Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 10 Mar 2018, 14:02

De Lumumba à Mobutu :
La fabrication d'une dictature néocoloniale

Paris dimanche 11 mars 2018
à 12h30, La Bellevilloise, 19-21 rue Boyer

Conférence de Ludo de Witte à propos de son ouvrage
De Lumumba à Mobutu : La fabrication d'une dictature néocoloniale

Mai 1960. Patrice Lumumba remporte haut la main les premières élections du Congo indépendant. Il devient premier ministre. Pour le pays le plus riche du monde en matières premières, l'espoir se lève d'une société plus juste et d'un bien-être pour tous.

Novembre 1965. Le général Joseph-Désiré Mobutu s'empare du pouvoir absolu. Trente-deux années de dictature vont lui procurer une fortune personnelle considérable contrastant avec la misère de son peuple.

Entre ces deux dates, que s'est-il passé ? Quelles forces secrètes ont amené Mobutu au pouvoir ? Comment a-t-on étouffé les mouvements populaires que Che Guevara était venu soutenir ?

Dans L'Assassinat de Lumumba (1999), Ludo De Witte révéla les manoeuvres criminelles du roi Baudouin, du gouvernement belge et de la CIA. Forçant la Belgique à créer une commission d'enquête parlementaire et à présenter au Congo des excuses officielles. Depuis lors, De Witte a poursuivi son enquête. Dix années d'entretiens inédits et d'investigations dans les archives belges, britanniques, US et congolaises lui permettent de dévoiler une vérité indésirable mais implacable. L'ascension de Mobutu est le livre indispensable pour comprendre le drame du Congo et les conditions de sa libération.

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Messagede Pïérô » 20 Mar 2018, 14:26

Mayotte, une longue histoire entre coups d’Etat, révoltes et grèves

La domination française sur les Comores ne s’est pas imposée sans engendrer de nombreuses révoltes. A Mayotte, il y a eu en 1856 un soulèvement des travailleurs des plantations, et des mouvements de résistance spectaculaires ont traversé les trois autres îles, notamment à Anjouan en 1891, avec une véritable révolution des paysans pauvres et des esclaves.

En 1968, la France concédait aux Comores une autonomie interne, tout en réveillant les rivalités entre les îles. Puis Paris poussa un riche d’Anjouan, Ahmed Abdallah, à diriger le pays. Mais à Mayotte, une partie de la population féminine d’origine malgache, moins islamisée et avec des traditions matriarcales, craignait de voir ses droits réduits. Les « mamies chatouilleuses » s’élevèrent alors contre une indépendance qu’elles craignaient anjouane et islamique.

Lors du référendum de 1974 sur l’indépendance, les Comoriens se prononcèrent à 95 % pour l’indépendance, mais les Mahorais votèrent contre à 63 %. En 1975, les Nation unies et l’Organisation de l’unité africaine réaffirmèrent « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores». Mais la France exigea que la nouvelle constitution soit approuvée île par île. Elle fut rejeté à Mayotte, cependant qu’Ahmed Abdallah proclamait l’indépendance. Moins d’un mois plus tard, il était renversé par un mercenaire français, Bob Denard. Puis le nouveau gouvernement fut à nouveau renversé en 1978 par le même Denard (parfois soutenu par la France et parfois non, qui récidivera encore en 1995). Les Comores, baptisées « République islamique », se trouvaient de fait sous le contrôle des mercenaires français. En 1976, ne voulant pas retrouver le chaos comorien, les Mahorais exprimèrent à nouveau par référendum, à 99 %, leur volonté de rester français.

En 1996, Mohéli et Anjouan se séparaient de la Grande Comore, demandaient leur rattachement à la France – qui refusait – et proclamaient alors leur indépendance propre en 1997. L’Union africaine, rejetant toute modification des frontières coloniales, organisa un blocus d’Anjouan dont de nombreux habitants fuirent alors vers Mayotte. Après bien des péripéties, en 2001, la Grande Comore, Mohéli et Anjouan se réunirent dans une République fédérale, non sans coups de force fréquents et même l’invasion d’Anjouan, en 2008, par des troupes africaines venues renverser un gouverneur qui avait proclamé l’indépendance. Soit 23 coups d’Etat en tout depuis 1975, le dernier en 2013, avec encore des émeutes en avril 2016 à Anjouan.

Le 31 mars 2011, Mayotte est devenue un département français d’outre-mer après que les Mahorais aient voté pour cette solution à une écrasante majorité dans le référendum de 2009.

En 1946, La Réunion, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique étaient devenues juridiquement des départements français. Cependant les protections sociales y restaient inexistantes ; les maladies, la malnutrition, la misère y régnaient. A partir de la grande grève de 1953, chaque avancée vers « l’égalité réelle » fut gagnée par des luttes, souvent sanglantes, avant d’atteindre une presque égalité – malgré encore bien des séquelles tenaces du colonialisme. Un processus de même type s’est enclenché à Mayotte à partir de 1993.

Après la grève des lycéens de 1984 pour de meilleures conditions d’éducation, ce fut la grève générale de 1993 pour une hausse du salaire minimum ; puis un mois de grève en 2003 contre la réforme des retraites, mais aussi pour l’avenir de l’école ; en 2007, une grève de quatre mois des instituteurs pour ne pas restés bloqués dans une fonction publique au rabais ; en 2008, une grève illimitée dans la santé pour l’intégration dans la fonction publique ; en 2009, des manifestations contre la hausse du coût de la vie à Petite-Terre (la plus petite île de Mayotte) ; en 2011, quatre semaines de grève générale contre la vie chère. A chaque fois, avec de violents affrontements. Enfin, en octobre-novembre 2015 a débuté une nouvelle lutte pour « l’égalité réelle et la justice », pour l’application immédiate et intégrale à Mayotte du Code du travail et des conventions collectives de la métropole, l’alignement immédiat des pensions et prestations sociales au niveau de la métropole.

Un moment interrompu, le mouvement a redémarré les 30 et 31 mars 2016, en même temps qu’en France ou à la Réunion contre la loi El Khomri, toujours pour « l’égalité réelle » mais aussi contre la loi travail. Le 16 avril, dans un climat d’affrontements entre jeunes et gendarmes et de grosse pression médiatique contre les « violences », le mouvement a été suspendu par l’intersyndicale, malgré l’opposition de la base ; les avantages des fonctionnaires expatriés sont maintenus mais pour les autres, il n’y a que des promesses et un agenda de négociations : « rien », disait la majorité des grévistes.

Comme rien n’est réglé et au vu des luttes passées, on peut être sûr que le 16 avril 2016 n’est pas la fin d’une lutte mais seulement une étape dans un mouvement qui se cherche une direction – dans les deux sens du terme –, entre une mobilisation commune pour « l’égalité réelle » restant dirigée par les notables et un combat de classe où « l’égalité réelle » serait définie par les plus pauvres et la lutte dirigée par ces derniers.


Jacques Chastaing

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Une tumultueuse terre de culture et d’histoire

Située dans l’archipel des Comores qui comporte quatre îles principales (Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore), entre l’Afrique et Madagascar, Mayotte est elle-même constituée de deux îles. Sa population est officiellement d’un peu plus de 220 000 habitants. Vieille terre de culture et d’histoire, c’est un carrefour de civilisations, au croisement des cultures malayo-polynésienne d’Indonésie, africaine – bantoue et swahili –, malgache, arabe et française.

La majorité de la population parle une langue d’origine africaine, le shimaoré ; un tiers ou plus parle un ou des dialectes malgaches, dont le shibouski. A côté d’une écriture comorienne réservée aux textes religieux ou littéraires, l’arabe a été longtemps la seule langue écrite pour l’administration ; le shimaoré comporte ainsi une syntaxe et de nombreux mots arabes. Enfin, le français, qui demeure une langue d’importation, est aujourd’hui utilisé à l’école et dans l’administration, sans qu’il existe une langue créole.

Jusqu’aux années 1990, la population a toujours eu l’habitude de se déplacer sans restrictions d’une île à l’autre dans des Comores qui ont une forte unité linguistique, culturelle et historique. Aujourd’hui, bien des familles se retrouvent divisées entre les différentes îles.

La majorité des habitants est musulmane sunnite, shaféite et confrérique : un islam très tolérant. Une partie de la population est animiste et de tradition matriarcale polyandre ou polygame. Il n’y a pas de femmes voilées à Mayotte. Le droit islamique, en perdition, est du ressort de 22 « cadis » salariés par le conseil général. L’école coranique encore présente s’efface peu à peu. La polygamie est en voie de disparition chez les nouvelles générations nées après 1985, où elle est interdite.

Les Comores ont longtemps été un des pivots du trafic négrier. Les sultans comoriens allaient chercher des esclaves sur la côte africaine, avant de les revendre à des européens ou des arabes, à destination surtout du Proche-Orient. Le sultan qui régnait sur Mayotte, vassal de son voisin d’Anjouan (les Comores étaient en voie d’unification sous l’autorité de l’Etat d’Anjouan) mais en conflit avec lui, appela la France à son secours en 1841 et lui vendit l’île.

L’archipel devint protectorat français en 1887, sauf Mayotte qui resta colonie. L’esclavage y fut aboli en 1848 alors qu’il ne l’était pas dans les sultanats des Comores sous protectorat. Mayotte fut plus imprégnée par la présence française que les trois autres îles, avec une administration d’expatriés et des colons venus de La Réunion, sans qu’apparaisse pour autant une société créole. Après la fin du trafic négrier, les Comores surpeuplées, sans ressources, éloignées des grandes routes maritimes, n’intéressèrent plus guère l’administration coloniale française.

La production agricole ou aquacole est aujourd’hui vivrière à 60 % ; les exportations, vanille, parfum dérivé de l’ylang-ylang, sont faibles ; l’économie, de type colonial, vit de la commande publique et de la consommation privée autour du BTP et du commerce.

Mais tout pourrait changer avec l’exploitation pétrolière sur la zone des « îles éparses ». C’est ce qu’espèrent les notables qui poussent pour cela à la transformation de l’île en zone franche, sans taxes pour les patrons et sans droits pour les travailleurs, avec peut-être, à partir de là, l’idée de l’indépendance.

