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Antifasciste en France et au delà, années 1920-1930

MessagePosté: 20 Aoû 2011, 09:58
de Pti'Mat
1924-1926: Le Front Unique Antifasciste

La fonction d’une organisation révolutionnaire est d’anticiper sur les évènements politiques avant que ceux-ci n’interviennent. C’est la seule façon de ne pas réagir dans l’urgence, sous la pression des évènements. Nous pouvons ainsi prévoir, sans trop nous tromper, une résurgence prochaine de l’extrême droite française. Le phénomène risque de se produire sous deux formes. La première, c’est une nouvelle poussée électorale du Front National. La seconde sera le renforcement de petites organisations, numériquement faibles mais activistes et agressives, à l’image de la plus dynamique d’entre elles, le Bloc identitaire ou de la mouvance « nationaliste-révolutionnaire ». Ces deux composantes de l’extrême droite ne constituent pas un même courant politique et ne peuvent donc être combattues de la même façon. L’une est fasciste, l’autre pas, même si elle pourrait le devenir. Le FN est un bloc national-populiste intégrant des composantes fascistes, mais largement minoritaires en interne.

Les CSR ont déjà produit une brochure consacrée au fascisme. Nous conseillons vivement à nos lecteurs de se la procurer. Les articles qui vont suivre seront donc une mise à jour et une actualisation des analyses déjà publiées dans cette brochure. Nous allons produire deux articles abordant des thèmes qui n’ont jamais été traités dans la presse militante et encore moins dans les analyses universitaires. Le premier sera consacré à la lutte anti-fasciste en France dans les années 1920. Nous allons essayer d’étudier cette expérience en nous arrêtant sur la force et les faiblesses de la stratégie syndicaliste révolutionnaire. Dans la seconde étude nous nous concentrerons sur le processus de fondation du fascisme français, à travers un angle jamais abordé et pourtant indispensable à la compréhension du phénomène.

Une histoire occultée

Des centaines d’ouvrages ont été consacrés au fascisme. Etonnement, pratiquement aucun n’a abordé la question de la lutte anti-fasciste des années 1920. Les œuvres de Daniel Guerin (« Fascisme et Grand capital », 1936) et de Poulantza (« Fascisme et dictature », 1970) apparaissent donc au final comme les références sur le sujet. Ce sont pratiquement les seuls ouvrages à proposer une étude détaillée et politique, c’est-à-dire critique des combats antifascistes menés dans l’entre deux guerres. Le combat antifasciste est présenté à travers les stratégies erronées de la sociale démocratie, du stalinisme et de l’extrême-gauche. D’autres expériences ont été laissées de côté. Ainsi l’action des Arditi del Popolo, largement impulsés par les SR italiens, permet aux militants ouvriers de repousser les assauts fascistes. Rien n’a encore été publié à ce sujet en France, sur cette expérience du Front Unique. L’offensive ouvrière contre le putsch du général Kapp en 1920 en Allemagne, a elle aussi été peu étudiée. La grève générale antifasciste permit de briser ce putsch mais l’organisation de cette mobilisation reste non étudiée. L’action des SR de la FAUD de la Ruhr eut pourtant un impact réel sur les évènements.

Un retour sur les archives ouvrières de l’époque nous démontre que la description caricaturale de l’antifascisme des années 1920 est tout aussi faussée en ce qui concerne la situation française. Cette action antifasciste démontre au contraire que le mouvement ouvrier est en capacité de briser l’ennemi si la stratégie est adaptée à la situation.

Dès les premiers mois où le fascisme italien et le nazisme allemand s’expriment, la presse de l’Internationale Syndicale Rouge (ISR) produit des articles d’analyse, publiés dans les revues de ses sections (la Vie Ouvrière et le Bulletin de l’ISR en France). Mais le phénomène le plus marquant va être la publication, suite au Conseil Central de l’Internationale Syndicale Rouge de juin 1923, d’un document d’une grande valeur politique. On y retrouve déjà, de manière synthétique, les analyses reproduites bien plus tard par Guérin et Poulantza. Ce document est l’œuvre d’Andres Nin, représentant des CSR espagnols au Bureau de l’ISR. Cette réflexion politique s’appuie sur l’expérience acquise en Espagne suite à la contre offensive du patronat catalan. Cette répression anti-syndicale a pris la forme d’un syndicalisme jaune, orienté vers la liquidation physique des principaux dirigeants de la CNT. Nin va compléter son étude grâce aux informations reçues de toute l’Europe et provenant des organisations SR adhérentes à l’ISR. Ses voyages en Italie en 1924 lui permettent de donner davantage de matière à sa réflexion. Réflexion qui va pendant plusieurs années servir de référence à l’ISR et à l’Internationale Communiste. A partir de 1928, Nin est rapidement marginalisé dans l’appareil stalinien en raison de sa défense du Front Unique et de son rejet de la nouvelle stratégie sectaire de l’IC. Les œuvres de Nin vont alors progressivement tomber dans l’oubli, voir même dans la censure. Car les positionnements de l’ISR des années 1920 discréditent aussi bien les virages diplomatiques de l’URSS (de l’ultra-gauchisme de 1928 aux Fronts populaires de 1934), le repli sectaire de l’anarcho-syndicalisme, mais aussi les écrits sacralisés et moins pertinents de Trotsky (« Comment vaincre le fascisme » 1933).

Face au fascisme : le Front Unique !

Les thèses présentées par Nin en 1923 sont reproduites dans une brochure récemment publiée par les CSR (1). L’ensemble de l’exposé est publié dans le Bulletin de l’ISR (2). Nous ne développeront donc ici que les principaux éléments : * Nin établit une distinction entre le fascisme et « les formes traditionnelles de la répression bourgeoise », contrairement à la plupart des courants politiques de l’époque. A ce titre, il rappelle que le fascisme s’adresse à la petite bourgeoisie mais aussi aux « éléments hésitants du prolétariat », en avançant des revendications sociales. Le fascisme entend se débarrasser du syndicalisme de classe en implantant violemment un « syndicalisme fasciste ». Même si cette première analyse ne souligne pas assez l’autonomie politique des fascistes par rapport au grand capital, Nin rappelle que ce modèle n’est donc pas celui des traditionnelle bandes de briseurs de grève.

* Dans la seconde partie du texte (« Le devoir des syndicats révolutionnaires »), Nin souligne que le « fascisme peut trouver un des plus forts appuis dans l’existence d’une masse désorganisées et démoralisée ». Ce en quoi il avance une analyse qui préfigure le concept de la « contre–révolution préventive ». Contrairement à l’opinion largement répandue dans les milieux gauchistes, le fascisme ne se développe que dans la phase de reflux du mouvement ouvrier, c’est-à-dire quand ce dernier est momentanément sur la défensive. Et justement le fascisme intervient comme un obstacle visant à empêcher le prolétariat de repartir à l’assaut. Il constitue donc une forteresse devant les retranchements de la bourgeoisie. Reprendre l’assaut contre le grand capital, sans tenir compte de cette forteresse fasciste, serait donc suicidaire car l’assaut prolétarien serait affaibli par l’action des fascistes. Il faut donc faire sauter ce verrou. Les thèses présentées et adoptées par l’ISR rappellent donc l’urgence du « Front Unique Prolétarien » avec une intervention spécifique sur le terrain anti-fasciste. L’ISR et ses sections vont être partie prenante du Comité International pour la Lutte contre le Fascisme et la Guerre. Mais c’est surtout sur le terrain que les sections vont devoir appliquer la stratégie de l’ISR. « Dans tous les pays un organisme central doit être créé, chargé de diriger et coordonner la lutte. Cet organisme central doit être aussi composé d’éléments de toutes les tendances du mouvement ouvrier ». La constitution de groupes d’autodéfense ouvriers, sur le modèle des Centuries rouges d’Allemagne, doit servir d’outil de regroupement des militants syndicaux de toutes tendances comme le proclame la résolution de juin 1923. Le texte condamne explicitement la pratique frileuse des sociaux démocrates utilisant leur service d’ordre exclusivement pour protéger leur parti. Mais implicitement ce sont aussi les tendances sectaires du mouvement communiste qui sont dénoncés. Il ne s’agit pas de créer une milice de parti, putschiste dans son mode d’intervention, mais bel et bien de préparer la contre-offensive antifasciste en y intégrant le maximum de travailleurs.

L’ISR a donc bien compris que le fascisme ne pouvait se combattre par les méthodes traditionnelles utilisées contre le capital. La confrontation physique et immédiate avec l’ennemi n’est donc pas évacuée mais au contraire parfaitement assumée. En France elle va donc être menée avec rigueur. Cette expérience n’a jamais été étudiée dans la presse militante, pas plus d’ailleurs que dans les ouvrages universitaires. Il est vrai que cette histoire dérange et ce pour de multiples raisons. Elle est en porte à faux avec l’image institutionnelle et légaliste de la CGT et du PCF d’après 1945. Elle donne une image un peu trop active du syndicalisme révolutionnaire à ceux qui estiment que le mouvement aurait disparu dès 1914 dans l’Union Sacrée. Mais elle souligne aussi les tentations fascistes ; existant en France dès cette époque, démontrant ainsi que l’essor du fascisme en 1936-1944 n’était pas si accidentel que cela.

Le syndicalisme révolutionnaire face au nationalisme

Cette occultation a été précédée d’une double falsification. Car l’action antifasciste du syndicalisme révolutionnaire s’inscrit dans une vieille tradition qui a été systématiquement occultée. Cette entreprise a rendu possible la thèse de Sternhell (« La droite révolutionnaire (1885-1914). Les origines françaises du fascisme ») qui voit dans le syndicalisme révolutionnaire la matrice idéologique qui va donner naissance au fascisme. Les arguments matériels de sa thèse se limitent à l’évocation de quelques intellectuels, ralliés un temps au SR, avant leur basculement vers le fascisme (Sorel, Lagardelle,…). Des données matérielles viennent contredire cette thèse qui d’ailleurs déstabilisent également une autre thèse : celle de la démission du SR en 1914 face à l’Union sacrée.

