Mujeres Libres, Espagne 36-39

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Messagede Béatrice » 28 Avr 2012, 11:43

"Femmes d'Espagne en lutte"de Sara Bérenguer

Samedi 5 mai 2012 à Marseille
Femmes d’Espagne en lutte, de Sara Berenguer
Causerie animée par Carmen et Germinal Guillen
samedi 28 avril 2012

popularité : 30%

à 17 h au local du Centre international de recherches sur l’anarchisme,
50 rue Consolat, 13001 Marseille

Image

Cet ouvrage est construit comme une galerie de portraits de femmes que Sara Berenguer a connues et côtoyées en Espagne, au moment de la guerre civile, ou en exil, où toutes ont mené, chacune à leur façon, le combat pour leur idéal.

Sara, sans qui la plupart de ces femmes seraient restées anonymes, contribue ainsi à l’histoire de l’Espagne et du mouvement libertaire, rapportant, grâce aux témoignages qu’elle a su solliciter, de grandes actions et des petits gestes tous essentiels, même si on ne sait pas toujours leur donner leur juste valeur, face au cours de l’Histoire. Sara Berenguer est née à Barcelone dans le quartier de Las Corts en 1919. Dès qu’éclate la révolution en juillet 1936, elle œuvre sans relâche pour « aider la révolution », s’engageant également dans la lutte pour l’émancipation des femmes, notamment au sein du groupe Mujeres libres. Toute sa vie est à la hauteur de cet engagement et elle ne cesse plus d’être, même dans l’exil, à Montady (Hérault), une militante anarchiste. Sa lutte prend différentes formes, notamment celle du témoignage et de l’écriture.

http://gimenologues.org/IMG/jpg/Sara_couv1-4-830e3.jpg

Femmes d’Espagne en lutte, le courage anonyme au quotidien de la guerre civile à l’exil, de Sara Berenguer, Atelier de création libertaire, 2011, 131 pages, 14 euros.

(Ce livre est disponible au CIRA)

http://gimenologues.org/spip.php?article539
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Louise Michel
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 19 Juil 2013, 23:24

23 juillet 2013 à Bagnolet (93)

Projection-débat de "Libertarias"
"Libertarias" est un film espagnol de Vicente Aranda (1996), consacré à l'Espagne de 1936 vue du point de vue d'un groupe de femmes libertaires de l'organisation des Mujeres Libres ("Femmes libres") et membres de la "Colonne Durruti". Un film jamais sorti en France.
Avec Ana Belén, Victoria Abril, Ariadna Gil...
Ensuite, discussion ouverte sur les thèmes abordés dans le film.

à 18h30, La Bouquinerie, bibliothèque autogéré, 135, avenue Pasteur, Bagnolet (93). M° Mairie-des-Lilas.
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 26 Nov 2013, 12:16

vendredi 29 novembre 2013 à 19h30

Les soirées vidéo de la librairie du Monde libertaire
145 rue Amelot, Paris 11ème

Projection de « Libertarias »
de Vicente Aranda (1996, VO sous-titrée français)

Inspiré de l’histoire des Mujeres libres, combattantes anarchistes et féministes pendant la guerre d’Espagne.

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Si le film prend délibérément parti pour des femmes qui se battent contre le fascisme et pour la révolution sociale sans mettre de côté leur lutte pour l’égalité des sexes, il ne fait pas l’impasse sur les questions qui dérangent : exécutions sommaires de franquistes, machisme de certains militants révolutionnaires, place des femmes sur le front, autonomie des milices ouvrières et stratégie militaire…

La projection sera suivie d’une discussion.
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Pïérô » 10 Mai 2014, 00:26

Jeudi 15 mai 2014, Grenoble

Le Ciné-club féministe présente : RévolutionnairES : Libertarias

à 20h, Antigone, café-bibliothèque, 22 rue des violettes, 38100 Grenoble

Soirée en non mixité femmes, lesbiennes, trans.
* 19h repas Végan à prix libre
* 20h Libertarias, un film de Vincente Aranda, 1996.

Film de fiction inspiré de l’histoire des Mujeres Libres, combattantes féministes et anarchistes pendant la révolution espagnole de 1936. Quelques semaines après l’échec du coup d’état franquiste du 18 juillet, Maria doit quitter son couvent, réquisitionné par les milices républicaines. Elle rejoint un groupe de combattantes libertaires, composé en majorité d’anciennes ouvrières du textile et d’anciennes prostituées. Ensemble, elles partent avec la colonne Durruti sur le front de l’Ebre. Elles y rêveront une société meilleure jusqu’à, pour certaines, en mourir. Et elles prendront part, chacune et ensemble, aux grandes problématiques de cette histoire : stratégies militaires et révolutionnaires, place des femmes au front, machisme des militants syndicalistes et libertaires, luttes féministes au sein de mouvement...

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Séparées et égales

Messagede digger » 11 Mai 2014, 07:28

Texte inédit traduit

"Séparées et égales" ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes

Martha A. Ackelsberg

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Texte original : [url]“Separate and equal”?: Mujeres Libres and anarchist strategy for women’s emancipation[/url] Martha A. Ackelsberg Feminist studies Vol. 11, No. 1 (Printemps 1985), pp. 63-83

L’insistance anarchiste à prétendre que les mouvements révolutionnaires ne peuvent se développer efficacement seulement si ils s’adressent aux réalités préçises de la vie des gens conduit logiquement à la conclusion qu’un mouvement réellement révolutionnaire doit s’accommoder de la diversité. Il doit être le reflet de la prise en compte des expériences de vie de celles et ceux qui y participent comme premier pas pour les engager dans un processus révolutionnaire. Le besoin est particulièrement capital, et les questions stratégiques particulièrement complexes, dans le cas des femmes dont les expériences de vie quotidienne dans de nombreuses sociétés ont été, et continuent d’être, différentes de celles des hommes.

Durant les premières années de ce siècle, les anarchistes espagnols – hommes et femmes – ont exprimé une vision d’une société non-hiérarchique, communautaire, dans laquelle les femmes et les hommes participeraient sur un pied d’égalité. Et cependant, dans l’Espagne pré-guerre civile, la plupart des femmes étaient loin d’être "prêtes" à une telle participation avec les hommes dans la lutte pour concrétiser cette vision. Même si le mouvement anarcho-syndicaliste organisé (la Confederación National del Trabajo -CNT) s’était orientée en priorité dans les luttes sur les lieux de travail, la majorité des femmes espagnoles n’étaient pas employées en usine. Beaucoup de celles qui occupaient un emploi salarié – la plupart dans l’industrie textile – travaillaient à domicile, payées à la pièce, et n’étaient pas syndiquées. Les femmes qui travaillaient et avaient des familles continuaient à exercer un "double emploi" comme femmes au foyer et mères. Les formes particulières de l’oppression des femmes en Espagne les maintenaient concrètement subordonnées aux hommes même au sein du mouvement révolutionnaire anarchiste.

Si les femmes voulaient participer activement à la lutte sociale révolutionnaire, cela demandait une "préparation" spéciale, une attention particulière aux réalités de leur subordination et de leurs expériences de vie particulières. En mai 1936,un groupe de femmes anarchistes fondèrent Mujeres Libres, la première organisation féministe autonome prolétarienne en Espagne, pour remplir précisément ce rôle. Son but était de mettre au fin au "triple esclavage des femmes, l’ignorance, le capital et les hommes.” Si quelques-unes des fondatrices exerçaient des professions libérales, la vaste majorité de ses membres (20 000 environ en juillet 1937) étaient issues des classes ouvrières. Les femmes de Mujeres Libres visaient à la fois à surmonter les obstacles de l’ignorance et de l’inexpérience qui les empêchaient de participer en tant que égales à la lutte pour une société meilleure, et à combattre la domination des hommes au sein même du mouvement anarchiste.

La majorité des anarchistes organisés étaient opposés à la lutte et à l’organisation séparés des femmes au nom d’un engagement dans l’action directe et à l’égalité. Mujeres Libres plaidait pour une lutte séparée sur la base d’une interprétation différente de ce même engagement. Les difficultés qu’elles rencontrèrent au sein du mouvement anarchiste illustrent à la fois le rôle problématique des femmes dans les mouvements révolutionnaires et la complexité de la prise en compte des expériences des femmes dans l’élaboration et la création d’une société nouvelle.

Les anarchistes promettent l’égalité. Cela signifie que les expériences d’un groupe ne peuvent pas être considérées comme normatives pour tous, et que, dans une société pleinement égalitaire, il ne peut pas exister d’institutions par le biais desquelles quelques individus exercent un pouvoir politique, social ou économique sur d’autres. Une telle société atteint une coordination à travers ce qu’un écrivain récent (*) appelé "l’ordre spontané" : les gens se rassemblent volontairement pour satisfaire des besoins mutuellement définis et coordonnent des activités à grande échelle par la fédération. [1]

Cette perspective anti-hiérarchique est lourde de conséquences pour la stratégie révolutionnaire.Les anarchistes soutiennent que l’action révolutionnaire et l’organisation doivent partir de réalités concrètes quotidiennes des gens et que le processus lui-même doit être transformatif . Un engagement envers l’égalité dans ce contexte implique que les expériences de divers groupes sont tous des points de départ valides pour l’action révolutionnaire et l’organisation.

En outre, les anarchistes insistent sur le fait que les moyens sont inséparables des fins. Les gens ne peuvent établir, et apprendre à vivre dans, une société non-hiérarchique seulement en s’engageant dans des formes d’actions révolutionnaires non-hiérarchiques et égalitaires. En s’opposant aux affirmations que la hiérarchie est indispensable à l’ordre, particulièrement dans une situation révolutionnaire, les anarchistes soutiennent que la coordination peut être accomplie soit à travers "la propagande par le fait", une action exemplaire qui suscite l’adhésion par le pouvoir de son exemple positif [2], ou à travers "l’organisation spontanée", qui implique que, à la fois, la forme et les objectifs d’une organisation sont décidés par les gens, dont ils expriment les besoins. [3]

Enfin, les anarchistes reconnaissent qu’il est difficile pour les gens dont les circonstances de vie leur ont refusé l’autonomie et les ont maintenus dans des situations de subordination, de se transformer en personnes indépendantes et ayant confiance en elles. Une "préparation" intensive pour une telle participation constitue une partie essentielle du processus de transformation personnelle, qui, elle-même, est un aspect du projet social révolutionnaire. Mais une telle préparation, si elle ne veut pas prendre une forme hiérarchique, ne peut se dérouler qu’à travers les expériences individuelles de formes nouvelles et variées d’organisation sociales. Le mouvement anarchiste espagnol a essayé de fournir l’opportunité de telles expériences. A travers la participation directe à des actions et des grèves, et à travers les connaissances enseignées dans des actions d’éducation informelles, les gens se "prépareraient" à des changements révolutionnaires plus profonds. Pour être efficaces, cependant, une telle préparation doit correspondre aux différentes expériences de vie des gens dont elle tente de répondre aux besoins.

Dans la guerre civile espagnole, les femmes constituaient un groupe spécial, avec des besoins spécifiques. Leur subordination – à la fois économique et culturelle – était beaucoup plus marquée que celle des hommes. Les taux d’illetrisme étaient plus élevés parmi les femmes que chez les hommes. Les femmes salariées étaient reléguées aux emplois les moins bien payés dans les conditions les plus difficiles. Les femmes et les hommes vivaient de manière très différentes. Comme un des ces femmes le raconte, “Je me souviens très précisément de comment cela se passait lorsque j’étais enfant: les hommes avaient honte d’être vus dans la rue avec des femmes!… Les hommes et les femmes vivaient des vies totalement séparées. Chacun était confiné dans une société presque exclusivement composée de son propre sexe.” [4]

Néanmoins, bien que ces différences auraient apporté la preuve glagrante de la nécessité pour l’organisation révolutionnaire de traiter la question de la subordination spécifique des femmes, une majorité du mouvement anarchiste a refusé de prendre en compte soit la spécificité de l’oppression des femmes ou la légitimité d‘une lutte séparée pour la surmonter. Seul Mujeres Libres a exprimé une perspective qui reconnaissait, et traitait, la particularité des expériences féminines.

Tout en étant engagés dans la création d’une société égalitaire, les anarchiste espagnols démontraient une attitude complexe envers la subordination des femmes. Certains prétendaient que celle-ci découlait de la division sexuelle du travail, de la “domestication” des femmes et de leur exclusion du salariat qui en résultait. [5] Pour surmonter cela, les femmes devraient rejoindre la main d’œuvre salariée comme ouvrières, parmi les hommes, et la lutte syndicale pour améliorer la condition de tous les ouvriers. D’autres insistaient sur le fait que la subordination des femmes était le résultat d’un vaste phénomène culturel, et reflétait la dévaluation des femmes et de leurs activités véhiculée par des institutions telles que la famille et l’église. Cette dévaluation prendrait fin en même temps que ces institutions, avec l’établissement d’une société anarchiste.

Mais la subordination des femmes restait, au mieux, une préoccupation périphérique du mouvement anarchiste dans son ensemble. La plupart des anarchistes refusaient de la reconnaître et peu d’hommes souhaitaient abandonner le pouvoir sur les femmes dont ils jouissaient depuis si longtemps. Comme le secrétaire national de la CNT l’écrivait en 1935, en réponse à une série d’ articles sur la question féminine : “Nous savons tous qu’il est plus agréable de commander que d’obéir…. Il se passe la même chose entre la femme et l’homme.L’homme est plus satisfait d’avoir une servante pour lui faire la cuisine et la lessive …. Voilà la réalité. Et, face à cela, c’est rêver que de demander aux hommes d’abandonner leurs privilèges” [6]

Certains, probablement représentatifs de la majorité au sein du mouvement, niaient que les femmes étaient opprimées d’une manière qui demandait une attention particulière. Federico Montseny, par exemple, l’anarchiste intellectuelle, qui servit plus tard comme ministre de la santé dans le gouvernement républicain pendant la guerre, admettait que "l’émancipation des femmes" était "un problème crucial du moment”. Elle insistait sur le fait que l’objectif approprié n’était pas l’accession des femmes à des positions actuellement détenues par des hommes mais la restructuration de la société qui libérerait tout le monde. “Féminisme? Jamais! Humanisme toujours!” [7]. Dans la mesure où elle reconnaissait une oppression spécifique des femmes, elle la concevait essentiellement en termes individualistes et soutenaient que tous les problèmes spécifiques qui existaient entre les hommes et les femmes avaient autant leur source dans leur "sous-développement" que dans la résistance aux changements des hommes et qu’ils ne pouvaient pas être résolus dans ou par une "lutte organisationnelle". [8]

Une petite minorité au sein du mouvement admettait que les femmes subissaient des formes spécifiques de subordination liées à leur sexe et demandant une attention particulière. Mais beaucoup d’entre eux insistaient sur le fait que la lutte pour surmonter cette subordination, que ce soit dans la société en général ou au sein du mouvement anarchiste, ne devait pas se dérouler dans des organisations séparées . Comme le déclarait une militante: “ Nous sommes engagés dans un travail de création d’une société nouvelle et ce travail doit être réalisé dans l’union. Nous devrions nous engager dans des luttes unitaires, avec les hommes, en luttant pour notre place, en demandant à être prises au sérieux” [9] Elles trouvaient une argumentation à leur position dans la perspective anarchiste de transformation sociale, particulièrement dans l’accent mis sur l’unité entre fins et moyens.

Ceux qui s’opposaient à des organisations autonomes de femmes soutenaient que l’anarchisme était incompatible non seulement avec des formes hiérarchiques d’organisation mais aussi avec une organisation indépendante qui pourrait nuire à l’unité du mouvement. Dans ce cas, puisque le but du mouvement anarchiste était la création d’une société égalitaire dans laquelle les femmes et les hommes agiraient en tant qu’égaux, la lutte pour la réaliser devrait impliquer les femmes et les hommes ensemble, comme partenaires sur un pied d’égalité. Ces anarchistes craignaient qu’une organisation consacrée spécifiquement à mettre un terme à la subordination des femmes mettrait plus l’accent sur les différences entre hommes et femmes que leurs ressemblances et rendrait plus difficile la réalisation de l’objectif égalitaire révolutionnaire. La stratégie consistant à baser l’organisation sur l’expérience vécue n’allait pas jusqu’au point de justifier une organisation indépendante centrée sur les besoins des femmes.

Pour résumer, bien que quelques groupes au sein du mouvement anarchiste organisé admettaient l oppression spécifique des femmes et le sexisme des hommes au sein du mouvement, les principales organisations anarchistes consacraient peu d’attention aux questions féminines, et niaient la légitimité d’organisations séparées pour traiter de ces questions. Ces femmes qui insistaient sur la spécificité de l’oppression des femmes et la nécessité d’une lutte séparée pour la surmonter, créèrent une organisation : Mujeres Libres.

On peut déceler les antécédents directs de Mujeres Libres aussi loin que 1934, lorsque des petits groupes de femmes anarchistes à Madrid et Barcelone (indépendamment les uns des autres) commencèrent à se préoccuper du nombre relativement peu élevé des femmes impliquées activement dans la CNT. Elles avaient remarqué, comme l’une l’a raconté, que :

"…les femmes venaient une fois à une réunion – elles pouvaient même adhérer – ou venait par exemple à une sortie du dimanche ou à un groupe de discussion – elles venaient une fois et puis on ne les voyait plus…. Même dans des industries où il y avait beaucoup d’ouvrières – le textile par exemple – peu de femmes prenaient la parole dans les réunions syndicales. Nous étions préoccupées par les femmes que nous perdions, alors nous avons réfléchi à la création d‘un groupe de femmes pour traiter de ces questions…. En 1935, nous avons lancé un appel à toutes les femmes du mouvement libertaire… tout en nous concentrant principalement sur les plus jeunes compañeras. Nous avons appelé notre groupe “Grupo cultural femenino, CNT.” [10]

A l’origine, ces groupes de femmes existaient plus ou moins au sein , ou ou moins sous les auspices, de la CNT. Leur but était de d’amener plus de femmes au militantisme à l’intérieur du mouvement anarchiste.
Mais peu de temps après, les femmes à Barcelone comme à Madrid (qui, fin 1935, étaient en contact les unes avec les autres) réalisèrent que développer le militantisme féminin était un processus complexe et qu’elles avaient besoin d’autonomie si elles voulaient atteindre les femmes qu’elles désiraient et de la manière dont elles le désiraient. En mai 1936, elles mirent en place Mujeres Libres.

Ses fondatrices soutenaient que les femmes devaient s’organiser indépendamment des hommes, à la fois pour surmonter leur subordination et pour lutter contre la résistance masculine à l’émancipation des femmes. Elles fondèrent leur programme sur les mêmes engagements d’action directe et de préparation qui caractérisaient le mouvement anarchiste espagnol dans son ensemble, et insistaient sur le fait que la préparation des femmes pour s’engager dans l’action révolutionnaire devait s’effectuer à partir de leurs expériences de vie spécifiques. Le processus exigeait à la fois que les femmes surmontent leurs subordination spécifique en tant que femmes et qu’elles acquièrent le savoir et la confiance en elles nécessaires à leur participation à la lutte révolutionnaire et à la remise en cause de la domination masculine de ces organisations qui ne prenaient pas leurs expériences au sérieux .

Emma Goldman avait affirmé, auparavant, que "la vraie émancipation ne commence ni dans les urnes ni dans les tribunaux. Elle commence dans l’esprit des femmes…. Son épanouissement, sa liberté, son indépendance doivent venir d’elle et à travers elle.” [11] Des commentateurs sur d’autres mouvements d’émancipation des femmes ont fait des déclarations similaires. Sheila Rowbotham, par exemple, a mis l’accent sur les manières avec lesquelles les mouvements socialistes et communistes ont continuellement subordonné les revendications des femmes. [12] Ellen DuBois considère la formation d’un mouvement indépendant des femmes pour le droit de vote comme un signe de "l’arrivée de l’âge" du féminisme aux États-Unis, marquant le point à partir duquel les femmes ont pris assez au sérieux la question de leur propre subordination pour lutter pour leurs droits. [13] Les femmes de Mujeres Libres ont agi dans une même idée d’évolution de la conscience. Selon une de ses membres, “Le secrétaire national de la CNT nous soutenait . Il nous a offert une fois tout l’argent et le soutien nécessaire – si nous étions d’accord pour fonctionner dans le cadre de la CNT. Mais nous avons refusé. Nous voulions que les femmes trouvent leur propre liberté.” [14]

Le souci d’indépendance des femme était si fort qu’il a même affecté le nom de l’organisation. Malgré le fait que la plupart de ses fondatrices avaient éveillé leur conscience politique à travers le mouvement anarcho-syndicaliste et se considéraient “libertaires,” elles ne prirent pas le nom de Mujeres Libertarias (Femmes Libertaires). A la place, elles choisirent Mujeres Libres (femmes libres), pour dire clairement qu’elles étaient libres vis à vis de toute participation institutionnel ou organisationnel, y compris avec la CNT.

A la fois la forme et le programme de l’organisation reflétait leur analyse de la subordination des femmes et de ce qu’il serait nécessaire pour la surmonter. En premier lieu, Mujeres Libres consacra la plus grande attention sur les problèmes intéressant les femmes au premier chef: l’illettrisme, la dépendance économique et l’exploitation, l’ignorance sur les questions de santé, le soin aux enfants et la sexualité. Ensuite, elles insistèrent sur le fait que l’engagement dans la lutte exigeait une transformation de l’idée de soi. Les femmes ne pouvaient développer et garder une telle évolution de la conscience que si elles agissaient indépendamment des hommes, dans une organisation destinée à protéger ces nouvelles conceptions de soi-même. Mujeres Libres a essayé d’être l’environnement pour le développement d’une telle transformation de la conscience. Enfin, elle croyaient qu’une organisation séparée et indépendante était essentielle pour remettre en cause le sexisme et la hiérarchie masculiniste de la CNT et du mouvement anarchiste dans son ensemble. En tant qu’organisation, Mujeres Libres releva ce défi.

L’organisation reconnaissaient trois sources différentes à la subordination des femmes: l’ignorance (illettrisme), l’exploitation économique,et la subordination aux hommes à l’intérieur de la famille. Bien que les déclarations officielles ne présentaient pas ces facteurs comme prioritaires, la plupart des activités de l’organisation se focalisait sur l’ignorance et l’exploitation économique. Dans un résumé révélateur de ses articles sur la "question féminine" dans Solidaridad Obrera en 1935, Lucía Sanchez Saornil, une fondatrice de Mujeres Libres, expliquait: “Très certainement, je crois que la seule solution aux problèmes sexuelles des femmes se trouve dans la solution des problèmes économiques. Dans la révolution. Rien d’autre. Tout autre chose perpétuerait le même esclavage sous un autre nom.” [15]

Dans son programme, l’organisation portait la plupart de son attention sur l’ “ignorance,” qui, croyait elle, contribuait à la subordination des femme dans toutes les sphères de leur vie. Mujeres Libres organisa une campagne d’alphabétisation massive pour fournir les fondations nécessaires à l’ “inculturation” des femmes. Cette alphabétisation permettrait aux femmes de mieux comprendre leur société et la place qu’elles y occupaient,et de lutter pour l’améliorer. [16] Elles organisèrent trois niveaux de cours: pour les illettrées , pour celles qui savaient lire un peu et pour celles qui savaient bien lire mais qui souhaitaient "s’immerger dans des questions plus complexes.” Elles ne confondaient pas l’illétrisme avec le manque de compréhension des réalités sociales; elles insistaient plutôt sur le fait que leur embarras concernant leur "sous-développement culturel"était une barrière pour l’engagement de nombreuses femmes dans la lutte pour le changement révolutionnaire. L’alphabétisation devint un outil pour acquérir la confiance en soi aussi bien que pour faciliter leur pleine participation à la société et au changement social.

