Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 16 Juil 2017, 14:15

A propos des processus de démocratisation en Afrique - par Vincent Bonecase

« Ce sont des discours condescendants et anhistoriques. Heureusement, les choses ne fonctionnent pas comme cela ».

Depuis les années 1990 il est courant d’entendre parler des « processus de démocratisation en Afrique ». Processus impliquant de massives manifestations et de nombreux morts, et qui déboucherait pourtant, le plus souvent, sur des coups d’Etat militaires. Cet échec des processus démocratiques s’expliquent le plus souvent par deux banalités : premièrement, les Africains n’auraient aucune appétence pour la démocratie, et deuxièmement, la démocratie prend du temps ; il faut donc être patient ; comme si l’Afrique avait un retard à rattraper dans la marche linéaire de l’Histoire. C’est ces deux lieux communs que le chercheur au CNRS Vincent Bonecase, dont nous avons publié la semaine dernière un retour sur la révolution Burkinabé, a accepté de discuter avec nous. Il nous explique ainsi, en revenant sur l’expérience du Niger et du Burkina Faso, que si la plupart de ces tentatives ont échoué, c’est pour des raisons toute autres, qui nous en disent beaucoup sur la situation européenne.

... https://lundi.am/A-propos-des-processus ... en-Afrique
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 20 Juil 2017, 14:19

Belgique-Congo. «L’impensable décolonisation»

«L’indépendance dans trente ans»… Ecrivant ces lignes en 1955, depuis son bureau de l’institut universitaire d’Anvers, Jef Van Bilsen, ne pouvait pas prévoir le séisme qu’il allait provoquer [voir la chronologie en fin de cet article].

La porte ouverte vers l’indépendance

Séisme en Belgique, où le professeur fut traité de fou pour avoir osé imaginer que dans un délai aussi bref ces «grands enfants» de Congolais pourraient jamais être prêts. Séisme au Congo où une brèche s’est soudain ouverte, laissant entrevoir que l’indépendance est désormais possible. En juillet 1956, un petit groupe d’intellectuels congolais, «Conscience africaine» parmi lesquels Joseph Iléo, futur Premier Ministre, et l’abbé Malula, futur cardinal, publie, en termes prudents, un Manifeste réclamant l’«émancipation progressive» et rejetant la politique d’«assimilation» des Noirs, c’est-à-dire l’échelle sociale qu’étaient censés gravir les «évolués».

Un mois plus tard, l’association culturelle et ethnique des Bakongo (Abako : Alliance des Bakongo pour pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue kikongo) publie à son tour un document signé par son président Joseph Kasa Vubu, et réclamant, lui, l’indépendance au plus tôt… Dans la foulée des élections communales de 1957 qui élisent les premiers bourgmestres [maires], les partis politiques apparaissent: l’Abako mise sur la solidarité ethnique tandis que le Mouvement national congolais (MNC), créé en 1958, se veut «supra-ethnique» et rassemble des personnalités de poids: Iléo, Adoula, Makoso, et surtout Patrice Lumumba.

Lorsqu’il rentre de la conférence d’Accra en décembre 1958, où il a rencontré N’Krumah [Premier ministre du Ghana colonisé de mars 1957 à juillet 1960, puis président de la République du Ghana juillet 1960 à février 1966, renversé par un coup d’Etat lors de son voyage en Chine] et Sekou Touré [Président de la République de Guinée depuis l’indépendance«obtenue» de la France en 1958 jusqu’en 1984, date de son décès], Lumumba est transformé [voir article qui suit sur Lumumba] qui: il inscrit la revendication de l’indépendance dans la ligne du combat panafricain, de la solidarité continentale. La même année, à Brazzaville [capitale de la République du Congo dont l’indépendance face à la France est établie en 1960], l’apostrophe du général de Gaulle a été entendue de l’autre côté du fleuve: «ceux qui veulent l’indépendance, qu’ils la prennent».

A Bruxelles, l’Expo universelle de 1958 a représenté l’apogée d’une certaine «Belgique joyeuse» et les pavillons congolais ont été l’illustration de la colonie modèle (même si la police a dû intervenir pour empêcher les visiteurs de jeter des bananes aux indigènes du «village congolais» qui finit par être fermé). Les Congolais, eux, ont retenu qu’en Belgique, les Européens ne sont pas tous des demi-dieux, qu’ils peuvent être pauvres, travailler de leurs mains et se montrer hospitaliers.

C’est le 4 janvier 1959 que Léopoldville explose: à la surprise générale, des émeutes éclatent, les Congolais marchent sur la ville des Blancs, la Force publique ouvre le feu, le soulèvement fait plus de 250 morts. Désormais, entre Blancs et Noirs, un fossé s’est creusé.
Le 13 janvier, le roi Baudouin [1951-1993 prononce la formule qui passera à l’histoire: conduire les Congolais à l’indépendance, «sans atermoiements funestes et sans précipitation inconsidérée».

En réalité, on aura les deux.

Durant toute l’année 1959, tandis que Bruxelles tergiverse, hésite, le Congo se radicalise, de vastes régions échappent à l’autorité, refusent impôts et corvées: l’indépendance, on la veut désormais au plus vite.

Le 20 janvier 1960, convoquée par le ministre des Colonies De Schrijver, s’ouvre la Table Ronde politique. Les Congolais surprennent: arrivés en ordre dispersé, encadrés par des conseillers belges en fonction des affinités politiques de chacun, ils dépassent leurs divisions pour remporter une première victoire, faire libérer Patrice Lumumba alors détenu à Stanleyville [depuis 1966, porte le nom de Kisangani]. Le futur Premier ministre a quitté le Congo menotté, il arrive à Bruxelles en héros et exhibe ses poignets encore bandés.

... http://alencontre.org/europe/belgique/b ... ation.html
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Messagede Lila » 20 Aoû 2017, 20:13

Stérilisation forcée des femmes des Premières nations au Canada : la taille optimale d'une famille selon les autorités

Une étude accablante menée et publiée par deux universitaires canadiennes n'en finit pas de faire des vagues outre-Atlantique. Les chercheuses ont rencontré des femmes autochtones de Saskatoon et des environs, forcées de subir la ligature ou le resserrement des trompes après avoir accouché à l'hôpital, pour ne pas dépasser la "taille optimale d'une famille" définie par les services de santé régionaux.

C'est une lecture dérangeante et, par cela même, sans doute salutaire. Deux universitaires, l'une avocate et l'autre médecin, ont cherché à savoir ce qui se passait avec certaines parturientes "autochtones" de la Saskatchewan, centre Ouest du Canada, province où vivaient en nombre les peuples des premières nations, bien avant que les Européens ne les colonisent, à l'aide de toutes les armes à leur disposition, dont celle qui consiste à prendre le contrôle du ventre des femmes. Dans cette région, ils représentent toujours 17% de la population, ce que en fait une "minorité" de taille.

à lire : http://information.tv5monde.com/terrien ... male-d-une
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 07 Sep 2017, 21:44

L’impossibilité d’une île

« Ils nous ont arrachés à notre paradis pour nous mettre en enfer ! »

Un véritable hold-up ! D’abord colonisés par les Français, puis par les Anglais, les habitants des Chagos, un petit archipel de l’océan Indien, en ont finalement été expulsés de 1966 à 1973, pour laisser place à une base militaire étatsunienne. Ils vivent aujourd’hui en exil, dans le dénuement. Mais ne désespèrent pas de retourner un jour sur l’archipel.

... http://cqfd-journal.org/Ils-nous-ont-arraches-a-notre
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 09 Sep 2017, 17:07

Colonialisme allemand en Afrique

Pendant 35 ans, de 1884 à 1919, l’Allemagne fut un empire colonial d’envergure. La Conférence de Berlin de 1884-1885 divisa une grande partie de l’Afrique : Leopold II recevait le Congo et Bismarck agrandissait le Reich avec le Togo, le Cameroun, l’Afrique du sud occidentale (la Namibie), l’Afrique orientale allemande (Tanzanie, Rwanda, Burundi), et dans le Pacifique avec la Nouvelle Guinée allemande, quelques iles Samoa et des points d’appui en Chine. Pas mal, mais moins important que l’empire Britannique. Vaincue dans la Première guerre mondiale, le Reich perdit ses colonies au profit de l’Angleterre, la France et la Belgique.

