Autogestion, Histoire du mot autogestion

Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 29 Juil 2012, 14:55

Expériences d’auto-organisation, de gestion collective directe, et de contre-pouvoir, l'autogestion peut être employé à toutes les sauces, mais doit participer à faire sens et s'inscrire dans un cadre de transformation sociale et de dynamique révolutionnaire et communiste libertaire.

Histoire du mot autogestion

Calque du serbo-croate samoupravlje (samo étant l’équivalent du préfixe auto- et upravlje correspondant à gestion : en russe, сам [sam] signifie « soi même » et у- правление [upravljenje] «direction », «administration », « gouvernement » ou « gestion »), le mot autogestion, synonyme du plus ancien gestion ouvrière, a été maladroitement formé au cours des années 50, sur le modèle de cogestion (vers 1900), à l’aide d’un élément grec et d’un élément latin : le pseudo- pronom réfléchi auto- (du grec αὐτός, « même », « lui-même »), qui sert de complément au nom qui suit (« de lui-même », « par lui-même », « pour lui-même », etc.) ; et le nom gestion, qui vient du latin gero, is, ere, gessi, gestum (« porter », « prendre en charge », « accomplir », « administrer », « diriger »).
Entré dans les dictionnaires français à partir de 1960, le mot a tout d’abord servi à désigner le mode de gestion des entreprises d’État institué en Yougoslavie par la « loi fondamentale » de Tito, suivant laquelle celles-ci seraient désormais administrées « par les collectifs ouvriers dans le cadre du plan économique d’État », tout en restant soumises au directeur de l’entreprise (désigné par l’État), qui exécuterait les plans étatiques, embaucherait et licencierait, répartirait les postes et veillerait à la discipline dans le travail. C’est Georges Lasserre qui a vulgarisé en France la connaissance et le nom de ce mode de gestion dans un petit livre intitulé L’entreprise socialiste en Yougoslavie : autogestion ouvrière, coopératives, gestion sociale (Paris, 1964) et dans un article (« Où en est l’autogestion yougoslave ? ») paru dans la Revue économique 15 (1964) ; suivi de près par Jean Teillac (Autogestion en Algérie, Paris, 1965).
Mais nul n’a autant contribué au succès de ce mot que les fondateurs de la revue Autogestion (1966-1986) et, parmi eux, le trotskyste Michel Pablo (1911-1996), qui en a rédigé le n° spécial L’autogestion en Algérie (1967) et a publié, dans l’organe de la tendance marxiste-révolutionnaire de la IVe internationale (Sous le drapeau du socialisme 45 [1968]), un article sur mai 1968 intitulé « L’autogestion comme mot d’ordre d’action » : « On n’a jamais parlé autant de l’autogestion dans un pays capitaliste, qu’actuellement en France. Dans l’espace de quelques semaines l’idée de l’autogestion a tenté les milieux les plus divers [...].
Certes, le contenu que chacun donne à l’autogestion n’est pas le même. Mais le dénominateur commun à tous ceux qui parlent de participation consiste dans le fait que tous admettent la nécessité de la participation démocratique des producteurs et des citoyens à la gestion de la vie économique, politique et sociale du pays. Ce qui les différencie, c’est naturellement l’ampleur et la forme concrète que doit prendre cette participation à la gestion [...]. En réalité, seuls le PSU et en partie la CFDT ont parlé d’autogestion, ainsi que des groupes anarchocommunistes ».
Marginale avant 1968, la référence à l’autogestion s’est ainsi imposée dans la France des années soixante-dix : en réaction à la ligne autoritaire et centralisatrice du PCF et de la CGT, tout un pan de la gauche politique (y compris le PS avec ses « quinze thèses sur l’autogestion » des 21-22 juin 1975), syndicale et associative s’en est donc réclamé, si bien que la signification du terme est demeurée très diffuse, ainsi que le remarquait l’anarchiste Maurice Joyeux en 1972 (Autogestion, gestion ouvrière, gestion directe, Paris, 1972) : « ce terme d’autogestion est resté une formule aux contours imprécis. Les marxistes d’opposition ont bien essayé d’en déterminer quelques aspects en se référant aux expériences yougoslaves ou algériennes, mais les articulations bureaucratiques qu’ont supportées ces expériences ont limité leur champ qui, de toute manière, s’inscrivait dans un schéma qui maintenait la centralisation et les hiérarchies sans aucun rapport avec l’idée qu’un anarchiste se fait du socialisme ».
Il lui incombait donc de préciser les contours de cette formule en en fixant l’acception anarchiste (« L’autogestion pour quoi faire ? », Autogestion [janvier 1973] ) : « L’autogestion suppose la gestion de l’entreprise par l’ensemble du personnel qui y travaille. Mais l’autogestion n’a d’intérêt pour les travailleurs de cette entreprise que si elle modifie radicalement leurs conditions d’existence [...]. Gérer en commun une entreprise alors que celle-ci conserve ses structures de classes consisterait pour le personnel à gérer sa propre aliénation [...]. En un mot l’autogestion, pour nous anarchistes, suppose […] l’égalité sur tous les plans, économique, social, moral ».

OL

pris dans L’éclat N°5, le journal de la CLA : http://www.cla01.org/spip.php?article138


Une chronologie

mars-mai 1871 Commune de Paris.

1905 Soviets en Russie.

Février 1917 Révolution russe. Chute du tsarisme. Constitution de comités d’usine. Développement des soviets (conseils), regroupant ouvrier(e)s et soldats, qui se chargent de l’approvisionnement et de la sécurité par le biais des comités de quartiers. Instauration d’un double pouvoir (soviets face au gouvernement provisoire). À partir d’octobre, les bolcheviks prennent le contrôle des soviets et des comités d’usine et mettent fin à l’existence de ces institutions populaires.

1917-1921 Développement des « communes libres » dans le Sud de l’Ukraine. Paysans et ouvriers créent ainsi des organes d’autogouvernement économique et social libres de tout contrôle du pouvoir bolchevik.

1918-1920 Mouvement des délégués d’atelier britanniques.

1919 République des conseils en Bavière, en Hongrie. Mouvement des conseils d’usine en Italie (1919-1920), les ouvrier(e)s prennent le contrôle des usines et les remettent en marche.

Février-mars 1921 Insurrection de la commune de Cronstadt qui réclame une troisième révolution, en revendiquant tout le pouvoir aux soviets, pouvoir accaparé par le parti-État bolchevik.

1936 Grève et occupations d’usines en France.

1936-1938 Espagne : paysans et ouvriers réquisitionnent les biens des propriétaires sous l’impulsion de la Confédération nationale du travail (CNT). Les paysans ont le choix entre propriété individuelle et propriété collective sous contrôle syndical. L’assemblée générale des travailleurs-paysans élit un comité de gestion dont tous les membres travaillent à l’exception du secrétaire. Les communes sont administrées par les assemblées générales de quartier. Les entreprises socialisées sont dirigées par des comités de gestion révocables par l’assemblée générale des travailleur(se)s, mais le salariat y subsiste. Une caisse centrale d’égalisation est créée pour redistribuer les ressources entre régions riches et régions pauvres. Les syndicats réorganisent plusieurs professions et tentent une planification de l’économie mais doivent faire face à l’opposition des réformistes et des staliniens. Quand elle n’est pas entravée par ses adversaires ou par la guerre, l’autogestion agricole est une véritable réussite. Deux millions de paysan(ne)s et d’ouvrier(e)s sont touché(e)s par ces expériences en Catalogne, en Aragon et dans une moindre mesure dans le Levant et en Castille.

1945-1953 Récupération d’usines abandonnées par les patrons lors de la chute du régime nazi dans l’Est de l’Allemagne (printemps 1945). Création de conseils d’entreprises (Betriebsrat). Les staliniens s’efforcent d’en prendre le contrôle. Expériences similaires en Pologne et plus particulièrement en Silésie.

1945-1964 Expériences ouvrières de prise de contrôle de la production en Indonésie.

Mai-novembre 1948 Dissolution des conseils d’entreprises par les staliniens en Allemagne orientale.

1953 Révolution en Bolivie et mouvement en faveur du contrôle ouvrier des entreprises sous l’impulsion du syndicat des mineurs principalement.

Septembre-octobre 1956 Soulèvement étudiant et ouvrier en Pologne (Poznan, Varsovie…). Formation de conseils ouvriers… par le haut.

Octobre-novembre 1956 Conseils ouvriers en Hongrie qui revendiquent la propriété et la gestion des entreprises pour et par les ouvriers et non pour le parti-État communiste. Le pays est couvert de centaines de conseils ouvriers. Khrouchtchev fait écraser l’insurrection par l’Armée rouge. À Budapest dans les entreprises, les conseils ouvriers et les grèves se poursuivent pendant deux ans.

1962-1965 Algérie : autogestion dans les campagnes algériennes sous l’impulsion des journaliers agricoles prenant possession des terres abandonnées par les colons ou en expropriant ceux-ci à partir de juillet-août 1962. Création de comités de gestion qui remettent en marche les entreprises industrielles abandonnées par les colons. Cette expérience est de plus en plus encadrée par le pouvoir FLN. En 1963, Ben Bella soumet l’occupation des biens vacants à l’autorisation du nouveau pouvoir nationaliste. L’autogestion algérienne est tuée dans l’œuf par l’appareil d’État.

Mai-juin 1968 France : À Nantes, à partir du 23 mai, des équipes ouvriers-paysans se créent pour aider les paysans à cultiver et récolter les pommes de terre. Organisation des transports sous contrôle ouvrier. Les prix sont équivalents aux prix de revient. Les gros commerçants sont obligés de fermer. Des comités de quartiers organisent l’essentiel du ravitaillement. Le 27 mai, le comité central de grève qui réunit ouvriers et paysans, s’installe à la mairie de Nantes. Il prend en charge la distribution de l’essence par bons avec l’accord du comité de grève des pétroliers.

Printemps-Été 1968 Apparition de conseils ouvriers dans les usines en Tchécoslovaquie.

1971 Expérience autogestionnaire dans les chantiers navals de Clyde en Écosse.

1973 Les 1 000 salarié(e)s de Lip, entreprise d’horlogerie et de mécanique, s’opposent à la liquidation de leur entreprise et en prennent le contrôle. Ils/elles popularisent la lutte en prenant possession de leur outil de travail et en produisant pour leur propre compte (« On produit, on vend, on se paye »).

1979 Grève aux chantiers navals de Gdansk en Pologne, développement des grèves avec occupation en Pologne. Création du syndicat Solidarnosc (Solidarité) qui se réclame de l’autogestion, et de Solidarité rurale dans la paysannerie.

28 janvier 1981 La direction provisoire de Solidarnosc à Lodz (Pologne) déclare « qu’un système de gestion centralisé bureaucratiquement est incompatible avec les conditions nécessaires à l’autogestion ouvrière ». Pour y parvenir elle prône la grève active avec occupation.

Août-octobre 1981 Solidarnosc prend en charge le contrôle du ravitaillement dans la région de Lodz. Enfin, la direction nationale de Solidarité s’oppose majoritairement au développement de la démocratie directe. Elle s’appuie sur des comités d’experts (intellectuels libéraux et réformateurs) mais aussi sur la très réactionnaire Église catholique pour combattre l’autonomie ouvrière.

Années 1990 Développement du mouvement des coopératives de recycleurs et multiplication des entreprises récupérées et autogérées au Brésil. Dans cette même période, en Guadeloupe, plusieurs entreprises connaissent de telles expériences sous l’impulsion de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe.

1994 Insurrection zapatiste au Chiapas.

1995 Au Pays-de-Galles, les mineurs de Tower Colliery reprennent leur mine en autogestion pour éviter la fermeture et les licenciements.

2001-2003 Développement des entreprises récupérées en Argentine.