L’attention portée à la vie des femmes

Pour s’attaquer aux racines de la subordination due à la dépendance économique, Mujeres Libres avait mis en place un programme complet pour l’emploi avec une forte attention portée sur l’éducation. Les organisatrices insistaient sur le fait que la dépendance des femmes résultait d’une division sexuelle extrême du travail qui les reléguaient aux tâches les moins bien rémunérées, dans les conditions les plus difficiles. Mujeres Libres a salué le mouvement lié à la guerre qui a poussé les femmes hors de la maison et dans le salariat, non pas comme une disposition temporaire, mais comme un espoir d’une intégration permanente des femmes et une contribution à leur indépendance économique. [17]

Le programme pour l’emploi de Mujeres Libres traitait des problèmes spécifiques auxquels les femmes étaient confrontées et essayait de les préparer à prendre leur place dans la production comme égales. Elles travaillèrent étroitement avec les syndicats CNT, et co-organisaient des programmes de soutien, formation et apprentissage pour les femmes entrant dans la vie active. Dans les zones rurales, elles organisèrent des programme de formation à l’agriculture. En outre, elle plaisaient pour, mettaient en place et soutenaient des équipements de gardes d’ enfants, à la fois dans les quartiers et les usines, pour offrir aux femmes la possibilité de travailler. Et elles se battirent pour un salaire égal entre hommes et femmes.

Néanmoins, elles ne portaient que peu d’attention à la division sexuelle du travail elle-même. Ni elles n’exploraient les implications pour l’égalité sexuelle des stéréotypes de certaines tâches réservées aux hommes et aux femmes. Des analyses féministes plus récentes ont examiné la relation entre monogamie, accouchement, éducation des enfants et participation différentielle aux tâches salariées, et ont souligné les implications de ces relations pour la subordination des femmes. [18] Ni Mujeres Libres, ni aucune autre organisation féministe ou anarchiste en Espagne à l’époque , cependant,n’avait remis en cause le fait que la responsabilité de l’éducation des enfants et des activités domestiques resteraient aux femmes.

En fait, l’approche de Mujeres Libres de la subordination "culturelle" des femmes dans une société dominée par les mâles était ambiguë. Quelques-unes de ses membres soutenaient que la morale bourgeoise traitait les femmes comme une propriété. Amparo Poch y Gascón, qui devint une fondatrice de Mujeres Libres, critiquait à la fois la monogamie et l’affirmation que le mariage pouvait être "contracté, en pratique, pour toujours". Elle insistait sur le fait que ni le mariage ni la famille ne doivent nier la possibilité de "cultiver en dehors d’autres… amours.” [19] La majorité des femmes de Mujeres Libres étaient probablement en désaccord avec son rejet du mariage et de la monogamie. Mais l’organisation critiquait les formes extrêmes de la domination masculine au sein de la famille. Lucía Sanchez Saornil, par exemple, rejetait la définition des femmes dans la société comme étant seulement des mères et soutenait que cette définition contribuait à pérenniser la subordination des femmes: “Le concept de mère absorbe celui de femme, la fonction annihile l’individu.” [20]

Les membres de l’organisation se mettaient d’accord plus facilement sur d’autres manifestations de le subordination "culturelle" des femmes. Selon elles, la prostitution exprimait le plus clairement les rapports entre subordination économique et sexuelle, contribuant à la fois à la dégradation de l’image de la femme qui la pratiquait et de la sexualité en général. Dans l’absolu, le sexe ne devait pas être considéré comme une marchandise; Les femmes comme les hommes devaient être capables d’expérimenter pleinement et librement leur sexualité. Cette analyse les a conduit à l’une de leurs idées les plus innovantes : un plan (jamais réellement appliqué à cause des contraintes du temps de guerre) pour mettre en place liberatorios de prostitución, des centres où d’anciennes prostituées pourraient être aidées pendant qu’elles se "recycleraient" en vue d’une vie meilleure. [Leur espoir de voir la révolution sociale changer radicalement la nature du travail salarié – y compris le travail en usine – renforçait l’affirmation que le travail "productif" était, en fait, moins dégradant que le sexe commercial.] L’organisation avait également publié des appels aux hommes anarchistes pour qu’ils n’utilisent pas les services des prostituées et soulignait qu’ en faisant cela, ils pérennisaient des modèles d’exploitation qu’ils étaient supposés engagés à éliminer. [21]

Mujeres Libres s’intéressa aussi à la santé. L’organisation forma des infirmières pour travailler dans les hôpitaux et remplacer les religieuses qui en avaient auparavant le monopole. Elle mit en place de vastes programmes d’éducation et d’hygiène dans les maternité, notamment à Barcelone, et essaya de surmonter l’ignorance des femmes au sujet de leur propre corps ainsi que des soins et du développement de leurs enfants. Plus généralement, elle essaya de combattre l’ignorance des femmes au sujet de leur sexualité, ignorance perçue comme une autre source de la subordination sexuelle des femmes. Amparo Poch y Gascón, par exemple, a souligné l’ignorance au sujet des fonctions du corps et de la contraception comme facteur de la difficulté supposée des femmes à expérimenter le plaisir sexuel. Elle a doublé son plaidoyer pour une plus grande ouverture dans ce domaine avec l’affirmation selon laquelle la répression sexuelle des femmes servait aussi à maintenir la domination des hommes. [22]

Les programmes d’éducation pour surmonter la subordination culturelle s’étendaient aussi bien aux enfants qu’aux femmes adultes. Mujeres Libres organisa des cours d’éducation à destination des mères, pour qu’elles soient en mesure de préparer leurs enfants à la vie dans une société libertaire. Elle développa de nouvelles formes d’éducation, destinées à remettre en cause les valeurs bourgeoises et patriarcales et à préparer les enfants à développer par eux-mêmes, une conscience critique. Enfin, elle contribua au développement d’un nouveau noyau dur d’enseignantes ainsi que des structures nouvelles, non-hiérarchiques d’enseignement et d’apprentissage .

Bien que l’idée générale de ces programme est claire, ils n’en reflètent pas moins l’ambivalence de Mujeres Libres quant au rôle de la femme dans la lutte et la société révolutionnaires. Malgré l’insistance sur le fait que la subordination des femmes était un problème qui pourra être traité plus efficacement par les femmes et qui méritait une reconnaissance et une légitimité au sein du mouvement anarchiste dans son ensemble, Mujeres Libres à l’époque se présentait comme une organisation de soutien glorifiée. [23] Il existait aussi une ambivalence, même dans la remise en cause du rôle de la famille traditionnelle. Cependant, quelques appels à destination des femmes pour qu’elles aillent travailler et qu’elles profitent des facilités de garde mises en place dans les usines suggérent que ce “sacrifice”était seulement temporaire. [24]

Néanmoins, la propagande de Mujeres Libres était différente de celle des autres organisations de femmes de l’époque en Espagne. La plupart d’entre elles n’étaient, en fait que des "auxiliaires féminines" de différentes organisations de partis, encourageant les femmes à assurer leur rôle de soutien traditionnel , et les appelant à s’occuper des usines jusqu’à ce que leurs hommes reviennent. [25] Par contraste, le journal Mujeres Libres rappelait à ses lectrices, “Au milieu de tous ces sacrifices, avec une volonté et une persévérance extrêmes, nous travaillons pour nous découvrir et pour nous situer dans un milieu qui , jusqu’à ce jour, nous a été refusé : l’ action sociale.” [26] Mujeres Libres a continué à soutenir que l’émancipation des femmes ne devait pas attendre la conclusion de la guerre, et qu’elles pouvaient s’aider elle même, et aider l’effort de guerre de la meilleure des manières en insistant sur leurs demandes d’égalité et de participation aussi totale que possible à la lutte en cours. [27]

Sous tous ses aspects, à travers ses attaques contre l’illétrisme, la dépendance économique, et l’exploitation sexuelle-culturelle, et cela même dans le contexte particulier de la guerre, le programme de Mujeres Libres traitait des sources spécifiques de la subordination des femmes dans la société espagnole. De son point de vue, seule la dénonciation directe de ces problèmes permettrait aux femmes de le surmonter et de participer pleinement au mouvement social révolutionnaire. Et seule, une organisation de femmes, pour les femmes, avait un intérêt, la préoccupation et la capacité de le mener à bien.

Modifier la conscience de soi des femmes

Surmonter la subordination des femmes et rendre possible sa pleine participation à la lutte révolutionnaire demandait plus qu’une dénonciation des sources de cette subordination. La conscience de soi des femmes devait être changée, afin qu’elles puissent commencer à se considérer comme indépendantes, comme actrices agissantes dans l’arène sociale .

Le programme de Mujeres Libres reflétait la croyance selon laquelle, du fait de leur longue subordination, la plupart des femmes n’étaient pas préparées à occuper un rôle dans la révolution sociale en cours, sur un pied complet d’égalité . Leur “préparation” demandait qu’elles participent à une organisation libertaire, mais exclusivement féminine, qui avait, pour fonction première le développement des capacités.[28] Une telle participation enrichirait les capacités des femmes de deux façons : d’abord, en comblant les déficits essentiels d’informations qui leur interdisait une participation active; et, en second lieu, en surmontant leur manque de confiance en soi qui accompagnait leur subordination. Une fois préparée , les femmes pourraient se confronter au problème spécifique de leur subordination au sein de la société ainsi qu’à l’intérieur du mouvement anarchiste, et pourraient se battre pour la reconnaissance de la légitimité de ces questions au sein du mouvement dans son ensemble.

A l’origine, comme une militante le raconte, “nous voulions seulement faire des anarchistes.” Mais elles réalisèrent bientôt que, si les femmes devaient devenir des militantes anarchistes, elles devaient "gérer leurs propres affaires". Elles devaient "sortie de la maison" et se prendre suffisamment au sérieux pour s’engager dans le militantisme syndical."L’éveil de la conscience" était, par conséquent, un aspect essentiel du programme de Mujeres Libres; et les organisatrices ne laissaient passer que peu d’occasions pour engager les femmes dans le processus. Elles mirent en place des groupes de parole et de discussion à travers lesquels elles habituèrent les femmes à entendre le son de leur propre voix en public, et les encouragèrent à surmonter leur réticence à parler et à participer. Mais la preparación sociale devint un élément de chaque projet qu’elles entreprenaient. Des groupes de femmes de Mujeres Libres, par exemple, visitaient des usines, pour soutenir ostensiblement la syndicalisation et encourager les femmes à devenir actives –et donnaient en même temps des "petites leçons", soit au sujet de l’anarcho-syndicalisme ou la nécessité pour les femmes de participer davantage. A Barcelone, le “Grupo Cultural Femenino” mit en place des guarderías volantes, (gardes d’enfants volantes): des femmes venaient dans d’autres maisons pour garder les enfants, afin que les mères puissent assister à des réunions syndicales. Et quand les mères revenaient à la maison, elles étaient souvent accueillies par une courte conversation informelle au sujet du communisme libertaire, de l’anarcho-syndicalisme ou quelque chose de semblable.

Disposer d’une organisation séparée offrit à ces femmes la liberté de développer des programmes indépendants qui répondaient à leurs besoins spécifiques, et permit de traiter directement la question de leur subordination. L’organisation insista sur le fait que les femmes étaient confrontées à une "double lutte" lorsqu’elles essayaient de s’engager dans le militantisme révolutionnaire, et que, seule, une organisation indépendante et séparée (bien qu’en même temps elle travaillait étroitement avec d’autres organes du mouvement anarcho-syndicaliste) pouvait offrir le cadre et le soutien nécessaires pour traiter la question de la confiance en soi. Selon les mots d’une adhérente:

“Les révolutionnaires hommes qui luttent pour leur liberté combattent uniquement contre le monde extérieur, contre un monde opposé aux désirs de liberté, d’égalité et de justice sociale. Les femmes révolutionnaires , d’un autre côté, doivent se battre sur deux plans. D’abord elles doivent se battre pour leur liberté extérieure .Les hommes sont leurs alliés avec le même idéal dans une cause identique. Mais les femmes doivent aussi se battre pour leur liberté intérieure , dont les hommes ont joui pendant des siècles. Et, dans cette lutte, les femmes sont seules.” [29]

De nos jours, certaines ont soutenu que des organisations séparées ne sont pas nécessaires pour l’éveil de la conscience. Wini Breines a suggéré, par exemple, qu’une leçon des mouvements pour les droits civiques et contre la guerre aux Etats-Unis est que la conscience des femmes peut commencer à changer même au sein d’organisations mixtes qui perpétuent la subordination des femmes [30]. De nombreuses études attestent de la justesse de ce point de vue .[31] D’un autre côté, Estelle Freedman a soutenu que sans "la mise en place d’institution féminine” une conscience transformée peut aisément disparaitre.[32] Bien que les femmes de Mujeres Libres ne présentaient pas d’arguments aussi directs quant à la nécessité de "construire des institutions féminines", ces débats contemporains se font l’écho de beaucoup de leurs préoccupations. Il est évident qu’elles pensaient que un changement de la conscience de la part des femme – essentielle pour toute participation à l’action sociale révolutionnaire – ne pouvait se développer et se maintenir seulement dans le cadre d’une organisation mise en place par et pour les femmes et qui traitait de ces questions.

Un défi pour le mouvement anarchiste

Enfin, en plus de s’intéresser aux expériences spécifiques de la vie des femmes et de fournir un cadre pour l’éveil d’une nouvelle conscience de soi, Mujeres Libres questionna le sexisme des organisations du mouvement anarchiste. Mujeres Libres avait vu le jour en réponse à ce que ses fondatrices percevaient comme une insensibilité de beaucoup d’hommes au sein du mouvement anarchiste envers les problèmes spécifiques des femmes.[33] De plus, Mujeres Libres interpella les organisations pour qu’elles prennent plus au sérieux ses membres féminines. Comme une militante le rappelle: “Les hommes aussi avaient remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de femmes militantes. Mais cela ne les dérangeait pas. En fait, beaucoup étaient heureux d’avoir une compañerita [34] qui n’en savait pas aussi long qu’eux. Cela me dérangeait beaucoup – ils me rendaient furieuse. Ils m’ont pratiquement transformé en féministe enragée!” D’autres ont dénoncé le sexisme des membres de la CNT en des termes encore plus forts. “Ces troglodytes déguisés en anarchistes, ces lâches qui – bien-armés – attaquent par derrière, ces ‘courageux’ qui élèvent la voix et gesticulent devant les femmes, ceux-là révèlent leur vraie nature fasciste et ils doivent être démasqués.” [35]

Bien que de nombreux anarchistes hommes étaient partisans, en théorie, d’un mouvement égalitaire sur le plan sexuel (et plus généralement d’une société égalitaire), pour un trop grand nombre d’entre eux, les convictions prenaient fin au seuil de la maison ou à l’entrée du local syndical. Comme une femme, née et élevée dans une famille anarchiste, le regrette : “Pour ce qui se passait à la maison, nous n’étions pas meilleurs que les autres…. Il y avait beaucoup de discussions au sujet de la libération de la femmes, de l’amour libre et de tout cela. Les hommes parlaient de cela du haut d’une estrade. Mais il y en avait très très peu qui s’engageaient réellement d’eux-mêmes dans la lutte des femmes en pratique …. Chez eux, ils l’oubliaient.” [36]

Une des fondatrices de Mujeres Libres se souvient que, en 1933, on lui avait demandé de participer à une réunion dans un des locaux syndicaux de la CNT. Des militantes locales voulaient qu’elle leur donne un mini-cours et les aide à la préparation des ouvrières. “Mais ce fut impossible, du fait des attitudes de quelques compañeros. Ils ne prenaient pas les femmes au sérieux. Ils pensaient que tout ce que les femmes avaient besoin de faire, c’était la couture et la cuisine …. Non, c’était impossible. Les femmes osaient à peine parler dans ce contexte.” [37] Jusqu’à ce que ces pratiques ne prennent fin – et que les anarchistes homme ne commencent à prendre au sérieux les femmes et leurs problèmes – aucune stratégie ou programme anarchiste ne peut espérer réussir, et surtout pas attirer des femmes. Ce fut un domaine dans lequel la pratique du mouvement semblait "hors syndicat" dans sa théorie .

Le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol était sensible, par exemple, au besoin de "préparer" les gens à participer à l’action révolutionnaire. Mais, dans le cas des femmes, cette perspective était souvent oubliée. Les femmes qui assistaient à des discussions et à des sessions de formation étaient souvent ignorées ou ridiculisées. (En fait, ce fut précisément l’expérience du fait d’être tournées en dérision qui poussa un certain nombre de femmes à créer Mujeres Libres.) L’éducation informelle peut être un outil puissant pour le développement de la confiance en soi mais seulement si ceux qui s’engagent dans un tel processus traitent les autres avec respect. Si ils ne le font pas, alors les réunions informelles d’éducation peuvent devenir un domaine de plus pour la subordination des femmes.

Mujeres Libres a été créé par des femmes dont l’expérience leur avait appris qu’elles ne pouvaient pas attendre une telle sensibilité de la part du mouvement anarchiste organisé. La seule façon de s’assurer que les femmes seraient prises au sérieux était de créer une organisation indépendante qui pourrait remettre en cause ces attitudes et comportements, à partir d’une position de force. Leurs expériences avaient été répétées et rapportées par des femmes d’organisations révolutionnaires jusqu’à nos jours. Le problème n’est certainement pas limité à la société espagnole. Et il est certainement plus aigu dans ces organisations affirmant une "ligne de parti" cohérente. Dans ce cas, la supériorité de l’homme envers la femme est aggravée par une prétendue hiérarchie du "savoir" idéologique.” [38]

Le défi de Mujeres Libres pour le mouvement anarchiste était organisationnel dans un autre sens également. En octobre 1938, elle demanda sa reconnaissance comme branche autonome du mouvement libertaire au même titre que la FAI ou la FIJL.[39] La réponse du mouvement fut complexe. Comme le dit Mary Nash, la proposition des femmes fut rejetée, sous le prétexte que " une organisation spécifique de femmes injecterait un élément de désunion et d’inégalité au sein du mouvement libertaire et aurait des conséquences négatives pour la défense des intérêts de la classe ouvrière.” [40] Les parallèles avec les expériences du mouvement pour le droit de vote des femmes au dix-neuvième siècle aux Etats-Unis est évident. Il est important aussi de souligner les inquiétantes similitudes avec la manière dont les femmes noires et du tiers-monde – et les membres d’autres groupes aux demandes et perspectives spécifiques –ont été trop souvent traitées au sein du mouvement des femmes contemporains.[41]

Les femmes de Mujeres Libres furent déconcertées par cette réponse. Elles se considéraient comme semblables à la Jeunesse Libertaire (FIJL), et s’attendaient à être accueillies à bras ouverts. Elles ne comprenaient pas pourquoi le mouvement acceptait une organisation autonome dans un cas et pas dans un autre. Le refus de reconnaitre Mujeres Libres – qui avait pour effet de refuser à ses membres l’accès au prochain congrès national en tant que déléguées de l’organisation, même si certaines y assistèrent comme représentantes des syndicats CNT – confirma l’idée de la nécessité d’une organisation séparée pour soulever ces questions de manière permanente.[42]

Notre analyse nous permet d’offrir une interprétation supplémentaire. L’affirmation selon laquelle une organisation spécialement consacrée aux besoins des femmes est inadapté au mouvement anarchiste contredit l’engagement explicite du mouvement envers l’action directe. Il nie, en particulier, l’idée que l’organisation est fondée sur les expériences de vie des individus et de leurs perceptions de leurs besoins. Si l’organisation est basée sur de tels principes, alors nous pouvons penser que différentes expériences conduisent à des organisations séparées. Les dirigeants du mouvement ont semblé accepter cette conclusion dans le cas des jeunes, et ils ont soutenu une organisation autonome de la jeunesse. Mais ils ne souhaitaient pas le faire dans le cas des femmes. Pourquoi ?

La différence cruciale entre les deux cas semble être l’épicentre de l’organisation, plutôt que la nature de ses membres. Bien que la FIJL ne s’adressait qu’aux jeunes, son projet était un projet anarchiste, à court comme à long terme. Mujeres Libres, en tant que organisation autonome de femmes, était différente. Non seulement elle ne s’adressait qu’aux femmes mais avait aussi mis en place un ensemble séparé et indépendant d’objectifs. Sa remise en cause de la domination masculine au sein du mouvement anarchiste menaçait, au moins à court terme, d’affecter la structure et les pratiques des organisations anarchistes existantes.[43]

En 1937, par exemple, Mercedes Comaposada, une dirigeante alors de Mujeres Libres, vint rencontrer avec Lucía Sanchez Saornil (secrétaire nationale de l’organisation ) “Marianet” (Mariano Vazquez, secrétaire national de la CNT, et dirigeant implicite du mouvement libertaire) pour discuter de la reconnaissance de Mujeres Libres comme organisation autonome au sein du mouvement. Selon ses termes, “Nous avons expliqué encore et encore ce que nous faisions: que nous ne tentions pas de détourner les femmes de la CNT mais, en fait, tentions de créer une situation dans laquelle elle pourrait aborder les questions spécifiques de femmes afin de devenir des militantes efficaces dans le mouvement libertaire .” Mais, finalement, le projet était de toute évidence trop menaçant. Elle se souvient ainsi de la conversation:

"A la fin il a dit , “O.K.,vous pouvez avoir tout ce que vous voulez – même des millions de pesetas [pour l’organisation, l’éducation, etc.] parce que nos caisses – à la condition que vous travaillez aussi sur les questions qui ont de l’intérêt pour nous, et pas seulement sur celles des femmes.” A ces mots, Lucía sauta en l’air et dit “Non. Cela nous ramènerait exactement à notre point de départ!” Et j’étais d’accord avec elle – et je le suis encore. L’autonomie était essentielle. Si ils ne nous la permettaient pas alors nous aurions perdu l’objectif principal de l’organisation ” [44]

Conclusions

Les femmes de Mujeres Libres étaient d’accord avec les autres anarchistes qu’un engagement envers l’action directe entrainait une opposition à des formes hiérarchiques d’organisation. Mais elles avaient choisi de se focaliser sur un autre élément de la stratégie d’action directe : que nous avons appelé ordre spontané. Les gens s’organisent, et s’organiseront, autour des questions qui constituent un intérêt immédiat leur vie quotidienne. Lorsqu’ils commencent à réaliser des changement dans ces domaines, et à prendre conscience de leur pouvoirs et capacités, ils seront plus "préparés" à s’engager dans d’autres actions pour le changement social. Les femmes de Mujeres Libres insistaient sur le fait que, au moins dans le cas des femmes, des organisations séparées seraient essentielles à cette fin.