Nous nous limiterons à l’Afrique du sud occidentale, l’actuelle Namibie, où l’on parle, à côté des langues indigènes, l’Anglais, l’Afrikaans et l’Allemand. Entre 1885 et 1903 les coloniaux volèrent un quart des terres aux populations Héréro et Nama, avec beaucoup de violence, dont le travail forcé et la dispersion. C’est ici que l’idéologie du Herrenrasse (la race des seigneurs) a pris racine. Les maîtres coloniaux n’arrivèrent pas en Afrique pour y montrer le chemin européen du progrès et du développement, mais pour faire des « races inférieures » des esclaves. Cette idéologie pris de nouvelles formes sous le régime nazi où les « races slaves » devaient faire place pour le Lebensraum (l’espace vital) des Aryens germaniques. Pour illustrer le caractère hautement développé de la culture allemande les autorités présentaient des « villages indigènes » dans la première exposition coloniale de Berlin en 1896. Des zoos humains du même genre figuraient dans l’exposition internationale à Gand en 1903 et à Paris en 1936. L’exposition berlinoise avait comme maxime « Kein Sonnenuntergang in unserem Reich », reprenant ce qu’on disait de l’empire de Charles Quint « où le soleil ne se couche jamais ».

Les Héréros et Namas se révoltèrent et furent brutalement soumis. Les Allemands installèrent des camps de concentration, copiés des camps britanniques durant la guerre de Boers (1899-1902), pratiquaient des expériences sur des humains, et menèrent une guerre de liquidation. En 1904 cent mille Héréros furent tués. Les nazis n’ont rien inventé, ils puisèrent dans l’histoire coloniale de leur pays. Le général von Trotha déclarait: “Je crois que cette nation doit être détruite en tant que telle ». Le Kaiser et le chef d’état-major von Schlieffen, qui préparait depuis 1905 l’invasion de la France, étaient du même avis. « La lutte des races déclenchée ne peut s’arrêter que par la destruction d’un des deux partis ». Un tiers du peuple Héréro disparut. Ce crime colonial n’a pas échappé à Rosa Luxemburg qui s’opposa elle, contre la majorité des sociaux-démocrates, au colonialisme en tant que tel. Il s’agissait du premier génocide moderne. Les nazis sont responsables du deuxième génocide moderne, la destruction des Juifs européens.

La vision du monde colonial de l’Allemagne était semblable à celle de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de la Belgique. La soumission des Africains était basée sur le concept de race, où l’Africain noir occupait le niveau le plus bas. Les missionnaires s’occupaient de l’éducation chrétienne de base, les ethnologues analysèrent l’âme « bantoue » et l’administration coloniale inoculait ponctualité et ardeur au travail pour préparer les indigènes à l’exploitation de la force de travail. Robert Koch, qui reçut le prix Nobel pour ses travaux bactériologiques, expérimentait sur des sujets humains africains, ce qui était interdit en métropole. Le président de la RFA et le ministère des affaires étrangères ont reconnu la destruction des Héréros comme un génocide. Le parlement fédéral ne l’a toujours pas fait. Mais pourquoi déterrer ces vieilles histoires ? D’autant plus qu’il s’agit, pour citer Jean-Marie Le Pen, que de quelques détails dans la grandiose histoire de notre civilisation européenne, dont les valeurs sont hautement appréciées et dont nous sommes tellement fiers.


http://www.lcr-lagauche.org/colonialism ... n-afrique/
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 16 Nov 2017, 22:21

Faire la lumière sur la guerre du Cameroun. Entretien avec Thomas Deltombe

Un an déjà que La guerre du Cameroun. L’invention de la Françafrique (1948-1971), ouvrage signé par Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa qui s’ouvre sur une préface d’Achille Mbembe, a été publié. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Retour avec l’un des trois auteurs sur une enquête qui bouscule la chronologie établie de « l’invention de la Françafrique », sur son contexte, et sur ses suites.

... http://www.contretemps.eu/guerre-cameroun-deltombe/
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 18 Nov 2017, 23:30

Réunionnais de la Creuse le dossier

Entre 1963 et 1982, sur l'île de la Réunion, plus de deux mille enfants et adolescents ont été enlevés à leur famille par l'administration pour être envoyés dans des départements ruraux de métropole sans billet de retour.

Aujourd'hui, ceux qui ont survécu à ce traumatisme tentent de le surmonter et demandent des comptes à l'état français.

Certains réclament une indemnisation, d'autres souhaitent une aide pour retrouver leur identité, leurs racines et leurs familles.

Mais surtout, ils exigent que leur histoire soit reconnue, écrite et diffusée pour qu'eux mêmes, leurs enfants et leurs familles puissent, enfin, faire la paix avec leur passé.

... http://france3-regions.francetvinfo.fr/ ... 84521.html
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 27 Nov 2017, 20:50

Enquête sur la françafrique – La guerre du Cameroun

J’avais fait part à certain.e.s d’entre vous via Facebook et Twitter de mon désir de faire un résumé à partager avec vous, sur l’enquête historique que je fais sur les pays « françafricains ». Pour remonter aux origines de la « françafrique », il faut étudier le Cameroun, je me suis donc documenté à l’aide d’un livre : « La guerre du Cameroun – L’invention de la françafrique », écrit par Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa et préfacé par Achille Mbembe. Éditions « La Découverte », 2016. C’est un ouvrage très riche, il m’a fallu plusieurs semaines pour réaliser ce début d’enquête sur le système françafricain. J’ai également fait pas mal de recherches personnelles pour vous proposer finalement mieux qu’un résumé : une analyse, des biographies de figures importantes, un glossaire des sigles ; bonne lecture !

I. Analyse

En 1885 le traité de Berlin partage l’Afrique, les Allemands s’imposent sur la côte ouest, ils avaient auparavant, en 1884, signé un accord de protectorat avec le roi Douala. Les Allemands lui donnent pour nom « Kamerun », qui vient de Camarões, ce qui signifie crevette, car la région en était très riche au temps où les Portugais ont découvert ce territoire en 1471.

En 1911 survient le « coup d’Agadir », les Allemands étendent le territoire du Kamerun de 272.000 KM² en incorporant d’anciens territoires de l’AEF (Afrique Équatoriale Française). En 1916, Français et Britanniques prennent le contrôle du territoire et en 1919 le traité de Versailles avalise cet état de fait.

En 1945, avec l’émergence de l’Union Soviétique, les États-Unis et sa surpuissance, le monde est chamboulé. La France, face à ces changements est obligée pour maintenir sa domination en Afrique de faire des concessions aux pays colonisés. Angleterre et France en tête, parviennent toutefois à sauvegarder l’essentiel de leurs intérêts. La charte des Nations Unies, signée le 26 juin 1945 à San-Fransisco, valide la persistance de « territoires non-autonomes ».

Avec le chamboulement de 1945, les colons lâchent des concessions dont le droit de grève, on assiste à la naissance du syndicalisme. Dès septembre 1945 éclate une grève des cheminots de Bonaberi qui tourne à l’émeute suite à des coups de feu des colons. Le gouverneur Français arme les colons et donne des instructions à l’armée, notamment à l’aviation mais aussi à des mitrailleuses montées sur camion au sol, de faire feu sur les Camerounais.e.s aux heures du couvre-feu.

Le 10 avril 1948, douze personnes se réunissent dans un café à Douala, elles vont créer sans le savoir, un mouvement politique qui structurera la vie politique pendant des décennies, l’UPC (Union des Populations du Cameroun). Il s’agit à la base d’un mouvement qui n’a rien de radical, il demande simplement que les colons fassent ce qu’ils leur ont promis.

De 1948 à 1950, l’UPC passe d’une centaine de membres à 7000 ! Le mouvement se structure, devient puissant et inquiète les autorités coloniales. Cinq ans après le mouvement compte 20.000 membres selon la police française elle-même.

En 1952 l’UDEFEC (Union démocratique des femmes Camerounaises) est créée, il s’agit d’une structure féministe.

En 1954, la JDC (Jeunesse démocratique du Cameroun) est créée, il s’agit d’une structure de jeunesse.

Ce qui en 1948 n’était qu’une épine dans le pied de la France devient une gangrène pour l’administration coloniale. Cette dernière redoute que l’UPC « emporte le Cameroun » et que le mouvement ne fasse des émules dans les autres colonies.

Dans le même temps, l’UPC est accusée de communisme pour tenter de la discréditer. Cela paraît surprenant aujourd’hui mais en plein contexte de la guerre froide, cela était très mal vu.

