Mujeres Libres, Espagne 36-39

Modèles de révolution

Messagede digger » 13 Déc 2015, 13:32

Modèles de révolution. Les femmes du monde rural et la collectivisation anarchiste dans la guerre civile espagnole.
Martha A. Ackelsberg

Texte inédit traduit
Texte original : Models of Revolution. Rural Women and Anarchist Collectivization In Civil War Spain http://www.zinedistro.org/zines/135

Cet article explore les activités révolutionnaires dans l’Espagne rurale durant les années de guerre civile (1936-39), en comparant deux perspectives (anarchistes) différentes sur la nature de la subordination et de l’émancipation des femmes [empowerment]. L’une, évidente dans les activités du mouvement anarcho-syndicaliste traditionnel, considérait la subordination des femmes comme ayant ses racines dans leur domination économique et, par conséquent, prônait la participation économique comme étant la voie de l’émancipation. La seconde, développée dans l’organisation de femmes anarchistes Mujeres Libres, considérait la subordination des femmes comme ayant des racines culturelles plus larges et, donc, mettait l’accent sur la nécessité d’un programme multiforme d’éducation et d’émancipation comme clé pour la libération des femmes. L’article examine la collectivisation agricole menée par la CNT, ainsi que les activités de Mujeres Libres, en comparant les succès et les échecs des deux approches. – Martha A. Ackelsberg

Introduction

Durant les premières semaines et les premiers mois de la guerre civile espagnole, alors que les classes possédantes abandonnait ses usines et ses terres pour sa propre sécurité dans les zones tenues par les rebelles, les ouvriers de l’industrie et agricoles se virent offrir l’opportunité de réorganiser leurs vies et réseaux sociaux.1 Les ouvriers syndiqués de l’industrie dans les centres urbains tels que Barcelone, Madrid, Valence et leurs environs, collectivisèrent leurs usines et organisèrent des comités de contrôle ouvriers pour les administrer. Dans les zones rurales, les ouvriers agricoles prirent possession des terres appartenant aux fascistes ou à leurs sympathisants, consolidèrent leurs propres petites exploitations et réorganisèrent les modes de culture en équipes de travailleurs. Les modèles de relations sociales évoluèrent sensiblement en même temps que les ouvriers, ruraux et urbains, acquéraient un plus grand niveau de contrôle sur leurs vie et leur travail.

Cette révolution sociale s’inscrivait dans le contexte de 70 ans de travail d’organisation socialiste et anarchiste, et, au-delà, de traditions espagnoles séculaires de collectivisme et de communalisme. les visions anarchistes d’une société sans domination, et les perspectives de concrétiser cette vision, avaient des implications particulières et significatives pour les femmes. Les anarchistes remettaient en cause les affirmations socialistes selon lesquelles les relations de domination et de subordination étaient enracinées dans les relations économiques. Ils soutenaient que les relations autoritaires et hiérarchiques existaient dans une variété de domaines semi-indépendants (vie politique, religion, famille) et qu’il était nécessaire de les traiter dans ce contexte, aussi bien que dans le domaine économique. En termes de stratégie en vue de ces changements sociaux, l’implication la plus significative de cette position étaient que les moyens devaient être cohérents avec les fins. Les anarchistes insistaient sur le fait qu’il était impossible de créer une société égalitaire à travers d’un mouvement social inégalitaire ou hiérarchique parce que ceux qui occupaient des postes de direction finiraient par se considérer, et être considérés par les autres, comme indispensables. En outre, les anarchistes affirmaient que l’essence de l’oppression était la négation de la perception du peuple de ses propres capacités à définir une stratégie révolutionnaire victorieuse et par conséquent, à incarner le mouvement d’émancipation populaire. Cette perspective concernant l’ oppression et la libération constituait une différence majeure entre l’anarchisme (ou le socialisme libertaire) et le socialisme marxiste (ou autoritaire). Selon la vision anarchiste, la seule façon de créer une société non hiérarchique dans laquelle chacun-e est autonome [empowered] et se considère comme un acteur reconnu, est à travers d’organisations et de mouvements égalitaires et participatifs et, par conséquent, émancipateurs.

Qu’est-ce que cela signifiait pour les femmes, qui étaient presque universellement reconnues comme étant inférieure dans la société et la culture espagnole ? Malgré la prise de conscience que la subordination, en général, était enracinée plus largement et plus profondément que dans les seules relations économiques, l’opinion dominante au sein du mouvement anarchiste espagnol (au-delà des partisans de Proudhon, qui affirmaient que les femmes étaient, et devait rester, subordonnées aux hommes dans la famille!) était que la subordination sexuelle et sociale des femmes était une conséquence de leur subordination et de leur exclusion du monde salarié. Une fois le domaine économique restructuré selon des modes plus égalitaires, et les femmes inclus dans le salariat, la subordination particulière des femmes disparaîtrait.

Une autre idée, beaucoup moins courante dans le mouvement, mais qui s’était développée lentement dans les journaux anarchistes du début du vingtième siècle, et qui était exprimée, à l’époque de la guerre civile, par l’organisation nouvellement créée de femmes libertaires, Mujeres Libres, était que la condition des femmes ne pouvait pas seulement être appréhendée en termes économiques. Selon cette approche, elle avait des racines culturelles plus profondes. La domination économique était aggravée par la socialisation durant l’enfance, les enseignements de l’Église (catholique romaine), les pratiques étatiques, etc. Par conséquent, pour surmonter leur subordination, les femmes auront besoin d’un programme plus vaste d’émancipation, leur étant directement consacré et répondant à leurs besoins spécifiques. Cette perspective était ancrée dans la croyance que la révolution était un processus d’émancipation.

Durant les premiers mois de la guerre civile, la collectivisation révolutionnaire fut conduite à la fois dans les milieux urbains et ruraux dans des régions largement disséminées à travers le pays, leurs contenus et procédés variant selon les situations locales. Cet article examine le mouvement révolutionnaire dans les zones rurales dans un effort pour explorer les manières dont ces deux visions de la subordination et de l’émancipation des femmes, (l’une étant qu’elles étaient enracinées avant tout dans la domination économique, l’autre qu’elles avaient des origines culturelles plus profondes) se sont exprimées à travers des pratiques révolutionnaires.

L’anarcho-syndicalisme espagnol et la question des femmes.

En 1872 déjà, le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol s’était prononcé pour l’égalité des femmes comme partie de sa perspective d’une société anarchiste. La Confederacion Nacional del Trabajo, ou CNT (la fédération anarcho-syndicaliste) avait renouvelé cet engagement lors de son Congrès de mai 1936 à Saragosse, qui avait présenté une vision approfondie du communisme libertaire. Dans un chapitre concernant la famille et les relations entre sexes, le Congrès avait déclaré que, puisque le premier objectif de la révolution libertaire était d’assurer l’indépendance économique de tous, sans distinction de sexe, l’inter-dépendance des hommes et des femmes, conséquence de l’infériorité économique des femmes créée par le capitalisme, disparaîtrait en même temps que ce dernier. Cela signifie que les deux sexes seront égaux, en droits comme en devoirs.

Par la suite, même si le mouvement a fait souvent appel à la loyauté et à la participation des femmes, il n’a pas présenté leur émancipation comme un objectif révolutionnaire majeur ni dans la période pré-révolutionnaire, ni durant les années de la guerre civile. Et même lorsqu’il a abordé la question, il n’a rarement mis en cause les définitions dominantes du rôle des femmes. Comme c’était le cas dans la plupart des mouvements de gauche, en Espagne et partout ailleurs en Europe la plupart des appels anarchistes aux femmes les incitait à abandonner leurs foyers et à contribuer à l’économie, comme contribution temporaire à l’effort de guerre. Très peu d’appels ont préconisé une redéfinition plus poussée du rôle et du statut des femmes. Ainsi, par exemple, la section des femmes des professions libérales du syndicat anarcho-syndicaliste a appelé les femmes à développer leurs propres personnalités, et à ne pas penser que leurs vies ne consistaient qu’en travaux ménagers et à l’abandon de leurs individualités au sein de la famille. Les femmes, continuait-elle, ont la responsabilité de développer leur esprit, en lisant et en étudiant, en le nourrissant avec de bonnes pensées, afin de pouvoir occuper la place correspondant à leur personnalité dans leur vie personnelle et sociale. Cependant, une grande partie de ces conseils semblaient s’adresser aux femmes dans leur rôle de femmes-mères, la maternité étant considérée comme le couronnement de la féminité. Les femmes étaient encouragées à évoluer et à s’éduquer pour être de meilleures mères, et pour encourager leurs filles (et leurs fils) à exprimer tous leurs talents et capacités.

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Les femmes travaillent pour les camarades qui combattent


Par contre, le début de la guerre civile a aussi coïncidé avec la fondation de l’organisation de femmes anarchistes Mujeres Libres, qui a défini comme son objectif de surmonter le triple esclavage de l’ignorance des femmes, comme femmes et comme productrices. Alors que toutes ses fondatrices étaient des femmes affiliées avec l’une ou l’autre des organisations majeures du mouvement anarchiste, la CNT, la FAI (Federation Anarquista Iberica) ou la FIJL (Federacion Iberica de Juvetudes Libertarias, l’organisation de la jeunesse anarchiste) toutes pensaient qu’une organisation séparée , dirigée par et pour les femmes, serait nécessaire pour vaincre leur subordination particulière et leur permettre de pendre leur place attitrée dans le processus révolutionnaire. Par conséquent, Mujeres Libres mettait l’accent sur l’émancipation des femmes comme le point central nécessaire de l’activité révolutionnaire. Comme le journal du même nom, Mujeres Libres, le déclarait dans un éditorial 1937 :

« Nous ne parlons pas ici d'une évolution progressive, ni de conscience, ni même d’un intérêt pour les questions sociales… Nous avons dit de nombreuses fois que l’indépendance des femmes est inséparable de son indépendance économique. Nous avons dit que le foyer est, dans la plupart des cas, un symbole d’esclavage … Mais ici, nous ne parlons de rien de tout cela … Nous ne parlons pas ici d’augmentation de salaires, ni d’obtenir plus ou moins de droits pour les femmes mais de la vie future de notre participation et de nos choix, comme femmes dans cette vie future.
A partir de maintenant, chaque femme doit se transformer un être défini et déterminant, elle doit rejeter les hésitations et l’ignorance … La Révolution n’est en aucun cas une façon d’être mais un état de création qui transcende nos anxiétés particulières, nos illusions, et qui atteint même nos enfants … »

La Collectivisation agricole et le rôle des femmes

La vie économique a fourni le principal contexte pour la mise en place de différentes visions de l’égalité. Dans beaucoup de régions tenues par les républicains, en particulier à Valence, l’Aragon, et dans quelques régions rurales autour de Madrid, en Catalogne et en Andalousie, la collectivisation inspirée par les anarchistes et les socialistes ont changé le paysage de la campagne, en restructurant les vieux modèles du système foncier et des cultures. Afin de mieux comprendre la nature et l’importance de la collectivisation, il peut être utile de fournir quelques informations sur les modèles pré-révolutionnaires du système foncier et de l’agriculture.

Le développement économique en Espagne était très inégal, et les modèles fonciers variaient énormément selon les régions. En Andalousie et en Estrémadure, par exemple, la terre était divisée en grandes propriétés, connues sous le nom de latifundias, qui étaient possédées par des propriétaires ne vivant pas sur les terres et cultivées principalement par des ouvriers agricoles journaliers sans terre, qui vivaient dans des agglomérations urbaines de 1 015 000 habitants. Cette région avait été le foyer d’agitation anarchiste à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, et dans les dernières années et mois précédant la guerre civile, avait été le témoin de nombreuses déclarations comunismo liberatario (communistes libertaires), lorsque les ouvriers agricoles s’étaient joints à d’autres habitants des villes pour prendre les mairies et déclarer les communes ouvrières. La plupart de ces rébellions furent cependant rapidement réprimées par les Gardes Civils. Au lendemain de la rébellion des généraux en juillet 1936, les journaliers agricoles se saisirent des terres sur lesquelles ils travaillaient auparavant et établirent des collectifs. Mais comme une grande partie de cette région tomba aux mains des rebelles à la fin de l’été 1936, il ne reste que peu de souvenirs de ces efforts.

Les régions du pays où la collectivisation anarchiste fut la plus populaire étaient les régions d’Aragon, de Valence, et, dans une moindre mesure, la Castille rurale et la Catalogne. Dans chacune d’entre elles, le modèle de collectivisation variait selon les formes préexistantes de système foncier. Dans de nombreuses parties de l’Aragon, par exemple, la terre avait été traditionnellement divisée en exploitations familiales relativement petites. La, de nombreux petits propriétaires terriens formèrent des collectifs en réunissant la terre qu’ils avaient toujours travaillé. Ceux qui ne souhaitaient pas s’y joindre (Notamment ceux qui possédaient des parcelles plus grandes travaillées par des salariés agricoles) étaient soit ignorés comme individualistes, soit délestés des terres qu’ils ne pouvaient pas travailler sans salariés. D’autres, qui possédaient de très petites propriétés durant la période d’avant-guerre, ont établi des collectifs sur des domaines fascistes expropriés ou abandonnés par leurs propriétaires. Susan Harding a qualifié les collectivisations en Aragon comme profondément et inévitablement contradictoires. Alors que de nombreux villageois ont rejoint avec enthousiasme les collectifs, beaucoup d’autres y ont participé à contrecœur, et la présence de la CNT a souvent conduit la milice à ôter toute possibilité de choix réel.

Dans la région de Valence, une fois la rébellion vaincue dans les villes, La CNT et l’UGT (Union General de Trabajadores, fédération syndicale socialiste) ont entrepris la collectivisation des latifundias et des terres abandonnées par des propriétaires adversaires de la république. Mais il y avait peu de latifundias, et relativement peu de terres cultivées étaient possédées par des sympathisants fascistes. Toutefois, comme elle l’avait en Aragon, la CNT encouragea dans beaucoup de villages les ouvriers agricoles à prendre les terres qu’ils travaillaient, et organisa des fédérations locales, régionales et nationales pour aider les collectifs dans la production et la distribution. Même ainsi, les niveaux de conscience et de compétences étaient souvent plutôt faibles.

De la même façon, en Catalogne, durant la période d’avant-guerre, une grande partie de la terre était composée de petites exploitations familiales, ou d’exploitations un peu plus grandes travaillées par des métayers. La CNT avait relativement peu de sympathisants dans la région et la plupart d’entre eux étaient des ouvriers agricoles journaliers. Les métayers et les rabassaires [ouvriers viticoles en Catalogne] avaient tendance à adhérer au Unio de Rabassaires [une organisation de petits viticulteurs et de métayers qui travaillaient dans le vignoble], créée en 1922, qui demandait avec insistance une réforme juridique de la propriété pour garantir une plus grande sécurité du statut de métayer, plutôt qu’un programme plus radical de collectivisations prôné par la CNT. Ces contextes différents affectèrent de manière significatives les résultats au début de la rébellion (et de la révolution). Là où prédominaient de grandes exploitations (avec des propriétaires ne vivant pas sur les terres), les collectivisations révolutionnaires étaient plus nombreuses et la terre plus uniformément divisée. Et là où les propriétaires terriens restaient dans la région, les approches coopératives semblaient prévaloir. Donc, par exemple, un collectif fut créé à Lerida (en Catalogne) lorsque quelques enthousiastes entreprirent l’expropriation de quelques grands propriétaires terriens par ceux qui avaient travaillé les terres auparavant comme ouvriers agricoles ou métayers. En plus des fondateurs, seuls quelques uns de ceux qui rejoignirent le collectif avaient été adhérents de la CNT avant la guerre, les autres le rejoignant moins par adhésion idéologique que par besoin d’un travail et de nourriture (interviews, 1977). La Generalitat [le gouvernement autonome catalan] essaya de donner quelques orientations et une coordination aux collectifs, à travers son décret sur la collectivisation et le contrôle ouvrier, voté en octobre 1936. Mais l’efficacité de son programme de syndicalisation obligatoire (qui avait pour but de garantir l’égalité entre tous les membres des différentes organisations ouvrières) n’est pas vraiment prouvé.

En somme, les modèles de collectivisation variaient autant, si ce n’est plus, que les modèles préexistants de modes de culture. Dans de nombreuses communautés, les organisations anarchistes prirent le contrôle total de la gouvernance et de la production, en créant des collectifs municipaux. Dans les villages un peu plus grands, les ouvriers exproprièrent et collectivisèrent la terre des grands propriétaires, permettant à ceux qui l’avaient possédée auparavant de continuer à la travailler mais en s’assurant que tous ceux qui avaient été métayers ou journaliers deviennent des membres à part entière des collectifs. La plupart de ceux-ci étaient gérés par des assemblées générales hebdomadaires ou bihebdomadaires dans lesquelles chaque membre du collectif avait une voix. La production était généralement organisée par des groupes de travail composés de huit à dix ouvriers. Souvent, les membres ont mis en commun leurs animaux de ferme, beaucoup ont construit de nouvelles granges et/ou aires de stockage et certains ont créé des canaux, des routes, des systèmes d’irrigation qui ont été autant de contributions durables aux infrastructures de l’Espagne rurale.

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Pour les anarcho-syndicalistes espagnols, cette réorganisation de la vie rurale, comme celle qui était survenue dans les collectifs urbains, représentait une révolution aussi bien économique que sur le plan éthique. Les collectifs devaient servir de composants de base à la nouvelle société. Ils représentaient une tentative de construire les cellules d’une société anarchiste, fédérées entre elles, qui serviraient comme exemples de l’anarchisme en pratique dans une société libre de toute domination. Le processus de collectivisation incarnait le principe anarchiste de la préparation de la révolution, comme la révolution en elle-même qui crée une société nouvelle et les hommes et les femmes nouveaux qui y participent.

Quelles ont été les implications de ces changements pour les femmes? Quel rôle ont-elles joué dans le processus de collectivisation révolutionnaire dans les régions rurales, et comment cette collectivisation a-t-elle affecté leurs vies quotidiennes? Avant tout, il est important de noter que, quelles que soient toutes les différences régionales concernant les modèles fonciers, pratiquement nulle part les femmes ne pouvaient hériter de la terre en droit. Bien que la plupart d’entre elles travaillaient la terre, leur travail était généralement considéré comme secondaire par rapport à celui des hommes, et tendait à être défini comme des travaux de femme. Elles étaient responsables du potager familial et, peut-être, de quelques animaux qui fournissaient du lait et des œufs pour la consommation familiale.

Soledad Estorach 2, qui était une militante à la fois de la CNT et du Grupo Cultural Femenino de Barcelone, et qui devait devenir membre de Mujeres Libres à l’automne 1936, a voyagé avec des représentants d’organisations anarchistes à travers l’Aragon,la Catalogne et une partie de la région de Valence, durant les premiers mois de la guerre. Elle a décrit le rôle de ces militants voyageurs, dont certaines étaient des femmes, dans le processus de collectivisation :

Lorsque nous arrivions dans un village, nous nous rendions au comité provisoire et appelions à une assemblée générale de tous les habitants. Nous expliquions notre paradis avec un grand enthousiasme …. Et puis il y avait un débat , des questions, etc. Le lendemain, ils commençaient à exproprier la terre, à mettre en place des groupes de travail, etc.