Cette perspective semble particulièrement appropriée à la situation espagnole. Une large proportion de femmes espagnoles ne se seraient senties concernées en aucune manière par la stratégie syndicale de la CNT. Elles ne travaillaient pas en usine ; ou, lorsque cela était le cas, elles avaient peu ou pas de temps pour s’engager dans des luttes syndicales du fait de leurs responsabilités à la maison. Nous devons remarquer que beaucoup d’hommes aussi – ceux engagés dans des occupations non syndicales– auraient été exclus d’une participation active dans le mouvement anarchiste pour des raisons semblables. Mujeres Libres mettait le doigt, par le biais du cas des femmes, sur un problème qui avait des ramifications beaucoup plus larges pour la stratégie de l’organisation révolutionnaire.

Les femmes argumentaient leur point de vue en s’appuyant sur la tradition anarchiste.Mais leur plaidoyer pour une lutte séparée ne découlait pas seulement d’un engagement envers l’action directe et la satisfaction de besoins tels que exprimés par les intéressées. Il se développait à partir d’une analyse de la nature particulière de la société espagnole et son impact sur le mouvement anarchiste. Mujeres Libres insistait sur le fait que, dans ce contexte, l’action commune entre hommes et femmes ne ferait que perpétuer les modèles existant de domination masculine. Une lutte séparée était particulièrement nécessaire dans ce cas parce qu’elle était la seule manière à la fois de rendre possible la préparation efficace des femmes et de remettre en cause le sexisme des hommes.

Mujeres Libres n’essayait pas seulement de donner du pouvoir aux femmes [empower] mais aussi de lancer un défi permanent aux anarchistes hommes. Son existence nous rappelle le besoin de surmonter la domination masculine au sein du mouvement. La plupart des activités de Mujeres Libres s’adressait aux femmes. Mais elles défiaient les anarchistes hommes en tant qu’individus et le mouvement anarchiste organisé, en de nombreuses occasions. Mujeres Libres tenta d’obliger les hommes (et les femmes?) à reconnaître à la fois la légitimité et l’importance des question d’intérêt spécifique pour les femmes. L’existence même de l’organisation est la preuve du pouvoir autonome potentiel des femmes. Le degré d opposition que souleva Mujeres Libres au sein du mouvement suggère que au moins quelques membres de la CNT prirent au sérieux ce potentiel.[45] Le programme et l’expérience de Mujeres Libres permettent d’affirmer que la logique et la pratique de l’action directe demandent un "rassemblement des forces" (temporairement) séparé. Comme nous l’avons vu, les femmes de Mujeres Libres se sont définies, non pas comme un groupe de femmes qui luttaient contre les hommes, mais comme un des nombreux groupes potentiels participant à une large coalition pour le changement social.[46]

Le changement révolutionnaire exige l’alliance des femmes et des hommes. Mais à moins que l’égalité ne règne au sein de cette coalition, il n’existe pas de garantie pour un processus révolutionnaire égalitaire ou pour l’établissement d’une société égalitaire. L’engagement envers l’action directe et l’égalité ne signifie rien d’autre. Comme les féministes américaines contemporaines ont commencé à le reconnaître dans le cas des différences de classe, d’ethnie, et de culture, on ne peut pas "agir pour" les autres même dans le cadre d’une organisation révolutionnaire. L’action révolutionnaire doit reconnaître la spécificité des expériences de vie. Mujeres Libres espérait rendre possible. Fidèles à leur interprétation de la tradition anarchiste, elles insistaient sur le fait que la stratégie pour atteindre une telle unité exigeait la reconnaissance de la diversité.

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Séparées et égales Notes

Messagede digger » 11 Mai 2014, 07:31

NDT * Friedrich Hayek, sans doute.

1. Voir Colin Ward, Anarchy in Action (New York: Harper & Row, 1973), chaps. 2 et 4; également Daniel Guérin, Anarchism: From Theory to Practice, [L'anarchisme , De la doctrine à la pratique ] Introduction par Noam Chomsky, traduit par Mary Klopper (New York: Monthly Review Press, 1970); et Peter Kropotkin, The Conquest of Bread [la Conquête du Pain] (London: Chapman & Hall, 1913).

2. Pour un exemple parlant contemporain sur l’impact d’une telle action, Wini Breines sur l’évolution de la conscience dans le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, “Personal Politics: The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left, by Sara Evans: A Review Essay,” Feminist Studies 5 (automne 1979): 496-506.

3. Une version légèrement différente du résumé et de l’analyse qui suit a été développée dans “Anarchism and Feminism,” MS, 1978, Smith College, Northampton, Mass. par Kathryn Pyne Parsons et Martha A. Ackelsberg,

4. Matilde, interview avec l’auteure, Barcelone, 16 février 1979.

5. Voir, par exemple, la déclaration du Congrès de Saragosse de 1870 du mouvement espagnol citée dans El proletariado militante, 2 vols. (Toulouse: Editorial del Movimiento Libertario Español, CNT en Francia, 1947), 2: 17-18. de Anselmo Lorenzo,

6. Mariano R. Vazquez, “Avance: Por la elevacibn de la mujer,” Solidaridad Obrera, 10 Oct. 1935, 4; voir également Jose Alvarez Junco, La ideologia politica del anarquismo español, 1868-1910 (Madrid: Siglo Veintiuno Editores, 1976), 302 n. 73; et Kahos, “Mujeres, Emancipaos!” Acracia 2 (26 Nov. 1937): 4.

7. Federica Montseny, “Feminismo y humanismo,” La revista blanca 2 (1 Oct. 1924): 18-21; voir aussi “Las mujeres y las elecciones inglesas,” ibid. 2 (15 Feb. 1924): 10-12.

8. Carmen Alcalde, La mujer en la Guerra civil española (Madrid: Editorial Cambio 16, n.d.), 176. également Federica Montseny, “La mujer: problema del hombre,” dans La revista blanca, 2, núm 89, February 1927; et Mary Nash, “Dos intelectuales anarquistas frente al problema de la mujer: Federica Montseny y Lucía Sanchez Saornil,” Convivium (Barcelona: Universidad de Barcelona, 1975), 74-86.

9. Igualdad Ocaña, interview avec l’auteure Hospitalet (Barcelone), 14 février 1979.

10. Soledad Estorach, interview avec l’auteure, Paris, 4 Janvier 1982.

11. Emma Goldman, “Woman Suffrage” (224) et “The Tragedy of Woman’s Emancipation” (211), tous les deux dans Anarchism and Other Essays (New York: Dover Press, 1969).

12. Sheila Rowbotham, Women, Resistance, and Revolution (New York: Vintage Books, 1972), et Woman’s Consciousness, Man’s World (Hammondsworth, Middlesex, England: Pelican Books, 1973).

13. Ellen Carol DuBois, Feminism and Suffrage: The Emergence of an Independent Women’s Movement in America (Ithaca: Cornell University Press, 1978), 78-81, 164, 190-92, 201.

14. Suceso Portales, interview avec l’auteure, Móstoles (Madrid), 29 juin 1979. Une histoire semblable a été racontée avec des petites variantes par Mercedes Comaposada, Soledad Estorach, et d’autres lors d’interviews à Paris, en janvier 1982. L’analyse qui suit repose principalement sur les interviews et conversations que j’ai eu avec des femmes anarchistes espagnoles qui avaient participé aux débats et aux actions au moment de la guerre civile. Les interviews ont été conduites en Espagne et en France durant le printemps 1979, l’été 1981, et l’hiver 1981-82.

15. Lucía Sanchez Saornil, “La cuestión femenina en nuestros medios, 5,” Solidaridad Obrera, 30 Oct. 1935, 2.

16. “‘Mujeres Libres’: La mujer ante el presente y futuro social,” dans Sídero-metalurgía (Revista del sindicato de la Industria Sídero-metalúrgica de Barcelona) 5 (Novembre 1937): 9.

17. Mary Nash, ed., “Mujeres Libres” España, 1936-39, Serie los libertarios (Barcelona: Tusquets editor, 1976), 21.

18. Voir, entre autres, Verena Stolcke, “Women’s Labours,” dans Of Marriage and the Market, ed. Kate Young, Carol Wolkowitz, and Roslyn McCullagh (London: CSE Books, 1981); Jean Gardiner, “Political Economy of Domestic Labour in Capitalist Society,” dans Dependence and Exploitation in Work and Marriage, ed. D.L. Barker and S. Allen (New York: Longman, 1976), 109-20; Sherry Ortner, “Is Female to Male as Nature is to Culture?” (67-88) et Michelle Zimbalist Rosaldo, “Women, Culture, and Society: A Theoretical Overview” (17-42), dans Woman, Culture, and Society, ed. Michelle Zimbalist Rosaldo and Louise Lamphere (Stanford: Stanford University Press, 1974). Sur la question précise de l’éducation des enfants par la femme seule, voir Isaac Balbus, Marxism and Domination (Princeton: Princeton University Press, 1981); Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering: Psychoanalysis and the Sociology of Gender (Berkeley: University of California Press, 1978); Dorothy Dinnerstein, The Mermaid and the Minotaur: Sexual Arrangements and Human Malaise (New York: Harper & Row, 1976); et Adrienne Rich, Of Woman Born: Motherhood as Experience and Institution (New York: W.W. Norton, 1976).

19. Amparo Poch y Gascón, “La autoridad en el amor y en la sociedad,” Solidaridad Obrera, 27 Sept. 1935, 1; voir aussi sa La vida sexual de la mujer, Cuadernos de cultura: Fisiologia e higiene, no. 4 (Valencia: 1932): 32.

20. Lucía Sanchez Saornil, “La cuestión femenina en nuestros medios, 4,” Solidaridad Obrera, 15 Oct. 1935, 2; pour un parallèle contemporain, voir Rich.

21. Pour l’exemple d’un appel, voir Nash, “Mujeres Libres,” 186-87.

22. Poch y Gascón, La vida sexual, 10-26.

23. Voir Alcalde, 122-40; and Nash, “Mujeres Libres,” 76-78.

24. Nash, “Mujeres Libres,” 86, 96, 205-6.

25. Voir Alcalde, 142-43; “Estatutos de la Agrupación Mujeres Antifascistas,” Bernacalep, 26 Mai 1938 (document de Archivo de Servicios Documentales, Salamanca, Spain, Sección político-social de Madrid, Carpeta 159, Legajo 1520); et Mary Nash, “La mujer en las organisaciones de izquierda en España, 1931-1939” (Ph.D. diss., Universidad de Barcelona, 1977); chap. 9. Des parallèles avec l’expérience de femmes aux Etats-Unis et ailleurs en occident, durant la première et seconde guerre mondiale sont, bien sûr, évidents. Des expériences semblables dans la période contemporaine ont convaincu beaucoup de femmes de la nécessité d’organisations séparées consacrées à l’émancipation des femmes, qui ne subordonneront pas les besoins des femmes à ceux des hommes avec lesquels elles sont probablement engagées dans une lutte commune. Voir, par exemple, Margaret Cerrullo, “Autonomy and the Limits of Organisation: A Socialist-Feminist Response to Harry Boyte,” Socialist Review 9 (janvier-février 1979): 91-101; Sara Evans, Personal Politics: The Roots of Women’s Liberation in the Civil Rights Movement and the New Left (New York: Alfred A. Knopf, 1979); et Ellen Kay Trimberger, “Women in the Old and New Left: The Evolution of a Politics of Personal Life,” Feminist Studies 5 (automne 1979): 432-50.

26. Cité dans Alcalde, 154.

27. A cet égard, la position de Mujeres Libres semble se faire l’exact écho de celle du mouvement anarchiste sur la révolution sociale et la guerre en général : Les anarchistes étaient en désaccord avec le parti communiste, par exemple, en insistant sur le fait que les avantages sociaux révolutionnaires ne devaient pas attendre la fin de la guerre civile pour être appliqués.

28. NDT capacitación traduit en anglais ici par “Capacitation” qui selon la note de l’auteure :"n’est de toute évidence pas un terme anglais courant. Il prend le sens de développement d’un potentiel traduit par le mot espagnol. Empowerment est une autre traduction possible."

29. Ilse, “La doble lucha de la mujer,” Mujeres Libres, 8 mes de la Revolución, cité dans Nash, “The Debate over Feminism in the Spanish Anarchist Movement,” MS, Universidad de Barcelona, 1980.

30. Breines, 496-97, 504.

31. Voir, par exemple, Evans, dont s’inspire Breines; également William Chafe, Women and Equality (New York: Oxford University Press, 1977); et Frances Fox Piven and Richard A. Cloward, Poor People’s Movements (New York: Vintage Books, 1979).

32. Estelle Freedman, Separatism as Strategy: Female Institution Building and American Feminism, 1870-1930,” Feminist Studies 5 (automne 1979): 514-15, 524-26.

33. Pour des détails sur l’évolution dans les premiers temps de Mujeres Libres voir Nash, “Mujeres Libres,” 12-16; Temma Kaplan, “Spanish Anarchism and Women’s Liberation,” Journal of Contemporary History 6 (1971): 101-10; et Kaplan, “Other Scenarios: Women and Spanish Anarchism,” dans Becoming Visible: Women in European History, ed. Claudia R. Koonz and Renate Bridenthal (New York: Houghton Mifflin, 1977), 400-422.

34. Soledad Estorach, interview, Paris, 6 Jan. 1982. Le terme compañerita est le diminutif de compañera, signifiant “camarade,” ou “compagne.” Dans ce contexte, il démontre une attitude condescendante de la part de l’homme.

35. Cité dans Nash, “Mujeres Libres,” 101.

36. Azucena (Fernandez Saavedra) Barba, interview, Perpignan, France, 27 Dec. 1981.

37. Mercedes Comaposada, interview, Paris, 5 Jan. 1982.

38. Kathryn Pyne (Parsons) Addelson a trouvé des modèles semblables dans son étude, par exemple, sur une organisation "marxiste-léniniste" de Chicago , Rising Up Angry. Voir également Evans; Trimberger; and Jane Alpert, Growing Up Underground (New York: Morrow, 1981).

39. Le “mouvement libertaire” était un autre nom, plus général, du mouvement anarcho-syndicaliste . Le terme devint d’usage courant en 1937 et 38 seulement. Le mouvement plus large comprenait en son sein la CNT (confédération syndicale anarcho-syndicaliste ), la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique), et la FIJL (Federación Ibérica de Juventudes Libertarias – Fédération Ibérique de la Jeunesse Libertaire)

40. Nash, “Mujeres Libres,” 19.

41. Sur la question de la diversité au sein du mouvement des femmes contemporains, voir particulièrement Audre Lorde, “Age, Race, Class, and Sex: Women Redefining Difference,” et “The Uses of Anger: Women Responding to Racism,” dans Sister Outsider (Trumansburg, N.Y.: Crossing Press, 1984).

42. Voir Nash, Mujer y movimiento obrero en España, 1931-1939 (Barcelona: Editorial Fontamara, 1981), particulièrement les pages 99-106; et les interviews avec des membres de Mujeres Libres.

43. Il faut remarquer que le mouvement anarchiste espagnol ne s’est jamais libéré de ce qu’on pourrait appeler le "fétichisme organisationnel" . Le mouvement a souvent été écartelé par des controverses ces derniers temps et continue à l’être aujourd’hui. La préoccupation de la "loyauté organisationnelle" ne s’exprimait pas uniquement dans l’opposition à Mujeres Libres. Je voudrais remercier Paul Mattick, Molly Nolan, et les autres participant-es au Study Group on Women in Advanced Industrial Societies du Centre for European Studies, Harvard University, avec qui j’ai discuté de ces questions lors d’un séminaire le 9 Mai 1980.

44. interview Comaposada.

45. Je suis reconnaissante à Donna Divine pour m’avoir permis de clarifier ce point.

46. Comparez avec les débats au sujet du black power aux Etats-Unis,particulièrement Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton, Black Power (New York: Random House, 1967); et Bayard Rustin, “Black Power and Coalition Politics,” Commentary 42 (Septembre 1966): 35-40.
Modifié en dernier par digger le 12 Mai 2014, 07:48, modifié 3 fois.
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Le Rôle des Femmes dans la Révolution Espagnole

Messagede digger » 12 Mai 2014, 07:46

Texte inédit traduit

Le Rôle des Femmes dans la Révolution Espagnole (p 251 – 260)

Pendant plusieurs années, Goldman a correspondu avec l’anarchiste Max Nettlau sur la question de la libération des femmes. Dans cet extrait d’une lettre du 8/2/35, Goldman situe ses impressions sur les femmes espagnoles (tirées d’un séjour qu’elle a fait en Espagne et de ses expériences américaines) dans le contexte plus large de ces échanges. Cela fournit une introduction concrète pour ses commentaires ultérieurs à la fin des années 1930.

"J’ai reçu ta lettre du 12 janvier. Je suis terriblement désolée de l’avoir blessé. Crois-moi, je n’en avais pas l’intention. Je comprends parfaitement que en faisant référence au "souhait le plus profond" de la femme espagnole d’avoir des nichées d’enfants, tu me taquinais et tu prenais cela sous le ton de plaisanterie. Ceux qui me connaissent plus intimement que toi, cher camarade, savent parfaitement bien que j’apprécie l’humour et que j’en ai un sens considérablement développé moi-même. Comment penses- tu que j’ai survécu à mes combats si cela n’avait pas été le cas? Mais il y a certaines choses qui ne se prêtent pas bien à la plaisanterie. Et l’une d’entre elle est l’idée masculine que les femmes aiment avoir un tas d’enfants. Ne te sens pas blessé à nouveau s’il te plaît lorsque je te dis cela, comme les autres de ton sexe, tu ne connais rien aux femmes. Tu es trop sûr de toi-même. Il faudrait que je parle avec des femmes espagnoles pour creuser la question de la tradition séculaire qui les a enfermé dans une camisole de force sexuelle. Je suis sûre que j’obtiendrai une toute autre image que celle que tu as dépeint d’elles.

Tu m’accuses d’avoir une opinion hâtive et superficielle sur les mères espagnoles après ma courte visite en Espagne. Tu oublies, cher camarade, que j’ai vécu plus de trente cinq ans avec des hommes et des femmes espagnols en Amérique. Il existait un mouvement purement espagnol lorsque que [Pedro] Esteve était en vie. Je connaissais les camarades non seulement à travers les réunions et les manifestations, mais aussi leur vie privée. J’ai assisté leurs femmes pendant leurs accouchements. Et j’avais des relations particulières avec elles et les camarades hommes. Bien avant de me rendre en Espagne, je connaissais les relations entre hommes et femmes espagnols. Tout comme je connaissais les relations entre hommes et femmes italiens Mon séjour en Espagne n’a fait que confirmer ce que j’avais appris pendant de nombreuses années. Et qu’avais-je appris? Que tous les hommes latins traitent encore leurs femmes, ou leurs filles, comme des inférieures, et les considèrent comme de simples machines reproductrices, comme le faisait l’homme des cavernes. Et pas seulement les hommes latins. Mes relations avec le mouvement allemand m’a laissé la même ferme impression. Autrement dit, à l’exception des scandinaves et des anglo-saxons, le plus contemporain, c’est le Vieil Adam avec ses inhibitions envers la femme. Il ressemble à ce que les Gentils sont aux juifs: quand tu grattes un peu la surface, tu découvres un fond d’antisémitisme caché quelque part. Bien sûr, cher camarade, tu appelles cela de "la terrible rigueur et sévérité russe". En plus du fait que tu sois le seul de mes amis qui ait découvert en moi ce trait de caractère, je souhaite dire qu’il n’en est rien. Lorsque quelqu’un pense sincèrement quelque chose, sa façon de l’exprimer semble "rigoureuse et sévère" Et je ressens très intensément la condition féminine. J’ai assisté à trop de tragédies dans les relations entre sexes; j’ai vu trop de corps brisés et de cerveaux mutilés par l’esclavage sexuelle de la femme pour ne pas avoir ce ressenti ou ne pas exprimer mon indignation envers l’attitude de la plupart d’entre vous, gentlemen.

Malgré toute ton assurance, je dois dire que je n’ai pas réussi à rencontrer la femme qui souhaite beaucoup d’enfants. Cela ne veut pas dire que je nie un instant que la plupart des femmes veulent un enfant, bien que cela a aussi a été exagéré de la part des hommes. J’ai connu un certain nombre de femme, féminines au plus haut point, qui ne possédaient pas ces soi disant traits de caractères innés que sont la maternité ou le désir d’enfant. Elles sont sans doute de exceptions. Mais, comme tu le sait, l’exception confirme la règle. Bon, admettons que chaque femme veut devenir mère. Mais à moins qu’elle ne soit profondément ignorante et de nature exagérément passive, elle ne veut que le nombre d’enfant qu’elle a décidé d’avoir, et, j’en suis sûre, la femme espagnole ne fait pas exception. Certaines habitudes et traditions jouent un rôle déterminant en créant des désirs artificiels qui peuvent devenir une seconde nature. L’église, particulièrement l’église catholique, comme tu le sais, a fait tout ce qu’elle pouvait pour lui faire croire qu’elle devait vivre selon le dicton de Dieu de se multiplier. Mais serais-tu intéressé d’apprendre que parmi les femmes qui se présentent aux consultations pour le contrôle des naissance, les catholiques, malgré l’influence que les prêtres ont sur elles, représentent un très grand pourcentage? Tu peux prétendre qu’en Amérique, elles ont déjà été "infestée par l’horreur des horreurs" de vouloir limiter le nombre des naissances. J’aimerais le vérifier, si il était possible de sensibiliser les femmes espagnoles à travers des conférences sur le contrôle des naissances et ses méthodes. Combien d’entre elles confirmeraient ta conception romantique de ce qu’elles veulent ou la mienne de limitation "artificielle" des naissances? J’ai peur, cher camarade, que tu perdrais ton pari.

Ton interprétation du matriarcat selon laquelle la mère doit garder ses fils accrochés à ses jupes, recevoir leurs salaires, et agir en marraine généreuse en leur donnant de l’argent de poche m’a, pour le moins, beaucoup amusée. Pour moi, cela ne fait que révéler la revanche inconsciente de la femme asservie sur le mâle. Mais cela ne démontre pas la moindre liberté que ce soit de la femme ou de l’homme. Entre outre, le matriarcat représente pour moi plus que ce clivage entre la mère et le fils ou le père et la fille. Dans ces conditions, personne n’est libre . . .