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Luttes sociales et question migratoire

En 1993, une importante grève générale pour l’augmentation du salaire minimum fit peur aux leaders politiques mahorais qui agitèrent alors le chiffon rouge de l’immigration, devenue l’explication de tous les maux. Ils réclamèrent la mise en place d’un visa entre Mayotte et les autres îles. En 1995, Balladur l’instaura pour tout Comorien souhaitant se rendre à Mayotte. Un trajet devenu depuis très difficile, même si la progression – même relative – du niveau de vie à Mayotte et la crise sécessionniste de 1997 à Mohéli et surtout Anjouan ont conduit à une multiplication des départs. Selon les autorités comoriennes, on compte 20 000 morts de 1995 à 2015 pour la traversée maritime du « canal de la mort ».

La population de Mayotte est passée de 40 000 habitants en 1975 à officiellement 220 000 en 2016 – mais probablement 350 000, si ce n’est 500 000. Les migrants clandestins, qui selon la législation internationale sont à Mayotte dans leur pays, représentent désormais presque la moitié de la population. En 2005 Sarkozy, en pleine période « kärcher », a déclenché une chasse aux sans-papiers à Mayotte, avec 13 253 expulsions en 2006. Le chiffre n’a fait qu’augmenter depuis. De plus, beaucoup de migrants arrivés avant 1995 n’ont jamais demandé de titre de séjour puisqu’il n’y en avait pas besoin et sont donc aujourd’hui « sans papiers ». Tout le monde héberge des clandestins qui travaillent, cultivent les terres, etc.

Les plus grands bidonvilles de l’Etat français ont alors surgi, sans eau ni électricité, avec le règne des maladies et de la malnutrition, des bandes d’enfants abandonnés, d’autant que l’Etat français se met à chasser les Mahorais des bandes côtières où ils habitent majoritairement, sous prétexte de protection du littoral.

Mayotte est ainsi devenue une des pires sociétés coloniales. La moitié des Mahorais vit avec moins de 348 euros par mois, 82 % de la population se trouve sous le seuil officiel de pauvreté, avec le coût de la vie le plus élevé de tous les territoires français. Le taux de chômage est de 20 % (46,5 % pour les jeunes), sans compter les clandestins ; le taux d’illettrisme bat des records ; les services publics sont insuffisants et dégradés – tout cela, sur un territoire où 50 % de la population a moins de 20 ans.

Face à cette situation explosive, les autorités et les partis qui ont suscité à partir de 1993 la peur du migrant, la cultivent en mettant en avant la délinquance, comme dérivatif social et pour séparer blancs et noirs. Aussi voit-on souvent des Mahorais qui réclament le renvoi des sans-papiers. Mais bien des manifestants hébergent eux-mêmes des clandestins. Ainsi se créent des milices (de mamans) de protection des villages, dont la lutte contre l’insécurité évolue souvent vers une mobilisation pour plus d’écoles, d’hôpitaux, de MJC, de restaurants populaires pour les enfants pauvres, etc.

J.C.


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Messagede bipbip » 23 Mar 2018, 20:50

Projection débat « Bengal Shadows »

Les Ombres du Bengale

Documentaire sur la famine de 1943 au Bengale

Paris dimanche 25 mars 2018
à 19h, Le Saint Sauveur, 11 rue des Panoyeaux

Projection publique & Rencontre-débat avec Joy Banerjee et Mogniss H. Abdallah

animé par Mouloud Weber (Tout au fond près du radiateur, émission sur Radio FPP)

plus de 3 millions de morts - et sur la responsabilité du pouvoir colonial britannique, alors dirigé par un Winston Churchill aux relents racistes, en particulier à l'égard des Indiens.

En 1943, au Bengale, va se dérouler l'un des épisodes les plus sombres, mais méconnu, du front oriental de la seconde guerre mondiale : à Calcutta, capitale jusqu'en 1911 de l'Inde (colonisée depuis le milieu du XVIIIème siècle par les Britanniques), des dizaines de milliers de paysans vont mourir de faim sur les trottoirs de la ville. Dans les campagnes, sévit une terrible famine. Au total cette année -là, au Bengale occidental et dans l'actuel Bangladesh, entre 3 et 5 millions de personnes ont été emportées par une famine qui d'après de nombreux historiens anglais et indiens aurait pu être évitée.

Ce drame va naître d'un enchainement d'événements suite au déclenchement de la seconde guerre mondiale. Les Anglais recrutent massivement des soldats indiens. 200 000 avant la guerre, ils seront bientôt deux millions et demi, envoyés sur différents fronts, dans le nord de l'Inde, au Moyen-Orient et jusqu'en Europe. Avec les millions de soldats indiens et britanniques à nourrir et l'effort de guerre à soutenir, la pression sur les ressources de la colonie devient très forte et la situation alimentaire commence à se dégrader...

Après l'attaque surprise de Pearl-Harbour, l'armée japonaise cumule les victoires militaires (Philippines, Malaisie, Singapour…) et se rapproche des frontières de l'Inde, tandis que le mouvement « Quit India », lancé par Gandhi et le parti du Congrès réclame l'indépendance immédiate. Un autre leader nationaliste, plus radical que Gandhi et des membres du Congrès, va prendre les armes et menacer directement les Anglais : Netaji Subhas Chandra Bose.

Ce Bengali décide de partir en exil pour combattre les Anglais et, pour cela, va même aller chercher du soutien auprès des Allemands et leurs alliés japonais.

Depuis leur cabinet de guerre, le premier ministre Winston Churchill et plusieurs de ses conseillers ordonnent de mettre en œuvre une politique de la terre brûlée au Bengale qui va jouer un rôle important dans le déclenchement de la famine. Cette politique va toucher tout le Bengale rural. La région de Midnapur, située à une centaine de kilomètres de Calcutta, a été particulièrement visée, car la révolte contre les Anglais y était forte et parce qu'elle est située au bord de l'océan indien et donc vulnérable en cas de débarquement japonais. Des bateaux indiens sont confisqués ou détruits, l'infrastructure des transports démantelée : deux tiers des 66000 bateaux enregistrés au Bengale ont été rendus inutilisables. A cela, il faut ajouter les conséquences du cyclone d'octobre 1942, qui a tué plus de 40 000 personnes, détruit les récoltes et le bétail des régions côtières, et a laissé des centaines de milliers de personnes sans abri et sans nourriture…

Devant l'ampleur de la catastrophe qui commence à s'ébruiter à travers le monde, une aide internationale arrive petit à petit vers la fin de l'année 1943. Très tard et de façon trop insuffisante, d'autant que les Britanniques réquisitionnent d'abord navires et cargaisons pour approvisionner en priorité l'Angleterre et ses alliés. « Britannia rules the waves » s'enorgueillit l'hymne impérial. Derrière la figure héroïque du « lion » indomptable, Winston Churchill apparaît ainsi sous un jour moins glorieux dans sa conduite envers les Indiens, ces « 300 millions de primitifs » qui « se reproduisent comme des lapins », sous-entendant qu'ils seraient ainsi eux-mêmes responsables de la famine.

Le cynisme de Churchill, ses propos racistes, retiendront l'attention d'historiens, anglais ou indiens. Dans son livre « Churchill's Empire » (Macmillan 2010), Richard Toye, de l'université d'Exeter en Angleterre, rappelle la propension de Churchill à animaliser les populations indigènes tout au long de sa gouvernance coloniale : « Je hais les Indiens. Ils constituent un peuple bestial avec une religion bestiale », a-t-il ainsi déclaré. Irlandais, Kurdes, Soudanais, Mau-Mau au Kenya, mais aussi résistants communistes grecs, ont également été confrontés à sa brutalité impériale.

En 2010, la chercheuse Madhusree Mukerjee publie « Churchill's Secret War. The British Empire and the Ravaging of India during World War II », un livre de référence sur cette famine de 1943 au Bengale, qui sortira en français sous le titre « Le Crime du Bengale - La part d'ombre de Winston Churchill ( Ed. Les Nuits rouges, 2015). Son expertise constitue un des fils conducteurs du documentaire Bengal Shadows / Les Ombres du Bengale. D'autres historiens indiens, tels que Rudranshu Mukerjee, Shusnata Das ou Subhir Sinha (SOAS - Londres), apportent leur éclairage sur la politique coloniale de Churchill, qui s'est malheureusement aussi appuyé sur quelques négociants véreux et collabos bengalis qui ont réalisé des profits pendant la famine.

Les réalisateurs Joy Banerjee et Partho Bhattacharya - vivant en France - ont aussi recueilli sur place des témoignages exclusifs, poignants, de personnages aujourd'hui âgés qui ont vécu ces événements dramatiques. 70 ans après l'indépendance de l'Inde, la mémoire de Jhorna Bhattacharya, militante communiste, de Chitta kumar Samonta, ancien combattant, ne s'est pas dissipée. Elle reste intacte, précise.

Des œuvres d'artistes, tels les dessins de Chittoprosad Bhattacharya, les peintures de Zainul Abedeen, ou encore « Distant Thunder (Tonnerre Lointain) », film de Satyajit Ray avec l'acteur Soumitra Chatterjee qui témoigne dans le documentaire, ou encore des chansons telles que « Dhakar Daak », contribuent à leur manière au renouveau d'une mémoire collective qui s'inspire encore de la famine du Bengale en 1943.

Aujourd'hui, des universitaires, des militants ou des hommes politiques indiens comme Shashi Tahroor, auteur du livre « Inglorious Empire - What the British did to India » (Hurst & Co - 2017), réclament réparation. Leurs recherches sur une « man-made » famine, littéralement « fabriquée par l'homme », peuvent aussi alerter sur ce qui se passe ailleurs dans le monde aujourd'hui-même, comme par exemple au Yémen où des millions de personnes subissent actuellement maladies et famine, conséquences directes du blocus militaire et de la guerre menée par le pouvoir saoudien avec le consentement des anciennes puissances coloniales.

Bande-annonce de « Les Ombres du Bengale » en VF :
https://www.facebook.com/BengalShadows/ ... 937021830/

Version courte de « Bengal Shadows » en version anglaise, avec une introduction de Tariq Ali, dans le cadre de l'émission « The World today with Tariq Ali » :
https://www.youtube.com/watch?v=K-h7jW6 ... e=youtu.be

Page Facebook pour « Les Ombres du Bengale » :
https://www.facebook.com/BengalShadows/

Entretien avec le réalisateur Joy Banerjee, diffusé le 9 mars 2018 sur Radio FPP, dans l'émission Frontline, et disponible en ligne :
http://www.bboykonsian.com/Emission-Fro ... a3932.html

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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 08 Avr 2018, 00:35

Dulcie September, l’enquête inaboutie

Apartheid. La représentante de l’ANC en France a été assassinée à Paris le 29 mars 1988. Son combat et ses investigations sur les ventes d’armes au régime d’apartheid ont scellé son destin.

