Algérie, lutte indépendance, solidarité internationale ...

Re: Algérie, lutte indépendance, solidarité internationale .

Messagede bipbip » 27 Oct 2018, 19:14

L’extrême gauche et la guerre d’Algérie : la solidarité en exercice

Des "porteurs de valises", on connaît surtout aujourd’hui les réseaux Jeanson et Curiel. Mais diverses organisations d’extrême gauche ont également été très actives dans la solidarité avec le peuple algérien.

L’opposition française à la guerre d’Algérie est connue à travers les "porteurs de valises", ces Françaises et Français engagés dans les réseaux de soutien au FLN, dont l’une des principales activités consistait à transporter les cotisations prélevées par l’organisation nationaliste sur les quelque 220000 Algériens présents en métropole (350000 en 1962). Parmi ces réseaux, les plus célèbres sont le réseau Jeanson, organisé par le philosophe Francis Jeanson, disciple de Jean-Paul Sartre et gérant des "Temps modernes" (1), et le réseau Curiel, du nom du communiste égyptien Henri Curiel, assassiné en 1978 à Paris (2). Ces réseaux sont les plus connus pour diverses raisons : le caractère public de ceux qui y ont participé, parmi lesquels on comptait de nombreuses personnalités, mais aussi une médiatisation accrue du fait des arrestations et des procès. Enfin, le caractère oecuménique de ces réseaux, qui regroupaient aussi bien des chrétiens progressistes, des communistes en rupture de ban ou des militants du PSU, a permis de constituer une représentation plus "fédérative" de leur démarche au sein de la gauche, dans la mesure où leurs ambitions politiques semblaient se limiter au combat pour l’indépendance de l’Algérie, sans autres présupposés idéologiques. Le combat des "porteurs de valises" est ainsi ramené sur un plan plus "humanitaire" que politique.

Les premiers réseaux

Les réseaux Jeanson et Curiel n’ont cependant pas été les seuls ni même les premiers réseaux d’aide au FLN. Il ne s’agit pas de minorer l’action de militants qui, dans un contexte difficile d’"unanimité nationale" (il suffit de rappeler le vote par le PCF en 1956 des pleins pouvoirs au gouvernement de Guy Mollet pour augmenter la répression en Algérie), ont su aller à contre-courant et payer parfois durement leur engagement internationaliste. Mais il faut rappeler que différentes organisations d’extrême gauche ont également été très actives dans la solidarité avec le combat du peuple algérien.

Le premier réseau qui se met en place, dès 1955, est ainsi celui du PCI, section française de la Quatrième Internationale (ancêtre de la LCR). En 1956, Pierre Frank, dirigeant de la section française, Simonne Minguet (une des rares femmes parvenues à un poste de direction dans un parti trotskyste qui n’échappe pas à la surreprésentation masculine de l’ensemble de la classe politique) et deux autres militants sont arrêtés suite à l’ouverture de paquets contenant des tracts du FLN. Ils passent deux mois en prison et sont relâchés faute de charges suffisantes. Mais Pierre Frank et Jacques Privas sont néanmoins condamnés pour délit de presse.

De telles amendes et condamnations vont causer la mort d’une autre organisation d’extrême gauche, la Fédération communiste libertaire, scission de la Fédération anarchiste animée par Georges Fontenis. Pierre Morain, militant de la FCL, est condamné à un an de prison en 1955 pour ses écrits dans "Le Libertaire", trop favorables à la révolution algérienne. En 1956, la FCL, qui croûle sous les amendes et dont les principaux dirigeants sont sous le coup de condamnations, disparaît. La FA, qui renvoie dos à dos les "deux nationalismes" des Algériens et des Français en refusant de prendre parti, n’est pas inquiétée par la répression.
Pierre Frank justifie le soutien apporté au FLN en écrivant : "Nous avons soutenu le FLN non parce que nous avions vu en lui une organisation marxiste, mais parce qu’il menait une lutte effective, réelle, contre l’impérialisme français." La révolution coloniale est considérée comme l’une des "trois forces principales de la révolution mondiale", avec la révolution politique à l’Est et la révolution prolétarienne en Europe et aux Etats-Unis. En France, des militants comme Pierre Avot, Louis Fontaine ou Gilbert Marquis s’occupent des activités "traditionnelles" clandestines d’impression de tracts du FLN, ainsi que des relations avec l’organisation algérienne, ou organisent, comme Clara et Henri Benoîts dans leur usine de Renault Billancourt, la solidarité des ouvriers avec les Algériens menacés par la police. D’autres, comme Michel Fiant, Alain Krivine, jeune militant communiste déçu par l’attitude du PCF et décidé à s’engager dans l’aide à la révolution algérienne, ou Claude Kowall, tentent de construire Jeune résistance, groupe subversif qui organise des réseaux de désertion pour les appelés. Voie communiste, une organisation où se retrouvent l’ancien trotskyste Denis Berger et le libertaire Daniel Guérin, tente de faire évader les ministres FLN et notamment Ben Bella.