Ces considérations mises à part, c’est la perpétuation du conservatisme de la femme qui a été sans aucun doute un élément important dans la réaction en Espagne, l’effondrement complet de toutes les valeurs en Allemagne et le maintien au pouvoir de Mussolini. On nieras-tu le fait que la première chose que firent les femmes après avoir obtenu le droit de vote fut de voter en faveur de la réaction ?(1) Ou le fait que les femmes allemandes ont été ramenées à leur Kirche et Kinder sans grandes protestations de leur part. Ou encore que les femmes italiennes ont été rejetées au moins cinquante ans en arrière dans leur ancienne condition d’objets sexuels ? Je n’aime pas les femmes américaine. Je sais que la majorité d’entre elles sont encore conservatrices et autant sous l’influence de l’église que dans les pays que j’ai mentionné. Mais j’insiste sur le fait qu’il existe en Amérique une importante minorité de femmes, de femmes évoluées, s’il te plaît, qui combattront jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour les acquis qu’elles ont obtenu, matériels et intellectuels, et pour leur droit à l’égalité avec les hommes. Mais bon, cher camarade, il semble inutile de discuter de ce sujet entre nous. Nous ne serons jamais d’accord. Mais c’est un commentaire sur comment les petites théories combattent les inhibitions. Toi, un anarchiste, croyant à la liberté suprême de l’individu et qui persiste néanmoins à glorifier la femme comme cuisinière et reproductrice de familles nombreuses. Ne vois-tu pas la contradiction de tes positions? Mais les inhibitions et les traditions masculines sont trop profondément enracinées. J’ai peur qu’elles ne survivent longtemps après que l’anarchisme ait été établi . . . .

Je sais que tu es trop généreux pour garder de la rancune très longtemps. Tu ne dois pas être en colère contre moi pour t’avoir traité d’antédiluvien Je ne pensais pas à mal, mais je ne te laisserai aucun répit sur le moindre point de la question de la femme et de son grand désir d’avoir un tas d’enfants."


1. Elections législatives de novembre 1933, qui marquèrent un recul des républicains.

Dans cette lettre du 24/4/36 à un camarade, Goldman annonce son premier contact avec le groupe "Mujeres Libres" (1) en Espagne.

"Hier, j’ai reçu une lettre de la camarade Mercedes Comaposada de Madrid me demandant un article pour une revue intitulée Femmes Libres [Mujeres Libres]. Je ne suis pas en mesure d’écrire un article en ce moment mais j’ai répondu par une lettre disant combien j’étais heureuse qu’un tel journal soit publié pour émanciper les femmes espagnoles
de leur état de servitude. Sais-tu quelque chose au sujet de cette camarade ?"


Au lieu de son premier séjour dans l’Espagne révolutionnaire (18/11/36) , Goldman informe sa nièce Stella Ballantine du travail nécessaire à faire parmi les femmes et de la difficulté de le réaliser en pleine guerre civile.

"Je sens que mon énergie, au lieu de faiblir, se renforce. Tout particulièrement depuis que je suis arrivée ici et que j’ai vu tout ce qui doit être fait avec les femmes et les enfants en particulier. Tu n’as pas idée de combien tout est primitif dans ce domaine. L’édification des femmes est désespérément nécessaire. Mais nos camarades sont trop absorbées par la victoire dans la guerre antifasciste pour consacrer suffisamment de temps à cette tâche nécessaire. Elles ont commencé, bien sûr. Mais on ne peut pas balayer l’ignorance, les préjugés et les superstitions d’un peuple en quatre mois. Cependant, je serais d’un grand secours , je le sais, et mon aide serait la bienvenue. Mais c’est un problème de langue, en Catalogne, et pas seulement en espagnol mais aussi en catalan. Tu sais combien je me sens paralysée . Il n’y a pas d’autres solutions, je vais devoir partir."

Elle parle à nouveau de ce travail important à réaliser pour l’émancipation des femmes et de leur relative négligence à ce sujet par le passé, dans une lettre au camarade Harry Kelly le 5/12/36 .

"Tu dois garder à l’esprit que la guerre antifasciste et la reconstruction révolutionnaire ne sont pas les seules tâches colossales auxquelles nos camarades espagnols ont à faire face. Il y a aussi l’éducation et l’émancipation de la femme, une nouvelle approche de l’enfant et des questions courantes de santé ordinaire. Tout cela a été tristement négligé par nos camarades. Peut-être sont-ils obligés de concentrer toutes leurs énergies à la lutte économique et qu’ils ne peuvent pas agir dans tous les domaines. Mais cela ne change rien au statut inférieur de la femme et à l’ignorance déprimante envers les méthodes de soin pour la femme et l’enfant. Ce seul domaine est assez vaste pour s’occuper totalement. Et il en existe d’autres. Oui, je reviendrai en Espagne."

1. Voir aussi "Séparées et égales" ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes"
2. Mercedes Comaposada Guillen (1901 – 1994) Fille de l’écrivain et militant socialiste José Comaposada. Membre de la CNT. Collaboratrice à de nombreuses revues et journaux comme Tierra y Libertad . Une des fondatrices du groupe Mujeres Libres à Madrid.


Quelques jours après, la revue "Mujeres Libres" publiait cet important appel de Goldman aux femmes espagnoles.

"Les progrès humains sont très lents. En fait, on dit que pour chaque pas en avant qu’a fait la race humaine, elle a reculé de deux pas en arrière vers l’état de servitude auquel elle essaie d’échapper. Cela a pris des siècles pour que l’être humain abandonne sa position prostrée – sa croyance aveugle dans les superstitions de l’église, dans le droit divin des rois et le pouvoir de la classe des maîtres. Cette trinité vicieuse maintient encore son emprise sur des millions de personnes à travers toute notre planète. Néanmoins, elle ne peut plus gouverner d’une main de fer ni jouir d’une totale obéissance au point d’utiliser la torture et la mort, même si cela est encore le cas dans les pays fascistes. Cependant, le fascisme n’est, historiquement parlant, que passager. Et même sous cette peste noire, le grondement de la tempête qui s’annonce s’approche et se fait entendre toujours plus. L’ Espagne est le Waterloo du fascisme, sur toute la ligne. D’un autre côté, il y a le volume toujours croissant des manifestations actives contre les institutions diaboliques du capitalisme à travers le monde entier. Assez étrangement, l’homme ordinaire, si prêt à combattre héroïquement pour sa propre émancipation, est loin de faire de même en ce qui concerne le sexe opposé.

Les femmes, dans de nombreux pays, ont provoqué une véritable révolution envers leur statut social, politique et éthique. Elles ont tant fait pour cela à travers des siècles de durs combats – après des défaites déchirantes et de tant de moments de découragement, mais pour une victoire en fin de compte.

Malheureusement, cela n’est pas le cas pour les femmes de tous les pays. En Espagne, par exemple, la femme semble encore être considérée comme bien inférieure à l’homme, un simple objet sexuel destiné à sa gratification et la maternité. Cette attitude ne serait pas surprenante si elle ne se trouvait qu’au sein de la bourgeoisie. Mais il est profondément choquant de trouver cette conception antédiluvienne parmi les ouvriers, y compris même parmi nos camarades.

Nulle part ailleurs dans le monde, les idées libertaires n’ont autant pénétré la vie même des travailleurs comme c’est le cas en Espagne. La victoire magnifique de la révolution, née dans les douleurs du combat du 19 juillet, témoigne de l’endurance supérieure des travailleurs espagnols et catalans. On serait endroit de penser que leur amour passionné de la liberté inclut aussi celle des femmes. Loin d’être le cas, la plupart des hommes en Espagne, soit ne semblent pas comprendre le sens réel de la vraie émancipation, ou soit ils le connaissent mais préfèrent garder les femmes dans l’ignorance de sa signification. Le fait est que de nombreux hommes se convainquent que les femmes aiment être maintenues dans une condition inférieure. On dit que les nègres aussi aiment être la possession du maître de la plantation. La vérité est qu’il ne peut y avoir d’émancipation réelle aussi longtemps qu’existe toute forme de domination d’un individu sur un autre ou d’un groupe sur un autre. L’émancipation de la race humaine n’a aucun sens tant qu’un sexe domine l’autre.

Après tout, la famille humaine présuppose les deux sexes. Des deux, la femme est la plus importante parce qu’elle est la porteuse de la race. Et plus son développement sera parfait, plus la race le sera. Ne serait-ce que pour cette raison, cela prouve l’importance de la femme dans la société et les luttes sociales. Mais il existe d’autres raisons.Avant tout, la prise de conscience par la femme qu’elle est est une personnalité de plein droit. Et que ses besoins et aspirations sont toutes autant vitales et importantes que ceux des hommes.

Ceux qui imaginent encore pouvoir garder la femme dans une camisole de force diront sans doute "oui, mais les besoins et aspirations de la femme sont différents parce qu’elle est inférieure". Cela prouve seulement la limite de l’homme et son arrogance. Sinon, il saurait que ces différences mêmes enrichissent la vie personnelle et sociale. En outre, les réalisations extraordinaires des femmes dans toutes les sphères de la société ont fait taire à jamais les propos calomnieux sur son infériorité. Ceux qui se raccrochent encore à cette idée reçue le font parce qu’ils ne détestent rien de plus que de voir leur autorité remise en question. C’est la caractéristique de toute autorité, que ce soit celle du maître sur l’esclave, ou de l’homme sur la femme. Cependant, partout, la femme échappe à sa cage, partout elle avance à grands pas libérés. Partout, elle prend courageusement sa place dans la lutte pour les transformations économiques, sociales et éthiques. Il est peu probable que les femmes espagnoles échappent encore longtemps à ce courant d’émancipation.

Il en est de la femme comme des ouvriers. Ceux qui veulent se libérer doivent frapper en premier. Les ouvriers de Catalogne, ceux de toute l’Espagne ont porté le premier coup. Ils se sont libérés et ils versent leur sang pour sauver leur liberté.

Maintenant, c’est votre tour, femmes catalanes et espagnoles, de frapper pour briser vos chaînes. C’est votre tour de vous lever, avec votre dignité, votre respect de vous-mêmes, d’assumer fièrement et fermement vos droits en tant que femmes, d’individus libres, d’égales dans la société, de camarades dans la lutte contre le fascisme et pour la révolution sociale. C’est seulement lorsque vous vous serez libérés des superstitions de la religion – l’injustice de la double morale, l’obéissance avilissante et dégradante à un passé mort – que vous deviendrez une force importante dans la lutte antifasciste et la défense de la révolution. Alors, et seulement alors, vous serez capables d’aider utilement à la construction d’une société nouvelle où chaque homme, chaque femme et chaque enfant sera réellement libre."


Dans une interview publiée le 8/1/37 au sujet de son retour d’Espagne, Goldman évalue les progrès, encore loin d’être suffisants, des efforts pour l’émancipation des femmes .

"Jusqu’à maintenant, on n’a pratiquement pas donné aux femmes l’occasion de beaucoup contribuer à la révolution. Elles ne sont pas suffisamment conscientes et éduquées. Néanmoins, j’ai constaté des évolutions chez elles depuis ma visite en Espagne en 1929. Elles sont beaucoup plus vigilantes et commencent à montrer de l’intérêt pour la lutte sociale.
Oui, très certainement, la femme trouvera sa place dans la société nouvelle, mais cela demande de faire une énorme quantité de travail pour son émancipation. Une fois celui-ci réalisé, la femme prendra une part égale au travail constructif."


Dans une lettre du 30/3/37 à Jeanne Levey, une anarchiste et amie de Chicago, Goldman commente le rôle de Mujeres Libres dans la lutte des femmes espagnoles.

". . . Nos camarades femmes à Barcelone publient un journal formidable appelé Mujeres Libre. Elles ont commencé une campagne intensive pour améliorer le statut de leur sexe.Jusqu’en 193, elles avaient un retard de cinquante ans par rapport aux femmes des autres pays d’Europe ou des États-Unis, et dieu sait que ces dernières les femmes ne sont pas encore traitées en égales des hommes. Durant la République qui portait si mal son nom, il y eut quelques avancées mais la majeure partie des femmes restent encore effroyablement plongée dans l’ignorance.
Nos merveilleuses camarades ont été les pionnières de beaucoup de grandes réalisations en Espagne et elles le sont aussi dans leurs efforts pour émanciper et éduquer la grande majorité des femmes espagnoles. Le journal a été lancé par un groupe de femmes universitaires depuis deux ans et qui entreprennent maintenant une campagne intensive. Elles m’ont demandé de les mettre en contact avec des organisations de femmes en Angleterre et aux États-Unis , ce que j’essaie bien sûr de faire."


Goldman écrit à Ethel Mannin, qui préparait alors un nouveau livre, le 1/10/37 au sujet de ses contacts avec une des femmes les plus en vue dans le mouvement anarchiste espagnol

"C’est seulement pour te faire savoir que j’ai eu une discussion avec une des femmes anarchistes les plus compétentes qui est réellement une historienne de mouvement révolutionnaire espagnole (1). Elle est dans le mouvement depuis 55 ans, a maintenant 72 ans et a connu la grande révolutionnaire anarchiste [Teresa] Claramunt qui semble avoir été la Louise Michel espagnole. Elle a promis de préparer quelques documents à ton intention pour la semaine prochaine. Je te les enverrai aussitôt. Ils arriveront peut-être trop tard pour que tu les utilises, mais cela te montrera au moins que je n’ai pas oublié ma promesse."

1. Probablement Soledad Gustavo, la mère de Federica Montseny.

Goldman apporte plus de détails concernant l’origine et les activités de Mujeres Libres dans un article pour publication (4/3/38), lors de son second séjour en Espagne révolutionnaire.

"Madrid est le lieu de naissance de Mujeres Libres. C’est là qu’un groupe de femmes universitaires dont notre camarade Mercedes Comaposada, a commencé la publication d’une revue du même nom, consacrée à l’émancipation des femmes espagnoles. Le siège du journal a été ensuite transféré à Barcelone , mais quelques -unes des fondatrices, aidées par un personnel composé de jeunes femmes, continuent leur travail à Madrid.; Et c’est un formidable travail.

Les Mujeres Libres, parmi d’autres tâches, s’occupent de visiter les blessés dans les hôpitaux, d’inspecter les écoles des enfants et de distribuer une somme considérable de documentation parmi la population civile pour lui faire connaître les objectifs et l’importance de la lutte antifasciste. Elles donnent des cours aux enfants et aux adultes qui englobent toutes sortes de sujets, incluant des cours de conduite. Les camarades nous ont dit fièrement que plusieurs d’entre elles avaient passé avec succès l’examen et avaient le permis. Il y a aussi des cours de langues.

Et puis il a le groupe "Prosperidad" qui a 90 adhérentes et qui est affilié avec M.L. Il comprend des déléguées de différentes fédérations locales ; Maria Teresa est parmi les plus actives d’entre elles , et en même temps directrice de l’école, sans compter tous les autres efforts fait pour la prise de conscience et l’émancipation des femmes espagnoles et l’éducation des enfants , particulièrement ceux qui sont devenus orphelins par la grâce chrétienne de Franco. Elles tiennent un rôle important pour élever le niveau intellectuel et physique des femmes espagnoles, maintenues en esclavage depuis tant de siècles, et particulièrement dans leurs soins attentifs aux enfants. On ne pourrait prêter aucune attention plus chaleureuse à ses propres enfants que celle apportée par les camarades de Mujeres Libres aux innocentes victimes de Franco. J’ai été particulièrement émue par des enfants de deux à dix ans, rassemblées dans une salle transformée en cinéma, et qui étaient fascinés par chaque projection de Mickey Mouse, de contes de fées et des sagas de Grimm et d’Anderson."
digger
 
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Histoire et actualité de l’anarcha-féminisme: Les leçons de

Messagede digger » 26 Mai 2014, 11:55

Mis en ligne avec l’autorisation de Maria . Comme pour d’autres textes mis en ligne, celui-ci peut renvoyer à des notes d’autres espaces de publication.

Histoire et actualité de l’anarcha-féminisme: Les leçons de l’Espagne
Marta Iniguez de Heredia


Texte original : History and actuality of anarcha-féminisme: lessons from Spain

Anarcha-féminisme est, finalement une tautologie. L’anarchisme cherche la libération de tous les êtres humains de toutes les sortes d’oppression et un monde sans hiérarchie, où les gens s’organisent librement et autogèrent tous les aspects de la vie et de la société sur la base de l’horizontalité, de l’égalité, de la solidarité et de l’aide mutuelle. Par conséquent, une telle lutte implique nécessairement de travailler à changer les relations hiérarchiques entre les sexes, ce qui revient à dire que l’anarchisme est un type spécifique de féminisme.

L’anarcha-féminisme, compris dans ce sens, soulève plusieurs questions : Est-ce que l’anarcha-féminisme existe réellement? Est-ce que ce terme contribue d’une quelconque manière à l’anarchisme? Comment peut-il être utile aujourd’hui ? Que peut-on améliorer?
.
Dans ce qui suit, je soutiendrai qu’il existe depuis longtemps un mouvement anarcha- féministe. En particulier, je traiterai de la contribution du mouvement Mujeres Libres, un groupe anarcha-féministe actif durant la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Bien que de nombreuses anarchistes, y compris au sein de Mujeres Libres, rejetait ce la bel de féministe, considéré comme une idéologie de la bourgeoisie 1, et bien que je ne me revendique pas moi-même de l’anarcha-féminisme parce que je prétends que l’anarchisme est ce qui décrit le mieux mon féminisme, je pense que l’anarcha-féminisme est utile à la fois comme notion et comme pratique dans les mouvements anarchistes et féministes. En ce qui concerne les premiers, l’anarcha-féminisme peut servir à ‘populariser’ la lutte féministe et des genres, et donc à rendre la pratique anarchiste plus cohérente avec la théorie. En ce qui concerne les derniers, l’anarcha-féminisme peut contribuer à d’autres critiques et luttes féministes contre l’oppression des genres.

L’Espagne offre un bon terrain d’études sur l’histoire et la pertinence de l’anarcha-féminisme. Elle a connu trois périodes de prise de conscience intense quand au genre, à la fois au sein du mouvement anarchiste dominé par les hommes, et dans la société en général. Durant la première période, à la fin du dix-neuvième siècle, les anarchistes ont développé une critique du patriarcat , bien que celle-ci fut souvent reléguée aux périphéries du mouvement anarchiste. La seconde période, qui couvre le début du vingtième siècle, peut être considéré comme la naissance et l’apogée du mouvement anarcha-féministe. Ce fut à ce moment que les Mujeres Libres furent actives. Enfin, la troisième période , post-dictatoriale jusqu’à nos jours, révèle une disposition au sein du mouvement anarchiste de relativiser l’importance de combattre l’oppression de genre ici et maintenant. Cette tendance souligne l’importance permanente de l’anarcha-féminisme.

Durant les deux premières périodes, les anarchistes appelaient cela la ‘question de la femme’ alors qu’aujourd’hui, ils parlent d’oppression de genre et de patriarcat.2 Bien que le langage a changé au cours du temps, ces trois périodes partagent trois thèmes :une critique de la restriction du rôle des femmes dans la société à celui de reproduction; une critique de la position de seconde classe des femmes dans la société en général et au sein du mouvement anarchiste; et, le plus important, une stratégie d’encouragement des femmes à participer pleinement aux luttes anarchistes. Mujeres Libres appelait ce processus capacitación, j’y reviendrai plus tard 3

La Capacitación faisait partie d’un processus que j’appellerai ‘intégration du genre’. L’intégration signifie littéralement incorporer quelque chose ou quelqu’un dans le ‘courant dominant’. Ce courant dominant, dans l’anarchisme, n’ a rien de conventionnel ou de conservateur, mais représente plutôt la lutte contre le capitalisme et l’état. Une lutte destinée à mettre fin à toutes les formes d’oppressions, incluant le racisme, l’homophobie et la patriarcat. Donc, dans ce contexte, intégrer le genre signifie mener la main dans la main, le combat contre l’oppression de genre et contre le capitalisme et l’état. Cela peut paraître maladroit d’utiliser le terme ‘intégration de genre’ dans ce contexte, considérant son utilisation par les libéraux, les réformistes et les conservateurs dans les couloirs des Nations-Unies .4 Le terme, cependant, a été popularisé par les critiques féministes de la politique de l’ONU depuis le milieu des années 1970, demandant que l’oppression de genre soit plus centrale dans les politiques de l’organisation et que les femmes soient encouragées à participer au travail contre les inégalités de genre.5 Si nous comprenons l’intégration de genre en ce sens, le terme est utile pour comprendre les revendications des anarcha-féministes.

Cet article essaie de contribuer à la fois à la somme relativement modeste de la littérature sur l’anarcha-féminisme et à la littérature anarchiste et féministe, plus généralement. Par exemple, le Free Women of Spain de Ackelsberger, une étude novatrice publiée en 1991, ne mentionne pas l’anarcha-féminisme, pas même dans sa tentative d’analyser l’héritage de Mujeres Libres vis à vis de l’anarchisme contemporain.6 Des années plus tard, elle a contribué à une ouvrage sur la pensée politique avec son Anarchism: the Feminist Connection. Cette réticence à parler de l’ anarcha-féminisme ressemble ouvertement à la position anarchiste classique d’identifier le féminisme comme préalablement inclus dans le mot anarchisme. En outre, des ouvrages de référence comme Anarchism de Woodcock et Demanding the Impossible de Marshall, n’essaient même pas de reconnaître l’existence et la contribution de l’anarcha-féminisme. 7 S’ajoutant à de récentes études sur l’anarcha-féminisme de Heighs, et celle plus spécialisée de Maroto, ce document plaide également en faveur de la pertinence de l’anarcha- féminisme aujourd’hui.8 Traiter de l’histoire, du présent et des leçons de l’anarcha-féminisme est une tâche nécessaire qui mettra en valeur nos combats actuels et futurs.

Dans ce qui suit, je présenterai une vue d’ensemble des principes anarchistes et soutiendrai que l’ anarcha-féminisme n’est pas un corpus séparé de théorie mais plutôt intégré à l’anarchisme. Je présenterai alors une brève histoire de l’anarcha-féminisme en Espagne, basée sur ces trois périodes mentionnées ci-dessus. Enfin, à partir de ma propre expérience, je soulignerai pourquoi l’anarcha-féminisme reste pertinent aujourd’hui comme outil critique dans la lutte pour un monde nouveau..

Anarchisme et anarcha-féminisme

L’anarchisme est plus qu’une idéologie. C’est une philosophie et une pratique de vie, illustré par sa tendance à remplir les rues plutôt que les rayons des bibliothèques. Baldelli a déclaré que ‘l’anarchisme a toujours été anti-idéologique, et a insisté sur les priorités de la vie et de l’action sur la théorie et le systèmes’.9 L’anarchisme s’est développé en dehors des milieux académiques, en se forgeant à travers différentes luttes ; d’où l’existence de différentes sortes d’anarchisme.8 Je m’attarderai sur ce qui est communément appelé l’anarchisme collectif qui a été probablement pratiqué par la plupart des anarcha-féministes. 10 L’anarchisme collectif , aussi appelé communiste , social anarchisme ou anarcho-syndicalisme, affirme de manière générale que la libre organisation des individus en collectifs où ils travaillent en coopération et sans hiérarchies n’est pas seulement la clé de la révolution mais également un guide pour l’organisation de la société.