Nous les aidions à créer u syndicat, ou, parfois des groupes de travail. Quelquefois, il n’y avait personne dans le village sachant lire ou écrire alors tout cela prenait beaucoup plus de temps! On s’assurait aussi qu’ils nomme un délégué pour l’envoyer à la prochaine réunion locale ou régionale. Et nous allions dans les champs travailler avec eux, pour leur montrer que nous étions des gens ordinaires, pas seulement des gens de l’extérieur qui n’y connaissaient rien. Nous étions toujours accueillis à bras ouverts.

Quelques femmes, donc, étaient engagées dans les premières tournées de propagande qui aidèrent à donner un élan à la collectivisation dans de nombreux villages. Mais, pour différentes raisons, l’évaluation du rôle que jouèrent les femmes dans le fonctionnement au jour le jour des collectifs est complexe. Ni les récits de l’époque, ni les études monographiques plus récentes sur la collectivisation n’offrent une information précise sur la nature ou l’étendue de la participation des femmes. Dans les indications fournies par la documentation de l’époque qui a été sauvée, la plupart se polarise presque exclusivement sur le rôle des hommes. Même les histoires orales sur la participation quotidienne des femmes ont été plutôt maigres. En me basant sur des documents que j’ai pu examiné, j’explore ici trois aspects du fonctionnement des collectifs ruraux pour donner des indications sur la place des femmes quant aux normes et à la répartition du travail, les salaires et l’échelle des salaires et les critères et/ou les pratiques de participation aux collectifs.

Les normes de travail

Une division du travail traditionnelle entre sexes semble avoir prévalu dans la répartition du travail au sein des collectifs dans la plupart des cas. Le travail était défini comme une occupation d’hommes. Les activités des femmes, comme elles l’avaient été dans la période d’avant-guerre, avaient tendance à être rejetées comme une extension des travaux ménagers. Les comptes-rendus de réunions d’un collectif à Lerida, par exemple, suggèrent que les normes du travail des femmes étaient différentes de celles des hommes, en particulier parce que les participants semblaient partir du principe que les femmes continueraient à assumer la responsabilité des tâches domestiques. Par exemple, un délégué, parlant au nom de sa compagne, se plaignait qu’il était injuste de la faire travailler aux mêmes heures que les hommes à la ferme puisqu’elle aurait, en plus, à faire la cuisine, laver et repasser le linge. Lors d’une discussion sur des ouvriers qui avaient quitté leurs postes de travail plus tôt que prévu, un membre a laissé entendre que c’était une pratique des femmes pour se rendre au magasin de la coopérative pour faire les courses. Il a proposé que les hommes y participent. Mais sa suggestion fut rejetée suite à l’affirmation d’un autre membre selon laquelle les femmes savaient mieux que quiconque ce dont elles auront besoin pour la journée et la semaine à venir. Par la suite, les compte-rendus des quelques mois suivants indiquent des discussions continues sur les normes du travail des ouvrières, en particulier. Dans un compte rendu, par exemple, Oriol a souligné que la question des companeras était un problème dans tous les collectifs et dit que

« C’est le résultat de l’égoïsme et un échec pour l’esprit des collectifs .. . mais dans ce cas, nous devons au moins nous assurer que les camarades femmes exécutent certains travaux comme la lessive et le ménage » [Colectividad Campesina Adelante , 20 dec. 1936, 14 mars, 20 juin et 18 juillet 1937.]

Les témoignages venus d’autres collectifs révèlent des approches similaires. On attendait des femmes qu’elles travaillent, mais leurs conditions de travail étaient différentes de celles des hommes. Un Guide à destination des collectifs publié dans Cultura y Accion, le journal de la fédération anarchiste de Aragon, Rioja, et Navarre, par exemple, déclarait que toutes les personnes de plus de 15 ans, des deux sexes, étaient obligées de travailler pour le collectif et que, concernant les femmes mariées et les personnes invalides, les assemblées détermineront la nature de leurs obligations. Une description du collectif de Morata de Tajuna (en Castille) mentionne particulièrement le fait que quatre-vingt dix femmes ont participé aux groupes de travail. Mais, comme 415 familles, ou 1 300 personnes, faisaient partie du collectif, le nombre de 90 femmes laisse à penser que la plupart ne participait pas à ce qui était le fondement de la structure économique du collectif. Partout, les corvées domestiques étaient automatiquement attribuées aux femmes. A Vilafranca del Penèdes, par exemple, ou le commerce et l’agriculture étaient collectivisés, le collectif avait distribué des cartes de rationnement aux femmes afin de contrôler tout ce qui était vendu dans les magasins du village. Et, à part dans des collectifs pauvres ou de petite taille, les femmes ne travaillaient apparemment à l’extérieur de la maison que dans des circonstances exceptionnelles, les moissons, par exemple, où tous les bras disponibles étaient nécessaires.

Les salaires

Les salaires et l’échelle des salaires son un autre indicateur de la manière dont les collectifs appréhendaient les différences et/ou l’égalité entre les sexes. La plupart des collectifs essayaient d’aller vers une égalité des salaires, d’une manière ou d’une autre. Il semble y avoir eu deux grandes tendances. L’une était de verser à tous les membres une certaine somme par jour. L’autre était ce qu’on appelait le salaire familial qui ajustait son montant à la composition de la famille, dans une approximation de l’objectif anarchiste-communiste de « à chacun selon ses besoins ».

Certains collectifs versaient le même salaire à tous les ouvriers, sans considération du travail fourni. Ceux de Monzon et de Miramel en Aragon, par exemple, payaient de manière égale les hommes et les femmes. Mais la plupart des collectifs établissaient des différentiels significatifs entre les salaires versés aux femmes et aux hommes. En outre, (comme cela a été le cas dans différents secteurs industriels, et certainement pas seulement en Espagne), même le soi-disant système de salaire familial instituait une estimation inégale du travail. Adelante! (à Lerida) et El Porvenir (Valence), par exemple, versaient des salaires aux chefs de familles calculés selon le nombre, le sexe et l’âge des membres du foyer. Le chef de famille (mâle) de El Porvenir recevait 4 pesetas par jour pour lui, 1,50 pour sa compagne, 0,75 pour chaque enfant de plus de 10 ans et 0,50 pour ceux de moins de 10 ans. A Granadella, le collectif avait établi un salaire de 2 pesetas par semaine pour les ouvriers à partir de 18 ans, 1 peseta pour ceux entre 15 et 18 ans, et 1 peseta pour les companeras de plus de 18 ans. Certains collectifs en Aragon fonctionnaient avec une combinaison de ces deux systèmes. A Fraga, par exemple, les femmes qui travaillaient à l’extérieur de la maison à à la tâche qui leur était traditionnellement dévolue aux femmes de cueillir et de conditionner les figues recevaient le même salaire journalier que les hommes. Pendant les mois où elles restaient à la maison, ou s’occupaient du lopin de terre familial, elles n’étaient pas payées. Le salaire familial versé au mari ou au père était sensé compenser indirectement leur contribution.

Bien que le mouvement dans son ensemble, et la plupart des collectifs, vantait l’introduction du salaire familial comme une étape progressiste qui permettait de surmonter l’exploitation subit par le monde rural dans la période d’avant-guerre, ils semblaient n’avoir aucune conscience de ses implications pour les femmes. H.E. Kaminski 3, qui a voyagé à travers la Catalogne durant cette période a noté le paradoxe . En fait le communisme libertaire s’accommode des modèles existant. La preuve en est que le salaire familial laisse les personnes les plus opprimées en Espagne, les femmes, sous la complète dépendance des hommes. Comme Bernecker le souligne, les femmes célibataires qui ne vivent pas chez leurs parents sont totalement ignorées par ce système (même si elles ne devaient probablement pas être nombreuses dans ce cas dans les villages ruraux). Et, bien sûr, ces échelles de salaires, où partout les femmes étaient payées moins que les hommes, étaient en complète violation du principe de salaire égal pour travail égal pour lequel la CNT s’était engagée dès son congrès constitutif de 1910. Malgré cela, le modèle de salaire familial n’a apparemment pas rencontré de résistance au sein des rangs de la CNT.

Pourquoi cela n’a pas été le cas est une question complexe. D’un côté, même si la CNT s’était engagée sur le principe de à travail égal, salaire égal, cette question avait été rarement soulevée avant la guerre, et même alors, généralement seulement par des petits groupes de femmes. Au sein des militants de base du mouvement,, la position proudhonienne selon laquelle les femmes étaient inférieures aux hommes, et devaient se définir en termes de maison et d’enfants, prédominait probablement sur la position officielle plus égalitaire du mouvement. Le fait que la culture espagnole était lourdement dominée par l’église catholique , qui considérait que la place des femmes était à la maison, renforçait ce point de vue. Pratiquement tout le personnel du système éducatif, y compris celui géré par l’état, était composé de membres d’ordres religieux. Beaucoup de personnes (y compris des anarchistes) affirmaient que les femmes étaient profondément influencées par la rhétorique religieuse, puisqu’elles étaient beaucoup plus susceptibles que les hommes de fréquenter les églises, et parce que l’église finançait une variété de sociétés et associations charitables. En fait, la considérable opposition à l’extension du droit de vote aux femmes dans les années 1930 est venue de la gauche et des républicains qui craignait que accorder celui-ci aux femmes aurait en réalité augmenté le pouvoir de l’église. Temma Kaplan 4 a émis l’idée que l’opposition anarchiste à l’Église (et aux structures familiales traditionnelles qu’elle soutient) a bien pu lui aliéner un nombre significatif de femmes et, par conséquent, a fait que le mouvement dans son ensemble a considéré les questions féminines comme étant d’une importance marginale seulement. Des combinaisons de ces facteurs expliquent probablement le manque d’attention relatif envers l’égalité économique des femmes au sein des principales organisations anarchistes , même si l’égalité des salaires était un aspect important du programme de Mujeres Libres, comme nous le verrons.

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L’appartenance aux collectifs

La question des normes et critères d’appartenance est également complexe. Les collectifs fondaient leur légitimité sur les structures d’autorité démocratiques et sur un système de prise de décisions en assemblées,auxquelles tous les membres participaient et où chacun disposait d’une voix. Mais qui était susceptible de devenir membre Bernecker conclut que tous les habitants d’un village avaient le droit de vote bien qu’il note que Hugh Thomas 5 a soutenu qu’il était courant que seuls les ouvriers masculins était présents aux assemblées. Mes propres recherches laissent à penser que la situation variait probablement de villages à villages. Beaucoup de comptes-rendus publiés dans le Boletin de Informacion de la CNT-FAI contiennent des phrases telles que « Dans le collectif, tous sont des travailleurs, les femmes comme les hommes », ou « Le collectif est composé de toutes les personnes de plus de 18 ans, des deux sexes ». D’un autre côté, des comptes-rendus du collectif de Lerida ne mentionne que très rarement les femmes, et lorsque cela est le cas, presque jamais par leur nom. La femme apparaît comme la companera ce qui laisse à penser qu’elles n’étaient pas considérées comme des membres au même niveau que les hommes.

Cette ambiguïté rend également difficile toute estimation de la participation dans la direction et les prises de décisions au sein des collectifs. Les comptes-rendus d’un certain nombre d’entre eux, ainsi que les interviews de membres masculins suggèrent que l’implication des femmes dans les prise de décisions était plutôt limitée. Mais, compte tenu de la dévaluation de l’image des femmes dans la société en général, ces comptes-rendus ne doivent pas nécessairement être considérés comme révélateurs du niveau de participation des femmes. Néanmoins, un certain nombre d’entre elles ont également déclaré que les femmes étaient souvent silencieuses lors des réunions, un silence qu’elles attribuaient au peu d’expérience de la prise de parole en public. Cela allait devenir un point central majeur dans les programmes de Mujeres Libres.

Il est possible, bien sûr, qu’alors comme aujourd’hui, les femmes firent beaucoup et reçurent en retour peu ou pas de reconnaissance. Soledad Estorach a raconté, par exemple, qu’il existait certains collectifs en Aragon ou les premières déléguées du village étaient des femmes. Pourquoi ? Parce que les hommes étaient souvent absent de la maison pour de longues périodes pour s’occuper des troupeaux. Celles qui faisaient vivre le village au jour le jour étaient en réalité les femmes. Mais dans tous les comptes-rendus, le rôle de direction des femmes dans ces villages représentait davantage l’exception que la règle.

Dans une certaine mesure, les collectifs ont accompli beaucoup de choses. Les femmes ont participé activement à beaucoup de collectifs ruraux et ont même occupé des postes de responsabilités dans certains d’entre eux. Notamment dans ceux qui reconnaissaient et rémunéraient le travail des femmes, celles-ci commencèrent à être considérées comme des personnes quelque peu indépendantes. Dans un sens plus général, l’autonomie sociale des femmes s’est améliorée. Tandis que, durant la période pré-révolutionnaire, les femmes du monde rural, ne sortait que rarement, sinon jamais, que accompagnée par un homme (sauf, peut-être, pour faire les courses) les jeunes femmes des zones rurales commencèrent à sortir plus librement, même pour aller dans des bars, par exemple, avec d’autres amies. Dans un nombre significatif de régions, les mariages d’affaire ont pris fin, même si la famille nucléaire restait la norme.

Néanmoins, malgré l’engagement de longue date de la CNT pour l’égalité des femmes au sein de la sphère économique, sans une attention spéciale concernant l’égalité et la participation de celles-ci, il existait des limites aux réalisations des collectifs. Même selon les termes acceptés par la CNT qui fonde l’égalité des femmes sur la participation à la force de travail), les collectifs n’étaient pas à la hauteur sur un certain nombre de point importants. La plupart d’entre eux traitaient les femmes comme des travailleuses secondaires et plaçaient les femmes mariées, en particulier, dans une sorte de monde économique inférieur. En effet, le refus de traiter la subordination des femmes comme une question à part entière préservait la division public/privé qui identifiait les femmes avec le foyer et les tâches domestiques et limitait leur capacité à obtenir l’égalité dans le domaine économique plus large. En outre, en l’absence de cette attention spécifique envers la subordination des femmes, les structures de genres, apparemment neutres quant à la participation reproduisaient dans les faits les disparités existantes entre sexes. Sans une remise en question de la dichotomie public/privé, et de la division sexuée du travail, la plupart des femmes ne se considéraient pas elles-mêmes ( ni n’étaient considérées par leurs camarades masculins) comme des participantes totalement égales dans la transformation révolutionnaire du monde rural.

Le rôle des femmes révolutionné par Mujeres Libres

Mujeres Libres a été fondé en 1936 par des groupes indépendants de femmes affiliés soit à la CNT, la FAI, ou la FIJL, avec l’objectif de l’émancipation des femmes afin qu’elles prennent leur place dans le mouvement révolutionnaire. Alors que toutes les fondatrices étaient membres de ces organisations du mouvement libertaire, les initiatrices (comme elles aimaient se dénommer) pensaient qu’une organisation séparée était nécessaire pour que les femmes puissent surmonter leur triple esclavage , de l’ignorance, de femmes et de productrices. A partir de son commencement début 1936, Mujeres Libres se répandit (aidé par des annonces dans les médias anarchistes et anarcho-syndicalistes) dans les villes et les villages à travers les zones tenues par les républicains.

Beaucoup de ses activités étaient éducatives par nature. Ses programmes, dans les zones rurales en particulier, répondaient à la fois aux réalisations et aux limites des collectivisations révolutionnaires. Pour Mujeres Libres, l’émancipation des femmes ne résulterait pas seulement de leur intégration dans la force de travail. Il en allait ainsi parce que les forces de la subordination n’agissait pas seulement dans le domaine économique. L’Église, par exemple, renforçait cette subordination dans de nombreux domaines, et pas seulement religieux. En conséquence de quoi, la plupart des femmes n’étaient pas complètement préparée à prendre leur place comme participantes sur un pied d’égalité, même si on leur en avait donné la possibilité. Mujeres Libres a pris au pied de la lettre (quoique pas toujours explicitement) le principe anarchiste selon lequel la préparation de la révolution est la révolution elle-même, insistant sur le fait que la subordination des femmes dans la soi-disant sphère privée ne pouvait pas être traitée si les femmes n’occupaient pas des rôles actifs dans la révolution sociale.

Mujeres Libres s’est intéressé aux liens entre la subordination économique, culturelle, (y compris de manière importante, la religion) et sexuelle. Selon l’organisation, surmonter leur subordination comme femmes était une condition essentielle de leur participation active à la révolution. Comme l’a écrit Emma Goldman (une ardente supportrice de Mujeres Libres) 6 dans la revue Mujeres Libres de décembre 1936, il est évident qu’il ne peut y avoir une réelle émancipation aussi longtemps qu’il existe une domination d’un individu sur un autre ou d’une classe sur une autre. Et il ne peut pas exister l’émancipation de l’espèce humaine tant qu’un sexe domine l’autre. Par conséquent, les programmes de Mujeres Libres comprenaient différents composants, encourageant les organisations anarcho-syndicalistes et autres organisations du mouvement à prendre au sérieux les femmes et leur subordination, , en travaillant ensemble dans ces organisations largement composées d’hommes pour entraîner les femmes à occuper leurs places dans le monde salarial, et plus important, en s’engageant dans des programmes d’éducation et de sensibilisation [consciousness-raising] pour contrer l’influence de l’Église et encourager les femmes à jouer un rôle plus grand dans la révolution.

L’Éducation

L’éducation constituait l’axe des programmes de capacitacion de Mujeres Libres et prenait principalement la forme de discussions sur les réussites. L’éducation (libérée de ses visions traditionalistes propagée par l’église et les institutions éducatives contrôlées par l’état) était essentielle pour libérer les capacités des femmes et les faire devenir des membres à part entière du mouvement et de la société nouvelle. L’aspect le plus fondamental de ces programme était la croisade contre illettrisme. La honte au sujet de ce handicap culturel empêchait de nombreuses femmes de s’engager activement dans la lutte pour le changement révolutionnaire. Le fait de savoir lire et écrire devait devenir un outil pour développer la confiance en soi et une participation plus active. Dans les villes et les villages Mujeres Libres ouvrit des programmes d’apprentissage basique de la lecture et de l’écriture ainsi que des cours de perfectionnement. Dans son effort pour soutenir les femmes des régions rurales, par exemple, Mujeres Libres a créé des écoles d’agriculture pour les jeunes femmes revenues des villes pour participer aux travaux ruraux, visant à leur apprendre les compétences qui les rendraient capables de s’intégrer plus facilement dans l’agriculture collectivisée de leurs villages d’origine. En outre, régionalement et nationalement, l’organisation avait créé des comités centrés sur la culture et la propagande, pour diffuser le message oralement et par écrit. A Barcelone, un groupe diffusait régulièrement des émissions à la radio. D’autres voyageaient à travers la campagne catalane pour s’adresser à celles qui ne pouvaient pas être atteinte par écrit ou par la propagande radiodiffusée. Étant donné le fort taux d’illettrisme, particulièrement chez les femmes, ces messages verbaux étaient particulièrement importants.