Les militant.e.s les plus influent.e.s sont intimidé.e.s. Le pouvoir colonial est désemparé face à ce mouvement légaliste, qui s’appuie sur le Droit international. Corruptions et intimidations permettent à l’administration coloniale française de retourner des « Upécistes » et surtout de faire émerger une myriade de partis politiques favorables aux intérêts français. Ex : ESOCAM, RPC, INDECAM…

Dès 1950, F. Mitterand alors ministre de la France d’Outre-Mer, reçoit dans son bureau Félix Houphouët-Boigny et lui explique qu’il va doubler les troupes en Afrique et qu’il le tiendrait pour personnellement responsable si des troubles avaient lieu. Il lui explique également qu’il n’acceptera pas que les revendications humaines, sociales et économiques prennent un caractère politique.

C’est en 1955 que le chef de subdivision d’Eseka demande à ce qu’on interdise l’UPC, que le pouvoir colonial frappe. « Les moyens démocratiques de lutte contre l’UPC sont voués à l’échec ». C’est d’ailleurs dans cette optique qu’avait été envoyé par Paris, Roland Pré (voir fiche), dès décembre 1954, car c’était « un homme de poigne ». Dès son arrivée il annonce clairement son intention « d’écraser les activités communistes pour défendre la civilisation ».

Le 22 avril 1955, l’UPC, l’UDEFEC et les JDC publient une Proclamation réclamant l’indépendance immédiate du Cameroun. Ils font cela car ils ont peur que les réformes institutionnelles ne les prennent de court, en diluant et en dupant les Camerounais.e.s. Roland Pré interprète cela comme une preuve que l’UPC est une organisation subversive.

A la mi-mai 1955, de violentes émeutes éclatent. Elles sont la conséquence de l’insatisfaction des colonisé.e.s, des provocations continuelles de l’administration coloniale et du harcèlement dont sont la cible les milieux contestataires. Le bilan est de 50 mort.e.s, 150 blessé.e.s et plus de 800 militant.e.s raflé.e.s et systématiquement bastonné.e.s.

Le 13 juillet 1955 l’UPC est officiellement illégale.

Pierre Mesmer prend le relais de R. Pré en avril 1956, son objectif est de donner au nationalisme camerounais une forme acceptable pour Paris. En décembre de cette même année, réduit.e.s à la clandestinité, les membres de l’UPC se résolvent à passer à la lutte armée. Ils provoquent d’importants dégâts matériels et l’élection piège est annulée. Paris répond à cela par une répression très forte, appuyée par des mercenaires locaux et des troupes subsahariennes. Des villages sont pillés, brûlés, les habitant.e.s sont assassiné.e.s par des troupes qui, quand elles débarquent dans un village, ouvre le feu sur les premier.e.s venu.e.s, enfants compris !

En 1957 il y a deux Cameroun, l’un officiel et l’autre, le Kamerun, clandestin. Malgré le faible armement à leur disposition, ils arrivent à mener des actions contre l’ennemi et ses collaborateurs. Les décisions de mission sont prises par des tribunaux populaires clandestins.

En région Bamiléké, la résistance s’organise autour de chefs traditionnels, comme Pierre Kamdem (voir fiche), qui se rapprochent de l’UPC.

Le 13 septembre 1958, année de son assassinat, Um Nyobè (voir fiche), secrétaire général emblématique de l’UPC depuis 1948, est tué, son cadavre traîné au sol devant la population.

La torture est appliquée systématiquement dès qu’un rebelle est attrapé. En avril 1958, un camp non-officiel ouvre près de Bangou, les personnes jugées proches des rebelles y sont internées. Dès 1955 des tensions éclatent entre Français et Britanniques, les premiers accusent les seconds d’être trop laxistes envers l’UPC. Gaston Deferre va jusqu’à Londres pour menacer les Anglais. Ils veulent qu’ils leurs livrent les réfugié.e.s de l’UPC et qu’ils s’engagent plus activement dans la lutte contre eux. Ceux-ci ne cèdent pas et les Français organisent alors en avril 1957 une opération secrète en zone britannique, ils font assassiner le chef de l’UPC local et sa femme pendant leur sommeil. Ils brûlent également le siège de l’UPC, tout cela pour semer le trouble dans la zone anglaise et obliger ces derniers à agir contre cette organisation. Cela fût un succès total, les Anglais étant tombés dans le panneau.

En juin 1957, l’UPC est interdite en territoire anglais.

Mai 1959, les dirigeant.e.s de l’UPC refusent de se résoudre à « l’indépendance » factice du Cameroun. Ils n’ont d’autre choix, étant réduit.e.s au silence, que de mettre sur pied une nouvelle organisation armée : l’ALNK (Armée de libération nationale du Cameroun). Le but étant de créer un incident majeur afin de ré-ouvrir le dossier camerounais sur la scène internationale. L’objectif clairement affiché est maintenant de s’en prendre directement aux intérêts coloniaux et aux ressortissant.e.s français.e.s.

Ils/Elles mènent des raids composés de jeunes gens armé.e.s de gourdins et de machettes. Plantations, caserne de gendarmerie, lieux fréquentés par les colons… sont attaqués un peu partout en région Bamiléké, les 17.000 colons français.e.s sont pris de panique.

Vers l’été 1959, Paris dote le futur Cameroun « indépendant » de moyens juridiques et de répression pour lutter contre l’ALNK. La France dirige les opérations mais en se cachant, ils font recruter des mercenaires et font venir des pelotons de gendarmerie de pays voisins, dix au total, ainsi que sept compagnies d’infanterie et ce, entre juillet et octobre 1959.

Le 13 octobre 1960, Félix Moumié (voir fiche), chef de l’UPC, est assassiné par les services secrets français à Genève. Empoisonné, il décéda le 2 novembre 1960.

La signature du pacte néocolonial, appelé « accords bilatéraux » a lieu le 13 novembre 1960. Il régit les relations franco-camerounaises, il fût signé dans le silence le plus total, les membres de l’UPC étant trop meurtri.e.s par la mort d’un des leurs.

Ainsi se met en place la françafrique, système singulier néocolonial qui permet à quelques responsables Français avec l’aide de quelques dirigeants africains de contrôler à distance et à moindre frais, des États dits « têtards », une grosse tête de dirigeants repus et un corps étriqué, prisonnier d’un système qui le maintient sous domination de son ancienne métropole.

Suite à la mort de F. Moumié, l’UPC est en mal, des luttes intestines éclatent, les un.e.s accusant les autres d’être à la solde de l’ennemi, c’est la déroute totale. C’est Ernest Ouandié, vice-président de l’UPC, retourné clandestinement au Cameroun, qui redonnera en quelques mois une structure cohérente à l’ALNK et rassemblera presque tous les maquis dispersés. Mais après dix ans d’offensives permanentes des troupes franco-camerounaises, l’ALNK voit ses effectifs fondre.

Pour asseoir sa domination, la France n’hésite pas à employer des milices, pelotons… et à perpétrer des massacres, notamment contre les Bamilékés qui sont vu comme « la peste » ou encore « les juifs du Cameroun ». A Nlohé (fin 1961), Nkougsamba (1963), Tombel (1966). Ce dernier est le plus significatif décompte confidentiel de l’autorité administrative : 236 mort.e.s, 1000 blessé.e.s qui sont par ailleurs, systématiquement bastonné.e.s.

Il ne s’agit plus seulement de lutter contre les rebelles, mais de rééduquer les Bamilékés. En 1967 est organisé pour les officiers et sous-officiers un stage d’information sur le renseignement et l’action psychologique. Les termes utilisés dans le manuel de formation de 325 pages ne fait aucun doute sur l’intention des conférenciers. Il est question à presque toutes les pages de « psychologie des foules », « pénétration psychologique », « modification de l’opinion publique », « lavage de cerveau » ou encore de « bourrage de crâne ». Ce stage ayant été un succès, le ministre des forces armées décide de l’étendre aux autres régions du Cameroun.

C’est dans ce contexte que sévit le SEDOC, sur-puissant service de renseignement, bien souvent décrit comme la « gestapo » du régime, y compris par les historien.ne.s les plus modéré.e.s. Ils propagent la terreur à travers le pays en tirant les gens de leur sommeil pour les embarquer, sans motif, dans les commissariats, prisons, lieux d’interrogatoires improvisés… Ils leurs infligeaient les sévices les plus variés pendant parfois des mois entiers. Au programme de ces interrogatoires : baignoire, balançoire, gégène, strangulation, étouffement, simulation de noyade/exécution, mutilations génitales, privation de sommeil, de nourriture…

Celles/Ceux qui survivaient étaient fait prisonniers dans des centre secrets conçus dès 1961 et baptisés « centres de rééducation civique », ou « centres d’internements administratifs), présents aux quatre coins du Cameroun. Les principaux étaient à Yoko, Tcholliré, Mantoum, et Mokolo. Les individu.e.s suspect.e.s, déviant.e.s, y étaient traîtés comme des animaux, ils/elles subissaient jour et nuit un traitement de choc censé les faire revenir dans le « droit chemin ».