Mardi 29 mars 1988. Comme chaque matin, la représentante du Congrès national africain (ANC) en France, Dulcie September, quitte son domicile d’Arcueil, dans le Val-de-Marne. Elle se rend à son bureau, rue des Petites-Écuries, sis dans le 10e arrondissement parisien. Alors qu’elle se trouve dans le couloir de l’immeuble, avant même d’avoir eu le temps d’ouvrir la porte, elle est abattue à bout portant, dans le dos, de cinq balles de revolvers calibre .22, munis de silencieux. Qui a tiré ? Si l’on en croit les révélations d’Eugène De Kock – le sinistre chef de la Vlakplaas, les escadrons de la mort sud-africains – faites en avril 1998 devant la Commission Vérité et Réconciliation (TRC), les tueurs étaient des membres de la garde présidentielle des Comores, et l’un d’entre eux se nommerait Jean-Paul Guerrier. Ce dernier a été arrêté et inculpé en France, en 1996, en même temps que le Français Bob Denard – l’homme des réseaux mercenaires en Afrique et des coups d’État – pour l’assassinat du président Abdallah aux Comores. De son côté, l’ancien chef des services de renseignements militaires sud-africains, Christoffel Nel, a redit devant la TRC, qu’il n’avait « aucun doute » sur le fait que l’assassinat de Dulcie September relevait d’une opération de l’armée sud-africaine, tout en notant qu’il serait « aberrant » que les tireurs aient été sud-africains, estimant que, si le dossier était révélé, on trouverait plutôt « un membre de la Légion étrangère ou quelque chose de cet ordre ». Jusqu’à aujourd’hui, aucun procès n’a eu lieu.

Inquiète des accointances du pouvoir français avec celui d’Afrique du Sud

Née à Athlone, une banlieue du Cap, en 1935, Dulcie September est d’abord enseignante mais rejoint très vite les mouvements de lutte (1). Elle est arrêtée en 1963 et ne sortira de prison qu’en 1969. Elle décide alors de s’exiler. À Londres, elle rejoint l’ANC. Jusqu’à sa nomination, en 1983, comme représentante de l’ANC pour la France, la Suisse et le Luxembourg, poste qu’elle occupera à plein temps à Paris, à partir de 1986. L’année est importante. C’est celle de la première cohabitation entre François Mitterrand, président socialiste, et le premier ministre, de droite, Jacques Chirac, qui durera jusqu’en mai 1988. Entre ces deux dates, Dulcie September va poursuivre son travail opiniâtre de militante anti-apartheid qu’elle a toujours été, notamment pour faire respecter les sanctions (pétrole et vente d’armes, entre autres) décrétées par l’ONU et allègrement contournées par de nombreux pays.

Ce travail, elle va le poursuivre dans plusieurs directions. D’abord en parcourant la France, répondant aux multiples invitations d’associations – l’Afaspa, les Rencontres nationales contre l’apartheid, le Mouvement anti-apartheid mais aussi le Parti communiste français (PCF), dont les élus et les structures militantes, dont l’Humanité à cette époque, se mettent à la disposition de Dulcie September et de la lutte pour la chute du régime raciste. Parallèlement, elle s’inquiète des accointances du pouvoir français avec celui d’Afrique du Sud. Notamment à travers les agissements de l’Armscor, organisme sud-africain chargé des programmes d’armement, dont l’adresse à Paris n’était autre que celle de l’ambassade d’Afrique du Sud. Une présence non officielle, mais qui pourrait penser que les services de renseignements français n’étaient pas au courant ? « Dulcie September s’intéressait de trop près au commerce des armes, entre Paris et Pretoria », expliquait, en 1997, Peter Hermes, directeur de l’Institut néerlandais pour l’Afrique australe. Il affirme par ailleurs que « les services secrets français n’ont pas participé directement à l’assassinat de Dulcie September, mais ils étaient au courant de sa préparation ». On sait maintenant que des réunions ont eu lieu entre les renseignements militaires sud-africains et la DGSE, qu’on y a parlé vente de Mirage, de missiles, d’hélicoptères. Et que ces conversations ont abouti à des contrats secrets. L’Élysée comme Matignon ne pouvaient pas ne pas être au courant. Il semble évident que, parmi les intermédiaires, ils avaient, l’un et l’autre, leurs affidés politiques, intermédiaires financiers avec les entreprises d’armement.

Il semble par exemple – selon la journaliste néerlandaise Evelyn Groenink (2) – qu’elle se soit également inquiétée de l’attitude de certains hauts cadres de l’ANC qui, déjà, mettaient leurs mains dans ce juteux commerce des armes, en préparant les lendemains de l’apartheid. Thales est ainsi impliqué dans des affaires de pots-de-vin qui auraient été versés à Jacob Zuma. Notre consœur cite des faits et des déclarations troublants, et relie ces affaires d’armement y compris à l’assassinat, en 1993, de Chris Hani, secrétaire général du PC et chef de la branche armée de l’ANC, en lutte contre la corruption.

Dulcie September dérangeait. Elle le savait comme elle se savait menacée, sans recevoir de protection de la France. Portes fracturées, locaux de la rue des Petites-Écuries visités, inconnus qui la prennent en photo en se dissimulant… À sa mort, la police française a saisi tous les documents. Elle les a rendus depuis. Tous, sauf le carnet dans lequel Dulcie September inscrivait ses notes et ses rendez-vous. Un crime politique de plus non élucidé.

Pierre Barbancey

(1) Lire Dulcie September, de Jacqueline Derens, éditions Non Lieu. (2) Incorruptible. The Story of the Murders of Dulcie September, Anton Lubowski and Chris Hani.


https://www.humanite.fr/dulcie-septembe ... tie-652845
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede Pïérô » 19 Avr 2018, 17:35

Lancement de la campagne « Faidherbe doit tomber ! »

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Pourquoi s’attaquer aujourd’hui à Louis Faidherbe ? Pour une raison simple : parce que les monuments, les bâtiments et les rues qui lui rendent hommage, célèbrent – sans toujours le dire ouvertement – le projet colonial auquel il a consacré sa vie. Si l’homme Faidherbe appartient indéniablement au passé, ses idéaux polluent encore notre présent. La célébration perpétuelle que nous imposent ces statues et ces rues prouve que l’idéologie coloniale reste bien vivace.

Faidherbe n’était pas un agent parmi d’autres du colonialisme français. Il en fut un précurseur, un théoricien et un propagandiste. Il a même fini par en devenir un symbole.

Deux cents ans après la naissance de Faidherbe, qui vit le jour à Lille en 1818, et quarante ans après le « jumelage » entre les municipalités de Lille et de Saint-Louis du Sénégal, scellé en 1978, il est temps de connaître les autres facettes de ce douteux personnage, que certains décrivent comme le « père de l’impérialisme français [1]

C’est la raison d’être de cette campagne « Faidherbe doit tomber ! » lancée mardi 10 avril à Lille à l’initiative de Survie, via son groupe local Survie Nord, en partenariat avec :
• l’Atelier d’histoire critique,
• le Collectif Afrique (à Lille),
• le Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP),
• le Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe.

Retrouvez plus d’infos sur faidherbedoittomber.org et, sur Twitter, suivez @ABasFaidherbe

[1] C’est le cas par exemple du général Maurice Faivre dans un texte publié en janvier 2011 sur le site « Études coloniales ».

Dossier de présentation de la campagne « Faidherbe doit tomber ! » :
https://survie.org/IMG/pdf/dossier_faid ... l_2018.pdf

https://survie.org/l-association/mob/ar ... oit-tomber
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 30 Avr 2018, 16:01

Cameroun 1948 : l’indépendantisme de l’UPC écrasé par la Françafrique

Thomas Deltombe (journaliste) : Cameroun 1948 : l’indépendantisme de l’UPC écrasé par la Françafrique

Le 10 avril 1948, dans un bar de Douala, la plus grande ville du Cameroun, douze militants fondent l’Union des populations du Cameroun (UPC) qui devient rapidement la principale force d’opposition au pouvoir colonial français. La répression se transforme en guerre secrète et fait émerger un modèle néocolonial analysé par Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa dans La Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique (La Découverte, 2016).

Alternative libertaire : Qu’est-ce que l’Union des populations du Cameroun ?

Thomas Deltombe : L’UPC est un mouvement politique fondé en 1948 qui réclamait l’indépendance du Cameroun, l’unification des Cameroun français et britannique, l’« élévation des standards de vie ». Ces trois mots d’ordre n’étaient rien d’autres que la reformulation des promesses faites à la fin de la Seconde Guerre mondiale par des puissances qui administraient l’ancien « Kamerun » allemand : la France et la Grande-Bretagne.

En effet, depuis 1919, le Cameroun n’était plus une colonie allemande mais un territoire international, sous tutelle de la SDN puis de l’ONU (comme le Togo ou le Rwanda par exemple). Territoire retiré aux Allemands après la Première Guerre mondiale, l’ancien Kamerun a été coupé en deux et confié à l’administration française (4/5e du territoire) et britannique (1/5e). Cette particularité juridique est fondamentale pour comprendre la suite.

Les UPCistes – qui viennent presque tous du syndicalisme – demandaient finalement ce qui avait été promis aux Camerounais dans les « accords de tutelle » signés en 1946 par Paris et Londres en échange de la prolongation de leur « mission » tutélaire sur le pays. Dans ces accords, figuraient la notion d’« autogouvernement ou indépendance » à laquelle les puissances tutélaires promettaient d’amener leurs administrés camerounais. La notion d’« élévation des standards de vie » provenait quant à elle d’une promesse faite par De Gaulle à la conférence de Brazzaville (1944). Bref, l’UPC demandait simplement l’application des promesses.

En 1948, l’UPC est de taille modeste. Mais ses mots d’ordre, son organisation, le charisme de ses dirigeants lui permettent de devenir rapidement très populaire. En quelques années, l’UPC devient le premier mouvement politique sur le territoire du Cameroun français. Il est implanté dans la plupart des régions, à la différence des autres mouvements qui sont souvent régionaux, pour ne pas dire ethniques. Les foules sont de plus en plus nombreuses à venir écouter les leaders UPCistes.