Pepita Carpena 7, qui a voyagé comme représentante de Mujeres Libres dans les villages ruraux, a raconté son expérience.

« Nous rassemblions les femmes et nous leur expliquions … qu’il n’existait pas de rôle clairement établis pour les femmes, qu’elles ne devaient pas perdre leur indépendance, mais qu’une femme peut être une mère, et une companera en même temps … Des jeunes femmes venaient me voir et me disaient ‘C’est très intéressant ce que tu dis. On ne l’a jamais entendu avant. C’est quelque chose que nous ressentions mais que nous ne savions pas’…
Les idées qui les intéressaient le plus? Parler du pouvoir des hommes exercé sur les femmes … Une sorte de tollé s’élevait lorsque tu leur disais ‘Nous ne pouvons pas laisser les hommes croire qu’ils sont supérieurs aux femmes, qu’ils ont le droit de les commander’. Je pense que les femmes espagnols attendaient avec impatience ce discours. »

L’emploi

Mercedes Comaposada 8, une des fondatrices de Mujeres Libres, a décrit la place et l’importance des programmes pour l’emploi dans les plans globaux de l’organisation concernant l’emploi. Conjointement avec l’éducation, le travail était la clef de l’auto-développement des femmes. « Nous voulions ouvrir le monde aux femmes , leur permettre de se développer de la façon dont elles le voulaient ». Mujeres Libres considérait le travail comme une partie nécessaire et indispensable de la vie. Les êtres humains ont la capacité d’utiliser la technologie pour alléger le poids du travail , de structurer la production afin que les machines soient à leur service et que l’exploitation des uns sur les autres prennent fin. Le travail devrait être l’expression des capacités et de la créativité humaine, un prérequis de la liberté. La conception du travail comme partie d’une vie accomplie était particulièrement importante pour les femmes qui, jusqu’alors, avaient été déclaré inaptes au travail productif. Mujeres Libres insistait sur le fait que le travail contribuait à la fois au progrès social général et à l’émancipation des femmes plus particulièrement, en leur permettant d’être et de se ressentir comme des membres productrices de la société. A cet égard, les programmes de Mujeres Libres allaient à l’encontre non seulement des normes sociales existantes mais aussi des perspectives proposées par les organisations de femmes et syndicales soutenues par l’Église.

En plus de travailler avec les syndicats pour développer les programmes d’apprentissage dans le secteur industriel, Mujeres Libres préparait les femmes à travailler dans les régions rurales, le plus souvent en créant des centres expérimentaux pour l’agriculture et l’aviculture et communiquer aux femmes les connaissances qui leur seraient nécessaires pour participer à la production rurale. Certains articles dans le journal Mujeres Libres s’adressaient spécifiquement aux femmes des zones rurales, leur pourvoyant l’éducation nécessaire pour qu’elles occupent leur place dans la production :

"Les armes seules ne sont pas suffisantes, camarades rurales. Ni les forces associées de tous. Nous devons changer le rythme de la production et produire plus, beaucoup plus ….

Comment?

En organisant des équipes, des groupes de femmes fortes physiquement, qui ont les connaissances nécessaires aux travaux des champs et former deux ou trois femmes en technique agricole pour chacun de ces groupes … De cette façon, les ouvriers agricoles produiront plus avec moins de travail.

Dans les cours de Mujeres Libres, vous pouvez vous préparer à ce nouveau rythme de travail qui est si nécessaire, en acquérant des connaissances au sujet de l’agriculture, l’aviculture et l’ administration rurale.

Campesina, tu avec toujours été dans les champs, toujours les mains croisées sur la tête, attendant, fatiguée, sombre et triste, comme une plante de plus, dévaluée et asservie. Tu as attendu les nuages, les orages, les inondations, le percepteur des impôts … tous les désastres et les calamités de la vie rurale … Campesina, nous sommes maintenant débarrassées des vieux proprios et les champs rient. Avec les vieux maîtres, l’illettrisme, la saleté, les enfants innombrables, tout cela disparaîtra …"

Les centres agricoles expérimentaux proposant ce genre de cours existaient à Barcelone, en Aragon, et à Valence, et les femmes y venaient des nombreux villages environnants. Par exemple, Mujeres Libres a cité un collectif à Amposta qui avait une nouvelle coopérative produisant des poulets, dirigée par une femme. La directrice avait été envoyée par le collectif dans un institut financé par Mujeres Libres pour y apprendre comment organiser et gérer le travail.

Même si Mujeres Libres décrivait souvent le fonctionnement de ces collectifs sans noter particulièrement la division sexuelle du travail en général (les hommes avaient tendance à travailler dans les champs, les femmes dans les magasins et les laveries), ou le principe manifeste que la première responsabilité des femmes était d’élever les enfants et les tâches domestiques, l’organisation n’en réclamait pas moins continuellement l’entière participation des femmes à la vie sociale et économique :

"Que la vie serait belle avec des mères et des sœurs instruites! Avec quelle rapidité la société serait transformée si les femmes participaient à la lutte sociale!"

Une région d’Aragon profondément libertaire, avec des champs bien labourés, des hommes d’acier, l’Aragon des luttes pour des objectifs révolutionnaires, possède aussi ses femmes courageuses. Des femmes qui sont aussi capables de remplacer les hommes dans les champs … »

La sensibilisation

A travers toutes ces actions éducatives, Mujeres Libres essayait de sensibiliser les femmes au sujet de leur participation sociale et politique. Presque chaque numéro du journal consacrait au moins un article à des femmes militantes dans le domaine social et politique, ou aux exploits de femmes exceptionnelles, soit dans l’Espagne contemporaine ou dans d’autres contextes historiques ou géographiques. En essayant d’atteindre à la fois les femmes non affiliées et des hommes anarchistes avec son message, Mujeres Libres publiait des articles dans d’autres périodiques anarchistes tels que Acracia, Ruta, CNT et Tierra y libertad, traitant de la participation des femmes dans les luttes révolutionnaires.Des représentantes de Mujeres Libres se joignaient à ceux de la CNT, de la FAI, et de la FIJL dans des tournées de propagande dans les régions rurales, présentant aux ouvriers (souvent illettrés) les idées et les pratiques libertaires. Des émissions de radio complétaient ces tournées. En outre, des brochures et des tracts, ainsi que des expositions de photos à Madrid et à Barcelone, mettaient en valeur les réalisations et les actions des femmes.

Enfin, Mujeres Libres essayait de donner un sens à ce que serait la vie de femmes sans inhibition et émancipées. La situation des femmes différait de celle des hommes, bien que les hommes et les femmes étaient engagés ensemble dans la lutte pour vaincre les relations de domination qui leur étaient imposées de l’extérieur (par le capitalisme, avant tout). Les femmes devaient mener un combat supplémentaire pour leur liberté intérieure, leur sens de l’individualité. En cela, elles devaient lutter seules et, encore trop fréquemment, contre l’opposition de leurs camarades masculins ou les membres de leurs familles.

« Cependant, lorsque vous aurez atteint votre but, vous n’appartiendrez à personne d’autre qu’à vous- même … Vous deviendrez des personnes avec la liberté, l’égalité des droits sociaux, des femmes libres dans une société libre que vous aurez construit aux côtés des hommes, comme leur vraie companera…. La vie sera un millier de fois plus belle lorsque la femme deviendra réellement libre. »

En plus de ces programmes orientés vers le développement des aptitudes des femmes pour leur permettre de participer plus pleinement à la transformation révolutionnaire, d’autres activités concernaient un large éventail d’autres sujets. Mujeres Libres traitait des questions de sexualité, y compris le contrôle des naissances et de maternité désirée, proposait des cours et des tracts sur l’éducation et le développement des enfants, finançait des instituts qui formaient les enseignantes à de nouvelles méthodes, plus ouvertes, d’éducation pour préparer la jeunesse à un monde libertaire, luttait pour éradiquer la prostitution (et avait créé les liberatorios de prostitucion, des centres où les prostituées venaient se former pour développer de nouvelles compétences) et soutenait les services aux réfugiés des zones de guerre.

Les exigences de la guerre, bien sûr, imposaient des limites aux réalisations de Mujeres Libres. L’organisation revendiquait entre 20 000 et 30 000 membres, presque toutes issues de la classe ouvrière, et beaucoup dans des zones rurales. Des milliers de ces femmes participaient à des activités éducatives de toutes sortes. Néanmoins, la crise économique causée par la guerre civile prolongée limitait à la fois les financements et les possibilités d’une réorganisation sociale majeure. Le projet de liberatorios de prostitucion, par exemple, n’a jamais réellement progressé au-delà du stade de projet.

Dans l’ensemble, l’aspect peut-être le plus important des activités de Mujeres Libres a été son existence même comme une organisation autonome, indépendante , poursuivant ses propres buts et priorités. Son existence, en effet, reflète un contexte organisationnel que Mujeres Libres essayait de communiquer à un niveau individuel , la nécessité pour les femmes de se déterminer par elles-mêmes. En fait, l’insistance sur l’organisation de l’autonomie et l’auto-détermination devint une source majeure de tension dans le mouvement plus large. La CNT et la FAI ne voyaient pas le besoin d’une organisation autonome de femmes, pas plus que la nécessité d’une attention particulière envers la subordination des femmes.

Dans l’opinion des grandes organisations du mouvement, le travail de Mujeres Libres avec les femmes devait être entrepris (et compris) comme étant auxiliaire au travail des organisations de lutte de classe mixtes soi-disant non-sexistes. Ils ne voyaient pas la nécessité d’une organisation indépendante par et pour les femmes avec l’autorité pour élaborer et mettre en place ses propres programmes d’éducation et d’émancipation. Alors, même si des membres individuels de la CNT et de la FAI s’engageaient dans différents projets communs avec les groupes de Mujeres Libres au niveau local, ni la CNT ni la FAI en tant que organisations nationales n’ont jamais accordé à Mujeres Libres le respect et le soutien financier que l’organisation méritait. Pour les femmes de Mujeres Libres, cette absence de soutien était particulièrement exaspérant étant donné le soutien actif du Parti Communiste Espagnol aux groupes de femmes qui lui étaient affiliés. Bien sûr, ces derniers étaient peu autonomes et peu ouvert à l’auto-détermination au sens que lui donnait Mujeres Libres. Et dans le contexte plus général de la guerre civile, le parti communiste disposait de plus de moyens que les organisations du mouvement libertaire. Les représentantes de Mujeres Libres soutenaient continuellement, sans succès et de manière plus véhémente lors du congrès commun des organisations du mouvement libertaire en octobre 1938, qu’elle méritait une reconnaissance officielle comme quatrième branche autonome du mouvement (aux côtés de la CNT, de la FAI, et de la FIJL), et que ce travail avec les femmes était essentiel au succès du projet révolutionnaire dans son ensemble. Ces arguments, néanmoins, tombèrent largement dans les oreilles d’un sourd. Les principales organisations ont refusé de reconnaître le lien fait par Mujeres Libres entre l’autonomie et l’émancipation et, par conséquent, ont refusé de soutenir l’organisation en tant qu’entité autonome.

Cependant, les progrès limités de la révolution sociale malgré tout ce que les collectifs sont parvenus à réaliser, démontre l’importance des perspectives de Mujeres Libres perspective. Aux vues des exigences de la situation en du temps de guerre, un grand nombre de femmes, aussi bien dans le milieu urbain que rural, a été dirigé vers des travaux non traditionnels. Dans les zones rurales, de nombreuses femmes ont occupé de nouveaux rôles avec enthousiasme, brisant les barrières entre genres et les modèles sociaux qui semblaient inchangés depuis des générations. De nouveaux modes de relations sociales suivirent ces nouveaux rôles économiques. Mais sans remise en cause explicite et directe de la subordination des femmes et de la séparation public:privé, sans programmes spécifiques consacrés à l’émancipation des femmes, il y avait des limites à ce que celles-ci pouvaient réaliser, malgré le contexte révolutionnaire. L’expérience des femmes en milieu rural, même dans ce contexte limité, semble valider la perspective anarchiste originale sur la domination et l changement social – a savoir que l’accent mis sur les questions économiques seul est insuffisant. Éradiquer effectivement toute domination demande l’émancipation des individus dans une variété de domaines, prenant en compte leurs conditions de vie spécifiques. L’action révolutionnaire – même anarchiste – ne peut pas être aveugle sur la question des genres.

NOTES

1.NDA George Orwell, séjournant à Barcelone, en décembre 1936, a déclaré, par exemple, que « C’était la première fois que je me trouvais dans une ville où les ouvriers étaient aux commandes … Vue de l’extérieur, c’était une ville où les classes aisées avaient pratiquement cessé d’exister.
2.NDT Estorach, Soledad, 1915-1993 Une courte bio sur Libcom https://libcom.org/history/estorach-soledad
3.NDT Hanns-Erich Kaminski (1899 – 1963) Journaliste et écrivain libertaire allemand. Il séjourne en Espagne de septembre 1936 à février 1937, et publie par la suite un livre intitulé Ceux de Barcelone
Denoël, Paris, 1937 (réédition : Éditions Allia, Paris, 2003)
4. NDT Temma Kaplan Historienne américaine, professeur d’histoire à Rutgers. Voir par exemple, Female consciousness and collective action : The case in Barcelona 1910-1918 https://libcom.org/files/Barcelona%20Women's%20Protests_0.pdf%20Women%20and%20communal%20strikes%20in%20the%20crisis%20of%201917-1922%20https://libcom.org/files/Women%20&%20Strikes%201917-22.pdf
5.NDT Hugh Thomas (né en 1931) Historien britannique auteur notamment de La Guerre d’Espagne. Juillet 1936 – Mars 1939 Paris, Robert Laffont, 1961 – édit. révisée en 1977, édit. définitive publiée dans la collection Bouquins, 1986
6.NDT Voir Emma Goldman et Mujeres Libres https://racinesetbranches.wordpress.com/introduction-a/emma-goldman/emma-goldman-et-la-revolution-espagnole-2/emma-goldman-et-mujeres-libres/
7.NDT Josefa Carpena-Amat (1919 – 2005), dite Pepita Carpeña Militante de la Confédération Nationale du Travail, de la Federación Ibérica de Juventudes Libertarias et de Mujeres Libres. Elle a été la coordinatrice du CIRA de Marseilles de 1988 à 1999. Pépita Carpeña, De toda la vida, Éditions du Monde libertaire et Éditions Alternative libertaire, 2000
8.NDT Mercedes Comaposada Guillén, (1901- 1994) Membre de la CNT. Elle écrit pour le journal de la FAI Tierra y Libertad et la revue Tiempos Nuevos. Cofondatrice de Mujeres Libres avec Lucía Sánchez Saornil et Amparo Poch y Gascón.

Sur la collectivisation des terres, voir entre autres

Principes et enseignements de la révolution espagnole Gaston Leval http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article36

Espagne Libertaire Gaston Leval Editions du Monde Libertaire. Notamment le chapitre La socialisation agraire http://cras31.info/IMG/pdf/gaston_leval_espagne_libertaire.pdf

The anarchist collectives: workers’ self-management in the Spanish revolution 1936-1939 Sam Dolgoff https://libcom.org/library/anarchist-collectives-workers-self-management-spanish-revolution-1936-1939-sam-dolgoff

With the peasants of Aragon – Augustin Souchy https://libcom.org/history/peasants-aragon

Sur R&B la rubrique anarcha-féminisme avec d’autres documents consultables en ligne https://racinesetbranches.wordpress.com/anarcha/
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Béatrice » 13 Mar 2016, 21:21

lundi 14 mars 2016 à AIX EN PROVENCE

-19 h Cité du livre, Salle Bouvaist, 8-10 rue des Allumettes, 13100

Université Populaire du Pays d’Aix
Las Mujeres Libres (Les femmes Libres)
Histoire du 20e siècle avec Eneldo Micolau, professeur d’espagnol

Cycle 2e République Espagnole (2), en collaboration avec la Noria.

La 2e République Espagnole en faisant de l’éducation la valeur sociétale fondamentale a permis aux femmes de prendre conscience de leur condition. A travers leurs luttes elles ont réussi, en 1936, à créer un statut de la femme espagnole envié des pays les plus progressistes.

Ce fut un travail de stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes.

Références (à vos souris !)

Citoyenneté féminine sous la Seconde République : entre le réformisme social et la démocratisation : https://ccec.revues.org/5153
Film : bande annonce de : « Libertarias » : https://www.youtube.com/watch?v=1NLfEnfKBmw

P.-S.

universite-populaire-aix chez orange.fr
www.universitepopulairedupaysdaix.com
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 01 Aoû 2016, 04:34

Caractéristiques de Mujeres Libres (Femmes libres)

"1 Une Revue qui cherche des femmes libres en Espagne. Mais est-ce que les hommes sont déjà libres ? 2 Pourquoi les femmes doivent-elles lutter pour leur liberté ? Peut-être parce que les hommes qui luttent pour cette liberté oublient la liberté des femmes. [...]

Des question de mai 1936, largement reprises ensuite, mais je me demande si elles sont définitivement assimilées.

Frank 21.07.16



Doc PDF : http://www.fondation-besnard.org/IMG/pd ... Libres.pdf

http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article2726
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 25 Sep 2016, 19:43

« Séparées et égales » ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes

L’insistance anarchiste à prétendre que les mouvements révolutionnaires ne peuvent se développer efficacement seulement si ils s’adressent aux réalités précises de la vie des gens conduit logiquement à la conclusion qu’un mouvement réellement révolutionnaire doit s’accommoder de la diversité. Il doit être le reflet de la prise en compte des expériences de vie de celles et ceux qui y participent comme premier pas pour les engager dans un processus révolutionnaire. Le besoin est particulièrement capital, et les questions stratégiques particulièrement complexes, dans le cas des femmes dont les expériences de vie quotidienne dans de nombreuses sociétés ont été, et continuent d’être, différentes de celles des hommes.

Durant les premières années de ce siècle, les anarchistes espagnols – hommes et femmes – ont exprimé une vision d’une société non-hiérarchique, communautaire, dans laquelle les femmes et les hommes participeraient sur un pied d’égalité. Et cependant, dans l’Espagne pré-guerre civile, la plupart des femmes étaient loin d’être « prêtes » à une telle participation avec les hommes dans la lutte pour concrétiser cette vision. Même si le mouvement anarcho-syndicaliste organisé (la Confederación National del Trabajo -CNT) s’était orientée en priorité dans les luttes sur les lieux de travail, la majorité des femmes espagnoles n’étaient pas employées en usine. Beaucoup de celles qui occupaient un emploi salarié – la plupart dans l’industrie textile — travaillaient à domicile, payées à la pièce, et n’étaient pas syndiquées. Les femmes qui travaillaient et avaient des familles continuaient à exercer un « double emploi » comme femmes au foyer et mères. Les formes particulières de l’oppression des femmes en Espagne les maintenaient concrètement subordonnées aux hommes même au sein du mouvement révolutionnaire anarchiste.