Michel Raptis, dit Pablo, dirigeant d’origine grecque de la IVe Internationale, organise quant à lui un véritable réseau trotskyste international d’aide au FLN. Il met ainsi en place, en collaboration avec la direction du FLN, une usine d’armes clandestines au Maroc. Des ouvriers de différents pays, et notamment le Français Louis Fontaine, y fabriquent des mitraillettes et des mortiers. Pablo met aussi en place en 1960 aux Pays-Bas un atelier de fabrication de fausse monnaie pour le FLN. Mais les imprimeurs sont infiltrés par les services secrets, l’opération échoue et Pablo est arrêté. Après un procès durant lequel Sartre, Claude Bourdet ou Isaac Deutscher apportent leur soutien au dirigeant trotskyste, il est condamné à 15 mois de prison à Amsterdam.
Après l’indépendance, un certain nombre de militants s’installent en Algérie afin d’y construire le "socialisme". Pierre Avot, Simonne Minguet, Louis Fontaine, Albert Roux sont de ceux-là : ils font partie des fameux "pieds-rouges" et disposent de la nationalité algérienne. Pablo est même conseiller de Ben Bella, et travaille avec l’historien Mohammed Harbi pour faire adopter les premiers décrets d’autogestion des domaines laissés vacants par les "pieds-noirs" réfugiés en France. Le coup d’Etat de Boumedienne en 1965 met un terme à cette collaboration : les pieds rouges trotskystes sont arrêtés puis expulsés ou s’enfuient, Albert Roux subit même la torture.

Internationalisme concret

Quelles leçons tirer de ces expériences ? De nombreuses illusions ont sans doute été déçues chez ceux qui espéraient la transformation de la révolution coloniale en révolution socialiste et son extension en Europe. La phraséologie marxiste et progressiste du FLN a pu abuser des militants qui ne percevaient pas toujours la bureaucratisation de l’organisation nationaliste, déjà en oeuvre pendant la guerre d’Algérie. Reste le plus important : le soutien pratique à la lutte d’un peuple contre un Etat colonial qui n’hésitait pas à employer la torture et à réprimer férocement toute révolte, les massacres de Sétif et Guelma ou le 17 octobre 1961 sont là pour en témoigner. Reste une expérience concrète d’internationalisme conséquent, avec toutes les erreurs, les difficultés et les illusions, mais aussi la solidarité, les espoirs et les perspectives que cela comporte.

Sylvain Pattieu

1. Voir Hervé Hamon et Patrick Rotman, "Les Porteurs de valises, la résistance française à la guerre d’Algérie", Albin Michel.

2. Voir Gilles Perrault, "Un homme à part" éditions Bernard Barrault.


http://www.association-radar.org/article377.html
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Messagede Lila » 28 Oct 2018, 21:14

Pierre Vidal-Naquet : "Dans la guerre d'Algérie la torture n'était pas un accident, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier s'était trouvé engagé"

Notre temps - Entretiens avec Pierre Vidal-Naquet sur la torture au micro d'Anouk Adelmann diffusés la 1ère fois les 3, 4 et 5 avril 1972 sur France Culture.

