthier peu familiarisés avec les nécessités qu’imposait une organisation solide et la sortie régulière d’un journal. Ils n’avaient pas renoncé à nous imposer Lecoin qui continuait à rôder autour de la Fédération anarchiste pour en tirer parti au profit de ses projets particuliers, certes honorables, mais qu’il impulsait avec un autoritarisme qui nous semblait peu conforme à l’esprit libertaire. A l’autre bout de l’éventail des idées, Fayolle, Suzy Chevet, Devriendt et moi-même qui voulions conserver le minimum de cohésion à cette Fédération occupée à panser ses plaies. Entre ces deux formations de pensée se trouvait Vincey, surtout préoccupé de gestion et constamment tiraillé entre son souci d’efficacité et le vieil individualisme qui formait le fond de sa pensée. Enfin Maurice Laisant pour lequel la synthèse chère à Sébastien Faure constituait un credo ! Ces deux derniers furent le véritable lien qui permit de souder entre elles ces différentes sensibilités associées pour faire revivre un mouvement libertaire dans un pays envahi par une vague marxiste qui venait battre contre tous les groupes d’extrême gauche et submerger la faune intellectuelle derrière Sartre et quelques autres.

Pour moi le danger était là, dans les menaces d’altération qui nous guettaient si nous ne dressions pas un barrage entre nous et ce pourrissoir du vieux mouvement ouvrier français. Il fallait dresser une digue contre ce chancre qui nous était apporté par de jeunes étudiants qui nous rejoignaient et qui avaient été mis en condition par leurs professeurs, qui avaient colonisé les classes de philosophie de l’Université ! Après les palabres d’usage, j’acceptais avec mes amis de me rallier aux positions de synthèse de Maurice Laisant. Seul Fayolle demeura irréductible et refusa d’appartenir à l’Association pour l’étude et la diffusion des idées rationalistes qui chapeauta la Fédération anarchiste. Il dénonça l’état d’esprit qui avait présidé à sa mise en place dans une excellente brochure : Réflexions sur l’anarchie, que nous publiâmes dans le Monde libertaire sans que personne y trouve à redire, ce qui définit bien la tolérance et l’amitié qui nous unissaient malgré les aspects différents de nos projets d’organisation. Pourquoi ai-je fini par accepter la synthèse, solution bâtarde et inapplicable et envers laquelle nous tricherons constamment, ce qu’on me reprochera souvent par la suite ? Pour le comprendre il faut avoir en tête une idée exacte de l’état du mouvement anarchiste après la liquidation de Fontenis et de son groupe.

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La scission qui venait de secouer la Fédération anarchiste avait découragé de nombreux militants parmi ceux qui se réclamaient du communisme libertaire. Rejetant la politique de l’O.P.B. qui débouchait sur le parti anarchiste, ils n’avaient que méfiance contre l’individualisme mais surtout contre cet anarchisme humaniste qui sécrétait la confusion et se réclamait d’un intellectualisme vieillot et mou. Les jeunes ou ce qui en restait se tournaient vers les sectes marxistes qui se multipliaient autour d’intellectuels de préaux d’écoles se voulant dans le vent et d’où sortirent Socialisme ou Barbarie, puis l’Internationale situationniste, mouvements réputés plus efficaces que nous et dont le confusionnisme permettait de rester en contact avec les partis de gauche, terrain favorable à des reconversions honorables.