On peut faire remonter beaucoup d’arguments anarchistes centraux aussi loin que le philosophe grec ancien Zénon de Cition, le stoïque, qui a imaginé une société cosmopolite idéale, où l’amour entretiendrait des relations harmonieuses et où les lois étatiques et l’argent ne seraient pas imposés aux individus.11 Certains ont également suggéré que des éléments de la pensée traditionnelle chinoise ont constitué une ‘sorte de vision sociale proto-anarchiste’ bien avant les grecs.12 Au sixième siècle avant Jésus Christ, Lao Tseu contestait la légitimité des gouvernants; deux siècles plus tard, Zhuangzi critiquait la propriété privée, la redistribution inégale des richesses, la hiérarchie de classe et l’existence de gouvernants.13 Certains ont aussi vu des traces de pratiques et d’organisation anarchistes dans des sociétés et cultures traditionnelles africaines.14 Woodcock, dans sa critique de l’étude de Kropotkine sur les organisations libres symbiotiques à travers l’histoire et les espèces, soutient que ces affirmations ne sont basées que sur de faibles fondations historiques et ne sont qu’une "simple mythologie destinée à asseoir l’autorité du mouvement".15 Néanmoins, il faut reconnaître que les idées anti-autoritaires présentent un important héritage historique, même si ces idées n’ont pas été développées par des individus, organisations ou mouvements qui se revendiquaient de l’anarchisme ou n’avaient, en aucune manière, créé, per se, des organisations anarchistes comme nous les connaissons aujourd’hui.

Il faut attendre le début du dix-neuvième siècle pour voir l’anarchisme commencer à élaborer un ensemble d’idées cohérentes qui engendrèrent un mouvement anarchiste conscient de sa propre existence, et ce n’est qu’alors que nous retrouvons des traces de l’anarcha-féminisme. Les idées anarchistes s’épanouirent à cette époque en réponse à l’évolution de l’état industriel moderne et comme une expression du désir d’une société libre et égalitaire, une aspiration toujours pertinente aujourd’hui. Woodcock affirme pareillement que "les anarchistes du dix-neuvième siècle ont développé des conceptions particulières d’égalité économique et de liberté sans classe en réaction à un état capitaliste toujours plus centralisé et mécanisés".16

Des auteurs comme Godwin, Proudhon (en dépit de controverses 17), Kropotkine et Bakounine, tous autour du dix-neuvième siècle, sont considérés par beaucoup comme étant les fondateurs de l’anarchisme.18 Ce sont eux, avec Goldman, Malatesta, Rocker et Berkman, entre autres, qui ont contribué à forger une tradition collectiviste de l’anarchisme.19 Selon Goldman: "L’anarchisme défend réellement la libération de la pensée humaine vis à vis de la domination de la religion; la libération du corps humain de la domination de la propriété; la libération des chaînes et de la contrainte du gouvernement […] L’anarchisme n’est pas […] une théorie de l’avenir à réaliser grâce à une inspiration divine et ne comprend pas un programme clé en mains devant être appliqué quelque soient les circonstances" .20

De la même façon, Kropotkine a déclaré que l’anarchisme est : "Le nom donné à un principe ou une théorie de la vie et de conduite sociale sous lequel la société est conçue sans gouvernement; l’harmonie dans une telle société étant obtenue non pas par soumission à la loi, ou par l’obéissance à une autorité, mais par l’adhésion libre conclue par les membres des différents groupes territoriaux ou professionnels, librement constitués pour le fonctionnement de la production et de la consommation, ainsi que la satisfaction des besoins variés et infinis, des aspirations des êtres civilisé .21

Alors que Kropotkine et, plus tard, Goldman ont spécialement détaillé le sujet de l’émancipation des femmes, tous les anarchistes n’étaient pas concernés de la même manière par la libération des femmes. 22 L’histoire de Proudhon mérite d’être commentée brièvement ici. Son anarchisme a été remis en question par ses contemporains, comme Déjacque et Léo , pour avoir nié la nécessité de la libération des femmes et avoir affirmé que le rôle de la femme était d’être l’esclave de son mari. 23 Déjacque et Léo affirmèrent que "on ne peut pas être anarchiste si l’on n’est pas féministe".24

L’anarchisme peut être interprété à travers un ensemble de principes communs à tous ces théoriciens. Ils comprennent l’anti-autoritarisme, l’action directe, la solidarité, l’aide mutuelle, la liberté et la cohérence entre les fins et les moyens. Il n’est malheureusement pas possible de développer ici une analyse complète de ces principes, mais une brève discussion est nécessaire pour comprendre l’anarchisme et l’ anarcha-féminisme.25

L’anti-autoritarisme anarchiste est habituellement assimilé avec le rejet de l’état et des gouvernements en tant que institutions autoritaires. Cependant, l’anarchisme est plus vaste dans le sens où il rejette l’organisation de la société sur la base de toute hiérarchie et, donc, de toutes institutions hiérarchiques. L’action directe est le principe d’agir par soi-même. Il s’agit d’une stratégie, une "méthode de lutte immédiate pour les travailleurs" 26 et une pratique d’émancipation. 27 Il comprend également une composante idéologique en ce que l’action directe affirme que les individus sont capables d’agir par eux-mêmes sans l’intervention d’intermédiaire, que ce soient des institutions ou d’autres individus . Ce principe a été largement utilisé pour permettre aux gens de lutter par eux-mêmes et de rejeter les figures de l’autorité qui leur ôtent des mains leur capacité à faire et à dire.

La solidarité ne se réfère pas seulement à l’empathie avec l’oppression des autres mais également à la volonté d’agir en conséquence pour répondre à leur besoin et soutenir leur lutte .28 L’anarchisme rejette la charité et même le terme "aide" ; il promeut la solidarité sur la base que le bien-être des autres est en fin de compte notre propre bien-être. L’aide mutuelle a été un principe développé en détail par Kropotkine.29 Alors que les théories dominantes sur l’évolution plaident pour un processus d’évolution fondé sur la compétition, Kropotkine soutient que l’évolution a été un processus de coopération et, particulièrement en ce qui concerne les humains, de socialisation. Les anarchistes sont donc également opposés aux conceptions libérales de la liberté qui postulent que la liberté d’une personne s’arrête là où commence celle d’une autre.30 Au lieu de cela, ils affirment que la liberté d’un individu est renforcée et étendue par la liberté des autres.31 La conception anarchiste de la liberté diffèrent de celles des libéraux sur d’autres plans. La liberté est la libération de toutes les formes d’oppression , la capacité à s’épanouir pleinement et à établir des relations équitables avec les autres, et non l’accès à la propriété privée et la possibilité de vendre sa force de travail. La liberté, considérée d’un point de vue collectiviste, incorpore aussi l’idée que l’individu et la collectivité sont complémentaires.

Enfin, le principe selon lequel les moyens doivent être cohérents avec les fins poursuivies a guidé en permanence les luttes anarchistes. Par conséquent, dans le but d’une société collaborative non hiérarchique, les anarchistes s’efforcent de s’organiser eux-mêmes horizontalement et sur la base des principes mentionnés ci-dessus. La ‘révolution’, pour les anarchistes, commencent ici et maintenant, et en particulier, par soi-même. L’anarchisme n’indique pas une voie étroite à suivre mais aspire à l’avènement d’une époque où les individus feront les choix par eux-mêmes et travailleront en collaboration les uns avec les autres.

L’anarchisme, contrairement aux autres formes de féminismes ou à d’autres luttes spécifiques, encourage une lutte globale qui comprend la transformation politique, économique et sociale. Malheureusement, au sein du mouvement anarchiste, même si les normes de genre ont été remises en question, elles n’ont pas été éliminées. Malgré une évolution politique, les individus, au sein du mouvement anarchiste, ont tendance à reproduire les mêmes comportements que ceux que la société en général nous imposent. C’est pourquoi un des premiers leitmotivs pour l’émergence de l’anarcha-féminisme, particulièrement en Espagne, fut le rejet des attitudes patriarcales qui décourageaient les femmes à participer à la lutte. La cause en était tout autant le mouvement anarchiste dominé par les hommes que la société dominante. L’anarcha-féminisme, s’est élaboré en réponse à l’incohérence entre la théorie et la pratique anarchistes, puisque les moyens et les fins doivent être compatibles, et que le patriarcat doit être combattu ici et maintenant . L’anarcha-féminisme demandait la solidarité des anarchistes. Tout aussi important, l’anarcha-féminisme, contrairement aux autres formes de féminisme, apportait ce que Brown appelle ‘une critique intrinsèque du pouvoir et de la domination per se’, en liant les luttes contre le patriarcat et celles contre toutes les autres institutions oppressives.32

Une brève histoire de l’anarcha-féminisme en Espagne

L’histoire de l’anarcha-féminisme fait partie de l’histoire de l’anarchisme. En ce qui concerne l’Espagne, l’anarchisme semble avoir eu un précédent avec le mouvement millénariste contre l’empire romain et l’église catholique. 33 Une fois encore, cela ne signifie pas qu’il existait un mouvement anarchiste à cette époque mais que l’idée anarchiste est enracinée dans un sol fertile de générations de luttes contre le pouvoir arbitraire et l’injustice sociale. C’est durant le dix-neuvième siècle que l’on voit l’émergence d’un mouvement anarchiste en tant que tel.

Garcia-Maroto soutient que le mouvement féministe a une origine bourgeoise et suffragiste mais que ces idées ont amené les anarchistes à la fin du dix-neuvième siècle à s’intéresser à la "question de la femme".34 Cependant, le féminisme qui a apparu au sein du mouvement anarchiste ne suit pas la voie tracée par les féministes libérales des décennies précédentes; à la place, il a gardé les récusations anarchistes des conceptions libérales de la liberté, des relations collectives et entre individus ainsi que les principes anarchistes de solidarité, d’action directe et de cohérence entre les fins et les moyens. En outre, comme Granel le souligne, ‘l’anarchisme a contribué au développement d’une conscience féministe’.35 Granel affirme que l’anarchisme a été capable d’identifier de multiples relations de domination. Suite à quoi les anarchistes ont postulé que l’émancipation humaine n’exigeait pas seulement des réformes économiques mais une transformation sociale Les analyses anarchistes de la société incluaient une analyse des relations inter-personnelles,créant un espace pour porter une attention sur la subordination des femmes en leur sein. Le résultat fut double: Le développement d’une critique anarchiste des politiques sexuelles et le rôle important de la famille et de la vie sexuelle dans la (re)création de l’ordre social; et la conviction que réforme sexuelle et émancipation des femmes étaient essentielles dans le processus de révolution social.36 Les principes de maternité choisie et de libre choix dans l’établissement de relations personnelles ont été des points centraux de l’anarchisme depuis ses débuts. Cela a permis aux anarchistes, plus qu’aux marxistes et aux socialistes, d’identifier le lien entre genre et reproduction d’institutions oppressives telles que l’état et le capitalisme. Marsh et Golden soutiennent que la critique anarchiste des normes sexuées permettent aussi aux anarchistes d’agir solidairement avec ce qui deviendra plus tard les luttes "homos".37

Par conséquent, le mouvement anarchiste qui a émergé de la révolution industrielle et le mouvement ouvrier en Espagne ainsi que en Amérique et dans le reste de l’Europe 38 possédait une forte conscience des genres. Aux États-Unis, des femmes comme Helena Born [*], Marie Ganz,[**] Mollie Steimer, Voltairine de Cleyre et plus tard Emma Goldman ‘ont embrassé l’anarchisme […] pour restructurer la société dans son ensemble , mais elles voulaient aussi, en tant qu’individus, transcender les préceptes conventionnels sociaux et moraux afin de créer pour elles-mêmes une vie indépendante, riche et ayant un sens" 39. En Argentin, en Uruguay, au Brésil et au Mexique, les anarchistes ont aussi développé très tôt l’anarcha-féminisme.40 En France, Flora Tristan, considérée comme l’une des mères du soi disant socialisme "utopique", a consacré sa vie à promouvoir un mouvement ouvrier international dans lequel les deux sexes et toutes les races s’uniraient. 41 En France également, Déjacque et Kropotkine, dans le troisième quart du dix-neuvième siècle, ont appelé les anarchistes à inclure les femmes dans la lutte pour l’émancipation de l’humanité. Ils condamnèrent l’assujettissement des femmes envers les hommes, la famille en tant qu’institution qui opprimait les femmes aussi bien que les hommes et la morale sexuelle répressive.42

En Espagne, quelques circonstances facilitèrent l’introduction et le développement des idées anarchistes. La création de l’Ateneo Catalán en 1861 fut très importante ainsi que l’introduction des travaux de Bakounine par Fanelli.43 En 1898, Teresa Mañé et Juan Montseny fondèrent la revue Revista Blanca, qui devint l’un des espaces les plus progressistes pour le débat sur des sujet allant de la politique à l’environnement, et qui s’attachait particulièrement aux questions de genres et de sexualité.44 Comme l’écrit Cleminson, "la Revista Blanca peut être utilisée comme une jauge quant au débat sur de tels sujets au sein du mouvement anarchiste espagnol et particulièrement comme un indicateur de la pénétration des idées venues de l’étranger, soit à travers le mouvement anarchiste, soit de manière extérieur à lui".45 Avec le changement de siècle de nombreux autres revues, périodiques et organisations anarchistes ont fleuri, tels que le journal Estudios, les espaces culturels et éducatifs appelés Ateneos Libertarios et la Fédération Régionale des Travailleurs.46 Malheureusement, les femmes restaient une minorité au sein d’un mouvement anarchiste patriarcal.47

Malgré leur rejet du terme féminisme, les anarchistes espagnols essayèrent de traiter de la question de la subordination spécifique des femmes, économique, sociale et culturelle. Ils mirent l’accent sur le contrôle des naissance, la libération sexuelle et illettrisme . Leurs efforts apparaissaient aussi à travers la création de deux organisations anarcho-syndicalistes, la Fédération Régionale des Travailleurs et son successeur, la Confederación Nacional del Trabajo (CNT). Les deux organisations, fondées respectivement en 1908 et 1910, étaient destinées à être des outils de la classe ouvrière pour combattre le capitalisme et l’état et de créer les fondations d’une société anarchiste future. Les deux déclaraient fermement leur intention d’organiser les femmes au sein du syndicat afin de faciliter leur émancipation, d’obtenir l’égalité des salaires et de les inclure dans la marche des organisations elles-mêmes. 48 Le degré de réussite fut limité par la prévalence des normes de genre qui inhibait la capacité des hommes comme des femmes de surmonter la subordination des femmes.

Dans les années 1930, les anarchistes s’organisèrent à la fois pour combattre le soulèvement fasciste et réaliser leur rêve d’émancipation sociale.49 Dans le cadre de ce travail d’organisation, quelques femmes dont Lucía Sánchez Saornil, Mercedes Camposada et Amparo Poch, créèrent le groupe Mujeres Libres.50

Cette seconde période se révéla être un moment clé dans ce que l’on peut appeler l’histoire anarcha-féministe, même si le terme anarcha-féminisme n’était pas utilisé. Dans les années 1930 en Espagne, il existait déjà une fracture implicite entre différentes perspectives féministes. Le féminisme libéral était considéré par Mujeres Libres comme issu des classes moyennes et supérieures et centré sur l’obtention par les femmes des mêmes droits que les hommes, tout en ignorant le système capitaliste, responsable de la subordination des hommes envers d’autres hommes. Un autre courant du féminisme développait une critique anarchiste d’oppression de classe, sociale et politique, prônant une révolution sociale et non des réformes politiques seulement. Les femmes de Mujeres Libres participaient au groupe, non pas parce qu’elles voyaient des imperfections dans la théorie anarchiste, mais parce qu’elles les constataient dans les pratiques des groupes anarchistes dominés par les hommes, pratiques qui excluaient les femmes et ignoraient l’oppression de genre. C’était visible au sein de la CNT. Malgré leurs efforts pour traiter de la "question des femmes", les membres du syndicat restaient majoritairement des hommes et la question de genre marginale.51 L’anarcha-féminisme de Mujeres Libres ne fut donc pas une tentative d’élaborer de nouvelles théories contre le patriarcat mais de mettre en pratique les nombreuses idées qu’avaient élaboré les militants au cours des années précédentes et de souligner la nécessité de la capacitación des femmes dans la révolution sociale en cours.
.
Mujeres Libres utilisait le terme ‘capacitación’ pour décrire le processus d’émancipation des femmes. Capacitación est plus que ‘empowerment’ [***] et ne devra pas être confondu avec les appels du courant dominant féministe à la "prise de pouvoir".52 La capacitación des femmes signifie un processus de développement des outils et de la confiance qui les rendent capable de se battre pour leur émancipation. Elle incluait (et inclut toujours) l’éducation et le développement d’un jugement indépendant et d’une pensée critique.53 Mujeres Libres a été conçue comme ‘une force féminine consciente pour agir comme l’avant-garde de la révolution et du progrès, ayant pour but l’émancipation des femmes vis à vis d’un triple esclavage: esclavage de l’ignorance, esclavage des femmes et esclavage de la production’.54 Pour combattre "l’esclavage de l’ignorance", elles publièrent des revues et des journaux, créèrent des écoles et des forums publics.55 Pour combattre "l’esclavage des femmes", elles encouragèrent la libération sexuelle, religieuse et morale, fondèrent des centres de soins, ouvrirent des débats politiques au sujet de la sexualité et de l’amour libre, et critiquèrent violemment les valeurs du catholicisme, la famille et la chasteté féminine.56 Pour mettre fin à "l’esclavage du travail", elles encouragèrent la participation critique et assumée des femmes au sein de la CNT et à la lutte contre le capitalisme.57 Avant tout, comme le déclarait Mujeres Libres, leur intention était : "de rendre capables (capacitar) les femmes de faire d’elles-mêmes des individus capables de contribuer à la construction de la société future, des individus qui ont appris à penser par elles-mêmes et non pas à suivre aveuglément les diktats d’une organisation quelconque.58

Mujeres Libres, en fin de compte, prenait au pied de la lettre le principe anarchiste selon lequel les fins et les moyens doivent être cohérents, pour signifier que le patriarcat, en même temps que le capitalisme et l’état, devait être combattu de manière non sexuée, autogérée et horizontale, ‘ici et maintenant’ .

Malgré que le mouvement anarchiste eut connu un développement jamais atteint jusqu’alors, l’Espagne a du endurer quarante ans de dictature sous le général Francisco Franco. La répression brutale imposée par ce régime n’a pas seulement plongé l’Espagne dans une économie industrielle retardée, mais plus grave encore, a provoqué un mouvement culturel régressif. L’Espagne ne connut donc une autre vague de féminisme que lorsque le régime fut épuisé, dans les années 1960 et 1970.

A partir des années 1960, le militantisme politique espagnol était nourri par l’affaiblissement de Franco, comme le furent la seconde vague de féminisme radical, les événements de mai 1968 et les mouvements contre la guerre et anti-colonialistes. Le féminisme radical des années 1960 et 1970 venu des États-Unis influença de toute évidence les féministes espagnoles. Les femmes de Mujeres Libres qui étaient encore en vie, tout comme de nombreuses jeunes femmes, s’identifièrent avec Robin Morgan lorsqu’elle se plaignait, à la fin des années 1960, des "pratiques révolutionnaires" qui reproduisaient encore des attitudes patriarcales et condescendantes envers les femmes, et encourageait la création d’un mouvement autonome des femmes non-mixte, non seulement aux États-Unis mais en Europe et donc, en Espagne.59 . Le message féministe ‘le personnel est le politique’ et la promotion par les féministes d’une organisation horizontale et égalitaire parmi les membres des groupes furent chaleureusement accueillis dans les milieux anarchistes.60

L’anarchisme, qui était réapparu après des années de clandestinité,fut au début convaincant en plaidant pour l’égalité des sexes et la libération sexuelle. Après la dictature de Franco, l’Espagne était devenu, de façon décevante mais non surprenante, une démocratie libérale fondée sur les trois piliers oppressifs du capitalisme, de l’état et de la famille normative. Dans un livre éloquent au sujet de la transition démocratique espagnole, analysée à partir de la perspective du mouvement radical anti-autoritaire, Jose Ribas traite de ‘l’ascension et la chute du mouvement anarchiste entre 1976 et 1978 .61 Ribas affirme que ‘l’annihilation de l’anarchisme constitue le grand mystère de la transition".62 En effet, les années 1980 virent le début d’un déclin d’une vingtaine d’années des adhésions à la CNT, tout comme à Mujeres Libres nouvellement reconstitué et aux Ateneos Libertarios, ainsi que, en règle générale, de la participation au vif débat politique qui eut lieu lors de la dernière décennie.63

Il existe encore aujourd’hui une réticence à utiliser le terme anarcha-féminisme. En réalité, au cours de toutes mes années militantes, je n’ai entendu qu’une femme, Maria Angeles Garcia Maroto, une écrivaine anarcha-féministe, se revendiquer ouvertement anarcha-féministe et défendre la pertinence de l’anarcha-féminisme.64 Tous mes pairs, hommes et femmes, que j’ai côtoyé dans les organisations anarchistes, prétendent toujours qu’il n’est pas nécessaire d’inclure le mot "féminisme" dans le terme "anarchisme" parce que l’anarchisme défend déjà l’abolition du patriarcat.

Dans l’ensemble, ces trois périodes de débats et de militantisme politiques, l’intensité et la diversité de ce que ce document n’a fait que survoler, illustrent comment l’anarcha-féminisme, sans être un courant différent ou d’opposition au sein de l’anarchisme, essaie de rendre la pratique anarchiste cohérente avec ses principes, à travers une sorte de popularisation de ces questions qui furent trop souvent considérées comme secondaires. Si le succès de ces premières anarcha-féministes est indéniable, il ne fut pas total, et il est encore nécessaire d’élaborer une analyse critique de l’anarchisme et de l’anarcha-féminisme de nos jours.

Evaluation critique de l’anarcha-féminisme d’une et pour une perspective militante, mon expérience

Ce chapitre essaie d’esquisser quelques recommandations pour un militantisme anarcha-féministe plus efficace ou un anarchisme plus cohérent. A partir de ma propre expérience, j’insiste sur la nécessité de développer des stratégies rationnelles pour contester les attitudes patriarcales, racistes et homophobes, à la fois au sein du mouvement anarchistes et dans la société en général. Nous avons besoin, de manière cruciale, de créer des espaces où débattre du sens et des méthodes de lutte contre le patriarcat. Ce débat serait enrichi, en premier lieu, par la transmission générationnelle de l’expérience et des connaissances, ainsi que par un dialogue avec d’autres formes de féminisme, afin que nous puissions nous stimuler mutuellement et progresser politiquement .