Une ordonnance du 12 mars 1962, « portant répression de la subversion » interdit en pratique l’expression de tout désaccord avec le régime. De fait les premières cibles sont les quatres principaux responsables de ce qu’il reste encore d’opposition légale. Estimant cependant que l’ordonnance ne va pas assez loin, la Présidence camerounaise décide de la durcir. Elle transfère les cas de « subversion », des tribunaux correctionnels aux tribunaux militaires. L’opposition politique disparaît, le journalisme n’est plus qu’une mascarade, le peuple pétrifié se réfugie dans le silence…

En 1975, 97% des entreprises industrielles installées au Cameroun sont toujours possédées par des Européen.ne.s, dont les Français sont de très loin les plus présent.e.s. Par exemple, 90% du capital du secteur minier est détenu par des intérêts français.

En 1980, les 9.000 Français.e.s présent.e.s au Cameroun continuent à dominer presque tous les secteurs clefs de l’économie camerounaise, comme ils/elles le faisaient avant « l’indépendance ». Ils contrôlent 55% du secteur moderne de l’économie du Cameroun. Le contrôle du secteur bancaire est complet et total.

Un exemple parlant est l’exploitation du pétrole dès 1977. Découvert en 1950 au Cameroun, il n’était pas rentable de l’exploiter à l’époque ; avec le choc pétrolier de 1973, la situation change. Toutefois, cette exploitation ne profite en rien à la population camerounaise. Pire, elle est gérée « hors budget » et l’argent placé sur d’obscurs comptes bancaires étrangers (France, Suisse et États-Unis). Les recettes gonflent les profits de la firme française Elf et remplissent les coffres-forts des dirigeants franco-camerounais. Selon une étude de 2009, 10,7 milliards de dollars se seraient évaporés entre 1977 et 2006. [Mené par B. Gauthier et A. Zeufack « Governance and oil revenues in Cameroon »]

C’est en 1982 que succède subitement Paul Biya à Ahidjo. On disait de ce dernier qu’il était malade, cependant son écartement soudain a suscité pas mal d’interrogations auxquels les historiens répondront sans doute un jour. Parmi les suppositions avancées :

• L’élection de F. Mitterand, car Ahidjo était plus proche de la droite française.

• Le fait que Elf, véritable bras armé de la françafrique, voulait quelqu’un de plus malléable à la tête du Cameroun pour exploiter les gisements du nord.

D’autres encore avancent que ces deux hypothèses ne sont pas incompatibles…

Trente-cinq ans plus tard, c’est toujours le même homme qui règne, sans projet ni vision, sur un pays accablé par la corruption, la désorganisation et les inégalités. Certes, le régime s’est apparemment assoupli, une partie de la législation contre-subversive a été supprimée, le système du parti unique aboli… Mais le pouvoir effectif reste aux mains d’une petite caste de nantis affiliés au parti présidentiel RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), qui est l’héritier direct du parti de l’ex-président : l’UNC (Union nationale camerounaise).

Dès lors, la moindre contestation est réprimée très brutalement. Un exemple en février 2008 où les forces de l’ordre écrasèrent dans le sang un mouvement de protestation contre la vie chère et l’accrochement au pouvoir de P. Biya depuis plusieurs décennies. Résultat : une centaine de mort.e.s et des milliers d’arrestations.

Le régime du Cameroun est critiqué publiquement par toutes les puissances occidentales, sauf par la France qui lui apporte son indéfectible soutien. Depuis De Gaulle et Pompidou jusqu’à Sarkozy et Hollande, en passant par Giscard, Mitterrand et Chirac.

[ Et maintenant Macron ? Juste après le sommet du G20 à Hambourg, répondant à une question d’un journaliste écrivain, celui-ci déclara : « Dans des pays qui font encore sept enfants par femme, vous pouvez dépenser des milliards d’euros, vous ne stabilisez rien ». Avec de tels raisonnements, on peut très bien imaginer sa vision de l’Afrique…]

Autre chose, depuis que Boko Haram mène des attaques au nord du Cameroun, c’est une aubaine pour P. Biya qui n’hésite pas à faire comme en 2014, des parallèles indécents entre le mouvement anticolonialiste des années 1960, qui militait pour la libération du Cameroun et la secte djihadiste « Boko Haram » des années 2010, qui rêve à l’inverse de le soumettre à une dictature théocratique.

En tout cas, Paul Biya peut dormir sur ses deux oreilles, Paris veille sur lui…


Glossaire des sigles
JEUCAFRA : Jeunesse camerounaise française
UPC : Union des populations du Cameroun
USCC : Union des syndicats confédérés du Cameroun
UDEFEC : Union démocratique des femmes camerounaises
JDC : Jeunesse démocratique du Cameroun
RPC : Rassemblement du peuple camerounais (traîtres)
ESOCAM : Evolution sociale camerounaise (traîtres)
INDECAM : Coordination des indépendants du Cameroun (traîtres)
ALNK : Armée de libération nationale du Kamerun
RDPC : Rassemblement démocratique du peuple camerounais (parti au pouvoir, traîtres & ennemis des camerounai.se.s, issu directement de l’UNC)
UNC : Union nationale camerounaise
DGR : Doctrine de la guerre révolutionnaire – Il s’agit en fait d’une doctrine contre-révolutionnaire mise en place par l’ennemi colon. Son but est d’anéantir l’esprit de révolte par la règle des 3 P : prévention, popularité, psychologie. De faire adhérer mentalement les Camerounais aux projets politique et idéologique des autorités politico-militaires. Afin d’obtenir une organisation populo-politico-policière.

Biographies des acteurs/actrices clefs

Ruben Um Nyobè: Emblématique secrétaire général de l’UPC de 1948 à 1958, date de son assassinat à Genève par les services secrets français. Il est né en 1913, fonctionnaire indigène éduqué dans une école chrétienne. Greffier de Justice. A adhéré à la JEUCAFRA en 1939. Participation aux cercles d’études marxistes de Gaston Donnat. Fin 1947 il devint secrétaire général de l’USCC.

Félix Houphouët-Boigny: Député de Côte d’Ivoire, il a été le promoteur d’une importante loi interdisant le travail forcé. C’est néanmoins un partisan de la françafrique.

Pierre Kamdem Ninyina : Jeune chef de Baham parti faire ses études à Paris où il est devenu anti-colonialiste au contact des étudiant.e.s progressistes de la FEANF et de l’AEC. En 1954 il est rappelé pour succéder à son père à Baham. Au départ couvé par l’administration coloniale, il accueille les militant.e.s nationalistes dans sa chefferie ; cela lui vaut en novembre 1956 d’être inculpé pour reconstitution de ligue dissoute (UPC) puis destitué le 23 février 1957 et enfin condamné à deux ans de prison ferme le 12 mars 1957 et remplacé autoritairement à la tête de sa chefferie par un homme à la légitimité très contestée.

Roland Pré : (1907–1980) Il est nommé Haut commissaire en décembre 1954. Il exerce jusqu’en avril 1956. Ancien ingénieur des Mines. Ancien gouverneur du Gabon, de la Guinée puis en Haute Volta (Burkina-Faso). Il s’est particulièrement intéressé aux questions géostratégiques et économiques. C’était également un anti-communiste passionné, il avait d’ailleurs été choisi par Paris pour sa poigne.

Pierre Mesmer : Formé dans les années 1930 à l’Ecole nationale de la France d’Outre-Mer. Engagé dans les FFL pendant la seconde guerre mondiale. Engagé en Indochine courant des années 1940, il y sera brièvement fait prisonnier. Bon soldat du colonialisme français, il est nommé gouverneur en Mauritanie (1952–1954) et en Côte d’Ivoire (1954–1956) où il travaille avec Houphouët-Boigny et dont il partage la philosophie « françafricaine ».

Ahmadou Ahidjo : (1924–1989) Premier président du Cameroun « indépendant ». Membre de l’UNC.

Jean Fochivé : (1931–1991) C’est un homme d’État, haut fonctionnaire camerounais. Il est connu pour son implication méticuleuse dans la police politique du régime de Yaoundé, il en était d’ailleurs le chef. En période de crise les deux présidents Ahidjo et Biya ont toujours fait appel à ses services pour ramener l’ordre avec un certains succès.

Paul Biya : né le 13 septembre 1933. Il est depuis 1982 le président de la République du Cameroun. Son régime est autoritaire, réputé pour sa désorganisation. Son régime est également dévoré par la corruption, Il n’a aucune vision ni aucun projet pour le Cameroun, il se contente d’être un despote oisif et inutile.