L'ouvrage de Pierre Vidal-Naquet,La torture dans la République, avait été édité une première fois en anglais, aux éditions Penguin, peu après la Guerre d'Algérie avant de paraître en 1972 aux Éditions de Minuit. Comme le soulignait alors Gérard Chaliand dans Le Monde Diplomatique, c'était en historien, et non en moraliste, que Pierre Vidal-Naquet abordait la question de la torture à travers le conflit algérien.

" La torture telle que je la définis ici, écrivait Pierre Vidal-Naquet, torture d’État, n’est en effet pas autre chose que la forme la plus directe, la plus immédiate de la domination de l’homme sur l’homme, ce qui est l’essence même du politique.

En 1972, à l'occasion de la réédition de La torture dans la République, Pierre Vidal-Naquet était invité à présenter la démarche qui avait été la sienne dans ce livre où il écrivait : "Toute dissidence, quelle que soit sa nature, peut pousser l’État moderne, si libéral soit-il, à user de la torture". Des entretiens durant lesquels, avec la force de conviction des esprits clairs, Vidal-Naquet balayait les idées reçues, toujours bien ancrées chez certains, qui inclineraient à justifier la torture, ou pire peut-être, à la banaliser.

Au début de ces entretiens Pierre Vidal-Naquet fait référence à La Raison d'État, recueil de documents officiels réunis par le Comité Audin, publié en 1962 aux Éditions de Minuit :

" Ce titre "La Raison d'état" exprimait ce que je voulais dire. Ce qui m'a frappé, ce qui m'a bouleversé dans la guerre d'Algérie c'est que les faits de torture n'étaient pas des faits individuels, il ne s'agissait pas d'accidents, il s’agissait d'un système dans lequel l'état tout entier, notre état, s'était trouvé engagé jusqu'à aboutir à une dégradation, dont nous subissons encore aujourd'hui les conséquences.

Sur les origines de la pratique de la torture durant la guerre d'Algérie :

" C'est un fait qui est généralement peu connu, on s'imagine que la torture a été une riposte au terrorisme, rien n'est plus inexact et on pourrait soutenir tout aussi bien le contraire : à savoir que le terrorisme est une riposte à la torture.

Dans le cas algérien, il explique :

" Il y avait l'existence d'une communauté européenne minoritaire sur le plan des chiffres mais majoritaire sur le plan des ressources [...] depuis bien des années cette communauté considérait les 'autres', c'est à dire les algériens musulmans, comme non existants. C'est dans la mesure où ils se mettaient brusquement à exister qu'on les torturait. Ils étaient des ombres : dans la mesure où ils voulaient devenir des hommes c'est à ce moment-là qu'intervenait la torture.

En quoi l'affaire Audin est symptomatique de la torture en Algérie :

" L'affaire Audin est doublement exemplaire et symptomatique : d'abord en ceci qu'on pouvait constater qu'un homme, citoyen français pouvait disparaître du jour au lendemain, sans qu'on donne d'autres explications que des explications absurdes. [...] Maurice Audin était un universitaire, un communiste et un français, c'est parce qu'il était un universitaire, communiste et français que l'émotion a été vive dans une partie de l'opinion publique. Autrement dit, nous avons dû alors, pour mener la campagne contre la torture, prendre appui sur un cas qui n’était pas typique car des 'Audin' il y en avait beaucoup d'autres [...] 3024 affaires similaires ont été comptabilisées entre janvier et septembre 1957, dont la majorité était composée de musulmans.

Production : Anouk Adelmann
Notre temps - Entretien avec Pierre Vidal-Naquet sur la torture : Parties 1 à 3/3
1ère diffusion : du 03 au 05/04/1972
Indexation web : Sandrine England, Documentation sonore de Radio France
Archive Ina-Radio France

podcast : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... ies-1-a-33
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Messagede bipbip » 10 Nov 2018, 21:52