Les archives montrent que l’administration française s’inquiète rapidement de la montée en puissance de l’UPC. Et cela d’autant plus que ce mouvement a des connections internationales : il est au départ la branche camerounaise du Rassemblement démocratique africain (RDA), le parti « interterritorial » de Félix Houphouët-Boigny, et entretient des relations avec différents mouvements anticolonialistes dans le monde.

Est-ce que l’UPC a des liens avec le bloc soviétique ou les partis communistes ?

Thomas Deltombe : Il y a eu beaucoup de débats sur ce point. Dès sa naissance, l’UPC, créée par des syndicalistes, entretient des relations avec la CGT française, qui a activement cherché à s’implanter dans les territoires colonisés. Si cette genèse a servi de prétexte à l’administration pour accuser l’UPC de « communisme », la direction de l’UPC a très clairement affirmée que le mouvement était « nationaliste » et rien d’autre – donc « ni communiste ni anticommuniste ». Et cela est exact, dans un premier temps, l’UPC accueillant des gens d’horizons sociopolitiques très variés : chrétiens, musulmans, staliniens, paysans, anciens combattants, chefs traditionnels, etc.

Les affiliations idéologiques vont évoluer par la suite, la répression française provoquant des scissions internes au sein de l’UPC et incitant certains de ses dirigeants à chercher des appuis extérieurs : dans le bloc communiste (soviétiques, chinois) parfois, mais surtout dans les pays africains indépendants (Égypte, Ghana, Guinée, Algérie, etc.). En pleine guerre froide, les Français clameront partout que l’UPC est une organisation « communiste » pilotée par Moscou ou Pékin pour tenter de la discréditer aux yeux de ses alliés occidentaux et de justifier son action répressive.

La France réagit en mettant en place une stratégie de guerre secrète intense assez inédite.

Thomas Deltombe : L’intensité de la répression monte par paliers au cours des années 1950. Au départ, elle est plutôt sournoise : les Français mutent les petits fonctionnaires de l’UPC pour disperser les forces militantes, interdit aux dirigeants de faire des meetings, confisque leurs tracts, les traîne en justice sur des motifs bidons... Il s’agit en d’autres termes de la répression administrative habituelle d’une dictature coloniale.

Entre 1955 et 1957, les choses basculent : on entre dans une véritable guerre, en partie inédite, mais pas totalement. Les techniques sont celles de la « guerre contre-révolutionnaire » appliquées au même moment en Algérie et qui utilisent différents stratagèmes : assassinat ciblés des leaders nationalistes, torture systématique des « suspects », quadrillage territorial, regroupement de populations, action psychologique intensive, etc.

Comme Gabriel Périès, Matthieu Rigouste et quelques autres, nous nous sommes donc plongés dans ces techniques de guerre très spéciales qui s’attaquent directement au peuple et visent le contrôle total des individus (territorial, corporel, psychologique, etc.). Ce faisant nous avons découvert qu’elles avaient non seulement été utilisées contre les UPCistes passés à la résistance armée mais qu’elles avaient mutée en techniques de gouvernement au moment où le Cameroun devenait officiellement « indépendant », en 1960...

Quelle est la nature de cette « indépendance » octroyée au Cameroun le 1er janvier 1960 ?

Thomas Deltombe : Pour les Français, la guerre contre l’UPC et ses partisans doit permettre de rester souverain « en toute hypothèse de souveraineté ». L’idée, énoncée dès le milieu des années 1950, est la suivante : puisque nous avons promis l’« indépendance » en 1946, nous allons honorer cette promesse… mais en vidant ce terme de son contenu !

Pour prendre de court l’UPC, qui consolide sa guérilla, qui tisse des liens internationaux, qui est invitée à la tribune de l’ONU, les Français promettent donc l’« indépendance » au Cameroun et la confie autoritairement à des Camerounais qui ne l’ont jamais demandée. La phrase que Pierre Messmer, haut commissaire de la France au Cameroun entre 1956 et 1958, utilise dans ses Mémoires est assez claire : « La France accordera l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui l’a réclamaient avec le plus d’intransigeance. » La guerre du Cameroun est l’histoire de cette « liquidation ».

Et c’est dans cette guerre que sont forgés les armes et les rouages de la mécanique néocoloniale. Tout le processus, de 1955 à 1964, consiste à créer une façade d’indépendance : on installe un président, Ahmadou Ahidjo, qui dispose sur le papier des instruments de la souveraineté nationale. Mais cette dernière est minée en coulisse par la France qui, grâce à une série d’accords bilatéraux, pour certains secrets, conserve la haute main sur la diplomatie, le commerce, la politique monétaire et, bien sûr, sur tous les instruments de répression (police, armée, services secrets, etc.) qui ont été créés au cours de la guerre « contre-subversive » contre l’UPC et ses « soutiens potentiels » (c’est-à-dire une grande partie de la population !). La guerre, devenue permanente et généralisée, mute progressivement en dictature : la France a fait de l’État camerounais une machine de guerre contre-subversive dont le but était – et est toujours – d’écraser tous les potentiels opposants à l’ordre néocolonial.

Et le maintien de cette dictature actuellement explique-t-elle le silence sur cette période ?

Thomas Deltombe : Le pouvoir installé au Cameroun au début des années 1960, et dont le régime actuel est l’héritier, sait qu’il est illégitime. Dès les années 1960, et avec le soutien actif de la France, les dirigeants camerounais ont donc interdit tout ce qui pouvait rappeler au peuple cette illégitimité. Cela explique pourquoi la guerre a revêtu un très fort caractère « psychologique ». À mesure que les UPCistes perdaient du terrain, au cours des années 1960, en raison de la répression, le concept de « subversion » s’est élargi : toute personne qui ne clamait pas avec assez de conviction sa totale allégeance au régime d’Ahidjo, érigé en « père de la nation » et appuyé à partir de 1966 sur un parti unique, devenait « subversif ». En vingt ans, le pays à qui l’on promettait en 1946 l’« indépendance » est ainsi devenu une implacable dictature pro-française.

Mais il y a plus. Du fait de son statut juridique particulier et du « succès » de la répression, le Cameroun devient à la même période, du point de vue des dirigeants parisiens, un « modèle à suivre » que les Français dupliqueront dans les autres colonies devenues « indépendantes ». Le Cameroun, premier pays dont l’« indépendance » a permis de prolonger la mainmise de la France, fait alors figure de laboratoire de ce qu’on appellera plus tard la Françafrique.

Les choses ont certes évolué depuis les années 1960. Mais le régime de Paul Biya, président du Cameroun depuis 1982 et héritier direct d’Ahidjo, est toujours là. Si le régime à parti unique a été supprimé dans les années 1990, le même parti reste toujours au pouvoir et une répression multiforme s’abat quotidiennement sur le peuple camerounais. Sous le regard faussement gêné mais vraiment complaisant des autorités françaises.

Propos recueillis par Renaud (AL Strasbourg)

• Thomas Deltombe, La Guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique, La Découverte, 2016.


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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 02 Mai 2018, 13:06

Présentation de
« L'encyclopédie de la colonisation française »

Paris jeudi 3 mai 2018
à 18h30, Centre culturel algérien, 171 rue de la Croix Nivert

Rencontre avec l'historien Alain Ruscio autour de "Encyclopédie de la Colonisation française (Ed: Les Indes Savantes)
Avec la participation de Patrice Morlat, historien, spécialiste de l'Indochine à l'époque coloniale

Image

Le projet Encyclopédie de la Colonisation française est vaste, avec plus de 2.000 entrées à ce jour, de Abandon à Zouave(s). Il n'a - évidemment et heureusement - pas la prétention de se substituer à la riche bibliographie qui existe, mais plutôt de mettre en perspective cette immense somme. Il s'agit de la rédaction, par une équipe de chercheurs, d'un ouvrage de très grandes dimensions, par entrées thématiques. À ce jour, plus d'une centaine d'auteurs ont rédigé des notices. Ils sont issus de la France hexagonale, mais aussi des territoires d'outre-mer, des anciennes colonies, des États-Unis, du Royaume-Uni, de Belgique, du Canada, etc. Ce sont des chercheurs confirmés, professeurs d'université, auteurs d'études faisant autorité, mais aussi de jeunes docteurs ou doctorants, traitant des thèmes ayant fait l'objet de leurs travaux récents. (Par Alain Ruscio)

https://paris.demosphere.eu/rv/61966


Colloque
Massacres coloniaux : Indochine, Algérie, Palestine, Antilles

Nanterre (92) jeudi 3 mai 2018
à 19h, L'Agora, 20 rue de Stalingrad

Connaître l'histoire pour comprendre l'enjeu d'aujourd'hui

Avec :
• Alain Ruscio - Historien (sous réserve)
• Alima Thiery Boumediene - Avocate, Ancienne Parlementaire
• Olivier Le Cour Grandmaison - Historien
• François-Xavier Guillerm - Journaliste France Antilles

Entrée libre

https://paris.demosphere.eu/rv/61406

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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 06 Mai 2018, 16:24

Assassinat d'Henri Curiel: la famille demande la réouverture de l'enquête

La famille d'Henri Curiel, assassiné en 1978 en plein Paris, a déposé plainte pour demander la réouverture de l'enquête sur cet assassinat non élucidé.

"Nous avons déposé plainte avec constitution de partie civile vendredi", a indiqué l'avocat de la famille, Me Bourdon. "Il est difficile d'imaginer que de nouvelles investigations ne soient pas entreprises après les révélations du livre "Le roman vrai d'un fasciste français", a-t-il ajouté.

Dans cet ouvrage, paru en mai, René Resciniti de Says, membre de l'Action française décédé en 2012, revendique l'assassinat du militant d'extrême gauche Pierre Goldman et celui d'Henri Curiel. Selon ce témoignage posthume, recueilli par le journaliste Christian Rol, René Resciniti de Says aurait agi sur ordre de Pierre Debizet, patron du SAC, le service d'ordre du parti gaulliste. "Ce témoignage déterminant rend indispensable la réouverture de l'enquête", a souligné Me Bourdon. "Il y a des personnes qui sont encore vivantes dans l'entourage de celui qui s'auto-désigne comme l'assassin", a-t-il relevé.