Quelques références

Bibliographie

Mongo Beti « Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation », François Maspero, Paris, 1972 (réédition La Découverte 2010)

Eugène-Jean Duval « Le sillage militaire de la France au Cameroun », 1914–1964, L’Harmattan, Paris, 2004.

Abel Eyinga « L’UPC, une révolution manquée ? », Chaka, collection « Afrique contemporaine », vol. 13, Paris, 1991.

Richard Joseph « Gaullist Africa. Cameroon under Ahmadu Ahidjo », Fourth Dimension Publisher, Enugu, 1978 (réédition en 2002).

Richard Joseph « Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC », Karthala, Paris, 1986.

Achille Mbembe « La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, 1920-1960. Histoire des usages de la raison en colonie », Karthala, Paris, 1996.

Fanny Pigeaud « Au Cameroun de Paul Biya », Karthala, Paris, 2011.

Meredith Terreta « Nation of outlaws, State of Violence. Nationalism, Grassfields Tradition, and State Building in Cameroon, Ohio University Press, Athens, 2014.

Ruben Um Nyobè « Le problème national kamerunais », présentation d’Achille Mbembe, L’harmattan, Paris, 1984

Ruben Um Nyobè « Écrits sous maquis », présentation d’Achille Mbembe, L’Harmattan, Paris, 1989.


Filmographie

Alain d’Aix et Jean-Claude Burger, « Contre-censure. Main basse sur le Cameroun », InformAction, 1976, 27′.

Franck Garbély, « L’assassinat de Félix-Roland. Moumié. L’Afrique sous contrôle », Triluna/TSR/Arte, 2005, 52′.

Gaëlle Le Roy et Valérie Ozouf, « Cameroun, autopsie d’une indépendance », program 33, 2007, 52′.

Félix Mbog Len Mapout « Le mythe de Mapout », Malo Pictures/Vrai Vrai films, 2014, 57′.


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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 16 Jan 2018, 00:30

Histoire et mémoire d’un massacre colonial

"Thiaroye 1944", par Martin Mourre

Longtemps considéré par l’armée française comme une mutinerie, Thiaroye, où des dizaines de tirailleurs sénégalais furent assassinés près de Dakar en décembre 1944, apparaît plutôt comme une tuerie organisée par les officiers coloniaux. Le livre de Martin Mourre, "Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial", publié en 2017 aux Presses universitaires de Rennes, est un ouvrage de référence sur ce crime colonial. Fruit d’un long travail sur les archives de ce drame, il retrace l’évènement et ses réappropriations dans le Sénégal postcolonial. Nous en reproduisons ici l’introduction ainsi que la table des matières.

Martin Mourre, Thiaroye 1944. Histoire et mémoire d’un massacre colonial, préface d’Elikia M’Bokolo et postface de Bob W. White, avec le soutien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – Laboratoire IMAF, Presses Universitaires de Rennes, collection Histoire, 2017, 240 p., 20,00 €.


Introduction

Le 1er décembre 1944, à proximité de Dakar au Sénégal, au camp de Thiaroye, plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais, peut-être davantage, trouvèrent la mort. Ces hommes, originaires de toute l’Afrique subsaharienne francophone, avaient pour la plupart quitté l’Afrique en 1939-1940, enrôlés par l’armée française. Après la débâcle de l’armée française au printemps 1940, ils avaient passé les années de guerre comme prisonniers. À Thiaroye, ils furent tués, sur ordre des autorités coloniales françaises, simplement pour avoir réclamé leur dû : pécule et autres primes de démobilisation. Soixante-dix ans plus tard, François Hollande remettait au président sénégalais, Macky Sall, les archives de ce drame, signe que ce passé est aujourd’hui de plus en plus tangible. Ce drame a touché en premier lieu les soldats africains de l’Empire français, mais il est une mémoire douloureuse de cet événement pour l’ensemble de la société sénégalaise, depuis le moment où il est advenu jusqu’à nos jours. Comment restituer alors la construction de cette mémoire depuis soixante-dix ans et que signifie encore cet événement aujourd’hui ?

Thiaroye est un « lieu de mémoire », pour reprendre la célèbre expression d’un historien. La formule est belle. Thiaroye serait cet endroit « matériel, symbolique et fonctionnel [1] » d’où a émergé un « quelque chose » qui continue de faire sens. Pourtant, au-delà de l’expression, les propositions de Pierre Nora, qui tendent à opposer radicalement l’histoire et la mémoire, obscurcissent peut-être les dynamiques en n’expliquant ni la circularité, ni les interactions constantes de ce « couple infernal que forment la “mémoire”et l’“histoire” [2] ». Si décrire l’historicité du souvenir de l’événement du 1er décembre 1944 au Sénégal consiste, dans un sens, à saisir un contexte local dans ce qui s’apparente à une « mondialisation de la mémoire [3] », il ne s’agit pas de décliner une alternative entre « devoir de mémoire » ou ce qui serait de l’ordre de l’« abus de mémoire [4] ». Il convient, à l’inverse, de comprendre comment Thiaroye en est venu à être considéré comme une métaphore de la violence et de l’injustice coloniale. Le présent ouvrage est issu d’une thèse intitulée De Thiaroye, on aperçoit l’île de Gorée. Histoire, anthropologie et mémoire d’un massacre colonial au Sénégal, soutenue en histoire et en anthropologie [5]. Gorée est ce caillou dans l’océan Atlantique au large de Dakar, une île devenue le symbole de la traite négrière et la mémoire sénégalaise de Thiaroye doit d’abord se lier à ce temps long ouest-africain marqué par cette violence déshumanisante. Achille Mbembe, en parlant de la présence « fantomale » de ce passé, écrit :

« Seul compte l’enroulement de l’expérience. Les choses et les événements s’enroulent les uns sur les autres. Si les histoires et les événements ont un début, ils n’ont pas forcément de fin proprement dite. Certes, ils peuvent être interrompus. Mais une histoire ou un événement peuvent se poursuivre dans une autre histoire ou dans un autre événement, sans qu’il y ait nécessairement une filiation entre les deux. Les conflits et les luttes peuvent être repris au point où ils s’étaient arrêtés [...]. Tout fonctionne, par conséquent, selon le principe de l’inachèvement. Du coup, le rapport entre le présent, le passé et l’avenir n’est plus ni de l’ordre de la continuité, ni de l’ordre de la généalogie, mais de celui de l’enroulement de séries temporelles pratiquement disjointes, reliées l’une à l’autre par une multiplicité de fils ténus [6]. »

En ce sens, la perception de l’histoire des soldats qui tombèrent à Thiaroye a d’abord affaire à une expérience collective de violence extrême, antérieure au processus colonial. Le récit qui suit est dans un premier temps une « anthropologie historique d’un massacre d’état » pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Alain Dewerpe à propos de la répression du métro de Charonne à Paris en janvier 1962 [7]. Il s’agit d’établir ce qui se joue lors de cette matinée du 1er décembre 1944 dans l’espace plus ou moins clos du camp militaire et, à la lecture de différents fonds d’archives coloniaux, de percevoir ce que comprennent les officiers français, les tirailleurs africains et la société dakaroise de ce drame. C’est, ensuite, une histoire de la mémoire de cette répression dans l’espace national sénégalais jusqu’à nos jours. Cependant, repérer les régularités objectives et situées du surgissement de cet événement depuis plus de soixante-dix ans, localiser socialement ce souvenir, n’épuise pas la problématique du rapport à ce passé.

Gorée et Thiaroye

Aujourd’hui, les processus de reconstruction de l’événement s’ancrent dans un terrain singulier, celui de la société sénégalaise du début du XXIe siècle. Les dynamiques liées à ce passé doivent se lier à un autre terme, celui d’imaginaire qui renvoie à « la capacité élémentaire et irréductible d’évoquer une image [8] » et dont ce « que nous appelons “réalité” et “rationalité” en sont des œuvres [9] » pour reprendre les termes de Cornelius Castoriadis. Il a fallu ainsi, de manière ethnographique, susciter ce passé pour en percevoir justement les ressorts. Cette mémoire contemporaine de la violence coloniale n’est pas celle d’une violence cyclique, mais bien d’un événement singulier et les représentations de Thiaroye sont celles de représentations partagées qui renvoient à des temporalités collectives. Partagées ne veut pas dire ici identiques mais ces représentations s’ancrent dans un langage commun où les arguments qui construisent le rapport à ce passé répondent, en écho, à d’autres perceptions. Ce sont ces variations de ce souvenir qui constitue l’objet d’analyse. S’intéresser alors à ces « expériences de l’histoire [10] » pose une question sous-jacente : le champ des possibles offert par la mémoire. En ce sens, cet ouvrage est un travail sur le temps au Sénégal, dans sa « double structure : celle d’un présent éternel vécu, qui est l’essentiel, et celle d’une succession conceptuelle et sociale du temps présent, passé et à venir [11] » pour reprendre des propositions avancées par Maurice Halbwachs quant à la notion de « mémoire collectiveHalbawachs Maurice, La mémoire collective, op. cit. ». Situer ce champ de la mémoire, c’est examiner des rationalisations de l’histoire ; c’est établir une sociologie de la transformation des répertoires historiques que l’on doit replacer dans un tissu complexe de relations, personnelles, sociales et militantes, portées par différents acteurs et qui forment l’espace politique sénégalais depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais cet espace national de la mémoire entre en interaction avec d’autres espaces.