Une chronologie datant de 2003 à actualiser... : http://www.alternativelibertaire.org/sp ... article676
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede mimosa rouge » 30 Juil 2012, 08:11

c'est important de générer une culture de classe autonome et les principes de gestion ouvrière, auto gestion sont à diffuser comme tu le fais .Mais n'oublions pas qu'ils doivent étre être précisé par les révolutionnaire pour ne pas rester dans le domaine de l'idée qui en application serait trituré et déformé dans un sens capitaliste . Nous (les révolutionnaires) avons plus de facilités que dans les années 60/70 .C'est le moment, les sociaux démocrates sont a la ramasse sur ça (il n'y aurait pas de crise et l'Etat magiquement résoudra tout ! voila leur discours) et la crise des profits capitalistes ouvre une fenêtre de tir pour la contestation de la gestion capitaliste de la production.
Donc le mot d'ordre d'autogestion doit être couplé avec la dénonciation du capitalisme et du patronat comme gestionnaire de la production et plus largement de la société. Les institutions étatiques aussi : inspection du travail, tribunaux, organisme de prévention, municipalité et autre collectivités territoriales, administration centrale démontre quotidiennement leurs faiblesse lorsque les luttes ouvrière se développent (de grande ou petites intensité) et que leur inactivité, corruption ou désorganisation apparait à tous. On a donc une carte à jouer tout les jours pour décrédibiliser ce système central, étatique et patronal. Arrêtons de revendiquer plus d'État, développons le contrôle ouvrier ( ce qui n'est pas a proprement parler une tactique révolutionnaire mais crée les conditions de la remise en cause du pouvoir patronal et étatique) : formation juridique même basique comme le contrôle de la fiche de paye , établissement collectifs des statuts de nos organisations de classe, lutter pour connaitre les contrat de travail sur les lieux d'exploitation (qualifs, salaires individuels etc) et par les UL, syndicat d'industries locaux fédérations d'industries mutualisons nos connaissance des branches d'industrie et des territoires (embauches, formations, aménagement du territoire et des outils de productions, réflexions industrielles.... donnons nous les moyens de dominer le patronat et de casser la précarité sans pour autant enchainer tout le monde aux journée longues, intense et pénibles de la production capitaliste) . Et développons l'autogestion : culture du mandat (contre l'élection) et fédéralisme , du travail collectif. et de l'action directe dans nos organisations de classe et de lutte

A coté de ça développons aussi des groupes et des réflexions écologistes, féministes, anti-fasciste etc .... pour imprégner les exploités et leurs organisations de classe (organisé sur ces bases de contrôle d'auto gestion et de constitution en classe consciente ) de thème nourrissant les réflexions industrielle et territoriales locales et nationales (un effort supplémentaire doit être fait pour l'international, on est à la ramasse toute tendance confondues .....)
c'est quelques pistes me semblent cohérente (et encore je parle pas du nécessaire front unique pour y parvenir !) pour ne pas se faire voler le mot d'ordre d'autogestion au profit de la cogestion en luttant contre la culture dominante et nos tendances au corporatisme de boite très faiblement émancipateur et négation de la solidarité et de la constitution de la classe consciente (et espérons révolutionnaire ) donc capable d'autogestion générale
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede mimosa rouge » 30 Juil 2012, 08:28

le CLA dit
Gérer en commun une entreprise alors que celle-ci conserve ses structures de classes consisterait pour le personnel à gérer sa propre aliénation [...]. En un mot l’autogestion, pour nous anarchistes, suppose […] l’égalité sur tous les plans, économique, social, moral ».


c'est une chose qui est souvent écrite et m'embête beaucoup car devons nous gérer et continuer toute les entreprises , tout les outils ?
Déjà l'entreprise n'est plus égale au lieu de production, à l'outil . Et puis sans réflexion industrielle ou territoriales on risque de se retrouver avec du corporatisme de boite qui s'entêtera à faire fonctionner des industrie inutiles ou polluantes et le système de concurrence entre les unités de production ou les territoires ne va pas s'effondrer parce qu'on autogere l'entreprise et la mutualisation des moyens permet de réduire le temps passé à produire et entretenir l'outil. Un redéploiement, un équilibre et une remise en cause de certaines production est à mettre en œuvre et c'est possible dès maintenant mais en abandonnant le modèle organisationnelle qui fait du syndicat d'entreprise ou de la section syndicale la base décisionnelle de l'organisation de classe. Car effectivement, et on la répété souvent sur ce forum, la société future trouvera ses bases dans les organismes de luttes actuels des exploités.
Passons donc a une base industrielle locale . De toute façon sur le plan de l'efficacité immédiate et du regain des luttes (et de nos victoires) c'est ce modèle qui est le plus efficace.
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 16 Aoû 2012, 00:08

En complément

Retour sur « l’autogestion » yougoslave

L’expérience de « l’autogestion socialiste » en Yougoslavie a, dans les années 60 et 70, fait couler beaucoup d’encre, dans les courants anticapitalistes cherchant une alternative au modèle soviétique. Ce fut notamment le cas du côté de la CFDT et du PSU ; plus timidement du côté des communistes libertaires. L’expérience yougoslave nous instruit pourtant utilement sur l’incompatibilité de l’autogestion avec l’État et l’économie de marché.

Tito fut le premier des leaders communistes, en 1948, à rompre avec Staline puis, dans la foulée, avec le modèle économique soviétique.

Contrairement au reste de l’Europe orientale, la Yougoslavie s’est en 1945 libérée pratiquement seule de l’occupation allemande. Les résistants communistes de Tito se sont rendus maîtres du pays sans l’aide de l’Armée rouge, ce qui permet aux dirigeants de la Ligue des communistes de Yougoslavie (LCY - le parti communiste) de jouir d’une certaine autonomie par rapport à Moscou. Or, dans la guerre froide naissante, l’URSS exigeait une discipline absolue de ses alliés et bientôt, les désaccords sur la situation internationale ou les relations commerciales entre Belgrade et Moscou devaient aboutir à une rupture politique.

Le divorce fut sanglant. Staline fit assassiner quelques fidèles staliniens accusés de « titisme », la LCY fut exclue du bureau d’information des partis communistes (Kominform) et, du jour au lendemain, la Yougoslavie subit un blocus économique de la part de tous les États de l’Est. De son côté, Tito ne fut pas en reste et, une fois purgée la LCY de sa fraction « prorusse », il parvint à maintenir la Yougoslavie à flot économiquement.

Mais le schisme avait profondément ébranlé les communistes yougoslaves. Comment expliquer que deux États socialistes en viennent ainsi à s’affronter ? L’URSS aurait-elle « elle aussi » une politique impérialiste ? Et si oui, quelles étaient les bases sociales de cet impérialisme ? En cherchant à théoriser la rupture, la LCY choisit d’expliquer la politique impérialiste de l’URSS par le fait qu’elle n’était pas vraiment socialiste. Ce n’était pas la voie la plus simple ; la LCY ne recula cependant pas devant ses conséquences pratiques qui devaient être, au plan intérieur, la recherche d’un socialisme alternatif au modèle soviétique…

La « loi fondamentale » sur l’autogestion : une cogestion

En juin 1950, suite à un grand discours devant le Parlement, Tito déposa lui-même un projet de « loi fondamentale » sur l’autogestion des entreprises. Tout en maintenant la propriété étatique des entreprises, leur gestion serait déléguée aux travailleurs.

Désormais toutes les entreprises d’État seraient gérées « par les collectifs ouvriers dans le cadre du plan économique d’État ». Ces « collectifs ouvriers » étaient, dans les petites entreprises, l’assemblée générale du personnel et, dans les grandes, un conseil élu de 15 à 120 membres. Le « collectif ouvrier » élisait à son tour un comité de gestion au nombre plus restreint (3 à 17 membres). Au sein de cette instance, élue, siégeait le directeur de l’entreprise désigné, lui, par l’État.

Les pouvoirs du collectif ouvrier et du comité de gestion étaient limités au regard des pouvoirs du directeur. C’est le directeur qui exécutait les plans de l’État, embauchait et licenciait, répartissait les postes et veillait à la discipline dans le travail. Le comité de gestion n’était compétent que pour ce qui relevait de l’organisation du travail et des mutations de postes. Il gérait également une petite fraction du revenu de l’entreprise, ce qui restait après le versement des salaires et le reversement à l’État de l’essentiel du revenu.

« L’autogestion » face à l’État : la planification bureaucratique

Si les travailleurs avaient donc leur mot à dire sur la gestion « intra muros » de l’entreprise, les objectifs de production restaient du ressort exclusif de l’État. La planification économique était organisée par la bureaucratie communiste, avec à peu près la même inefficacité qu’en URSS.

Le caractère fédéral et multinational de la Yougoslavie conduisit de surcroît à une forme perverse de décentralisation des initiatives au sein de l’État, que l’historien François Fejtö a qualifié de « polycentrisme bureaucratique ». Les dirigeants locaux du Parti se faisaient concurrence pour drainer vers leur région ou leur ville le maximum d’investissements afin de créer des emplois et se faire bien voir de leur hiérarchie. Mais ces « usines politiques » à la viabilité souvent artificielle ont affaibli l’économie yougoslave.

Les directives et les quotas de production étaient donc imposés aux travailleurs, il ne leur restait qu’à « autogérer » leur adaptation aux objectifs - parfois aberrants - décidés sans eux. Les collectifs ouvriers furent donc, au départ, de simples chambres d’enregistrement de décisions extérieures, le budget placé entre leurs mains étant trop faible pour être utilisé à quoi que ce soit de significatif.

Une « autogestion » sans transformation du travail

Qu’en était-il plus précisément de la réalité de l’autogestion « intra muros » ? Au quotidien, les membres des collectifs ouvriers ont généralement laissé les mains libres au directeur et à ses proches collaborateurs. Au sein du collectif ouvrier, l’égalité était formelle entre une équipe directoriale qui s’était durant toute la semaine occupé de la gestion, et des travailleurs devant aborder ces problèmes le soir, après la journée de travail. En conséquence, les collectifs ouvriers ont rassemblé naturellement une certaine élite, et la masse des travailleurs s’est complue dans une forme de délégation de pouvoir, en élisant régulièrement au collectif les ingénieurs, les cadres et les ouvriers les plus « capables ».

S’il y avait effectivement une forme de « contrôle ouvrier » sur les décisions, il est impossible de parler d’autogestion, dans la mesure où la hiérarchie travail manuel/travail intellectuel n’était pas remise en cause, et où le « temps de gestion » n’était pas inclus dans le temps de travail. Cette « hétérogestion » se mesure d’ailleurs à l’aune de l’une des formes les plus classiques du contre-pouvoir ouvrier : la grève. Quoique illégales, les grèves n’ont pas été rares et même nombreuses dans la période 1962-65 et après 1970. Cadres et administratifs, pourtant intégrés au « collectif ouvrier » ne participaient quasiment jamais à ces grèves, relatives huit fois sur dix à des questions salariales (contre l’insuffisance et l’inégalité des revenus).

« L’autogestion » étouffée par le marché

Au milieu des années 60, la dégradation de l’économie yougoslave fit prendre conscience aux dirigeants de la LCY que leur système économique était au milieu du gué. Ou bien ils faisaient marche arrière en revenant à la planification étatique totale, ou bien ils poussaient plus loin la logique autogestionnaire en donnant aux collectifs ouvriers toutes les responsabilités de la gestion : embauche, salaires, objectifs de production, etc.

C’est le choix qui fut fait en 1965, année cruciale pour « l’autogestion » yougoslave. En juillet, une nouvelle réforme supprima l’impôt sur le revenu des entreprises et libéralisa les prix : désormais l’essentiel des bénéfices reviendrait aux collectifs ouvriers, qui choisiraient eux-mêmes le directeur de l’entreprise. Dorénavant, l’État ne garantirait plus nécessairement la survie des entreprises : elles devraient s’autofinancer, faire appel aux banques, aux capitaux internationaux (à partir de 1967)… ou faire faillite. Le contexte de « l’autogestion » yougoslave changea donc, passant d’un système de capitalisme d’État à un système de capitalisme privé fortement encadré par l’État, étant bien entendu que cela ne remettait pas en cause le principe du parti unique. Il faut souligner qu’au sein de la LCY des considérations nationales avaient surgi dans le débat concernant le « tournant de 1965 ». Les républiques « arriérées » comme la Macédoine ou la Bosnie, craignaient que le marché n’accentue le décalage avec les républiques riches comme la Croatie ou la Slovénie… la suite des événements leur donna raison.

Avec le tournant de 1965, la LCY inventa donc, bien avant le PC chinois des années 90, un nouveau concept : le « socialisme de marché ». Celui-ci n’assura pas plus que le socialisme d’État le développement de la Yougoslavie, mais creusa les inégalités entre salariés et entre régions… ce qui ne fut pas sans rapport avec la montée des nationalismes centrifuges à la fin des années 80.