La province restait indécise malgré la prise de position ferme du groupe de Bordeaux. Les formations de province, qui reprochaient aux Parisiens leur centralisme, s’agitaient au gré de l’opinion de leur correspondant de la capitale. A part Bordeaux, la province ne fut jamais en état de prendre conscience des évolutions multiples qui secouaient la société. Sa contribution doctrinale ne dépassa jamais la récitation de ce qu’elle connaissait des évangiles établis par les grands anciens ! Pour les provinciaux, ceux-ci avaient tout dit, il n’y avait rien à ajouter, et surtout rien à retrancher sous peine d’être accusé d’hérésie. La situation étant ce qu’elle était, à peine née la nouvelle Fédération risquait d’éclater. Il n’était pas possible de reconstruire ce mouvement autrement qu’en le dotant d’une organisation souple conservant l’autonomie aux groupes dans l’autonomie de la Fédération et l’autonomie des hommes dans l’autonomie des groupes ! Il en est encore ainsi de nos jours, même si, souvent, la raison l’emporte sur cet individualisme maladif qui est la maladie infantile de l’anarchie. Le réalisme veut qu’on construise avec les éléments qui existent. Mais il ne faut pas avoir peur de le dire, tant que nous maintiendrons ce cap nous n’aurons jamais d’organisation révolutionnaire incisive, mais un club disert où chacun agira suivant sa fantaisie.

L’état du mouvement commandait la politique que devait suivre l’organisation, je le compris tout de suite comme je compris que heurter les réalités à la tête, fussent-elles désagréables, n’aboutirait qu’à faire éclater le mouvement. Maintenir un noyau suffisamment fort avec des antennes dans toutes les régions, voilà à quoi devait se borner nos ambitions. Se mobiliser pour proposer et défendre des positions traditionnelles et sans surprises ? C’était possible et dans une certaine tranquillité d’esprit, l’Association écartant, tout au moins nous l’espérions mais, comme nous verrons, ce ne sera pas toujours vrai, l’Association écartant les politiciens, cela permit aux débats contradictoires nécessaires de se dérouler dans une relative sérénité.

Et c’est ainsi que sous la pression des événements et en tenant le plus grand compte du caractère des hommes fut construit à Paris, dans le 18e arrondissement à Montmartre, une nouvelle Fédération anarchiste, maison d’accueil de tous ceux qui se réclamaient de la pensée libertaire, mais réduite pratiquement à l’impuissance par des statuts qui lui interdisaient toute action n’ayant pas recueilli l’unanimité, statuts qu’il nous faudra bien violer de temps à autre en protestant de notre orthodoxie, pour engager la Fédération anarchiste dans le combat journalier qui se développait dans le pays.
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Dès sa reconstruction, la Fédération se trouva confrontée à trois problèmes dont la solution conditionnait tout notre avenir. Il fallait faire paraître un journal, rassembler les militants épars dans le pays, rétablir les liens avec le mouvement syndical au sein duquel l’anarcho-syndicalisme conservait un solide prestige.

Nous avions, dans la débâcle, été dépouillés du vieux titre du mouvement anarchiste : “le Libertaire”. Le journal de Sébastien Faure et de Louise Michel était resté dans les mains des politiciens et il crevait entièrement des conneries qu’on pouvait lire dans cette feuille jadis glorieuse. Nos moyens étaient modestes. En raclant les fonds de tiroir et grâce, il faut le dire, au groupe Louise-Michel, nous pûmes faire reparaître un mensuel : le Monde libertaire, qui existe encore de nos jours et est devenu hebdomadaire. Ce fut une réussite, même si, comme tous ceux qui l’avaient précédé, il fut vilipendé par quelques-uns de ces personnages qui rôdent autour du mouvement révolutionnaire et dont le plus clair du travail consiste à s’approprier les réalisations d’autrui, et, en cas d’échec, à les dénigrer systématiquement. J’ai sur ma table de travail les premiers numéros. En les feuilletant on s’aperçoit qu’en dehors des Temps nouveaux de Jean Grave aucun de nos journaux ne fut si riche en collaborations prestigieuses. On y relève les noms d’Albert Camus, d’André Breton, de Benjamin Péret, de Léo Ferré, de Chavance, d’Hagnauer, de Michel Ragon, de Prudhommeaux, de Jeanne Humbert, d’Hélène Gosset, d’Alexis Danan, et j’en passe ! Tout ce qui avait choisi entre le marxisme centralisateur et la pensée libertaire se retrouvait dans les pages du Monde libertaire. La mise en pages du journal était classique, les rubriques étaient bien caractérisées, les photos et les dessins humoristiques nombreux. Dernièrement, des camarades de l’actuel comité de presse du Monde libertaire, feuilletant quelques-uns de ces numéros, m’interrogeaient pour savoir si cette série ne fut pas l’œuvre de professionnels. Naturellement non ! Mais cet hommage de nos jeunes camarades à une équipe aujourd’hui presque entièrement disparue m’a consolé de bien des conneries que j’ai pu à cette époque entendre de la part d’un gauchisme alors à ses débuts.