J’ai été active dans le mouvement anarchiste pendant une dizaine d’années. Pendant cette période, je me suis aperçue que les femmes anarchistes étaient confrontées aux mêmes obstacles dans leur tentative de combattre le patriarcat que leurs prédécesseures deux générations auparavant. Le patriarcat, tout comme le racisme, l’homophobie et la destruction environnementale, fait partie intégrante de notre monde capitaliste et hiérarchique formaté. Souvent cependant, ces questions ne sont pas considérées comme aussi importantes que de revendiquer de meilleures conditions de travail ou de créer des organisations anarcho-syndicalistes. Ce faisant, le militantisme quotidien dans les organisation anarchiste nie le fait que repousser la résolution de ces questions aux lendemains de la révolution, c’est condamner la société à laquelle nous rêvons à souffrir des mêmes maux que ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.

J’ai d’abord rejoint le ateneo anarchiste de Madrid et suis devenue plus tard adhérente de la CNT. Cela m’a mis en contact avec d’autres organisations anarchistes comme Mujeres Libres. Le temps passé avec elles m’a ouvert les yeux en ce qui concerne l’oppression des femmes. A travers l’engagement à leurs côtés, l’anarchisme m’a offert les outils pour critiquer le genre et les relations sexuées. J’ai commencé à m’interroger sur l’accent unitaire souvent mis sur la lutte des travailleurs contre l’état et ai pris conscience d’un certain nombres d’attitudes et de comportements patriarcaux autour de moi. Ce n’était pas que les hommes étaient sexistes dans le syndicat, mais plutôt que les hommes et les femmes y reproduisaient spontanément des rôles sexués normatifs. Bien que ces comportement étaient contestées de temps à autres, ces contestations restaient au stade d’auto-discipline par contraste à une stratégie explicite de l’organisation.

Malgré la cinquantaine d’années qui me séparaient de Mujeres Libres, je me suis identifiée avec les expériences des femmes qui y furent actives. Bien que la CNT, en tant que organisation anarcho-syndicaliste, soulignait l’importance de la participation égalitaire, beaucoup d’adhérents masculins restaient tous les jours jusque tard dans les locaux du syndicat, déléguant donc les responsabilités domestiques à leurs partenaires qui ne pouvaient pas, par conséquent, participer pleinement aux activités de l’organisation.71 Je me suis ainsi sentie obligée de rappeler à ces compañeros que la révolution se déroule autant à la maison que sur le lieu de travail. Je me suis sentie obligée aussi de remettre en cause certains postulats au sujet de la signification de la liberté sexuelle. Souvent, les hommes pensaient que, puisque les femmes anarchistes était sexuellement libérées, elles étaient par conséquent disponibles pour eux. Les femmes qui refusaient cette définition de la libération étaient accusées d’être "frigides". En remarquant la nature sexuée de la participation, je me suis interrogée sur la répartition du travail qui consistait à laisser la préparation des repas aux femmes et les tâches plus techniques et visibles aux hommes, et j’ai consacré une attention particulière à encourager mes compañeras à prendre la parole dans les réunions, à s’informer, à se faire leurs propres opinions et à entreprendre des formations.

Cette approche de critiques et de confrontations ne fut pas toujours facile. A un moment, avec une autre compañera, nous avons envisagé de créer une section syndicale de travailleuse du sexe au sein de la CNT. Nous avons été choquées par ce que nous avons soulevé. Nous avons obtenu trois réponses à notre proposition : la prostitution n’était pas un travail et par conséquent ne pouvait pas être syndicalisée ; la prostitution devait être abolie parce qu’elle était une forme d’oppression sexuelle mais ce n’était pas la priorité du syndicat; et, exprimée exclusivement par les hommes et non la moins inattendue, la présence de travailleuses du sexe au sein du syndicat ferait perdre leur concentration aux hommes et le syndicat dégénèrerait dans son entier.

En tant que jeunes femmes, développant encore notre féminisme, nous pensions que, quelle que soit notre avis personnel sur la prostitution, les travailleuses du sexe étaient un secteur négligé de la classe ouvrière et que nous, en tant que organisation anarcho-syndicaliste nous pourrions leur fournir une tribune à partir de laquelle elles pourraient faire entendre et satisfaire leurs revendications. En tant que anarchistes, nous pensions aussi que l’abolition de la prostitution devait être obtenue par les travailleuses du sexe elles-mêmes et ne pas leur être imposée. Bien sûr, les arguments qui dépeignaient les prostituées comme des menaces pour la stabilité du syndicat méritaient des réponses critiques. En fin de compte, après plusieurs mois de discussions avec des prostituées, nous sommes parvenues à la conclusion qu’elles ne voulaient pas former un syndicat et ce fut, pour nous, la fin de l’histoire. Les arguments sexistes qu’avaient soulevé la question restaient en l’état.

Notre échec à populariser la question de genre dans le mouvement anarchiste a rendu difficile de répondre de manière constructive aux questions posées par les féministes non anarchistes, avec qui néanmoins nous voulions agir solidairement. Pour illustrer cela, la CNT-Madrid participe habituellement aux manifestations à l’occasion de la Journée Internationale des femmes organisées par des féministes radicales. Lors d’un rassemblement, auquel je participais avec des membres hommes et femmes de la CNT, une bagarre faillit presque se déclencher. Des femmes d’une autre organisation commencèrent à cracher sur mes compañeros et à les frapper avec leurs banderoles et les manches de leurs drapeaux. Elles prétendaient que c’était une journée pour les femmes et que les hommes n’y avaient pas leur place. Quelques hommes et femmes de la CNT répondirent que les hommes et les femmes devaient lutter ensemble pour mettre fin à l’oppression des femmes, alors que d’autres étaient d’accord pour dire que ce jour était la journée des femmes et que, sans décourager les hommes de se joindre à leur lutte, le rassemblement devait être non-mixte. Malheureusement, cette question n’avait jamais été débattue sérieusement au sein du syndicat, pas plus qu’il n’existait à ce sujet une position commune des femmes. Les années suivantes, de plus en plus d’hommes de la CNT décidèrent de ne plus participer à la manifestation pour ne pas être agressés et cela découragea certaines femmes de la CNT de soutenir l’initiative. Je pense que cette confrontation a résulté d’un manque de débat entre les organisations et en leur sein.

Après plus de dix ans de militantisme dans des organisations anarchistes et non anarchistes, je pense qu’une forme d’anarcha-féminisme ou d’intégration de perspective de genre est fondamentale dans la recherche d’une société libre. J’en suis venue à comprendre aussi qu’il en allait de même pour les questions du racisme, de l’homophobie et de la dégradation de l’environnement. Nous ne pouvons pas prétendre que ces problèmes vont s’évaporer d’eux-mêmes avec ‘l’avènement’ du nouveau monde .

J’ai aussi appris que les anarchistes actifs aujourd’hui devaient connaître l’histoire de la pensée et des luttes anarchistes pour comprendre que l’anarchisme est une lutte globale contre toutes les oppressions. L’anarchisme, étant fondamentalement une pratique d’idées, n’a pas nécessairement besoin d’être étudiée dans les livres ni embrassé comme une philosophie de vie ou comme une stratégie politique. Néanmoins, en tant que mouvement avec une telle richesse d’expériences, il est nécessaire que nous partagions nos savoirs et ces expériences pour servir la stratégie de la lutte. Ce partage doit, en particulier, être inter-générationnel. Si des gens comme moi avions plus d’occasion d’apprendre cette histoire, nous commettrions peut-être moins d’erreurs. C’est le moment de revoir les tactiques utilisées par Mujeres Libres et d’autres anarcha-féministes et de remettre en pratique ce qui reste utile. Enfin, je pense que plus de dialogue est nécessaire entre l’anarcha-féminisme et les autres formes de féminisme pour approfondir à la fois notre pensée politique et notre pratique.

Conclusion

Historiquement, les anarchistes ont toujours accordé une importance spéciale à l’analyse et à la lutte contre le patriarcat. Alors que l’anarcha-féminisme est une tautologie, ils se sont sentis obligés d’intégrer la question de genre au sein du mouvement. Mujeres Libres et d’autres anarcha-féministes ont contribué à l’émancipation des femmes davantage que ne l’ont fait, par exemple, le marxisme, le socialisme et la démocratie libérale. Le marxisme et le socialisme n’ont pas été élaborés sur les relations spécifiques de pouvoir entre sexes et se réduisent trop souvent aux rapports économiques basée sur la classe. La démocratie libérale n’a mis en place qu’une étroite ouverture pour des réformes, une stratégie que les élites capitalistes pourraient juger utile en terme d’accession au soi disant positions de responsabilité ou de pouvoir, mais qui laisse de côté une majorité de femmes et d’hommes qui souffrent des multiples autres formes d’oppression. En outre, ces théories ont échoué à offrir des moyens participatifs de lutte cohérents avec leurs idées d’égalité. En tant qu’anarchiste, je n’accepte pas que la libération puise être obtenue à travers des structures oppressives et hiérarchiques telles que des partis politiques, des politiques basées sur la représentation et l’appareil d’état.

Les femmes et les hommes sont opprimés. Puisque l’anarchisme offre une analyse critique du pouvoir, l’anarcha-féminisme nous fournit les outils pour traiter toutes les formes d’oppression et pour agir solidairement avec les opprimés, en évitant ainsi toute conception réductionniste du pouvoir basé sur la classe ou le genre. Il nous permet aussi de travailler solidairement en en s’aidant mutuellement malgré nos différences, car, même si nos expériences face au pouvoir peuvent être différentes, le pouvoir illégitime est notre ennemi commun.

L’anarcha-féminisme a été, et est encore, un outil pour faire de nos vies et de nos luttes un endroit ou nous ne combattons pas seulement la face publique de la violence et de l’oppression, mais aussi leur face privée, chez soi et dans la famille. Ce processus d’intégration de la question de genre peut se révéler être un modèle pour la lutte contre le racisme, l’homophobie et la destruction environnementale. La ‘révolution’ implique la création de nouvelles structures pour organiser la société et la production aussi bien que différentes manières d’entretenir des relations aux autres et au monde. L’anarcha-féminisme, tout en luttant pour rendre la pratique et la pensée anarchiste plus cohérente, appelle aussi les féministes à combattre partout, non seulement le patriarcat mais contre toutes les oppressions, et prendre conscience que tant qu’il existera des opprimés dans le monde, nous ne serons pas libres.

Marta Iñiguez de Heredia

1. Martha Ackelsberg, Free Women of Spain: Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women (Indianapolis: Indiana University Press, 1991), 75.
2. Ibid, 97-98. Voir aussi Margaret Marsh, ‘The Anarchist-Feminist Response to the “Woman Question” in Late Nineteenth-Century America’, American Quarterly, vol. 30, no. 4 (Automne 1978): 533-547.
3. Ackelsberg, Free Women, 115.
4. Ackelsberg, Free Women.
5. George Woodcock, Anarchism: a history of Libertarian ideas and Movement (New York: Penguin Books, 1962); Peter Marshall, Demanding the Impossible: A History of Anarchism (London: Fontana Press, 1992).
6. Howard J. Ehrlich, (ed.) Reinventing anarchy, again (Edinburgh: AK Press, 1996); Maria Angeles García-Maroto, La Mujer en la Prensa Anarquista (Madrid: Fundación Anselmo Lorenzo, 1996); Maria Angeles Garcia-Maroto, ‘Razones para un anarcofeminismo’, Tierra y Libertad, no. 176, Mars 2003; Maria Angeles Garcia-Maroto, ‘Feminismo y Anarquismo’, Tierra y Libertad, no. 189, Avril 2004.
7. Giovani Baldelli, Social Anarchism (Melbourne: Penguin Books, 1972), 10
8. On peut trouver une description concise des différents courants dans Marshall, 6-11. Pour une discussion sur les différentes méthodes et approches au sein de l’anarchisme, et pour des arguments plus nuancés sur le développement de l’anarchisme à partir d’une pratique plutôt que d’une théorie, voir David Graeber, Fragments of an Anarchist Anthropology (Chicago: Prickly Paradigm Press, 2004), 15-20.
9. Goldman, Mujeres Libres et d’autres groupes anarcha-féministes contemporains ont démontré cette affirmation .
10. Voir Marshall, 6; Baldelli; Alexander Berkman, The ABC of Communist Anarchism (Chicago: The Vanguard Press Inc., 1929). L’ anarcho-syndicalisme défend la même idée, soulignant la nécessité de s’organiser fédérativement à travers des syndicats ouvriers afin de lutter pour la société future et en jeter les bases. Voir Rudolf Rocker, Anarchism and Anarcho-Syndicalism, 1938 (Melbourne: Anarcho-Syndicalist Federation ASF-IWA, 2001); Michel Bakounine, ‘The Policy of the International, 1869’ dans Sam Dolgoff, Bakunin on Anarchy: Selected Works par The Activist-Founder of World Anarchism (London: George Allen and Unwin Ltd, 1973), 160-175; Juan Gómez Casas, Historia del Anarcosindicalismo Español (Madrid: LaMalatesta Editorial, 2006), 44-57 et 85-113.
11. A. C. Pearson, The fragments of Zeno and Cleanthes (London: C.J. Clay and Sons-Cambridge University Press, 1891), 198-210.
12. Peter Zarrow, Anarchism and Chinese Political Culture (Oxford: Columbia University Press, 1990), 7.
13. Ibid, 7-8.
14. Sam Mbah et I.E. Igariwey, African Anarchism: the history of a movement (Tucson: See Sharp Press, 1997), 27-54.
15. Pierre Kropotkine, Mutual Aid: a factor of evolution, 1914 (New York: University Press, 1972). Woodcock, 36.
16. Ibid, 37
17. L’individualisme de Godwin penche vers un type de libéralisme puisqu’il était prêt à tolérer une forme minimum de gouvernement temporaire. Voir William Godwin, An enquiry concerning political justice, 1793 (Oxford and New York: Woodstock Books, 1992). La mysoginie de Proudhon ébranlait de toute évidence son anarchisme, comme il sera notifié plus loin dans ce document.
18. Pierre-Joseph Proudhon, What is property? An enquiry into the principle of right and of government, 1840 (New York: H. Fertig, 1966). Robert Alexander, The anarchists in the Spanish Civil War, vol 1 (London: Janus Publising Company, 1999), 6 -7. Anthony Masters, Bakunin: the father of anarchism (London: Sidgwick & Jackson, 1974).
19. Martha Ackelsberg, ‘Rethinking anarchism/ rethinking power: a contemporary feminist perspective’ dans Mary Shanley et Uma Narayan (éditrices.) Reconstructing political theory: feminist perspectives (Pennsylvania: The Pennsylvania State University Press, 1997), 158.
20. Emma Goldman, ‘Anarchism: what it really stands for’ dans Anarchism and Other Essays (New York: Dover Publications Inc, 1970), 63.
21. The Encyclopædia Britannica: a dictionary of arts, sciences, literature and general information (New York : Encyclopedia Britannica Co., 1910-11), ‘Anarchism’ vol.1.
22. Pierre Kropotkine, The conquest of bread, édité par Paul Avrich (London: Allen Lane The Penguin Press, 1972), 139-144; Emma Goldman, Living my Life, vol. 2, 1931, (New York: Dover Publications Inc., 1970), 552-557; Emma Goldman, ‘The Tragedy of Woman’s Emancipation’, dans Anarchism and Other Essays (Dover Publications: New York, 1969), 213-225.
23. Caroline Granier, ‘Peut-on être anarchiste sans être féministe?’, Le Monde Libertaire, no. 1344, Janvier- Février 2004 http://www.monde-libertaire.fr/antisexisme/11553-peut-on-etre-anarchiste-sans-etre-feministe
24. Ibid.
25. Il existe une abondante littérature sur le sujet, si l’on considère les ouvrages sur les pensées politiques en général et les mouvements idéologies contemporains, en plus de la littérature spécifique sur l’anarchisme . En plus des livres de référence sur le sujet, déjà cités, (Woodcock et Marshall), on peut trouver un aperçu d’ensemble de l’anarchisme et d’une bibliographie dans Anarchism’ in Political ideologies: A reader and Guide (Oxford: Oxford University Press, 2005), 353-79 de Matthew Festenstein et Kenny Michael ; Jeremy Jennings, ‘Anarchism’ dans Roger Eatwell et Anthony Wright, Contemporary Political Ideologies, 2nd edition (London and New York: Continuum, 1999), 131-51.
26. Rocker, 25
27. Bakounine, 167.
28. Voir aussi une chapitre sur le concept de solidarité dans Herbert Marcuse, An Essay on Liberation (Melbourne: Pelican Books, 1972), 82-93.
29. Kropotkin, Mutual Aid.
30. Isaiah Berlin, ‘Two concepts of liberty’ dans Isaiah Berlin, Four Essays on Liberty (London, Oxford and New York: Oxford University Press, 1969), 122 -123.
31. Bakounine, cité dans Dolgoff, 5.
32. L. Susan Brown, ‘Beyond Feminism: Anarchism and Human Freedom’ dans Ehrlich, 149. 
33. Xabier Paniagua, ‘Milenarismo y Anarquismo’, document présenté au congrès historique à l’occasion du 75ème anniversaire de la fondation de la Federación Anarquista Ibérica – FAI (Guadalajara, Federación Anarquista Ibérica, 2002). Ce mouvement, qui ne s’est pas limité à la péninsule ibérique était venu d’Europe et s’est étendu à travers tout le continent et le Moyen-Orient et fut encouragé par un grand nombre de femmes et de de groupes de femmes. Pour un très bon compte-rendu sur ce sujet, voir Norman Cohn, En Pos del Milenio: Revolucionarios Milenaristas y Anarquistas Místicos en la Edad Media (Madrid: Alianza,1993). Pour des lectures intéressantes sur comment les femmes s’auto-analysaient, résistaient et survivaient aux premiers temps de l’Espagne moderne, voir Lisa Vollendorf, The lives of Women: a New History of Inquisitional Spain (Nashville: Vandelbilt University Press, 2005).
34. Garcia-Maroto, ‘Femininismo y Anarquismo’.
35. Helena Andrés Granel, ‘Mujeres Libres, Una Lectura Feminista’ (Zaragoza: X Feminist Research Prize Concepción Gimeno de Flaquer, Universidad de Zaragoza, 2007): 3
36. Ibid, 2.
37. Margaret Marsh, Anarchist Women: 1870-1920 (Philadelphia: Temple University Press, 1981), 22 and 75. Voir aussi Golberg.
38. Notez que je me réfère ici aux continents physiques et non pas aux frontières politiques.
39. Marsh, Anarchist Women, 4.
40. Nelson Méndez, Mujeres Libres de España 1936-1939: Cuando florecieron las rosas de fuego (Caracas: Universidad Central de Venezuela, 2002).
41. Voir, par exemple, Flora Tristan, Peregrinations of a pariah, 1833-1834 (London: Virago, 1986); Flora Tristan, The worker’s union (Illinois: University of Illinois Press, 1983). Pour un guide sur les travaux de Flora Tristan voir Máire Cross, The letter in Flora Tristan’s politics, 1835-1844 (New York: Palgrave Macmillan, 2004).
42. Granier.
43.Gómez Casas, 25-26.
44. Equipe de Recherche Associée au Centre National de la Recherche Scientifique, Els anarquistes educadors del poble: “La Revista Blanca” (1898-1905) (Barcelona : Curial, 1977); Revista Blanca, archivé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne
45. Richard Cleminson, ‘Male Inverts and Homosexuals: Sex discourse in the Anarchist Revista Blanca’ dans Gert Hekma, Harry Oosterhuis, et James Steakley (éditeurs.) Gay Men and the Sexual History of the Political Left (London: The Haworth Press, 1995), 262.
45. Cleminson, 260; Gomez Casas, 25-57.
46. Andrés Granel, 10; Ackelsberg, Free Women, 48.
47. Ackelsberg, Free Women, 52-55; Garcia-Maroto, ‘Feminismo y Anarquismo’.
48. La Seconde République Espagnole, proclamée en 1931, fut l’objet d’agitations entretenues par les crises politiques, sociales et économiques su régime précédent. En outre, contrairement aux états monarchistes traditionnels, la république n’obtint pas le soutien de la bourgeoisie de droite , ni des militaires, ni des propriétaires terriens féodaux encore puisssants. Le 18 juillet 1936, le général Francisco Franco, qui s’était arrangé pour organiser une partie de l’armée et obtenir le soutien de soldats marocains (le Maroc était encore un protectorat espagnol à l’époque), se révolta contre le gouvernement républicain. Le 19 juillet, le peuple prit les armes pour affronter ce soulèvement et réaliser son désir de liberté, s’alignant sous la bannières de différents groupes politiques, les comunistes et les socialistes avec le parti communiste, la Unión General de Trabajadores et les anarchistes principalement avec la CNT. A une époque de montée du fascisme en Europe, Franco gagna le soutien de Hitler et Mussolini, alors que la France, l’Angleterre et la Russie, offrirent le leur avec retard. Pour des détails sur cette période, voir Alexander; et George Orwell, Homage to Catalonia (Harmondsworth: Penguin en association avec Secker & Warburg, 1966).
49. Bien que les anarchistes diront toujours qu’aucun individu n’est important mais que chaque individu l’est, de manière à souligner qu’il n’y a pas de leaders dans le mouvement anarchiste, il est néanmoins nécessaire de souligner le travail étonnant que ces femmes ont entrepris et réalisé.
50. La CNT et Mujeres Libres ont fonctionné en tant qu’organisations sœurs. Elles se sont soutenues mutuellement, même si Mujeres Libres a toujours mis en avant la nécessité d’autonomie et sa détermination à décider par elle-même. Tout le monde n’a pas considéré d’un bon œil la création de Mujeres Libres. Une des critiques les plus courantes était la nécessité de traiter de la subordination des femmes au sein de groupes déjà existant. D’autres critiques, notamment Federica Montseny, affirmaient que la subordination des femmes ne pouvaient pas être traitée par un travail d’organisation mais seulement par la transformation de la culture dominante, en commençant par l’estime de soi des femmes. Voir Ackelsberg, Free Women, 87-114. .
51. Voir Miller Gearheart, cité dans Brown, 151.
52. Ackelsberg, Free Women, 115-42.
53. Mujeres Libres, Estatutos (Madrid, Mujeres Libres: 1937), 2.
54. Ackelsberg, Free Women, 118-22.
55. Ibid, 128-40.
56. Ibid, 122 -28.
57. Ibid, 116
58. Ana De Miguel, Los feminismos a través de la historia (Mexico D.F: Creatividad Feminista, 2002);
59. Pour un débat plus détaillé au sujet de la relation entre cette forme d’organisation radicale et l’anarchisme, voir Peggy Kornegger, ‘Anarchism: The Feminist Connection dans Ehrlich, 160-161.
60. Jose Ribas, critique de Los 70 a Destajo: Ajoblanco y Libertad (Barcelona: RBA, 2007)
61. Jose Ribas cité dans Luis Alemany, ‘La aniquilación del anarquismo es el gran secreto de la Transición’ El Mundo, 12 Mai 2007
62. Voir Gómez Casas, 368-93, pour un récit de la reconstruction de la CNT et la crise traversée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. J’ai été la témoin de cette baisse d’adhésions durant les années 1990, suivie d’une augmentation dans les années 2000.
63. Garcia-Maroto, ‘Razones’.
64. Pour des détail à ce sujet voir Brown.