Pas d’autogestion sans un vrai socialisme

L’échec du socialisme yougoslave - que cet article ne décrypte que très schématiquement - est riche d’enseignements. Elle conclut à l’inanité d’un projet autogestionnaire déconnecté de l’abolition du salariat. Comme en URSS, en Yougoslavie les rapports de production sont restés des rapports salariaux : la force de travail a continué à faire l’objet d’un échange, les travailleurs n’ayant pas de maîtrise sur les moyens de production et pas de pouvoir sur la répartition de la plus-value créée par leur travail. Les choix de société en matière de développement n’appartenaient pas aux travailleur(se)s en tant que citoyen(ne)s, mais à la planification bureaucratique, comme dans le capitalisme ces choix appartiennent en théorie au « marché ». Au sein même de l’entreprise, aucun programme ne fut mis en œuvre pour refondre les métiers et les tâches dans un sens d’égalisation des compétences intellectuelles et manuelles.

Un socialisme authentique impliquera d’articuler l’autogestion « dans l’entreprise » (les citoyens en tant que travailleurs) à l’autogestion « politique » (les travailleurs en tant que citoyens). Les modèles marxiste-léniniste ou autogestionnaire-réformiste, qui supposent une séparation entre gouvernants et gouvernés, sont incompatibles avec la démocratie directe. Leur prétention à construire un socialisme de la liberté est caduque. Du côté des libertaires, la prise en compte d’une expérience telle que « l’autogestion yougoslave » nous aide à penser la transformation sociale au-delà du mythe, et avec la rigueur intellectuelle indispensable à un courant révolutionnaire.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)

http://www.alternativelibertaire.org/sp ... article669
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede altersocial » 19 Aoû 2012, 08:24

Difficile de trouver les origines du mot Autogestion notamment parce qu'avec les traductions de textes étrangers il y a certaines libertés d'interprétation, également parce que le terme autogestion, en anglais worker's control ou self-management, ne trouve pas forcément d'équivalent dans certaines langues étrangères.

Dans la plate-forme communiste-libertaire en français l'autogestion est évoquée dans la partie constructive :
http://www.nestormakhno.info/french/pla ... uctive.htm
Désignés par la masse et se trouvant constamment sous son contrôle et son influence, tout ces organes seront constamment renouvelés et réaliseront ainsi l'idée de l'autogestion authentique des masses.

Mais est-ce que c'est bien le terme d'origine dans la plate-forme ?

Oui les pablistes et surtout les post-pablistes de la TMR (Tendance marxiste-révolutionnaire) ont popularisé l'autogestion en France (ils étaient les premiers trotskisants à s'ouvrir sur le féminisme, l'écologie et donc aussi l'autogestion) mais Pablo (Michel Raptis) prenait comme exemple la Yougoslavie et l'Algérie tandis que les libertaires et conseillistes (noir&rouge, Ico) prenait comme base de débat l'Espagne et ne mettait pas le même contenu dans le terme autogestion! Mais là on sortirait du thème du sous-forum "Histoire" pour entrer dans la partie Théorie. :wink:
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 09 Sep 2012, 01:41

altersocial a écrit:Mais là on sortirait du thème du sous-forum "Histoire" pour entrer dans la partie Théorie. :wink:

Séparer la théorie des éléments de l'Histoire serait faire un numéro de philosophie lunaire. :wink:


1968 : Le printemps et l’automne autogestionnaires de Prague


Si le printemps de Prague qui secoua le bloc soviétique en 1968 reste dans les mémoires comme un processus de « libéralisation » initié par Alexander Dubcek, nouveau secrétaire du Parti communiste de Tchécoslovaquie (PCT), on oublie souvent qu’il s’agit aussi d’un mouvement populaire qui ne se limite pas aux quelques mois du printemps 1968.

Depuis la révolution d’Octobre, les tentatives de conseils ouvriers sont apparues chaque fois que la classe ouvrière a dû prendre en mains sa propre existence, en quelque sorte par défaut, par absence ou écroulement du pouvoir précédent : en Russie entre en 1917 et 1918, en Espagne d’une toute autre manière et surtout dans le monde paysan en 1936-1937, puis en Tchécoslovaquie avec les « biens vacants » entre 1945 et 1948, sans oublier l’autogestion yougoslave dès juin 1948 (plutôt une cogestion avec l’État) et les conseils polonais et surtout hongrois de 1956. Les propriétaires allemands et autres collaborateurs enfuis, l’État et la bureaucratie n’étant pas encore reconstruits, la vie devait continuer. À chaque fois, dans ces moments de vacance du pouvoir, on a vu la classe ouvrière prendre en main d’une façon directe la production.

En Tchécoslovaquie, le mouvement qui démarre le 5 janvier 1968 est un peu plus complexe : il n’y a pas de destruction du Parti-État.


Réformer l’économie grâce aux conseils ouvriers

Les conseils de travailleurs furent d’abord une idée propagée par certains économistes de tendance «  managériste  », pour lesquels il n’y avait pas de contradiction entre la superstructure bureaucratique, la réforme économique réhabilitant les mécanismes financiers et de marché et la participation ouvrière au niveau de l’entreprise.

La Tchécoslovaquie connaît une crise entre 1961 et 1964. Dès 1963, une réforme économique est tentée, visant à introduire des indicateurs objectifs et qualitatifs dans l’économie : déconcentration de l’économie, autonomie plus grande accordée aux chefs d’entreprise, dynamisation de l’économie par le marché des biens de consommation et l’ouverture au marché mondial. Très vite, la réforme se bloque du fait des résistances à l’intérieur de l’élite dirigeante et de l’impossibilité de contrôler par directives une structure déconcentrée.

Alors on songe à la participation ouvrière [1]. En effet, comment réformer d’en haut sans trouver de relais à la base, comment aussi contourner l’obstacle des élites incapables qui bloquent le processus ? Dès l’été 1966, après le XIIIe congrès du Parti, une commission d’État pour la Gestion et l’Organisation se met en place. Elle prévoit un système de codécision dans les entreprises, organisé autour d’un conseil composé d’un tiers de travailleurs élus, d’un tiers d’experts venus de l’extérieur et d’un tiers de représentants du fondateur, à savoir l’État. Il ne s’agit ni de remettre en cause la notion de propriété d’État, ni d’accorder un droit de gestion aux ouvriers. Cependant ce projet, qui n’a pu être rendu public qu’en avril 1968, alimentera la réflexion des travailleurs lors de la fondation des premiers conseils ouvriers en juin 1968.


Le printemps 1968

En avril, le gouvernement adopte un programme d’action qui prévoit l’autogestion de la propriété sociale (et non plus étatique), mais sans en fixer les formes, comme un simple adjuvant de la réforme : les conseils élus garantiront la compétence de la gestion. Jusqu’en août 1968, l’économie est délaissée, la politique reste un lieu d’action privilégié  : l’appel à l’opinion publique, frustrée depuis des décennies, concrétisé par la liquidation officielle de la censure, met au premier plan les questions de libertés civiques et la démocratisation.

Malgré le flot de résolutions qui montent des organisations de base des syndicats et des sections d’entreprise du PCT, les dubčekiens et les intellectuels doivent forcer la main à la centrale syndicale unique, le ROH. Dès le 15 mai, des commissions se réunissent pour préparer une « loi sur l’entreprise socialiste ». À ce moment, des grèves commencent à éclater contre l’incompétence des dirigeants d’entreprise. Des fédérations syndicales de métier, des nouveaux syndicats et des unions horizontales de syndicats se créent partout. Dès le début juin, quelques conseils ouvriers se mettent en place dans les «  Billancourt  »  [2] tchécoslovaques : ČKD-Prague et Škoda-Plzeň.

Ce sont les organisations d’entreprise des syndicats et du Parti qui mettent en place les conseils, ce sont leurs militants qui, très largement se font élire aux conseils, à bulletins secrets. Les conseils d’entreprise (terme finalement retenu par le PCT, de préférence à celui de conseils des travailleurs qui avait la faveur des conseils eux-mêmes et de la « gauche » politique) tchécoslovaques ne déborderont les limites de l’entreprise que beaucoup plus tard et seulement partiellement.

Mais dès juin 1968, le gouvernement doit élargir les compétences des conseils à la nomination du directeur, aux questions du personnel et des statuts de l’entreprise. Cependant, il ne prévoit pas que les conseils décident en dernier ressort en matière de choix économiques, ni n’attribuent de pouvoirs à l’assemblée des travailleurs. Les conseils, quant à eux, iront plus loin dans leurs propres statuts.

Mais la mise en place massive de ces conseils ne viendra qu’un peu plus tard : le printemps ouvrier ne commence finalement qu’à l’automne.


L’automne des ouvriers

Les conseils sont encore peu nombreux en septembre 1968 : 19 au total. Mais 260 autres sont créés entre le 1er octobre et le 1er janvier, alors que l’armée soviétique occupe le pays depuis le 21 août. Le 24 octobre, le gouvernement décide qu’il ne convient pas d’étendre davantage cette « expérience limitée ». Dubček déclare en novembre : « la critique justifiée du bureaucratisme ne peut pas déboucher sur des attaques simplistes et caricaturales contre la direction des entreprises, contre l’appareil économique et étatique. La juste revendication d’accroissement de la participation des travailleurs à la gestion ne doit pas prendre la forme d’une fausse démocratie dans la production au détriment de l’inévitable discipline du travail. » Mais la base a déjà repris l’initiative. Une conférence des organisations de base en juin adopte une position radicale : le conseil dispose du droit de véto, gère collectivement, le directeur exécute, le droit de grève est réintroduit.

Cependant, le PCT renie très vite les décisions de son congrès extraordinaire clandestin réuni à l’usine ČKD-Vysočany en août 1968, auquel Dubček avait refusé d’assister, et qui avait élaboré un modèle autogestionnaire de la base (entreprises) au sommet (chambres par secteurs d’activités). Ainsi assiste-t-on à un rapprochement entre la gauche des dubčekiens et les organisations de masse (syndicats, étudiants, organisations d’intellectuels), coupés du pouvoir central neutralisé par l’occupant soviétique.

En janvier 1969, une première réunion nationale des conseils des travailleurs et comités préparatoires représentant 190 entreprises et 890 000 employés élabore un projet de « loi sur l’entreprise socialiste ». Mais le projet est considérablement amendé par le gouvernement : on en revient au modèle de cogestion, avec un tiers des sièges des conseils aux travailleurs élus, droit de véto de l’État et des directeurs. Or le modèle autogestionnaire s’approfondit et se précise dans l’opposition : 500 conseils existent [3] au moment du congrès syndical de mars 1969. Leur nombre augmentera jusqu’à juin 1969.

Mais déjà, la normalisation est en marche. Le 17 avril, Dubček est remplacé par Gustáv Husák au poste de premier secrétaire du PCT : le projet de loi ne sera jamais adopté. Le 31 mai, Černík déclare à ČKD-Prague qu’il rejette l’autogestion industrielle, car elle « rouvrirait la question du pouvoir ». Le 14 octobre, Husák fait un discours agressif contre les réformes à Škoda-Plzeň, dont le conseil se dissout de lui-même le 11 novembre avant que ces messieurs ne s’en chargent. La tactique du salami [4] aboutit en juillet 1970 à l’interdiction pure et simple des conseils.


Bilan de l’expérience

Dès la fin 1969, l’expérience des conseils doit être liquidée, oubliée. Le texte de la direction des syndicats normalisés conclu : « Les conseils des travailleurs représentaient une forme anarcho-syndicaliste de passage à la liquidation de la propriété sociale globale » [5].

Soulignons que les conseils étaient un phénomène de masse : ils ont touchés plus d’un million de travailleurs et de travailleuses, élus à bulletin secret, avec en général deux fois plus de candidats que d’élus. Ils se sont créés à l’initiative des organisations de base des syndicats et du parti (plus de 50 % des élus étaient membres du PCT). Mais ces élus étaient pour les deux tiers des cadres. Cette question de la surreprésentation des cadres reflétait chez les ouvriers un manque de confiance en soi et une volonté de dépasser l’ouvriérisme d’État.

Ils ne se sont pourtant pas laissés prendre au piège de la « participation » et de « l’îlot autogéré » perdu dans une société restant bureaucratique. Dans les pires conditions, après l’invasion soviétique, ils ont su dépasser la résignation créée par un système bloqué, qui sécrète le conformisme. Ils ont su prendre sur eux la responsabilité de rompre avec un système dont ils n’étaient pas responsables.