Il est donc important de revenir rapidement sur ces expérience antérieures à 1914 pour inscrire l’analyse dans la durée. Le syndicalisme révolutionnaire se voit régulièrement reproché son attrait pour les thèses conservatrices et anti-parlementaires de l’extrême droite, et bien entendu son antisémitisme ! Oui, mais voilà, on est tout de même bien obligé de rappeler le rôle des militants du POSR et de certains anarchistes lors de la crise dreyfusarde. Ce sont eux qui assurent le service d’ordre de la campagne dreyfusarde. Dreyfus lui-même saura remercier à sa façon ses camarades de combat. Cet officier deviendra ensuite un historien du mouvement ouvrier. Ces militants ouvriers sont ceux là même qui dans les années suivantes vont construire le syndicalisme révolutionnaire. Quant au mythe anti-sémique, il n’est guère crédible lorsque l’on évoque l’action des SR de la CGT dans l’organisation du prolétariat juif. Car la seule organisation qui va accueillir en son sein les juifs des pays de l’est , c’est bel et bien la CGT, à tel point que le syndicat des Chapeliers a son drapeau écrit en Yiddish. La commission syndicale Yiddish de l’UD de la Seine édite également un journal dans cette langue, organise des fêtes, anime les grèves. Comment un telle expérience a pu être systématiquement ignorée des historiens quand on sait qu’y participait Losovsky, futur secrétaire général de l’ISR ?

La lutte contre l’extrême droite et le nationalisme retrouve un caractère spectaculaire suite à la fondation des Jeunesses Syndicalistes. Cette organisation de la CGT, acquise au SR, aura des ramifications dans de nombreux pays (Espagne, Portugal, Italien…). En France elle apparait en 1904 et se concentre dans un premier temps sur l’éducation et la sociabilité des jeunes ouvriers. La seconde génération apparait en 1912 et le mouvement connait une nouvelle dynamique qui s’inscrit dans un cadre nouveau. L’urgence est à la lutte contre la guerre et donc contre le nationalisme. La situation se caractérise par l’offensive des partis d’extrême droite au sein de la jeunesse universitaire. Les organisations affinitaires (Jeunesses Socialistes et groupes de jeunes libertaires) traversent alors une crise (3). Ce sont donc les Jeunesses Syndicalistes qui prennent la tête du combat contre la guerre impérialiste. Un travail antimilitariste est entrepris en direction des conscrits avec le fameux « Sou du soldat » mais aussi avec des campagnes de propagande qui amène de nombreuses condamnations de militants des JS. La campagne donne lieu à une série de mutineries dans les casernes en 1913, phénomène rarement étudié et contredisant pourtant la soi-disant démission des SR face à l’impérialisme. La répression n’empêche pas l’élan. Les rapports de police estiment les forces de la JS en Septembre 1912 à 64 groupes locaux dont 32 dans le département de la Seine (4).

C’est dans ce cadre que les JS entreprennent le nettoyage du Quartier latin. Des expéditions armées sont organisés pour reprendre le terrain aux groupes d’extrême droite. L’action des jeunes ouvriers va être très efficace. Les Jeunesses Syndicalistes seront la dernière organisation ouvrière à maintenir la mobilisation, appelant à la dernière manifestation après l’assassinat de Jaurès en 1914.

Cette expérience contredit la thèse de l’abdication des syndicalistes révolutionnaires face à l’Union sacrée en 1914. C’est au contraire ce courant politique qui a été le plus actif dans la bataille anti-impérialiste. C’est ce qui expliquera aussi le maintien des JS pendant la guerre. L’organisation conserve son orientation et participe à toutes les tendances SR. C’est une des rares organisations, avec la VO et la Fédération de l’Enseignement, à diffuser dès 1917 les brochures de popularisation de la Révolution Russe. Ses militants vont se retrouver en première ligne des luttes ouvrières, dès 1916. Sur les 3 délégués français qui participent au congrès de l’Internationale Communiste en 1920, on retrouve les deux principaux meneurs des JS (Lepetit et Vergeat). Les JS vont devenir l’organisation de jeunesse des CSR puis celle de la CGTU. Mais à partir de 1922 elle est victime de tensions internes. Certains éléments s’en détachent pour construire les Jeunesses Communistes. D’autres se rallient à l’anarcho-syndicalisme. Au moment où la CGTU doit mener la bataille contre le fascisme, la confédération est victime de dérives et de violents conflits internes. Cependant la lutte antifasciste sera l’occasion de renforcer la cohésion interne.

1924-1926 : L’action antifasciste de la CGTU

Lors des grèves de 1919-1921, les CSR sont confrontés à l’actions des groupes de l’Union Civique, recrutés dans la bourgeoisie pour appuyer la lutte contre le mouvement révolutionnaire. Malgré leur organisation paramilitaire, influencée par la présence d’anciens combattants, ces groupes ne s’apparentent qu’à des bandes de briseurs de grève. Il n’y a aucun discours visant à contester l’ordre social, bien au contraire. C’est d’ailleurs ce que souligne Nin dans son rapport de 1923 : « En France n’existent pas encore les conditions économiques et politiques nécessaires pour l’éclosion d’un vrai mouvement fasciste. Mais la bourgeoisie en prépare les cadres ». La Confédération Nationale des Unions Civiques n’hésite en effet pas à envisager l’action directe en cas de triomphe d’un gouvernement de gauche. Dès 1920, elle se dote d’ailleurs de Gardes Civiques destinées à intervenir comme auxiliaires de police en cas de troubles sociaux. Les analyses de Nin vont démontrer leur pertinence dès l’année suivante. La situation politique va vite changer à partir de 1924. La victoire électorale du cartel des Gauches provoque une radicalisation des partis de la bourgeoisie traditionnelle. C’est dans ce contexte qu’une crise économique intervient. L’inflation provoque une précarisation rapide de la petite bourgeoisie. Les mouvements catholiques traditionnalistes appellent à des actions de rue pour contester le gouvernement anticlérical. Cette situation favorise l’apparition rapide et inquiétante d’organisations qui s’apparentent désormais au modèle fasciste.

C’est à cette date qu’intervient une scission dans l’Action Française. Une tendance activiste reproche à Maurras sa passivité face aux évènements. Cette tendance est dirigée par Georges Valois, militant anarchiste qui adhéra quelque temps à la CGT d’avant guerre. Le contexte de 1924 fait que ce dirigeant de l’AF se démarque de plus en plus du conservatisme sociale du courant monarchiste. Il revendique un « socialisme national » qui ne cache pas son attrait pour l’expérience fasciste italienne. En avril, il fonde ses Légions en s’appuyant sur le recrutement d’anciens combattants, puis le parti du « Faisceau » en novembre. Il attire à lui 2 000 adhérents de l’Action Française, surtout les jeunes activistes (5). Il va vite rassembler 25 000 adhérents. Mais l’action du Faisceau n’est pas isolée. De nombreux industriels et autres organisations patronales financent généreusement l’organisation. Le Faisceau peut également s’appuyer sur le soutien d’une nouvelle organisation, les Jeunesses Patriotes. Elle se constitue autour du bonapartiste Taittinger, comme réaction à l’imposante manifestation de novembre 1924 pour le transfert de cendres de Jean Jaurès au Panthéon. Les Jeunesses Patriotes entendent donc répondre à cette « provocation » en menant le combat politique contre le gouvernement de gauche mais aussi en occupant la rue face au « péril communiste ». Bien qu’étant une organisation bourgeoise conservatrice, fournissant son service d’ordre aux partis de la bourgeoisie traditionnelle, les JP n’hésitent cependant pas à apporter leur soutien aux actions du Faisceau et aux agressions anti-ouvrières. Les milices contre-révolutionnaires se développent donc très rapidement, de plus en plus influencées par le modèle fasciste. L’abbé Bergey, avec ces légions de la Fédération Nationale Catholique, va lui aussi collaborer avec les centuries des JP (en uniformes kaki) et les légions du Faisceau (uniforme bleu). A partir de la fin de l’année 1924, les manifestations de l’extrême droite se multiplient à travers toute la France. Elles se veulent offensives, rassemblent des cortèges imposants et prennent de plus en plus l’aspect de manifestations paramilitaires. Il faut aussi compter sur les tentatives d’implantation d’organisations fascistes dans le prolétariat immigré italien. La MOE-CGTU, contre attaque en utilisant le savoir faire de G. Di Vittorio, ancien militant de l’USI et des Arditi del Popolo (il deviendra secrétaire général de la CGTI en 1945 puis président de la FSM).