Si les femmes voulaient participer activement à la lutte sociale révolutionnaire, cela demandait une « préparation » spéciale, une attention particulière aux réalités de leur subordination et de leurs expériences de vie particulières. En mai 1936,un groupe de femmes anarchistes fondèrent Mujeres Libres, la première organisation féministe autonome prolétarienne en Espagne, pour remplir précisément ce rôle. Son but était de mettre au fin au « triple esclavage des femmes, l’ignorance, le capital et les hommes ». Si quelques-unes des fondatrices exerçaient des professions libérales, la vaste majorité de ses membres (20 000 environ en juillet 1937) étaient issues des classes ouvrières. Les femmes de Mujeres Libres visaient à la fois à surmonter les obstacles de l’ignorance et de l’inexpérience qui les empêchaient de participer en tant que égales à la lutte pour une société meilleure, et à combattre la domination des hommes au sein même du mouvement anarchiste.

La majorité des anarchistes organisés étaient opposés à la lutte et à l’organisation séparés des femmes au nom d’un engagement dans l’action directe et à l’égalité. Mujeres Libres plaidait pour une lutte séparée sur la base d’une interprétation différente de ce même engagement. Les difficultés qu’elles rencontrèrent au sein du mouvement anarchiste illustrent à la fois le rôle problématique des femmes dans les mouvements révolutionnaires et la complexité de la prise en compte des expériences des femmes dans l’élaboration et la création d’une société nouvelle.

Les anarchistes promettent l’égalité. Cela signifie que les expériences d’un groupe ne peuvent pas être considérées comme normatives pour tous, et que, dans une société pleinement égalitaire, il ne peut pas exister d’institutions par le biais desquelles quelques individus exercent un pouvoir politique, social ou économique sur d’autres. Une telle société atteint une coordination à travers ce qu’un écrivain récent[1] appelé « l’ordre spontané » : les gens se rassemblent volontairement pour satisfaire des besoins mutuellement définis et coordonnent des activités à grande échelle par la fédération.[2]

Cette perspective anti-hiérarchique est lourde de conséquences pour la stratégie révolutionnaire. Les anarchistes soutiennent que l’action révolutionnaire et l’organisation doivent partir de réalités concrètes quotidiennes des gens et que le processus lui-même doit être transformatif. Un engagement envers l’égalité dans ce contexte implique que les expériences de divers groupes sont tous des points de départ valides pour l’action révolutionnaire et l’organisation.

En outre, les anarchistes insistent sur le fait que les moyens sont inséparables des fins. Les gens ne peuvent établir, et apprendre à vivre dans, une société non-hiérarchique seulement en s’engageant dans des formes d’actions révolutionnaires non-hiérarchiques et égalitaires. En s’opposant aux affirmations que la hiérarchie est indispensable à l’ordre, particulièrement dans une situation révolutionnaire, les anarchistes soutiennent que la coordination peut être accomplie soit à travers « la propagande par le fait », une action exemplaire qui suscite l’adhésion par le pouvoir de son exemple positif,[3] ou à travers « l’organisation spontanée », qui implique que, à la fois, la forme et les objectifs d’une organisation sont décidés par les gens, dont ils expriment les besoins.[4]

Enfin, les anarchistes reconnaissent qu’il est difficile pour les gens dont les circonstances de vie leur ont refusé l’autonomie et les ont maintenus dans des situations de subordination, de se transformer en personnes indépendantes et ayant confiance en elles. Une « préparation » intensive pour une telle participation constitue une partie essentielle du processus de transformation personnelle, qui, elle-même, est un aspect du projet social révolutionnaire. Mais une telle préparation, si elle ne veut pas prendre une forme hiérarchique, ne peut se dérouler qu’à travers les expériences individuelles de formes nouvelles et variées d’organisation sociales. Le mouvement anarchiste espagnol a essayé de fournir l’opportunité de telles expériences. A travers la participation directe à des actions et des grèves, et à travers les connaissances enseignées dans des actions d’éducation informelles, les gens se « prépareraient » à des changements révolutionnaires plus profonds. Pour être efficaces, cependant, une telle préparation doit correspondre aux différentes expériences de vie des gens dont elle tente de répondre aux besoins.

Dans la guerre civile espagnole, les femmes constituaient un groupe spécial, avec des besoins spécifiques. Leur subordination – à la fois économique et culturelle – était beaucoup plus marquée que celle des hommes. Les taux d’illettrisme étaient plus élevés parmi les femmes que chez les hommes. Les femmes salariées étaient reléguées aux emplois les moins bien payés dans les conditions les plus difficiles. Les femmes et les hommes vivaient de manière très différentes. Comme un des ces femmes le raconte :

« Je me souviens très précisément de comment cela se passait lorsque j’étais enfant: les hommes avaient honte d’être vus dans la rue avec des femmes!… Les hommes et les femmes vivaient des vies totalement séparées. Chacun était confiné dans une société presque exclusivement composée de son propre sexe. »[5]

Néanmoins, bien que ces différences auraient apporté la preuve flagrante de la nécessité pour l’organisation révolutionnaire de traiter la question de la subordination spécifique des femmes, une majorité du mouvement anarchiste a refusé de prendre en compte soit la spécificité de l’oppression des femmes ou la légitimité d‘une lutte séparée pour la surmonter. Seul Mujeres Libres a exprimé une perspective qui reconnaissait, et traitait, la particularité des expériences féminines.

Tout en étant engagés dans la création d’une société égalitaire, les anarchiste espagnols démontraient une attitude complexe envers la subordination des femmes. Certains prétendaient que celle-ci découlait de la division sexuelle du travail, de la « domestication » des femmes et de leur exclusion du salariat qui en résultait.[6] Pour surmonter cela, les femmes devraient rejoindre la main d’œuvre salariée comme ouvrières, parmi les hommes, et la lutte syndicale pour améliorer la condition de tous les ouvriers. D’autres insistaient sur le fait que la subordination des femmes était le résultat d’un vaste phénomène culturel, et reflétait la dévaluation des femmes et de leurs activités véhiculée par des institutions telles que la famille et l’église. Cette dévaluation prendrait fin en même temps que ces institutions, avec l’établissement d’une société anarchiste.

Mais la subordination des femmes restait, au mieux, une préoccupation périphérique du mouvement anarchiste dans son ensemble. La plupart des anarchistes refusaient de la reconnaître et peu d’hommes souhaitaient abandonner le pouvoir sur les femmes dont ils jouissaient depuis si longtemps. Comme le secrétaire national de la CNT l’écrivait en 1935, en réponse à une série d’ articles sur la question féminine :

« Nous savons tous qu’il est plus agréable de commander que d’obéir…. Il se passe la même chose entre la femme et l’homme.L’homme est plus satisfait d’avoir une servante pour lui faire la cuisine et la lessive …. Voilà la réalité. Et, face à cela, c’est rêver que de demander aux hommes d’abandonner leurs privilèges. »[7]

Certains, probablement représentatifs de la majorité au sein du mouvement, niaient que les femmes étaient opprimées d’une manière qui demandait une attention particulière. Federico Montseny, par exemple, l’anarchiste intellectuelle, qui servit plus tard comme ministre de la santé dans le gouvernement républicain pendant la guerre, admettait que « l’émancipation des femmes » était « un problème crucial du moment ». Elle insistait sur le fait que l’objectif approprié n’était pas l’accession des femmes à des positions actuellement détenues par des hommes mais la restructuration de la société qui libérerait tout le monde. « Féminisme ? Jamais ! Humanisme toujours ! »[8] Dans la mesure où elle reconnaissait une oppression spécifique des femmes, elle la concevait essentiellement en termes individualistes et soutenaient que tous les problèmes spécifiques qui existaient entre les hommes et les femmes avaient autant leur source dans leur « sous-développement » que dans la résistance aux changements des hommes et qu’ils ne pouvaient pas être résolus dans ou par une « lutte organisationnelle ».[9]

Une petite minorité au sein du mouvement admettait que les femmes subissaient des formes spécifiques de subordination liées à leur sexe et demandant une attention particulière. Mais beaucoup d’entre eux insistaient sur le fait que la lutte pour surmonter cette subordination, que ce soit dans la société en général ou au sein du mouvement anarchiste, ne devait pas se dérouler dans des organisations séparées. Comme le déclarait une militante :

« Nous sommes engagés dans un travail de création d’une société nouvelle et ce travail doit être réalisé dans l’union. Nous devrions nous engager dans des luttes unitaires, avec les hommes, en luttant pour notre place, en demandant à être prises au sérieux. »[10]

Elles trouvaient une argumentation à leur position dans la perspective anarchiste de transformation sociale, particulièrement dans l’accent mis sur l’unité entre fins et moyens.

Ceux qui s’opposaient à des organisations autonomes de femmes soutenaient que l’anarchisme était incompatible non seulement avec des formes hiérarchiques d’organisation mais aussi avec une organisation indépendante qui pourrait nuire à l’unité du mouvement. Dans ce cas, puisque le but du mouvement anarchiste était la création d’une société égalitaire dans laquelle les femmes et les hommes agiraient en tant qu’égaux, la lutte pour la réaliser devrait impliquer les femmes et les hommes ensemble, comme partenaires sur un pied d’égalité. Ces anarchistes craignaient qu’une organisation consacrée spécifiquement à mettre un terme à la subordination des femmes mettrait plus l’accent sur les différences entre hommes et femmes que leurs ressemblances et rendrait plus difficile la réalisation de l’objectif égalitaire révolutionnaire. La stratégie consistant à baser l’organisation sur l’expérience vécue n’allait pas jusqu’au point de justifier une organisation indépendante centrée sur les besoins des femmes.

Pour résumer, bien que quelques groupes au sein du mouvement anarchiste organisé admettaient l oppression spécifique des femmes et le sexisme des hommes au sein du mouvement, les principales organisations anarchistes consacraient peu d’attention aux questions féminines, et niaient la légitimité d’organisations séparées pour traiter de ces questions. Ces femmes qui insistaient sur la spécificité de l’oppression des femmes et la nécessité d’une lutte séparée pour la surmonter, créèrent une organisation : Mujeres Libres.

On peut déceler les antécédents directs de Mujeres Libres aussi loin que 1934, lorsque des petits groupes de femmes anarchistes à Madrid et Barcelone (indépendamment les uns des autres) commencèrent à se préoccuper du nombre relativement peu élevé des femmes impliquées activement dans la CNT. Elles avaient remarqué, comme l’une l’a raconté, que :

…les femmes venaient une fois à une réunion – elles pouvaient même adhérer – ou venait par exemple à une sortie du dimanche ou à un groupe de discussion – elles venaient une fois et puis on ne les voyait plus…. Même dans des industries où il y avait beaucoup d’ouvrières – le textile par exemple – peu de femmes prenaient la parole dans les réunions syndicales. Nous étions préoccupées par les femmes que nous perdions, alors nous avons réfléchi à la création d‘un groupe de femmes pour traiter de ces questions…. En 1935, nous avons lancé un appel à toutes les femmes du mouvement libertaire… tout en nous concentrant principalement sur les plus jeunes compañeras. Nous avons appelé notre groupe « Grupo cultural femenino, CNT ».[11]

A l’origine, ces groupes de femmes existaient plus ou moins au sein, ou ou moins sous les auspices, de la CNT. Leur but était de d’amener plus de femmes au militantisme à l’intérieur du mouvement anarchiste.

Mais peu de temps après, les femmes à Barcelone comme à Madrid (qui, fin 1935, étaient en contact les unes avec les autres) réalisèrent que développer le militantisme féminin était un processus complexe et qu’elles avaient besoin d’autonomie si elles voulaient atteindre les femmes qu’elles désiraient et de la manière dont elles le désiraient. En mai 1936, elles mirent en place Mujeres Libres.

Ses fondatrices soutenaient que les femmes devaient s’organiser indépendamment des hommes, à la fois pour surmonter leur subordination et pour lutter contre la résistance masculine à l’émancipation des femmes. Elles fondèrent leur programme sur les mêmes engagements d’action directe et de préparation qui caractérisaient le mouvement anarchiste espagnol dans son ensemble, et insistaient sur le fait que la préparation des femmes pour s’engager dans l’action révolutionnaire devait s’effectuer à partir de leurs expériences de vie spécifiques. Le processus exigeait à la fois que les femmes surmontent leurs subordination spécifique en tant que femmes et qu’elles acquièrent le savoir et la confiance en elles nécessaires à leur participation à la lutte révolutionnaire et à la remise en cause de la domination masculine de ces organisations qui ne prenaient pas leurs expériences au sérieux.

Emma Goldman avait affirmé, auparavant, que :

« La vraie émancipation ne commence ni dans les urnes ni dans les tribunaux. Elle commence dans l’esprit des femmes… Son épanouissement, sa liberté, son indépendance doivent venir d’elle et à travers elle. »[12]

Des commentateurs sur d’autres mouvements d’émancipation des femmes ont fait des déclarations similaires. Sheila Rowbotham, par exemple, a mis l’accent sur les manières avec lesquelles les mouvements socialistes et communistes ont continuellement subordonné les revendications des femmes.[13] Ellen DuBois considère la formation d’un mouvement indépendant des femmes pour le droit de vote comme un signe de « l’arrivée de l’âge » du féminisme aux États-Unis, marquant le point à partir duquel les femmes ont pris assez au sérieux la question de leur propre subordination pour lutter pour leurs droits.[14] Les femmes de Mujeres Libres ont agi dans une même idée d’évolution de la conscience. Selon une de ses membres :

« Le secrétaire national de la CNT nous soutenait. Il nous a offert une fois tout l’argent et le soutien nécessaire – si nous étions d’accord pour fonctionner dans le cadre de la CNT. Mais nous avons refusé. Nous voulions que les femmes trouvent leur propre liberté. »[15]

Le souci d’indépendance des femme était si fort qu’il a même affecté le nom de l’organisation. Malgré le fait que la plupart de ses fondatrices avaient éveillé leur conscience politique à travers le mouvement anarcho-syndicaliste et se considéraient « libertaires, » elles ne prirent pas le nom de Mujeres Libertarias (Femmes Libertaires). A la place, elles choisirent Mujeres Libres (femmes libres), pour dire clairement qu’elles étaient libres vis à vis de toute participation institutionnel ou organisationnel, y compris avec la CNT.

A la fois la forme et le programme de l’organisation reflétait leur analyse de la subordination des femmes et de ce qu’il serait nécessaire pour la surmonter. En premier lieu, Mujeres Libres consacra la plus grande attention sur les problèmes intéressant les femmes au premier chef: l’illettrisme, la dépendance économique et l’exploitation, l’ignorance sur les questions de santé, le soin aux enfants et la sexualité. Ensuite, elles insistèrent sur le fait que l’engagement dans la lutte exigeait une transformation de l’idée de soi. Les femmes ne pouvaient développer et garder une telle évolution de la conscience que si elles agissaient indépendamment des hommes, dans une organisation destinée à protéger ces nouvelles conceptions de soi-même. Mujeres Libres a essayé d’être l’environnement pour le développement d’une telle transformation de la conscience. Enfin, elle croyaient qu’une organisation séparée et indépendante était essentielle pour remettre en cause le sexisme et la hiérarchie masculiniste de la CNT et du mouvement anarchiste dans son ensemble. En tant qu’organisation, Mujeres Libres releva ce défi.

L’organisation reconnaissaient trois sources différentes à la subordination des femmes: l’ignorance (illettrisme), l’exploitation économique,et la subordination aux hommes à l’intérieur de la famille. Bien que les déclarations officielles ne présentaient pas ces facteurs comme prioritaires, la plupart des activités de l’organisation se focalisait sur l’ignorance et l’exploitation économique. Dans un résumé révélateur de ses articles sur la « question féminine » dans Solidaridad Obrera en 1935, Lucía Sanchez Saornil,une fondatrice de Mujeres Libres, expliquait:

« Très certainement, je crois que la seule solution aux problèmes sexuelles des femmes se trouve dans la solution des problèmes économiques. Dans la révolution. Rien d’autre. Tout autre chose perpétuerait le même esclavage sous un autre nom. »[16]

Dans son programme, l’organisation portait la plupart de son attention sur l’ « ignorance », qui, croyait elle, contribuait à la subordination des femme dans toutes les sphères de leur vie. Mujeres Libres organisa une campagne d’alphabétisation massive pour fournir les fondations nécessaires à l’ « inculturation » des femmes. Cette alphabétisation permettrait aux femmes de mieux comprendre leur société et la place qu’elles y occupaient,et de lutter pour l’améliorer.[17] Elles organisèrent trois niveaux de cours: pour les illettrées, pour celles qui savaient lire un peu et pour celles qui savaient bien lire mais qui souhaitaient « s’immerger dans des questions plus complexes ». Elles ne confondaient pas l’illétrisme avec le manque de compréhension des réalités sociales; elles insistaient plutôt sur le fait que leur embarras concernant leur « sous-développement culturel »était une barrière pour l’engagement de nombreuses femmes dans la lutte pour le changement révolutionnaire. L’alphabétisation devint un outil pour acquérir la confiance en soi aussi bien que pour faciliter leur pleine participation à la société et au changement social.

L’attention portée à la vie des femmes

Pour s’attaquer aux racines de la subordination due à la dépendance économique, Mujeres Libres avait mis en place un programme complet pour l’emploi avec une forte attention portée sur l’éducation. Les organisatrices insistaient sur le fait que la dépendance des femmes résultait d’une division sexuelle extrême du travail qui les reléguaient aux tâches les moins bien rémunérées, dans les conditions les plus difficiles. Mujeres Libres a salué le mouvement lié à la guerre qui a poussé les femmes hors de la maison et dans le salariat, non pas comme une disposition temporaire, mais comme un espoir d’une intégration permanente des femmes et une contribution à leur indépendance économique.[18]

Le programme pour l’emploi de Mujeres Libres traitait des problèmes spécifiques auxquels les femmes étaient confrontées et essayait de les préparer à prendre leur place dans la production comme égales. Elles travaillèrent étroitement avec les syndicats CNT, et co-organisaient des programmes de soutien, formation et apprentissage pour les femmes entrant dans la vie active. Dans les zones rurales, elles organisèrent des programme de formation à l’agriculture. En outre, elle plaisaient pour, mettaient en place et soutenaient des équipements de gardes d’ enfants, à la fois dans les quartiers et les usines, pour offrir aux femmes la possibilité de travailler. Et elles se battirent pour un salaire égal entre hommes et femmes.

Néanmoins, elles ne portaient que peu d’attention à la division sexuelle du travail elle-même. Ni elles n’exploraient les implications pour l’égalité sexuelle des stéréotypes de certaines tâches réservées aux hommes et aux femmes. Des analyses féministes plus récentes ont examiné la relation entre monogamie, accouchement, éducation des enfants et participation différentielle aux tâches salariées, et ont souligné les implications de ces relations pour la subordination des femmes.[19] Ni Mujeres Libres, ni aucune autre organisation féministe ou anarchiste en Espagne à l’époque, cependant,n’avait remis en cause le fait que la responsabilité de l’éducation des enfants et des activités domestiques resteraient aux femmes.