À partir de l’invasion soviétique d’août 1968, le programme des conseils était pris en charge par deux « relais » qui se placent en dehors de l’État : d’une part le mouvement étudiant qui se recompose et d’autre part l’aile progressiste du parti, qui se regroupe lors du congrès clandestin du 22 août 1968. C’est en pleine occupation, en janvier 1969, que nous assistons à la première structuration nationale. Finalement, c’est la défaite politique de Dubček, l’absence de perspective politique alternative et la présence écrasante de l’armée d’occupation « soviétique », qui signeront l’arrêt de mort des conseils et non pas une action de force contre les conseils eux-mêmes.

Vladimir Claude Fisera

• Vladimir Claude Fisera est professeur d’histoire contemporaine à l’université Marc-Bloch de Strasbourg et militant aux Alternatifs. Il a publié, avec Jean Pierre Faye, Prague. La révolution des conseils ouvriers. 1968-1969, (Robert Laffont, 1978).

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Le long printemps tchécoslovaque

5 janvier 1968 Alexander Dubček remplace Antonín Novotný à la tête du Parti communiste tchécoslovaque pour instaurer un « socialisme à visage humain ». Un fort mouvement populaire pour la « libéralisation » du régime le pousse à aller plus loin.

5 mars La censure est supprimée.

22 mars Antonín Novotný, opposé aux réformes, quitte la présidence de la République.

Avril 1968 L’économiste Ota Šik, ancien membre des équipes de recherches de l’Académie des sciences qui formulèrent le nouveau modèle économique et politique, devient vice-Premier ministre.

18 au 21 août 1968 300 000 soldats et 5 000 chars soviétiques envahissent le pays à la demande de la fraction stalinienne du PCT et mettent le gouvernement sous contrôle.

22 août Congrès extraordinaire clandestin du PCT qui confirme Dubček à son poste et élabore un projet autogestionnaire global.

16 janvier 1969 L’étudiant Jan Palach s’immole par le feu sur la place Venceslas à Prague en signe de protestation contre l’occupation soviétique.

Janvier 1969 Première réunion nationale des conseils de travailleurs, qui débouche sur un projet de loi sur l’entreprise socialiste.

17 avril Dubček est remplacé par Husák au poste de premier secrétaire du PCT.

29 avril Le Conseil national tchèque suspend toute discussion sur le projet de loi.

été 1969 Le nombre de conseil ouvriers décroît.

Juillet 1970 Interdiction des conseils ouvriers.


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« L’automne tchécoslovaque dépasse sans doute en importance le printemps tchécoslovaque de 1968. […] Pour la première fois depuis la fin du Moyen âge, les Tchèques et les Slovaques se sont à nouveau placés au centre de l’histoire mondiale. […] Le socialisme, dont la vocation est de s’identifier avec la liberté et la démocratie, ne peut faire autrement que de créer une liberté et une démocratie telles que le monde n’en a jamais connues. »

Milan Kundera, déclaration de Noël 1968, cité par Jaroslav Šabata, ex-leader de la gauche autogestionnaire du PCT en 1968, in Listy n°6, décembre 2007.


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[1] Nous ne traiterons pas ici de l’autogestion communale, également prévue en 1968.

[2] Référence à la gigantesque usine Renault de Boulogne-Billancourt qui, à l’époque, était un bastion de la classe ouvrière considéré comme le baromètre de la lutte de classes en France.

[3] Comme le reconnaissait le Premier ministre Oldřich Černík dans son discours au congrès.

[4] Expression inventée par le communiste hongrois Mátyás Rákosi pour décrire l’élimination progressive des pouvoirs extérieurs au communisme (Église, autres partis…), « tranche après tranche, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien ».

[5] 5. Conclusions sur l’évolution de crise du ROH entre les VIe et VIIe congrès syndicaux, approuvées par la XIVe session plénière du Conseil central des syndicats, 5 mai 1972.

http://www.alternativelibertaire.org/sp ... gestion%20
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede altersocial » 09 Sep 2012, 08:56

Un petit texte pour proposer une petite bibliographie sur les conseils ouvriers praguois (pour ceux qui veulent approfondir) liste globalement ..orientée "pabliste" :

Tchecoslovaquie 1968 : le printemps des conseils de travailleurs

La dynamique ouverte par le « Printemps de Prague » en 1968 était bien celle d’une authentique émancipation politique et sociale. Au sein même des entreprises commençaient à se développer des « conseils d’entreprise » ou « conseils de travailleurs », qui prirent leur essor après l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie le 21 août.

L’autogestion évoquée dans les journaux et les revues devient sujet de discussion dans les usines. Début juin, des conseils se mettent en place. Pour les partisans de l’autogestion, les conseils doivent élaborer eux-mêmes les objectifs, nommer les directeurs. Ils préconisent leur coordination. La position gouvernementale évolue avec l’adoption, le 30 juin, de « principes provisoires pour la constitution des conseils de travailleurs », autorisant la constitution de conseils « à titre expérimental » en attendant l’adoption de la « loi sur l’entreprise socialiste ».
Pour aller plus loin :

Printemps de Prague, 1968-1969 : Conseils de travailleurs et autogestion

BIBLIOGRAPHIE SUCCINTE
Outre toutes les contributions publiées dans Autogestion hier, aujourd’hui, demain (Syllepse, 2010) :
Numéros spéciaux de revues :
« Sociologie tchécoslovaque et renouveau de la pensée marxiste », L’Homme et la société, N° 9, juillet – septembre 1968.
« Conseils ouvriers en tchécoslovaquie », N° spécial, Autogestion et socialisme N° 11-12, mars-juin 1970.
Recueils commentés de documents :

Jiri Pelikan, Le congrès clandestin, protocole secret et documents du XIVème congrès extraordinaire du parti communiste tchécoslovaque, Le Seuil, Paris, 1970.
Pierre Broué, Ecrits à Prague sous la censure, août 1968 – juin 1969 , (chap V, « Conseils ouvriers et autogestion »), EDI, Paris, 1973.
Jean-Pierre Faye, Vladimir Claude Fisera, Prague, la révolution des conseils ouvriers, 1968-1969, Seghers/Laffont, Paris, 1977.
Autres contributions
Milos Barta, « Les conseils ouvriers en tant que mouvement social », Autogestion, N° 9-10, septembre – décembre 1969.
Karel Bartosek, « rencontre inattendue en tchécoslovaquie (octobre 1968 – juin 1969) », in
François Fejto et Jacques Rupnik, Le printemps tchécoslovaque 1968, Ed. Complexe, Bruxelles, 1999.(notamment les contributions de Jaromir Veprek sur la réforme économique et d’André Gauron sur la politique d’Ota Sik).
Joseph et Vladimir Fisera, « cogestion des entreprises et économie socialiste, l’expérience tchécoslovaque, 1967-1970 », Revue de l’Est, Vol 2, N° 1, CNRS, Paris, 1971.
Gilles Martinet, Les cinq communismes, Le Seuil, collections points, Paris, 1974.
Robi Morder, « Prague, un Printemps en hiver, Conseils de travailleurs et autogestion en Tchécoslovaquie, 1968/1969 », in Geneviève Dreyfus Armand (coord), Les années 68, un monde en mouvement, BDIC, Syllepse, 1968.
Jacques Rupnik, « La classe ouvrière tchécoslovaque », in « Structures sociales en Europe de l’Est (2. Transformation de la classe ouvrière) » Notes et études documentaires, N° 4511-4512, 10 mai 1979, La Documentation française, Paris, 1979.
Radovan Richta, la civilisation au carrefour, Antrhopos, Paris, 1969 (réédité au Seuil, collection politique, 1974)
Rudolf Slansky, « Les premiers pas de l’autogestion en Tchécoslovaquie », Autogestion, N° 7, décembre 1968.
Petr Uhl, le socialisme emprisonné, La Brèche, Paris, 1982
Petr Uhl, « Réformer d’en haut ou démocratie d’en bas », L’homme et la société, N° 2-3, 1988 (nouvelle série, N° 88-89)


A lire en plus :

Robi Morder (a été membres des Comités communistes pour l'autogestion ancêtre des Alternatifs) - Printemps de Prague, 1968-1969 : Conseils de travailleurs et autogestion

Les statuts des conseils ouvriers de Prague (en pdf)

Si une bibliographie libertaire est possible sur le sujet je suis intéressé :wink:
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 16 Sep 2012, 10:57

Tentatives d’autogestion en France en 68,
article de "Noir et Rouge" de novembre 1968, sur le site de la Fondation Pierre Besnard, http://www.fondation-besnard.org/

68, Tentatives d’autogestion en France en mai-juin 1968

Beaucoup a été dit ; mais les exemples concrets ne sont pas toujours clairement décrits. Il est donc logique de poser le problème de la réalité de la profondeur, de la prise de conscience des tentatives d’autogestion.

Trois attitudes peuvent être adoptées :

- une idéologie « parachutée » par quelques groupuscules étudiants ; - la prise de conscience par les travailleurs d’une idéologie qui correspond à leurs aspirations ; - une confusion entre l’autogestion et des revendications réformistes voulues tant par certains travailleurs que par certaines directions patronales.

Pour démontrer et réfuter, seule la description des faits et la critique de ceux qui peuvent les déformer, nous servira de méthode d’analyse. Nous organiserons notre étude en cinq parties - pourquoi parla-t-on d’autogestion ? - Où y eut-il des tentatives d’autogestion ? - Dans quel but furent faites les tentatives d’autogestion ? - Les attitudes face à l’autogestion. - La réaction du capitalisme.

Commençons par quelques remarques sur la situation économique. « Dans certaines entreprises de la région parisienne notamment, la tension était très forte du fait de l’évolution technologique de la branche (rendant caducs les équipements anciens), de la nécessité de concentration et de la menace de décentralisation à plus ou moins brève échéance. (...) Souvent le Marché Commun, en accélérant les mutations nécessaires, aggrave cette anxiété. Ainsi une moyenne entreprise de l’industrie chimique du Sud de la France a réduit ses effectifs de près de 20 % en moins d’un an. De nombreuses entreprises, subissant la concurrence étrangère, ont en permanence un chômage partiel important. D’autres entreprises sont en difficultés pour avoir investi au-delà de leurs possibilités financières. Dans tous les cas le personnel aura tendance à critiquer la gestion de l’entreprise, d’autant plus facilement que ces problèmes inquiètent non seulement les ouvriers, mais plus encore les cadres et les incitent à participer à une certaine contestation. » (Les événements de mai-juin vus à travers Cent entreprises, p. 23 édité par le Centre National d’Information pour la Productivité des Entreprises 8, rue Cambacérès - Paris 8")

Pourquoi parla-t-on d’autogestion

Cette idée a été soulevée à l’occasion de différentes expériences historiques pendant la révolution espagnole par les anarchistes ; après la rupture avec le komintern en Yougoslavie ; dans la formation de certains pays (Israël, Algérie). Cependant l’idée n’entra pas directement dans le mouvement de mai-juin le bulletin n° 5 494 du 22 Mars (publié le 26-4-68)ne la mentionne PAS dans le rapport de la commission « Luttes étudiantes - Luttes ouvrières ».

C’est sans doute après le 10 mai que l’idée est lancée publiquement, puis l’usine de Sud-Aviation de Nantes est occupée et l’autogestion mise en discussion (à partir du 13 mai). Séguy (Humanité du 22 mai) déclare que c’est une formule creuse, cependant que la C.F.D.T. adopte le concept (« dont le premier préalable est le droit syndical dans l’entreprise ») - Syndicalisme du 25 mai ; et Combat du 30 sous la plume d’André Laude (en mars et avril, ce journal avait traité Cohn-Bendit de « Tas de fumier ambulant »).

Il apparaît donc qu’en quelques semaines une idéologie à peu près inconnue des masses a pu être prise en considération par elles et que toutes les propositions des grandes centrales syndicales ont été impuissantes à la détruire puisqu’elles ont dû prendre position, ce qui a donné une publicité de plus à l’autogestion.

Les moyens d’information ont par conséquent une importance capitale. Mais ils ne suffisent pas pour dominer une situation : Séguy obligé de dénoncer ce qu’il ignorait et voulait faire ignorer depuis des années. La popularité d’une idéologie ne veut pas dire qu’elle est acceptée, voyons les cas d’application concrète.