NDT
* Helena Born (1860-1901), anarchiste, syndicaliste et écrivaine anglaise, qui a émigré aux Etats-Unis en 1890. Auteure de Whitman’s Ideal Democracy, and Other Writings (1902) https://ia700307.us.archive.org/25/items/whitmansidealdem00bornuoft/whitmansidealdem00bornuoft.pdf

** Marie Ganz (1891 – 1968) anarchiste, syndicaliste et écrivaine. En 1914, elle menaça d’assassiner John D. Rockefeller . Après avoir pénétré dans les bureaux avec un pistolet, elle a déclaré “Dites à Rockefeller que je viens au nom des travailleurs et que si il n’arrête pas les meurtres dans le Colorado…je l’abattrai comme un chien." Ce qui lui valut un séjour en prison
Son autobiographie Rebels: Into Anarchy–And Out Again. https://ia700307.us.archive.org/25/items/whitmansidealdem00bornuoft/whitmansidealdem00bornuoft.pdf

*** empowerment : Ce terme anglais recouvre de nombreuses notions différentes selon les contextes et il n’existe pas de terme français qui en traduit exactement le sens. Une enseignante québécoise a inventé le terme EMPUISSANCEMENT qui, dit-elle, faisait sourire au début et puis "les gens se l’approprient facilement et en ressentent l’effet en le disant…Cà gronde de l’intérieur"
digger
 
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Federica Montseny et le féminisme anarchiste espagnol

Messagede digger » 21 Juin 2014, 11:13

Federica Montseny et le féminisme anarchiste espagnol

Shirley F. Fredericks


Texte inédit traduit
Texte Original : Federica Montseny and Spanish Anarchist Feminism (1976) Shirley F. Fredericks
http://zinelibrary.info/files/Federica%20Montseny%20and%20Spanish%20Anarchist%20Feminism.pdf

NDT avant propos : Ce document donne la version de Federica Montseny, le plus souvent défendue par l’auteure, concernant certains faits et réalisations,. Une bibliographie sommaire de documents en ligne permet de nuancer cette version, en rappelant que son rôle et celui de son compagnon, Germinal Esgleas, pendant la guerre civile et durant les années d’exil, fut, et est encore, largement controversé. Voir Introduction à Federica Montseny http://racinesetbranches.wordpress.com/introduction-a/federica-montseny/
Sur la participation des anarchistes au gouvernement, on pourra lire notamment, en plus de la biblio sommaire en ligne, le chapitre de Vision on Fire de Emma Goldman "Le Sabotage Communiste de la Révolution Espagnole", en cours de traduction sur R&B.http://racinesetbranches.wordpress.com/introduction-a/emma-goldman-et-mother-earth/emma-goldman-et-la-revolution-espagnole-4eme-partie/
Désolé pour l’auto-pub...

J’ai parcouru les rues de Toulouse un chaud après-midi d’août à la recherche du n°4 de la rue de Belfort, lors d’un pélerinage pour rencontrer une des pionnières du féminisme espagnol. J’ai pénétré dans une cour encombrée et monté l’escalier branlant d’un immeuble décrépit dont quelques signes indiquaient qu’il était le quartier général des anarchistes espagnols en exil. Et nous y voilà, avec un petit signe rouge et noir sans prétention sur la porte. Il était 15 heures exactement, l’heure de mon rendez-vous avec Federica Montseny, la matriarche des anarchistes espagnols. 1

J’ai su par le bruit de ses pas que la femme qui m’apparut devait être Federica Montseny : elle dégageait une énergie irrésistible. Elle est petite et maternellement rondouillarde, les cheveux pourtant, pour la plupart, d’un noir juvénile. Sa poignée de main est ferme et lorsqu’elle prend la parole, je comprends immédiatement comment cette anarchiste espagnole avait du émouvoir les ouvriers avec sa voix puissante et convaincante.

Montseny décrit le zèle missionnaire des pionniers anarchistes du dix-neuvième siècle, y compris de ses deux parents. Elle parle de la "nécessité malheureuse de la "propagande par le fait" , généralement des actions terroristes individuelles utilisées pour répondre à la sévère répression gouvernementale et de son engagement dans l’organisation anarchiste ouvrière des années 1920, condamnée à la clandestinité, déclarée hors-la-loi par le dictateur Miguel Primo de Rivera. Elle décrit aussi le travail de la Fédération Anarchiste Ibérique, composée d’individus librement associés par leur définition "puriste" de l’anarchisme et leur désir de s’opposer à la dérive de la plus importante organisation ouvrière, la Confédération du Travail, vers un compromis avec le gouvernement. Elle me parle de ses efforts pour protéger la révolution qui, dit elle, a commencé en Espagne avec la guerre civile en 1936. La dernière de nos conversation s’est déroulé chez Montseny autour d’un délicieux dîner terminé par des fruits et du café. C’est là qu’elle m’a posé de nombreuses questions sur les États-Unis : le statut des femmes, la condition des noirs et des ouvriers et l’attitude générale face à la guerre du Vietnam. A maintes reprises, mes réponses produisirent une lueur de regret dans ses yeux."Ah," dit elle finalement, "il faudra longtemps pour que la révolution arrive chez les américains".

Même si l’intérêt de Federica Montseny pour les États-Unis est ancien, datant de l’affaire Sacco et Vanzetti jusqu’à nos jours, nous ne connaissons malheureusement que peu de choses à son sujet. Ce qui suit est un essai pour rectifier cette situation en présentant une vue d’ensemble de la vie fascinante de cette femme remarquable qui est un modèle comme féministe et comme anarchiste.

Federica était le seul enfant survivant de Federico Urales et de Soledad Gustavo. La philosophie anarchiste de ses parents et l’environnement rural dans lequel elle passa son enfance eurent un effet durable chez Montseny. Ses parents, tous les deux enseignants, apprirent eux-mêmes à Federica les rudiments de la lecture et de l’écriture. Comme anarchistes, ils pensaient que, suivant les opportunités, un individu devait chercher le savoir et la sagesse ; et que cette instruction concrète encourageait, développait et complétait ses préférences naturelles. L’acharnement à apprendre de Montseny, sa vie durant, a validé la méthodologie de ses parents. Elle a développé une connaissance et une compréhension approfondies de la littérature et des théories sociales et politiques. Elle a étudié les beaux-arts avec un enthousiasme presque égal : les pièces de Eleonora Duse et la danse de Isadora Duncan. Ses principaux centres d’intérêt vont aux travaux des théoriciens du dix-neuvième et vingtième siècle, particulièrement des personnages comme Romain Rolland , le romancier et pacifiste français, renommé pour sa trilogie Jean-Christophe ; Émile Armand et Élisée Reclus, les anarchistes français ; et les américains Henry David Thoreau et Noam Chomsky. 2 Montseny est aussi familière avec les grandes œuvres de l’antiquité – elle apprécie particulièrement les grecs. La grandiloquence dans les arts, la politique et la philosophie, l’a toujours attirée.

En plus de son éducation anarchiste, l’environnement rural de Montseny a profondément influencé ses idées. Elle affirme qu’elle a été élevée par la terre et le soleil en harmonie avec les saisons et en communion avec les animaux de la famille. Son individualisme constant, son indépendance et sa recherche de l’authenticité dans les relations personnelles pourraient bien avoir pour racines l’indépendance et l’autonomie développée dans la liberté de son enfance rurale. Elle est revenue au rythme, à l’ordre et à la paix de la nature alors que, adulte, elle cherchait des alternatives à l’exploitation économique, à l’oppression politique aux injustices du droit et à la discrimination sexuelle qu’elle considérait endémiques dans la société espagnole. L’enfance de Montseny lui donna l’indépendance de jugement nécessaire à une carrière de critique, romancière dirigeante politique radicale et théoricienne.

Pendant ses premières années adultes, Montseny consacra beaucoup de temps à écrire des nouvelles et essais spécialement destinés à enseigner aux gens ordinaires la philosophie anarchiste. Elle voulait canaliser leur mécontentement diffus vers l’anarchisme qu’elle considérait comme un parcours avec des principes. Avant même d’avoir gagné une réputation comme dirigeante anarchiste, elle avait obtenu une petite renommée comme romancière fortement engagée. Sa critique sociale continuelle décrit les profondes injustices qui imprégnaient la société espagnole.

Parmi ces injustices, c’est la discrimination contre les femmes qui la préoccupe le plus. Alors que les ombres de la fin de l’après_midi s’étendaient sur les toits de tuiles rouges sous la fenêtre de son bureau, j’écoutais parler Montseny :

"J’ai connu deux périodes dans ma vie. La première a été ma jeunesse, une époque où l’on est généralement préoccupé par soi-même et par nos problèmes personnels. A l’époque, mon plus grand problème était la liberté des femmes et la possibilité de vivre librement. Ensuite, l’idée m’est venue de joindre cette idée anarchiste [la liberté des femmes] à l’action de propagande à travers le roman et commença alors la seconde période. L’analyse devint des romans qui traitaient de problèmes choquants pour la mentalité espagnole. Je considérais que c’était une tâche révolutionnaire de combattre toutes les injustices qui limitaient la liberté des femmes".

Elle insiste plus tard sur le fait que, tout programme de transformation sociale révolutionnaire qui n’obtient pas le respect et des droits égaux pour les femmes ne représente aucun changement du tout.

Ses idées sur l’égalité des femmes sont inextricablement liées à sa théorie de l’anarchisme. Au cœur de l’anarchisme de Montseny se trouve la notion que toute institution , sociale plus encore, ou opinion public qui inhibent le développement potentiel naturel de l’individu sont nocives. Elle dit sa certitude que la survie et le progrès de l’humanité reposent sur les efforts d’individus créatifs qui briseront les chaînes de la conformité et de la médiocrité et pousseront l’humanité sur un plan plus élevé d’accomplissement spirituel et/ou créatif. Montseny définit l’anarchiste comme un individualiste en constante rébellion contre les masses, dans l’intérêt d’une communauté réellement humaine basée sur des relations directes entre individus.

Federica affirme que nulle par ailleurs l’oppression de ce genre d’individualisme n’est aussi présente que dans la vie des femmes espagnoles. Elle ajoute, comme explication partielle :

"Il ne faut pas oublier que les arabes sont restés plus de 700 ans en Espagne et qu’ils ont laissé un état d’esprit qui influencent beaucoup la conception qu’ont les hommes d’eux-mêmes et des femmes. C’est pourquoi la majorité de mes romans traite de la libération des femmes dans leurs résistances aux hommes et de l’obtention de leur égalité vis à vis d’eux."

En dépit de cet intérêt, il ne faut pas oublier que Montseny ne souhaite pas une extension aveugle des droits des femmes mais plutôt le droit de chaque individu à l’épanouissement. Selon elle, ce droit ne peut être garanti par le suffrage qui induit les femmes en erreur en leur faisant croire qu’elles bénéficient des mêmes droits. Il ne peut être ni légiféré ni statué. L’égalité ne signifie pas obtenir les droits des hommes ni acquérir leurs manières masculines. Montseny veut une réelle révolution sociale, qui produit des gens capables de juger les individus sur leurs seuls mérites, qui crée une société dans laquelle le potentiel de l’individu est le premier objectif.

Pour elle, la répression de l’individualisme féminin dans la société contemporaine est centrée sur l’institution du mariage. Pour cette raison, elle cherche à redéfinir les relations entre sexes.3 Montseny insiste sur le fait qu’une femme a le droit de choisir quand, et si, elle souhaite se marier ; quand, et si, elle souhaite avoir des enfants ; et combien elle en veut et peut se permettre d’avoir. Elle insiste aussi sur le droit des femmes de choisir le père (ou les pères) de ces enfants ? Elle soutient que la grossesse est seulement de la responsabilité de la femme (contrairement à ce que pensent beaucoup de féministes de nos jours) et qu’une femme est dans l’obligation de savoir et de comprendre comment son corps fonctionne afin de la contrôler. Montseny dit que la responsabilité première pou les soins de l’enfant reposent inévitablement et naturellement sur la mère, un modèle qu’elle a observé parmi les animaux durant son enfance. Par conséquent, une femme doit être formée à répondre de manière adéquate aux besoins de ses enfants par l’acquisition une éducation, de compétences ou d’une profession qui lui lui permette de gagner sa vie convenablement. Cependant, si Montseny a des opinions bien arrêtées sur les droits de la maternité, elle croit fermement que le droit à la paternité est également sacré et naturel : elle est contre la vasectomie, par exemple, parce qu’elle élimine la capacité et le droit de l’homme à procréer 4. Le nœud du problème est la connaissance au sujet de la reproduction et l’usage responsable de cette connaissance.

La responsabilité individuelle, et non les sanctions sociétales, est au cœur de la pensée de Montseny concernant la relation entre les sexes. Si l’unicité de l’individu est respectée, et si les institutions artificielles et oppressives sont supprimées, deux personnes faites l’une pour l’autre se trouveront naturellement. Cette union durera probablement pour la vie puisque leur attraction sera fondée sur le respect mutuel, l’égalité, l’admiration et le partage, des personnalités complémentaires et un libre engagement. Avec le temps, l’expérience et les évolution de chacun, les deux individus peuvent souhaiter rompre cet engagement. Si, néanmoins, les deux partenaires jouissaient de la même liberté d’évolution, et si le choix initial était responsable, ces deux personnes évolueraient ensemble et, par conséquent, resteraient ensemble. Montseny croit en l’amour libre, mais elle insiste sur le fait que la liberté, quelle qu’elle soit, est impossible sans responsabilité.

L’anarchisme sans émancipation des femme est donc impossible. Cette dernière est également impossible tant que femmes et hommes n’acceptent pas la responsabilité de leur propre liberté. Enfin, les femmes sont obligées de gagner cette liberté si elle ne leur est pas accordée. Comme le répète inlassablement Montseny : "Le problème des sexes est un problème humain, pas celui des femmes". Comme beaucoup de femmes aujourd’hui, Montseny insiste sur le fait que l’émancipation des femmes entraîne la liberté et l’indépendance pour les deux sexes. C’est seulement lorsque cette liberté sera obtenus que les femmes et les hommes pourront se lier ensemble dans une "communication des âmes et à travers le respect mutuel", seulement possibles entre égaux – jamais entre un maître et un subordonné. "Le vrai féminisme," dit, elle,"devrait s’appeler humanisme." 5

Ses opinion sur l’émancipation des femmes sont illustrées par les "arrangements" qu’elle a conclu avec Germinal Esgleas. Cet engagement a duré une vie entière. De cette "union naturelle" fondée sur l’amour mutuel, le respect, l’indépendance et la responsabilité, sont nés trois enfants – Vida, Germinal et Blanca – tous désirés et aimés chaleureusement.

Il m’apparaît que Montseny est sans aucun doute l’héroïne de son roman principal, La Victoria. Lorsque je lui ai demandée, elle a répondu avec une certaine modestie que "Tout le monde met un peu de lui-même dans ses écrits....A la fin [du roman], je suis avec un ami que je sais maintenant, et que je pensais alors, le plus capable de me respecter et de me laisser libre." Montseny n’a jamais vu un conflit d’intérêt entre sa maternité et sa carrière, ni l’engagement mutuel entre eux n’a limité l’indépendance de Montseny et d’ Esgleas dans leur travail en faveur de l’anarchisme et du peuple espagnol, particulièrement après la proclamation de la Seconde République en 1931.

Celle-ci a légitimé l’organisation anarchiste. Pour Montseny, le nouveau gouvernement représentait la première étape vers la révolution sociale désirée depuis si longtemps. Son enthousiasme réapparut "Nous avons espéré que la République du 14 avril serait une république fédérale, socialiste qui nous apporterait beaucoup plus qu’elle ne l’a fait en réalité". Forte de cet espoir, elle s’était promis de pousser le nouveau gouvernement à effectuer des changements toujours plus grands au bénéfice du peuple. Elle a travaillé inlassablement à organiser des réunions locales, régionales et nationales pour consolider les forces anarchistes et formuler leurs revendications. Elle a pris la parole d’un bout à l’autre de l’Espagne ; de Galice en Andalousie, de Madrid aux Baléares, des Mines de Rio Tinto aux montagne d’Asturie. Elle a parlé de l’injustice sociale, du besoin d’unité des travailleurs, des défauts du gouvernement, et, toujours, des droits des femmes. Elle encourageait les efforts du peuple pour établir une société nouvelle.

Partout où elle allait, elle était reçue chaleureusement, parfois tumultueusement, bien que pas toujours comprise. Son auditoire savait qu’elle vivait en accord avec ce qu’elle pensait, et qu’elle était, autant que faire se peut, la femme nouvelle à laquelle elle aspirait avec tant de ferveur dans l’Espagne nouvelle.

Ses manières peu orthodoxes choquaient souvent, même les anarchistes. Il n’était pas courant pour une femme de ne pas être chaperonnée. Néanmoins, Montseny continuait à voyager seule, à sortir le soir pour des réunions avec des participants masculins et à fréquenter des cafés avec ses amis hommes. Elle affrontait des regards désapprobateurs , mais restait ferme sur ses positions grâce à ses convictions profondes.

Lorsque les forces conservatrices de la seconde république gagnèrent les élections de 1933, Montseny avait craint que la vague montante du fascisme en Europe n’atteigne l’Espagne. (Hitler avait pris récemment le pouvoir en Allemagne et Mussolini était bien installé en Italie). Montseny soutint donc tacitement les éléments libéraux qui s’unissaient au sein du Front Populaire en vue des élections de 1936. Mais, avant que ce dernier n’ait pu consolider ses positions après sa victoire, la révolte des généraux éclata en juillet 1936. L’Espagne fut alors enfermée dans la lutte mortelle, que Montseny avait prédit depuis longtemps, entre les forces de la révolution et celles de la réaction. Elle a alors immédiatement commencé à travailler au soutien du gouvernement républicain du Front Populaire, malgré l’apparente contradiction avec ses convictions anarchistes profondes. Aujourd’hui, elle juge cette position comme nécessaire.

"La polémique à l’époque était que nous avions sacrifié les succès des anarchistes pour un front anti-fasciste uni, que nous avions cédé du terrain, que nous avions accepté de participer au gouvernement et au commandement militaire pour renforcer le front anti-fasciste et que nous considérions plus important l’unité et le combat contre le fascisme que de défendre nos idées. Mais notre opinion était que, si le fascisme triomphait, nos idées ne pourraient pas être sauvées . Le principal, à l’époque, était de se battre contre le fascisme et qu’il ne triomphe pas, car, si cela avait été le cas en Espagne, le résultat aurait été son triomphe universel. Mais nous avons perdu en Espagne et la guerre est survenue aussitôt après et, avec elle, l’occupation de la plupart de l’Europe par le fascisme allemand et italien."

Montseny a incité constamment les différentes factions de la république à s’unir et à travailler ensemble si elles voulaient espérer gagner contre les forces réactionnaires conduites par le général Francisco Franco.

Alors, lorsque les anarchistes se sont décidés à rejoindre le gouvernement du Front Populaire à l’automne 1936, la nomination de Montseny était logique : qui d’autre s’était battu si longtemps contre les éléments qui cherchaient à détruire la révolution ? Qu’elle devienne ministre de la Santé et de l’Assistance Sociale semble également logique : à quel autre poste aurait elle mieux travaillé pour réaliser des changements dans le domaine de ses principales préoccupations ?

La tâche qu’elle a assumé était cependant presque impossible. Les blessés du front mettait une pression quasi insoutenable sur le personnel et les installations hospitalières. La guerre provoquait des déplacements massifs de population. Les réfugiés qui fuyaient les zones de combat au sud de l’Espagne constituaient une charge supplémentaire pour les stocks déjà peu fournis de vivres et de médicaments. Le problème des enfants orphelins était quasi insoluble. Cette situation engorgea rapidement les équipements sanitaires qui, à leur tour, menacèrent de polluer les réserves hydrauliques et de provoquer des épidémies. Les demandes venant du front pour du matériel médical, la crainte des attaques fascistes, les dissensions politiques au sein du Front Populaire, les difficultés incessantes pour obtenir le matériel nécessaire auprès de l’étranger – représentait autant d’obstacles pour les programmes initiés par Montseny alors qu’elle était ministre de la Santé et de l’Assistance Sociale. Pour rendre la situation encore plus difficile, il n’existait absolument aucun précédent ou modèle dans l’histoire de l’Espagne pour ce qu’elle cherchait à réaliser, puisqu’elle était la première ministre à occuper ce poste nouvellement créé.

Un effort nécessaire et important de la révolution, pour Montseny, était de changer, en particulier, la condition des femmes. A cette fin, comme ministre de la Santé et de l’Assistance Sociale, elle a aidé activement l’organisation anarchiste de femmes Mujeres Libres, qui créait des écoles et des garderies pour les enfants des mères qui avaient remplacé les hommes des milices dans les usine, comme ce fut le cas d’un bon nombre de jeunes femmes de l’avant-garde. Montseny encouragea les efforts de l’organisation pour former les femmes à des emplois utiles, qualifiés et honorables, une tâche urgente qui devait être réalisée sans tarder. Elle combattit la prostitution, qu’elle définissait comme la pire forme d’exploitation sociale et économique, un exemple classique d’inégalité sexuelle, un manque de dignité humaine et un obstacle au potentiel humain.

Elle encouragea aussi les efforts de Mujeres Libres pour apprendre aux femmes les mesures de santé et d’hygiène et pour fournir des soins médicaux et un toit pour les orphelins et les mères célibataires. Un de ses amis proches et camarade anarchiste, Juan Garcia Oliver, ministre de la Justice, a travaillé de longues heures durant les premiers mois de la guerre civile sur une législation permettant de légitimer les enfants de ces mères célibataires.

Malgré que les machinations politiques des communistes l’eussent contrainte à démissionner du gouvernement en mai 1937, il faut reconnaître que Montseny s’est chargée cette tâche immense avec une réussite surprenante.

Après avoir quitté son poste, et malgré les critiques de certains camarades anarchistes d’avoir trahit ses principes en entrant au gouvernement, Montseny a continué à travailler à unir les forces d’opposition à Franco. Sa première préoccupation, néanmoins, devint de plus en plus de nourrir sa famille. La situation dans le secteur républicain s’était tant détériorée à l’automne 1938 qu’elle était des plus reconnaissante de recevoir des colis de vivres d’un ami d’Amsterdam. Pour s’ajouter à ses inquiétudes, elle craignait que les forces de Franco ne bombardent son domicile alors que les raids sur Barcelone devenaient de plus en plus fréquents. Au début de 1939, les forces franquistes opérèrent une percée sur le front catalan. Dans les rigueurs de l’hiver, les membres de la famille Montseny, y compris un bébé, s’enfuirent vers la France, emportant avec eux le minimum vital.