En fait, l’approche de Mujeres Libres de la subordination « culturelle » des femmes dans une société dominée par les mâles était ambiguë. Quelques-unes de ses membres soutenaient que la morale bourgeoise traitait les femmes comme une propriété. Amparo Poch y Gascón, qui devint une fondatrice de Mujeres Libres, critiquait à la fois la monogamie et l’affirmation que le mariage pouvait être « contracté, en pratique, pour toujours ». Elle insistait sur le fait que ni le mariage ni la famille ne doivent nier la possibilité de « cultiver en dehors d’autres… amours ».[20] La majorité des femmes de Mujeres Libres étaient probablement en désaccord avec son rejet du mariage et de la monogamie. Mais l’organisation critiquait les formes extrêmes de la domination masculine au sein de la famille. Lucía Sanchez Saornil, par exemple, rejetait la définition des femmes dans la société comme étant seulement des mères et soutenait que cette définition contribuait à pérenniser la subordination des femmes :

« Le concept de mère absorbe celui de femme, la fonction annihile l’individu. »[21]

Les membres de l’organisation se mettaient d’accord plus facilement sur d’autres manifestations de le subordination « culturelle » des femmes. Selon elles, la prostitution exprimait le plus clairement les rapports entre subordination économique et sexuelle, contribuant à la fois à la dégradation de l’image de la femme qui la pratiquait et de la sexualité en général. Dans l’absolu, le sexe ne devait pas être considéré comme une marchandise; Les femmes comme les hommes devaient être capables d’expérimenter pleinement et librement leur sexualité. Cette analyse les a conduit à l’une de leurs idées les plus innovantes : un plan (jamais réellement appliqué à cause des contraintes du temps de guerre) pour mettre en place liberatorios de prostitución, des centres où d’anciennes prostituées pourraient être aidées pendant qu’elles se « recycleraient » en vue d’une vie meilleure. [Leur espoir de voir la révolution sociale changer radicalement la nature du travail salarié – y compris le travail en usine – renforçait l’affirmation que le travail « productif » était, en fait, moins dégradant que le sexe commercial.] L’organisation avait également publié des appels aux hommes anarchistes pour qu’ils n’utilisent pas les services des prostituées et soulignait qu’en faisant cela, ils pérennisaient des modèles d’exploitation qu’ils étaient supposés engagés à éliminer.[22]

Mujeres Libres s’intéressa aussi à la santé. L’organisation forma des infirmières pour travailler dans les hôpitaux et remplacer les religieuses qui en avaient auparavant le monopole. Elle mit en place de vastes programmes d’éducation et d’hygiène dans les maternité, notamment à Barcelone, et essaya de surmonter l’ignorance des femmes au sujet de leur propre corps ainsi que des soins et du développement de leurs enfants. Plus généralement, elle essaya de combattre l’ignorance des femmes au sujet de leur sexualité, ignorance perçue comme une autre source de la subordination sexuelle des femmes. Amparo Poch y Gascón, par exemple, a souligné l’ignorance au sujet des fonctions du corps et de la contraception comme facteur de la difficulté supposée des femmes à expérimenter le plaisir sexuel. Elle a doublé son plaidoyer pour une plus grande ouverture dans ce domaine avec l’affirmation selon laquelle la répression sexuelle des femmes servait aussi à maintenir la domination des hommes.[23]

Les programmes d’éducation pour surmonter la subordination culturelle s’étendaient aussi bien aux enfants qu’aux femmes adultes. Mujeres Libres organisa des cours d’éducation à destination des mères, pour qu’elles soient en mesure de préparer leurs enfants à la vie dans une société libertaire. Elle développa de nouvelles formes d’éducation, destinées à remettre en cause les valeurs bourgeoises et patriarcales et à préparer les enfants à développer par eux-mêmes, une conscience critique. Enfin, elle contribua au développement d’un nouveau noyau dur d’enseignantes ainsi que des structures nouvelles, non-hiérarchiques d’enseignement et d’apprentissage.

Bien que l’idée générale de ces programme est claire, ils n’en reflètent pas moins l’ambivalence de Mujeres Libres quant au rôle de la femme dans la lutte et la société révolutionnaires. Malgré l’insistance sur le fait que la subordination des femmes était un problème qui pourra être traité plus efficacement par les femmes et qui méritait une reconnaissance et une légitimité au sein du mouvement anarchiste dans son ensemble, Mujeres Libres à l’époque se présentait comme une organisation de soutien glorifiée.[24] Il existait aussi une ambivalence, même dans la remise en cause du rôle de la famille traditionnelle. Cependant, quelques appels à destination des femmes pour qu’elles aillent travailler et qu’elles profitent des facilités de garde mises en place dans les usines suggèrent que ce « sacrifice »était seulement temporaire.[25]

Néanmoins, la propagande de Mujeres Libres était différente de celle des autres organisations de femmes de l’époque en Espagne. La plupart d’entre elles n’étaient, en fait que des « auxiliaires féminines » de différentes organisations de partis, encourageant les femmes à assurer leur rôle de soutien traditionnel, et les appelant à s’occuper des usines jusqu’à ce que leurs hommes reviennent.[26] Par contraste, le journal Mujeres Libres rappelait à ses lectrices :

« Au milieu de tous ces sacrifices, avec une volonté et une persévérance extrêmes, nous travaillons pour nous découvrir et pour nous situer dans un milieu qui, jusqu’à ce jour, nous a été refusé : l’ action sociale. »[27]

Mujeres Libres a continué à soutenir que l’émancipation des femmes ne devait pas attendre la conclusion de la guerre, et qu’elles pouvaient s’aider elle même, et aider l’effort de guerre de la meilleure des manières en insistant sur leurs demandes d’égalité et de participation aussi totale que possible à la lutte en cours.[28]

Sous tous ses aspects, à travers ses attaques contre l’illettrisme, la dépendance économique, et l’exploitation sexuelle-culturelle, et cela même dans le contexte particulier de la guerre, le programme de Mujeres Libres traitait des sources spécifiques de la subordination des femmes dans la société espagnole. De son point de vue, seule la dénonciation directe de ces problèmes permettrait aux femmes de le surmonter et de participer pleinement au mouvement social révolutionnaire. Et seule, une organisation de femmes, pour les femmes, avait un intérêt, la préoccupation et la capacité de le mener à bien.

Modifier la conscience de soi des femmes

Surmonter la subordination des femmes et rendre possible sa pleine participation à la lutte révolutionnaire demandait plus qu’une dénonciation des sources de cette subordination. La conscience de soi des femmes devait être changée, afin qu’elles puissent commencer à se considérer comme indépendantes, comme actrices agissantes dans l’arène sociale.

Le programme de Mujeres Libres reflétait la croyance selon laquelle, du fait de leur longue subordination, la plupart des femmes n’étaient pas préparées à occuper un rôle dans la révolution sociale en cours, sur un pied complet d’égalité. Leur « préparation » demandait qu’elles participent à une organisation libertaire, mais exclusivement féminine, qui avait, pour fonction première le développement des capacités.[29] Une telle participation enrichirait les capacités des femmes de deux façons : d’abord, en comblant les déficits essentiels d’informations qui leur interdisait une participation active; et, en second lieu, en surmontant leur manque de confiance en soi qui accompagnait leur subordination. Une fois préparée, les femmes pourraient se confronter au problème spécifique de leur subordination au sein de la société ainsi qu’à l’intérieur du mouvement anarchiste, et pourraient se battre pour la reconnaissance de la légitimité de ces questions au sein du mouvement dans son ensemble.

A l’origine, comme une militante le raconte, « nous voulions seulement faire des anarchistes ». Mais elles réalisèrent bientôt que, si les femmes devaient devenir des militantes anarchistes, elles devaient « gérer leurs propres affaires ». Elles devaient « sortie de la maison » et se prendre suffisamment au sérieux pour s’engager dans le militantisme syndical.« L’éveil de la conscience » était, par conséquent, un aspect essentiel du programme de Mujeres Libres; et les organisatrices ne laissaient passer que peu d’occasions pour engager les femmes dans le processus. Elles mirent en place des groupes de parole et de discussion à travers lesquels elles habituèrent les femmes à entendre le son de leur propre voix en public, et les encouragèrent à surmonter leur réticence à parler et à participer. Mais la preparación sociale devint un élément de chaque projet qu’elles entreprenaient. Des groupes de femmes de Mujeres Libres, par exemple, visitaient des usines, pour soutenir ostensiblement la syndicalisation et encourager les femmes à devenir actives –et donnaient en même temps des « petites leçons », soit au sujet de l’anarcho-syndicalisme ou la nécessité pour les femmes de participer davantage. A Barcelone, le « Grupo Cultural Femenino » mit en place des guarderías volantes, (gardes d’enfants volantes): des femmes venaient dans d’autres maisons pour garder les enfants, afin que les mères puissent assister à des réunions syndicales. Et quand les mères revenaient à la maison, elles étaient souvent accueillies par une courte conversation informelle au sujet du communisme libertaire, de l’anarcho-syndicalisme ou quelque chose de semblable.

Disposer d’une organisation séparée offrit à ces femmes la liberté de développer des programmes indépendants qui répondaient à leurs besoins spécifiques, et permit de traiter directement la question de leur subordination. L’organisation insista sur le fait que les femmes étaient confrontées à une « double lutte » lorsqu’elles essayaient de s’engager dans le militantisme révolutionnaire, et que, seule, une organisation indépendante et séparée (bien qu’en même temps elle travaillait étroitement avec d’autres organes du mouvement anarcho-syndicaliste) pouvait offrir le cadre et le soutien nécessaires pour traiter la question de la confiance en soi. Selon les mots d’une adhérente:

« Les révolutionnaires hommes qui luttent pour leur liberté combattent uniquement contre le monde extérieur, contre un monde opposé aux désirs de liberté, d’égalité et de justice sociale. Les femmes révolutionnaires, d’un autre côté, doivent se battre sur deux plans. D’abord elles doivent se battre pour leur liberté extérieure. Les hommes sont leurs alliés avec le même idéal dans une cause identique. Mais les femmes doivent aussi se battre pour leur liberté intérieure, dont les hommes ont joui pendant des siècles. Et, dans cette lutte, les femmes sont seules. »[30]

De nos jours, certaines ont soutenu que des organisations séparées ne sont pas nécessaires pour l’éveil de la conscience. Wini Breines a suggéré, par exemple, qu’une leçon des mouvements pour les droits civiques et contre la guerre aux Etats-Unis est que la conscience des femmes peut commencer à changer même au sein d’organisations mixtes qui perpétuent la subordination des femmes.[31] De nombreuses études attestent de la justesse de ce point de vue.[32] D’un autre côté, Estelle Freedman a soutenu que sans « la mise en place d’institution féminine » une conscience transformée peut aisément disparaitre.[33] Bien que les femmes de Mujeres Libres ne présentaient pas d’arguments aussi directs quant à la nécessité de « construire des institutions féminines », ces débats contemporains se font l’écho de beaucoup de leurs préoccupations. Il est évident qu’elles pensaient que un changement de la conscience de la part des femme – essentielle pour toute participation à l’action sociale révolutionnaire – ne pouvait se développer et se maintenir seulement dans le cadre d’une organisation mise en place par et pour les femmes et qui traitait de ces questions.

Un défi pour le mouvement anarchiste

Enfin, en plus de s’intéresser aux expériences spécifiques de la vie des femmes et de fournir un cadre pour l’éveil d’une nouvelle conscience de soi, Mujeres Libres questionna le sexisme des organisations du mouvement anarchiste. Mujeres Libres avait vu le jour en réponse à ce que ses fondatrices percevaient comme une insensibilité de beaucoup d’hommes au sein du mouvement anarchiste envers les problèmes spécifiques des femmes.[34] De plus, Mujeres Libres interpella les organisations pour qu’elles prennent plus au sérieux ses membres féminines. Comme une militante le rappelle :

« Les hommes aussi avaient remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes militantes. Mais cela ne les dérangeait pas. En fait, beaucoup étaient heureux d’avoir une compañerita[35] qui n’en savait pas aussi long qu’eux. Cela me dérangeait beaucoup – ils me rendaient furieuse. Ils m’ont pratiquement transformé en féministe enragée! »

D’autres ont dénoncé le sexisme des membres de la CNT en des termes encore plus forts :

« Ces troglodytes déguisés en anarchistes, ces lâches qui – bien-armés – attaquent par derrière, ces ‘courageux’ qui élèvent la voix et gesticulent devant les femmes, ceux-là révèlent leur vraie nature fasciste et ils doivent être démasqués. »[36]

Bien que de nombreux anarchistes hommes étaient partisans, en théorie, d’un mouvement égalitaire sur le plan sexuel (et plus généralement d’une société égalitaire), pour un trop grand nombre d’entre eux, les convictions prenaient fin au seuil de la maison ou à l’entrée du local syndical. Comme une femme, née et élevée dans une famille anarchiste, le regrette :

« Pour ce qui se passait à la maison, nous n’étions pas meilleurs que les autres…. Il y avait beaucoup de discussions au sujet de la libération de la femmes, de l’amour libre et de tout cela. Les hommes parlaient de cela du haut d’une estrade. Mais il y en avait très très peu qui s’engageaient réellement d’eux-mêmes dans la lutte des femmes en pratique …. Chez eux, ils l’oubliaient. »[37]

Une des fondatrices de Mujeres Libres se souvient que, en 1933, on lui avait demandé de participer à une réunion dans un des locaux syndicaux de la CNT. Des militantes locales voulaient qu’elle leur donne un mini-cours et les aide à la préparation des ouvrières.

« Mais ce fut impossible, du fait des attitudes de quelques compañeros. Ils ne prenaient pas les femmes au sérieux. Ils pensaient que tout ce que les femmes avaient besoin de faire, c’était la couture et la cuisine …. Non, c’était impossible. Les femmes osaient à peine parler dans ce contexte. »[38]

Jusqu’à ce que ces pratiques ne prennent fin – et que les anarchistes homme ne commencent à prendre au sérieux les femmes et leurs problèmes – aucune stratégie ou programme anarchiste ne peut espérer réussir, et surtout pas attirer des femmes. Ce fut un domaine dans lequel la pratique du mouvement semblait « hors syndicat » dans sa théorie.

Le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol était sensible, par exemple, au besoin de « préparer » les gens à participer à l’action révolutionnaire. Mais, dans le cas des femmes, cette perspective était souvent oubliée. Les femmes qui assistaient à des discussions et à des sessions de formation étaient souvent ignorées ou ridiculisées. (En fait, ce fut précisément l’expérience du fait d’être tournées en dérision qui poussa un certain nombre de femmes à créer Mujeres Libres.) L’éducation informelle peut être un outil puissant pour le développement de la confiance en soi mais seulement si ceux qui s’engagent dans un tel processus traitent les autres avec respect. Si ils ne le font pas, alors les réunions informelles d’éducation peuvent devenir un domaine de plus pour la subordination des femmes.

Mujeres Libres a été créé par des femmes dont l’expérience leur avait appris qu’elles ne pouvaient pas attendre une telle sensibilité de la part du mouvement anarchiste organisé. La seule façon de s’assurer que les femmes seraient prises au sérieux était de créer une organisation indépendante qui pourrait remettre en cause ces attitudes et comportements, à partir d’une position de force. Leurs expériences avaient été répétées et rapportées par des femmes d’organisations révolutionnaires jusqu’à nos jours. Le problème n’est certainement pas limité à la société espagnole. Et il est certainement plus aigu dans ces organisations affirmant une « ligne de parti » cohérente. Dans ce cas, la supériorité de l’homme envers la femme est aggravée par une prétendue hiérarchie du « savoir » idéologique.[39]

Le défi de Mujeres Libres pour le mouvement anarchiste était organisationnel dans un autre sens également. En octobre 1938, elle demanda sa reconnaissance comme branche autonome du mouvement libertaire au même titre que la FAI ou la FIJL.[40] La réponse du mouvement fut complexe. Comme le dit Mary Nash, la proposition des femmes fut rejetée, sous le prétexte que :

« Une organisation spécifique de femmes injecterait un élément de désunion et d’inégalité au sein du mouvement libertaire et aurait des conséquences négatives pour la défense des intérêts de la classe ouvrière. »[41]

Les parallèles avec les expériences du mouvement pour le droit de vote des femmes au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis est évident. Il est important aussi de souligner les inquiétantes similitudes avec la manière dont les femmes noires et du tiers-monde – et les membres d’autres groupes aux demandes et perspectives spécifiques –ont été trop souvent traitées au sein du mouvement des femmes contemporains.[42]

Les femmes de Mujeres Libres furent déconcertées par cette réponse. Elles se considéraient comme semblables à la Jeunesse Libertaire (FIJL), et s’attendaient à être accueillies à bras ouverts. Elles ne comprenaient pas pourquoi le mouvement acceptait une organisation autonome dans un cas et pas dans un autre. Le refus de reconnaitre Mujeres Libres – qui avait pour effet de refuser à ses membres l’accès au prochain congrès national en tant que déléguées de l’organisation, même si certaines y assistèrent comme représentantes des syndicats CNT – confirma l’idée de la nécessité d’une organisation séparée pour soulever ces questions de manière permanente.[43]

Notre analyse nous permet d’offrir une interprétation supplémentaire. L’affirmation selon laquelle une organisation spécialement consacrée aux besoins des femmes est inadapté au mouvement anarchiste contredit l’engagement explicite du mouvement envers l’action directe. Il nie, en particulier, l’idée que l’organisation est fondée sur les expériences de vie des individus et de leurs perceptions de leurs besoins. Si l’organisation est basée sur de tels principes, alors nous pouvons penser que différentes expériences conduisent à des organisations séparées. Les dirigeants du mouvement ont semblé accepter cette conclusion dans le cas des jeunes, et ils ont soutenu une organisation autonome de la jeunesse. Mais ils ne souhaitaient pas le faire dans le cas des femmes. Pourquoi ?