Où y eut-il des tentatives d’autogestion

« On a parlé d’usines à Brest, de certains grands magasins dans quelques villes ... On cite une vingtaine d’exemples. On a signalé des comités de grève en Savoie qui éditaient des bons pour des marchandises. » (Geismar, in La Révolte étudiante, p. 49)

La forme des grèves, la faiblesse des revendications que les travailleurs n’arrivaient pas bien souvent à formuler montrent une prise de conscience. Le respect de la dignité humaine fut exigé dans certains cahiers de revendications (voir le film sur la rentrée chez Wonder, Porte Clignancourt à Paris). Il manquait une propagande vraiment large et diffusée à l’avance, des militants préparés (dans le bon sens du terme : non pour être des « chefs »).

Un exemple : quand les étudiants de bonne volonté amenaient aux grévistes des poulets vendus à bon marché, les travailleurs ne voyaient là qu’une excellente affaire (et qui restait aux mains du comité d’entreprise, donc des syndicats) ; mais cela prenait un autre sens lorsque les ouvriers s’en occupaient eux-mêmes et entraient directement en contact avec les paysans et les étudiants sans chercher à se débrouiller chacun pour soi mais, au contraire sur la base de la solidarité concrète, vécue. (I.C.O. n° 73, à propos de « Ce n’est qu’un début, continuons le combat »).

On constate que plusieurs régions apparaissent. Et ce ne sont pas celles qu’on pourrait attendre : il y eut d’importantes manifestations à Bordeaux et à Lyon où des groupes s’intéressaient à l’autogestion, mais il n’y a pas à notre connaissance de cas d’application. Par contre en Bretagne, en Savoie il y a des essais. A Paris et à Nantes, l’autogestion était proposée et elle fut tentée. Il y a donc trois niveaux : propagande sans résultats, propagande avec résultats, et apparemment résultat sans propagande préalable.

Dans quel but furent faites les tentatives d’autogestion « Dans pratiquement toutes les entreprises où la grève a été faite avec occupation active des locaux, les problèmes de gestion et même de direction de l’entreprise ont été plus ou moins pris à leur compte par les grévistes. Cela correspondait à la tendance des minorités de jeune ouvriers, employés ou cadres, qui réfutaient généralement un système de relations ne correspondant plus à leur culture et à leur personnalité. » (Cent entreprises, p. 36)

Nous ne savons pas si une entreprise a jamais correspondu à la personnalité de son personnel, mais il est évident que le fait de devoir donner des solutions rapides à des problèmes urgents, a amené à une prise de conscience : ouverture et gestion par les grévistes des cantines, de la trésorerie pour dans certains cas donner des avances, bons d’essence, etc.

En même temps le cloisonnement entre les différents membres du personnel a été remis en question, et par là, l’organisation du travail.

A côté de cette prise de conscience acquise en partie dans le feu de l’action « A l’usine Renault de Cléon, ce sont de jeunes ouvriers (...) qui, dans l’heure qui a suivi l’annonce de l’occupation de Sud-Aviation, ont spontanément dans certains ateliers cessé le travail et décidé d’occuper l’usine, puis proposé et fait adopter - comme à Bouguenais - de bloquer les membres de la Direction dans leurs bureaux. » (Cent entreprises, p. 15) il y a une vision plus organisationnelle : prise de contacts entre usines, entre ouvriers étudiants et paysans, organisation de circuit de distribution de l’alimentation (Nantes). C’est l’autodéfense, la formation d’un pouvoir révolutionnaire.

Il apparaît donc deux réactions dans la pratique de l’autogestion : une attitude plutôt figée, discutant, prenant progressivement conscience en soi-même ; une affirmation plus décidée, plus combative.

Les attitudes face à l’autogestion

Les travailleurs ont généralement accepté favorablement l’idée. L’élément nouveau est le rôle des cadres. Malgré la présence certaine de cadres qui sont des militants révolutionnaires, une grande ambiguïté existe. Les cadres, les ingénieurs et les techniciens se sentent employés en dessous de leurs capacités. Ils veulent mieux organiser la production et participer au fonctionnement des entreprises et éviter le cloisonnement entre différentes entreprises d’une même branche. D’où leur attitude et leur intérêt pour l’autogestion en tant que système qui remet en cause l’organisation actuelle du travail et demande le concours de tous. Mais il est à peu près certain qu’ils voient mal l’aspect révolutionnaire qu’implique l’autogestion.

Chez les syndicalistes, qui sont, rappelons-le, une minorité chez les travailleurs, il y a eu une nette démarcation au sujet de l’autogestion englobée dans le terme de gauchisme. Depuis mai, plusieurs mouvements contradictoires ont vu le jour : passages d’un syndicat à l’autre suivant les options défendues à Flins perte de la C.G.T. au profit de la C.F.D.T. « Parallèlement, les éléments passifs ou modérés adhèrent en aussi grand nombre à des confédérations solidement structurées ayant eu une attitude plus raisonnable. » (Cent entreprises, p. 63).

La réaction du capitalisme

« Tout sera comme avant ! » explique M. Lip (Le Monde 15-8-68) qui montre : « Ne nous y trompons pas, il existe et il existera encore longtemps des gens payés en dessous du S.M.I.G. » Cette affirmation correspond aux besoins du capitalisme de ne rien modifier à l’exploitation, si ce n’est l’apparence.

Ainsi est réapparue la « participation » qui se fonde sur des revendications d’informations et d’un certain contrôle que les directions patronales sont prêtes et voulaient donner pour mieux tromper moralement les travailleurs. Mais rien du squelette, de l’organisation du capitalisme, des différents groupes de pression n’est changé.

Or l’autogestion est le contrôle de tous les rouages de l’économie. Alors que les divers concepts proposés par le gouvernement (autonomie, cogestion.) et revendiqués par certains n’accordent qu’une parcelle de pouvoir dans un secteur limité.

« Si une clarification théorique de la portée et des limites de l’autogestion n’est pas opérée à temps, ce « mot d’ordre » se trouvera compromis dans des acceptions réformistes et il sera rejeté par les travailleurs au bénéfice peut-être d’autres formulations du type « centraliste démocratique », qui, elles, sont d’emblée récupérables par la dogmatique de tout bord du mouvement communiste ». (Tribune du 22 mars. 8-6-68)

Clarifions donc rapidement.

Albert Meister. Ce sociologue publia en 1964 Socialisme et autogestion. L’expérience yougoslave où il se félicite de la tendance technocratique sacrifiant la participation des travailleurs (voir l’article de D. Guérin dans L’Express 30-7-1964). Durant les événements, il a fait son apparition dans deux secteurs Le Monde (articles du 9, 10 et 12 juillet) et à la Faculté de Droit de Paris (rue d’Assas).

Meister traite de l’autogestion en général en refusant d’aborder l’Espagne et l’Algérie, ce qui suffit à notre avis, à réduire à néant ses considérations. Selon lui les coopératives et les concentrations d’entreprises font partie de l’autogestion, qui pourrait dans les pays en voie de développement faire admirer « les positions françaises contre l’impérialisme nord-américain. » Du point de vue de l’incompréhension de l’autogestion. Meister va donc aussi loin que René Capitant.

Quant à la C.F.D.T., il ressort de sa déclaration et de Syndicalisme du 10-6-18 que l’autogestion c’est elle, alors qu’elle ne vise pas autre chose que la cogestion.

Outre Séguy et une très grande partie de la C.G.T. et le P.C., l’organe bordighiste Le Prolétaire (B.P. 375 Marseille-Colbert), dans son numéro de septembre, publie un long article « Le délire de l’autogestion », pour défendre les thèses centralistes, telles qu’on peut les lire dans L’Humanité.

Brèves conclusions

Il n’y a pas eu autogestion. L’autogestion est devenu un mot-miracle avec lequel on tend à faire avaler aux gens la couleuvre Capitant et les dernières théories du réformisme.

Les trois hypothèses que nous évoquions au début sont imbriquées dans la réalité et plus ou moins apparentes et valables selon les secteurs. C’est à nous militants, de prendre conscience des caractéristiques du lieu où nous sommes pour expliquer et fomenter l’autogestion telle que nous l’entendons.

Nous donnons comme matériel d’information des citations de « Pourquoi l’autogestion ? » de la brochure Bulletin de recherche sur l’autogestion publiée par l’U.G.A.C. (Edith Dard B.P. 114 Paris 10°)

« La critique essentielle que l’on peut adresser au centralisme MEME lorsqu’il est démocratique, MEME si les propositions du centre sont discutées et amendées par la base, est qu’un tel type d’organisation réservant véritablement l’initiative à l’élite du parti ouvrier, plonge les militants de base dans la passivité et vise à les maintenir dans l’état de soumission qu’ils acceptent souvent très bien, car ils sont victimes de l’aliénation capitaliste qui leur fait prendre leur inculture contingente et circonstancielle pour une insuffisance nécessaire et naturelle. »

« Il se dessine de cette critique un remède à ce mal : le pouvoir de décision et d’élaboration de la ligne politique à tous les militants de l’organisation révolutionnaire, qui de ce fait est le fédéralisme, cette gestion de l’organisation dans sa totalité par l’ensemble des militants s’appelle aussi : Autogestion. »

« A cela les bureaucrates ont toujours opposé « l’efficacité » : tous ne peuvent élaborer la ligne politique comme si celle-ci était affaire de spécialiste, il faut guider les masses sur la voie de la prise de conscience (...) Le fédéralisme serait dès lors une façon d’affaiblir le prolétariat et donc serait l’allié objectif du capital. (...) Or cela est un faux problème, un faux dilemme, car le véritable problème est celui de donner à l’organisation révolutionnaire des structures fédéralistes qui permettent à la ligne révolutionnaire de voir le jour, de s’exprimer, et donc d’être efficace.›

Israël RENOF ( = Frank Mintz)

Noir et Rouge, n° 42-43, novembre 1968
http://www.fondation-besnard.org/articl ... utogestion
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 24 Sep 2012, 23:17

Fédération municipale de base en Italie, expérience autogestionnaire

1975/1990, L'expérience autogestionnaire de la Fédération municipale de base en Italie

Plus qu'une expérience communautaire, l'exemple l'expérience communaliste de la Fédération municipale de base de Calabre (Italie) nous interpelle sur notre capacité à changer ici maintenant le quartier, la ville, dans la quelle nous habitons.

Spezzano Albanese n'est pas une grande ville, mais, comparée aux autres villes de la Calabre, elle n'est pas non plus si petite : elle compte 10 000 habitants. Elle est située dans une zone principalement agricole.
Ceux qui possèdent quelques parcelles de terrain peuvent vivre avec difficulté de leur travail en produisant des agrumes, des pêches ou des olives. Par contre, ceux qui n'ont rien vivent surtout de travail au noir pour les grands propriétaires terriens ou dans de petites structures de transformation et de commercialisation de la production agricole. Il y a aussi du travail au noir dans le bâtiment.
Le secteur tertiaire est assez développé, Spezzano étant un centre autour duquel gravitent d'autres villages calabrais. Enfin, il n'y a pas d'industrie et le chômage est élevé.

Naissance de la FMB de Spezzano Albanese

La Fédération municipale de base (FMB), est la résultante d'une présence anarchiste très enracinée sur le territoire depuis le début des années 1970. À cette époque, l'administration de Spezzano Albanese était aux mains des communistes et elle n'avait rien à envier aux pratiques des démocrates-chrétiens dans le domaine de la corruption, du vol et du clientélisme.
En ce qui concerne la répression, elle appliquait la logique des pays du " socialisme réel " (le maire interdisait les manifestations politiques sur la place centrale et n'accordait les salles municipales qu'au PC). Le groupe anarchiste, qui venait de se constituer, s'est opposé d'une manière ferme à cette politique, pendant que les autres partis de la minorité du conseil (Démocratie chrétienne, parti socialiste italien et mouvement social italien), installés dans une situation qui leur procurait des faveurs, ne faisaient que défendre leur propre boutique.
À cette époque, les anarchistes ont commencé à favoriser la création de structures de base composées d'étudiants, de chômeurs et de travailleurs qui s'intéressaient particulièrement aux questions de santé, d'environnement et d'urbanisme.
Dans la deuxième moitié des années 70, naissait au sein du mouvement anarchiste italien la proposition de reconstruire l'Union syndicale italienne (USI). Au congrès de Gênes, en 1978, organisé dans ce but, deux positions se sont affrontées qui ont abouti à la fois à la constitution de l'USI et à celle des Comités d'action directe (CAD).
À Spezzano, en 1979, les structures de base se regroupent dans une organisation qui prend le nom d'USZ (Union syndicale de zone) qui n'adhèrent ni à l'USI ni aux CAD.
Cette organisation, entre très vite en conflit avec la mairie du fait de son travail de contre-information par rapport aux décisions de celle-ci. Par exemple, les anarchistes de l'USZ n'ont pas eu à attendre la farce de la " révolution des mains propres " pour montrer, preuves à l'appui, la corruption et les scandales de l'administration.
Ils portaient sur la place publique les décisions municipales, faisaient des expositions et des meetings publics pour dénoncer la gestion municipale.