L’événement qui se déroule à Thiaroye le 1er décembre 1944 est contemporain des crimes de masses qui ont lieu à cette époque en Europe et, en premier lieu, le génocide juif. Ces passés renvoient à des réalités historiques diverses, peut-être difficilement comparables, et à une hétérogénéité de mémoires. Ce qui compte ici est moins d’interroger les formes que prend la violence extrême que de chercher à repérer le travail de la mémoire dans ses circulations, ses contours, ses biais et ses travers. Les années 1970 sont celles de la résurgence de la mémoire de l’Holocauste au sein de plusieurs échelles [12]. En 1979, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau est inscrit sur la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO, un an plus tôt c’était l’île de Gorée qui faisait l’objet du même classement. La trajectoire mémorielle de ces deux lieux qui incarnent deux épisodes historiques, l’Holocauste et la traite négrière, interroge ainsi un rapport global au passé. L’événement devient symbole, il n’est plus le drame qui touche une communauté mais se meut dans un espace de références liées à des passés collectifs. C’est cette dynamique que l’on souhaite observer à travers le souvenir de l’événement du 1er décembre 1944. Thiaroye est un massacre de soldats qui provenaient de Guinée, de Côte-d’Ivoire, du Mali — l’ex-Soudan français —, du Sénégal, du Niger, etc. Le souvenir immédiat de la répression est lié aux luttes qui se jouent dans un cadre politique donné, l’Afrique occidentale française (AOF). Cette première temporalité de la mémoire de Thiaroye dure quinze ans, jusqu’en 1960. À cette date, le Sénégal devient indépendant. S’intéresser aux luttes politiques qui revendiquent le souvenir de la répression à partir de ces années-là, puis pendant plus de cinquante ans, c’est proposer une autre histoire du Sénégal, une histoire à la fois politique, sociale et culturelle. L’étude de la trajectoire de cette mémoire intègre donc, en tentant de les faire dialoguer, trois « bibliothèques », celle qui concerne la mémoire en sciences sociales, celle qui prend le colonialisme pour objet, et spécifiquement les tirailleurs, celle, enfin, qui s’intéresse à la construction de l’État-nation sénégalais.

Ce livre est un livre d’histoire mais c’est aussi un livre sur le rapport à l’Histoire, sur « comment on écrit l’histoire [13] », sur le rapport au récit, ses règles narratives, les présupposés méthodologiques de la discipline comme ceux de l’anthropologie ou des études littéraires. La question demeure : en un sens, peut-on ethnographier le passé et, de plus, comment historiciser le présent ? On doit indéniablement à Ann Laura Stoler la réflexion la plus poussée sur cette question. À travers une recherche sur ce qui est dit mais aussi ce qui est tu dans les archives coloniales néerlandaises, en suivant leur grain textuel — Along the grain d’après le titre de son ouvrage —, en montrant que ces archives étaient une matière vivante, en proposant de les aborder moins comme des sources biaisées que comme des sujets actifs, Stoler montre que ces documents représentent des lieux condensés de l’anxiété politique coloniale [14]. L’analyse des archives coloniales, celles produites par les autorités françaises, s’exécute dans une pluralité d’espaces de production du document, à travers les rapports des sous-officiers et d’officiers présents au camp militaire le 1er décembre 1944, pendant l’instruction, lors du procès, comme dans les rapports destinés au pouvoir civil, notamment les rapports de synthèse envoyés en métropole. Ainsi, la mort violente des tirailleurs à Thiaroye engage au moins deux points de vue, celui de ceux qui tuent et celui de ceux qui sont tués. De fait, il est difficile d’avoir celui des hommes qui sont morts. Les archives sont donc celles des premiers. Amar Fall, pour ne citer que lui, est mort à cause d’une « violence légitime », celle de l’État. Plus que l’État colonial, il fut tué par des militaires de l’armée française qui ont leur propre compréhension de la situation dans la matinée du 1er décembre. En restituant les paroles de ceux qui exercent la violence, ce livre est également une histoire du mensonge, de la duperie, des documents falsifiés que produit l’armée et plus généralement le pouvoir colonial. Mais le drame qui fonde le souvenir n’est pas réductible à cette vision française qui le met en forme. Dans les minutes qui suivent la tuerie, des tirailleurs considérés comme les meneurs de cette « mutinerie » sont arrêtés, puis trente-quatre d’entre eux sont jugés en mars 1945 et condamnés à des peines d’emprisonnement allant de un à dix ans de prison.

Les archives de la justice militaire nous permettent aujourd’hui de savoir qui étaient ces tirailleurs et, dans une certaine mesure, de connaître leurs sentiments sur ce qui s’est joué pour eux. Surgit alors une autre question d’ordre méthodologique : comment raconter ces vies alors que, pour la plupart d’entre eux, on ne dispose que d’une date et d’un lieu de naissance, du nom des parents, d’une profession — presque tous sont cultivateurs —, et de quelques détails physiques ?

La mémoire de Thiaroye au Sénégal

Les dates en histoire sont des outils pour comprendre des mentalités et des comportements. Ordonnées et se succédant, elles n’ont de sens que rapportées à d’autres dates dans le récit que cherche à construire le narrateur. La mort de ces tirailleurs, et non leur vie, est l’événement qui fonde le récit de son souvenir. La compréhension des mémoires attachées à ce drame, en aval, est la saisie d’une mémoire attachée aux protagonistes des événements de Thiaroye. Si un des objets de ce travail est de chercher les acteurs et les voix qui proposent telle ou telle interprétation de ce massacre, l’on doit s’intéresser également à une histoire du vocabulaire qui raconte Thiaroye. La mort des tirailleurs doit être replacée dans une réflexion sur la violence coloniale de cette époque : plus de quinze ans qui, jusqu’en 1962 et la fin de la guerre d’Algérie, ont été plus meurtriers que la violence de la conquête qui se déroule en Afrique de l’Ouest sur plusieurs décennies à partir du dernier quart du XIXe siècle [15]. Mais, en amont de l’événement, il s’agit de retracer la genèse de la « figure » du tirailleur. Les tirailleurs furent ce corps militaire créé en 1857 et qui participe aux deux guerres mondiales, tout en étant une force de maintien de l’ordre dans l’ensemble de l’Empire français pendant un siècle. S’il convient de traiter, dans un premier temps, « la métropole et la colonie dans le cadre d’un seul et même champ analytique, en nous interrogeant sur l’influence que l’on accorde aux connexions causales et à la primauté des intermédiaires dans ses différentes composantes [16] », on peut poursuivre cette réflexion en intégrant les imaginaires d’une société sénégalaise postcoloniale, confrontée à une société française également postcoloniale. Ainsi, on a parfois coutume de dire, dans les rues de Dakar, que « quand la France s’enrhume, le Sénégal éternue ». Le drame qui se déroule au camp de Thiaroye est le fait des autorités coloniales françaises. Le récit de sa mémoire jusqu’à aujourd’hui concerne, dans les propos mêmes des individus qui construisent son souvenir, de Gaulle, Pompidou, Mitterrand, Sarkozy ou Hollande.