Guerre d’Algérie: torture et exécutions au nom de la France

Le 13 septembre dernier, Emmanuel Macron s'est rendu chez Josette Audin pour reconnaître la responsabilité de la France dans les tortures et l'assassinat de son mari Maurice, arrêté par l'armée française à Alger en 1957. Le président était accompagné de 3 historien.nes de la Guerre d'Algérie, dont Raphaëlle Branche, autrice de l'unique thèse consacrée aux violences illégales de l'armée française en Algérie. Dans ce deuxième épisode de La Grande H., R. Branche nous explique comment elle a pu démontrer le caractère massif et systémique de la torture et des exécutions sommaires, à partir des archives et d’enquêtes orales. Elle revient les vraies raisons de l’usage de la torture, qui ne tiennent pas à la nécessité d’obtenir des renseignements. Elle analyse enfin la portée de la démarche d’E. Macron concernant Maurice Audin, tout en évoquant les dangers actuels de la logique de suspension, par l’État de droit, des libertés et garanties légales pour certaines catégories de la population pensées comme « suspectes ».

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Messagede bipbip » 11 Nov 2018, 19:26

La guerre civile en France (1958-62)... ou les origines oubliées de la 5ème République.

Discussion - présentation de l’ouvrage en présence de son auteur Grey Anderson... Ou la part oubliée, autoritaire, militaire, complotée et coloniale de la 5ème République.

Marseille à Manifesten, ce mardi 13 novembre, à 19h30

Image

Quand De Gaulle foutait sa cagoule

Mai 58, t’as vu, c’était le zbeul niveau institutions républicaines. La collaboration, tout ça tout ça, pas si loin que ça, et la quatrième République de la victoire écrasante (hmm hmm) sur le fascisme se perdait dans les méandres de ses guerres coloniales dégueulasses. Bref, après l’Indochine, le début d’une séquence insurrectionnelle, où le sort de la France se joue autant à Alger qu’à Paris. De ce début de la fin de la IVe République, du retour au pouvoir du militaire De Gaulle, des origines très coloniales et complotées de la 5ème République, des attentats au coeur de Paris par l’extrême droite, plus aucun souvenir ou presque. Du séisme politique et du retour en force des réacs, rien ou presque, même chez eux. Grey Anderson vient y remédier avec son ouvrage, "La guerre civile en France , 1958-1962 (La Fabrique), dans un récit détaillé d’une période pour le moins sombre (torture en Algérie, OAS - organisation armée secrète, complot des généraux,…).

Pourtant, le retour au pouvoir de de Gaulle, orchestré par un cercle des fidèles, l’arrivée aux commandes d’une équipe effaçant et s’imposant sur l’idée d’un nouveau monde à bâtir, résonne dans les têtes d’hier à aujourd’hui. Ou comment faire accepter grâce à l’urgence, la peur, la guerre, ici coloniale, certaines conditions inenvisageables quelques temps plus tôt, ou quelque candidat bien dégueulasse impensable peu avant...

Moment fondamental de l’imposition d’un système réactionnaire balayant les idéaux nés avec le conseil de la Résistance, mai 1958 est pourtant largement éclipsé de l’histoire. En comparaison de Mai 68, rien ou presque dans les mémoires, sauf sur l’ascension et le bien fondé de la République du Général.

Le livre répond à ce déficit de mémoire : les quatre années de guerre civile qui s’écoulent entre la prise du gouvernement général à Alger le 13 mai 1958 et la fin de l’OAS au printemps 1962 n’ont rien d’une partie de plaisir : haine, violences extrêmes, usage généralisé de la torture, exactions policières en tous genres contre les Algériens révoltés et ceux qui les soutiennent, mensonges officiels présentant le retrait d’Algérie comme une victoire et le complot initial comme un triomphe de la démocratie…

Attention Gaullistes et autres croulants d’hier, fascistes, comploteurs et réac’ d’aujourd’hui, vos oreilles vont siffler.

https://mars-infos.org/la-guerre-civile ... 58-62-3498
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Re: Algérie, lutte indépendance, solidarité internationale .

Messagede Lila » 19 Nov 2018, 01:00

En Algérie, des révoltées de 1848 aux porteuses de valises

Lors d’un voyage universitaire en Algérie, l’historienne a rencontré par hasard l’une des porteuses de valises du FLN, évadée de la Roquette en 1961. L’occasion de réfléchir aux difficultés des colonisés ou des femmes à laisser une trace dans l’histoire.

à lire : https://www.liberation.fr/debats/2018/1 ... es_1690882
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