Les agressions se multiplient donc, en ciblant les mobilisations de la mouvance communiste. Mais la contre-offensive s’organise rapidement. Le contexte est d’ailleurs favorable à l’action antifasciste. Le syndicalisme révolutionnaire vient de traverser une grave crise. La CGTU est profondément divisée. Les anarcho-syndicalistes viennent de scissionner. La vieille équipe de la Vie Ouvrière est en cours d’exclusion du PC. La majorité des militants des CSR, maintenant ralliés à l’appareil soviétique, doivent donc démontrer leur zèle. La lutte contre la guerre au Maroc ainsi que la mobilisation antifasciste sont l’occasion de redynamiser provisoirement le mouvement communiste et de recruter de jeunes activistes. Mais c’est aussi l’époque où la CGTU et le PC doivent reconnaitre des erreurs dans l’application du Front Unique. La « bolchevisation » est contesté par les éléments restés les plus fidèles au syndicalisme révolutionnaire. Cette contestation interne reproche à la direction de « déclarer fasciste tout ce qui n’est pas communiste ». Cette opposition va donner naissance en octobre 1925 à la fameuse Lettre des 250, dans laquelle plusieurs centaines de responsables de la CGTU et du PC critiquent la dérive gauchiste du mouvement communiste français. Au CCN de la CGTU d’avril 1925, Godonneche (6), représentant de la Fédération du Livre, conteste la tactique qui consiste à dénommer « fasciste » toute forme de répression anti-ouvrière. Cette critique intervient au moment où l’appareil de l’IC, sous l’influence de Boukharine, s’appuie sur Pierre Sémard pour appliquer une orientation moins sectaire et à redonner vie au Front Unique.

La CGTU et ses relais « politiques » (PC et JC) s’engagent dans la bataille antifasciste sur de nouvelles bases. Il ne s’agit plus de fustiger un « fascisme » inexistant mais de répondre à une nouvelle et véritable menace. Cette réorientation intervient donc à un moment où le mouvement ouvrier perçoit cette menace comme réelle. Elle s’inscrit désormais dans une véritable dynamique de classe, s’ouvre aux autres courants ouvriers et peut donc s’exprimer dans des actions de masse et unitaires. Elle est pour le moins dynamique. Dès février 1925, l’extrême droite prend conscience de ses faiblesses. Les ligues viennent provoquer une mobilisation anti-impérialiste de la CGTU rue Danrémont à Paris. Les syndicalistes les attendent et ripostent. 4 « fascistes » vont trouver la mort lors de cette bataille rangée. La CGTU fait paraître un texte où elle assume publiquement l’affrontement et elle soutient ses militants arrêtés : « Les légions fascistes ont essayé, en maintes circonstances, de s’imposer par la terreur jusque dans les quartiers ouvriers ». (…) « La CGTU se déclare solidaire de la classe ouvrière en état de légitime défense et de ses militants tombés aux mains de la bourgeoisie, elle dit à tous, plus que jamais, constituez vos comités d’unité prolétarienne anti-fascistes, travaillez à la reconstitution de l’unité syndicale, organisez votre défense, défendez vous ! » Cette proclamation n’est pas adoptée dans la précipitation. Au contraire elle s’inscrit dans le cadre des réflexions et des positionnement de l’ISR. Le IVème congrès de l’ISR décidera d’ailleurs de la constitution de milices syndicales pour assurer la « prise de possession de la rue » dans le cadre de la préparation du premier mai. Au cours de l’année, les affrontements se multiplient et c’est désormais les syndicalistes révolutionnaires qui prennent l’initiative. Les meetings de l’extrême droite sont attaqués comme le 21 novembre 1925 à Epinal, le 5 décembre à Loches, le 7 février 1926 à Saint Etienne. A chaque fois il y a de nombreux blessés et même des morts. A cette date, les consignes de l’ISR sont déjà appliquées. L’ARAC, l’organisation des anciens combattants, a pris l’initiative de créer les fameux Groupes de Défense Antifascistes. Beaugrand, l’ancien responsable du CSR des abattoirs de la Seine, devient le responsable de la lutte militaire dans la région. En 1927, les GDA et les Jeunes Gardes Antifascistes regroupent plus de 6 000 membres. Même si la direction du mouvement est prise en charge par les membres du PCF, ces organisations sont des structures de Front Unique ouvertes à toutes les tendances.

Ces affrontements vont atteindre leur paroxysme en juin 1926 à Reims. Le Faisceau de Valois organise des « Etats Généraux du Corporatisme » dans la ville. Il profite de l’initiative pour y faire converger ses troupes afin d’organiser une manifestation de rue. La manifestation aura bien lieu mais protégée par les forces de l’ordre. Car le mouvement ouvrier contre-attaque dans un cadre unitaire. La manifestation ouvrière va s’achever dans de véritables batailles de rue. Le service d’ordre est assuré par les adhérents du Club du Travail de Reims. C’est la puissante association sportive et culturelle de la Bourse du Travail dans laquelle les Jeunesses Syndicalistes ont longtemps été actives. Valois a pu tenir son meeting mais il comprend que chaque mobilisation du Faisceau sera confrontée à la réaction violente du front ouvrier. Le leader du mouvement a échoué dans sa tentative d’implantation dans les classes populaires et plus particulièrement dans le prolétariat. De plus, il n’arrive pas à assumer son objectif proclamé de maintien de l’ordre. Il a même favorisé, bien malgré lui, une mobilisation unitaire et de masse. Le mouvement est donc victime, dès janvier 1927, de contradictions internes qui produisent un éclatement. Ses soutiens, militants et financiers, issus de la bourgeoisie traditionnelle, l’abandonnent. La victoire électorale du Bloc National et la relance économique freinent provisoirement le mécontentement des classes moyennes traditionnelles. La défaite de la gauche institutionnelle aura ainsi favorisé la crise du fascisme. Mais cela ne réduit pas pour autant l’impact du Front Unique Antifasciste sur le terrain. Et pour preuve, l’extrême droite pourra enfin connaitre son moment de gloire en 1934, en profitant de la stratégie erronée et sectaire du PCF (1928-1934). Une stratégie qui lui laisse le terrain. Quant au fascisme français il pourra se constituer solidement lors du Front Populaire profitant de la dérive du mouvement ouvrier sur le terrain institutionnel. C’est ce que nous étudierons dans un prochain article.

1)Les CSR espagnols, histoire de la tendance révolutionnaire de la CNT (1919-1925), Brochure N°6 de la Collection Histoire du Syndicalisme, édition des CSR 2)Ce texte peut être envoyé par internet à nos lecteurs 3)« Les jeunes, le Socialisme et la guerre. Histoire des mouvements de jeunesse en France », Yolande Cohen, L’Harmattan, 1989 4)Archives nationales de police 3AN F7 13326 5)Pierre Milza, Fascisme français, passé et présent. Page 101 6)Victor Godonneche est des principaux militants investis dans la réorganisation du SR à la fin de la guerre. Après le congrès des CSR de septembre 1920, il assume le secrétariat de l’organisation pour remplacer son ami Monatte, alors emprisonné. Il sera exclu du PCF à la même date que lui. Il participe ensuite à l’expérience de la Révolution Prolétarienne.

Courant Syndicaliste Révolutionnaire

Re: Antifasciste en France, années 1920-1930

MessagePosté: 02 Juil 2014, 01:10
de Pïérô
L’autodéfense socialiste —1929-1938

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« Vous devrez être des animateurs. Donc pas d’âme de vaincu d’avance parmi vous, mais des cœurs bien trempés décidés à vaincre, que rien ne doit rebuter. La responsabilité est lourde, les délais sont courts avant la bataille décisive qui doit mener soit au triomphe du fascisme, soit à la prise du pouvoir. Après l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, c’est au tour du prolétariat français de livrer la bataille décisive. »
Circulaire de formation des TPPS.

La manifestation d’extrême droite à caractère insurrectionnel du 6 février 1934 provoque une réponse immédiate des partis de gauche, qui décident de s’allier afin de ne pas subir le sort des Italiens et des Allemands, défaits par le fascisme mussolinien et le national-socialisme. Ce rassemblement mène à la victoire électorale du Front populaire en mai 1936, immédiatement suivie d’un mouvement de grève sans précédent qui débouche sur l’obtention de nombreux droits, notamment les congés payés.

Matthias Bouchenot aborde dans cet ouvrage un angle mort de l’histoire des années 1930 : celle des groupes d’action et des groupes d’autodéfense de la SFIO (Parti socialiste), principalement dans la fédération de la Seine. Embryon d’armée révolutionnaire pour les uns, simples groupes chargés d’assurer la sécurité des cortèges, des meetings et des chefs politiques pour les autres, les « Jeunes Gardes socialistes » (JGS) et les « Toujours prêts pour servir » (TPPS) refusaient de laisser la rue aux ligues d’extrême droite et rêvaient de vivre des lendemains qui chantent.

Constituant l’aile gauche de la SFIO, ouverts aux tendances communistes révolutionnaires (trotskistes, luxemburgistes), proches des libertaires, les TPPS et les JGS incarnent l’image la plus éloquente du « Front populaire de combat ».

L’auteur
Matthias Bouchenot (né en 1988) est enseignant dans le secondaire. Tenir la rue est son premier ouvrage.

http://editionslibertalia.com/tenir-la-rue


Matthias Bouchenot : « Contester la présence des ligues nationalistes dans la rue »

Les années 1930 ont été le théâtre de violences fascistes particulièrement fortes. Face aux ligues d’extrême droite, l’autodéfense s’est organisée au sein des partis de gauche. Matthias Bouchenot, auteur de Tenir la rue, à paraître le 6 mai, revient pour nous sur les groupes d’action de la SFIO.

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Alternative libertaire : Ce livre, issu de ton mémoire de master, s’intéresse à une histoire méconnue. Comment en es-tu venu à t’y intéresser ?

Matthias Bouchenot : Je voulais travailler sur les pratiques militantes des organisations révolutionnaires, étudier la manière dont leurs valeurs, leurs théories, leurs analyses des périodes politiques s’incarnaient dans l’action concrète.

Le sujet de l’autodéfense socialiste dans les années 1930 réunissait trois avantages : le premier, de n’avoir jamais été traité, le second, d’être accessible. Le troisième avantage est qu’il permet à la fois de reprendre le pouls de l’intensité du conflit politique dans les années 1930 et de s’interroger sur les réalités de la SFIO, à travers des expériences originales comme les Toujours prêts pour servir, l’organisme d’autodéfense socialiste de la région parisienne. Ceux-ci étaient utilisés aussi bien pour faire le service d’ordre de manifestations très officielles, que pour attaquer nuitamment des permanences de l’Action française.