Le 4 mai 1978, Henri Curiel est assassiné à la sortie de son domicile par deux hommes armés. L'assassinat est revendiqué par un mystérieux groupe d'extrême-droite "Delta", mais les auteurs ne seront jamais identifiés. Conclue par un non-lieu en 1992, puis rouverte dans les années 2000 sur la base de nouveaux témoignages, l'enquête a été une nouvelle fois classée sans suite en 2009.

Né en 1914 au Caire, Henri Curiel a soutenu le FLN pendant la guerre d'Algérie en rejoignant le réseau fondé par Francis Jeanson, "Les porteurs de valise". Arrêté en 1960, puis libéré après la signature des accords d'Évian, il fut l'une des chevilles ouvrières des mouvements de libération des années 1960 et 1970 en Afrique, Asie et Amérique latine.


https://www.humanite.fr/assassinat-dhen ... ete-587847


Colonialisme. Moi, Henri Curiel, juif et communiste, tué le 4 mai 1978
Le militant anticolonial a été assassiné en plein Paris. Un meurtre jamais élucidé. Le dossier est rouvert à la suite des révélations d’un fasciste français quant à son implication.
Paris, 4 mai 1978, il est 14 heures. Tout est calme, c’est le jeudi de l’Ascension. Dans l’immeuble du 4, rue Rollin, dans le 5e arrondissement, le bruit mécanique d’un ascenseur en mouvement brise le silence. Il descend. À l’intérieur, Henri Curiel, communiste, militant de la cause internationaliste et anticoloniale.
... https://www.humanite.fr/colonialisme-mo ... 978-654858
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 27 Mai 2018, 18:00

Ciné-rencontre CONG BINH, LA LONGUE NUIT INDOCHINOISE

Angers jeudi 31 mai 2018
à 20h, Cinéma les 400 coups, 12 rue Claveau

Documentaire de Lam Lê
FRANCE - 2012 - 1h56

En présence de Béatrice Nguyen Van, fille de travailleurs indochinois

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, 20 000 Vietnamiens étaient recrutés de force dans l'Indochine française pour venir suppléer dans les usines d'armement les ouvriers français partis sur le front allemand. Pris à tort pour des soldats, bloqués en France après la défaite de 1940, livrés à la merci des occupants allemands et des patrons collabos, ces ouvriers civils appelés Cong Binh menaient une vie de parias sous l'Occupation. Ils étaient les pionniers de la culture du riz en Camargue. Considérés injustement comme des traîtres au Viet Nam, ils étaient pourtant tous derrière Ho Chi Minh pour l'Indépendance du pays en 1945.
Le film a retrouvé une vingtaine de survivants au Viet Nam et en France. Cinq sont décédés pendant le montage du film. Ils racontent aujourd'hui le colonialisme vécu au quotidien et témoignent de opprobre qui a touché même leurs enfants. Une page de l'histoire entre la France et le Viet Nam honteusement occultée de la mémoire collective.

http://www.les400coups.org/evenements.php?soiree=1690
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 20 Juin 2018, 16:36

La France fait massacrer des Africains les 19 et 20 juin 1940 à l’entrée Nord de Lyon !

Dans le cadre de notre histoire occultée, ce sont des massacres racistes de tirailleurs sénégalais qui ont été voulus par la France, lors de la guerre de 1939/45. À l’entrée nord de Lyon et dans les monts d’Or, les 19 et 20 juin 1940, appelés délibérément là où le combat était perdu d’avance, les tirailleurs sénégalais ont été férocement tués par les Allemands. Au camp de Thiaroye, près de Dakar, au Sénégal, c’est carrément l’armée française qui les a abattus dans la nuit du 1er au 2 décembre 1944.

Dans l’histoire de la deuxième guerre mondiale, l’histoire des « tirailleurs sénégalais » n’existe pas, alors que leur action a été déterminante. Absente des manuels scolaires, rien ou presque rien ne témoigne de la présence déterminante de l’Afrique dans la libération de la France. C’est en Afrique que de Gaulle organise la résistance et, vu le peu de soutien de ses compatriotes, c’est sur le sol africain qu’il finit par trouver la plus grande partie de l’armée française de libération. Mais, comme dans de nombreux domaines, la France a encore fait le choix de la falsification historique.

... https://rebellyon.info/La-France-fait-m ... -Africains
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede Pïérô » 29 Juin 2018, 11:52

A Paris, l’association Survie débaptise une station de métro dans le cadre de la campagne « Faidherbe doit tomber »

Alors que se termine la campagne « Faidherbe doit tomber » menée parallèlement en France et au Sénégal à l’occasion du bicentenaire de la naissance de cette figure du colonialisme, l’association Survie a symboliquement rebaptisé ce matin la station de métro Faidherbe-Chaligny en « Faidherbe Ça suffit ! », en demandant « Qui veut (encore) célébrer le colonialisme ? ». Cette action symbolique s’inscrit dans le cadre de la campagne collective « Faidherbe doit tomber », qui fait le lien entre l’hommage public à ce serviteur zélé du colonialisme et la façon dont ses idéaux polluent encore notre présent.

... https://survie.org/l-association/mob/ar ... adre-de-la
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 05 Juil 2018, 19:30

L’œuvre négative du colonialisme français en Guyane De la recherche du « roi doré » à la « Montagne d’or »

Le bagne de Cayenne et le lanceur Ariane sont pour beaucoup de français les seules images de la Guyane. Parfois s’ajoute celle d’un peuple toujours en grèves incompréhensibles quand ce n’est pas celle d’un peuple d’assistés. Derrière ces images médiatiques se cache une réalité coloniale qui emplie la vie quotidienne des guyanais. Faisant partie des « vielles colonies[i] », la Guyane dite « française » est occupée par la France depuis plus de trois siècles. Les colonisateurs espagnols lui donnèrent le nom d’Eldorado en raison de la légende du « roi doré[ii] » décrivant un roi rendant hommage aux dieux en étant enduit d’or de la tête aux pieds. Le résultat en sera un quasi-génocide des six nations autochtones du territoire. Ils sont remplacés par des esclaves comme le démontre le qualificatif « de colonie à esclave » figurant dans les différents projets de colonisation qui se succède à partir de 1626, [...]. Si les raisons de la présence française ont changées au cours des trois siècles d’occupation française, le système social reste jusqu’à aujourd’hui caractérisé par un rapport colonial. L’installation d’un Centre spatial guyanais en 1964 renforce encore cette structure coloniale.

Du génocide des autochtones à l’engagisme

L’arrivée des premiers français se traduit rapidement par une tentative d’asservir les autochtones et devant leur résistance par un massacre de ceux-ci. « Les français dès leur arrivée ont massacré tous les indiens ou ont tenté de les réduire en esclavage[iv] » résume le philosophe Neuville Doriac. En témoigne le massacre qui se déroule en 1857 lors de la conquête de Cayenne. Toutefois ces violences de la conquête furent sans aucune mesure avec celles mises en œuvre dans le reste de l’Amérique Latine [...]

L’arrivée des colonisateurs enclenche donc une véritable hécatombe démographique du fait des épidémies qu’elle suscite. La chute du nombre d’autochtone est tellement importante qu’elle suscite des théorisations culturalistes et racistes. On parle alors de « guerres intestines », de « race usée », d’abus de « cachiri » (une bière autochtone), d’abus de « bains froids », de la « dénutrition » issue de la « paresse », etc. Déconstruisant ces grilles explicatives, le géographe Jean Hurault résume : « la plupart des auteurs étaient trop imbus de l’idéologie civilisatrice, chrétienne ou laïque, pour admettre que le contact des Européens pût être la cause même de l’extinction des Indiens[vi]. » Evalué entre 20 000 et 30 000 au moment de l’arrivée des européens, il n’en reste que 1200 en 1960. « Ces 1200 personnes sont les seuls représentants des quelques cinquante nations qui peuplaient la Guyane au moment du premier établissement des européens[vii] » [...]

Les conditions climatiques guyanaises, l’hécatombe et le repli dans la forêt des peuples autochtone conduisent rapidement à une articulation serrée entre esclavage et colonisation. Le premier devient de fait une des conditions de la seconde. Dès 1652 les premiers esclaves sont mentionnés dans divers documents et le premier navire négrier fait relâche à Cayenne en 1680. La demande des colons est considérable. Elle est évaluée comme suit pour Cayenne par un certain Périer des Varennes en 1702 : « Cayenne possède beaucoup de terres cultivables qui restent en friche faute de nègres. Ceux-ci appartiennent à 80 ou 100 habitants, la plupart des autres est dans l’indigence … Il conviendrait d’y transporter 400 nègres par an[viii]. » Dix ans plus tard le gouverneur de la colonie relaie comme suit cette demande : « La colonie tombait faute de nègres[ix]. »

Les conditions difficiles pour accoster en Guyane et les prix plus élevés offerts par les colons de Saint-Domingue et des Antilles françaises empêcheront de satisfaire cette demande et limitera fortement le nombre d’esclaves. En 1820 le secrétaire du gouverneur de la Guyane établit la répartition suivante de la population : « 1004 Blancs, 1733 Gens de couleur libres, 13153 esclaves, 1100 indiens[x]. » Le nombre d’esclaves est encore amoindri par l’importance du marronnage contre lequel sont organisés des opérations punitives. La résistance à l’esclavage sous la forme du marronnage fut présente dans toutes les colonies mais la topographie de la Guyane lui donne une importance particulière :

Sous l’Ancien Régime, la désertion des esclaves constituait une véritable plaie dans les colonies où la main-d’œuvre noire était seule employée pour la mise en valeur et la culture du sol. Cependant, le problème se posait avec plus d’acuité encore à la Guyane qu’aux Antilles, puisque, celles-ci étant formées d’île, la zone de vagabondage des noirs se trouvait restreinte, tandis qu’à la Guyane, pays continental, il leur était facile de gagner les territoires frontaliers de la colonie française : le Brésil, alors possession portugaise et la Guyane hollandaise[xi].

De nombreux marrons se contentaient de rejoindre les forêts épaisses où ils fondaient de petites communautés auto-suffisantes. A ces communautés de marrons s’ajoutent des groupes sociaux plus importants constitués de marrons venant de Surinam. Ces groupes constituent des communautés d’esclaves dans la forêt et attaquent les plantations afin de récupérer des armes et de libérer d’autres esclaves. Au début du XVIIIème siècle les marrons du Surinam s’évaluent à plus de 5000 personnes. Après une longue guerre contre l’armée hollandaise, ils sont contraints de se réfugier en Guyane française. [...]