La différence cruciale entre les deux cas semble être l’épicentre de l’organisation, plutôt que la nature de ses membres. Bien que la FIJL ne s’adressait qu’aux jeunes, son projet était un projet anarchiste, à court comme à long terme. Mujeres Libres, en tant que organisation autonome de femmes, était différente. Non seulement elle ne s’adressait qu’aux femmes mais avait aussi mis en place un ensemble séparé et indépendant d’objectifs. Sa remise en cause de la domination masculine au sein du mouvement anarchiste menaçait, au moins à court terme, d’affecter la structure et les pratiques des organisations anarchistes existantes.[44]

En 1937, par exemple, Mercedes Comaposada, une dirigeante alors de Mujeres Libres, vint rencontrer avec Lucía Sanchez Saornil (secrétaire nationale de l’organisation) « Marianet » (Mariano Vazquez, secrétaire national de la CNT, et dirigeant implicite du mouvement libertaire) pour discuter de la reconnaissance de Mujeres Libres comme organisation autonome au sein du mouvement. Selon ses termes :

« Nous avons expliqué encore et encore ce que nous faisions: que nous ne tentions pas de détourner les femmes de la CNT mais, en fait, tentions de créer une situation dans laquelle elle pourrait aborder les questions spécifiques de femmes afin de devenir des militantes efficaces dans le mouvement libertaire. »

Mais, finalement, le projet était de toute évidence trop menaçant. Elle se souvient ainsi de la conversation:

A la fin il a dit : « O.K., vous pouvez avoir tout ce que vous voulez – même des millions de pesetas [pour l’organisation, l’éducation, etc.] parce que nos caisses – à la condition que vous travaillez aussi sur les questions qui ont de l’intérêt pour nous, et pas seulement sur celles des femmes. » A ces mots, Lucía sauta en l’air et dit : « Non. Cela nous ramènerait exactement à notre point de départ! » Et j’étais d’accord avec elle – et je le suis encore. L’autonomie était essentielle. Si ils ne nous la permettaient pas alors nous aurions perdu l’objectif principal de l’organisation.[45]

Conclusions

Les femmes de Mujeres Libres étaient d’accord avec les autres anarchistes qu’un engagement envers l’action directe entrainait une opposition à des formes hiérarchiques d’organisation. Mais elles avaient choisi de se focaliser sur un autre élément de la stratégie d’action directe : que nous avons appelé ordre spontané. Les gens s’organisent, et s’organiseront, autour des questions qui constituent un intérêt immédiat leur vie quotidienne. Lorsqu’ils commencent à réaliser des changement dans ces domaines, et à prendre conscience de leur pouvoirs et capacités, ils seront plus « préparés » à s’engager dans d’autres actions pour le changement social. Les femmes de Mujeres Libres insistaient sur le fait que, au moins dans le cas des femmes, des organisations séparées seraient essentielles à cette fin.

Cette perspective semble particulièrement appropriée à la situation espagnole. Une large proportion de femmes espagnoles ne se seraient senties concernées en aucune manière par la stratégie syndicale de la CNT. Elles ne travaillaient pas en usine ; ou, lorsque cela était le cas, elles avaient peu ou pas de temps pour s’engager dans des luttes syndicales du fait de leurs responsabilités à la maison. Nous devons remarquer que beaucoup d’hommes aussi – ceux engagés dans des occupations non syndicales– auraient été exclus d’une participation active dans le mouvement anarchiste pour des raisons semblables. Mujeres Libres mettait le doigt, par le biais du cas des femmes, sur un problème qui avait des ramifications beaucoup plus larges pour la stratégie de l’organisation révolutionnaire.

Les femmes argumentaient leur point de vue en s’appuyant sur la tradition anarchiste.Mais leur plaidoyer pour une lutte séparée ne découlait pas seulement d’un engagement envers l’action directe et la satisfaction de besoins tels que exprimés par les intéressées. Il se développait à partir d’une analyse de la nature particulière de la société espagnole et son impact sur le mouvement anarchiste. Mujeres Libres insistait sur le fait que, dans ce contexte, l’action commune entre hommes et femmes ne ferait que perpétuer les modèles existant de domination masculine. Une lutte séparée était particulièrement nécessaire dans ce cas parce qu’elle était la seule manière à la fois de rendre possible la préparation efficace des femmes et de remettre en cause le sexisme des hommes.

Mujeres Libres n’essayait pas seulement de donner du pouvoir aux femmes [empower] mais aussi de lancer un défi permanent aux anarchistes hommes. Son existence nous rappelle le besoin de surmonter la domination masculine au sein du mouvement. La plupart des activités de Mujeres Libres s’adressait aux femmes. Mais elles défiaient les anarchistes hommes en tant qu’individus et le mouvement anarchiste organisé, en de nombreuses occasions. Mujeres Libres tenta d’obliger les hommes (et les femmes?) à reconnaître à la fois la légitimité et l’importance des question d’intérêt spécifique pour les femmes. L’existence même de l’organisation est la preuve du pouvoir autonome potentiel des femmes. Le degré d opposition que souleva Mujeres Libres au sein du mouvement suggère que au moins quelques membres de la CNT prirent au sérieux ce potentiel.[46] Le programme et l’expérience de Mujeres Libres permettent d’affirmer que la logique et la pratique de l’action directe demandent un « rassemblement des forces » (temporairement) séparé. Comme nous l’avons vu, les femmes de Mujeres Libres se sont définies, non pas comme un groupe de femmes qui luttaient contre les hommes, mais comme un des nombreux groupes potentiels participant à une large coalition pour le changement social<strong>.[47]

Le changement révolutionnaire exige l’alliance des femmes et des hommes. Mais à moins que l’égalité ne règne au sein de cette coalition, il n’existe pas de garantie pour un processus révolutionnaire égalitaire ou pour l’établissement d’une société égalitaire. L’engagement envers l’action directe et l’égalité ne signifie rien d’autre. Comme les féministes américaines contemporaines ont commencé à le reconnaître dans le cas des différences de classe, d’ethnie, et de culture, on ne peut pas « agir pour » les autres même dans le cadre d’une organisation révolutionnaire. L’action révolutionnaire doit reconnaître la spécificité des expériences de vie. Mujeres Libres espérait rendre possible. Fidèles à leur interprétation de la tradition anarchiste, elles insistaient sur le fait que la stratégie pour atteindre une telle unité exigeait la reconnaissance de la diversité.


https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... -l-emancip
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 25 Sep 2016, 19:44

Les notes (cela déborde le nombre de caractères autorisés sur le forum)

[1] NDT : Friedrich Hayek, sans doute.

[2] Voir Colin Ward, Anarchy in Action (New York: Harper & Row, 1973), chaps. 2 et 4; également Daniel Guérin, Anarchism: From Theory to Practice, [L’anarchisme, De la doctrine à la pratique ] Introduction par Noam Chomsky, traduit par Mary Klopper (New York: Monthly Review Press, 1970); et Peter Kropotkin, The Conquest of Bread [la Conquête du Pain] (London: Chapman & Hall, 1913).

[3] Pour un exemple parlant contemporain sur l’impact d’une telle action, Wini Breines sur l’évolution de la conscience dans le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, « Personal Politics: The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left, by Sara Evans: A Review Essay, » Feminist Studies 5 (automne 1979): 496–506.

[4] Une version légèrement différente du résumé et de l’analyse qui suit a été développée dans « Anarchism and Feminism, » MS, 1978, Smith College, Northampton, Mass. par Kathryn Pyne Parsons et Martha A. Ackelsberg,

[5] Matilde, interview avec l’auteure, Barcelone, 16 février 1979.

[6] Voir, par exemple, la déclaration du Congrès de Saragosse de 1870 du mouvement espagnol citée dans El proletariado militante, 2 vols. (Toulouse: Editorial del Movimiento Libertario Español, CNT en Francia, 1947), 2: 17–18. de Anselmo Lorenzo,

[7] Mariano R. Vazquez, « Avance: Por la elevacibn de la mujer, » Solidaridad Obrera, 10 Oct. 1935, 4; voir également Jose Alvarez Junco, La ideologia politica del anarquismo español, 1868–1910 (Madrid: Siglo Veintiuno Editores, 1976), 302 n. 73; et Kahos, « Mujeres, Emancipaos! » Acracia 2 (26 Nov. 1937): 4.

[8] Federica Montseny, « Feminismo y humanismo, » La revista blanca 2 (1 Oct. 1924): 18–21; voir aussi « Las mujeres y las elecciones inglesas, » ibid. 2 (15 Feb. 1924): 10–12.

[9] Carmen Alcalde, La mujer en la Guerra civil española (Madrid: Editorial Cambio 16, n.d.), 176. également Federica Montseny, « La mujer: problema del hombre, » dans La revista blanca, 2, núm 89, February 1927; et Mary Nash, « Dos intelectuales anarquistas frente al problema de la mujer: Federica Montseny y Lucía Sanchez Saornil, » Convivium (Barcelona: Universidad de Barcelona, 1975), 74–86.

[10] Igualdad Ocaña, interview avec l’auteure Hospitalet (Barcelone), 14 février 1979.

[11] Soledad Estorach, interview avec l’auteure, Paris, 4 Janvier 1982.

[12] Emma Goldman, « Woman Suffrage » (224) et « The Tragedy of Woman’s Emancipation » (211), tous les deux dans Anarchism and Other Essays (New York: Dover Press, 1969).

[13] Sheila Rowbotham, Women, Resistance, and Revolution (New York: Vintage Books, 1972), et Woman’s Consciousness, Man’s World (Hammondsworth, Middlesex, England: Pelican Books, 1973).

[14] Ellen Carol DuBois, Feminism and Suffrage: The Emergence of an Independent Women’s Movement in America (Ithaca: Cornell University Press, 1978), 78–81, 164, 190–92, 201.

[15] Suceso Portales, interview avec l’auteure, Móstoles (Madrid), 29 juin 1979. Une histoire semblable a été racontée avec des petites variantes par Mercedes Comaposada, Soledad Estorach, et d’autres lors d’interviews à Paris, en janvier 1982. L’analyse qui suit repose principalement sur les interviews et conversations que j’ai eu avec des femmes anarchistes espagnoles qui avaient participé aux débats et aux actions au moment de la guerre civile. Les interviews ont été conduites en Espagne et en France durant le printemps 1979, l’été 1981, et l’hiver 1981–82.

[16] Lucía Sanchez Saornil, « La cuestión femenina en nuestros medios, 5, » Solidaridad Obrera, 30 Oct. 1935, 2.

[17] « ‘Mujeres Libres’: La mujer ante el presente y futuro social, » dans Sídero-metalurgía (Revista del sindicato de la Industria Sídero-metalúrgica de Barcelona) 5 (Novembre 1937): 9.

[18] Mary Nash, ed., « Mujeres Libres » España, 1936–39, Serie los libertarios (Barcelona: Tusquets editor, 1976), 21.

[19] Voir, entre autres, Verena Stolcke, « Women’s Labours, » dans Of Marriage and the Market, ed. Kate Young, Carol Wolkowitz, and Roslyn McCullagh (London: CSE Books, 1981); Jean Gardiner, « Political Economy of Domestic Labour in Capitalist Society, » dans Dependence and Exploitation in Work and Marriage, ed. D.L. Barker and S. Allen (New York: Longman, 1976), 109–20; Sherry Ortner, « Is Female to Male as Nature is to Culture? » (67–88) et Michelle Zimbalist Rosaldo, « Women, Culture, and Society: A Theoretical Overview » (17–42), dans Woman, Culture, and Society, ed. Michelle Zimbalist Rosaldo and Louise Lamphere (Stanford: Stanford University Press, 1974). Sur la question précise de l’éducation des enfants par la femme seule, voir Isaac Balbus, Marxism and Domination (Princeton: Princeton University Press, 1981); Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering: Psychoanalysis and the Sociology of Gender (Berkeley: University of California Press, 1978); Dorothy Dinnerstein, The Mermaid and the Minotaur: Sexual Arrangements and Human Malaise (New York: Harper & Row, 1976); et Adrienne Rich, Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution (New York: W.W. Norton, 1976).

[20] Amparo Poch y Gascón, « La autoridad en el amor y en la sociedad, » Solidaridad Obrera, 27 Sept. 1935, 1; voir aussi sa La vida sexual de la mujer, Cuadernos de cultura: Fisiologia e higiene, no. 4 (Valencia: 1932): 32.

[21] Lucía Sanchez Saornil, « La cuestión femenina en nuestros medios, 4, » Solidaridad Obrera, 15 Oct. 1935, 2; pour un parallèle contemporain, voir Rich.

[22] Pour l’exemple d’un appel, voir Nash, « Mujeres Libres, » 186–87.

[23] Poch y Gascón, La vida sexual, 10–26.

[24] Voir Alcalde, 122–40; and Nash, « Mujeres Libres, » 76–78.

[25] Nash, « Mujeres Libres, » 86, 96, 205–6.

[26] Voir Alcalde, 142–43; « Estatutos de la Agrupación Mujeres Antifascistas, » Bernacalep, 26 Mai 1938 (document de Archivo de Servicios Documentales, Salamanca, Spain, Sección político-social de Madrid, Carpeta 159, Legajo 1520); et Mary Nash, « La mujer en las organisaciones de izquierda en España, 1931–1939 » (Ph.D. diss., Universidad de Barcelona, 1977); chap. 9. Des parallèles avec l’expérience de femmes aux Etats-Unis et ailleurs en occident, durant la première et seconde guerre mondiale sont, bien sûr, évidents. Des expériences semblables dans la période contemporaine ont convaincu beaucoup de femmes de la nécessité d’organisations séparées consacrées à l’émancipation des femmes, qui ne subordonneront pas les besoins des femmes à ceux des hommes avec lesquels elles sont probablement engagées dans une lutte commune. Voir, par exemple, Margaret Cerrullo, « Autonomy and the Limits of Organisation: A Socialist-Feminist Response to Harry Boyte, » Socialist Review 9 (janvier-février 1979): 91–101; Sara Evans, Personal Politics: The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left (New York: Alfred A. Knopf, 1979); et Ellen Kay Trimberger, « Women in the Old and New Left: The Evolution of a Politics of Personal Life, » Feminist Studies 5 (automne 1979): 432–50.

[27] Cité dans Alcalde, 154.

[28] A cet égard, la position de Mujeres Libres semble se faire l’exact écho de celle du mouvement anarchiste sur la révolution sociale et la guerre en général : Les anarchistes étaient en désaccord avec le parti communiste, par exemple, en insistant sur le fait que les avantages sociaux révolutionnaires ne devaient pas attendre la fin de la guerre civile pour être appliqués.

[29] NDT capacitación traduit en anglais ici par « Capacitation » qui selon la note de l’auteure : « n’est de toute évidence pas un terme anglais courant. Il prend le sens de développement d’un potentiel traduit par le mot espagnol. Empowerment est une autre traduction possible. »

[30] Ilse, « La doble lucha de la mujer, » Mujeres Libres, 8 mes de la Revolución, cité dans Nash, « The Debate over Feminism in the Spanish Anarchist Movement, » MS, Universidad de Barcelona, 1980.

[31] Breines, 496–97, 504.

[32] Voir, par exemple, Evans, dont s’inspire Breines; également William Chafe, Women and Equality (New York: Oxford University Press, 1977); et Frances Fox Piven and Richard A. Cloward, Poor People’s Movements (New York: Vintage Books, 1979).

[33] Estelle Freedman, Separatism as Strategy: Female Institution Building and American Feminism, 1870–1930, » Feminist Studies 5 (automne 1979): 514–15, 524–26.

[34] Pour des détails sur l’évolution dans les premiers temps de Mujeres Libres voir Nash, « Mujeres Libres, » 12–16; Temma Kaplan, « Spanish Anarchism and Women’s Liberation, » Journal of Contemporary History 6 (1971): 101–10; et Kaplan, « Other Scenarios: Women and Spanish Anarchism, » dans Becoming Visible: Women in European History, ed. Claudia R. Koonz and Renate Bridenthal (New York: Houghton Mifflin, 1977), 400–422.

[35] Soledad Estorach, interview, Paris, 6 Jan. 1982. Le terme compañerita est le diminutif de compañera, signifiant « camarade », ou « compagne ». Dans ce contexte, il démontre une attitude condescendante de la part de l’homme.

[36] Cité dans Nash, « Mujeres Libres, » 101.

[37] Azucena (Fernandez Saavedra) Barba, interview, Perpignan, France, 27 Dec. 1981.

[38] Mercedes Comaposada, interview, Paris, 5 Jan. 1982.

[39] Kathryn Pyne (Parsons) Addelson a trouvé des modèles semblables dans son étude, par exemple, sur une organisation « marxiste-léniniste » de Chicago, Rising Up Angry. Voir également Evans; Trimberger; and Jane Alpert, Growing Up Underground (New York: Morrow, 1981).

[40] Le « mouvement libertaire » était un autre nom, plus général, du mouvement anarcho-syndicaliste. Le terme devint d’usage courant en 1937 et 38 seulement. Le mouvement plus large comprenait en son sein la CNT (confédération syndicale anarcho-syndicaliste), la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), et la FIJL (Federación Ibérica de Juventudes Libertarias – Fédération Ibérique de la Jeunesse Libertaire)

[41] Nash, « Mujeres Libres, » 19.

[42] Sur la question de la diversité au sein du mouvement des femmes contemporains, voir particulièrement Audre Lorde, « Age, Race, Class, and Sex: Women Redefining Difference, » et « The Uses of Anger: Women Responding to Racism, » dans Sister Outsider (Trumansburg, N.Y.: Crossing Press, 1984).

[43] Voir Nash, Mujer y movimiento obrero en España, 1931–1939 (Barcelona: Editorial Fontamara, 1981), particulièrement les pages 99–106; et les interviews avec des membres de Mujeres Libres.

[44] Il faut remarquer que le mouvement anarchiste espagnol ne s’est jamais libéré de ce qu’on pourrait appeler le « fétichisme organisationnel ». Le mouvement a souvent été écartelé par des controverses ces derniers temps et continue à l’être aujourd’hui. La préoccupation de la « loyauté organisationnelle » ne s’exprimait pas uniquement dans l’opposition à Mujeres Libres. Je voudrais remercier Paul Mattick, Molly Nolan, et les autres participant-es au Study Group on Women in Advanced Industrial Societies du Centre for European Studies, Harvard University, avec qui j’ai discuté de ces questions lors d’un séminaire le 9 Mai 1980.

[45] interview Comaposada.

[46] Je suis reconnaissante à Donna Divine pour m’avoir permis de clarifier ce point.

[47] Comparez avec les débats au sujet du black power aux Etats-Unis, particulièrement Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton, Black Power (New York: Random House, 1967); et Bayard Rustin, « Black Power and Coalition Politics, » Commentary 42 (Septembre 1966): 35–40.
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Béatrice » 12 Oct 2016, 18:21

vendredi 14 octobre 2016 à MARSEILLE à 19 h

Local de Solidaires, 29 bd Longchamp, 13001,

Projection-Débat
LIBERTARIAS, un film de Vicente Aranda, 1996
Ciné-Solidaires

Automne 2016

Cycle Luttes des Classes et Progrès Social !

LIBERTARIAS,

" Nous portons dans nos cœurs un monde nouveau »

Un succès d’affluence en Espagne mais jamais diffusé dans les salles françaises.