Commença alors l’exil en France. Au début, elle vécut près de Paris où elle et son compagnon, Esgleas, travaillèrent activement à reloger les nombreux réfugiés qui fuyaient l’Espagne après la victoire de Franco. Durant cette période, la vie était précaire : la faim, le froid, la maladie ou l’emprisonnement empêchaient tout relogement pour beaucoup. Les Montseny discutèrent de la possibilité de se rendre en Suisse, au Mexique ou en Angleterre ; mais Federica ressentait l’obligation morale de résoudre le problème des réfugiés avec le gouvernement français avant de quitter la France. En même temps qu’ils discutaient des possibilités d’exil, les nazis envahissaient le nord de la France. Ils partirent une nuit vers le sud. Plus tard, ils s’installèrent à Toulouse. Peu de temps après, Franco demanda au gouvernement fasciste français d’extrader Federica. Mais elle était enceinte de Bianca et même le gouvernement de Vichy n’aurait pas envoyé un enfant pas encore né à une mort certaine en satisfaisant la demande de Franco. "En ce sens, on peut dire que Bianca m’a sauvée la vie"

Ils firent un ultime essai pour quitter la France en 1942. Les Montseny se préparèrent à partir pour l Mexique où beaucoup de leurs amis s’étaient rendus, mais ils trouvèrent la route bloquée par la guerre en Afrique du Nord. Hitler et Franco faisaient pression également sur le gouvernement de Vichy pour qu’il empêche toute migration espagnole hors de l’Europe. Les alliés étaient aussi réticents pour accepter les réfugiés européens, particulièrement les radicaux. Et ainsi, les circonstances dues à la guerre obligèrent les Montseny à rester à Toulouse où ils habitent aujourd’hui.

Federica Montseny, aujourd’hui âgée de soixante-et-onze ans, a résidé plus longtemps en France qu’en Espagne, son pays natal. Elle écrit et parle en français avec autant d’aisance qu’en espagnol et en catalan. Bien qu’elle ne connaissait pas le français en quittant l’Espagne, elle écrit maintenant des articles hebdomadaires pour le journal anarchiste, Espoir, et co-édite une revue hebdomadaire, CeNiT, tous les deux publiés à Toulouse.

Il suffit de lire son article dans Espoir pour se rendre compte que Montseny garde beaucoup de sa conviction profonde qui a fait d’elle une éminente théoricienne anarchiste en Espagne et qui fait d’elle aujourd’hui la matriarche de la communauté espagnole :

"La révolution espagnole n’a eu ni un Robespierre, ni un Danton, ni un Lénine. Mais elle possédait cette qualité inestimable : une génération formée dans la lutte, nourrie de projets révolutionnaires. Nous croyions que nous pouvions changer le monde, parce que nous étions jeunes et enthousiastes, et parce que nous avions la force du nombre".

A la fin de la discussion, j’ai posé deux questions à Federica. Pense t’elle qu’elle pourra retourner en Espagne ? "Peut-être", répond elle, "mais seulement si les choses bougent considérablement". Elle n’y retournera pas tant que Franco vivra. Elle n’a pas, et n’acceptera pas l’amnistie "générale" que Franco a finit par étendre à tous les exilés de la guerre civile, car accepter quelque chose de lui lui semble la plus grande trahison de ses convictions.

Quant à Juan Carlos, elle hausse les épaules : On verra....". [NDT. Elle y retournera en 1977] Elle déclare avec tristesse et regret qu’elle n’attend aucun changement rapide en Espagne sous la direction de l’héritier désigné de Franco. En l’écoutant en 1972, j’ai ressenti qu’elle s’était résignée à mourir en exil. Aujourd’hui, cependant, son vieil enthousiasme est revenu. Elle écrit "Nous sommes, comment dire, emplis de grands espoirs" pour le futur de l’Espagne.

Ensuite, je lui demande si elle pense qu’elle a réussi à élever ses deux filles pour être les "nouvelles femmes" et son fils, pour respecter et permettre l’égalité entre le sexes. Après un moment de réflexion, elle répond " Pas mon fils, mais Blanca, la plus jeune, peut-être....". Elle soupire et dit qu’elle a essayé mais que "la tradition est forte et les habitudes meurent lentement. On ne peut rien d’autre que s’en tenir à ses principes en essayant de tirer la société vers un avenir meilleur".

Lorsque j’ai quitté Federica Montseny, j’ai ressentie que l’affinité, si essentielle à l’idée anarchiste de liberté et d’amitié, s’étendait à moi à travers les brazos de départ qui étaient aussi fermes que sa poignée de mains de bienvenue.

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Les notes de l’auteure ont été abrégées (dates des correspondances avec Montseny, en particulier)

1. Le contenu de ce document est largement tiré d’interviews de Federica Montseny avec l’auteure (5 et 7 août 1972) et d’un échange de lettres (juillet 1971 à aujourd’hui). Les archives les plus complètes concernant Montseny se trouve dans les Archives de Max Nettlau à l’Institut Internationale d’Histoire Sociale à Amsterdam.
2. Federica Montseny à Shirley Fredericks Lettre du 27 juillet 1971. L’avenir de las Femmes Espagnoles Women : une interview avec Federica Montseny, ministre de la Santé et de l’Assistance Sociale Die Seite der Frau, 4 avril 1937, p.1, traduit de l’allemand par Karen Albrethsen Blackwell ; et Federica Montseny Spain 1936 : The Acts and the Men Espoir, 21 juillet 1974, pp.1-2, traduit du français par Jeanne P. Leader
3. On peut trouver le développement le plus détaillé des idées de Montseny sur le sujet dans son essai El problema de los sexos (Toulouse, Ediciones Universo) et dans trois de ses nouvelles les plus longues : La Victoria. (Barcelona, Costa 1925) ; El hijo de Clara (Barcelona, Costa 1927) et Heroinas (Barcelona, La Revista Blanca)
4. Federica Montseny Dos palabras sobre la vasectomia La Revista Blanca n°72, 15 mai 1926,pp.24-25.
5. Federica Montseny La tragedia de la emancipacion femina La Revista Blanca n°38 15 décembre 1924
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 06 Sep 2014, 18:09

Mujeres Libres (Femmes Libres), FIJL (Jeunesses Libertaires), CNT AIT ,FAI IFA - Toute la vie

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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 20 Sep 2014, 17:11

Mujeres Libres, des féministes libertaires pendant la Guerre d'Espagne, acte 1 - 11 juin 2008
Emission sur Fréquence Mutine, 103.8 FM à Brest, juin 2008
http://mutinsmutines.free.fr/dotclear/i ... -juin-2008
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 26 Déc 2014, 18:32

"DE TODA LA VIDA"

Des femmes libertaires ayant activement militées pendant la révolution espagnole autogestionnaire de 1936 témoignent de leur engagement et de leurs idées, entre autres dans "Mujeres libres"


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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede bipbip » 16 Mar 2015, 13:38

Journée d'études à Pau
Vendredi 20 mars

Image


"¡Libertarias!
Femmes, militantes et anarchistes.
De l'Espagne à l'exil (1934-1975)"


La place des femmes libertaires dans le processus de la Révolution espagnole de 1936-1939, a souvent été mis en lumière à travers le rôle de militantes connues et moins connues (Federica Montseny, Lucía Sánchez Saornil, Amparo Poch, Lola Iturbe, Mercedes Comaposada, Sara Berenguer, Pepita Carpeñas, les rédactrices de Mujeres Libres, Antonia Fontanillas Borras, à qui cette journée sera dédiée) dans une démarche souvent prosopographique.

L’étude de leur rôle comporte de nombreuses facettes encore inexplorées, notamment liées à l’émergence d’une authentique parole féminine au sein du mouvement anarchiste espagnol (déjà très implanté depuis la fin du XIXe siècle), à la constitution d’un véritable réseau militant, dont les pratiques se prolongent dans l’Espagne franquiste et dans l’exil de l’autre côté des Pyrénées, avec des fortunes diverses. Dans cette perspective, cette journée d’études se propose d’analyser le discours libertaire au féminin, grâce à des approches historiques, sociologiques, littéraires ou artistiques qui viendront alimenter un débat autour des sociabilités anarchistes et de la question du genre dans le militantisme en général. »

PROGRAMME

Discutant : Joël Delhom, Université de Bretagne Sud
9h30 - David Doillon, Editeur et chercheur indépendant.
"Francisca Saperas Miró, la mère des anarchistes de Barcelone".
10h30 - Susana Arbizu, documentariste, et Maëlle Maugendre, historienne, chercheuse rattachée à l'université de Toulouse Le Mirail, et professeure documentaliste
en Seine-Saint-Denis. "Las Solidarias. Mujeres de armas tomar?"
11h30 - Ana Armenta-Lamant, Université de Pau et des Pays de l’Adour, LLCAA.
"L’éducation dans le magazine Mujeres Libres (1936-1939) :
décalage entre la théorie et la réalité sur le terrain."

Discutant : David Doillon, Editions Nada (Paris)
14h - Rafael Maestre Marín et Cristina Escrivá Moscardó,
Fundación Salvador Segui, Valence.
“La música, las canciones y poemas de Mujeres Libres”.
15h - Joël Delhom, MCF, Université de Bretagne Sud, ERIMIT EA 4327.
"Ana Delso, Trois cents hommes et moi. Où est la mémoire des femmes libertaires ?"
16h - Maëlle Maugendre, historienne, chercheuse rattachée à l'université
de Toulouse Le Mirail, et professeure documentaliste en Seine-Saint-Denis.
"Les réfugiées espagnoles en France de 1939 à 1942, des femmes
entre assujettissement et résistance."
17h - Hélène Finet, historienne, MCF Université de Pau et des Pays de l’Adour, LLCAA.
"La trajectoire d’Antonia Fontanillas Borras, des FIJL à la CNT,
ou l’histoire d’une lignée anarchiste."

Amphithéâtre de la Présidence, Avenue de l’Université, entrée sud. Entrée libre.
Chaque communication (45 mn) sera suivie d’une discussion d’un quart d’heure.

http://utoplib.blogspot.fr/2015/03/jour ... s-pau.html
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 06 Sep 2015, 16:30

Lucia Sanchez Saornil, poétesse, anarchiste et féministe Guillaume Goutte, Paris, Éditions du Monde Libertaire, mars 2011.

La « Femme » dans la guerre et dans la révolution : Mujeres Libres 1936
Lucia Sanchez Saornil

Ce texte n’est pas une traduction R&B mais a été sauvé du site disparu Increvables Anarchistes

Antécédents :

Depuis notre plus jeune âge, nous souffrions en regardant les visages, prématurément vieillis des femmes de notre peuple. La rébellion naissante, mais profondément justifiée, nous poussait à rechercher la cause de ces rides profondes qui marquaient les fronts mais bien souvent les joues.
Déjà, nous séparions les femmes en classes sociales, nonobstant, nous découvrions, sauf en de rares exceptions, une condition commune à toutes l’ignorance et l’esclavage.

L’ignorance se couvrait dans les classes privilégiées d’un vernis de connaissances superflues. On y dissimulait l’esclavage sous un sourire de condescendance on une révérence galante. Parfois, cet esclavage-là nous paraissait plus triste, il n’attaquait pas directement la chair mais étouffait l’esprit dans de fausses louanges. C’est ainsi que nous nous prîmes à rêver d’émancipation féminine.
Nous avons connu diverses organisations nées autour de ce rêve. Les unes ont prétendu établir une compétition stupide quant à l’attribution des capacités intellectuelles ou physiques entre les deux sexes. D’autres, s’accrochant au sens traditionnel de la féminité, prétendaient que l’émancipation féminine se trouvait dans le renforcement de ce sens traditionnel et centrait toute la vie et tout le droit de la femme autour de la maternité, élevant cette fonction animale jusqu’à des sommets de sublimation incompréhensibles.
Aucune ne nous satisfit. La plus en avance visait le droit politique, suivant à dessein le mauvais chemin qui mérite bien de s’appeler masculin, En suivant ces sentiers rebattus, on prétendait enfermer la femme dans les mêmes cases qui emprisonnaient les hommes depuis des siècles. En prônant leur émancipation, elles ne trouvaient pas d’autre chemin que celui de l’esclavage avec des conceptions identiques à celles qui avaient creusé, depuis des siècles, le sillon de l’esclavage masculin et donc, de l’esclavage de l’humanité tout entière.
Nous avons décidé d’ouvrir de nouvelles voies conformes au droit immanent à tout individu. Rompre avec tous les traditionalismes, exalter les valeurs propres à la femme, cultiver ce qui, dans l’esprit et le tempérament, la différencie de l’autre sexe, extraire d’elle cette individualité très particulière destinée à être le complément nécessaire pour l’édification du monde futur.

Nous étions un nombre réduit de compagnes.

Militantes dans le camp anarchiste, nous prétendions porter sur nos épaules cette gigantesque entreprise mais nous n’avions pas l’audace de vouloir la mener à bout. Ce début nous paraissait déjà un pas de géant sur la voie de réalisations que d’autres pourraient prendre en charge, d’autres plus fortes ou plus compétentes que nous.Nous comprîmes que pour développer nos plans, le plus urgent était d’avoir un organe de propagande qui systématiserait, autant que possible, la divulgation de nos idées.
Au mois de mai 1936, naquit la revue Mujeres Libres. Le choix de ces deux mots n’était pas un pur hasard. Nous voulions donner au mot » mujeres » (femmes) un contenu maintes fois nié. En l’associant à l’adjectif » libres » nous nous définissions comme absolument indépendantes de toute secte ou groupe politique, cherchant la revendication d’un concept – mujer libre (femme libre) – qui jusqu’à présent était connoté d’interprétations équivoques qui rabaissaient la condition de la femme en même temps qu’elles prostituaient le concept de liberté, comme si les deux termes étaient incompatibles.

Nos intentions se virent couronner du meilleur succès. La revue réveilla un intérêt dans le monde féminin et nos idées furent accueillies comme l’unique espoir de salut pour des milliers de femmes.

Comment naquit Mujeres Libres. Ses caractéristiques

Nous commençâmes à prévoir le deuxième volet de notre projet. Une compagne du groupe se chargea d’une tournée de conférences qui se déroulèrent dans plusieurs athénées libertaires, et alors que nous annoncions la création de groupes culturels qui devaient être le fondement de l’action future, le soulèvement militaire qui plongea l’Espagne dans une lutte sans quartier, fit irruption.
On aurait pu croire que cet événement allait ruiner tous nos plans quand, au contraire -mais par des chemins différents- il donnait une impulsion plus forte à notre action et plus favorable à notre propagande.

C’était inouï, la guerre lançait les femmes dans la rue. Les conditions uniques, sans précédent, dans lesquelles le mouvement eut lieu, arrachaient les hommes du foyer, salis laisser le temps de les retenir au jeu d’un sentimentalisme désormais dépassé. L’effondrement de tous les ressorts de l’État, de tous les subterfuges de l’autorité, laissait les femmes livrées à leurs propres forces et contraintes à résoudre elles-mêmes le problème gigantesque de leur propre existence.
Un individu, ces jours-là, était comme un bouchon flottant sur les vagues de la mer sociale déchaînée, exposé à tout moment à être avalé par la tourmente. Il se formait précipitamment des agrégats humains et des collectivités. La sauvegarde de l’intérêt individuel dépendait de la sauvegarde l’intérêt collectif. Les femmes n’hésitèrent pas un instant à suivre ce chemin : ce que ne faisait pas la conscience, l’intuition le faisait. Le problème social arrivait à elles par le biais du problème individuel, face à face, en pleine rue, les murs de contention de l’antique foyer enfin rompus.
Instantanément, deux vertus immanentes à la femme, qu’elle ignorait sous sa forme sociale, se développèrent : la solidarité et l’émulation. Bientôt nous commençâmes à extraire de ces nouvelles conditions toits les avantages qui favorisaient notre objectif. En accord avec elles, nous entamâmes un nouveau plan d’action. Il devait en même temps apporter de l’aide à l’antifascisme et à la cause de l’émancipation féminine, partie intégrante de la Révolution.
C’est ainsi que naquit Mujeres Libres.

Sa caractéristique la plus intéressante est celle des Sections de Travail. En un mois, nous atteignîmes le chiffre de trois mille affiliées. Mais disons en quoi consistent ces sections.
Nous avons regroupé les femmes selon trois critères : leurs connaissances, leurs aptitudes ou leur vocation, le premier critère étant souvent absent. Elles forment des sections en relation avec les activités sociales liées à la guerre ou plus nécessaires pour le déroulement normal de la vie à l’arrière, comme : les Transports, la Santé, la Métallurgie, le Commerce et les Bureaux, l’Habillement, les Services Publics et la Brigade mobile.
Les noms de chaque section disent clairement l’activité qu’elles embrassent. Seule la Brigade mobile est formée des compagnes qui n’ont pas su expliciter leurs préférences pour une tâche et qui se sont regroupées sous cette dénomination, disposées à répondre aux besoins de n’importe quelle activité non prévue par nos sections.

Nous avons créé ces groupes avec l’approbation directe de la CNT, en qui nous avons trouvé, à la Fédération Locale de Madrid, un appui ferme et efficace. Ces groupes ont un caractère prévisionnel et se préparent en se formant professionnellement, en attendant qu’arrive l’heure -puisse-t-elle ne jamais arriver !- où la guerre, appelant au front les bras masculins, rendra leur concours nécessaire sur les lieux de travail.
Pour faire partie de nos sections il faut être bénévole et solidaire de la cause antifasciste. Nous ne cacherons pas, qu’au début, nous avons dû nous défendre péniblement des interprétations tordues que les uns ou les autres donnaient de notre labeur. D’aucuns soutenaient que nous voulions créer un organisme syndical féminin pour établir des revendications échevelées, d’autres confondaient notre Groupe avec une simple Agence pour l’Emploi chargée de résoudre exclusivement les problèmes économiques des femmes.

Rien ne nous a fait hésiter, rien ne nous a fait dévier de nos objectifs. Parfois, nous butions contre la résistance passive de secteurs, comme les Trams et le Métro. Peu importe, nous insistions. Rien ne fera diminuer notre détermination.

Actuellement, notre Groupe a sa personnalité bien définie et elle compte sur un respectable noyau de compagnes qui, autour le notre travail, se sont forgé une conscience révolutionnaire et agissent avec un haut degré de responsabilité.

En plein travail

Les Sections étant constituées, quelques-unes unes ont commencé à recevoir leur instruction professionnelle, d’autres, bientôt la recevront. Entre les premières, se distinguent les Transports, et c’est une satisfaction de constater l’intérêt et l’enthousiasme que le syndicat unique de cette industrie a mis à soutenir notre idée. Dans le syndicat lui-même, sous la responsabilité des compagnons Esteban Ventura, José Garrido et Claudio Montilla, fonctionne une école théorique et pratique d’automobiles. Quarante jeunes femmes y reçoivent la formation et je ne sais qu’admirer le plus, si c’est l’attention passionnée des élèves ou l’intérêt qu’y portent les enseignants. Le Syndicat des Transports a montré en cela une vision claire de la situation. L’activité révolutionnaire des syndicats offre différents aspects, mais il se peut que l’on puisse citer entre les plus éminentes, cette activité particulière du syndicat des Transports, dont certains refuseront peut-être de reconnaître l’importance. Dans quelques jours commenceront aussi les cours pratiques pour les compagnes de la Section Santé aidées également par le syndicat de ce secteur.

Par des démarches directes du Groupe, un grand nombre de compagnes travaille déjà pour la cause antifasciste, les unes sur des postes rétribués, d’autres généreusement comme bénévoles.
Il est particulièrement émouvant de constater l’abîme que les femmes elles-mêmes ont ouvert entre leur vie d’hier et celle d’aujourd’hui. De constater avec quelle ardeur elles se donnent à la cause commune, quels désirs de se surpasser s’allument en elles chaque jour. Quelles énergiques protestations avons-nous entendu s’élever devant les décisions d’évacuation des femmes !
C’est normal, les organismes officiels, habitués à un déroulement mécanique ne peuvent pas tenir compte des profondes transformations psychologiques qui s’opèrent au sein des individus. S’en tenant au vieux concept de la galanterie protectionniste, s’arrêtant à la traditionnelle faiblesse féminine, ils prétendent éloigner la femme des zones dangereuses alors qu’elle a elle-même conquis l’honneur d’être en première ligne. Et la femme madrilène, qui a même su prendre sa place dans les tranchées, mérite moins que toute autre cette humiliation.
Que l’on procure toute sorte de facilités à celles qui veulent s’éloigner de Madrid, niais que l’on n’oblige pas celles qui, avec les mêmes droits que les hommes, veulent dédier leur vie à l’écrasement du fascisme et à l’édification révolutionnaire.
Nous avons dépassé involontairement l’objet de ce travail…

Nous donnerons sommairement quelques nouvelles de notre Groupe. À sa tête est un comité responsable de trois compagnes se charge de l’administration et des questions de conseil, culture et propagande. Sous son contrôle, fonctionnent des sous-comités dont les compétences exclusives sont les suivantes : le travail, la solidarité en faveur de Mujeres Libres, et le soutien moral au front. Des précisions pour ces deux derniers sous-comités, le premier étant éloquent :

Notre groupe n’a aucun apport financier régulier. Il ne peut demander de contribution monétaire aux compagnes qui offrent leurs bras généreusement, alors que parfois elles n’ont même pas de quoi assurer leur subsistance. La commission Solidarité se charge de négocier auprès des syndicats, athénées, et autres, des dons ou subventions pour permettre le développement de notre Groupe. La Commission de Soutien Moral, nouvellement créée, tente d’acquérir par les mêmes moyens les articles qui adoucissent les peines de nos combattants et qu’elle se propose de collecter, par les actions adéquates, et de distribuer elle-même sur les fronts.
Voici les principales caractéristiques de notre Groupe.

Les projets de plus ample envergure comme les groupes culturels et les liberatorios de la prostitution, dont nous ne vous parlerons pas ici pour ne pas rallonger l’article, sont restés relégués, à cause de la guerre, sur un second plan. Nous espérons que les circonstances nous permettront de les développer bientôt.

Nous ne voulons pas finir sans souligner ici, une fois de plus, l’aide généreuse que nous avons rencontrée dans tous les éléments de la CNT.

Lucia Sanchez Saornil. Secrétaire du Groupe Mujeres Libres
CNT numéro 531, Madrid, 30 janvier 1937.

( Document fournit par Antonia Fontanillas)
Extraits du livre : Mujeres Libres Editions du Monde Libertaire. 2000


http://sous-la-cendre.info/3595/la-femm ... ibres-1936
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Re: Mujeres Libres, Espagne 36-39

Messagede Lila » 05 Déc 2015, 19:24

Mujeres Libres

« Séparées et égales » ? Mujeres Libres et la stratégie anarchiste pour l’émancipation des femmes

à lire : https://racinesetbranches.wordpress.com ... es-libres/
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