Exemple de quelques luttes menées par l'USZ :

* Celle des veuves et des orphelins pour obtenir les aides qui leur étaient dues, mais étaient détournées par la mairie.
* dénonciation du fait que le maire percevait des indemnités qui auraient exigé un don d'ubiquité (le même jour, à la même heure et dans des lieux différents, il était supposé participer à une réunion en tant que maire et à une autre en tant que président de l'USL).
*dénonciation de la vente à des privés de terrains définis par le POS (Plan d'occupation des sols) comme espaces verts.
* lutte du quartier San Lorenzo contre la construction d'un bâtiment qui bloquait la sortie de deux routes du quartier.
* dénonciation de la constructions d'appartements, encore sur une zone prévues pour des espaces verts, dont deux étaient réservés au maire et à un de ses adjoints.
* lutte pour l'attribution de logements HLM.
* lutte pour la liberté de penser et d'expression et pour la reconquête de l'espace social.

Pour réprimer ce type d'initiatives, faire taire les anarchistes et diviser le mouvement libertaire, la mairie utilise différentes formes de répression : chantage, menaces, clientélisme, plaintes pour occupation abusive de la place publique et de la salle du conseil municipal. En 1992, survient un vrai tremblement de terre politique. L'administration communale (PCI) est décapitée par la magistrature pour avoir embauché un employé de l'école d'une manière illégale. Cette situation est le symbole pour l'opinion publique de la justesse de toutes les mobilisations menées par les anarchistes jusque là. L'USZ avait disparu à cause de la répression qu'elle avait subie, mais une organisation anarchiste existait toujours. Après un meeting anarchiste très suivi, est née dans la ville une forte exigence de construire une alternative face à la gestion scandaleuse de ceux qui exerçaient des responsabilités publiques depuis 20 ans.
Il fut alors proposé aux anarchistes de créer une liste alternative.
Ceux-ci, qui avaient mené de nombreuses campagnes abstentionnistes, face à cette situation, ne voulurent pas proposer un abstentionnisme seulement idéologique.
Et c'est alors qu'après de nombreuses discussion naît l'idée de la FMB (Fédération municipale de base). Pendant que les partis politiques préparent leurs listes en vue de recueillir les suffrages de la population, les anarchistes commencent à expliquer encore une fois pourquoi ils ne veulent pas se présenter et proposent une structure communaliste de base à la fois alternative à l'administration communale pour la résolution des problèmes de la ville et alternative au syndicalisme institutionnel pour la défense et l'avancée des intérêts des travailleurs, des chômeurs, des étudiants et des retraités.

Ils proposent en définitive une structure autogestionnaire de contre-pouvoir à tous ceux qui voulaient se retrouver, discuter et trouver des solutions alternatives aux problèmes sociaux avec une méthodologie de base et libertaire.
Pendant la campagne électorale, ils font la proposition de créer un comité pour promouvoir une fédération municipale de base. Lors d'une assemblée générale, ils commencent à recueillir des adhésions à la FMB, non seulement parmi les anarchistes et leurs sympathisants mais aussi parmi des personnes qui, si elles ne rejetaient pas les élections, étaient d'accord avec la proposition de la création de la FMB, parce qu'elles ne voulaient pas donner des chèques en blanc aux candidats et sentaient la nécessité de s'auto-organiser pour les contrôler.
La FMB est née ainsi.
Elle s'est constituée comme contre-pouvoir, alternative autogestionnaire, germe d'autogouvernement face à la gestion institutionnelle et verticale du territoire et du social.

Quelle est la structure de la FMB et qui sont ses adhérents ?

L'adhésion à la FMB ne se fait pas sur la base d'une idéologie politique spécifique, sur la race, le sexe, la religion, une vision philosophique, mais comme travailleurs, chômeurs, étudiants, retraités et citoyens. La seule exigence est celle de l'acceptation des méthodes libertaires et de la praxis autogestionnaire.
La FMB n'est pas une organisation liée à un parti.
Dans les campagnes électorales, elle ne prend parti pour personne et ne présente pas de liste. Ses membres qui ont des charges publiques ou de direction dans d'autres organisations ou qui se présentent aux élections ne peuvent pas avoir des charges exécutives dans la FMB.
Actuellement, les travailleurs adhérents de la FMB viennent principalement de l'enseignement, de l'administration, de l'agriculture, du bâtiment, d'entreprises de nettoyage, de l'informatique. Elle compte également parmi ses membres un certain nombre de retraités.
La FMB est divisée en unions professionnelles qui agissent sur le monde du travail et en unions civiques qui travaillent sur les problématiques territoriales comme l'urbanisme, l'environnement, les services, etc. Sur toutes ces problématiques, les unions de la FMB discutent publiquement en assemblées qui débouchent sur des propositions dont doivent tenir compte, qu'ils le veuillent ou non, les élus.
La FMB, étant une structure autogérée, n'a pas d'organismes dirigeants. Les décisions y sont prises de manière autonome dans les assemblées de chacune des unions.
L'assemblée générale des membres de la FMB a lieu une fois par an. Elle discute et coordonne les décisions déjà prises dans les unions professionnelles et dans l'union civique. Elle élit un comité exécutif qui a pour charge de coordonner et exécuter les décisions prises dans les assemblées. Les décisions y sont prises à la majorité. La minorité peut ne pas exécuter les décisions et exprimer publiquement son désaccord même par des initiatives publiques. Par contre, elle ne peut empêcher l'exécution des décisions prises par la majorité.
La différence entre la FMB et les organisations de masse institutionnelles est qu'alors que les secondes délèguent aux institutions hiérarchiques la gestion politique du social en se limitant aux luttes revendicatives, la première refuse de déléguer aux autres la gestion du social.
Elle mène des luttes revendicatives mais également en œuvre des expérimentations autogestionnaires pour arriver à une alternative sociale communaliste, fédéraliste et libertaire. Comment la FMB agit dans le social : quelques exemples d'intervention territoriale
Monde du travail et services La FMB n'a jamais été de ceux qui défendent aveuglement les services sociaux de l'État tout en ne défendant pas non plus le système néo-libéral. Elle sait que les deux systèmes sont porteurs de clientélisme, corruption, profit et exploitation.

La FMB soutient et pratique l'alternative autogestionnaire. À l'organisation du travail capitaliste ou étatique, elle oppose l'organisation du travail coopératif. Elle ne se réfère pas au système coopératif qui s'est développé dans la société capitaliste, système comprenant d'énormes structures et basé sur le profit et l'exploitation. Au contraire, elle se réfère au concept originel du mouvement coopératif basé sur la solidarité, le mutualisme et l'égalité.
La coopérative " Arcobaleno " Quand la mairie a rendu public son intention de privatiser le service de ramassage des ordures, et de licencier le personnel, la FMB s'est publiquement opposée au projet et a créé, avec le personnel devant être licencié, une coopérative de production et de service, la coopérative Arcobaleno, qu'ont rejoint depuis d'autres jeunes au chômage. Aujourd'hui, les activités de la coopérative vont de la peinture au nettoyage, en passant par divers services.
Taxe communale Des assemblées publiques appelées par la FMB se réunissent avant la discussion du budget municipal. Y sont discuté l'importance des impôts et leur utilisation. Le but est de faire des contre-propositions à celle de la mairie. Certaines de ces assemblées ont considéré comme illégitimes les décisions municipales.
Le district D'autres initiatives de la FMB ont consisté à faire des assemblées, où étaient présents les maires des différentes communes, pour discuter de propositions sur la gestion des services, la production et l'environnement dans le cadre du district.
Contre la construction d'un tunnel pour débarrasser les wagons de chemin de fer de l'amiante La lutte qui a le plus rassemblé la communauté du district a été sans doute celle contre la construction d'un tunnel pour débarrasser les wagons de chemin de fer de l'amiante, wagons qui servaient pour tout le sud de l'Italie. L'entreprise Niagara de Carpi di Modena voulait construire ce tunnel dans la gare de Spezzano à quelques kilomètres des thermes, au milieu d'une agriculture florissante d'agrumes, de pêchers et d'oliviers.
Les appels à l'unité d'action lancés par la FMB ont culminé dans une grande assemblée populaire organisé par le comité citoyen contre l'amiante. Ils ont obligé le maire de la commune de Spezzano Albanese à refuser la construction du tunnel. Cette mobilisation a également obligé l'entreprise Niagara à faire ses valises. La communauté du district a obtenu cette victoire par l'action directe. o Pour une gestion communautaire des thermes Les thermes ne sont pas un problème nouveau pour Spezzano.
Le 3 mars 1923, la mairie de l'époque a donné à un privé la concession de la source d'eau minérale de Spezzano. Jusqu'à aujourd'hui, les diverses équipes municipales se sont désintéressés des thermes qui ont toujours été gérés par des privés, plus soucieux de récupérer des financements publics que de développer cette richesse.
Plusieurs fois, le mécontentement de la population face à cette situation s'est manifesté, stimulé le plus souvent par la présence anarchiste. Mais des compromis entre la mairie et les successifs gestionnaires des thermes ont toujours permis d'étouffer ce mécontentement.
Dans les derniers temps, la FMB a reposé le problème avec des manifestations publiques, des expos, des meetings et des assemblées où a été proposée la municipalisation des thermes et leur gestion collective et coopérative par les différentes communes du district. Un important débat a encore lieu aujourd'hui sur cette question et la faillite de la société thermale lui donne une grande actualité.

Cette expérience peut-elle être transposée dans une plus grande ville ?

Dans une petite ville, il est sans doute beaucoup plus facile d'avoir une vision complète des problèmes qu'affronte la collectivité. Il suffit qu'une initiative parte d'un petit groupe pour toucher l'ensemble de la population. Dans une grande ville, la situation est différente. Il est déjà difficile pour un petit groupe d'avoir une vision claire, détaillée et globale de toute la problématique sociale et, pour ce qui est de toucher toute la population, c'est encore plus dur.
Mais si un groupe ou encore mieux des groupes commençaient à intervenir sur les problématiques de quartiers, ils pourraient certainement, avec le temps, toucher tous les habitants.

Au fond, une petite ville ne correspond-elle pas à un quartier dans un grand centre urbain ?
Donc commencer à intervenir dans une zone déterminée pour après s'élargir aux autres zones devrait permettre d'arriver au même résultat que celui que réussit à avoir une communauté de 8 000 personnes. Sur notre territoire, du district et de la province, l'expérience de la FMB est en train de susciter un grand intérêt : à San Lorenzo del Vallo, pays proche de Spezzano, s'est constituée il y a peu une FMB. Dans le même temps, nous sommes sollicités par d'autres groupes de citoyens de la province de Cosenza intéressés par le discours municipaliste de base. L'expérience de la FMB suscite un vif intérêt : dans différentes localités d'Italie ont eu lieu des rencontres sur le thème du municipalisme.
Par ailleurs, la présence de la FMB dans certains congrès nationaux consacrés au municipalisme est significative. Des interviews sont réalisées par des revues et journaux libertaires, tant nationaux qu'internationaux.