Certains voyaient en eux des défenseurs des libertés républicaines, en cas de coup d’État fasciste, alors que d’autres les considéraient comme les futurs cadres de milices révolutionnaires. Voilà par exemple, ce que peut dire un tel sujet des années 1930 et de la SFIO. Cette étude est donc passée du mémoire au livre, et il faut saluer le beau travail d’édition de Libertalia.

Sur quelles sources as-tu pu t’appuyer pour documenter ce sujet ?

Matthias Bouchenot : Les pratiques fédéralistes et peu bureaucratiques de la SFIO des années 1930 n’ont pas facilité le travail de recherche. à cela s’ajoute la destruction en 1940 d’une partie des archives et le transfert d’une autre partie à Berlin, puis à Moscou.

J’ai cependant pu rencontrer l’un des derniers témoins de cette aventure, Eugène Boucherie, mort à la fin de l’année dernière. Les fonds d’archives de Marceau Pivert et de Jean Zyromski, les textes des fédérations, les comptes-rendus de congrès et la presse forment l’essentiel des sources. Il faut ajouter à cela, bien évidemment, les archives de la préfecture de police.

Les partisans de Marceau Pivert semblent les plus actifs dans la théorisation de l’autodéfense et dans sa mise en oeuvre. Cette division entre révolutionnaires activistes, prêts à faire le coup de poing, et réformistes prudents est-elle indépassable ?

Matthias Bouchenot : Sans aucun doute, l’autodéfense socialiste était associée à la tendance Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, celui qui annonçait en 1936 : « Tout est possible ! ». Il est donc tentant d’affirmer que ce sont les révolutionnaires, seuls, qui ont porté l’autodéfense dans la SFIO, malgré les réformistes légalistes tournés uniquement sur la question électorale, mais l’histoire est toujours un peu plus complexe.

Certes, ce sont bien les révolutionnaires de la SFIO (socialistes révolutionnaires et trotskistes) qui ont fourni les cadres de l’autodéfense, mais ils ne l’ont pas toujours construite contre le reste du Parti. Jusqu’en 1935 environ, ils ont reçu, si ce n’est le soutien de l’ensemble de la SFIO, au moins l’accord des dirigeants.

A la fin des années 1920, lorsque sont remis sur pied des groupes d’autodéfense, l’objectif est d’assurer la tenue des réunions publiques des campagnes électorales de la SFIO. Elles étaient souvent l’objet d’attaques de la part du PCF, et particulièrement dans les arrondissements populaires.

Le divorce entre révolutionnaires activistes et réformistes légalistes sur la question de l’autodéfense n’est donc intervenu que plus tard.

Les militants de la SFIO mais également d’autres organisations (anarchistes, communistes…) sont alors déterminés à ne pas laisser le pavé à l’extrême droite…

Matthias Bouchenot : Oui, dans ce livre, je resitue l’action de l’autodéfense socialiste en région parisienne dans le cadre du Front populaire et des milieux révolutionnaires de l’entre-deux guerres.

Avec l’émergence du Front populaire, la première préoccupation des groupes de combat socialistes a été de contester la présence des ligues nationalistes dans la rue. Elles dominaient dans certains quartiers (comme le symbolique Quartier latin), grâce à leurs pratiques militaristes particulièrement violentes. Pour faire face à elles, l’autodéfense socialiste s’est cherché des alliés.

Elle les a trouvés naturellement dans les organisations du Front populaire, mais pas particulièrement du côté du PCF ou des radicaux. Plutôt du côté des organisations nouvelles nées dans le foisonnement politique des années 1930, comme le Front commun de Bergery.

Elle les a aussi trouvés par-delà le Front populaire, dans les milieux révolutionnaires, trotskistes ou anarchistes, habitués de l’action directe. En se rapprochant de ces mouvances-là, les dirigeants révolutionnaires de l’autodéfense socialiste marquaient aussi leur éloignement de la ligne majoritaire du Parti, ce qui explique que la majorité ait été alors embarrassée par les groupes de combat socialistes.

Peut-on faire des parallèles entre les années 1930 et nos jours ? Et ainsi tirer des enseignements contemporains de leur expérience, dans un climat de montée de l’extrême-droite ?

Matthias Bouchenot : Bien souvent, lorsqu’on veut prendre pour comparaison l’histoire afin d’éclairer une situation actuelle on a le droit à l’adage mécaniste « l’Histoire se répète », ou au contraire à : « l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », pour ceux qui veulent donner l’allure du marxisme à leur ignorance.

Au passage, cela permet d’affirmer que le danger fasciste appartient au passé et cela justifie de ne pas s’en préoccuper… Pour ma part, je me contenterai de dire que ce qui était vrai en 1930 l’est toujours en 2014 : le capitalisme est un système de crises. De crises économiques, mais donc aussi de crises sociales et politiques.

La montée du racisme et du nationalisme, de nos jours comme dans les années 1930, ne doit rien au hasard. C’est l’écran de fumée que dégagent les possédants pour masquer leur responsabilité dans ces crises. Pour véhiculer les dérivatifs à la colère populaire, ils ont besoin de forces politiques, d’où l’essor actuel de l’extrême droite. Mais attention : je ne dis pas que les capitalistes sont forcément nationalistes ou racistes.

Dans le viseur de l’extrême droite, on retrouve bien évidemment les révolutionnaires qui doivent à nouveau faire face aux actes de violence des nervis fascistes. Il n’est donc pas inintéressant pour les antifascistes de se souvenir de leurs héritages, notamment des pratiques et des réflexions socialistes face à la violence des ligues…

Propos recueillis par Aurélien (AL Paris-Sud)

• Matthias Bouchenot, Tenir la rue. L’autodéfense socialiste 1929-1938, Libertalia, 2014, 300 pages, 15 euros.

http://alternativelibertaire.org/?Matth ... ntester-la


Tenir la rue : L’autodéfense socialiste —1929-1938 – Interview avec l’auteur

Matthias Bouchenot s’est penché sur l’histoire des groupes d’action et des groupes d’autodéfense de la SFIO (Parti socialiste), principalement dans la fédération de la Seine durant les années 30. Ces groupes, « » (JGS) et « Toujours prêts pour servir » (TPPS), étaient à la fois des groupes chargés d’assurer la sécurité des cortèges et les meetings de la SFIO, ils avaient une ligne politique bien plus radicale que celle du parti.

-Pourquoi s’être intéressé au service d’ordre de la SFIO des années 1920-1930 et pas à
celui de la CGT ou du PCF ?

Les services d’ordre de la CGT et du PCF font déjà l’objet de plusieurs études scientifiques, avec notamment les travaux d’Isabelle Sommier sur la CGT ainsi que ceux de Sylvain Boulouque et de Georges Vidal sur le PCF. Par ailleurs, si je me suis intéressé spécifiquement à l’autodéfense socialiste lors de cette période d’entre-deux-guerres, c’est aussi parce qu’elle relève d’une expérience originale et aboutie. C’est particulièrement le cas pour les Toujours Prêts Pour Servir (TPPS) et les Jeunes Gardes socialistes (JGS), les deux structures principales de l’autodéfense socialiste en région parisienne. Confrontée successivement au PC et aux ligues nationalistes, elle évolue entre noyau de milice révolutionnaire et services d’ordre légaux. Dans ces années marquées par une forte conflictualité politique et sociale, il n’est pas inintéressant de se pencher sur ces structures qui concernent des centaines – voire des milliers de militants – et qui ont fait l’objet d’importants débats au sein de la SFIO.

-Sur quelles sources as-tu travaillé ?

Je me suis aussi bien appuyé sur les textes de congrès et les articles de presse que sur les archives personnelles des dirigeants socialistes ou sur celles de la préfecture de police de Paris. Je n’ai pas négligé les Mémoires de militants socialistes de cette période et j’ai eu la chance de m’entretenir avec Eugène Boucherie, l’un des derniers acteurs de cette expérience. Il était militant aux Jeunes Gardes socialistes de Paris en 1935. Sur la question des sources, j’ai été confronté à trois types de difficultés. La première est que la SFIO n’a pas la culture bureaucratique de la trace écrite et n’a pas forcément eu le réflexe de ficher toute l’activité de ses groupes d’autodéfense, à l’inverse du PCF par exemple. Ces archives socialistes sont de toutes façon réduites à peu de choses, ayant été partiellement détruites en 1940 puis saisies par les Allemands, avant de passer plusieurs décennies à Moscou… pour finir par revenir en France. Bref, il restait encore à les classer pour partie, au moment où je les étudiais. La seconde difficulté est liée au passage de la SFIO au pouvoir et au relâchement de la surveillance policière sur les activités socialistes. La dernière est évidemment la nature souvent illégale de l’activité de l’autodéfense qui n’incite pas à s’embarrasser de preuves. Je pense cependant avoir réuni les éléments nécessaires pour tracer les contours d’une histoire de l’autodéfense socialiste dans les années 1930.

-On a du mal à s’imaginer aujourd’hui, mais la violence politique était bien plus élevée à cette époque qu’à l’heure actuelle. Est-ce que tu peux nous parler un peu des mœurs politiques de l’époque et des tentatives régulières, de part et d’autres, d’essayer de porter la contradiction dans les meetings adverses voir de les empêcher ?