Donner au journal une structure technique solide ne fut pas facile. Nous avons les défauts de nos qualités et notre amour de la liberté perturbe souvent l’ordre dont, prétendait Reclus, l’anarchie est la plus haute expression ! Je parvins pourtant à faire accepter à notre mouvement un comité de presse dont le fonctionnement fut assez semblable à celui d’un journal classique. Trier les articles à partir de l’actualité, de leur intérêt, de leur qualité d’écriture et les répartir entre les différentes rubriques, confectionner les papiers de dernière heure, tel fut le travail souvent ingrat du comité de lecture. A Berthier fut attribué un billet, à Bontemps un feuilleton en bas de page. Je fus chargé de la dernière page, une page magazine à vocation culturelle. Le corps du journal fut constitué par des articles venus de province et forcément en retard sur l’actualité. Cette actualité était traitée en première page par Maurice Laisant, Maurice Fayolle et Maurice Joyeux, ce qui fit dire aux mauvaises langues que le journal était devenu celui des trois Maurice ! Ce n’était pas complètement faux. Au marbre, pour mettre en formes et corriger les articles, après plusieurs essais qui ne furent pas tous heureux, le poste échut à Suzy Chevet, ce qui fut un bonheur pour notre journal.

Depuis ses origines le journal se faisait à l’imprimerie du Croissant, une imprimerie spécialisée dans une presse de moyen tirage. Nous y jouissions de facilités dues aux souvenirs communs que nous avions avec la direction et avec les ouvriers du Livre qui étaient alors de tendance libertaire. Suzy avait tout pour réussir dans cette tâche délicate, confectionner un journal de caractère libertaire : le goût, la gentillesse, la culture mais aussi la ténacité qui se transformait en obstination, qualité indispensable pour imposer nos décisions à des ouvriers pas faciles à manier et qui considéraient un peu le Monde libertaire comme leur journal, ce qui était à la fois sympathique et gênant !

Qui n’a pas vu Suzy au marbre, la taille entourée d’un tablier de cuisinière, les doigts tachés d’encre, se déplacer autour des tables qui supportaient les marbres, bousculer un typo grognon, plaisanter avec un autre, débattre âprement avec la direction, tout ça avec le sourire, ne peut pas s’imaginer ce qu’était alors la confection du journal, cette espèce de fête collective survoltée par la passion, les coups de gueule, les grosses plaisanteries ! Autour de cette ruche qui bourdonnait, les journalistes Laisant, Fayolle, moi-même et quelques autres, le crayon à la main, bousculés par les uns, rudoyés amicalement par les autres, houspillés par tous, nous relisions nos papiers, ajoutions à un texte, retranchions à un autre, confectionnions l’article de dernière heure que personne peut-être ne remarquerait mais qui paraissait indispensable. Le travail fini, les formes bouclées, nous allions tous ensemble manger le sandwich et boire le verre de l’amitié au bistro du Croissant, celui où avait été assassiné Jean-Jaurès.

Mais un journal n’est pas seulement un certain nombre de pages d’écriture, c’est également une administration sourcilleuse, toujours à la recherche de ses sous pour boucler les fins de mois. L’intendance, sous l’œil vigilant de Vincey et d’un camarade qui, par la suite, fera une brillante carrière au Syndicat des correcteurs : André Devriendt, suivait allègrement. Oui ce fut un des meilleurs journaux de notre histoire, animé par une équipe solide, compétente, brillante même, un roc contre lequel les révolutionnaires de préaux d’école se cassèrent les dents lorsque, quelques années plus tard, ils voulurent nous refaire le coup du marxisme libertaire .