Force du communalisme par rapport à d'autres propositions de fédéralisme et de gouvernement local
Le problème à résoudre vis-à-vis des différentes propositions de fédéralisme et de gouvernement local qui naissent aujourd'hui dans différents lieux est sans doute celui de comprendre lesquelles proposent un réel fédéralisme et lesquelles ne proposent qu'une décentralisation ou une tendance à la sécession.
Le municipalisme de base, ou mieux le communalisme, est sans doute la proposition la plus cohérente. Le communalisme représente une réelle alternative autogestionnaire à la société de domination. L'initiative part de la base, aussi bien au niveau professionnel qu'au niveau territorial avec pour but la construction d'une société horizontale et auto-gouvernée, capable de remplacer la société étatique et verticale par un réseau de communes libres fédérées dans une coopération solidaire et mutualiste.
Le communalisme se base sur une pratique libertaire liée à l'idée du gradualisme révolutionnaire : il ne fuit pas les contradictions et les conflits générés par la société de domination, au contraire il s'insère dans le terrain de la lutte sociale pour la défense des intérêts immédiats des classes exploitées.
Il a pour but, dans le même temps, de commencer à construire ici et maintenant les fondements de la société libre de demain. Expériences proches de celle de Spezzano en Italie et ailleurs : affinités et différences
Des expériences différentes et diversifiées de l'autogestion sont présentes en Italie et dans d'autres pays. Ces expériences ne sont pas vraiment analogues à celle de la FMB mais elles en sont certainement similaires par certaines caractéristiques. Présentes dans le champ économique, politique et social, elles constituent un archipel alternatif à l'organisation hiérarchique de la société de domination.
Notre expérience communaliste, à la différence des autres expériences proches auxquelles on prête une attention critique, ne croit pas à la possibilité de construire le municipalisme autogestionnaire par la participation aux élections.
Nous pensons que le communalisme, comme projet révolutionnaire professant l'action directe pour résoudre les problèmes sociaux, ne peut pas être conçu comme un parti ou un mouvement qui vise à être élu pour imposer son programme. Penser que le communalisme puisse contribuer à la construction d'un grand mouvement autogestionnaire et fédéraliste en participant aux élections est, à notre avis, une illusion, pire un paradoxe.
Nous sommes convaincus que ces pratiques amèneraient les toutes jeunes structures communalistes sur le terrain de l'ennemi (l'État) contre lesquelles elles se sont formées. Rentrer dans les méandres de la légalité étatique mènerait ces structures au suicide.
Par contre, nous ne pensons pas que le communalisme doit utiliser l'abstentionnisme comme " principe ". Qu'est-ce qui est le plus utile pour la pratique communaliste : que beaucoup de gens n'aillent pas voter, comme du reste ça se passe déjà dans de nombreuses démocraties occidentales, mais s'isolent chez eux en laissant toute faculté au pouvoir de faire ce qu'il veut ? Ou, au contraire, que beaucoup de ceux qui vont voter, convaincus pourtant de ne pas donner des chèques en blanc, se joignent aux structures autogestionnaires ?
En somme, nous sommes convaincus que l'activité communaliste doit se tenir à l'écart des logiques électorales et abstentionnistes, pas des débats qui agitent la commune.
En effet, c'est seulement à travers sa propre activité sociale sur les problèmes collectifs et territoriaux, faite de propositions et initiatives réellement alternatives à la démagogie du rituel de la délégation, qu'elle pourra contribuer de manière cohérente à la construction d'une pratique fédéraliste libertaire. Enfin, selon nous, la praxis communaliste doit refuser à la fois la logique du révolutionnarisme millénariste et les logiques qui peuvent aboutir au réformisme.

Elle doit se projeter dans le quotidien pour briser le pouvoir et l'exploitation par la construction graduelle du fédéralisme libertaire, ici et maintenant.

Nos quartiers, Nos communes des espaces libertaires (Editions du Monde libertaire)
http://www.increvables-anarchistes.org/ ... -en-italie
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Vieille Chouette » 06 Oct 2012, 13:57

Je l'ai déjà mis dans les évènements, mais j'en profite pour le remettre ici étant donné que c'est le sujet, samedi 13 octobre, à Nancy, réunion publique "Autogestion, Démocratie Directe... un nouveau modèle de société pour le XXIème siècle ?" à 16h30 au Centre culturel autogéré de Nancy.

Organisé par Alternative Libertaire, avec La CRISE, et le CCAN.

http://alternativelibertaire.org/spip.php?article4957
Je sais que les asiles et les prisons de ce pays, sont le dépôt des inclassés, des nouveaux enragés, je sais qu'faut se courber et toujours rester muer, se plier, s'laisser bouffer, et en redemander... (Kyma - Les grands vides pleins)
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 16 Oct 2012, 12:13

1934 La Commune des Asturies

En octobre 1934, une grève générale insurrectionnelle éclate dans la région des Asturies, au Nord de l’Espagne. Les conseils ouvriers, principalement formés de mineurs, proclamèrent la république sociale. La deuxième république espagnole enverra plusieurs armées dont une sous le commandement de Francisco Franco. Retour sur 15 jours de communisme depuis occultés.

à écouter sur SONS EN LUTTES (émission reprise de canal sud) : http://sonsenluttes.net/spip.php?article495
ou a télécharger (mp3 - 64 kbps - 23,8 Mo) : http://sonsenluttes.net/IMG/mp3/Asturies34.mp3
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede Pïérô » 09 Déc 2012, 11:51

Sous le signe Libertaire

Des prises des premiers jours de la Guerre Civile à Barcelone s’intercalent avec épisodes mis en scène du village aragonais Pina de Ebro. Les acteurs amateurs (Grup Art Lliure) montrent au jour le jour dans le village, où les anarchistes ont mis en place la collectivisation de l’agriculture. La structure du documentaire est le ’ film à l’intérieur du film ’ : une équipe de caméra fait un reportage sur la collectivisation à l’Aragon.













http://labouchedefer.free.fr/spip.php?article152
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede altersocial » 10 Fév 2013, 11:38

Jean Raguenès, un ancien du combat des Lip, nous a quitté

Jean Raguenès est décédé ce jeudi 31 janvier 2013 à l’âge de 80 ans. Frère dominicain, il était, aux côtés de Charles Piaget, une des figures de la lutte des Lip en 1973. Installé au Brésil depuis 1994, il travaillait dans le cadre de la Commission pastorale de la terre contre le travail esclave, pour la défense des droits des travailleurs et la promotion de l’agriculture familiale.

Prêtre dominicain issu d’une famille bourgeoise de Bretagne, il a d’abord été éducateur pour l’enfance inadaptée, puis novice dans un ordre contemplatif, le Carmel, avant d’entrer chez les Dominicains. Aumônier du centre Saint-Yves des facultés de Droit et de Sciences économiques à Paris, il vécut intensément Mai 68 et prit fait et cause pour les « Katangais », ces jeunes marginaux enrôlés au service de la révolution. Sa condition de religieux en fut profondément éprouvée. Mais, loin d’abandonner l’Église, il fit le choix d’une vie religieuse plus radicale au service de la libération des opprimés de la société.

Il arrive à Besancon en 1970 où il essaye de venir en aide aux jeunes sortis de prison. Il est embauché à Lip en 1971 deux ans avant qu’éclate le conflit social sans doute le plus innovant de ces années. Le 12 juin 1973, apprenant le licenciement imminent de 480 salariés, les ouvriers de Lip occupent leur usine de Palente et mettent à l’abri 65 000 montres. Dès le 18 juin, ils relancent la production avec le slogan qui deviendra célèbre : « C’est possible : on fabrique, on vend, on se paie ». Le 15 août, les gardes mobiles investissent l’usine mais la production et les ventes continueront dans les alentours. Ce n’est que le 29 janvier 1974 qu’un accord sera trouvé pour une reprise de l’entreprise.

Image
Jean Raguenes présente son livre "De mai 68 à Lip" à Besançon en 2008

Durant le conflit, Jean Raguenès fut un ardent promoteur de la formule du « Comité d’action » qui dépassait le cadre des seuls syndiqués de la CFDT alors en pointe dans le mouvement. C’était pour lui un moyen concret pour que la parole des salariés jaillisse le plus librement possible et puisse permette au mouvement de rebondir, quand il s’essoufflait. Le Comité d’action de Lip sera à l’origine de nombreuses réflexions et actions qui se sont avérées décisives pour l’avancée de la lutte.

Il restera à Lip jusqu’en 1985 où il sera toujours aux avant-postes de la « lutte » des « Paroissiens de Palente », comme on surnommait les salariés de l’usine de ce quartier bisontin. Il s’installera ensuite dans un couvent dominicain à Strasbourg où il découvrira les questions du Tiers-Monde en travaillant pour une association d’information et de documentation sur le développement, Infodev, membre du réseau Ritimo (www.ritimo.org).

Il s’installera au Brésil en mars 1994 où il effectuera une sorte de « tour social » pendant près d’un an, pour connaître les mouvements sociaux et choisir l’endroit où s’installer. Il fera alors le choix de participer à la Commission pastorale de la terre, dans le Xingu, sur la Transamazonienne, aux confins de l’état du Para, où un poste était disponible. Son activité était dédiée à la défense des droits de l’homme, notamment la lutte contre le travail esclave, l’application des droits du travail et le développement de l’agriculture en liaison avec une « association pour le développement de l’agriculture familiale dans le haut Xingu » : assistance technique, aide à la commercialisation de produits comme le cacao et la noix du Para, construction de deux maisons familiales rurales. La Commission y avait aussi des actions transversales dans le domaine de la formation avec des séminaires sur la santé, l’éducation, l’accès aux droits, le logement et le mouvement des femmes.

Ces dernières années, sa santé l’avait contraint à s’installer au couvent des Dominicains à São Paulo. Il est mort jeudi dernier d’un cancer qui s’était déclaré tout récemment. Jean Raguenès repose désormais à São Paulo.

Un témoignage de Jean Gauthier réalisé par FR3 Franche-Comté et recueilli par Pascal Schnaebele et Fabienne Lemoing :

:arrow: VIDEO

Jean Gauthier y raconte sa rencontre avec l’homme de foi, lui qui était marxiste. L’éducateur, aujourd’hui âgé de 80 ans, partageait avec son ami Jean Raguenès ce goût de l’engagement envers les parias de la société. Pendant le conflit Lip, c’est même lui que Jean Raguenès (à l’origine du comité d’action des Lip) appelle au téléphone en pleine nuit pour lui demander de cacher le trésor de guerre des Lip. Les 65 000 montres seront abritées dans le grenier avant d’être réparties un peu partout dans la région. Plus tard, Roger Gauthier poursuit son action en animant la structure GARE BTT chargée d’aider à la réinsertion des prisonniers ayant effectué de longues peines.

Charles Piaget et plusieurs anciens de LIP ont envoyé à ses obsèques le texte suivant :

Tes amis de LIP BESANCON sont dans la douleur.
Nous nous rappelons le chemin parcouru ensemble.
Tu travaillais dans un coin de l’usine, comme ouvrier de la plus basse catégorie. Nous t’avions à peine remarqué…
Nous ne savions rien de toi.
Puis nous t’avons connu un peu avant le grand conflit.

Tu bousculais déjà nos habitudes, tu demandais à élargir le groupe syndical, l’étendre aux ouvriers, ouvrières pour être informé, puis réfléchir ensemble.
Enfin dès l’éclatement de ce long conflit, tu as dépensé sans compter, ton énergie, ta générosité, ton intelligence.
Tu étais, comme tu le disais, « un aiguillon. »
Tu savais, toi, que dans chaque personne il y a un trésor, des valeurs remarquables insoupçonnées..tu cherchais inlassablement à les faire éclore.

Tu ne parlais jamais de ta foi, mais elle transparaissait dans toute ta personne.

Tu as un peu trop malmené ton corps, tu y faisais si peu attention…

Jean, le temps que nous avons passé ensemble est inoubliable.
Et puis un jour tu es parti pour le Brésil, aider modestement à monter des coopératives avec les « sans Torres »

Nous vivions ce nouveau combat à travers tes lettres.

Ta venue parmi nous pour la présentation de ton livre « de Mai 68 à Lip » a été un très bon moment..

Tes rares et courtes visites à tes amis de Besançon étaient toujours très appréciées..

Merci, Jean pour ton passage, nous ne t’oublierons pas..

Repose en paix…
Tes amis de LIP


Lire aussi :

:arrow: Jean Raguénès, de Lip à l’Amazonie
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede indignados » 28 Juil 2013, 00:18

a VOIR /

Vive l'anarchie! CNT AIT,FAI IFA,anarchisme,les anarchistes,anarchie http://www.youtube.com/watch?v=-wLH8veaVrw
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Re: Autogestion, Histoire du mot autogestion

Messagede bipbip » 27 Juil 2017, 19:07

A PROPOS DES FONDEMENTS THEORIQUES DE L’AUTOGESTION

Cette recherche des fondements théoriques de l’autogestion est un des moments nécessaires à l’élaboration d’une ligne politique qui a pour thème fondamental : l’AUTOGESTION. Dans la mesure où pour nous, groupe révolutionnaire, l’autogestion est le système social et économique à atteindre à la suite d’une critique radicale du système capitaliste, nous aborderons cette recherche par une analyse du travail aliéné.