L’action se déroule, en Catalogne, quelques semaines après l’échec du coup d’État franquiste du 18 juillet 1936. Dans une petite ville près de Barcelone, Maria, une bonne sœur, est forcée de quitter son couvent réquisitionné par les milices républicaines.
Elle se réfugie d’abord dans un bordel puis est recueillie par Pilar, une militante anarchiste e t féministe appartenant à l’organisation féminine libertaire Mujeres Libres
(« Femmes libres » en espagnol).
Avec leur groupe de combattantes libertaires, en majorité composé d’ouvrières du textile et de prostituées, elles rejoignent la Colonne Durruti et partent pour le front de l’Ebre. Peu à peu, Maria adopte les idées libertaires.
Si le film prend délibérément parti pour les femmes qui se battent à la fois pour la révolution sociale et pour leur émancipation spécifique, il ne fait pas l’impasse sur les questions qui dérangent.
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
Louise Michel
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede bipbip » 13 Jan 2017, 19:55

Mémoire des luttes : Femmes libres contre machisme libertaire

Organisation féministe fondée un peu avant la guerre d’Espagne, les Mujeres Libres ont contribué au combat libertaire, mais aussi mis en avant la lutte pour la place des femmes dans la société et dans le monde militant. Un combat encore actuel.

Des Mujeres Libres, on sait souvent certaines choses. Que cette organisation qui revendiquait dans son nom même la liberté des femmes exista dans un contexte révolutionnaire et de guerre civile, en Espagne, ­entre 1936 et 1939. Qu’elle était autogestionnaire et fédéraliste. Que ses militantes furent nombreuses (20 000 en juillet 1937). Qu’elles s’adressaient à la classe ouvrière et en étaient souvent issues. Qu’elles s’exprimaient sur des sujets aussi divers que les conditions de travail et les salaires, la grossesse, le plaisir féminin, la structure familiale. ­Qu’elles refusèrent de s’allier avec les féministes communistes, mais ne trouvait que peu d’appui également chez les libertaires. Qu’elles considérèrent ­l’éducation des femmes comme un outil indispensable de leur émancipation. Qu’ainsi, elles assurèrent des formations techniques, générales et militantes pour les femmes. Surtout, ­qu’elles avaient la volonté d’articuler classe et genre pour ­contrer les féministes bourgeoises de ­l’époque.

On sait parfois aussi, mais pas toujours, que c’est en premier lieu face à leur organisation libertaire, la CNT, qu’elles se dressèrent. En particulier, c’est à cause des pratiques de certains militants qu’elles voulurent créer cet espace militant réservé aux femmes (on dirait aujourd’hui non mixte).

La CNT prônait l’égalité des sexes et de nombreuses femmes s’y syndiquaient. Certaines y avaient même des responsabilités. Les idées de Proudhon, qui voulait laisser les femmes à la cuisine, étaient rejetées. Mais l’écart entre la théorie et les pratiques des militants était trop important.

Compagne laissée à son rôle traditionnel

Ainsi, une militante, Pepita Carpena, rapporte : « Il y avait alors beaucoup de machisme chez les hommes en général. Les copains de la CNT, eux, acceptaient volontiers qu’une femme vienne au syndicat. (…) Le problème des féministes de la CNT s’est posé au contact du militantisme : elles se sont aperçues que ces hommes qui étaient libertaires l’étaient un peu moins quand ils étaient dans leur foyer. Ils ne le faisaient pas exprès. Ils avaient été élevés comme ça et n’en avaient pas conscience. » D’après ce témoignage, il s’agissait moins d’un problème d’intégration au milieu militant que du rapport que les militants entretenaient avec les femmes de leur entourage.

La différence exercée entre la militante volontiers acceptée et la compagne laissée à son rôle traditionnel est explicitée dans ce témoignage : « Les copains étaient très contents d’avoir une compagne qui les comprenne, eux, en tant que militants, mais pas qu’elle soit militante. Ils pensaient toujours que les femmes n’en étaient pas capables, sauf quelques-unes. (…) Les hommes pensaient qu’elles ne comprenaient rien aux problèmes économiques et sociaux. La plupart, d’ailleurs, n’avaient pas de compagnes militantes. Ceux qui avaient des femmes militantes… eh bien, elles étaient là pour recevoir tous les copains qui arrivaient, faire la bouffe, faire les hôtesses. »

Ce fossé nie l’existence d’une cause commune à toutes les femmes ouvrières, militantes ou non : la nécessité d’une double émancipation. La résistance de beaucoup de militants aux pratiques féministes, malgré un discours progressiste (surtout par rapport au contexte) peut être expliquée de deux manières. Certains militants restaient enfermés dans une vision traditionnelle de la famille dans laquelle l’homme travaillait et la femme s’occupait du foyer, quand d’autres s’attachaient à l’idée selon laquelle ce que l’on nomme aujourd’hui patriarcat [1] disparaîtrait avec le capitalisme.

Lucia Sanchez-Saornil [2] , future cofondatrice de Mujeres Libres, combattit ces deux conceptions. Militante de la CNT depuis le début des années 1920, elle publia en 1935 plusieurs articles dénommés « La question des femmes dans nos milieux » dans le journal Solidaridad Obrera, qu’il faut relire aujourd’hui. En réponse à son camarade Mariano Vazquez qui avait écrit sur « la question féminine », elle note : « L’anarchiste (…) qui demande à sa femme sa collaboration pour la tâche de subversion sociale doit commencer par reconnaître en elle son égale, avec toutes les prérogatives de l’individualité. »

Il n’est ainsi pas question d’attendre la fin du capitalisme pour accorder les mêmes droits aux femmes : elle doit pouvoir les prendre dès à présent. En fait, alors que certains militants souhaitaient que les femmes rejoignent leur lutte afin d’augmenter la force de l’organisation, c’est d’abord l’éducation des femmes que demande Lucia Sanchez-Saornil. Elle continue ainsi : « Je me suis proposée d’ouvrir pour la femme les perspectives de notre révolution, en lui offrant les éléments pour qu’elle se forme une mentalité libre, capable de discerner par elle-même le faux du vrai, le politique du social. Car je crois qu’avant de l’organiser dans les syndicats – sans pour autant que je dédaigne ce travail – il est plus urgent de la mettre en condition de comprendre la nécessité de cette organisation. »

Un groupe exclusivement féminin

Ce débat était difficile car les résistances étaient bien présentes, mais il ne faut pas négliger également le fait que beaucoup de militants considéraient simplement ces questions comme secondaires. C’est peut-être finalement pour cette raison que Sanchez-Saornil conclut sa série d’articles par l’annonce de la création d’un « organe indépendant ». Les Mujeres Libres se sont donc constituées en groupe exclusivement féminin non seulement pour pouvoir construire une réflexion spécifique à ce que l’on appelait « condition féminine » et réaliser un véritable travail d’éducation des femmes, mais aussi parce que les questions féministes n’avaient pas d’espace d’expression suffisant pour permettre de les poser de manière urgente dans le milieu libertaire.

Les Mujeres Libres avaient ainsi exposé cette idée fondamentale qui veut que, comme on ne peut pas construire une société libertaire au sein d’une organisation autoritaire, on ne peut construire une société où l’égalité des sexes serait la norme au sein d’une organisation machiste.

Lucia Sanchez Saornil exprimait dès 1935 la responsabilité des militants face au sexisme : « Hors de nos milieux (…), il est très compréhensible, très excusable et même si l’on veut très humain que, tout comme le bourgeois défend sa position et son privilège de commandement, l’homme désire conserver son hégémonie et se sente satisfait d’avoir un esclave. Mais moi (…), je parlais pour les anarchistes exclusivement, pour l’homme conscient, pour celui qui, ennemi de toutes les tyrannies, est obligé, s’il veut être conséquent, d’extirper de lui, dès qu’il le sent poindre, tout reste de despotisme. »

Adèle (AL Montreuil)


[1] Le patriarcat est le système d’exploitation des femmes.

[2] Les citations de Lucia Sanchez-Saornil ont été recueillies grâce à l’ouvrage de Guillaume Goutte, Lucia Sanchez-Saornil – Poétesse, anarchiste et féministe.

http://www.alternativelibertaire.org/?M ... mes-libres
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 29 Jan 2017, 03:13

Lucia Sanchez Saornil, “La question de la femmes parmi nos rangs”

La question du féminisme

Texte original : The Question of Feminism Lucia Sanchez Saornil

L’extrait suivant a été traduit de l’espagnol en anglais par Paul Sharkey, à partir de l’article de Lucia Sanchez Saornil, “La question de la femmes parmi nos rangs” publié, à l’origine, dans le journal de la CNT, Solidaridad Obrera, en septembre-octobre 1935

* * *

Il ne suffit pas de dire : “Nous devons cibler les femmes à travers notre propagande et les attirer dans nos rangs”; nous devons aller plus loin , beaucoup plus loin que cela. La grande majorité des camarades masculins — à l’exception d’une demie douzaine d’entre eux bien pensants — ont l’esprit infecté par les idées reçues bourgeoises les plus courantes. Même si ils pestent contre la propriété, ils ont foncièrement l’esprit de propriété. Même si ils fulminent contre l’esclavage, ils sont les plus cruels des « maîtres ». Même si ils déversent leur fureur contre le monopole, ils sont les monopolistes les plus purs et durs. Et tout cela provient de l’idée la plus fausse que l’humanité ait jamais réussi à concevoir. La prétendue « infériorité de la femme ». Une idée erronée qui est susceptible d’avoir retardé l’évolution de la civilisation pendant des siècles.

L’esclave le plus modeste, une fois franchi le seuil de sa maison, devient seigneur et maître. Son moindre caprice devient un ordre catégorique pour les femmes de son foyer. Lui qui, dix minutes plus tôt seulement, devait avaler la pilule amère de l’humiliation bourgeoise, se dresse comme un tyran et fait avaler à ces malheureuses créatures l’amère pilule de leur prétendue infériorité…

De temps à autre, j’ai eu l’occasion d’engager la conversation avec un camarade masculin qui m’était apparue comme plutôt sensible et que j’avais entendu souligner le besoin d’une présence féminine dans notre mouvement. Un jour, il y avait une conférence au Centre et je lui ai demandé :

“Et ta partenaire? Comment se fait-il qu’elle n’assiste pas à la conférence?” Sa réponse me laissa sans voix.

“Elle a assez à faire en s’occupant de mes enfants et de moi.”

En une autre occasion, j’étais dans les couloirs du tribunal. J’étais en compagnie d’un camarade qui détenait un poste de responsabilités. D’une des pièces est sortie une avocate, peut-être celle d’un prolétaire. Mon compagnon lui jeta un long regard oblique et marmonna, un sourire narquois aux lèvres: “ J’enverrais balader des gens de cette sorte.”

Ces deux épisodes, en apparence si banale, en disent long sur une triste réalité.

Avant tout, ils nous disent que nous avons négligé quelque chose de très important: que, pendant que nous concentrions toute nos énergies dans le travail d’agitation, nous négligions l’aspect éducatif. Que notre propagande destinée à recruter des femmes ne devrait pas être dirigée vers les femmes mais vers nos camarades masculins. Que nous devrions commencer par bannir de leur esprit l’idée de supériorité. Que lorsque l’on dit que tous les êtres humains sont égaux, les « êtres humains » comprennent aussi les femmes, même si elles sont jusqu’au cou dans les travaux ménagers et entourées de casseroles et d’animaux domestiques. On doit leur dire que les femmes possèdent un intellect comme le leur et une vive sensibilité et une folle envie de progrès; qu’avant de mettre de l’ordre dans la société, ils devraient le faire dans leurs propres foyers; que ce qu’ils rêvent pour le futur – l’égalité et la justice – ils devraient le pratiquer ici et maintenant envers les membres de leurs propres familles; qu’il est absurde de demander à une femme de comprendre les problèmes auxquels est confrontée l’humanité si il ne l’autorise pas d’abord à regarder en elle-même, si il ne s’assure pas que la femme avec qui il partage sa vie est consciente de son individualité, si, en clair, il ne lui accorde pas avant tout le statut d’individu…

Il existe de nombreux camarades masculins qui souhaitent honnêtement voir les femmes apporter leur pierre à la lutte; mais ce désir ne provoque aucun changement dans leurs idées sur les femmes; ils cherchent leur coopération comme un moyen d’envisager la perspective de la victoire, comme une contribution stratégique, en fait, sans s’accorder un moment pour penser à l’autonomie des femmes ou sans cesser de se considérer comme le centre de l’univers…

Une certaine réunion syndicale de propagande, à laquelle je participais, est gravée dans ma mémoire. Elle avait lieu dans une petite ville de province. Avant que ne commence la réunion, j’avais été accostée par un camarade, un membre du plus important comité local… A travers son enthousiasme débordant au sujet de la « vocation sublime » de la femme, se distinguait, clair et précis, l’argument brut avancé par Oken — qu’il ne connaissait sans doute pas, mais avec qui il était relié par le lien invisible de l’atavisme — “La femme ne représente que le moyen, et non la fin de la nature. La nature n’a qu’une fin, qu’un objet : l’homme.”

…Il se plaignait au sujet de quelque chose qui était, autant que je pouvais le constater, les principaux motifs de satisfaction: Que les femmes avaient rompu avec la tradition qui les avait faite dépendante de l’homme et qu’elles intégraient le monde du travail à la recherche d’une indépendance économique. Cela le désolait et me réjouissait parce que je savais que le contact avec la rue et une activité sociale entraînerait un stimulus qui, ensuite, éveillerait la conscience de son individualité.

Sa récrimination avait été la récrimination universelle il y a quelques années de cela lorsque les femmes ont d’abord quitté la maison pour l’usine et l’atelier. Peut-on en déduire que cela a causé du tort à la cause du prolétariat? L’intégration des femmes à la force de travail, coïncidant avec l’introduction de la machine dans l’industrie, a seulement intensifié la concurrence parmi la main d’œuvre et a conduit à une baisse sensible des salaires.

Si l’on s’en tient à une vision superficielle, nous pourrions dire que les travailleurs masculins avaient raison. Mais si nous voulions creuser un peu et explorer le fond de la question, nous découvririons que l’issue aurait pu être très différente si les travailleurs ne s’étaient pas laissés égarer par leur hostilité envers les femmes, basée sur quelque prétendue infériorité féminine…

Le combat a été mené sur la base de cette prétendue infériorité, des taux de salaire inférieurs ont été tolérés et les femmes exclues des organisations de classe au motif que le travail salarié n’était pas la vocation de la femme et, c’est sur cette base que s’est construite une compétition déloyale entre les sexes. L’idée de la femme, comme surveillante de la machine, s’accordait bien avec l’idée que l’on se faisait de l’esprit féminin à l’époque et donc, ils commencèrent à employer des femmes qui, convaincues de l’idée colportée à travers les âges qu’elles étaient inférieures, n’ont pas tenté de fixer des limites aux abus capitalistes. Les hommes se sont trouvés relégués aux tâches les plus dures et les plus spécialisées.

Si, au lieu de se comporter ainsi, les ouvriers avaient fait un peu de place aux femmes, en les encourageant et en les mettant sur le même niveau qu’eux, en les acceptant dès le début dans les organisations de classe, imposant aux patrons des conditions égales pour les deux sexes, le résultat aurait été radicalement différent. Dans un premier temps, leur supériorité physique leur aurait donné la priorité face à un employeur, puisqu’il lui aurait coûté la même chose d’employer une personne plus faible qu’une forte, et pour les femmes, leur désir d’évolution aurait été éveillé et, unies aux hommes dans les organisations de classe, ensemble, ils auraient pu faire de plus grands et rapides progrès sur le chemin de la libération…

A l’heure actuelle, la théorie de l’infériorité intellectuelle des femmes a été rendue obsolète; un nombre important de femmes de toutes conditions sociales a fourni des preuves concrètes de la fausseté de ce dogme, disons, en démontrant l’excellent niveau de leurs talents dans tous les domaines de l’activité humaine…

Mais, alors que la route semblait se dégager, un nouveau dogme — cette fois avec un semblant de fondement scientifique — se dresse sur le chemin des femmes et érige de nouveaux remparts contre le progrès…

A la place du dogme de l’infériorité intellectuelle, nous avons maintenant celui de la différenciation sexuelle. Le point controversé n’est plus, comme il l’était un siècle auparavant, de savoir si la femme est supérieure ou inférieure; l’argument est qu’elle est différente. Il ne s’agit plus d’une question d’un cerveau plus ou moins lourd ou d’un volume plus ou moins grand mais plutôt d’organes spongieux, appelés glandes sécrétoires, qui attribuent un caractère spécifique à l’enfant, déterminant son sexe et, par conséquent, son rôle dans la société…

D’après la théorie de la différentiation, la femme n’est ni plus ni moins qu’un utérus tyrannique dont les influences néfastes se font sentir jusque dans les coins les plus reculés du cerveau; toute la vie psychique de la femme obéit à un processus biologique qui n’est que le processus de la gestation… La science a bidouillé les termes sans toucher à l’essence de cet axiome: “Naissance, gestation et mort.” La seule et unique perspective féministe.

Manifestement, on a tenté de formuler cette conclusion en l’enrobant d’éloges. “La vocation de la femme est la plus élaborée et la plus sublime que la nature puisse offrir,” nous dit-on; “elle est la mère, la guide, l’éducatrice de l’humanité du futur.” Mais le sens en est de diriger chacun de ses mouvements, sa vie entière, toute son éducation, vers ce seul objectif : le seul en cohérent avec sa nature, semble-t-il.

Nous avons donc maintenant les notions de féminité et de maternité réunies à nouveau. Parce qu’il apparaît que les sages n’ont pas trouvé un terrain d’entente; à travers les âges, l’usage a été un éloge mystique de la maternité; jusqu’ici, les louanges étaient réservées à la mère prolifique, celle qui donnait naissance aux héros, aux saints, aux rédempteurs ou aux tyrans; à partir de maintenant, elles seront réservées à la mère eugénique, la conceptrice, la femme enceinte, la mère biologique immaculée…

J’ai dit que nous avions les notions de féminité et de maternité réunies, mais j’avais tort; nous avons d’ores et déjà quelque chose de pire: la notion de maternité éclipsant celle de féminité, la fonction annihilant l’individu.

On pourrait dire que, à travers les différentes époques, le monde masculin a oscillé, dans ses rapports avec les femmes, entre les deux notions extrêmes de la putain et de la mère, entre l’abject et le sublime, sans s’arrêter à l’aspect strictement humain: la femme. La femme en tant que individu, rationnelle, douée de pensée, autonome…

La mère est le produit de la réaction masculine brutale contre la putain, qu’il voit en chaque femme. C’est la déification de l’utérus qui l’a hébergé.

Mais — et ne soyons pas scandalisés, parce que nous sommes entre anarchistes et notre engagement fondamental est d’appeler les choses par leur nom et de mettre à bas les idées erronées, aussi prestigieuses soient-elles — la mère comme atout pour la société n’a donc été que la manifestation d’un instinct, un instinct tout ce qu’il y a de plus virulent parce que la vie de la femme y a été réduit pendant des années; mais un instinct, malgré tout, à l’exception de quelques femmes supérieures qui ont acquis le statut de sentiment.

La femme, au contraire, est un individu, une créature pensante, une entité plus complexe. En se focalisant sur la mère, on cherche à bannir la femme alors que l’on pourrait avoir la femme et la mère, parce que la féminité n’exclut jamais la maternité.