La parution d’un journal libertaire est sans mystère. Il ne peut pas vivre simplement de ses ventes, surtout lorsqu’on a l’ambition d’en faire autre chose qu’une feuille d’usine ou de quartier. Seule la souscription peut lui permettre de vivre et, après Vincey, j’ai souvent dit que cette souscription était le thermomètre pour prendre la température du mouvement anarchiste !

Une fois de plus, sans que nous ayons voulu y croire, le miracle s’accomplit ! L’argent rentra et le journal, support et ossature de notre mouvement, repartit d’un bon pied. En réalité, il y a là moins de mystère qu’on pourrait le croire.

Au même titre que d’autres organisations de gauche ou d’extrême gauche, le mouvement libertaire accueillait chaque année de nombreux jeunes qui, par la suite, s’égaillaient dans la nature, pompés par les nécessités de l’existence, et c’est pourquoi des gens mal intentionnés ont pu dire que la Fédération anarchiste était une passoire. Pas plus que d’autres organisations, le Parti communiste par exemple, dont le robinet de vidange, si on en croit ses statistiques sur les adhésions, doit ressembler à une entrée de métro ! Pourtant, entre les partis de gauche et d’extrême gauche, il existe une différence fondamentale. Venir chez nous n’est pas faire l’apprentissage d’une carrière politique. Les camarades qui nous quittent restent en général des anarchistes authentiques, suivant de près notre mouvement, lisant notre presse, conservant des contacts épistolaires avec nous, fréquentant notre librairie. Ce sont eux la vraie richesse de notre Fédération. On les compte par milliers, éparpillés dans le pays ! Souvent recyclés en province dans des organisations humanitaires jouant un rôle local, ils ont constamment un œil sur la Fédération. Ils sont souvent exigeants avec une organisation à laquelle ils n’appartiennent plus, du moins officiellement ! En général, ils ont réussi dans l’existence. Ils suivent avec indifférence la politique traditionnelle mais se tiennent au courant de la vie sociale. Ils nous seront toujours fidèles. Il suffira que quelques vieux militants connus dans le mouvement fassent appel à eux par l’intermédiaire du journal pour qu’ils répondent présents. On l’a vu encore dernièrement lorsqu’il s’est agi de trouver de l’argent pour nous loger moins à l’étroit que rue Ternaux. Là encore les petits malins partis de chez nous en claquant la porte et qui ont voulu profiter du filon se sont cassé le nez. Tous ces sympathisants savent ce qu’est l’anarchie et vouloir leur vendre du marxisme sous une étiquette libertaire a toujours abouti à un échec, quelle que soit la surface des personnages qui se livraient à ce jeu. Et c’est ce qui explique ces multiples feuilles éphémères, sitôt mortes que parues, que les rénovateurs ont jetées sur le marché depuis vingt ans ?

Mais si le journal est la locomotive qui tire la Fédération, l’administration engrange les résultats de la propagande. Vincey, qui en était conscient, placera à la permanence de notre siège et de notre librairie André Devriendt, et l’atmosphère du local va changer, c’est-à-dire perdre ce caractère d’aimable bordel qui était sa marque propre. Bien sûr, nous sommes loin des cinq permanents des années cinquante et nous pouvons mesurer tout ce que nous avons perdu, pas seulement l’argent. Mais si dans le pays les groupes se sont reformés, on le doit non seulement à l’intendance qui suit mais aussi au comité de relations qui fonctionne dans la tranquillité.
Cela a été possible grâce à la souplesse de notre nouvelle Fédération, à la peur qui avait secoué les anarchistes devant la tentative d’un groupe pour s’emparer du mouvement, mais surtout grâce à Maurice Laisant, nouveau secrétaire général, après quelques tentatives qui ne furent pas heureuses même si elles furent originales Laisant déploiera des trésors de patience pour faire coller entre eux les éléments disparates qui constituaient la Fédération anarchiste. Il avait toutes les qualités qu’exige ce poste délicat qui, chez nous, ne confère aucune autorité particulière, mais assure simplement la coordination des travaux de l’organisation. Il en possédait une autre, que nous ignorions, et qui se révéla quelques années plus tard lorsqu’à nouveau quelques marxiens issus des amphithéâtres essaieront à leur tour de s’emparer de ce beau fruit bien juteux qu’était devenu ce Monde libertaire que, journellement, ils couvraient de crachats ! Cette qualité c’était une volonté inébranlable de préserver la pensée libertaire de toutes les déviations venues d’intellectuels en rut.