Nous avons souvent en tête le titre de l’ouvrage de Daniel Guérin Front populaire révolution manquée, et les historiens eux-mêmes, comme Serge Berstein s’appuie sur une comparaison avec la Commune de Paris pour évoquer un affrontement « simulé » dans les années 1930. Les combats politiques de cette époque ont cependant fait une soixantaine de morts et des centaines de blessés. À gauche comme à l’extrême droite, la violence n’a alors rien de stigmatisant, bien au contraire. Les meetings, les affichages, les distributions de tracts et de journaux sont alors les principaux vecteurs politiques. En s’attaquant aux vendeurs de la presse adverse ou à ses meetings, on handicape sérieusement son développement. Dans la période dite « classe contre classe » (1928-1932), le PC n’hésitait pas à attaquer les meetings socialistes pour priver la SFIO d’audience dans les quartiers populaires de Paris.

-Marceau Pivert est un personnage incontournable de ton ouvrage. Peux-tu nous rappeler son parcours politique ainsi que ses positions ?

Marceau Pivert est en effet l’un des fondateurs des TPPS et leur dirigeant durant toute cette période. En 1914, c’est un jeune républicain belliciste, mais il ressort de la guerre malade et profondément pacifiste. Il évolue alors du Parti radical à la SFIO, où il rejoint la tendance de gauche dite « Bataille socialiste ». En, 1935, cet instituteur de Montrouge fonde sa propre tendance : la « Gauche révolutionnaire ». Il porte le projet d’un « Front populaire de combat » et montre souvent une plus grande proximité avec les organisations gauchistes (anarchistes, trotskistes, et marxistes révolutionnaires). Exclu de la SFIO en 1938, il fonde le PSOP, avec Daniel Guérin notamment. Au Mexique, en 1939, il propose son aide à De Gaulle.

-Est-ce que les TTPS ont incarné, en plus de leur mission de SO un courant politique au sein de la SFIO ?

Les TPPS sont en grande partie constitués de jeunes militants organisés à la faveur du Front populaire. Ils ne s’inscrivent pas nécessairement dans la tradition guesdiste d’éducateurs socialistes qui caractérisait la SFIO jusqu’alors. Ils sont épris d’action et montrent une sensibilité pour les thèses révolutionnaires. Leur direction est de toute façon toujours entre les mains de la Gauche révolutionnaire et parfois d’entristes trotskistes.

-Comment expliques-tu ce rapport méfiance/attirance entre les organisations politiques et leur service d’ordre ?

Je pense que dans les années 1930 (contrairement à ce qu’ont pu connaître certaines organisations d’extrême gauche dans la deuxième moitié du XXe siècle), la question du rapport du parti à son service d’ordre ne se pose pas en termes de méfiance/attirance. Les débats concernent plutôt la question de la prise/exercice du pouvoir et donc de la place de l’autodéfense dans cela. Ce que les majoritaires réformistes combattent, c’est d’avantage l’insurrectionalisme que les groupes de combats.

-Est-ce que tu sais ce que sont devenus les personnes engagées dans les TTPS ou les JGS lors de la seconde guerre mondiale ?

J’ai des informations pour quelques membres clairement identifiés comme André Weil-Curiel, responsable de l’état-major des TPPS, qui rejoint Londres en décembre 1940, mais il faudrait une étude plus approfondie et plus globale ; la question est parfaitement légitime. Je ne suis cependant pas certain que nous disposions des matériaux nécessaires.

http://lahorde.samizdat.net/2014/06/16/ ... c-lauteur/

Re: Antifasciste en France, années 1920-1930

MessagePosté: 04 Nov 2017, 12:07
de bipbip
Genève, Se souvenir et agir - Commémoration pour les martyrs du 9 novembre 1932

Le 9 novembre 1932, l’extrême droite fasciste genevoise organise un meeting à la salle communale de Plainpalais pour une mise en accusation publique de deux leaders de la gauche genevoise : Léon Nicole et Jacques Dicker. Une manifestation ouvrière pour empêcher ce meeting réunit plusieurs milliers de personnes. Craignant des troubles, le Conseil d’Etat fait appel à l’armée qui envoie de jeunes recrues inexpérimentées encadrées par des officiers partisans qui leur font croire qu’une révolution de type bolchevique a éclaté à Genève. Pressée par la foule des manifestants devant l’ancien Palais des expositions (actuellement Uni-mail), l’armée tire dans la foule à 21 h 34, assassinant 13 personnes et en blessant des dizaines d’autres.

Commémoration jeudi 9 novembre 2017 à 18h devant Uni Mail (à l’endroit où sont tombées les victimes le 9 novembre 1932).

Pourquoi cette commémoration ?

Si chaque année nous marquons l’anniversaire de ce crime, c’est évidemment en hommage aux 13 victimes, aux dizaines de blessés ainsi qu’aux milliers de manifestants qui se sont élevés ce soir là contre le fascisme. Mais c’est aussi parce que les leçons à tirer de cet événement sont toujours bien présentes et actuelles.
Bien sûr, la situation de 1932 n’a pas grand chose de comparable avec celle d’aujourd’hui. Mais...
Au gré des crises du système capitaliste qui entraînent salarié·e·s et petits patrons dans une forme de déclassement émergent, en effet, des mouvements constitués d’hommes « forts » et des slogans-chocs et populistes qui capitalisent sur l’insécurité sociale pour véhiculer des discours dont le principal ressort reste, encore et toujours, la haine de l’Autre. Hier comme aujourd’hui, le principal objectif de ces discours reste de viser la division des travailleurs et travailleuses et ainsi offrir un boulevard au démantèlement des acquis sociaux.
Alliés de la droite sur quasiment sur toutes les questions qui touchent à l’économie, ces mouvements détournent toute une partie des personnes dans la précarité des véritables luttes sociales qui devraient être conduites aujourd’hui, pour une redistribution plus équitable des richesses, pour des salaires décents et pour la protection des conditions de travail. Ils jouent avec un double discours où la critique des « élites » laisse en réalité souvent la place à des positions beaucoup plus consensuelles lorsqu’il s’agit de taxer les plus aisés, c’est-à-dire de reprendre à ces « élites » les richesses qu’elles se sont attribuées.

Aujourd’hui comme hier
• L’idéologie d’extrême droite n’a jamais disparu. Elle prend aujourd’hui des formes nouvelles, différentes, sous la forme d’un populisme et d’une intoxication intellectuelle qui vont à rebours des droits démocratiques et de la justice sociale. Aujourd’hui comme hier, le mouvement ouvrier doit lutter contre ce péril d’autant plus dangereux qu’il trompe et aliène en priorité dans les rangs des travailleuses et des travailleurs.
• Si Léon Nicole et Jacques Dicker ont été « mis en accusation », c’est parce qu’aux yeux de l’extrême droite, ils étaient des étrangers. Jacques Dicker était d’origine russe et il était juif. Léon Nicole était vaudois ! donc un étranger pour les nationalistes genevois. Le racisme et la xénophobie font partie intégrante du fascisme. Ils sont loin d’avoir disparu. Au contraire : le système économique dominant joue des disparités, des inégalités, du nationalisme pour diviser les travailleurs, les jeter les uns contre les autres et ainsi asseoir son pouvoir.
• Le rôle, la conception et l’existence même de l’armée doivent être remis en cause. Elle reste notamment inadaptée aux questions de maintien d’un ordre citoyen ; elle coûte des sommes phénoménales qui manquent cruellement à la justice sociale et même au développement économique, social et écologique.
• Le droit de manifester est aujourd’hui remis en cause sous des prétextes sécuritaires. C’est la liberté d’expression qui est en jeu, ce sont les droits démocratiques qui sont menacés. Devant le désarroi né des difficultés économiques, du chômage, de l’exclusion, le repli sur soi engendre des divisions dont profite le patronat ; il mène tout droit à l’intolérance, à la xénophobie et au racisme. L’extrémisme de droite naît sur les peurs, sur le désarroi et la détresse de la population. Notre lutte interdit les divisions, de voir les travailleuses et les travailleurs se dresser les uns contre les autres sous prétexte de différence d’origine ou de couleur d’yeux ou de peau. Toute division entre nous fait la force de ceux que nous combattons.
Nous rejetons les discours populistes, ces discours qui prétendent qu’il faut se protèger les uns contre les autres. Il n’y a qu’une seule condition à notre lutte, une seule solution pour gagner, c’est la solidarité et l’unité sans faille, sans hésitation, sans restriction de pensée.

C’est pourquoi aujourd’hui nous rendons hommage à ceux qui ont payé ce combat de leur vie. Mais cette commémoration du 9 novembre 1932 est donc d’abord et avant tout une flamme que nous rallumons chaque année pour saluer les résistant·e·s aux tendances fascistes de toutes les époques, pour attester que l’engagement pris par les milliers de manifestant·e·s qui défilaient ce soir du 9 novembre 1932 n’a pas été vain.

La mémoire de leurs luttes est nécessaire, elle contribue à renforcer notre détermination à poursuivre leur combat.


https://renverse.co/Se-souvenir-et-agir ... -1932-1273

Re: Antifasciste en France et au delà, années 1920-1930

MessagePosté: 12 Fév 2018, 11:44
de Pïérô
Le fascisme économique

Analyse prémonitoire du fascisme par Pierre Besnard (vers 1932).

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Avant de devenir une véritable doctrine de gouvernement, le fascisme, dont les origines et le processus politique sont exposés ici, a dû, nécessairement, se donner des bases économiques solides. Il est même permis de dire que, sans ces assises, le fascisme n’aurait jamais pu vivre.

Il est possible d’ailleurs que son évolution, à la fois économique et politique, ne soit pas terminée dans le pays même où il a pris naissance : en Italie.

L’origine de ce mouvement, la qualité de ses aspirateurs, démontrent bien que le fascisme est d’ordre économique.