Le visage de la société guyanaise dans les années qui suivent l’abolition est marquée par cet héritage : faiblesse quantitatives des descendants des peuples autochtones et des blancs, nombre plus important de descendants d’esclaves (mais minime en comparaison avec les Antilles ou Haïti), présence des communautés de nègres marrons, sous-développement chronique du territoire. C’est dans ce contexte que survient la découverte de mines d’or à l’Est de Cayenne. Le manque de main-d’œuvre se traduira par le développement de l’« engagisme », un régime juridique monarchiste de quasi-servage prenant le relais de la traite. Avec l’indemnisation des propriétaires d’esclaves, l’engagisme permet à la fois de mettre fin formellement à l’esclavage tout en maintenant un système d’exploitation touchant les anciens esclaves et des immigrés sous « contrat d’engagement ». L’ancien esclave devenu « engagé » est rejoint par de nouveaux migrants au même statut pour assurer la survie des fortunes des anciens propriétaires d’esclaves dans toutes les colonies. L’historien Sudel Fuma propose de renommer « l’engagisme » du nom de « servilisme » pour mieux mettre en évidence la nature du lien entre les « contractants ». L’auteur souligne le caractère discriminatoire des contrats d’engagement au regard du droit du travail existant, la violence exercée pour contraindre à l’acceptation du contrat et les promesses mensongères faites pour faire accepter le « contrat » [...]

L’or jaune, l’or bleu, l’or vert et l’or noir

Il est fréquent d’entendre parler d’absence d’enjeux économiques pour la France en Guyane pour nier le caractère colonial de la Guyane contemporaine. Un simple regard sur l’histoire économique et sur les ressources guyanaises dément cette assertion.

L’or est la seconde ressource d’exportation de la Guyane aujourd’hui, après l’activité spatiale (qui compte pour 83 % du total des exportations en 2014), avec 50 millions d’euros exportés en 2006. La question aurifère accompagne toute l’histoire coloniale de la Guyane. [...]. Le point de départ officiel de l’industrie aurifère reste cependant les découvertes des gisements dans la crique Arataye en 1855 que le directeur de l’intérieur de l’époque commente comme suit : « Une ère nouvelle paraît se lever sur notre pays, et Cayenne sera avant longtemps une rivale de la Californie. […]

L’état des techniques, la faiblesse des investissements (les acheteurs se contentant de se fournir auprès d’une multitude de petits chercheurs supportant tous les frais) et les variations des prix sur le marché mondial expliquent une production fluctuante et modeste jusque dans la décennie 70. L’amélioration des techniques d’extraction et la forte progression du prix de l’or sur le marché mondial (du fait de l’abandon de la parité or/dollars) conduira à un renouveau de la production et à l’entrée en scène de grandes sociétés industrielles internationales (Grupo Mexico aux capitaux mexicains et états-uniens, Cambior aux capitaux canadiens, WMC aux capitaux australiens, La Source aux capitaux français et australiens, etc.). Les résultats des nouvelles prospections industrielles ne tardèrent pas. Dans son rapport au premier ministre daté de 2000, Christiane Taubira mentionne : une découverte par la société ASARCO de 35 tonnes en réserves et 60 tonnes en ressources à Camp Caïman ; une autre par la société Guyanor-Cambior de 45 tonnes en réserves et 60 tonnes de ressources à Yaou et Dorlin, d’autres découvertes prometteuses mais non encore exploitables[xix].

Les découvertes ultérieures confirmeront les énormes potentialités aurifères de la Guyane. Le premier producteur d’or en Guyane la société Auplata (exploitant les mines de Dieu Merci et de Yaou) déclare ainsi en 2014 par la bouche du président de son conseil d’administration que la Guyane est « la plus grande réserve d’or du monde[xx] ». Dans la même période, la compagnie minière « Montagne d’or » rend public son projet de mine industrielle pour 2022 avec une production évaluée à 6.7 tonnes par ans. Ce projet de mines à ciel ouvert est cependant lourd de conséquences : déforestation (1513 hectares de la forêt amazonienne) et déversement massif de cyanure (46500 tonnes pour la durée de l’exploitation évaluée à 12 ans). Si le président Macron a annoncé son soutien au projet, un mouvement de contestation s’amplifie en particulier au sein des peuples autochtones. Le collectif « Or de question » qui multiplie les manifestations publiques a également saisi la justice pour demander le l’annulation du permis d’exploitation. Des choix industriels basés sur des besoins extérieurs à ceux de la population et se préoccupant de la rentabilité immédiate sans prendre en compte les effets à long terme sont, rappelons-le, une des caractéristique première de la logique coloniale.

A côté de l’or, La Guyane possède une Zone Economique Exclusive de 130 000 km² riche en ressources halieutiques et en particulier en ressources crevettières. Le secteur reste cependant largement sous-exploité avec une production variant de 3000 à 4000 tonnes par an dans les années 2000 et chutant de 700 à 800 tonnes en 2017[xxi]. La destination de cette production souligne la dépendance coloniale : 85 % est exporté vers l’hexagone et 10 % vers les Antilles Françaises.

La Guyane possède également des ressources en bois considérables. La forêt amazonienne couvre 8 millions d’hectares de forêt dont 7.5 millions appartiennent à l’Etat. La ressource est cependant largement sous-exploitée avec une production atteignant à peine 72 000 m3 de grumes. Paradoxe de la situation, typique d’une situation coloniale (où la priorité des investissements dépend uniquement de la rentabilité et non des besoins locaux), la Guyane importe pour 17, 6 millions d’euros de produits du bois et en exporte 3, 1 millions d’euros en 2014[xxii].

Enfin la découverte de gisements d’hydrocarbures offshore en 2011 par Total qui possède un permis exclusif d’exploration soulève de gros appétits. [...]L’USGS (United States Geological Survey), une agence scientifique du gouvernement états-unien, estime que ce Bassin est deuxième au classement des bassins pétroliers (off-shore) non-explorés les plus prometteurs au monde[xxiii].

La Guyane garde une structure économique de comptoir dépendante dans ses choix et dans ses priorités des besoins de la métropole. Les exportations comme les importations se font exclusivement avec la métropole d’abord, les autres colonies des Antilles et l’Europe ensuite. Le tissu commercial est détenu par des grandes familles Béké de Martinique (Le Groupe Bernard Hayot, le groupe Fabre-Domergue, la famille Dormoy, etc.). Les industries des matières-premières et de la construction sont dominées par des multinationales françaises (Bouygues, Eiffage, Vinci, Bolloré, Auplata, etc.). Les deux caractéristiques d’une économie coloniale sont bien présentes : l’exploitation des ressources au profit de la métropole et le monopole de la commercialisation pour de grandes sociétés métropolitaines. La seule spécificité ici est l’utilisation de la bourgeoisie antillaise comme intermédiaire dans l’exploitation de la colonie. Pour ne donner qu’un exemple illustrant l’absurdité de la logique coloniale pour le peuple guyanais, citons un rapport sénatorial daté d’octobre 2017 : « Que des matières premières importées du Brésil par la Guyane doivent transiter par Le Havre laisse pantois[xxiv]. »

Quant au sort du peuple guyanais il suffit de rappeler quelques chiffres pour comprendre que les richesses et ressources locales ne lui sont pas destinées : 40 % des 15/24 ans sont au chômage, 12 % seulement ont le bac, le revenu annuel moyen est inférieur de plus de 44 % à celui de la métropole, le nombre de bénéficiaire du RSA est quatre fois plus important que dans l’hexagone, les prix à la consommation sont 12 % plus élevé qu’en métropole, ceux des produits alimentaires plus chers de 45 % et ceux du logement de 20 %, etc.[xxv]

Géostratégie, centre spatial et « syndrome hollandais »

Nous avons délibérément mis de côté pour l’instant la principale activité économique de la Guyane, le Centre Spatial Guyanais (CSG) de Kourou et Sinnamary. Base de lancement française et européenne mise en service en 1968, le CSG est à la fois la première activité économique de Guyane et un enjeu stratégique essentiel pour l’Union Européenne. La décision d’installer le centre spatial en Guyane en 1964 se fait au même moment et pour les mêmes raisons que celle d’effectuer des essais nucléaires en Polynésie. L’indépendance de l’Algérie fait perdre simultanément au colonialisme français son terrain d’essais nucléaires du Sahara et la base d’Hammaguir prés de Bechar sur laquelle s’effectuaient les essais de lancements de missiles et de fusées. [...]

Ces facteurs confèrent rapidement à la Guyane une place particulière dans la concurrence mondiale pour les activités spatiales. La revue « Défense » de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN) résume comme suit en 1991 l’enjeu géostratégique de « l’Outre-mer français » et la place spécifique de la Guyane en son sein :

Grâce à la faible latitude de la Guyane, la France a pu y aménager, d’abord pour ses besoins propres, puis en coopération avec ses partenaires européens dans le cadre de I’« agence spatiale européenne », le « centre spatial guyanais ». De tous les centres de lancement de fusées spatiales dans le monde, il est actuellement le mieux situé, en particulier pour des tirs de satellites géostationnaires en direction de l’est. Sans Kourou, il n’y aurait pas de politiques spatiales françaises et ouest-européenne indépendantes possibles. […] On sait que la maîtrise de l’énergie nucléaire à des fins civiles et militaires, que l’utilisation de l’espace et que I ‘exploitation des océans seront les trois sources essentielles de puissance pour le XXIe siècle. […] Celui-ci [l’outre-mer] apporte à la France une triple opportunité de demeurer une grande puissance. La première est d’abriter, grâce à la Polynésie française le centre d’essais d’armes nucléaires le plus éloigné des zones peuplées qui soit au monde. La deuxième est de posséder le champ de tirs spatiaux le mieux situé au monde, avec Kourou en Guyane […]. La troisième est de disposer du troisième domaine maritime mondial offrant richesses marines et sous-marines mais aussi points d’appui et dimension unique. La conjugaison de ces trois atouts constitue un intérêt politique et stratégique majeur que ne possèdent ni les Etats- Unis d’Amérique, ni l’URSS ni aucune puissance montante[xxvi].