Vous regardez de haut la femme comme un facteur déterminatif de la société, lui assignant le statut de facteur passif. Vous regardez de haut la contribution directe d’une femme intelligente, lui préférant celle peut-être inepte d’un homme. Je le répète : nous devons appeler les choses par leurs noms. Les femmes sont des femmes avant tout. C’est seulement si elles sont des femmes que vous aurez les mères dont vous avez besoin.

Ce que je trouve choquant, c’est que des camarades masculins, qui se définissent comme anarchistes, peut-être éblouis par le principe scientifique sur lequel le nouveau dogme prétend reposer, sont capables de le défendre. A leur vue, je suis assaillie par ce doute: si ils sont anarchistes, ils ne peuvent pas être sérieux, et si ils sont sérieux, ils ne peuvent pas être anarchistes.

Selon la théorie de la différentiation, la mère est l’équivalent de l’ouvrier. Pour un anarchiste, un ouvrier est avant tout un homme, et avant tout, la mère devrait être une femme. (Je parle au sens générique). Parce que, pour un anarchiste, l’individu vient avant tout…

Cela est peut-être regrettable mais les campagnes pour une plus grande liberté sexuelle n’ont pas toujours été correctement comprises par nos jeunes camarades masculins, et, en de nombreuses occasions, ils ont attiré dans nos rangs un grand nombres de jeunes des deux sexes, qui se désintéressent totalement des questions sociales, et qui sont juste à l’affût d’aventures amoureuses. Il y en a certains qui ont interprété la liberté comme une invitation à l’excès et qui regarde chaque femme qui passe comme une cible pour leurs appétits…

Dans nos centres, rarement fréquentés par les jeunes femmes, j’ai remarqué que les conversations entre les sexes ne tournent jamais autour d’une question, encore moins d’un sujet lié au travail; du moment où un jeune rencontre quelqu’un du sexe opposé, la question sexuelle les ensorcelle et l’amour libre semble être le seul sujet de conversation. Et j’ai constaté deux types de réponses féminines à cela. L’une, reddition instantanée à la suggestion; dans ce cas, il ne faut pas longtemps pour que la femme se retrouve le jouet des caprices masculins et perde complètement toute conscience sociale. L’autre est le désenchantement: de sorte que la femme qui est arrivée avec des ambitions et des aspirations élevées, s’éloigne, désappointée et finit par quitter nos rangs. Seules, quelques femmes de caractère, qui ont appris à mesurer la valeur des choses par elles-mêmes, parviennent à surmonter cela.

Quant à la réponse des hommes, elle est toujours la même, malgré son éducation sexuelle tant vantée, et cela est évident lorsque, dans ses différents démêlés amoureux avec la femme qu’il considère comme une « camarade », la figure du Don Juan se transforme en Othello, et la femme- sinon le couple – est perdue pour le mouvement…

Mon opinion réfléchie, en définitif, est que la résolution de ce problème dépend uniquement de celle de la question économique. De la révolution. Et de rien d’autre. Tout autre chose signifierait nommer le même vieil esclavage par un nouveau nom.


https://racinesetbranches.wordpress.com ... z-saornil/
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 12 Fév 2017, 23:32

Mémoire des luttes : Femmes libres contre machisme libertaire

Organisation féministe fondée un peu avant la guerre d’Espagne, les Mujeres Libres ont contribué au combat libertaire, mais aussi mis en avant la lutte pour la place des femmes dans la société et dans le monde militant. Un combat encore actuel.

Des Mujeres Libres, on sait souvent certaines choses. Que cette organisation qui revendiquait dans son nom même la liberté des femmes exista dans un contexte révolutionnaire et de guerre civile, en Espagne, ­entre 1936 et 1939. Qu’elle était autogestionnaire et fédéraliste. Que ses militantes furent nombreuses (20 000 en juillet 1937). Qu’elles s’adressaient à la classe ouvrière et en étaient souvent issues. Qu’elles s’exprimaient sur des sujets aussi divers que les conditions de travail et les salaires, la grossesse, le plaisir féminin, la structure familiale. ­Qu’elles refusèrent de s’allier avec les féministes communistes, mais ne trouvait que peu d’appui également chez les libertaires. Qu’elles considérèrent ­l’éducation des femmes comme un outil indispensable de leur émancipation. Qu’ainsi, elles assurèrent des formations techniques, générales et militantes pour les femmes. Surtout, ­qu’elles avaient la volonté d’articuler classe et genre pour ­contrer les féministes bourgeoises de ­l’époque.

On sait parfois aussi, mais pas toujours, que c’est en premier lieu face à leur organisation libertaire, la CNT, qu’elles se dressèrent. En particulier, c’est à cause des pratiques de certains militants qu’elles voulurent créer cet espace militant réservé aux femmes (on dirait aujourd’hui non mixte).

La CNT prônait l’égalité des sexes et de nombreuses femmes s’y syndiquaient. Certaines y avaient même des responsabilités. Les idées de Proudhon, qui voulait laisser les femmes à la cuisine, étaient rejetées. Mais l’écart entre la théorie et les pratiques des militants était trop important.

Compagne laissée à son rôle traditionnel

Ainsi, une militante, Pepita Carpena, rapporte : « Il y avait alors beaucoup de machisme chez les hommes en général. Les copains de la CNT, eux, acceptaient volontiers qu’une femme vienne au syndicat. (…) Le problème des féministes de la CNT s’est posé au contact du militantisme : elles se sont aperçues que ces hommes qui étaient libertaires l’étaient un peu moins quand ils étaient dans leur foyer. Ils ne le faisaient pas exprès. Ils avaient été élevés comme ça et n’en avaient pas conscience. » D’après ce témoignage, il s’agissait moins d’un problème d’intégration au milieu militant que du rapport que les militants entretenaient avec les femmes de leur entourage.

La différence exercée entre la militante volontiers acceptée et la compagne laissée à son rôle traditionnel est explicitée dans ce témoignage : « Les copains étaient très contents d’avoir une compagne qui les comprenne, eux, en tant que militants, mais pas qu’elle soit militante. Ils pensaient toujours que les femmes n’en étaient pas capables, sauf quelques-unes. (…) Les hommes pensaient qu’elles ne comprenaient rien aux problèmes économiques et sociaux. La plupart, d’ailleurs, n’avaient pas de compagnes militantes. Ceux qui avaient des femmes militantes… eh bien, elles étaient là pour recevoir tous les copains qui arrivaient, faire la bouffe, faire les hôtesses. »

Ce fossé nie l’existence d’une cause commune à toutes les femmes ouvrières, militantes ou non : la nécessité d’une double émancipation. La résistance de beaucoup de militants aux pratiques féministes, malgré un discours progressiste (surtout par rapport au contexte) peut être expliquée de deux manières. Certains militants restaient enfermés dans une vision traditionnelle de la famille dans laquelle l’homme travaillait et la femme s’occupait du foyer, quand d’autres s’attachaient à l’idée selon laquelle ce que l’on nomme aujourd’hui patriarcat [1] disparaîtrait avec le capitalisme.

Lucia Sanchez-Saornil [2] , future cofondatrice de Mujeres Libres, combattit ces deux conceptions. Militante de la CNT depuis le début des années 1920, elle publia en 1935 plusieurs articles dénommés « La question des femmes dans nos milieux » dans le journal Solidaridad Obrera, qu’il faut relire aujourd’hui. En réponse à son camarade Mariano Vazquez qui avait écrit sur « la question féminine », elle note : « L’anarchiste (…) qui demande à sa femme sa collaboration pour la tâche de subversion sociale doit commencer par reconnaître en elle son égale, avec toutes les prérogatives de l’individualité. »

Il n’est ainsi pas question d’attendre la fin du capitalisme pour accorder les mêmes droits aux femmes : elle doit pouvoir les prendre dès à présent. En fait, alors que certains militants souhaitaient que les femmes rejoignent leur lutte afin d’augmenter la force de l’organisation, c’est d’abord l’éducation des femmes que demande Lucia Sanchez-Saornil. Elle continue ainsi : « Je me suis proposée d’ouvrir pour la femme les perspectives de notre révolution, en lui offrant les éléments pour qu’elle se forme une mentalité libre, capable de discerner par elle-même le faux du vrai, le politique du social. Car je crois qu’avant de l’organiser dans les syndicats – sans pour autant que je dédaigne ce travail – il est plus urgent de la mettre en condition de comprendre la nécessité de cette organisation. »

Un groupe exclusivement féminin

Ce débat était difficile car les résistances étaient bien présentes, mais il ne faut pas négliger également le fait que beaucoup de militants considéraient simplement ces questions comme secondaires. C’est peut-être finalement pour cette raison que Sanchez-Saornil conclut sa série d’articles par l’annonce de la création d’un « organe indépendant ». Les Mujeres Libres se sont donc constituées en groupe exclusivement féminin non seulement pour pouvoir construire une réflexion spécifique à ce que l’on appelait « condition féminine » et réaliser un véritable travail d’éducation des femmes, mais aussi parce que les questions féministes n’avaient pas d’espace d’expression suffisant pour permettre de les poser de manière urgente dans le milieu libertaire.

Les Mujeres Libres avaient ainsi exposé cette idée fondamentale qui veut que, comme on ne peut pas construire une société libertaire au sein d’une organisation autoritaire, on ne peut construire une société où l’égalité des sexes serait la norme au sein d’une organisation machiste.

Lucia Sanchez Saornil exprimait dès 1935 la responsabilité des militants face au sexisme : « Hors de nos milieux (…), il est très compréhensible, très excusable et même si l’on veut très humain que, tout comme le bourgeois défend sa position et son privilège de commandement, l’homme désire conserver son hégémonie et se sente satisfait d’avoir un esclave. Mais moi (…), je parlais pour les anarchistes exclusivement, pour l’homme conscient, pour celui qui, ennemi de toutes les tyrannies, est obligé, s’il veut être conséquent, d’extirper de lui, dès qu’il le sent poindre, tout reste de despotisme. »

Adèle (AL Montreuil)


[1] Le patriarcat est le système d’exploitation des femmes.

[2] Les citations de Lucia Sanchez-Saornil ont été recueillies grâce à l’ouvrage de Guillaume Goutte, Lucia Sanchez-Saornil – Poétesse, anarchiste et féministe.


http://alternativelibertaire.org/?Memoi ... mes-libres
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 15 Fév 2017, 02:42

Toulouse, samedi 18 février 2017

Une journée autour des Mujeres Libres et des Femmes en/et Révolution

Au Bar des Farfadet-tes en Pays Cathare (ancien amical bar)
19 bis Faubourg Bonnefoy, Toulouse

Image

=> Ouverture des portes à 14heures : présence du Kiosk, du CTDEE (Centre toulousain de documentation sur l'exil espagnol), de la librairie itinérante Amalante ...

=> 17heures, projection du film Indomptables (Indomables, una historia de mujeres libres) ;

=> vers 18h15, on enchaîne avec une AG/débat autour du thème "Femmes et Révolution";

=> 19h30, concert d'El Comunero.

Entrée Libre.

https://toulouse.demosphere.eu/rv/14677
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 04 Mar 2017, 11:40

Toulouse mardi 7 mars 2017

Projection-débat - Indomptables. Une histoire de femmes libres

à 20h, Espace JOB, 105 route de Blagnac, Quartier Sept Deniers, 31200 TOULOUSE

DEBATS DE JOB
Dans le cadre de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes

Avec Gaëlle Maugendre
Auteure de :
Les réfugiées espagnoles en France (1939-1942) : Des femmes entre assujettissements et résistances.

Réservations conseillées au 05 31 22 98 72

Entrée gratuite

Image

En plein mois de Mai 1936, naît le premier numéro de la revue « Mujeres Libres ». Un an plus tard, en Août 1937, le premier congrès de la Fédération Nationale des Femmes Libres se déroule à Valence. Cette organisation féministe d'obédience anarchiste voulait que les femmes se libèrent elles-mêmes du cruel esclavage de l'ignorance.
Oubliée même par leurs propres camarades, « Mujeres Libres » compta jusqu'à 20 000 adhérentes. Le tourbillon de la guerre les empêcha de développer leur programme en « paix », mais rien ni personne ne put empêcher que germe la graine qu'elles portaient au plus profond d'elles-mêmes.
Ce travail cherche à sortir ces femmes de l'oubli, à dénoncer l'invisibilité à laquelle sont soumises, non seulement « Mujeres Libres », mais aussi les femmes et les groupes de femmes qui, par cohérence, mènent jusqu'au bout leur dissidence et restent à la marge de structures préétablies. »

Titre original :
Indomables. Una historia de mujeres libres
Version originale sous-titrée en français
Durée : 62 minutes
Réalisateur : Juan Felipe
Produit par : ZerikusiA et la CGT Euskadi

https://toulouse.demosphere.eu/rv/14774
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede bipbip » 09 Mar 2017, 14:13

Gracia Ventura
Gracia Ventura : mort d’une femme libre

Rafa Maestre, de la Fondation Salvador-Seguí, a annoncé la triste nouvelle : Gracia Ventura est décédée le 4 mars dernier. Celle qui fut la compagne de José Peirats était née à Borriana (province de Castellón) le 27 mars 1918. Elle n’aimait pas l’école où l’enseignement se faisait en castillan, car elle s’exprimait en valencien. Ce fut donc son père, bien qu’à demi analphabète, qui lui apprit à lire à partir des lettres figurant sur un paquet de tabac.
Elle commence à travailler à l’âge de dix ans chez un tailleur, et adhère rapidement aux Jeunesses libertaires. Quand les fascistes entrent dans Borriana, en 1938, elle et toute sa famille sont arrêtées. Elle est condamnée à vingt ans de prison et est transférée, avec sa mère âgée de soixante ans et ses sœurs, à la prison pour femmes de Saturrarán (province de Guipúzcoa). Elle sera finalement libérée en 1944. Elle part alors à Valence où elle trouve un emploi de domestique, puis à Barcelone où elle travaille comme couturière.
Elle finit par fuir l’Espagne en s’exilant en France et travaille comme modiste à Paris. En 1954 elle rencontre à Toulouse José Peirats avec qui restera unie jusqu’à la mort de celui-ci en 1989. Dans les années 60 elle rejoint le groupement Mujeres libres (Femmes libres) en exil, et participe à la revue du même nom éditée à Montady (Hérault) dans la maison de Sara Berenguer.
En 1977, elle retourne en Espagne en s’installant à Vall d’Uxió (ville natale de José Peirats). À la mort de ce dernier elle part vivre à Barxeta (province de Valence). Autodidacte et grande lectrice, elle collabore à diverses publications comme la revue d’Alcoy (province d’Alicante) Siembra (« Semence ») de l’association culturelle Anselmo-Lorenzo.
Sa maison fut toujours ouverte pour accueillir tant les compagnes et compagnons que les personnes faisant des recherches concernant José Peirats. Selon la formule espagnole : « Que la terre lui soit légère. »

Traduction : Ramón Pino (groupe anarchiste Salvador-Seguí).

https://florealanar.wordpress.com/2017/ ... mme-libre/
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 23 Mar 2017, 23:26

Périgueux, 24 et 25 mars 2017

Deux soirées sur l'organisation féministe et prolétarienne autonome Mujeres Libres pendant la révolution espagnole.

Vendredi 24 mars, 20h : Projection du film Libertarias et discussion autour du film.

Samedi 25 mars, 20h : Projection du documentaire De toda la vida et discussion sur Mujeres Libres et le féminisme.

Programme et présentation complète ici :
https://lesymbiote.noblogs.org/luttes-d ... 1936-1939/

Le collectif féministe Les Ronces (https://lesronces.wordpress.com) sera présent pour participer à l'animation des discussions et présenter ses activités.

Organisé par le Symbiote : https://lesymbiote.noblogs.org

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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede bipbip » 27 Mar 2017, 11:14

Nantes mercredi 29 mars 2017

Projection-débat sur la guerre d'Espagne : Libertarias

à 19h30, B17, 17 rue Paul Bellamy, 44000 Nantes

Image


Dans le cadre du cycle de projections-débats sur les luttes armées révolutionnaires, le groupe anarchiste des Bons-Enfants vous invite à une projection-débat autour du film «Libertarias» de Vicente Aranda.

La projection aura lieu au local B17, au fond de la 2e cour du 17, rue Paul Bellamy (Nantes), mercredi 29 mars à 19h30. Un apéro-repas sera mis à disposition à prix libre.

Lien de l'événement sur notre site : https://bonsenfantsblog.wordpress.com/2 ... bertarias/

«Libertarias» est consacré à la guerre d'Espagne (1936-1939) et au rôle essentiel qu'ont joué les femmes libertaires -principalement organisées au sein de "Mujeres libres" - dans cette révolution. Le réalisateur raconte l'histoire d'un groupe de combattantes qui rejoignent la colonne Durutti et demandent à aller au front près de Saragosse pour empêcher l'avancée de troupes franquistes. Ces femmes luttent contre le fascisme et pour une révolution sociale qui ne peut se faire sans leur émancipation et l'égalité des sexes.

Vicente Aranda nous montre la hardiesse de ces femmes et la complexité de leurs combats pour défendre leurs places au front et lutter contre la machisme de certains militants. Il soulève également des questions concernant les exécutions, les destructions d'édifices et les stratégies militaires des révolutionnaires.

La projection de ce film rentre dans le cadre d'une série de projections autour des mouvements révolutionnaires armés organisée par le groupe des Bons-Enfants, ayant pour objectif de lancer une réflexion commune sur les luttes armées, leurs passés, leurs présents et leurs avenirs.

https://bonsenfantsblog.wordpress.com/
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 13 Mai 2017, 16:30

Paris 14 et 17 mai 2017

Dimanche 14 mai 2017

Projection et discussion « Libertarias »

Film de Vicente Aranda - 1996, VO sous-titrée français

Inspiré de l'histoire des Mujeres libres, combattantes anarchistes et féministes pendant la guerre d'Espagne.

à 16h30, Librairie du Monde libertaire - Publico, 145 rue Amelot, Paris 11e

Image

Si le film prend délibérément parti pour des femmes qui se battent contre le fascisme et pour la révolution sociale sans mettre de côté leur lutte pour l'égalité des sexes, il ne fait pas l'impasse sur les questions qui dérangent : exécutions sommaires de franquistes, machisme de certains militants révolutionnaires, place des femmes sur le front, autonomie des milices ouvrières et stratégie militaire…

Entrée libre
A l'invitation du groupe libertaire d'Ivry

La projection sera suivie d'une discussion.

http://www.librairie-publico.info/?p=2480



Mercredi 17 mai

Projection débat « De toda la vida »

Film de L. Berger et C. Mazer

à 20h, Librairie du Monde libertaire - Publico, 145 rue Amelot, Paris 11e

Image

Université populaire et libertaire du XIe arrdt

en présence d'Hélène Hernandez, Animatrice de l'émission « Femmes libres » sur Radio libertaire, 89.4,

Organisé par le groupe Commune de Paris de la Fédération Anarchiste

http://www.librairie-publico.info/?p=2503
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