En effet, il est surtout l’œuvre des grands industriels italiens de Milan, de Turin, etc...

Ce sont eux qui, les premiers, perdirent confiance dans le pouvoir politique représenté à ce moment par le vieux libéral Giolitti, lors de la prise des usines en 1920.

S’ils s’en remirent à Mussolini, pour éviter le retour de pareils faits, ce fut surtout pour bouleverser de fond en comble l’ordre économique existant, à l’aide d’un système de “ collaboration forcée ”, dont la caractéristique essentielle serait d’empêcher, à l’avenir, le heurt des antagonismes de classe.

Mussolini exécuta d’abord la partie politique et défensive de sa mission. La marche sur Rome, la restauration du pouvoir de l’État, son exercice avec le consentement du roi, furent, pour Mussolini, et ses inspirateurs, des tâches dont l’accomplissement immédiat s’imposait pour sauver le capitalisme menacé jusque dans ses fondements, mais toutes ces mesures n’étaient que purement défensives. Sous peine de disparaître dans un chaos indescriptible, Mussolini et les grands industriels devaient créer.

Ce n’est pas comme on le croit généralement, la violence et toutes les manifestations qu’elle comporte qui constituent le fascisme. Cette violence n’est que le moyen par lequel le gouvernement fasciste impose sa domination. Il semble même qu’en dehors de l’Italie, le fascisme n’existe réellement nulle part ailleurs.

L’Espagne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne, la Lituanie, gémissent sous la poigne brutale et sanglante de gouvernements réactionnaires, de dictateurs militaires et civils, mais on ne peut dire que, les régimes de ces pays soient fascistes. Ils n’ont, jusqu’à présent, de fasciste, que la violence.

L’Italie, seule, possède un régime fasciste parce que, dans ce pays, une nouvelle économie : celle qui caractérise vraiment le fascisme, est à la base du nouvel ordre social.

C’est là, en effet, que les industriels, en constituant “les faisceaux ”, eurent l’idée géniale de rassembler sur le plan de l’exploitation capitaliste toutes les forces actives qui concourent à la vie des Sociétés : la main-d’œuvre, la technique et la science. A ces forces, ils ajoutèrent - c’est parfaitement logique, dans un tel régime - le capital, c’est-à-dire : les patrons, les banquiers.

Les corporations fascistes, qui sont les piliers du régime, les cariatides [sic, bases] du nouvel ordre de choses, permettent de réaliser, au besoin par la force, la collaboration de tous ces éléments sur le plan industriel à l’échelle locale, régionale (provinciale) et nationale.

Ces “ corporations ” n’ont rien dé commun avec celles du Moyen Âge, disparues en France vers 1786. Ce ne sont pas des forces périmées d’association que l’épreuve du temps condamnera sans appel.

Elles sont, au contraire, l’armature moderne et perfectionnée du capitalisme, dont elles ont mission de réaliser, sans encombre, l’évolution nécessaire.

Pourquoi ce système fasciste est-il si, redoutable ?

1° Parce qu’il est, sur le plan capitaliste, une adaptation dangereuse du syndicalisme ouvrier ;

2° Parce qu’il réalise “ concrètement ” le système d’intérêt général des démocrates syndicaux ;

3° Parce qu’il dépasse, apparemment, par l’application pratique, et immédiate, le socialisme d’État à tendance réformiste.

Ce sont ces caractéristiques qui font la force du fascisme et le rendent redoutable.

En tirant la leçon, à leur manière, de 50 années d’expériences sociales ouvrières, les industriels italiens - avec lesquels, en France, les Motte, les Martin-Mauny, les Valois et les Arthuys, sont en parfait accord - ont su renforcer économiquement et politiquement leur puissance. Ils ont fait franchir une nouvelle étape au capitalisme. Ils ont su réaliser ce tour de force : assouplir un système en le concentrant ; renforcer l’exploitation en la masquant sous les traits de la collaboration : imposer comme réel un intérêt général inexistant ; diriger vers des buts de conservation du capitalisme des forces destinées par excellence à faire disparaître ce régime.
Et ce tour de force s’est accompli sous les yeux ébahis du prolétariat universel, sans que celui-ci en saisisse toute la signification, toutes les conséquences.

II a été longuement préparé et exécuté de main de maîtres. La mise en tutelle de tous les Etats par la finance et la grande industrie internationale a précipité l’avènement du fascisme. Et on peut tenir pour certain que les industriels italiens avaient derrière eux, avec eux, tous les grands potentats bancaires et industriels, surtout ceux d’Angleterre et d’Amérique. La contribution financière de ces magnats à l’œuvre du fascisme est aussi évidente que le contrôle qu’ils exercent sur l’industrie italienne est réel Mussolini n’est, en somme, que l’exécuteur des desseins du grand État-Major capitaliste mondial. L’Italie n’est que le lieu d’une expérience qu’on veut aussi décisive que possible avant de la généraliser.

Voilà, à mon point de vue, comment la classe ouvrière doit considérer le fascisme. C’est le système social nouveau du capitalisme, ayant à la fois de très fortes bases économiques et une expression étatique renforcée.

Ce mouvement est d’autant plus dangereux qu’il vient à son heure : au moment où, dissociées, les forces ouvrières bifurquent vers des buts différents ; au moment où, abandonnant définitivement leurs objectifs, de classe, une partie de ces forces apportent au capitalisme le concours sans lequel celui-ci ne pourrait franchir, dans les circonstances actuelles, le défilé difficile qu’est toujours le passage d’un stade d’évolution à un autre stade ; au moment, enfin, où la faillite de tous les partis politiques, dans tous les pays, s’avère irrémédiable aux yeux de ceux qui comprennent la signification, la portée des événements économiques, politiques et financiers qui se déroulent à travers le monde.

Il n’est donc pas surprenant que le fascisme, habilement présenté aux diverses couches populaires, réussisse à entraîner vers lui toutes les dupes des partis, tous les trompés, tous les désabusés, tous les partisans des doctrines de force que la guerre a remises au premier plan. Ceci pour le plan politique.

Économiquement, les corporations fascistes, en réunissant dans un même organisme toutes les forces d’une même industrie : patrons, techniciens, savants et ouvriers, réalisent la gageure de faire croire à l’existence d’un intérêt général.

Et cette conception n’est-elle pas, en fait, pour le compte du Capitalisme, l’affirmation de la thèse soutenue par la Fédération Syndicale d’Amsterdam et ses plus brillants représentants sur le plan ouvrier.

Il n’y a qu’une seule différence. C’est celle ci Jouhaux et ses amis prétendent réaliser l’intérêt général, en utilisant le capitalisme, au profit des travailleurs, tandis que Mussolini le réalise au profit du capitalisme en utilisant le prolétariat.

Des deux, un seul est logique : Mussolini. C’est là, en grande partie, la force essentielle du fascisme. Non seulement, il institue à son profit un régime d’intérêt général, mais encore il s’assure, pour cette tâche, le concours indispensable d’une partie de la classe ouvrière.

Qu’on ne croie pas que le fascisme supprime les classes, qu’il les nivelle. Non, il les superpose, mais cela lui permet de faire disparaître les antagonismes brutaux et permanents du Capital et du Travail, au nom de leur intérêt corporatif et général.

De cette façon, il supprime à la fois : la grève, arme ouvrière, et le lock-out, arme patronale, par l’arbitrage obligatoire, arme à la fois gouvernementale et patronale, puisque l’État n’est que l’expression collective de la classe dominante.

Si la “ corporation fasciste ” réalise une sorte de solidarité d’intérêt, nul ne peut prétendre que cette solidarité implique l’égalité sociale des “ associés ”.

Voyons, en effet, quelles sont les caractéristiques essentielles de ces corporations

1° Au sommet : une direction technique assumée par le patron, l’industriel et, invisible mais présente, unie autre direction, occulte, morale, suprême, la vraie direction : les grandes banques ;

2° Aux échelons : Les Savants, dont les travaux sont dirigés, orientés par la direction, par la force qui paye ; les techniciens, qui sont chargés d’appliquer les découvertes des savants sur le plan industriel ; les agents de maîtrise, qui ont pour mission de faire exécuter, selon les règles de la corporation, dans “ l’intérêt général ” de celle-ci, les travaux élaborés, mis au point par le corps des techniciens. Savants ; techniciens, agents de maîtrise, reçoivent, à des degrés divers, des “ délégations ” qui font d’eux les représentants de la direction. Ils n’en sont pas moins contrôlés constamment par celle ci ;

3° Au bas de l’échelle : les ouvriers, les employés, les manœuvres, c’est-à-dire les exécutants, qui sont placés sous la direction des agents de maîtrise, qui obéissent aux instructions du “ Bureau ” et n’ont à faire preuve d’aucune initiative. Ils ne jouissent, en fait, d’aucun droit.

En somme, on peut dire que la Corporation est placée sous l’autorité d’un seul maître, en deux personnes l’industriel et le financier, le second commandant su premier. Le reste constitue une armée de parias, plus ou moins bien rétribués et considérés, dont les efforts conjugués. n’ont qu’un but : enrichir le premier en asseyant ses privilèges, en les perpétuant.

C’est ce que le fascisme appelle la “ collaboration des classes ” dans un but “ d’intérêt général ”.

Les salaires, la durée du travail, les conditions d’exécution de celui-ci, sont fixés localement, par industrie, par la Corporation intéressée, c’est-à-dire, en réalité, par le patronat qui prend grand soin de faire avaliser ses propositions par les “ représentants ” des autres associés ”, habilement choisis par lui, avant de les faire légaliser par le “ podestat ”, qui est le magistrat politique, le représentant direct du pouvoir d’État.