Thiaroye est lié au roman national sénégalais. Le contexte de l’après Seconde Guerre mondiale signifie en Afrique occidentale – et plus généralement dans « les tiers-mondes » – une intensification des luttes syndicales et politiques. C’est à ce prix que l’on comprend comment le souvenir de la répression s’est inscrit dans une géopolitique de la mémoire qu’il s’agit alors de cartographier. Le moment de l’indépendance signifie certes un changement de pouvoir mais, dans la perspective de la recherche des traces de la mémoire de Thiaroye, il implique d’abord un changement dans la nature des sources disponibles. La presse sénégalaise depuis 1945 jusqu’à aujourd’hui a été largement mobilisée. Plus d’une dizaine de journaux ont ainsi été consultés, soit de manière intégrale soit autour de dates clés. Cette presse peut se diviser, certes de manière un peu schématique, en deux parties : celle du pouvoir et celle de l’opposition. Cette dernière est clairsemée. Elle est interdite peu après 1960, et de fait difficile d’accès, tandis que l’on trouve plusieurs titres publiés à la fin des années 1970, dans un contexte où le pouvoir socialiste en place réintroduit certaines libertés démocratiques qu’il avait supprimées quelques années plus tôt. Cette presse est militante, elle informe sur les enjeux que se donnent les partis. Les devises des journaux, les jeux de mots, les rubriques culturelles ou encore le choix de photographies informent sur la mobilisation de références historiques et donc sur un espace de la mémoire historique. S’appuyer sur une perspective structurale — l’homologie des récits, des valeurs et des modes d’action — enchâssée au sein de plusieurs chronologies, aide aussi à comprendre l’événement lui-même. Dans la perspective la plus complète de la restitution des traces de l’événement original, rappelé dans les discours des acteurs ou par différents types d’archives — historiques ou littéraires —, chaque appropriation de la répression et sa mise en forme publique peuvent devenir un nouveau levier de représentations partagées du passé, au prix d’un processus de sélection.

Faire l’histoire de la mémoire de Thiaroye, c’est également prendre en charge les arts et la littérature qui mettent en scène ce récit. Les poèmes, pièces de théâtres, le cinéma et les chansons constituent en ce sens un ensemble significatif qui a sa propre historicité et peut s’analyser d’un bloc. Il s’agit moins de procéder à l’examen de ces différentes unités à travers des outils propres à l’analyse littéraire, cinématographique ou musicologique — même s’il a fallu mobiliser partiellement ces outils — que d’inscrire ces œuvres dans une sociohistoire de la mémoire de Thiaroye. Ce cadre de la mémoire fut porté par la gauche sénégalaise mais il renvoie, pour une part, à une mémoire des élites militantes. Ainsi, dans ce qui relève de la « culture populaire [17] », il convient de comprendre ce « populaire ». C’est donc au prix d’un croisement des approches disciplinaires que l’on perçoit le moteur de cette mémoire. De plus, cet ouvrage s’appuie sur près de soixante-cinq entretiens semi-directifs. Si la mémoire est indissociablement liée à la fonction narrative [18], c’est moins la hiérarchie entre les sources que le rapport épistémologique à ces données plurielles qui permet de fonder l’adéquation entre l’objet d’analyse, la mémoire collective, et le sens de cette mémoire. Les personnes interrogées étaient productrices d’une certaine mise en scène de Thiaroye, à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui. On les a donc questionnées autant pour connaître ce qu’elles « savaient » de Thiaroye, le contexte dans lequel elles avaient appris l’événement, que pour comprendre et interpréter ce qu’elles en « pensaient », le sens qu’elles mettaient dans la lecture de ce massacre.

À partir de l’étude d’un événement de quelques minutes et de la présence de ce passé depuis plus de soixante-dix ans, cet ouvrage est une histoire croisée des imaginaires politiques franco-ouest-africains, et en premier lieu de l’imaginaire qui s’enracine dans la relation de deux termes : l’honneur et la trahison. S’intéresser à la mémoire collective, de manière générale, renvoie à une question quant à la taille du groupe auquel on se réfère : la cellule familiale, la communauté villageoise, la génération politique, la classe sociale ou le parti politique, l’État, etc. Mais moins que la question du groupe en tant que tel, c’est son organisation, « sa structure, car le groupe n’est qu’un système de relations interindividuelles [19] » qui compte. Dans un ouvrage célèbre, L’Imaginaire national, Benedict Anderson s’interrogeait sur la puissance du lien qui unit les membres d’un même territoire. Il proposait d’interroger, suivant différentes séquences historiques, l’émergence de ces « artefacts culturels [20] » que constituent les nations. À travers l’angle qui consiste à interroger, au Sénégal, les mémoires de la répression de Thiaroye, ce livre tente de contribuer empiriquement aux repérages des notions, des valeurs, des figures collectives, des idéaux qui forment une part de cet imaginaire national, tout en gardant à l’esprit qu’il s’inscrit dans un espace ouest-africain plus large.

Ce livre est divisé en six chapitres suivant un découpage chronologique. Le premier chapitre identifie l’évolution des représentations attachées aux tirailleurs sénégalais, notamment autour de la Première Guerre mondiale. La perspective n’est pas celle d’une histoire impériale et l’on tente de comprendre de manière plus complexe le « fait guerrier » en Afrique de l’Ouest au début du XXe siècle. Le deuxième chapitre retrace le déroulement des événements de Thiaroye. À ce titre, et parce que certaines questions factuelles demeurent, l’accent est mis sur le développement mensonger d’une partie des rapports des officiers français présents le matin du 1er décembre 1944. Ces différents documents constituent pourtant les sources principales pour comprendre ce qui s’est passé à Thiaroye. Le chapitre suivant aborde un premier temps de la mémoire du drame, celui dont l’enjeu est de faire libérer les tirailleurs condamnés et encore emprisonnés — cette libération intervient en mai 1947 au moment de la visite du président français Vincent Auriol à Dakar. Le chapitre quatre allonge cette mémoire. On l’aborde dans les quinze années qui précèdent l’indépendance dans un moment de reconfiguration de l’espace politique sénégalais. Le chapitre cinq a pour objet le souvenir de la répression après l’indépendance, quand Senghor prend la tête du pays. Ce souvenir est alors porté par des opposants à ce dernier, d’abord plus ou moins dans la clandestinité puis, alors que le président-poète a quitté le pouvoir, par un film, Camp de Thiaroye, qui est un immense succès au Sénégal, à l’orée des années 1990. Le dernier chapitre définit aujourd’hui la consistance de cette mémoire collective. À partir de 2004, nous assistons à la prise en charge de l’histoire des tirailleurs — et de Thiaroye — par les plus hautes autorités sénégalaises. Outre la description de cette mémoire officielle, il s’agit de s’intéresser à la contemporanéité de ce souvenir, notamment pour la jeunesse.


Table des matières

Préface d’Elikia M’Bokolo

Introduction

Chapitre I.
Au nom des pères.
Les hommes en armes au tournant du XXe siècle
« Ces hommes-là on les tue, on ne les déshonore pas »
Les valeurs militaires dans la colonie
La Grande Guerre
Le poids démographique de la Grande Guerre
L’importance des représentations dans l’armée : la force noire et les mutineries
Les troupes noires au Parlement : la rhétorique du sacrifice
Le Tirailleur « Y’a bon »
Conclusion

Chapitre II.
Un crime de guerre ?
Au mépris des règlements
Le rappel des soldes
Les opérations de paiement
Le Général donne sa parole
Tuer
La chaîne de commandement
La mise à mort
Quel bilan ?
Conclusion

Chapitre III.
La mémoire vive
Instruire, condamner, interpréter
Une instruction à charge
La scène coloniale de la justice militaire
La crainte de la contagion
L’émotion
Au village, les murmures
En ville, le bruit de la foule
Thiaroye et les représentants du peuple
Lamine Gueye à la Constituante, acte 1. Thiaroye et Vichy
Lamine Gueye à la Constituante, acte 2. Thiaroye et Brazzaville
Marius Moutet à la Constituante, acte 3.
La position du gouvernement
Le député Senghor
Conclusion

Chapitre IV.
Chroniques du souvenir avant l’indépendance : de Dimbokro à Protet
Une prière pour les tirailleurs
« Vos funérailles seront-elles celles de la Vierge-Espérance ? »
L’éthique littéraire
Lutter pour l’assimilation
Les tirailleurs entre héros mandingues et résistants anti-impérialistes
Sur un air de Kora
Un hymne pour la jeunesse communiste ouest-africaine ?
Événements politiques et mémoire
Les contre-commémorations
Conclusion

Chapitre V.
Le Rouge et le Noir
Les supports de la mémoire
Thiaroye dans l’opposition politique...
... et dans l’opposition culturelle
Le scénario Thiaroye 44 : le projet avorté
Histoire et fiction
La vie au village
La journée du 1er décembre 1944

Source : http://pur-editions.fr/detail.php?idOuv=4321


[1] Nora Pierre, « Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux », in Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard, Paris, 1997 [1984], p. 38.

[2] Chivallon Christine, L’esclavage, du souvenir à la mémoire. Contribution à une anthropologie de la Caraïbe, Paris, Karthala, 2012, p. 18.