Ces propos sont toujours d’actualités malgré la disparition de l’URSS et l’arrêt des essais nucléaires (pouvant toujours redémarrer rapidement en cas de besoin). Ils suffisent à souligner les difficultés auxquels sont et seront confrontés les mouvements de libération nationale des dernières colonies françaises. La France utilise l’atout Guyanais dans le rapport des forces interne à l’Union Européenne pour la direction de celle-ci avec en conséquence que le combat ne se mène plus entre Paris et une colonie mais entre celle-ci et l’Union Européenne. [...]

Pour les Guyanais l’ouverture du centre spatial se traduit par un déséquilibre économique connu sous le nom de « syndrome hollandais » dont une des conséquences est le renforcement de la dépendance coloniale. L’expression désigne les effets déséquilibrants d’une manne financière nouvelle (mise en exploitation d’une nouvelle source de matière première ou en Guyane les énormes investissements liés au centre spatial). Usité initialement pour décrire les conséquences de la découverte aux Pays-Bas d’un large gisement de gaz naturel, l’expression s’est élargie ensuite à l’ensemble des situations caractérisées par un afflux brusque de nouveaux moyens financiers. Ces effets peuvent se résumer comme suit : centration sur le nouveau secteur au détriment des autres, inflation liée à l’accroissement du revenu national et de la demande, dualisation économique entre un secteur hypermoderne et des secteurs atrophiés, juxtaposition des richesses et de la pauvreté. Le syndrome Hollandais renforce on le voit toutes les caractéristique de la dépendance coloniale. Le centre spatial n’est pas articulé à l’ensemble de l’économie locale mais apparaît comme un appendice d’une économie extérieure.

Enfin le caractère stratégique du centre spatial entraîne une présence militaire conséquente. Officiellement se sont 2100 militaires des trois armées[xxviii] qui stationnent de manière permanente en Guyane (à Cayenne, Kourou et Saint-Jean-du-Maroni). A ce chiffre il faut ajouter les effectifs de la gendarmerie qui était de 920 en 2017[xxix]. Officiellement leurs objectifs sont d’assurer la sécurité de centre spatial, de surveiller les frontières avec le Surinam et le Brésil pour lutter contre l’immigration « clandestine », lutter contre les chercheurs d’or illégaux et contre la pêche illicite. Dans les faits cette présence militaire joue une fonction de dissuasion face à un mouvement social et à un mouvement indépendantiste en progression constante.

Contrecarrer le mouvement indépendantiste par tous les moyens

Comme dans toutes les vieilles colonies l’aspiration à l’autonomie puis à l’indépendance est quasi-inexistante au moment où la colonie change de statut en 1946 pour devenir département français. Comme ailleurs les aspirations que les guyanais investissent dans la départementalisation seront vite déçues. Après des décennies d’esclavages, d’engagisme et de sous-citoyenneté[xxx], la départementalisation apparaissait et avait été vendue comme une promesse d’égalité, comme la fin du rapport colonial. La déception est vite au rendez-vous avec le constat d’une persistance de la dépendance coloniale et d’une inégalité économique et sociale avec la métropole. L’heure du bilan arrive dans un contexte d’effervescence anticoloniale mondiale : Victoire vietnamienne de Dien Bien Phu en 1954, déclenchement de la lutte armée en Algérie en 1954, Conférence de Bandung en 1955, etc. C’est dans ce contexte que naît la première organisation nationaliste guyanaise :

Là où Césaire emploie le mot résurrection, ses lecteurs y liront les mots d’autonomie, d’indépendance et de révolution. C’est le cas d’étudiants guyanais qui créent à Paris, en 1955, le Comité guyanais d’action sociale et politique, qui prendra le nom d’Union du peuple guyanais (UPG, 1955-1965), premier parti nationaliste et autonomiste guyanais. Pendant 10 ans, l’UPG conteste la politique de l’assimilation et diffuse en Guyane les idées anticolonialistes[xxxi].

Se revendiquant de l’anticolonialisme, l’UPG ne revendique pas l’indépendance mais l’autonomie. Critiquant sévèrement la départementalisation et l’assimilation, l’organisation agit pour une réforme des rapports avec la métropole dans un sens égalitaire. Le tir de barrage contre le nouveau mouvement est immédiat de la part des Gaullistes. Malgré leurs professions de foi autonomiste l’UPG est attaquée comme étant des « « séparatiste », des « antifrançais » ou des « antiblancs[xxxii] » » rappelle l’historien Serge Mam Mam Fouck. Le jeune mouvement nationaliste fut rapidement l’objet de la répression coloniale sous la forme de l’expulsion hors de Guyane de ses leaders. [...]

Serge Patient, Bernard Linglin et Marius Milon furent ainsi éloigné de Guyane sous le coup de cette ordonnance. A ces éloignements de leaders s’ajoutent la censure sur le journal nationaliste et des licenciements de militants visant à les déstabiliser. Un climat de pression sur les militants se met en place suscitant peur et déstabilisation. [...]

L’année où disparaît l’UPG est également celle de l’implantation du Centre Spatial Guyanais. Les effets sur la conscience nationale guyanaise sont paradoxaux comme le décrit l’historien David Redon :

L’implantation du Centre spatial guyanais (CSG) sur une emprise de 96 000 hectares va fonctionner à la fois comme un accélérateur et un fossoyeur pour le nationalisme guyanais. Accélérateur, car les expropriations des 641 familles de Kourou, Malmanoury et Sinnamary ont des effets traumatisants immédiats sur les populations qui doivent abandonner leurs modes de vie. Le discours sur la “guyanité” se cristallise autour des expropriations et de la disparition de Malmanoury, en donnant corps aux discours nationalistes, autonomistes et indépendantistes. À l’opposé, l’état peut désormais affirmer l’efficacité de sa politique assimilationniste avec le “progrès” apporté aux populations guyanaises par le CSG et ses retombées économiques[xxxv].

Comme en Guadeloupe de nombreux militants nationalistes investissent le combat syndical avec la création en novembre 1967 de l’Union des Travailleurs Guyanais (UTG) qui adopte lors de son congrès fondateur un drapeau guyanais puis une motion en faveur de l’indépendance lors de son troisième congrès en 1973. Le discours n’est plus celui de l’autonomie mais explicitement celui de l’indépendance. L’ancrage syndical (qui est en même temps un ancrage dans la jeunesse) des indépendantistes inquiète fortement le gouvernement français. La décision de 1973 d’installer le troisième Régiment Etranger d’infanterie la légion étrangère (3ème REI) en Guyane porte le signe de cette inquiétude.

L’effectif est de plusieurs centaines d’hommes (Ils atteindront 1000 soldats en 1995) et la mission première est la protection du site spatial. Déjà en 1962 l’installation d’un premier contingent de la légion étrangère avait provoqué une manifestation le 14 juin à l’appel du Front Démocratique Guyanais[xxxvi] et de plusieurs organisations syndicales. Le préfet Erignac réagit par la répression violente avec de nombreux blessés, des arrestations et des traductions devant les tribunaux. « C’était la première fois, dans l’histoire politique de la Guyane, que des forces de gendarmerie et de police chargeaient des manifestants. La stupeur fut donc grande[xxxvii] » commente l’historien Mam Mam Fouck. L’installation du 3ème REI réveille les souvenirs de cette répression coloniale datant d’à peine une décennie.

La seconde réaction du gouvernement français devant cette radicalisation de la jeunesse et des syndicats est un projet de changer la structure sociale de la Guyane par une importation massive de migrants venant de métropole. Le projet dit « Plan Vert » annoncé en 1975 a pour objectif officiel de développer l’agriculture guyanaise. Le projet en préparation depuis 1973, porté par Olivier Stirn, secrétaire d’Etat aux départements et territoires d’Outre-mer annonce un objectif de 30 000 colons sur cinq ans pour un département qui ne compte à l’époque que 55 000 habitants. Alors qu’en Guadeloupe, en Martinique et à la Réunion l’Etat français organise l’exportation massive de la jeunesse par le biais du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) [xxxviii] , il tente ici de noyer le peuple guyanais avec des colons dépendant totalement de l’Etat français. Les candidats se voient en effet promettre des concessions et des aides à l’installation. Si le succès est immédiat en France (près de 20 000 candidatures), il suscite logiquement la colère des guyanais. Les manifestations massives sont réprimées mais le projet est officiellement abandonné. Un tel plan de peuplement réveille en effet les vieux souvenirs de projets de peuplement de l’époque esclavagiste et en particulier ceux liés au bagne de Cayenne. La sociologue et anthropologue Marie-José Jolivet résume comme suit les réactions au plan Stirn :

[....]

L’opposition à la légion et au projet Stirn catalysent les consciences guyanaises ce qui se traduit en octobre 1974 par la création du Mouvement Guyanais de décolonisation (MOGUYDE) et la même année du Front National de Libération de la Guyane (FNLG). A peine constituée ces organisations indépendantistes sont accusées, en décembre 1974, du complot dit de « Noël » avec arrestation de 13 militants indépendantiste du MOGUYDE, d’autres organisations indépendantistes (Jeune Garde, FLNG et Parti socialiste Guyanais) et du syndicat UTG. Ils sont accusés d’ « atteinte à la sureté de l’Etat », de préparer des attentats et des kidnappings. Huit d’entre-eux sont expatriés vers l’hexagone et déférés devant la Cour de sureté de l’Etat. On tente ainsi de décapiter une nouvelle fois le mouvement indépendantiste. Mais cette fois-ci la grève générale déclenchée par l’UTG et la mobilisation de la diaspora guyanaise imposent le retour au pays des prisonniers politiques[xl]. Les charges retenues contre eux sont abandonnées. Le scénario se reproduit en juillet 1980 avec l’arrestation et l’expulsion de quatre militants du FLNG accusé de l’incendie d’un dépôt de carburant et d’une tentative d’attentat contre la gendarmerie du centre de Cayenne. Ils seront libérés un an après, le dossier étant une nouvelle fois vide.

C’est dans ce contexte de répression et d’arrestations abusives que s’enclenche une tentative de lutte armée par l’Alliance Révolutionnaire Caraïbe de 1983 à 1988. Cette organisation qui revendique l’indépendance de la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane organise de nombreux attentats dans les trois colonies et en métropole. Cette séquence armée prend fin avec la loi d’amnistie du 10 juillet 1989 concernant tous les attentats commis avant le 14 juillet 1988 suite à la proposition de l’ARC d’arrêter la lutte armée en échange de l’amnistie de ses militants. Le déséquilibre des forces est tout simplement trop important pour que cette forme de lutte s’inscrive efficacement dans la durée.