Ce système est encore incomplet, mais, d’ores et déjà, il constitue la base solide qui supporte tout l’édifice fasciste. Lorsque Mussolini, avec le temps, aura réussi à se débarrasser du Parlement élu et du Sénat, désigné par le roi - et ce ne sera pas long - il constituera des parlements provinciaux et un parlement national, où siégeront les représentants qualifiés des Corporations, c’est-à-dire des “ grands intérêts ” du pays.

Ces assemblées locales, provinciales et nationales, constamment placées sous le contrôle du pouvoir central, formeront l’appareil politique du pays.
Le fascisme sera alors réalisé : politiquement et économiquement.

Il lui restera à accomplir la tâche pour laquelle il fut présenté : Tracer les nouvelles lois économiques du Capitalisme, généraliser le système de renforcement de l’État mis au point en Italie.

Les grandes crises économiques et financières actuellement en cours n’ont pas d’autre but.

J’ai indiqué ailleurs que les crises économiques qui se déroulent dans tous les pays n’avaient pas pour causes réelles les crises financières qui n’atteignent et n’affectent que certains d’entre eux. J’ai démontré que ces crises économiques sévissaient aussi bien dans les pays à change haut, moyen ou bas, que dans ceux où les crises financières étaient terminées, en cours, ou bien ne s’étaient pas encore produites.

La crise financière est, certes, un facteur, mais un facteur artificiel, qui permet de rendre ici ou là, la crise économique plus aiguë. C’est un moyen, dont use avec art la finance internationale, mais ce n’est pas une cause.

Quant à la conséquence de ces crises économiques, c’est le chômage, aujourd’hui général dans le monde. Quelle que soit la situation financière des pays, le chômage y règne et on constate qu’il est, généralement, d’autant plus considérable et, aussi, permanent, que la situation du pays est, financièrement, meilleure. La Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne, sont, à ce sujet, des exemples probants.

Le chômage n’est, en somme, qu’une sorte de lock-out, qui a pour but d’introduire dans la production de nouvelles règles, dont le fascisme et le taylorisme semblent constituer les grandes lignes sur tous les terrains (exécution du travail et -forme de sa rétribution).

L’ensemble de ces nouvelles règles constitue ce qu’on appelle la “ rationalisation ”. Ce mot, qui a une importance considérable, à notre époque, sera étudié à sa place.

Mais, dès maintenant, il convient de dire que la rationalisation, actuellement en cours, dans tous les pays industriels, - et déjà partiellement réalisée dans certains d’entre eux - a pour but de faire passer le capitalisme d’un stade terminé, révolu, à un autre stade correspondant à l’évolution actuelle.

Les Corporations fascistes seront les agents d’exécution de ce plan, sous le couvert de “ l’intérêt général ”. Et, en France, on assistera vraisemblablement, en raison de l’histoire de ce pays, à ce spectacle prodigieux de voir le fascisme réalisé par la C.G.T. ou plutôt par ses dirigeants, aidés par les chefs socialistes, lesquels, dans nombre de pays, et notamment en Pologne, ont montré qu’ils avaient, à ce sujet, d’étonnantes dispositions.

En effet, quiconque peut s’apercevoir que la bourgeoisie réactionnaire française a l’infernal talent de faire présenter, soutenir et défendre ses projets d’asservissement par les leaders politiques du Parti socialiste et les chefs syndicaux de la C. G. T.

C’est ainsi que Paul Boncour, au nom du Parti socialiste, présenta et fit voter le projet de loi instituant la nation armée et la militarisation des syndicats, avec l’agrément de la C.G.T.

C’est ainsi, encore, que celle-ci, alors que le chômage permanent implique la réduction du temps de travail, se cramponne à la journée de 8 heures, devenue trop longue.

Le Capitalisme poursuivra-t-il sa besogne de transformation profonde, jusqu’au bout, en utilisant les chefs socialistes et syndicaux, déjà rivés à son char ? Réalisera-t-il, avec eux, le fascisme - quelle qu’en soit la forme - ou se décidera-t-il, le moment venu, à se débarrasser de “ ses auxiliaires ”, après les avoir usés ? Nul ne le sait, du moins en ce moment, pas même l’intéressé.

Mais il est cependant certain que, de quelque manière que ce soit, et avec qui ce soit, la haute finance poursuivra son but sans défaillance.

Une force, une seule : le syndicalisme révolutionnaire me paraît capable de barrer la route au capitalisme, en voie de transformation.

Comme son adversaire, mais à l’état libre, il dispose, sans limite, des facteurs qui assurent la vie sociale. C’est, en définitive, entre le syndicalisme révolutionnaire et le fascisme -. et tous ses alliés, politiques et syndicaux - que se livrera la bataille finale, pour laquelle tous les ouvriers devraient déjà titre prêts.

De l’issue de cette bataille dépend toute la vie des peuples.
Selon que l’un ou l’autre triomphera, ce sera la liberté ou l’asservissement, l’égalité sociale ou l’exploitation illimitée, qui règneront universellement. »

Pierre Besnard


http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article84

Re: Antifasciste en France et au delà, années 1920-1930

MessagePosté: 09 Mar 2018, 12:14
de Pïérô
La résistance de l’anarcho-syndicalisme allemand au nazisme

Traduit de " Direkt Aktion ", journal de la FAU-D

Un demi-siècle après, l’action des anarcho-syndicaliste allemands est toujours méconnue en France. Il y a au moins 220 000 allemands à être condamnés pendant la période 1933/1939 à des peines de prison et pour le même motif : "préparation d’actes de haute trahison." Si l’on compte aussi ceux qui furent assassinés ou enfermés sans jugement dans des camps de concentration pour opposition au régime, cela suffit pour comprendre l’importance de la résistance à l’intérieur du IIIe Reich.

C’est le 5 novembre 1937 que l’ouvrier de l’industrie automobile Julius Nolden de Duisburg était condamné par le " Tribunal du peuple " de Berlin à une peine de dix ans de réclusion pour " préparation d’une entreprise de haute trahison avec circonstances aggravantes ". Nolden était à la tête de la FAU-D de Rhénanie lorsque cette organisation clandestine fut démantelée par la Gestapo en janvier 1937. Avec lui, quatre vingt huit compagnons et compagnes anarcho-syndicalistes furent alors arrêtés. Ils furent jugés sur place, en Rhénanie, au début de 1938. La résistance anarcho-syndicaliste dans la Rhénanie A Duisburg, la FAU-D était forte en 1921 d’environ 5 000 membres. Puis le nombre d’adhérents baissa et au moment où Hitler s’empara du pouvoir (en 1933), il ne restait plus que de petits groupes. Par exemple, le nombre de militants actifs sur Duisburg-Sud devait se situer aux environs de 25, et la Bourse du travail régionale pour la Rhénanie comptait 180 à 200 membres à jour de leurs cotisations. A son dernier congrès national, qui avait eu lieu à Erfurt au mois de mars 1932, la FAUD avait décidé qu’en cas de prise de pouvoir par les nazis son bureau fédéral à Berlin serait dissous, qu’une direction clandestine serait mise en place à Erfurt et qu’on riposterait par une grève générale immédiate. Cette dernière décision ne put être mise en pratique : partout, en Allemagne, la FAUD fut décimée par des vagues d’arrestations.

En avril ou mai 1933, le docteur Gerhardt Wartenberg réussit, avant de fuir d’Allemagne, à trouver un remplaçant dans ses fonctions de secrétaire de la FAU-D en la personne du serrurier Emil Zehner d’Erfurt. Il se réfugia à Amsterdam où il fut accueilli, avec d’autres émigrés allemands, par l’anarcho-syndicaliste hollandais Albert de Jong. De même, le secrétariat de l’AIT fut transféré aux Pays-Bas en 1933, sans pouvoir empêcher que l’ensemble du courrier et des archives ne tombent entre les mains des nazis. A l’automne 1933, Emil Zehner fut remplacé par Ferdinand Gotze de la Bourse du travail de la province de Saxe, puis par Richard Thiede de Leipzig. Dans l’ouest de l’Allemagne, fuyant déjà la Gestapo, réapparut Ferdinand Gotze à l’automne 1934. Entre-temps, dans cette région, s’était constitué un groupe clandestin de la FAU-D, avec le soutien de la fédération hollandaise de l’AIT : la NSV. De même, en toute hâte, un secrétariat de la FAU-D en exil fut mis sur pied à Amsterdam. Duisburg, centre de liaison et d’agitation pour l’ouest de l’Allemagne Jusqu’à la prise de pouvoir des nazis, l’ouvrier Franz Bungert était à la tête de la fédération de Duisbourg. Sans aucun jugement, il fut interné dès 1933 dans le camp de concentration de Bogermoor. Au bout d’une année, il retrouva sa liberté mais fut dans l’incapacité de mener une quelconque action illégale, à cause de la surveillance permanente dont il était l’objet. Son successeur fut Julius Nolden, métallurgiste alors au chômage et trésorier de la Bourse du travail pour la Rhénanie. Il fut aussi arrêté par la Gestapo, qui soupçonna que sous son activité dans une société d’incinération se cachaient des relations illégales avec d’autres membres de la FAU-D.
En juin 1933, peu de temps après sa libération, il rencontra Karolus Heber qui faisait partie de la direction clandestine d’Erfurt, afin d’étudier les possibilités d’organiser la fuite des camarades menacés vers la Hollande, ainsi que la mise sur pied d’une organisation de résistance dans la région du Rhin et de la Rhur. Nolden et ses camarades dressèrent un itinéraire d’immigration clandestine vers Amsterdam et diffusèrent de la propagande antifasciste. Il apparaît dans les dossiers judiciaires de l’époque que la brochure antinazi qui avait été camouflée sous le titre " Mangez des fruits allemands et vous serez en bonne santé " était si populaire parmi les mineurs que ces derniers s’apostrophaient mutuellement par des : " As-tu mangé aussi des fruits allemands ?"Après 1935, avec l’amélioration de la situation économique de l’Allemagne, il fut de plus en plus difficile de maintenir une organisation anarcho-syndicaliste illégale. Beaucoup de compagnons retrouvèrent du travail après une longue période de chômage et étaient réticents à s’engager dans la résistance active. La terreur de la Gestapo faisait le reste. De plus, à partir de 1935, il n’arriva plus de propagande en provenance d’Amsterdam.