Le Travail

Le travail est une activité spécifique et essentielle de l’homme, c’est la création ou la production d’objets : ce que nous pouvons traduire par pratique.
Pourquoi cette activité est-elle spécifique (appartenant en propre à l’homme et à l’homme seulement) et pourquoi est-elle essentielle (définissant l’homme fondamentalement) ?
Elle est spécifique parce que l’homme seul (en face de toutes les autres créatures de la terre) peut se représenter à l’avance ce qu’il fera, ce qu’il traduira dans ses actes. Dans le travail, justement, l’individu doit avoir l’idée de l’objet qu’il aura à produire.
Elle est essentielle car l’homme n’est pas nécessairement poussé à produire des objets pour satisfaire ses besoins immédiats ou élémentaires. Une telle activité peut répondre à quelque chose de fondamental en l’homme. On peut affirmer que seul est homme et seul se perçoit comme homme celui qui crée des objets.
Le travail, ou créativité, est une production d’objets. Nous pouvons traduire ce processus par le concept "d’objectivation". Notons que dans le mot objectivation le terme objet est contenu. Le suffixe ation indique un mouvement, une élaboration, un effort de construction. Il indique les différents moments de cet effort de création.
1 - la dépense d’énergie autant intellectuelle que physique, du créateur c’est-à-dire, l’acte de production.
2 -.le résultat de cet acte de production, à savoir le produit, l’objet ou la création, objet qui devient extérieur à l’homme créateur et qui est posé devant lui-même comme étranger. Dans ce produit, est cristallisée toute l’énergie qu’il a fallu dépenser pour le produire. Cette cristallisation indique que cette énergie n’appartient plus au créateur mais à l’objet ; disons que l’homme ne colle plus à son objet quand ce dernier est achevé.

Le Travail aliéné, sa cause, sa nature.

Que devient ce processus d’objectivation (car c’est cela qui nous intéresse) dans le système économique et social capitaliste ?
Nous avons défini jusqu’à maintenant la forme idéale de ce processus. Ce modèle, nous allons le plonger dans la réalité capitaliste et nous allons voir qu’il en subit beaucoup de dommages. Le système capitaliste est fondé sur la propriété privée des moyens de production ; dès lors, certains individus possèdent les moyens de production ; ces individus, ce sont les capitalistes. Et le système est tel que tout homme est obligé d’utiliser ces moyens de production pour être créateur. Notre homme, que nous avons vu créer à l’intérieur d’un processus d’objectivation est devenu ouvrier, c’est-à-dire, un créateur qui met sa force de travail au service d’un autre homme, le capitaliste. C’est l’aliénation.
Cette nouvelle situation va changer les rapports du créateur à son objet et les rapports du créateur vis à vis de son acte de production, vis à vis de son effort de création lui-même.

Quels sont les nouveaux rapports du créateur à l’objet en tant que ce créateur est devenu ouvrier ?

De notre modèle (précédemment établi) nous avons déjà vu que l’objet achevé (la force de production cristallisée dans un produit) tendait à se détacher de son créateur. Cela veut dire que dans l’acte de production lui-même, c’est-à-dire, pendant que l’on fabrique l’objet, les rapports entre créateur et objet se posent en terme de création. Mais l’objet achevé, les rapports se posent en terme de possession. Le créateur devient propriétaire de son objet, donc le contact entre le créateur et son objet n’est plus immédiat mais subsiste cependant et se caractérise encore comme un rapport direct, celui de la possession, le créateur possède l’objet qu’il a produit.
Dans le système capitaliste le créateur, ici l’ouvrier, ne peut même plus établir des rapports de possession avec son objet. Cet objet est devenu la propriété du capitaliste.
C’est la propriété privée et capitaliste qui fait que l’objectivation devient aliénation : l’objet produit est devenu dès lors complètement étranger à son producteur. Celui-ci n’existe plus en tant que créateur mais en tant qu’ouvrier, c’est-à-dire que le travail n’est plus pour lui qu’un moyen d’assurer sa survie en tant qu’être physique. Le travail manque à sa mission qui est d’être une manifestation de la personnalité entière de l’individu, d’être une activité essentielle de l’homme. Par là même, l’homme ne vit plus d’une façon complète mais en tant qu’être physique, l’homme est devenu une moitié d’homme, comme dit Marx "l’homme devient le bestial et le bestial devient l’humain".

Que devient le rapport du créateur à son effort de création ?

Le projet de création n’appartient pas à celui qui produit les objets dans le système capitaliste. Le projet est lié à des exigences économiques et commerciales qui dépassent l’individu créateur. Ce projet lui est imposé, et d’une façon telle qu’il ne lui est pas expliqué. Le travail devient un travail forcé dès son origine. Le travail est devenu extérieur au Travailleur, nous avons déjà noté que l’objet devenait étranger à son producteur, mais là c’est le travail lui-même qui lui devient extérieur.
Ainsi, l’aliénation est maintenant complète, l’homme est devenu étranger à un objet qu’il produit et à son travail lui-même, à son activité productive, à son effort de création.
Dans la mesure où cette activité créatrice est une force vitale, une activité essentielle de l’homme, nous prouvons que l’homme est devenu étranger à soi, puisqu’il est devenu étranger à ce qui lui est essentiel à ce qui fait qu’il est un homme en face des autres créatures de la terre.

La Spontanéité et l’Autogestion

Lorsque l’individu fait un projet de création comment la spontanéité intervient-elle ? C’est parce que l’individu possède une spontanéité qu’il peut faire un projet. Nous nous souvenons qu’il a été dit que le projet était imposé au producteur, à l’ouvrier, mais nous voyons tout de suite que cet état de fait n’interdit pas à l’ouvrier des intentions de projet. Ainsi l’ouvrier aliéné devenu étranger à lui-même, pour autant qu’il puisse être autre chose qu’un ouvrier à savoir un individu libre, continue à avoir la possibilité de faire des projets. Cependant entre cette possibilité et l’élaboration du projet subsiste une marge. C’est cette marge qui est comblée lorsque le projet est conçu une fois le projet conçu un stade reste encore à parcourir, c’est celui de l’exécution de ce projet. Cette marge comblée et ce stade parcouru définissent la pratique, et notamment la pratique révolutionnaire.
Notre ouvrier est donc aliéné mais a toujours ici une qualité indestructible des intentions de projet. La spontanéité toujours existante est cependant inagissante et c’est ce qui va permettre une prise de conscience, car que la spontanéité ne soit pas suivie d’une élaboration de projet est une situation inhumaine (dans le sens où elle n’est pas naturelle). C’est pourquoi, il y a révolte de l’individu exploité, révolte qui accouchera enfin d’un projet, projet qui ne peut être que révolutionnaire. Car l’ouvrier exploité prenant conscience totalement de sa situation d’aliénation fait le premier pas vers la suppression de celle-ci. Dès lors il ne peut porter son pouvoir de contestation qu’à un niveau révolutionnaire. Restera le deuxième stade à parcourir, celui de la pratique révolutionnaire. Or, c’est à ce stade que nous introduisons la notion d’autogestion. Souvenons-nous que nous avons défini l’aliénation un état où l’objet est devenu étranger à son producteur et où le producteur est devenu étranger à lui-même. Dès lors, le projet révolutionnaire ne peut que contenir deux réconciliations ou deux rétablissements :
l’homme créateur à nouveau en rapport direct avec l’objet qu’il produit par la suppression de la propriété privée des moyens de production.
l’homme redevenu présent à lui-même c’est-à-dire produisant non plus pour satisfaire ses besoins mais en tant que la création où le travail est une activité vitale pour l’homme.

Il devient dès lors évident que le projet révolutionnaire ne peut être qu’autogestionnaire, dans la mesure où c’est seulement dans un système autogéré que peuvent s’effectuer ces deux réconciliations.
"Réconciliations" indiquant bien un mot de reconquête : il s’agit pour l’homme de reconquérir son objet et soi-même, c’est-à-dire, sa désaliénation. Et ce mot de reconquête, de l’homme par lui-même, des individus par eux-mêmes, est ce qui est contenu dans le préfixe du mot "autogestion", à savoir "auto". L’autogestion, c’est pour le créateur redevenir possesseur des moyens de production et redevenir créateur d’objets. Son projet de création ne lui étant plus imposé dans un système d’aliénation, ce projet est maintenant conçu par le créateur lui-même.

HISTORIQUE DU CONCEPT DE GESTION DIRECTE

Très tôt, certains révolutionnaires se sont rendus compte que deux grandes options révolutionnaires s’affrontaient. Ceci apparaissait déjà lors de la révolution française, dans l’opposition entre les "sans culottes" et le jacobinisme, entre les forces populaires et les théories et pratiques centralisatrices et autoritaires, les théories de l’état. La tradition des forces populaires fut gardée et développée par les anarchistes :

Malatesta, 1894 :

"La révolution comme nous la voulons, doit-être le commencement de la participation active, directe et véritable des masses, c’est-à-dire de tous à l’organisation et à la gestion de la vie sociale".

Kropotkine : l’action anarchiste dans la Révolution. De la capacité politique de la classe ouvrière :

"La part du peuple dans la révolution doit être positive en même temps que destructive. Car lui seul peut réussir à réorganiser la société sur des bases d’égalité et de liberté pour tous. Remettre ce soin à d’autres, serait trahir la cause de la Révolution".

Enfin, Proudhon : De la capacité politique de la classe ouvrière peut être considéré comme le père de l’autogestion :

"Nous, producteurs associés ou en voie d’association, nous n’avons pas besoin de l’état. L’exploitation par l’état, c’est toujours de la monarchie, toujours du salariat. Nous ne voulons pas plus du gouvernement de l’homme par l’homme, que de l’exploitation de l’homme par l’homme. Le socialisme est le contraire du gouvernementalisme. Nous voulons que ces associations soient le premier noyau de cette vaste fédération de compagnies et de sociétés, réunies dans le commun lieu de la République Démocratique et Sociale."

Le concept de gestion directe était donc bien formulé :
Participation des masses, active, la spontanéité s’organisant au niveau économique comme aux niveaux politique et social.
Un fédéralisme coordonnant l’ensemble économique et social.
Cette gestion nécessite la collectivisation, c’est-à-dire l’abolition de la propriété privée, et l’abolition du salariat.
Elle exige l’abolition de toute forme centraliste et autoritaire d’organisation : l’Etat. Et même de tout intermédiaire sous forme de parti d’élite, de bureaucratie, ou de simple farce électorale.

Plus tard, avec l’anarcho-syndicalisme et l’expérience de la C.N.T. en Espagne, apparaît l’idée que le syndicat doit jouer un rôle économique important, d’organisation, de coordination, de réglementation et de contrôle de la production, en accord avec les besoins de la consommation : Texte CNT-FAI 1937 :

"L’organisation .du travail doit se trouver entre les mains des syndicats industriellement organisés dans les conseils communaux, en évitant la collectivisation partielle des entreprises. Ce qui constituerait une négation profonde de l’esprit de socialisation... La socialisation du travail réclame la plus grande intervention des ouvriers organisés. Déjà avant le 19 Juillet, les anarchistes ont formulé la structure économique post-capitaliste donnant aux syndicats la mission d’organiser toutes les industries. Les syndicats doivent ’être organisés par industries ; chacune de celles-ci se rattache aux autres fédérativement. On organise le travail, on étudie les problèmes techniques, on fait tout directement par les syndicats. Dans chaque lieu de travail, les ouvriers se groupent dans leurs comités respectifs, formant ainsi le filet de base de l’industrie. La syndicalisation par industries s’impose comme un premier pas vers la socialisation. Dans les petites localités, les conseils communaux peuvent organiser la production et la consommation. Tout l’ensemble de la vie économique passera ainsi aux organismes des producteurs. Et tout l’ensemble des syndicats de l’industrie et les Conseils communaux se chargeront de la production d’une manière efficace et, d’accord avec les principes d’une socialisation effective. Il ne peut y avoir d’exceptions".

Ainsi au concept de gestion directe, venaient s’ajouter deux nouvelles caractéristiques de première importance :
L’élément technique d’organisation, dans un certain sens le problème de la planification par le syndicat.
L’élément économique important que les systèmes économiques actuels n’arrivent pas à rationaliser : les consommateurs. Car on ne peut laisser ce secteur économique sans autonomie, c’est-à-dire sans réelle possibilité d’intervention sur la production.

N.B. : Sous le terme syndicat, il ne faut pas voir la réalité des syndicats actuels.

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