[3] Rousso Henry, « Vers une mondialisation de la mémoire », Vingtième siècle. Revue d’histoire, numéro 94, 2007, p. 3-10.

[4] Gensburger Sarah et Lavabre Marie-Claire, « Entre “devoir de mémoire” et “abus de mémoire” : la sociologie de la mémoire comme tierce position », in Müller Bertrand (dir.), L’Histoire entre mémoire et épistémologie. Autour de Paul Ricœur, Lausanne, Payot, 2005, p. 76-95.

[5] Mourre Martin, De Thiaroye on aperçoit l’île de Gorée. Histoire, anthropologie et mémoire d’un massacre colonial au Sénégal, cotutelle de thèse soutenue en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sous la direction d’Elikia M’Bokolo et en anthropologie à l’université de Montréal sous la direction de Bob White, 2014.

[6] Mbembe Achille, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013, p. 215.

[7] Dewerpe Alain, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006.

[8] Castoriadis Cornelius, L’institution imaginaire de la société, Paris, Éd. du Seuil, 1999 [1975], p. 191.

[9] Ibid., p. 6.

[10] Koselleck Reinhart, L’expérience de l’histoire, Paris, Points, 2011 [1997], p. 201.

[11] Namer Gérard, « Postface », in Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1950], p. 260.

[12] Robin Régine, La mémoire saturée, Paris, Stock, 2003.

[13] Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, 1971.

[14] Stoler Ann Laura, Along The Archival grain, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2009.

[15] Benot Yves, Massacres coloniaux. 1944-1950 : La IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte, 2001 [1994].

[16] Cooper Frederick et Stoler Ann Laura, Repenser le colonialisme, Paris, Payot, 2013, p. 15.

[17] Barber Karin, « Popular Arts in Africa », in African Studies Review, numéro 30, 1987/3, p. 1-78.

[18] Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éd. du Seuil, 2000.

[19] Bastide Roger, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année Sociologique, numéro 21, 1970, p. 85.

[20] Anderson Benedict, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002 [1983 pour la version anglaise], p. 18.

http://histoirecoloniale.net/Thiaroye-1 ... ourre.html
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 20 Jan 2018, 13:58

L’intolérable révisionnisme sur le colonialisme

Il aura suffi qu’un présidentiable amateur de paillettes réalise qu’il y a des voix à prendre dans les banlieues et énonce une évidence, « la colonisation a été un crime contre l’humanité », pour que le ban et l’arrière-ban des nostalgiques du « temps des colonies » lui tombent dessus. Macron était tellement peu convaincu par ses propres propos qu’il s’est cru obligé de singer De Gaulle avec un vibrant « je vous ai compris » adressé aux anciens de l’Algérie Française. Au-delà de ce triste épisode, c’est l’occasion de rappeler les sources du colonialisme, ses horreurs et sa persistance.

... http://www.lesutopiques.org/lintolerabl ... onialisme/
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 04 Fév 2018, 17:55

La révolte des esclaves à Saint-Domingue

L'esclavage n'a pas été abolit grâce à la générosité des démocraties occidentales. Ce sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché la liberté par la révolte, comme le montre le soulèvement de Saint-Domingue.

La Révolution française ne se réduit pas à l’hexagone, avec ses bonnets phrygiens et son folklore républicain. Cette révolte s’étend au-delà de l’Atlantique. La révolution haïtienne, qui se déroule au même moment, reste pourtant méconnue. La population noire subit alors l’esclavage dans une société très hiérarchisée. Toussaint Louverture reste la figure emblématique de ce mouvement. Cette révolte d’esclaves porte une critique sociale beaucoup plus approfondie que celle de révolutionnaires français ou américains qui tolèrent l’asservissement. L’historien C.L.R. James propose une analyse de la révolution haïtienne dans son classique Les Jacobins noirs.

En 1789, la colonie antillaise de Saint-Domingue représente deux tiers du commerce extérieur de la France. Elle devient le plus grand marché de la traite européenne des esclaves. Elle reste la plus importante colonie du monde et devient la fierté de l’impérialisme français. Mais cette colonie repose sur le travail d’un demi-million d’esclaves. Dans le sillage de la Révolution française, une révolte éclate en 1791 et s’étend sur douze ans. Les Blancs locaux, mais aussi les soldats français et étrangers, sont mis en déroute. En 1803 est proclamé l’Etat d’Haïti. Les esclaves noirs ne sont plus de simples victimes. Ils prennent leur destin en main et deviennent les acteurs d’une révolte victorieuse.

... http://www.zones-subversives.com/2017/1 ... gue-9.html
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 28 Fév 2018, 02:18

Le français “petit-nègre”, une construction de l'armée coloniale française

Le langage “petit-nègre”, celui de “Y'a bon Banania” ou des dialogues de “Tintin au Congo”, était une sorte de français approximatif parlé par les peuples colonisés. Ce langage, maintenant largement perçu comme raciste, a été instauré par l’armée coloniale française.

Son occurrence la plus célèbre a longtemps été affichée sur une boîte de chocolat en poudre : le slogan “Y'a bon Banania” est la représentation la plus connue du français “petit-nègre”. Ce terme indique une manière de parler approximative, faute d’une connaissance de la langue, des Noirs des colonies françaises en Afrique. A lire Tintin au Congo, ou des oeuvres de l’époque coloniale, on pourrait croire, sans se fourvoyer sur l’aspect intrinsèquement raciste de ces représentations, que le français "petit-nègre" résultait réellement d’une bonne volonté d’apprendre la langue française, restée imparfaite, alors même qu'il s’agit en réalité d’une construction de l’empire colonial français. “Le terme apparaît à la fin du XIXe siècle et indique une double disqualification : il s’agit de parler français comme un “nègre” (= mal) et comme un "enfant" (=mal). C'est un rapprochement raciste commun (les Noirs sont des enfants)”, explique à ce sujet Laélia Véron, docteure en langue française et enseignante en linguistique à l’université du Mans.

... https://www.franceculture.fr/sciences-d ... -coloniale
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 01 Mar 2018, 21:08

Faut-il rebaptiser les lieux glorifiant le passé colonial de la France ?

Le « Guide du Paris colonial et des banlieues » dresse une liste de plus de 200 rues, places et avenues à Paris et en banlieue, « baptisées du nom d’espaces colonisés ou en l’honneur de leurs bourreaux ». Ce livre interroge sur ces symboles « de la prégnance d’un empire colonial » français.

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... https://entreleslignesentrelesmots.word ... la-france/
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 03 Mar 2018, 15:40

Suzanne Citron :
trajectoire et héritage(s) d'une intellectuelle engagée

La Colonie et le collectif Aggiornamento organisent une soirée en honneur de l'historienne et militante Suzanne Citron. Auteur du Mythe National, elle est connue pour ses travaux critiques sur l'enseignement de l'histoire et pour ses engagements anticoloniaux.

Paris mardi 6 mars 2018
à 18h30, Espace « La Colonie », 128 Rue la Fayette

Au programme :
débats et témoignages sur ses écrits, son engagement et son héritage, projection et présentation d'archives.
Avec
• Laurence de Cock (historienne),
• Patricia Legris (historienne),
• Gilles Manceron (historien),
• Marianne Debouzy (historienne, à confirmer),
• Etienne Balibar (philosophe),
• Véronique Servat (historienne),
• Vincent Casanova (enseignant d'histoire-géographie),
• Servane Marzin (enseignante d'histoire-géographie) et
• Hayat El Kaaouachi (enseignante d'histoire-géographie).

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http://www.lacolonie.paris/agenda/suzanne-citron
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Re: Colonialisme, décolonisation, repression et luttes

Messagede bipbip » 08 Mar 2018, 14:01

Le Code noir

Le Code noir de l’esclavage a été concocté par Colbert, sur les ordres de Louis XIV, au profit des colons, notamment aux Antilles, en Louisiane, en Guyane, à la Réunion... Il a été promulgué en mars 1685. Aboli par la Convention en 1794, l’esclavage fut rétabli en 1802 par Bonaparte et les dispositions du Code noir furent intégrées au Code civil en 1803. C’est un des textes les plus monstrueux de notre histoire qui considère que l’humain de race noire n’est qu’une marchandise, qui met en place tout un arsenal répressif avec des sévices sadiques (même s’il aurait été établi pour limiter la cruauté des colons), qui rend criminelle la liberté de l’esclave (mise à mort des marrons, esclaves fugitifs). Et les philosophes soi-disant des Lumières ne se sont même pas insurgés contre ce texte, certains profitant des trafics négriers...

... https://rebellyon.info/Le-Code-noir
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