Le déclenchement de la Révolution espagnole, en 1936, redonna vie au mouvement anarcho-syndicaliste en Allemagne. Nolden multiplia les contacts à Duisburg, Düsseldorf et Cologne, organisa des réunions et lança des collectes pour aider financièrement les camarades espagnols. Dans le même temps, Simon Wehren, d’Aix-la-Chapelle, utilisait le réseau des Bourses du travail de Rhénanie pour essayer de trouver des techniciens volontaires pour aller en Espagne. En décembre 1936, la Gestapo réussit, grâce à un mouchard infiltré, à découvrir l’existence de groupes dans les villes de Monchengladbach, Dolken et Viersen. Au début de 1937, elle arrêta en peu de temps cinquante anarcho-syndicalistes de Duisburg, de Düsseldorf et de Cologne avec, parmi eux, Julius Nolden. Quelque temps après, d’autres arrestations suivirent, portant à quatre vingt-neuf le nombre de membres de la FAU-D illégale qui se trouvèrent entre les mains de la Gestapo. L’instruction dura une année. Les compagnons et compagnes furent jugés pour " préparation d’actes de haute trahison " en janvier et février 1938. Il n’y eut que six acquittements pour absence de preuves, les autres furent condamnés à des peines de prison allant de plusieurs mois jusqu’à six ans de réclusion. Julius Nolden fut enfermé dans le pénitencier de Lüttringhausen d’où il fut libéré par les Alliés le 19 avril 1945. A la Pentecôte 1947, il se retrouvait à Darmstadt avec d’autres rescapés du groupe de Duisburg pour fonder la Fédération des socialistes libertaires (anarcho-syndicaliste).

Assassinats de militants.
En prison, plusieurs compagnons furent assassinés. Le tourneur de Duisburg Emil Mahnert qui, d’après le témoignage de quatre codétenus, fut précipité depuis le deuxième étage, par-dessus la main courante intérieure, par un policier tortionnaire. Le maçon Wilhelm Schmitz mourut aussi en prison le 29 janvier 1944 sans que l’on connaisse les circonstances exactes de sa disparition. Ernst Holtznagel fut envoyé dans le " bataillon disciplinaire 999 ", de sinistre réputation, et fut tué. Michael Delissen de Monchengladbach fut battu à mort par la Gestapo dès décembre 1936. Anton Rosinke de Düsseldorf fut assassiné en février 1937.
L’anarcho-syndicaliste Ernst Binder de Düsseldorf écrivit rétrospectivement, en août 1946 :
" Une résistance massive n’ayant pas été possible en 1933, les meilleurs au sein du mouvement ouvrier durent disperser leurs forces dans une guérilla sans espoir. Mais si, de cette expérience douloureuse, les travailleurs tirent l’enseignement que seule une défense unie au moment propice est efficace dans la lutte contre le fascisme, alors les sacrifices n’auront pas été inutiles. " »

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Re: Antifasciste en France et au delà, années 1920-1930

MessagePosté: 15 Sep 2018, 13:45
de bipbip
Cable Street, une des premières manifs antifasciste

Antisémitisme et guerre d’Espagne : l’histoire de Cable Street, une des premières manifs antifascistes

Découvrez l’histoire méconnue d’une des premières grandes batailles rangées entre fascistes et antifascistes en Europe. C’était le 4 février 1936 à Cable Street à Londres - un sursaut contre l’antisémitisme devenu rampe de lancement pour la Guerre d’Espagne.

Cable Street est une longue rue de l’East End londonien, qui court entre les quais de la Tamise et le quartier de Whitechapel, un peu en retrait de la Tour de Londres. C’est là, au beau milieu d’un quartier populaire où vivait alors une communauté juive nombreuse, que les autorités britanniques avaient autorisé le 4 octobre 1936 Oswald Mosley - le député artistocrate qui avait fondé en 1932 le BUF (Union britannique fasciste) - à faire le plein auprès de ses troupes.

Une pétition avait pourtant circulé, rassemblant plus de 10 000 signatures, pour réclamer l’interdiction de ce rassemblement derrière le leader du parti fasciste. A cette époque où l’hitlérisme se répandait sur le continent, Oswald Mosley déclarait par exemple : “Le fascisme est en mesure de l’emporter en Grande-Bretagne.” Trop peu manifestement pour que le gouvernement ne fasse rempart : non seulement le défilé de chemises brunes sera autorisé, mais pas moins de sept mille policiers seront même missionnés pour escorter le cortège derrière Mosley.

Car en 1936, les fascistes ne menaçaient pas de “débarrasser le quartier de Whitechapel de sa vermine et de ses rats juifs” sans rencontrer quelque résistance. Moins du côté des autorités, mais plutôt d’un adversaire politique de plus en plus structuré : les antifascistes. Ce 4 octobre 1936, ils sont ainsi plusieurs centaines de milliers à se masser sur Cable Street pour faire bloc contre les hommes de Mosley, qui s’annonçaient cinq mille. Parmi eux, sur le bitume de ce quartier populaire qui est encore loin de la gentrification qu’il connaîtra au début du XXIe siècle, une forte proportion de Juifs et d’Irlandais, dont des militants travaillistes et communistes viennent grossir les rangs.

De l’East end jusqu’à la Guerre d’Espagne

- Dans l’édition qui paraîtra une semaine plus tard, le Time Magazine documentera ainsi la contre-manifestation : "Ignorant les consignes du Labour Party et des chefs de file travaillistes proéminents, un demi-million de prolétaires britanniques parsemé de Juifs se sont rendus au déchaînement anti-fasciste de la semaine dernière, qui s’est révélé être la plus grosse émeute à Londres depuis des années."

- Quatre-vingt dix ans plus tard, la date du 4 octobre 1936 reste chevillée à l’imaginaire d’une vaste union populaire, dans l’histoire britannique. Bien qu’elle soit finalement très méconnue en France, la contre-manifestation de Cable Street demeure aussi un marqueur de la culture antifasciste en Europe. Notamment parce qu’elle arrimera des milliers de militants insulaires britanniques au combat continental contre l’extrême-droite en marche sur le reste de l’Europe, de Berlin avec Hitler à Rome avec Mussolini en passant par Franco à Madrid.

- Richard Baxell, historien à la London School of Economics (LSE) voit même dans Cable Street "le point de départ de la route pour l’Espagne” pour des centaines de militant-e-s britanniques qui s’enrôleront dans la foulée de l’affrontement du 4 octobre 1936 aux côtés des Républicains dans la Guerre d’Espagne. Dans les rangs des Brigades internationales, ces Britanniques enrôlés volontaires pour se battre contre le franquisme paieront un lourd tribut. Partis un peu moins de 2 500 grossir les rangs des Brigades internationales qui compteront jusqu’à 40 000 volontaires internationaux, pas moins du quart des Britanniques seront tués et une bonne moitié, blessés.

Outre-Manche, on entend encore régulièrement dire que ces volontaires étaient pour la plupart des intellectuels ou des artistes engagés. Or, chiffres à l’appui, Richard Baxell soutient le contraire, et affirme que l’écrasante majorité de ces quelque 2000 engagés étaient issus de milieux populaires et urbains, pour beaucoup des travailleurs dans l’industrie. Dans ces bataillons, une majorité de jeunes hommes âgés de 29 ans en moyenne, dont les trois-quarts étaient membres du parti communiste, et un cinquième étaient issus de familles juives, précise encore l’historien britannique. En cela, la mobilisation contre la manifestation explicitement antisémite du 4 février 1936 peut être regardée comme un catalyseur.

Jack London et George Orwell, deux lectures antifascistes

Jim Brown sera l’un de ces membres des Brigades internationales. Aux historiens britanniques qui l’interrogeront beaucoup plus tard sur ses motivations à s’embarquer en Espagne, ce natif des quartiers populaires de Londres citera trois jalons :

l’extrême pauvreté d’une enfance rythmée par onze expulsions d’appartements aux loyers impayés
le choc dans lequel l’a plongé la lecture de Le Peuple de l’abîme, de Jack London (un témoignage de 1903 sur la vie dans ces quartiers de l’East end, où l’auteur avait vécu), et Dans la dèche à Paris et à Londres, le récit autobiographique que George Orwell venait tout juste de faire paraître en 1933
et, enfin, cette rixe du 4 octobre 1936 à Cable Street

Sur le sol britannique, la contre-manifestation antifasciste sera durement réprimée. Dans ses travaux, le même Richard Baxell raconte par exemple l’histoire d’un certain Charlie Goodman, l’un de ses enquêtés. Goodman, issu de la communauté juive de ce quartier de l’East End, participait à la contre-manifestation contre les hommes d’Oswald Mosley. Ce 4 octobre 1936, il grimpera en haut d’un lampadaire pour exhorter ses congénères antifascistes à résister aux assauts de la police, qui tentera longuement de sécuriser au leader d’extrême-droite et à sa cohorte un passage dans la foule. Reconnu coupable d’avoir grimpé au lampadaire en question par la justice, il sera envoyé en prison et écopera de trois mois de travaux d’intérêt général.



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