Toute qualité a son revers et cette fermeté s’associait chez lui à une impossibilité de comprendre les évolutions nécessaires, non pas des principes, qui sont inaliénables, mais de la tactique et de la stratégie indispensables pour assurer la survie d’une organisation révolutionnaire si l’on ne veut pas qu’elle meure avec ses fondateurs.

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Le premier numéro du Monde libertaire symbolisa toute l’action que nous allions entreprendre dans les années qui suivirent pour replacer l’organisation dans le courant des luttes ouvrières. Il porte un gros titre : “Les anarchistes et le monde syndical”. Et dans l’article, Alexandre Hébert rappelle la lettre restée fameuse de Fernand Pelloutier aux anarchistes où il les invite à entrer dans les syndicats afin de leur conserver le caractère révolutionnaire hérité de la section française de la Première Internationale. En deuxième page, un autre article, sur le même registre, annonce les assises pour l’unité syndicale.

L’attitude des militants syndicalistes révolutionnaires peut parfois sembler déroutante à ceux qui examinent les démarches de l’extérieur sans connaître les ressorts qui conduisent leurs motivations. La scission qui avait abouti à la création de Force ouvrière datait de 1948. Elle avait été précédée d’une autre, plus modeste, qui avait permis de constituer la C.N.T. Dans les deux cas les anarcho-syndicalistes et les syndicalistes révolutionnaires issus des milieux trotskistes ou socialistes révolutionnaires avaient constitué le fer de lance de l’éclatement de la vieille C.G.T. Ils l’avaient en quelque sorte imposée à Jouhaux et à ses amis qui désiraient conserver les miettes de l’appareil que les communistes consentaient à leur abandonner pour maintenir le mirage de l’unité des travailleurs. A peine la division du monde syndical était-elle consommée qu’on vit les mêmes syndicalistes révolutionnaires, à travers un journal, l’Unité, et une conférence nationale dont le but était cette unité qu’ils avaient détruite, lancer à nouveau l’idée de l’unité d’action puis de la réunification à terme du mouvement syndical. Attitude illogique en apparence et dont vous ne trouverez pas l’explication chez les savants historiens du mouvement ouvrier penchés sur leurs paperasses, considérées comme documents irréfutables, et qui sont souvent des éléments de circonstance déformés pour les nécessités de la propagande auprès des travailleurs qui ne doivent pas être mis dans le secret du sérail.

En dehors et à côté des reproches officiels faits à l’organisation d’être devenue une annexe du Parti communiste, une autre raison profonde nous avait poussés à la scission. Raison à peine perçue par ceux qui avaient été les animateurs de ce mouvement et qui consistaient à débloquer l’organisation ouvrière. Les congrès à tous les échelons étaient devenus des grand-messes, les élections de simples formalités pour réélire les sortants. Les amitiés qui se nouaient de la base au sommet et qui orientaient les élections aux responsabilités, les habitudes, l’action des cellules rendaient pratiquement impossible une propagande suivie à la base. La scission, puis l’organisation de nouvelle centrales syndicales nécessitèrent la formation de nouveaux cadres aptes aux responsabilités syndicales. La propagande pour l’unité d’action puis pour une unité syndicale éventuelle leur permirent dans de bonnes conditions d’affronter les cadres de la C.G.T., complètement caporalisés par les staliniens, sur un pied d’égalité. Personne, bien entendu, n’avança dans les discussions ces justifications de la scission, mais elles étaient dans la tête de tous !