Le rapport de forces nécessaire à une indépendance à court terme n’étant pas réunis, l’idée nationale se réoriente vers une lutte contre les conséquences de la colonisation. Le temps des grands mouvements de masses dirigés par l’UTG et soutenus par les organisations politiques indépendantistes[xli] s’ouvre et ne cessera pas jusqu’à aujourd’hui : grève générale de six jours en 1992 ; émeutes de Cayenne en novembre 1996 pour exiger la scolarisation de tous les enfants ; quelques mois plus tard en avril 1997 de nouvelles émeutes éclatent après l’arrestation de quatre jeunes accusés d’avoir tenté d’incendier le domicile du procureur de la République lors des émeutes de novembre 1996 ; Paralysie du pays par un vaste mouvement social en novembre-décembre 2008 (barrages routiers sur tous les grands axes, barricades, grève générale) en protestation à la hausse du prix des carburants qui se transforme en mouvement contre la vie chère.

Ce dernier mouvement est tellement massif et radical que l’Etat français est contraint à des concessions importantes. Le président Sarkozy annonce 137 mesures visant à redynamiser le développement économique et des aides financières aux familles modestes pour prendre en compte l’inflation. Surtout l’Etat français n’est pas dupe de réel progrès de l’idée d’indépendance nationale qui n’a fait que grandir au cours de tous ces conflits. Il propose un référendum sur le statut de la Guadeloupe mais se garde bien de formuler la question en termes d’indépendance. Finalement la question eu référendum de janvier 2010 sera une fausse alternative : « « Approuvez-vous la transformation de la Guyane en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? » Le Non l’emporte massivement mais sur la base d’une abstention majoritaire (51. 84 % des suffrages et 2, 33 % de blancs et nuls).

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un nouveau mouvement social éclate en mars 2017 et bloque l’ensemble du territoire pendant 1 mois. Le centre spatial est bloqué provoquant le report d’un lanceur Ariane. L’accord de sortie de conflit du 21 avril 2017 prévoit le déblocage d’un milliards d’euros visant à améliorer l’accès aux soins, la sécurité, la situation de l’emploi et la justice.

Si le rapport des forces actuel rend improbable une indépendance à court terme, l’idée indépendantiste s’est largement implantée dans la population et particulièrement dans la jeunesse. Si les revendications portent aujourd’hui sur l’insécurité galopantes et sur des revendications économiques, elles portent en implicite la condamnation du modèle colonial. Le combat sur les conséquences conduit inévitablement à plus ou moins long terme à l’action contre les causes : la colonisation. Que le rapport de forces change (sous l’impact d’événements internationaux, des luttes du peuple guyanais et de la répression et des mobilisations anticoloniales dans l’hexagone) et l’indépendance redeviendra une utopie concrète de court terme.


https://cric-grenoble.info/analyses/art ... du-roi-642
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 17 Juil 2018, 15:00

Colonisation et décolonisation de l'Asie et de l'Afrique aux XIXe et XXe siècles

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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede Pïérô » 18 Juil 2018, 01:27

17 avril 68 : victoire politique sur les massacres du « Mé 67 » en Guadeloupe

Le 17 avril 68, la Cour de Sûreté de l'Etat doit libérer les19 guadeloupéens accusés de sédition lors des massacres coloniaux un an plus tôt, en Mai 67 en Guadeloupe

Le 17 avril 1968, 13 déportés un an plus tôt en France et déférés devant la cour de Sûreté de l’État, sont acquittés, et 6 autres sont condamnés avec sursis. Les 19 au total, liés au GONG (Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe), avaient été déportés pour sédition lors des événements du Mai 1967 en Guadeloupe (Mé 67 en créole). C’est une déroute pour la France coloniale, acquise par la défense et les mobilisations politiques. Mais le coup porté au mouvement indépendantiste, du fait des massacres de Mai 67 (Mé 67 en créole), reste violent.

... https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/ ... guadeloupe
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede Lila » 26 Aoû 2018, 15:47

A Paris, quelque 200 rues rendent hommage à la colonisation

La France coloniale s’affiche tranquillement dans les rues de Paris. Des exemples : la rue d’Alger nommé ainsi juste après la prise de la ville par les Français ; la rue du Colonel-Dominé rend hommage au « héros de l’expédition au Tonkin »… Que dire aussi de la rue d’Aboukir (comme la bataille menée par Bonaparte en Egypte), ou l’avenue Bugeaud du nom du général qui mit au pas l’Algérie.

A voir ces noms de rues, on peut se demander si Paris est toujours la capitale de l’Empire français. On compterait en effet quelque 200 noms de rues attribuées aux têtes pensantes ou aux généraux qui ont permis, souvent dans le sang, que le soleil ne se couche jamais sur la France. Le Guide du Paris colonial et des banlieues permet de se pencher sur ce passé encore trop présent en recensant le nom des acteurs ou défenseurs du colonialisme sur nos plaques de rues.

Sur quelque 6 000 noms de rues, celles-ci sont plus de 200 à « parler explicitement colonial », selon les deux auteurs du guide, Didier Epsztajn et Patrick Silberstein.

« L’idée de ce guide nous est venue avec l’histoire survenue au général Lee à Charlottesville aux Etats-Unis. On s’est dit qu’il devait y avoir la même chose à Paris », explique Patrick Silberstein à Géopolis. « A l’heure où le général Lee et ses statues équestres tremblent sur leur piédestal et s’apprêtent à quitter les rues et les places pour gagner (lentement mais sûrement) les musées états-uniens, il serait grand temps que le vent de la justice toponymique venu des Etats-Unis souffle sur les bords de Seine et que les Parisien-nes regardent parler leurs murs. Des murs dont on a voulu sciemment, délibérément et politiquement qu’ils disent la gloire de l’Empire colonial », affirment les auteurs dans ce petit livre fort bien fait.

« La ville lumière (..) fleure bon le djebel, la brousse et les rizières», affirment les auteurs. Certes, tous les hommes cités dans le guide n’ont pas le même poids ni les mêmes responsabilités dans la colonisation… Mais ces noms interrogent. Prenons par exemple Bonaparte (rue dans le 6e arrondissement), dont l’image renvoie d’avantage aux talents militaires mis au service de la révolution finissante qu’aux opérations coloniales en Egypte… dont il ramena cependant moult informations scientifiques. Ou même celui de Winston Churchill (8e) dont le nom évoque aujourd’hui plus l’héroïsme britannique de 1940 que le très conservateur ministre des colonies de sa Majesté…

Au fil des pages du guide, on découvre une histoire de France un peu oublié et des noms en général inconnus de nos jours. Le livre recense ainsi une incroyable ribambelle de galonnés, faisant de Paris une capitale très militaire. « Le pire d’entre eux doit être Bugeaud », souligne un des auteurs qui précise n’avoir pas « voulu faire le dictionnaire des salopards ». Cela explique la présence dans le guide de personnalités qui peuvent surprendre comme le général Catroux (75017), plus célèbre pour avoir rejoint la France Libre que pour son rôle de gouverneur de l’Indochine en 1939… « Mais cela montre l’importance du système colonial dans la société française et comment il est imbriqué dans notre vie politique. Une réalité historique qui colle à la peau », expliquent Didier Epsztajn et Patrick Silberstein.

Les hommes politiques qui ont mené la politique coloniale sont bien sûr présents comme Louis-Philippe (4e, nom donné à un pont), Napoléon III (10e, dont la rue a curieusement été baptisé récemment, en 1987) ou Jules Ferry (75011). Mais là aussi, tout est rarement tout blanc ou tout noir. Exemple: Jules Ferry, fervent partisan de la « mission civilisatrice » de la France (bataillant ainsi avec Clemenceau) mais aussi républicain opportuniste, défenseur de l’école publique. Quelques-uns se retrouvent dans le guide, révélant des facettes peu connues de leur personnalité comme Paul Bert (dont les citations font frémir).

« Bugeaud, il faut le débaptiser »

Se pose alors inévitablement la question du devenir du nom de ces rues. Faut-il les changer ? Patrick Siberstein se montre prudent sur le sujet. « Je pense qu’il faut être à la fois ferme, souple et pédagogique », résume-t-il. « Bugeaud, il faut la débaptiser. Mais dans de nombreux cas mieux vaut un panneau d’explication. On sent d’ailleurs que la ville fait des efforts pour rééquilibrer », ajoute-t-il, notant l’arrivée de plaques comme celle célébrant Ben Barka ou celle sur la fin de la guerre d’Algérie.

Pourtant, les exemples de rues débaptisées ne manquent pas dans l’histoire de la capitale. La place de la Concorde a ainsi changé plusieurs fois d’appellation (successivement place Louis XV, place de la Révolution, place Louis XVI…) tandis que la rue Alexis Carrel, patronyme d’un médecin eugéniste, changea de nom en 2002.

Les auteurs du guide suggèrent des noms si des volontés de changement survenaient : « il doit être possible de convoquer les innombrables fantômes qui peuplent la mémoire coloniale. Nous n’en citerons que quelques-uns qui nous viennent sous la plume : Frédéric Passy, premier prix Nobel de la paix en 1901 pour son hostilité au colonialisme, le chef kanak rebelle Ataï, la citoyenne Corbin, auteure d’une Marseillaise des citoyens de couleur, Jacques Nestor, tué à Pointe-à-Pitre en 1967, Solitude, l’esclave marronne et fanm doubout, Hocine Belaïd, ouvrier municipal communiste d’Aubervilliers tué par la police en 1952, Fatima Bedar, disparue le 17 octobre 1961, Tran Tu Binh, l’ouvrier qui passa cinq années au bagne de Poulo Condor pour avoir dirigé la rébellion des coolies dans les plantations d’hévéa des usines Michelin en Indochine, les indigènes anonymes des régiments coloniaux qui ont pris Monte Cassino… ».

La maire de Paris, ou ses successeurs, pourront s’inspirer de ces idées…

Guide du Paris colonial et des banlieues

Didier Epsztajn et Patrick Silberstein

Editions Syllepse

143 pages. 8 euros

http://m.geopolis.francetvinfo.fr/a-par ... ksearchbox


https://entreleslignesentrelesmots.blog ... onisation/
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