Ce mouvement pour l’unité prit de la consistance à partir de la crise grave qui opposa Staline à la Yougoslavie de Tito en pleine rébellion contre les prétentions du dictateur communiste. Quelques trotskistes qui n’étaient pas sans affinité avec les partisans de Tito prirent langue avec ceux-ci. Les communistes français tiraient à boulets rouges sur les renégats titistes ; ceux-ci trouvèrent là l’occasion de leur renvoyer la balle. Un accord fut conclu. Les Yougoslaves financeraient un journal, l’Unité, où se retrouveraient tous les syndicalistes révolutionnaires.

Ils s’engageaient à ne pas intervenir dans son orientation. Cependant, méfiants devant cet aréopage de militants syndicalistes turbulents, ils exigèrent qu’à la tête du comité qui devait animer le journal fût placé un ancien secrétaire de la C.G.T. de tendance réformiste qui n’avait pas, comme d’autres, participé à la scission et qui, depuis, avait été éjecté pour des raisons qui n’ont jamais été bien claires. C’est autour de ce journal que vont s’organiser les assises nationales pour l’unité avec le concours actif de ceux qui avaient été les propagandistes de la scission !

J’ai devant les yeux le numéro, un des premiers, qui prépara ces assises. Il est de 1953, et voir mon nom parmi la dizaine de camarades qui composaient le comité d’organisation, si ça ne me rajeunit pas me fait toutefois plaisir !

Cette action syndicale au côté de militants d’autres organisations se réclamant du socialisme ne fut admise que du bout des lèvres par un certain nombre de militants de la Fédération anarchiste qui avaient une aversion insurmontable pour le syndicalisme. Cependant, nous jouâmes un rôle non négligeable dans ce rassemblement, et cette action nous permit de conforter l’enracinement de l’anarcho-syndicalisme dans le mouvement ouvrier. En réalité personne ne croyait beaucoup à la réunification syndicale et chacun pensait tirer de l’action en commun pour l’unité un bénéfice substantiel. Et, de fait, c’est cette présence qui nous a non seulement permis de conserver une influence certaine dans les syndicats ouvriers mais également parmi les petits cadres syndicaux des entreprises en dehors desquels l’action syndicale n’est que bavardage et turbulence stérile. Enfin, quelques années plus tard, c’est ce Comité syndical pour l’unité qui se transformera en Comité d’action révolutionnaire pour faire face à la rébellion des généraux et au retour de de Gaulle. Ce n’est pas vanité de ma part que de rappeler que je fus à la Fédération anarchiste celui qui anima cette action syndicale, c’est tout simplement vrai ! Pendant des années je représenterai notre mouvement à ces comités successifs et au journal l’Unité. Il est désagréable de rappeler ces vérités, mais certains personnages qui ne firent que passer dans nos milieux et qui, aujourd’hui, on ne sait trop pourquoi, se pare du titre d’historiens de l’anarchie ont tendance, comme la grenouille, à vouloir être plus gros que le bœuf.

Pour étoffer notre présence dans ces milieux syndicaux, nous avions constitué au congrès de Paris, en 1955, une commission de relations syndicales dont le projet consistait à réunir tous les syndicalistes se réclamant de la tradition libertaire, quelle que soit la centrale syndicale à laquelle ils appartenaient, sur une plate-forme commune. Ce projet indispensable ne put jamais se réaliser. La raison est simple : la cacher ne sert à rien et serait rendre un mauvais service au mouvement anarchiste. Après quelques années de présence et dans la mesure où ils y ont acquis des responsabilités, les militants donnent la priorité au patriotisme d’organisation syndicale plutôt qu’à l’intérêt bien compris du mouvement anarchiste.

vroum
 

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